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Full text of "Le Muséum d'Histoire Naturelle : histoire de la fondation et des développements successifs de l'établissement : biographie des hommes célèbres qui y ont contribué par leur enseignement ou par leurs découvertes : histoire des recherches, des voyages, des applications utiles auxquels le muséum a donné lieu, pour les arts, le commerce et l'agriculture : description des galeries, du jardin, des serres et de la ménagerie"

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I.  K S 


TROIS  RÈGNES 

DE  LA  NATURE 

INTRODUCTION 


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PAH IS, 


IM  PR  I\f  CRI  K ADMINISTRATIVE  OE  PAUL 


«5.  Rtrc  oe  c«cteLLE-*u’rr-ao'»o«t. 


DUPONT, 


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PL.  2. 


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icip  H»n£âr4  M«u£« 


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PL.  2. 


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I.K 


MUSÉUM 


D’HISTOIRE  NATURELLE 

■ISItllI  M IA  FDIUTU)  IT  IIS  MmOIPEIEITS  Slü.fSSIIS  II  IfMUSSIIJI  ; 

HMurm  dis  noms  céübies  tu  t on  costuwi  mi  mi  nsiiuiun  ot  ni  uns  Dfanvuits, 

IISTOIKl  DES  MCIIICHS.  IIS  TOIKtS. 

ns  imJUTMS  unis  mtnu  u iistn  > Dont  un.  nu  us  ms,  li  couciu  n i’mikilmi. 

DESCUDTIOS  DIS  tilt UES,  K JâlIIS,  MS  SUIES  (T  II  U itlMEIIE 


M.  P.-A.  CAP 

HT  USE  SOCIETE  DE  SAVANTS  ET  D'AIDES  SATl'  HA  CISTES  Dl'  MUSÉUM 


PAH1S 

L.  CURMER 

B l' F.  BIC  II  F U FU  . 17  (ai  pbemieb}. 


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f'Ao  dldejÂl 


Mt'UXA 


i^/fo/tÿbcurJ  - J^é'/nten  ro/m/cor) , tStét'&t 
na/etra/oi/cJ,  iora/enr,)  e/  (onyi/pyeJ  e/u  is//> njcn en 

'/’Mee/o  tre  na/ureÆ  '/on/'  / ‘//tycnnce  tx/rame  a 
rc/t'/u  //ci/c  / erec/to-n  e/e  ce  mnneomon/' en  //fonueni 
'/>  dctc/iccJ  na/art//c.J, 


i^Goiumn^c  De.  pu>|oitDe  et  ôuteete  tecouiut^utuce  , 


L.  CURMER. 


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PREMIÈRE  PÉRIODE 

1633-1739 


La  vaste  collection  des  produits  do  la  nature,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Muséum 
d'histoire  naturelle,  est  une  des  plus  belles  fondations  du  règne  de  Louis  XIII.  Mais  la  pensée 
primitive  sur  laquelle  elle  so  fonde  a été  prodigieusement  modifiée  cl  développée  pendant  les 
deux  siècles  qui  onl  suivi  l’époque  do  sa  création.  Le  Jardin  du  Roi  eut  d’abord  pour  unique 
objet  do  compléter  les  moyens  d’étude  que  présentait  aux  étudiants  la  Faculté  de  médocino  do 
Paris,  et  on  lut,  pendant  plus  d’un  siéclo,  sur  la  porte  do  sa  principale  entrée,  ces  mots  : 
Jardin  royal  des  herbes  médicinales.  Lorsque  lo  cabinet  réservé  dans  les  bâtiments  « aux 
échantillons  des  drogues  simples  et  composées  » eut  acquis  une  certaine  extension,  il  devint 
lo  Cabinet  du  roi.  A la  botanique  et  à la  chimie,  qu’on  y enseigna  seules  pondant  trente-quatre 
ans,  on  ajouta,  par  la  suite,  uno  chaire  d’anatomie,  mais  sans  y joindre  un  cabinet  analo- 

A 


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2 PREMIÈRE  PARTIE. 

mique,  dont  la  création  so  fil  attendre  prés  d’un  sièclo.  Plus  lard,  le  cabinet  s’enrichit  succes- 
sivement de  plusienrs  collections  do  minéralogie  et  de  zoologie,  auxquelles  finit  par  s'ajouter 
la  ménagerie  de  Versailles.  Enfin,  en  1702,  l’établissement  prit  le  titre  do  Muséum  d'histoire 
naturelle.  Deux  ans  apres,  la  nouvelle  organisation  fut  mise  en  vigueur,  et,  depuis  lors,  l’éta- 
blissement s’est  élevé  par  degrés , et  presque  sans  lacune , à ce  point  de  richesse , d’ordre  et 
de  splendeur  qui  lo  distingue  aujourd'hui. 

Ce  sont  les  développements  successifs  de  ce  magnifique  répertoire  des  œuvres  de  la  nature 
et  la  description  de  ses  diverses  parties  qui  feront  l’objet  de  ce  récit.  Sous  dirons  les  efforts 
qu'il  a coûtés,  quelles  furent  ses  vicissitudes , quel  concours  de  zèle,  de  savoir  et  d’intelligence 
a répandu  la  vie  et  la  lumière  sur  toutes  ces  richesses , les  a complétées  à forco  de  courage , 
d’études  et  do  sacrifices;  nous  dirons  aussi  quels  hommes  y ont  consacré  leurs  talents  et 
leurs  veilles,  et  ont  mêlé  leur  nom  4 celui  du  Muséum  d’histoire  naturelle,  comme  4 la  gloire 
des  sciences  qu’ils  y ont  représentées, 

x Henri  IV,  sur  les  instances  de  Richer  île  Relierai,  avait  fondé,  en  I59G.  le  jardin  botanique 

de  la  Faculté  de  Montpellier.  Quelques  années  après,  on  créa  aussi,  pour  la  Faculté  de  médecine 
de  Paris,  un  jardin  de  plantes  médicinales.  Mais  co  n’est  point  14  la  première  origine,  en 
France,  d’une  fondation  de  la  même  nature,  dont  le  modèle  existait  déjà  en  Italie  et  en  Alle- 
magne. Près  d’un  demi-siècle  avant  cette  époque,  le  naturaliste  Pierre  Relou,  dans  un  ouvrage 
intitulé  : Itemvnlrances  sur  le  défaut  de  labour  et  culture  des  plantes,  etc.  (Paris,  I 558) , avait 
émis  l’idée  de  l’établissement  d’uno  vaste  pépinière  de  végétaux  exotiques,  qui  eût  fourni  des 
arbres  et  des  arbustes  4 toutes  les  résidences  royales.  Il  y engageait  le  collégo  des  médecins 
de  Paris,  « tant  pour  leur  délectation  que  pour  l’augmentation  du  savoir  des  doctes,  4 établir 
a un  jardin  public  où,  4 l’exemple  de  l’Italie  et  de  l’Allemagne,  on  élèverait  et  cultiverait 
o diverses  sortes  île  plantes.  » L’n  peu  plus  tard,  en  1577,  Nicolas  Houël,  apothicaire  do 
Paris,  ayant  fondé  la  Maison  de  la  Charité  Chrettienne,  y avait  joint  un  Jardin  des  sim- 
ples, « lequel  estant  rempli  do  beaux  arbres  fruitiers  et  plantes  odoriférantes,  rares  et 
« exquises,  du  diverses  natures,  ilcvait  apporter  un  grand  plaisir  et  une  grande  décoration 
n pour  la  ville  de  Paris,  etc.  » Tel  est  donc  le  premier  jardin  botanique  qui  ait  été  établi  en 
France,  et  ce  jardin  fuit  encore  partie  aujourd'hui  de  l’École  spéciale  de  pharmacie  de  Paris. 

Qu’on  nous  permette  de  saisir  cette  occasion  de  rappeler  ici  la  mémoire  de  l’un  dos  hommes 
les  plus  recommandables  qu’ait  produit  le  seizième  siècle,  et  auxquels  l'humanité  comme  la 
science  ont  le  plus  de  réelles  obligations.  Nicolas  Houel,  après  avoir  acquis  dans  sa  profession 
une  honorable  fortune,  voulût  l’appliquer  tout  entière  4 des  fondations  charitables  et  scienti- 
fiques. Il  conçut  la  belle  pensée  de  fonder  un  établissement  destiné  « 4 nourrir  certain  nombre 
o d’enfants  orphelins,  nés  do  loyal  mariage,  pour  y être  instruits  tant  4 servir  et  honorer  Dieu 
n que  ès  bonnes  lettres , et  aussi  apprendre  l’art  d’apothicairerie.  Dans  la  maison , et  par  le 
n ministère  de  ces  orphelins , devaient  être  fournis  et  administrés  gratuitement  toutes  sortes 
« de  médecines  ut  remèdes  convenables  aux  pauvres  de  la  ville  de  Paris,  sans  que  ceux-ci 
ii  soient  forcés  de  sortir  de  leurs  maisons  pour  aller  A l’Hùlel-Dieu.  » L’établissement  com- 
prenait dès  lois,  I”  uno  chapelle,  2°  l’école  des  jeunes  orphelins,  3°  une  pharmacie  complète, 
4“  un  enclos  nommé  Jardin  des  simples , 5°  enfin , un  hôpital  contigu  4 la  maison  de  charité. 

Ainsi,  l’on  retrouve  dans  la  pensée  qui  présida  4 cette  admirable  fondation  celle  des  dispen- 
saires, qui  épargnent  au  pauvre  lo  chagrin  de  quitter  son  domicile  cl  de  renoncer  aux  soins  de 
su  fumillc  lorsque  l’ège  ou  la  maladie  le  forco  4 recourir  aux  secours  publics.  Son  Jardin  des 
simples  inspire,  soixante  uas  plus  tard,  la  création  du  Jardin  du  roi,  auquel  il  servit  de  module  ; 
enfin , c’est  4 lu  même  pensée  que  remonte  le  premier  enseignement  régulier  de  la  pharmario 
et  lu  fondation  de  l’école,  aujourd'hui  la  plus  complète  qui  existe  pour  l’étude  do  cette  profes- 
sion. C.omprend-on  que  l'existence  d'un  tel  homme  soit  restée  dans  l’oubli , et  que  son  nom 
même  ait  échappé  4 tous  los  biographes?  Beaucoup  de  noms  fameux  ont-ils  de  meilleurs  titres 
4 notre  reconnaissance  et  à la  célébrité. 


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HISTOIRE.  - 1635-1730. 


3 


Vers  1572,  un  prieur  dp  Marcilly,  Jacques  Gohorrv,  possédait,  rtnns  to  faubourg  Saint-Marcel  f 
un  jardin  dont  remplacement  est  précisément  celui  du  labyrinthe  du  Muséum,  f.'est  là  que 
Rotai  (Léon  Bolalli),  Honorât  Châtelain,  Jeun  Chapelier  se  réunissaient  et  tenaient  des  confé- 
rences auxquelles  assistaient  Jeun  Femcl,  A.  Paré,  Itihit  de  la  Rivière  et  plusieurs  uutros 
savants.  A côté  du  jardin  de  Gohorry  était  celui  do  I-a  llrosse,  mathématicien  du  roi  (peut- 
être  parent  de  Cuv  do  La  Brosse) , <i  garni  de  plantes  rares  et  exquises.  » Dans  un  laboratoire 
voisin,  on  se  livrait  & des  opérations  do  chimie.  C'est  là  qu’au  retour  des  voyages  rie  Delon 
on  répéta  les  expériences  sur  l’art  do  faire  écloro  des  poulets  dans  des  étuves.  Duchesne 
(Quorcctan)  et  Théodore  de  Maycmo  devinrent  un  peu  plus  tard  les  oracles  rie  ces  assemblées, 
préludes  de  celles  qui  eurent  lieu  cher.  Geoffroy,  chez  Monlmort,  chez  Justel,  chez  Rourdolot, 
et  qui  furent  le  berceau  de  l’Académie  des  sciences. 

Il  est  très-probable  que  c'est  là  quo  dut  éclore  la  première  pensée  do  la  fondation  d’un- 
jardin  analogue  à ceux  de  la  Faculté  de  Montpellier  et  de  la  Maison  de  la  Charité  Chreslienne. 
Une  circonstance  particulière  favorisa  lo  développement  de  cette  idée.  La  mode  qui,  chez  les 
personnes  do  la  cour,  s’attachait  alors  aux  broderies,  faisait  rechercher,  comme  de  précieux 
modèles,  les  fleurs  les  plus  rares  et  les  plus  éclatantes.  Jean  Rohin,  grand  horticulteur,  qui 
possédait,  à la  poinlo  do  l'tlo  Notre-Dame,  un  jardin  fort  distingué  pour  l'époque,  excité  par 
le  goût  qui  se  répandait  dans  lo  public  et  encouragé  par  Vallet*  brodeur  du  roi,  entreprit 
quelques  voyages  dans  ce  but,  et  (U  tenir  plusieurs  plantes  nouvelles  de  l'étranger.  C’est  à 
lui  qu'avait  été  conliéc  la  culture  des  plantes  médicinales  de  la  Faculté,  avec  le  litre  i'arbo- 
ris/e  ou  do  timplicitlc  du  roi.  Nous  lo  verrons  plus  lard,  secondé  par  Vespasien  Robin,  son 
fils,  prendre  une  part  plus  active  à la  fondation  du  Jardin  royal.  Jean  Robin  avait  publié,  dès 
l'année  1601 , un  volume  in-folio,  dédié  à la  reine,  intitulé  : le  Jardin  du  roi  tris-ehretlieu 
Henri  IV,  avec  7»  planches  gravées  à l'eau  forlo  et  une  notice  sur  quelques  plantes  qu’il  avait 


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4 PREMIÈRE  PARTIE. 

rapportées  d'Espagne  et  de  Guinée,  entra  autres  l 'Amaryllis  formotiuima.  C'est  lui  qui  natu- 
ralisa h Paris  lu  Tubéreuse , qu'il  avait  lin'»  de  Provence. 


On  ne  saurait  douter  que  la  rivalité  qui  existait  depuis  quelque  temps  entre  les  médecins 
de  la  cour  et  les  professeurs  do  la  Faculté  do  médecine  n’ait  eu  une  assez  large  part  dans  la 
réalisation  do  ce  projot.  Cotte  dissidonco  reposait  principalement  sur  des  questions  de  doctrine, 
controversées  des  doux  parts  avec  une  certaine  véhémence.  Les  premiers  penchaient  pour  le 
systèmo  chéniinlrique,  émis  par  Van  llelmont  et  soutenu  par  Sylvius,  tandis  que  la  Faculté 
prétendait  rester  fidèle  aux  princi[>cs  du  dogmatisme  galénique.  Gui  Patin,  un  de  ses  pro- 
fesseurs les  plus  célèbres,  et  le  plus  violent  adversaire  du  nouveau  système,  ne  cessa  jamais 
do  poursuivre  do  ses  attaques  et  1’étahlisscmont  lui-même  et  les  professeurs  qui  y furent 
attachés. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  en  nttribuo  la  première  pensée  à Jean  Riolan,  médecin  de  Marie  de 
Médicis,  qui,  dans  ses  voyages,  avait  visité  les  jardins  botaniques  récemment  fondés  en  Alle- 
magne et  en  Italie.  Il  présenta  en  effet,  en  1018,  une  requête  nu  roi  pour  rétablissement  d'un 
jardin  des  plantes  dans  l'Université  do  Paris.  Enveloppé  dans  la  disgrâce  de  la  reine,  Riolan 
no  put  donner  suite  à ce  projet  ; mais  trois  autres  personnages  en  poursuivirent  l'exécution 
avec  plus  do  persévérance  et  de  succès.  Ce  sont  Jean  Héroard,  médecin  du  dauphin,  fils  do 
Henri  IV,  qui,  à la  mort  de  ce  prince,  devint  médecin  do  Louis  XIII;  Charles  Bouvard,  qui 
lui  succéda  dans  la  même  oharge,  et  surtout  Guy  de  la  Brosse,  médecin  ordinaire  du  roi, 
petit-fils  d’un  médecin  d’Henri  IV,  qui  offrit  d’acheter  de  ses  deniers  le  fonds  de  terrain  néces- 
saire pour  cet  établissement.  Leurs  sollicitations  réunies  décidèrent  Richelieu  à proposer  au 
roi  cette  fondation,  qui  fut  autorisée  par  lettres  patentes  nu  mois  do  mai  IK26.  On  acheta  une 
maison  avec  dix-huit  arpents  de  terrain  « situés  dans  le  faubourg  Saint-Victor,  non  loin  de  la 
rivière,  ayant  deux  entrées  sur  la  grande  rue  du  faubourg,  consistant  en  plusieurs  corps  de 


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•••»,  . 


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IIISTOinE.  — 1635—1739. 


logis,  cours,  colliers,  pressoirs,  jarilius,  bois  el  butin , plantés  en  vignes,  cyprès,  arbres  frui- 
tiers et  autres;  le  tout  clos  de  murs,  etc.  » Cotte  propriété  fut  acquise  nu  nom  du  roi,  pour 
une  somme  de  67,000  livres.  Ou  en  prépara  la  distribution  générale,  et  l'on  arrêta  l'organisa- 
tion provisoire  de  rétablissement,  qui  fut  définitivement  institué  par  un  édit  de  mai  1635; 
précisément  la  même  année  que  l’Académie  française. 

Voici  les  principales  dispositions  de  cet  édit  : 

« Sur  l'nri»  qui  nom  n été  donné  par  le  feu  sieur  Heronrd  et  le  sieur  La  Ltrosse de 

« l' utilité  et  nécessité  qu'il  y a d’établir  rl  Paris  un  jardin  de  plantes  médicinales , tant  pour 

« l'instruction  des  écoliers  en  médecine  que  pour  l'utilité  publique Attendu  que  l'on  n'en- 

« seigne  point  <t  Paris , «on  plus  qn'ès  autres  écoles  de  médecine  du  royaume  à faire  les  opé- 
« rations  de  pharmacie , d'oü  procède  une  infinité  d'erreurs  des  médecins  en  leur  pratique  et 
n ordonnance,  el  d’abus  ordinaires  des  apothicaires,  leurs  ministres  en  exécution  d'icelles,  ri 
» la  ruine  de  la  santé  et  de  la  rie  de  nos  sujets 

« Le  sieur  Boucard  nous  aurait  supplié  que  trois  docteurs  par  lui  choisis  dans  la  Faculté 
n de  Paris,  soient  par  nous  pourvus  pour  faire  aux  écoliers  la  démonstration  de  l’intérieur 
n îles  plantes,  et  de  tous  les  médicaments,  et  pour  travailler  ri  la  préparation  et  composition 
n de  toute  sorte  de  drogues,  par  roie  simple  et  chimique 

« A ccs  causes,  confirmons  ledit  Bouvard  et  scs  successeurs  nos  premiers  médecins  en  la 
n surintendance  dudit  jardin , el , sous  lui , la  nomination  cl  provision  dudit  La  Brosse  en 

n l'intendance  d'icelui En  outre,  avons  créé,  tl  titre  d'office,  trois  de  nos  conseillers-méde- 

ii  c ins  de  la  Faculté  de  Paris,  qui  auront  la  qualité  de  démonstrateurs  et  opérateurs  pharma- 
« ceutiques  en  notre  jardin , pour  faire  la  démonstration  de  l’intérieur  des  plantes,  et  pour 
« travailler  à toutes  les  opérations  pharmaceutiques  nécessaires  pour  instruire  tes  écoliers  : 
n auxquels  offices  il  sera  par  nous  pourvu  des  personnes  de  MAI.  Jacques  Cousinot,  Urbain 
« Baudineau  cl  Cureau  de  lu  Chambre 

n Si  roulons  que,  dans  un  cabinet  de  ladite  maison,  il  soit  gardé  un  échantillon  de  toutes 
* les  drogues,  tant  simples  que  composées,  ensemble  toutes  les  choses  rares  en  la  nature  qui 
« s’y  rencontreront  ; pour  servir  de  règle  el  y avoir  recours  en  cas  de  besoin  ; duquel  cabinet 
« ledit  La  Brosse  aura  la  clef  et  régie , pour  en  faire  l'ouverture  aux  jours  de  démonstra- 
« lion 

« Et  d'autant  que  ledit  La  Brosse,  qui  aura  tend  le  faix  de  la  direction  el  culture  du  jardin, 
n ne  pourra  pas  toujours  vaquer  ri  faire  la  démonstration  extérieure  des  plantes , avons  aussi 
« créé  en  titre  d'office,  un  sous-démonstrateur,  pour  l'aider  ri  faire  la  démonstration  extérieure 
« dans  le  Jardin,  duquel  office  seva  pourvu  par  nous  Yespasien  Boliin,  notre  arborislc.  Chacun 
n desquels  officiers  raquera  ri  l’exercice  de  sa  charge,  aux  jours  et  heures  qui  lui  seront  dési- 
ii  gués  par  noire  surintendant. ....  A tous  lesquels  avons  attribué  les  gages  qui  suivent,  savoir  : 
n ri  notre  premier  médecin,  surintendant  de  toute  l'œuvre,  3,000  livres;  ri  chacun  des  trois 
« démonstrateurs,  1,500  livres;  ri  La  Brosse  et  ri  scs  successeurs  intendants,  0,000  lims;  au 
« sous-démonstrateur,  1 ,200  livres. 

n Voulons  aussi  que  ledit  La  Brosse  dispose  des  logements , ri  la  réserve  de  ce  qui  seva  bdti 
n pour  /'instruction,  le  laboratoire  et  le  cabinet  pour  la  conservation  des  échantillons  el 

« raretés;  il  choisira  les  jardiniers , portiers,  etc.,  pour  l'entretien  duquel  Jardin Nous 

s avons  ordonné  ri  l'intendant  une  somme  de  1 ,000  livres  par  an,  outre  ses  gages Don- 

n nous  aux  démonstrateurs  et  opérateurs  pharmaceutiques  400  livres  pour  l'achat  des  drogues, 
« et  400  livres  pour  le  salaire  des  garçons  servant  au  laboratoire. 

n Pour  le  payement  desquelles  sommes  sera  par  nous  fait  un  fonds  de  21 ,000  livres,  etc. 
n Donné  A Saint-Quentin,  au  mois  de  mai  1635;  regislré  le  15  mai.  n 

Il  est  important  do  remarquer  que  la  livre  tournois  représentait,  à eotto  époque,  environ 
2 fr.  50  c.  do  notre  monnaie,  en  sorte  que  la  somme  totale  équivalait  5 52,500  fr. 

I.a  première  organisalion  avait  désigné  Héronrd  comme  surintendant,  et  comme  intendant 


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0 PREMIÈRE  PARTIE. 

G u _v  de  la  Brosse.  Mais,  dans  l'intervalle  de  l’autorisation  à l'institution  définitive,  Héroard 
mourut,  en  1627,  au  siège  de  La  Rochelle,  oü  Louis  XIII  assistait  on  personne.  Charles  Bou- 
vard, devenu  après  lui  premier  médecin  du  roi,  lui  succéda  également  comme  surintendant 
du  Jardiu;  mais,  déjà  avancé  en  âge,  il  lui  eût  été  difficile  d’y  apporter  les  soins  et  l'activité 
nécessaires;  le  principal  honneur  en  doit  donc  rejaillir  sur  Guy  do  la  Brosse,  qui,  du  reste,  est 
généralement  considéré  comme  le  véritable  fondateur  do  cet  établissement. 

Guy  de  la  Brosse  avait,  en  effet,  mis  en  usago  les  sollicitations  les  plus  pressantes,  tant 
auprès  du  cardinal  que  du  chancelier  Séguicr  et  de  M.  de  Rullion,  ministre  des  finances,  afin 
d'en  obtenir  les  fonds  nécessaires  pour  celte  fondation.  Parvenu  à ce  premier  résultat,  il 
s’établit  dans  la  maison  principale,  il  traça  le  Jardin,  il  y réunit  toutes  les  plantes  qu'il  put  se 
procurer,  en  France  comme  au  dehors,  et  consacra  le  reste  île  sa  vie  à développer  l'institution 
qu'il  avait  créée.  Dès  la  première  année,  il  y établit  son  domicile;  il  fit  préparer  le  terrain  et 
tracer  un  parterre  qui  avait  quarante-cinq  toises  de  longueur  sur  trente-cinq  de  largeur,  et  lu 
garnit  des  plantes  que  lui  fournit  Jean  Robin.  En  1630,  leur  nombre  s'élevait  déjà  a 1 SIII). 
(îuy  de  la  Brosse  fit  l'ouverture  solennelle  du  jardin  en  1640.  Dès  l'année  suivante,  il  publia 
un  catalogue  qui  portait  à 2.300  le  nombre  des  plantes  ou  des  variétés  qu'au  y avait  recueil- 
lies. Il  commença  même  à faire  dessiner  et  graver  les  figures  des  plus  intéressantes,  mais  il 
n'eut  pas  le  temps  de  pousser  ce  travail  aussi  loin  qu'il  l’eût  désiré. 

Tout  cela  n’eut  pas  lieu  sans  soulever  quelque  opposition,  il  était  assez  naturel  que  la 
Faculté  prit  en  mauvaise  part  une  fondation  qui  semblait  donner  raison  à ses  adversaires  et 
qui  avait  évidemment  pour  objet  do  créer  un  enseignement  rival,  peut-être  su;>érieur  au  sien. 
La  Faculté  protesta  donc.  Elle  eût  voulu  qu’on  lui  réservât  la  désignation  des  professeurs; 
elle  blâmait  le  choix  do  Guy  de  la  Brnsso  comme  intendant  ; à l'égard  do  la  chimie,  elle  arguait 
quo  o pour  lionnes  causes  et  considérations,  cctto  science  était  défendue  et  censuré»!  par  arrêt 
du  parlement.  » Heureusement,  lo  crédit  des  méducius  de  la  cour  l’emporta,  et  la  volonté 
royale  passa  outre  à l’égard  de  celte  protestation. 

On  no  devait  enseigner  d'abord,  au  Jardin  du  Roi,  quo  Ja  botaniquo  et  la  chimie  pharma- 
ceutique; mais,  dès  l'année  1643,  on  y joignit  une  chaire  d'anatomie,  science  qui,  depuis,  y 
fut  toujours  professée  avec  éclat.  Dès  ce  moment,  un  résultat  important  était  obtenu  : ou 
avait  décentralisé  l’étude  des  sciences  naturelles,  jusqu’alors  concentrée  exclusivement  dans 
l'onceinte  do  la  Faculté  de  médecine,  et  on  leur  avait  ouvert  un  enseignement  spécial  aussi 
étendu  quo  lo  comportaient  les  connaissances  de  l’époquo.  Du  reste,  les  sciences  médicales, 
loin  d’en  souffrir,  ne  devaient  pas  tarder  do  tirer  elles- mêmes  les  plus  heureux  fruits  de 
l'extension  qui  venait  d'être  donnée  à des  sciences  avec  lesquelles  elles  ont  de  si  nombreux  et 
de  si  intimes  rapports. 

Ilàtnns-nous  aussi  do  reconnaître  que , si  en  étendant  chacune  de  ses  branches  l’enseigne- 
ment du  Jardin , comme  du  Muséum , s’est  manifestement  écarté,  par  la  suite,  de  la  pensée 
primitivo  do  sa  fondation , s’il  en  est  résulté  un  complément  nécessaire  et  important  dans  la 
série  des  études  scientifiques  île  cet  ordre , c'est  aux  sciences  médicales  quo  cet  établissement 
doit  sa  réello  origine.  Ce  qui  établit  que  la  médecine,  dans  les  temps  modomes  comme  dans 
l’antiquité , fut  toujours  le  premier  point  de  départ  des  sciences  physiques , comme  des  sciences 
naturelles. 

Guy  de  la  Brosse  mourut  nu  Jardin  du  Roi  en  1641.  Il  eût  été  difficile  de  trouver  pour  lo 
remplacer  quelqu’un  doué  du  même  zèle  et  des  mêmes  talents  pour  l’administration.  Malheu- 
reusement, le  surintendant  Bouvard  eut  la  fatale  idée  do  nommer  à cette  place  son  fils, 
Bouvard  de  Fourqueux,  conseiller  au  parlement.  Celui-ci,  incapable  de  remplacer  Guy  do 
la  Brosse  comme  homme  de  science , préposa  à l'enseignement  do  la  botanique  et  aux  soins 
de  la  culture,  Vespasien  Robin,  déjà  démonstrateur,  qui  développa  des  qualités  réelles  dans 
son  nouvel  emploi.  C’est  lui  qui  obtint  l'autorisation  de  faire  construire  la  première  serre  et 
qui  fit  creuser  lo  graud  bassin  qui  exislo  encore  en  fuce  des  bâtiments. 


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A.  La  tour  /e  L'eet/ree 

B.  La  tv tu  t/eeutnf  Lr  fore  /«  A»$r/.e 

C.  Le  tfraiu/ /ut rtrrrr  tàa/.rr  en  fvetérr 
I)  Omrfrr  ate/rax  f ramie  /Mtrtct'tw 

E . Le  Au  tu- 

F . Le  nre  «mt  son  mu  aire 
U Le  ur/yer 

H La  tert.rre 

1 Le  /tem/Lon  AT  finir  •/»  4»  yrteeeelr  tt//rr  dkr  akarmete 
K La  tfraut/e  u/Lee  en  /iter  tir  La  enercroet 
L.  / a//ee  t/etr  rAa/'/ne.r  y ut  tut  au  Aa/.r  . 
y\  / uf/ee  en  fe/fOu.ee  au  /'*«/  de  fdfueUe  ta/  /a  rt^L  tir  Alieare 
N La  atra/uyne  <reu/>e  e/eeter  t/e  A MùttmmTMr  rue 

0 La  /tetefe  mau/te  natnmer  Aeau  ue/aur 
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MEDICINALES  EN  1636. 


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HISTOIRE.  — 1635—1739. 


1 


Bouvard  père,  «près  la  mort  do  Louis  XIII,  s'était  démis  do  sa  charge  de  premier  médecin, 
mais  il  l'avait  fait  passer  a Jacques  Cousinot,  son  gendre.  Cousinot  étant  mort  on  1640,  la 
place  fut  donnée  à Vautier,  qui  revendiqua  lo  privilège  de  la  surintendance,  attaché  6 la 
charge  de  premier  médecin.  Il  réussit;  mais  avant  voulu  enlever  à Bouvard  de  Fourqueux  la 
charge  d'intendant,  il  rencontra  quelques  dirficultés  qui  lo  blessèrent  et  qui  refroidirent  quelque 
temps  son  zèle  pour  la  prospérité  do  l’établissement. 

Vautier,  longtemps  médecin  de  Marie  do  Médicis,  avait  pris  un  tel  ascendant  sur  la  reino 
qu'il  porta  ombrage  au  cardinal  de  Richelieu;  aussi  fut-il  enveloppé  dans  la  disgrâce  de  cette 
princesse , arrêté  et  jeté  dans  les  prisons  de  Soissons.  I,e  roi  avait  désiré  que  sa  mère  so  rendît 
à Moulins;  mais,  la  reino  s’étant  obstinée  à rester  à Compiègno,  on  attribua  sa  résolution  à 
l'influence  de  Vautier,  qui  fut  envoyé  à la  Bastille.  Plus  tard , la  reino , retirée  en  Flandre , 
fut  atteinte  d’uno  fièvre  de  nature  dangereuse  et  demanda  qu'on  lui  envoyât  Vautier.  On  permit 
seulement  qu’il  fût  consulté  par  correspondance,  mais  Vautier  refusa  de  donner  ses  conseils 
par  écrit.  Il  resta  donc  à la  Bastille,  et  ne  reparut  à la  cour  qu'après  la  mort  de  Richelieu. 
C'était,  du  reste,  un  homme  d'esprit  eide  cœur;  il  soutint  sa  longuo  disgrâce  avec  courage 
et  dignité,  et  n'opposa  que  lo  silence  aux  attaques  de  Gui  Patin,  qui,  dans  ses  accès  d'hu- 
meur caustique  et  do  mauvaise  foi , disait  de  lui  que  lo  premier  médecin  du  roi  était  le  dernier 
médecin  du  royaume. 

Vautier  introduisit  lo  premier,  an  Jardin  du  Roi , l’enseignement  de  l’anatomie.  Il  substitua 
ce  cours  â celui  qui  avait  pour  litre  : l’inUrieur  (les  piaules,  c’est-à-dire  l'étude  des  causes 
présumées  do  leurs  propriétés  médicales,  liés  ce  moment,  les  destinées  de  l’établissement 
étaient  fixées , car  les  trois  chaires  principales  représentaient  déjà  l'ensemble  des  trois  règnes 
do  la  nature.  La  botanique  y était  professéo  dans  toutes  ses  parties  et  dans  ses  principales 
applications  ; l'enseignement  de  la  chimie  y préparait  l’étude  approfondie  des  substances 


8 PREMIÈRE  PARTIE. 

minérales,  et  lo  cours  d'anatomie  la  connaissance  du  règne  animal  tout  entier.  Il  ne  s'agissait 
plus  que  de  donner  à chacune  de  ces  branches  les  développements  qu'appellerait  successive- 
ment la  marche  progressive  de  la  science. 

Vautier  étant  mort  en  1652,  sa  place  fut  donnée  à Vallot,  d'abord  médecin  do  la  reine 
régente,  Anne  d'Autriche,  et  depuis  premier  médecin  du  roi  I.ouis  XIV.  Plus  heureux  que  son 
prédécesseur,  Vallot  parvint  à éloigner  llouvard  de  Fourqueux  de  l’intendance,  et  dés  lors  il 
so  dévoua  à la  prospérité  de  rétablissement.  Il  donna  pour  successeur  à Vcspasicn  Robin, 
Denis  Jonequet,  médecin  et  botaniste  distingué,  auquel  il  adjoignit  le  jeune  Fagon,  petit  neveu 
de  Guy  do  la  Brosse.  Il  chargea  ce  dernier  de  divers  voyages  dans  les  Pyrénées  et  dans  les 
Alpes,  |>our  y recueillir  des  plantes;  il  en  lit  venir  également  de  plusieurs  contrées  étrangères; 
enfin,  en  1665,  il  publia,  avec  le  concours  îles  botanistes  dont  il  était  entouré,  son  Uorlm 
rigitis . qui  comprenait  déjà  quatre  mille  espèces  ou  variétés  cultivées  au  Jardin  du  Roi. 

Vallot,  comme  ses  prédécesseurs,  avait  virement  excité  l’animosité  de  la  Faculté,  mais 
surtout  celle  de  Gui  Patin,  qui  eu  était  le  principal  organe.  Celui-ci,  dont  ou  connaît  le  genro 
d'esprit  et  les  passions  haineuses,  avuit  plus  d'un  motif  pour  lui  en  vouloir.  D’abord,  Vallot 
avait  guéri  lo  roi  d'une  maladie  grave,  à Calais  (1653),  à l'aide  du  vin  émétique.  Il  est  vrai 
qu'il  ne  fut  pus  aussi  heureux  dans  In  maladie  d'Henriette  d’Angleterre,  femme  do  Charles  I", 
qui  mourut  presque  subitement  en  1670,  après  avoir  bu  un  verre  d'eau  que  l’on  dit  avoir  été 
empoisonné.  Voici  les  vers  que  Gui  Patin  rapportait  à cette  occasion  ’ 

U mariez-vous,  roee  (iilore, 
t|ue  la  fille  ilo  grand  Henri 
Kut  en  mourant  même  aventure 
Que  son  père  et  que  sou  mari' 

Tous  trois  sont  morts  |ur  assassin  : 

Itavaillae,  Cromwell,  mèilerin 
Henri  d'un  coup  de  bayounrllr , 

Charles  finit  sur  le  billot, 

Kt  maintenant  meurt  Henriette 
l*ar  l'ignoranee  de  Vallot. 

Il  l'accusait  aussi  d’avoir  acheté  sa  charge,  de  Mazarin,  pour  la  somme  de  30.000  francs; 
enfin,  comme  Vallot  était  attaché  au  suriulcndaut  Fouquel,  au  moment  de  su  disgrâce.  Gui 
Patin  prétondait  que  le  roi  avait  dit  qu’il  était  son  espion  pensionnaire.  Il  ajoute  que  Vallot 
ressentit  un  tel  chagrin  de  ce  propos  qu'il  en  mourut.  Il  faut  remarquer  pourtant  que  Vallot 
était  asthmatique  et  qu'il  avait  soixante-quinze  uns. 

Vallot  mourut  en  1671,  et  Colbert,  alors  dans  tout  son  crédit  cl  sa  puissance,  obtint  que 
la  surintendance  du  Jardin  fût  réunie  à celle  des  bâtiments  du  roi,  dont  il  était  déjà  pourvu. 
Appliquant  au  Jardin  royal  les  grandes  vues  administratives  qui  lo  distinguaient , il  en  réforma 
l’organisation  et  la  fit  régler  par  une  ordonnance.  L’administration  de  Vallot  avait  mérité 
d'assez  nombreux  reproches.  « Un  jour,  Colbert,  dit  Lemontev,  se  transporte  au  jardin  du  roi 
et  reconnaît  que  le  terrain  destiné  aux  cultures  botaniques  a été  planté  de  vignes  à l'usage  des 
administrateurs  de  l’établissement.  Sa  colère  éclate  contre  un  abus  si  effronté  : il  ordonne  que 
la  vigne  soit  à l'instant  détruite,  et,  se  faisant  apporter  une  pioche,  il  en  commence  lui-mème 
l'arrachement,  avec  une  véhémence  toute  patriotique.  I n botaniste  anglais,  Salishury,  fut  si 
charmé  île  cet  acte  de  vigueur,  qu'il  en  consigna  le  récit  dans  son  l'aradisus  londinentit,  et  que, 
pour  acquitter  la  dette  de  la  science , il  nomma  Colberlia  l’une  des  plantes  de  son  catalogue.  » 

Il  y avait  quelques  années  que  Gaston  d’Orléans,  frère  de  Louis  XIII,  avait  établi,  dans  son 
château  de  Blois , un  jardin  botanique , longtemps  dirigé  par  Morison , et  dont  Robert , peintre 
distingué,  avait  reproduit  sur  vélin  les  plantes  les  plus  intéressantes.  A la  mort  de  ce  prince, 
Colbert  décida  le  roi  à acheter  ces  vélins,  et  chargea  Robert  de  les  continuer  pour  le  Jardin  de 
Paris.  Celui-ci  poursuivit  ce  travail  jusqu’à  sa  mort,  en  1681.  Après  lui , elle  fut  contiuuéc  par 


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HISTOIUE.  — 1633-17 39. 


y 


J.  Joubrrl , paysagiste,  mais  suitout  par  Aubriit,  qui  suceéilu  à Jouberl.  Les  ouvrages  de  ces 
trois  artistes  éminents  forment  la  hase  de  la  magnifique  collection,  qui,  d’abord  déposée  à la 
bibliothèque  du  Roi,  constitue  aujourd'hui  l'une  des  principales  richesses  du  Muséum  d’histoire 
naturelle. 

Sous  l’administration  de  Colbert , Antoino  Daquin , neveu  de  Vallot  par  alliance , et  qui  lui 
avait  succédé  comme  premier  médecin  du  rot,  dut  se  contenter  de  la  seconde  place,  celle 
d’intendant.  Peu  versé  dans  les  sciences  naturelles,  Daquin  laissa  de  faibles  traces  de  son 
séjour  dans  l’institution.  Il  ne  favorisa  guère  que  l'enseignement  de  l’anatomie.  Il  eut  du 
moins  1e  mérite  d’appeler  au  professorat  de  cette  science  l'illustre  Duverney.  Il  mourut  à 
Vichy,  ou  il  avait  été  exilé  en  1693.  C’est  Daquin  que  Molière  désigna  sous  le  nom  do  Tumds, 
dans  l'Amour  médecin.  Ce  nom,  tiré  du  grec,  signifie  saignent-,  parce  que  Daquin  préconisait 
l>eaucnup  la  saignée. 


Cotwsr. 


La  surintendance  du  jardin  du  Roi  resta  dans  les  mains  de  Cnlhort  jusqu’à  sa  mort,  où  elle 
passa  dans  celles  de  Louvois;  puis  elle  fut  donnée,  en  1691  , à Edouard  Colbert,  marquis  de 
\ illacorf,  cpii  la  conserva  jusqu’en  1098.  L’année  suivante,  elle  fut  rendue  au  premier  médecin; 
le  règlement  do  1699  réservait  seulement  au  surintendant  des  bâtiments  du  Roi  lu  disposition 
des  fonds  nécessaires  à l’cntrelien  du  jardin. 

Daquin,  protégé  par  M®*  de  Montespan,  courtisan  adroit,  mais  insatiable,  avait  plus  d’uno 
fois  lassé  Louis  XIV  par  ses  importunités.  Cn  jour,  on  vint  dire  nu  Roi,  à son  lever,  qu'un 
officier  de  sa  maison,  qu’il  estimait  beaucoup,  venait  de  mourir.  Le  Roi,  après  quelques  mois 
de  regrets,  ajouta,  en  fixant  les  yeux  sur  Daquin  : « Celui-là  avait  du  moins  une  qualité  rare  : 
« il  ne  demandait  jamais  rien.  » Daquin,  qui  avait  compris  l’allusion,  répliqua,  sans  so  décon- 
certer : « Oserai-je  demander  à Votre  Majesté  ce  qu’elle  lui  a donné?..,.  »>  Lo  Roi  ne  répondit 
point,  car,  en  effet,  il  n’avait  jamais  rien  accordé  à co  discret  courtisan. 

• Cependant , la  botanique  avait  déjà  reçu  uno  heureuse  impulsion  des  travaux  de  Fagon,  de 

R 


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10 


PREMIÈRE  PARTIE. 

Joncquet,  <1e  Longuet  et  de  Morin,  qui  tous  avaient  secondé  Vallol  dans  l'exécution  de  l 'Itorlua 
regius.  Guy  Creseent  Fagon  était  né  en  1838,  au  Jardin  du  Roi,  alors  habité  par  son  grand 
oncle  Guy  de  la  Brosse.  D'excellentes  études,  dirigées  surtout  vers  les  sciences  naturelles  et 
médicales,  l’avaient  fait  distinguer  de  bonne  heure.  Avant  d'étre  appelé  au  Jardin,  il  avait 
rapporté  de  ses  voyages  un  grand  nombre  de  plantes  rares  et  nouvelles.  A son  retour,  il  fut 
nommé  médecin  de  la  Reine  et  des  enfants  de  France.  Il  obtint  d’abord  la  chaire  do  chimie; 
puis,  en  167 1 , il  succéda  è I).  Joncquet,  comme  professeur  île  botanique,  et  réunit  ainsi  les 
deux  chaires  principales.  Mais  sa  santé  était  peu  capable  de  résister  à tant  de  travail,  et  c'est 
alors  qu'il  appela  de  la  Provence,  (mur  le  seconder,  Joseph  Pitton  de  Toumefort,  alors  âgé 
de  vingt-six  ans.  Quelques  années  plus  tant,  devenu  premier  médecin  de  Louis  XIV,  il  lit 
rétablir  en  sa  faveur  la  charge  de  surintendant . laissant  à Colliert  la  surintendance  des  bâti- 
ments du  Roi,  et,  dés  lors,  il  lit  tourner  nu  profil  de  l’établissement  tout  le  crédit  personnel  dont 
il  jouissait. 

Fagon  avait  puisé,  en  quelque  sorte,  dans  le  sol  natal  son  goût  et  son  dévouement  pour 
la  science.  Il  avait  été  dirigé  vers  les  études  médicales  par  cet  excellent  Germain  Gillot , 
docteur  do  Sorbonne,  qui  consacra  une  fortune  assez  considérable  à l'éducation  de  pauvres 
enfants,  dira  lesquels  il  s'appliquait  à découvrir  d'heureuses  dispositions.  On  porte  à plus  do 
cinq  à six  centa  le  nombre  de  ceux  qu'il  fit  élever  ainsi  à ses  frais,  et  dont  plusieurs  devinrent 
des  hommes  célèbres.  Fagon  était  du  nombre;  aussi  conscrvu-l-il  toujours  pour  lui  le  respect 
le  plus  tendre  et  une  déférence  toute  filiale. 

Fagon  fut  un  des  premiers  qui  soutint  en  France  le  système  de  la  circulation  du  sang.  Il 
en  fil  même  le  sujet  de  sa  thèse  inaugurale,  ce  qui  fut  regardé  comme  une  grande  témérité, 
bien  que  cette  découverte  eût  été  annoncée  et  démontrée  par  Harvey,  dès  l'année  1819.  Si  l’on 
en  juge  par  quelques  scènes  de  Molière,  en  1073  celte  théorie  n’était  pas  encore  admise  par 
les  vieux  médecins  de  la  Faculté  (I), 

Rien  que  sa  constitution  fût  assez  faible,  Fagon  déploya  la  plus  grande  activité  dans  l’exercice 
de  ses  diverses  fonctions.  Il  était  bon,  juste  et  désintéressé.  Il  réduisit  do  lui-même  les  revenus 
de  sa  charge  et  renonça  aux  avantages  qui  y étaient  attachés  pour  la  nomination  aux  chaires 
de  la  Faculté.  Vers  la  fin  do  sa  vie,  il  résigna  la  plupart  de  ses  emplois.  Après  avoir  remis  â 
Toumefort  sa  chaire  de  botanique,  il  obtint  pour  lui,  en  1700,  une  mission  qui  lui  fit  par- 
courir la  Grèce,  l’Asie  et  l’Égypte,  pour  y rechercher  les  plantes  utiles  et  curieuses.  Il  décida 
Louis  XIV  à envoyer,  dans  le  même  but.  Plumier  en  Amérique,  Fouillée  nu  Pérou,  Lippi  en 
Égypte.  Pendant  l'absence  de  Toumefort,  il  le  fit  remplacer  par  Louis  .Morin.  Enfin  ce  fut  lui 
qui  découvrit  à Lyon,  et  attira  à Paris,  Antoine  de  Jussieu,  frère  aîné  de  Homard,  dont  le 
nom  figure  avec  tant  d'honneur  dans  la  science,  et  on  particulier  dans  l'histoire  du  Muséum. 

Ainsi,  nu  nombre  des  bienfaits  quo  le  Jardin  du  Roi  dut  à Fagon,  il  faut  placer  en  pre- 
mière ligne  le  choix  qu'il  sut  faire  des  hommes  les  plus  capables  de  le  seconder  dans  ses 
vues  de  perfectionnement,  et  parmi  lesquels  on  distingue  surtout  Toumefort,  Morin,  Vaillant, 
les  Jussieu,  pour  la  botanique;  pour  l’anatomie,  Duvemev  et  AVinslow,  et  pour  la  chimie 
Louis  Lémery,  Boulduc  et  Geoffroy.  Son  influence  sur  l'établissement  ne  part  pas  seulement 
de  l’époque  où  il  devint  surintendant,  après  Colbert  et  Daquin,  mais  du  moment  où  il  fut 
nommé  professeur  à la  place  de  Joncquet;  car,  dès  lors,  il  fut  chargé  en  meme  temps  de 
l’onseignement  do  la  botanique,  de  la  chimie,  mais  encore  du  poids  principal  de  l'adminis*- 
tralinn.  Fagon,  frappé  d'infirmités,  ne  se  soutenait  depuis  longtemps  que  par  le  régime,  r« 
qui  faisait  dire  â Fontenelle  que  son  existence  était  une  nouvelle  preuve  de  son  habileté.  Après 


(i)  . M Pi v fouine  — Snr  toute  chose,  ee  qui  me  plaît  en  lui,  et  eu  quoi  il  suit  mon  exemple,  c'est  qu’il 

• s'attache  aveuglément  aux  opinions  ite  nos  anciens , et  que  jamais  il  n'a  voulu  comprendre  ni  èrouter  les  rai- 

• sons  et  les  expérienees  lies  prétendues  découvertes  de  notre  siècle , touchant  la  rireutation  du  sany  et  autres 

a opinions  de  même  fin ine.  » {La  Malade  itrag/niiitc , acte  II,  scène  VI.) 


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iWMftiur  tHuynji te,  acie  il, 


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HISTOIRE.  - 1035-1739.  Il 

la  mort  du  Louis  X1Y,  U se  démit  de  sa  place  de  premier  médecin  eu  faveur  de  Poirier,  et  il 
se  retira  au  Jardin,  où  il  mourut  eu  1718 , & l'Âge  du  quatre-vingts  ans. 

Le  premier  savant  que  rappelle  le  souvenir  de  Fagon,  est  Joseph  Pilton  de  Toumufort,  né 
à Aix-en-Provence , en  1050,  avec  des  dispositions  prononcées  pour  les  sciences,  et  surtout 
pour  la  botanique.  11  fut  cependant  destiné  d’abord  à la  théologie  ; mais , son  prie  étant  mort 
lorsqu'il  n'avait  encore  que  vingt  et  un  ans,  il  se  dirigea  vers  l'étude  do  la  médecine,  entraîné 
par  son  penchant  naturel,  comme  par  l'exemple  d’un  do  ses  oncles,  médecin  distingué. 

Tourucfort  avait  toutes  les  qualités  indispensables  au  naturaliste.  Il  était  d'un  tempérament 
vif,  allègre,  laborieux,  robuste.  Livré  à son  étude  favorite,  il  parcourut  d’abord  les  montagnes 
du  Dauphiné,  de  la  Savoie,  et  on  rapporta  les  éléments  d'un  herbier  magnifique,  qu'il  ne 
cessa  d’enrichir  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie.  L'aimée  suivante,  il  alla  à Montpellier,  où  il  se 
lia  avec  le  professeur  Magnul , et  parcourut  avec  lui  tous  les  environs  de  celte  ville  savante. 
Il  visita  ensuite  les  Pyrénées  et  la  Catalogne,  non  sans  courir  dans  ses  pérégrinations  quelques 
dangers,  et  sans  supporter  des  privations  assez  dures;  mais  déjà  suivi  par  quelques  étudiants, 
auxquels  il  inspirait  le  goût  de  la  botanique,  en  leur  expliquant  l’anatomie  des  plantes,  el 
jetant  dans  ces  levons  familières  les  premières  bases  d’uno  classification  à laquelle  son  nom 
est  resté  glorieusement  attaché. 

A son  retour  en  France,  en  1681 , il  jouissait  déjà  d'une  certaine  renommée,  et  Fagon,  à 
qui  elle  parvint,  lui  offrit  aussitôt  un  emploi  au  Jardin  Royal.  Dès  qu’il  le  connut,  il  le  chargea 
de  le  suppléer  dans  ses  leçons , et , quelques  années  après , il  so  démit  en  sa  faveur  do  sa 
chaire  do  botanique.  Tournefort  avait  alors  vingt-six  ans.  Eu  1688,  il  alla  en  Espagne,  en 
Portugal,  en  Andalousie,  pour  y étudier  les  palmiers.  Il  fit  aussi  un  voyage  en  Angleterre  el 
en  Hollande.  Hermann,  professeur  de  botanique  à Leydc,  lui  proposa  de  lui  céder  sa  chaire; 
Tournefort  n’accepta  point;  il  revint  à Paris,  entra  à l'Académie  en  1694,  et,  trois  ans  après, 
il  publia  son  premier  ouvrage , intitulé  : Éléments  de  botanique. 

11  y avait  près  d’un  demi-siècle  qu’ André  Césalpin  avait  imaginé  l'un  des  premiers,  pour 
la  classification  des  plante.s,  une  méthode  fondée  sur  les  caractères  do  la  fleur  et  du  fruit. 
Conrad  Gcssner  et  Lobol,  do  Lille,  avaient  aussi  eu  l’idée  de  l'association  des  plantes  par 
familles  naturelles,  et  mémo  collo  de  la  grande  division  des  monocolylédonées  et  des  dicoly- 
lédonéos  qui,  pour  les  végétaux,  répond  à cclio  des  vertébrés  et  des  invertébrés  dans  le  règne 
animai.  Césalpin  avait  fait  faire  au»  méthodes  un  pas  encore  plus  considérable  : il  avait 
distingué  nettement  las  sexes  des  plantes  et  établi  la  première  distribution  fondée  sur  l’ensemblo 
dus  caractères  tirés  de  l’organisation.  Lu  peu  plus  tard,  Fabius  Columna,  s'appuyant  sur  les 
travaux  de  C.  Gessner  et  de  Césalpin , proposa  une  méthode  un  peu  plus  développée,  fondée 
également  sur  la  considération  du  fruit.  Enfin , Morison , Hiv  inus , Jean  Ray  cl  Magnol  avaient 
aussi  avancé  lu  science,  suus  ce  rapport,  par  des  applications  plus  ou  moins  étendues  des 
mêmes  principes.  C’est  à ce  moment  que  parut  Tournefort;  mais,  le  premier,  il  subordonna 
les  diverses  parties  et  les  principaux  caractères  des  plantes  à un  ordre  d'importance  relative, 
qui  lit  faire  un  pas  énorme  à la  philosophie  de  la  science.  Il  répartit  ensuite  tous  les  végétaux 
connus  en  vingt-deux  classes,  subdivisées  elles-mêmes  en  sections  et  en  ordres.  Dans  les 
classes,  il  s'appuya  surtout  sur  la  forme  île  la  fleur,  do  la  corolle  (terme  heureux,  créé  par 
F.  Columna)  ; dans  les  subdivisions,  il  considéra  la  fleur,  le  fruit,  lu  disposition  des  fleurs  et 
des  fouilles , enfin  tous  les  caractères  secondaires  ou  accessoires.  A l’aide  de  celte  classifica- 
tion , il  put  déjà  décrire  sept  cents  genres  et  près  de  dix  mille  espèces  végétales  ; il  émit  sur 
quelques  grandes  familles  des  idées  générales , qui  sont  restées  dans  la  science  ; enfin , l’en- 
semble de  son  système,  qui  précéda  de  quarante  ans  l'apparition  île  celui  do  Linné,  donna  à la 
botanique  la  plus  forte  impulsion  que  cette  science  eût  encore  reçue  dans  les  temps  modernes. 

Tournefort  publia,  en  161)8,  un  second  ouvrage,  Y Histoire  des  piaules  des  environs  de  Paris, 
dont  le  succès  le  détermina,  deux  ans  après,  à eu  publier  une  traduction  latine,  sous  le  titre 
île  ; Institutiones  rci  herbariœ,  on  3 vol.  in-i".  Ce  fut  à l’époque  mémo  do  celle  publication 


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12 


PREMIERE  PARTIE. 

que,  sur  la  proposition  de  Fajjon  et  du  chancelier  do  Poutchartrain , il  fut  chargé  <le  faire  un 
voyage  en  Orient,  accompagné  du  peintre  Au brie  t et  du  docteur  Gundelsheimer.  Parti  de 
Marseille  en  mars  1700,  il  visita  Candie,  I* Archipel , Constantinople,  l’Arménie,  la  Géorgie,  lu 
mont  Ararat , et  revint  par  P Asie-Mineur©,  qu’il  traversa,  en  visitant  Angora,  Pruse,  Smyrne 
et  Kphèse.  Outre  les  plantes  nouvelles  qu’il  avait  recueillies  et  qui  s’élevaient  au  nombre  de 
treize  cent  cinquante-six,  il  rapportait  aussi  des  minéraux,  des  fragments  d'antiquités,  et  une 
foule  d’objets  naturels  extrêmement  curieux.  Il  arriva  a Marseille  en  juin  1702,  et  se  mil 
aussitôt  à rédiger  la  relation  de  son  voyage,  qui  fut  imprimée  eu  2 vol.  in-4°,  mais  dont  le 
second  ne  partit  qu’en  1717,  après  sa  mort.  Il  est  intitulé  : Voyage  dans  te  Levant.  C’est  un 
monument  scientifique  des  plus  remarquables;  il  contient,  en  outre,  des  détails  littéraires  et 
archéologiques  du  plus  grand  intérêt. 

A son  retour,  Tournefort  fut  nommé  professeur  de  médecine  au  collège  de  France.  Il 
mourut  en  1708,  à l’ûge  de  cinquante-trois  ans,  des  suites  d’un  violent  coup  qu’il  avait  reçu 
dans  la  poitrine,  frappé,  comme  l’avait  été  Morison,  par  le  timon  d’une  voiture.  Il  possédait 
un  fort  beau  cabinet  d’histoire  naturelle  qu’il  légua  au  roi , et  une  nombreuse  bibliothèque 
qu’il  donna  à l’abbé  Bignon,  inspecteur  de  l’Académie.  Plumier  a consacré  à Tournefort  le 
genre  Piltonia  (borr  agi  nées) , que  Linné  a changé  en  celui  de  Tournefort  ia. 

Tournefort  était  à la  fois  botaniste,  physicien,  chimiste  et  antiquaire.  Il  était  très-érudit, 
avide  de  sciences , ardent  et  intrépide  dans  ses  recherches.  Dans  le  cours  de  son  voyage  aux 
Pyré  nées,  il  fui  souvent  attaqué  cl  dévalisé  par  les  MiqucleK  I nc  fois,  enfermé  dans  une 
mauvaise  cabane,  où  il  se  proposait  do  passer  la  nuit,  le  toit  s'en  écroula  sur  sa  tête,  et  il 
demeura  enseveli  sous  les  ruines , dont  il  parvint  à so  dégager  par  scs  efforts.  Dans  son  voyage 
dans  !o  Levant , il  donna  beaucoup  de  preuves  de  sa  force  comme  de  son  courage.  Son  carac- 
tère était  doux  et  modeste.  Malgré  sa  gloire  réelle,  ou  plutôt  à cause  de  sa  gloire,  il  ne  fut 
pas  à l’abri  des  attaques  île  ses  rivaux.  Jean  Bay,  mais  surtout  Sébastien  Vaillant , l'épargnè- 
rent peu.  Ce  dernier,  dont  nous  aurons  bientôt  à parler,  était  pourtant  son  élève  et  fut  un 
botaniste  do  grand  mérite.  Tournefort  no.  se  défendit  que  par  le  silenro,  et  poussa  mémo  la 
générosité  jusqu'à  dédier  à son  antagoniste  un  genre,  sous  le  nom  do  Virillnntin.  Celui-ci  ne 
l'accepta  point  et  essaya  de  le  changer;  mais  Linné  le  rétablit  et,  sous  l'autorité  de  ce  grand 
nomme,  les  Imlanisles  modernes  l’on  conservé  définitivement. 

Pondant  l’absence  du  Tournefort,  sou  cours  du  Jardin  du  Roi  fut  fait  par  Morin,  de  l'Aca- 
démie des  sciences,  que  Fagon  estimait  beaucoup.  Louis  Morin  était  médecin  de  M11*  de  (luise 
et  do  l’HôlcI-Bieu.  Il  était  aussi  charitable  que  laborieux  et  sobre.  Il  vécut  toute  sa  longue  vie 
comme  un  anachorète,  au  régime  du  paiu  et  du  l'eau,  auquel  il  ajouta  seulement,  en  avançant 
en  âge , un  peu  do  riz  et  une  petite  dose  de  vin.  Du  reste , il  déposait  avec  autant  d'exactitude 
que  de  mystère,  dans  le  tronc  de  l’Hôtel-Dieu , son  traitement  et  ses  économies,  « payant  en 
quelque  sorte  les  pauvres  pour  les  avoir  servis,  n II  laissa  toutefois  une  bibliothèque  d’une 
certaine  valeur.  « Son  esprit,  dit  Fonlenelle,  lui  avait  plus  coûté  à nourrir  que  son  corps.  » 
Kxemplo  remarquable  d'une  certaine  longévité  (car  il  mourut  à quatre-vingts  ans) , malgré  une 
constitution  débita,  par  lu  seulo  influence  du  régime , du  goût  de  la  science  et  de  la  sagesse. 
Morin  ne  sortait  RUèro  de  chez  lui  quo  pour  visiter  des  malades,  pour  aller  à l’Académie  nu 
P air  faire  son  cours.  Aussi  avait-il  peu  do  relations  et  ne  les  recherchait  point,  « Ceux  qui 
viennent  me  voir,  disait-il , nie  font  honneur  ; ceux  qui  ne  viennent  pris  me  font  plaisir. 

Fagon , nous  l’avons  dit , avait  fait  choix  de  Sébastien  Vaillant  pour  diriger  les  cultures  au 
Jardin  du  Roi.  Vaillant,  né  en  1669,  à Vigny,  prés  de  Pontoise,  n'avait  pas  commencé  par 
l'étude  des  sciences;  il  avait  été  d'abord  organiste,  mais  un  penchant  naturel  le  perlait  vers 
la  médecine.  Il  pratiqua  quelquo  temps  la  chirurgie  à Evreux,  puis  à l'année,  et  assista  , en 
1690,  & lu  bataille  de  Fleuras,  oü  le  duc  do  Luxembourg  défit  les  troupes  do  la  ligua  d'Augs- 
bourg.  De  retour  h Paris,  ot  nommé  chirurgien  de  l'Hûtcl-Dieu , les  leçons  de  Tournefort 
réveillèrent  son  goût  pour  la  botanique.  Il  travailla  avec  lui  à Y Histoire  des  plantes  des  environs 


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HISTOIRE.  — 1635-1730.  13 

de  Paris.  ]t  devint  ensuite  secrétaire  de  la  surintendance,  puis  directeur  des  cultures,  enfin 
professeur  de  botanique  à la  place  de  Fagon,  «pii  lui  céda  sn  chaire,  bien  quo-  Toumefort  y 
prétendît.  Du  reste,  il  s’ac«|uittn  de  ses  emplois  avec  autant  de  zèle  que  do  capacité.  Il  fit 
construire  un  amphithéâtre  et  deux  serres  chaudes  ; il  disposa  le  droguier,  dont  il  était  con- 
servateur, dans  un  meilleur  ordre.  Ce  fut  lui  qui  en  fit  les  honneurs  à Pierre-le-Grand,  lorsque 
le  czar  vint  en  France  et  visita  nos  institutions.  Enfin , il  prépara  un  herbier  considérable,  qui 
fait  encore  aujourd'hui  la  principale  base  do  l’herbier  du  Muséum. 

L 'enseignement  de  Vaillant,  qui  dura  plus  de  trente  années,  était  très-suivi  et  formait  avec 
celui  de  Lémcry  et  do  Duverney  la  principale  gloire  du  professorat  du  Jardin  royal.  Dans  son 
discours  d’ouverture,  en  1710,  il  démontra  d’une  manière  irrévocable  l’existence  des  sexes 
dans  les  végétaux  et  expliqua  nettemeut  le  phénomène  de  la  fécondation  des  plantes.  Mécon- 
tent do  la  méthode  de  Toumefort,  il  en  imagina  une  nouvelle,  avant  Linné,  fondée  sur  la 
considération  des  organes  île  la  fructification  ; mais  la  mort  l’empêcha  d’v  donner  les  dévelop- 
pements nécessaires , qui  eussent  assuré  à la  France  la  priorité  du  système  sexuel.  Vaillant 
mourut  on  1722.  Ses  manuscrits,  ainsi  que  tes  dessins  de  son  Botanicon  yarisiense,  furent 
achetés  par  Boèrhaave  et  existent  encore  dans  l’université  de  Loyde.  Il  mourut  pauvre,  et  cette 
existence  scientifique,  si  bien  remplie,  serait  demeurée  sans  tache,  si  Vaillant  ne  se  fût  pas 
montré  ingrat  et  injuste  envers  Toumefort,  son  prédécesseur  et  son  maître.  Hâtons-nous  de 
dire  qu’il  fut  pour  les  deux  Jussieu,  non-seulement  un  ardent  protecteur,  mais  encore  un 
rival  généreux. 

Nous  n’avons  rien  à dire  de  Danty  d’Isnard , qui , nommé  professeur  de  botanique  à la  place 
de  Toumefort,  ne  fit  qu’un  seul  cours  et  mourut  l’année  suivante.  Mais  il  nous  reste  à parler 
de  la  découverte  la  plus  heureuse  de  Fagon,  dans  la  personne  d'Antoine  «le  Jussieu,  e’est- 
à-dire  dans  le  chef  do  cette  illustre  famille  «jui,  depuis  le  commencement  du  xvin*  siècle,  a 
couvert  de  ses  glorieux  rameaux  l’arbre  «le  la  science  du  règne  végétal.  Antoine  de  Jussieu 
était  né  à Lyon  en  1086  ; élève  «le  Goiffon  et  de  Magnol,  et  venu  fort  jeune  à Paris  pour  y fairo 
ses  étu«fos  médicales,  il  fut  remarqué  de  Fagon,  <]ui  le  nomma  professeur  de  bolani«|ue  en 
1700,  à l’Age  de  vingt-trois  ans.  Doux  ans  après , il  faisait  partie  de  P Académie  des  sciences. 
En  1716,  Fagon  l’envoya  en  Espagne  et  en  Portugal  pour  y recueillir  «les  plantes.  Lejeune 
professeur  emmena  avec  lui  «lans  ce  voyage  sou  frère  Bernor«l,  alors  âgé  de  dix-sept  ans,  l«« 
peintre  Simoneau  et  le  docteur  Salvador,  son  ami. 

Antoine  de  Jussieu  avait  publié,  en  1711,  l’ouvrage  du  P.  Bnrélier  sur  les  plantes  «le  Franco 
et  d'Italie.  A son  retour  «l’Espagne,  il  commença  à écrire  la  relation  de  son  voyage;  mais  sou 
professorat  et  sa  pratique  médicale  l'empêchèrent  de  l’achever,  (’ro  fut  lui  «pii,  en  1720 , remit 
au  chevalier  Declieux,  un  pied  «le  caféier  pour  le  transporter  en  Amérique,  où  il  a produit  tous 
ceux  «{uo  l’on  cultive  aujouid’hui  aux  Antilles.  Vers  la  lin  du  xvn®  siècle,  on  ne  connaissait 
encore  eu  Europe  «pie  le  café  d’Arabie.  Cependant,  le  Hollandais  Van  Ilorn  avait  fait  trans- 
porter à Batavia  «les  plants  de  caféier,  qui  y avaient  réussi  à merveille.  Un  de  ces  plants  fut 
envoyé  au  consul  d'Amsterdam,  «pii  le  lit  cultiver  dans  les  serres  de  la  ville.  Un  autre  pied 
avait  été  apporté  en  France  par  le  général  d’artillerie  Ressen;  l’arbuste  ayant  péri,  le  bourg- 
mestre d’Amsterdam  offrit  à Louis  XIV  un  autre  plant,  qui  réussit  mieux  et  «lont  on  recueillit 
quelques  boutures.  L’une  d’elles  fut  envoyée  à In  Martinique,  et  confiée  par  Antoine  de  Jussieu 
aux  soins  «lu  chevalier  Declieux,  enseigne  «le  vaisseau.  La  traversée,  qui  eut  lieu  sur  un  vais- 
seau marchand,  fut  longue  et  pénible.  La  provision  d’eau  «Haut  venue  à manquer,  on  fut 
obligé  de  la  mesurer  aux  personnes  «le  l’éipiipage,  et  on  la  refusa  pour  l’arrosement  du  caféier. 
Declieux  fut  donc  forcé  de  partager  sa  ration  personnelle  avec  la  précieuse  plante,  et  parvint 
ainsi  à la  conserver.  Arrivée  dans  la  colonie,  les  graines  «pi’elle  produisit  furent  distribuées  a 
un  petit  nombre  de  propriétaires  cultivateurs;  mais  la  seconde  ré«:olle  permit  de  la  répandre 
davantage.  La  nu'mo  année,  les  cacaotiers  du  pays  ayant  été  ravagés  par  une  tempête,  on 
arracha  plusieurs  plantations  pour  y substituer  dos  caféiers.  Plus  tard,  cet  arbuste  fut  traus- 


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14  PREMIÈRE  PARTIE. 

porte  à Saint-Domingue,  h lu  Guadeloupe , ainsi  que  dans  les  Iles  adjacentes,  et  l'on  sait  tout 
le  succès  qu’y  obtint  depuis  cette  importante  culture. 


On  doit  à Antoine  de  Jussieu  plusieurs  dissertations  intéressantes  publiées  dans  les  Mémoires 
de  l* Académie,  entre  autres  sur  le  café,  lu  soude,  le  cachou,  le  murer  des  anciens,  le  sima- 
rouba,  sur  les  mines  «le  mercure  d'Almudcn  et  sur  les  pétrilicutions  animales.  Lue  de  ces  dis- 
sertations avait  pour  sujet  une  jeune  lillo  venue  au  monde  privée  «le  langue , et  qui  pourtant 
avait  trouvé  h moyen  de  se  faire  parfaitement  comprendre.  C’est  h cette  occasion  que  punit 
IVpigrammo  suivante  : 

Ou  une  femme  parle  sun*  lan^ur. 

Kl  fusse  m<linc  une  harangue, 

Je  le  cruis  bien. 

Qu'avec  une  langue,  au  contraire. 

Une  femme  puisse  se  luire. 

Je  n'en  crois  rien. 

Atiloiue  de  Jussieu  pratiquait  ia  médecine  avec  distinction , mais  surtout  avec  désintéresso- 
inent.  Il  mourut  en  1718. 

Bernard  «le  Jussieu,  frère  d’Antoine,  était  aussi  né  à Lyon,  en  1600.  Au  sortir  «lu  collégo, 
à dix-sepl  ans,  il  vint  à Paris  pour  achever  ses  éludes,  mais,  la  mémo  année,  Fagon  ayant 
envoyé  Antoine  en  Espagne  et  en  Portugal,  celui-ci  désira  emmener  son  frère  avec  lui.  Ce 
voyage  décida  le  goûl  «le  Bernard  pour  l’étude  «le  In  botaui«|ue.  A son  retour,  il  se  résolut  à 
étudier  la  médecine.  Il  alla  à Montpellier  et  s’y  fit  recevoir  docteur;  mais  une  sensibilité 
excessive  l’obligea  de  renoncer  à la  pratique  de  cet  art.  11  revint  donc  à Paris,  et,  peu  do 
temps  après,  Vaillant,  qui  avançait  en  Age,  lui  offrit  «le  lui  céder  sa  place  «le  démonstrateur 
de  hntauiijue  au  Jardin  du  Hni. 

C’est  dans  ce  poste  modeste,  dont  il  ne  sortit  jamais,  que  Bernard  a exercé  sur  lu  bolaniquo 


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HISTOIRE.  — 1635-17  39. 


15 


et  sur  l’histoire  naturelle  en  général  une  influence  qui  fait  époque  dans  l'histoire  de  la  science. 
Chirac,  qui  avait  succédé  à Fagon  dans  la  surintendance,  avait  laissé  tomber  l’enseignement 
de  la  botanique;  les  fonds  attribués  à des  dépenses  urgentes  avaient  été  détournés  de  cette 
destination,  et,  plus  d’une  fois,  Antoine  de  Jussieu  y avait  suppléé  de  ses  propres  deniers. 
Bernard , à son  tour,  redoubla  de  zèle  pour  soutenir  renseignement  ainsi  que  les  cultures  du 
Jardin  Royal;  le  droguier,  dont  il  était  conservateur,  reçut  une  extension  considérable  et  prit 
le  titre  de  Cabinet  du  Roi.  Mais  où  les  talents  du  sous-démonstrateur  éclatèrent  d’une  manière 
supérieure,  ce  fut  dans  les  herborisations  à la  campagne.  C’est  là  qu’il  faisait  admirer  son 
ardeur,  son  savoir,  et  surtout  son  inépuisable  patience.  Les  élèves,  non  contents  de  le 
pousser  à bout  par  des  questions  importunes,  cherchaient  parfois  à l’embarrasser  en  mutilant 
certaines  plantes  ou  en  en  composant  do  toutes  pièces,  espérant  le  trouver  en  défaut;  mais 
Remard  avait  bientôt  dévoilé  leurs  ruses  et  s’en  tirait  toujours  à son  honneur.  On  raconte 
que  Linné  l’ayant  accompagné  dans  une  excursion  semblable  aux  environs  de  Paris,  et  les 
élèves  ayant  voulu  répéter  avec  lui  la  même  supercherie , le  botaniste  suédois  leur  dit , en 
leur  rendant  la  plante  ainsi  défigurée  : « A ut  Drus,  nul  Dominas  de  Jussieu  ; Dieu  seul  ou 
« votre  maître  pourrait  vous  la  nommer.  » 


Déjà,  depuis  quelques  années,  en  méditant  sur  les  rapports  naturels  qui  existent  entre  les 
plantes,  Bernard  de  Jussieu  songeait  à s’élever  des  détails  de  la  science  à ses  généralités,  et 
réunissait  en  silence  les  matériaux  du  système  qui  se  rattache  à son  nom.  Mais  une  extrême 
modestie  et  l’amour  de  la  vérité  l’empêchèrent  de  rien  publier  durant  sa  vie,  si  ce  n’est  un 
très-petit  nombre  de  Mémoires,  excellents  d’ailleurs,  sur  quelques  plantes  isolées,  bien  que 
les  observations  dont  elles  étaient  l’objet  se  rattachassent  à la  grande  démonstration  qu’il 
préparait.  Il  fit  aussi  quelques  expériences  sur  les  polypes  et  reconnut  la  nature  du  corail.  En 
1725,  il  donna  une  seconde  édition,  fort  augmentée,  de  V Histoire  des  plantes  des  environs  de 
Paris,  de  Tournefort,  La  même  année  il  entra  à l’Académie  des  sciences,  à l’ùgo  de  vingt-six  ans. 


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10  PREMIÈRE  PARTIE. 

C'est  <*n  revenant  «l'un  voyage  qu'il  avait  fuit  on  Angleterre,  en  1734,  qu'il  rapporta  dans 
son  chapeau  les  deux  cèdres  du  Liban,  dont  l'un  existe  enc  ore  dans  le  Jardin  du  Muséum , et 
qui  est  lo  plus  autien  de  ceux  qui  so  trouvent  eu  France. 


Cependant , une  circonstance  heureuse  lui  permit  do  faire  une  application  de  ses  grandes 
vues,  qui,  sans  cela  peut-être,  eussent  été  perdues  pour  la  science.  Le  Hoi  Louis  XV  désira 
former,  dans  les  jardins  de  Trianon,  une  école  de  botanique , et  Bernard  fut  chargé  de  mettre 
ce  projet  A exécution  (1738).  Le  système  «le  Linné  jouissait,  A cette»  époque,  d'un  crédit 
universel.  Jussieu,  do  plus  en  plus  persuadé  que  la  classification  doit  se  fonder  sur  l'ensemble 
des  caractères  analogues,  cl  ayant  approfondi  la  sultordinalion  relative  de  ces  caractères,  dis- 
posa l’école  d'après  res  idées.  Il  partagea  d'abord  le  système  entier  en  deux  grandes  divisions  : 
les  monocolylédonéos  et  les  dicotylédonéos  ; puis  il  <li>lribua  les  ordres  et  les  familles  suivant 
l’analogie  des  caractères  généraux , et , sans  établir  les  motifs  de  cette  distribution  toute  nou- 
velle, il  se  borna  à publier  un  simple  catalogue  du  jardin  de  Trianon.  C'était,  à la  vérité, 
tracer  sur  le  sol  mémo  le  plan  «le  la  méthode  naturelle  qu’il  avait  conçue  et  qui  fut  développée 
plus  tard  par  un  membre  non  moins  illustre  do  sa  famille.  On  ne  saurait  douter,  en  effet, 
que,  lorsqu'il  appela  près  de  lui  son  neveu,  Antoine-Laurent  (1765),  il  ne  lui  ait  confié  les 
idées  générales  auxquelles  il  s’était  arrêté  dans  cette  distribution  et  sur  lesquelles  se  fonde 
aujourd’hui  le  système  le  plus  rationnel  «le  toute  classification  du  règne  végétal. 

lkTnard  de  Jussieu  réunissait  deux  «jualités  ordinairement  fort  opposées  : un  amour  pas- 
sionné de  la  science  et  une  insouciance  complète  do  l'honneur  <|u’il  pouvait  retirer  «le  scs 
travaux.  Quand  on  lui  faisait  reman|uer  que  d'autres  lui  enlevaient  «juel«|u*unc  de  ses  décou- 
verles,  il  s’écriait  : « Qu’importe?  pourvu  que  le  fait  soit  reconnu!»  Ces  deux  «jualités, 
comme  son  entière  abnégation  «jui  l'empêchait  de  porter  ombrage  à personne,  «lonnni«*nt 
beaucoup  «le  poi«ls  à ses  opinions.  Bien  «juc  fort  avancé  dans  les  bonnes  grâces  du  Roi,  B«*r- 
nurd  «Je  Jussieu  ne  demanda  jamais  aucune  faveur. 


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PLAN  Dl'  JARIMN  DI!  ROI  . EN  16+0 


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G.  J ne/dett emettS  de  / hefeV  Jttunrety 
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par  *rdre  de  uertns  et  rn.ru etc  /après  ht  spstTdt  Tsumyiot 
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Jardin  des  tuuchea  */  dm  Jeymmoe  de/teo/s 
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Teùt  hou  perce  en  onde  re /Jet et fr  J or/rae  rustiques 
Terrasse  dantutn/  sur  Je  marmite 
fhrt/Jeete  yue  Vln.rjatu  a Aei/ttr  /usÿtt  a su  mare 
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Uruttde  Aude  une»  w a/tôur  en  Uimtfanp/an/ee 
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HISTOIRE.  — 1035-1739. 


17 


Jean-Jacques  Rousseau,  qui  étudiait  la  botanique,  lui  ayant  fait  demander  quelle  méthodo 
il  devait  suivre  : « Aucune,  répondit  Bernard;  qu’il  étudie  les  plantes  dans  l'ordre  oü  la 
« nature  les  présente,  et  qu’il  les  classe  d’après  les  rapports  que  l’observation  fait  découvrir 
n entre  elles.  Il  est  impossible,  ajouta-t-il,  qu'un  homme  d’autant  de  mérite  s'occupe  de 
« botanique  sans  nous  apprendre  quelque  chose.  » 

A la  mort  de  son  frère  Antoine,  qu’il  aimait  et  respectait  comme  un  père,  on  lui  offrit 
la  chaire  qui  restait  vacante,  mais  il  ne  l’accepta  point.  « Les  vieillards  n’aiment  pas  le 
changement,  » dit-il;  Lemonnier  obtint,  par  conséquent,  la  première  place,  et  Bernard  resta 
à la  seconde.  Quelques  années  après,  il  fit  venir  près  de  lui  son  neveu,  Antoine -Laurent 
de  Jussieu,  dont  il  dirigea  les  études  vers  les  sciences  naturelles,  et  mourut  eu  1777,  à l’âge 
de  soixante  et  dix-huit  ans. 

Le  service  le  (dus  éminent  que  Daquin  rendit  au  Jardin  du  Roi  fut,  à coup  sûr,  le  choix 
qu'il  sut  faire  de  Duverney  pour  y professer  l’anatomie.  (iuicliard-Joseph  Duvemcy  était  né  à 
Feurs,  eu  Forci , en  1618,  Après  s’être  fait  recevoir  docteur  en  médecine  è Avignon,  il  vint 
se  lixer  à Paris.  Son  ardeur  pour  les  matières  scientifiques  le  fil  admettre  aux  conférences  de 
l’abbé  Boitrdclol.  Doué  d'une  élocution  remarquable,  homme  d'esprit  et  d’excellentes  ma- 
nières, il  ne  tarda  pas  à mettre  l’anatomio  à la  mode , même  parmi  les  gens  du  monde,  même 
à la  cour,  oü  il  fit  souvent  des  leçons  on  présence  du  plus  noble  auditoire.  « Je  me  souviens, 
dit  Fontanelle,  d’avoir  vu  des  gens  de  ce  monde-là,  qui  portaient  îles  pièces  d'anatomie  pré- 
parées par  lui,  pour  avoir  le  plaisir  de  les  montrer  dans  les  compagnies,  n Quelques  vers  de 
Boileau  constatent  également  la  vogue  singulière  qui  s’attachait  liés  lors  aux  leçons  du  jeune 
professeur  : 

D'un  nouveau  microscope  on  doit,  en  sa  présence , 

Tantôt  chez  balancé  faire  l'cxpêricnce; 

Puis,  d’une  femme  morte  avec  son  embryon 
tt  fout  riiez  Duverney  voir  In  dissection; 

Rien  n’éc  luipjii  aux  regards  de  notre  ruricuse- 

— . ( Satire  X.) 

Sou  débit  animé  et  ses  formes  oratoires  attiraient  à son  cours  les  hommes  qui  s’occupaient  de 
déclamation  ; on  assure  que  le  célèbre  comédien  Baron  était  souvent  au  nombre  de  scs  audi- 
teurs. Aussi,  tous  les  succès  vinrent-ils  en  quelque  sorte  au-devant  de  lui.  En  1674,  il  entra  à 
l’Académie  des  sciences;  trois  ans  après,  il  était  professeur  au  Jardin  du  Roi,  et  cet  enseigne- 
ment, qui  fait  époque  dans  l’histoire  de  la  science,  so  soutint  pendant  un  demi-siècle. 

Duverney  n’était  pas  d’une  complexion  robuste,  mais  il  était  très-actif  et  laborieux.  Dans 
ses  cours,  il  faisait  fairo  les  démonstrations  par  Dionis,  habile  chirurgien,  à qui  l’on  doit  un 
Traité  d'anatomie  et  un  Coure  d’opérations  chirurgicales  longtemps  célèbres.  Il  se  fit  aussi 
suppléer  par  son  frère,  Pierre  Duverney,  qui  fut,  comme  lui,  membre  de  l’Académie  des 
sciences  et  professeur  au  Jardin  du  Roi,  ainsi  que  par  ses  deux  neveux,  Jacques-François  et 
Emmanuel-Maurice  Duverney , qui  devinrent  tous  deux  démonstrateurs  d’anatomie.  Le  pre- 
mier eut  la  gloire  d’être  le  maître  de  Daubenlon. 

Guichard-Joseph  Duverney  peut  être  considéré  comme  le  créateur,  dans  les  temps  mo- 
dernes, de  l’anatomie  comparée.  Ayant  été  envoyé,  avoc  Lahirc,  en  mission  scientifique  sur 
les  bords  do  l’Océan , il  y disséqua  avec  soin  un  grand  nombre  de  poissons.  L’année  sui- 
vante, ils  firent  ensemble,  et  dans  le  même  but,  un  nouveau  voyage  dans  le  golfe  de  Gascogne. 
L’un  des  premiers  il  répandit  la  lumière  sur  l’organisation  anatomique  des  animaux,  dont 
jusque-là  on  se  contentait  de  décrire  les  mœurs,  les  habitudes  et  l’aspect  extérieur.  Il  laissa 
deux  volumes  d'OKucres  anatomiques  et  deux  volumes  sur  les  Maladies  des  os;  il  travaillait 
avec  Winston-,  son  élève,  à une  seconde  édition  de  son  Traité  de  Coule , quand  la  mort  vint 
le  frapper,  «n  1730,  à l’âge  do  quatre-vingt-deux  aus.  Il  avait  exercé  le  professorat  pendant 
cinquante  et  un  ans,  avec  le  succès  le  plus  brillant  et  le  plus  soutenu. 

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Jacqucs-Béuigne  Winslow,  que  nous  venons  de  nommer,  était,  en  effet,  l'élève  cliéri  de 
Duvemey.  Originaire  du  Danemarck  (Odenséo,  1609;,  Winslow  avait  été  d'abord  destiné  à 
l'Église;  niais  ses  goûts  le  portant  d’une  manière  toute  spéciale  vers  l’élude  des  sciences,  il  su 
résolut  à aller  en  Hollande  pour  y étudier  la  médecine.  Ses  tulents  précoces  décidèrent  le  gou- 
vernement danois  è l'envoyer  à Paris,  & ses  frais,  pour  prendre  ses  grades.  Présenté  à Bossuet, 
Winslow  se  convertit  A la  religion  catholique  entre  les  mains  de  ce  prélat,  qui  devint  son 
protecteur.  Bossuet  étant  mort  en  1704,  et  l'abjuration  du  jeune  savant  l'ayant  privé  des 
largesses  du  roi  de  Danemarck,  Duvemey  le  prit  en  amitié  et  le  chargea  de  le  suppléer  dans 
ses  cours  au  Jardin  du  Uni.  Sa  situation  difficile  et  son  mérite  reconnu  déterminèrent  la  Fa- 
culté de  Paris  à lui  faire  la  remise  dos  frais  de  sa  réception.  Peu  do  temps  après , il  entra  A 
l’Académie  des  sciences. 

L’éclat  avec  lequel  Winslow  avait  fait  quelque  temps  les  cours  de  Duvemey  semblait  l'ap- 
peler naturellement  A devenir  son  successeur;  cependant,  A la  mort  île  ce  savant,  la  placo 
fut  donnée  A llunauld,  médecin  du  duc  de  Richelieu.  Winslow  ne  lui  succéda  qu'en  1743. 
Il  était  doué  d’une  élocution  facile;  son  enseignement  rommo  ses  écrits  sont  remarquables 
par  la  méthode,  la  clarté  et  la  précision.  On  peut  dire  qu'il  créa  en  quelque  sorte  l’anatomio 
descriptive,  aux  progrès  de  laquelle  il  donna  une  vive  impulsion.  Il  mourut  A Paris,  en  1760, 
A l’Age  de  quatre-vingt-onze  ans. 

Celte  période  de  l'enseignement  anotomiquo  nu  Jardin  du  Roi  doit  également  comprendre 
François-Joseph  llunauld,  élève  de  Duvemey  et  de  Winslow,  qui  remplit  d’une  manière 


18  PREMIÈRE  PARTIE. 

Duvemey  habitait  une  petite  maison  isolé"  A l’extrémité  du  jardin,  du  côté  do  la  rivière,  et 
qui  n’a  été  démolie  qu’en  1793.  Occupé,  dans  les  dernières  années  de  sa  vio,  d’un  ouvrage 
sur  les  insectes  et  les  mollusques,  il  passait  des  nuits  entières  dans  les  endroits  les  plus 
humides  du  jardin,  couché  sur  le  ventre,  cl  sans  faire  aucun  mouvement,  pour  observer  les 
allures  et  les  habitudes  des  colimaçons. 


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HISTOinR.  — 1 G:<5- 1 7 30. 


I» 


brillante  l'intervalle  qui  sépare  la  carrière  professorale  (le  ses  deux  maîtres.  Ilunauld,  fils  et 
petit-fils  de  médecins  qui  marquèrent  dans  la  pratique  de  l'art,  était  doué  lui-même  du  talents 
incontestables.  Le  duc  du  Richelieu,  qui  l'avait  emmené  dans  son  ambassade  à Vienne,  avait 
pour  lui  une  vive  affection.  Hunauld  s'exprimait  avis;  netteté,  avec  élégance  dans  les  matières 
scientifiques.  Il  n'avait  que  vingt-huit  ans  lorsqu'il  fut  appelé  A succéder  à Ruverney.  En 
1724 , il  était  entré  à l'Académie  comme  chimiste  adjoint;  quelquos  années  après,  il  y prit 
place  comme  anatomiste.  Malheureusement,  il  mourut  de  bonne  heure,  à l’âge  do  quarante 
et  un  ans,  on  1712.  Il  était  allé  on  Hollande  pour  y connaître  Boerhaave,  et  avait  visité  l’An- 
gleterre dans  un  but  scientifique.  Ses  travaux  eurent  principalement  pour  sujet  l'osléologie 
et  l'anatomie  du  cerveau.  La  place  qu'il  laissait  vacante  au  Jardin  fut  aussitôt  accordés;  A 
Winslow.  Sa  collection  ostéologiquo , fort  riche  pour  l’époque,  fut  achetée  par  l'Académie, 
pour  la  joindre  A celle  do  Duverney,  déjà  déposée  au  jardin. 

Durant  la  longue  et  heureuse  période  qui  se  rapporte  A l'administration  de  Fagnn,  la  chimie 
fut  également  professée  au  Jardin  du  Roi  d’une  manière  supérieure.  Kagnn,  longtemps  titu- 
laire de  cette  chaire,  se  fil  successivement  seconder  par  des  hommes  d'un  vrai  mérite.  Saint- 
Yon,  accablé  d'infirmités,  no  fit  qu'un  suul  cours  et  mourut  jeune  encore;  Claude  Berger, 
fils  d'un  médecin  de  Pans,  élève  de  Nicolas  Lémery  et  de  llomberg,  le  remplaça  en  1700,  et 
on  lui  promit  la  survivance  du  la  chaire;  mais  il  nu  put  profiter  du  cet  avantage,  car  il  mourut 
en  1712  d'une  affection  de  poitrine,  à l’Age  do  trente-trois  ans. 

En  même  temps  que  Berger,  et  dès  l’année  1707,  Geoffroy  avait  quelquefois  remplacé 
Fagon  dans  son  cours  do  chimie.  Étienne-François  Geoffroy  était  fils  d’un  apothicaire  de 
Paris,  bien  connu  daus  la  science,  car  il  est  lu  chef  d’une  sorto  de  dynastie  scioutiliquo  qui  a 
longtemps  figuré  d’une  manière  brillante  dans  renseignement.  C'est  chez  Geoffroy  le  père,  que 
se  réunissaient  la  plupart  des  savants  do  l'époque  ut  que  se  tenaient,  sous  lu  présidence  du 
père  Merseune  ou  de  M.  do  Mnntmorl , les  conférences  qui  préludèrent  A la  fondation  do 
l'Académie  dos  sciences.  L'éducation  du  jeune  homme  fut  dirigée  de  bonne  heure  vers  les 
sciences  médicales,  et  rien  ne  fut  épargné  pour  qu'il  les  cultivât  un  jour  avec,  distinction. 


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20  PRE  Ml  fin  K PARTIE. 

Avant  d'occuper  les  postes  éminents  qui  lui  étaient  réservés,  Geoffroy  avait  voyagé  dans 
les  provinces  méridionales  de  lu  France  et  visité  les  ports  de  l'Océan.  Il  se  trouvait  enfermé 
à Saint-Malo,  en  1093,  au  moment  où  les  Anglais  bombardèrent  celle  ville;  il  eût  pu  flro 
victime  de  luur  fumeuse  machine  infernale,  si  leur  tentative  n'eût  échoué.  Il  alla  en  Angle- 
terre avec  le  comte  do  Tallard,  alors  ambassadeur  et  depuis  maréchal  de  France;  il  s’y  lia 
avec  Hans  Sloano,  médecin  et  naturaliste  irlandais,  qui  le  présenta  à Sydenham  et  le  fit 
admettre  à la  Société  royale  de  Londres.  Il  voyagea  aussi  en  Hollande  et  en  Italie  avec  Publié 
de  Louvois,  comme  son  médecin,  bien  qu’il  n’en  eût  pas  encore  le  litre,  car  il  ne  fut  reçu 
docteur  qu'en  1701.  A la  mort  de  Toumeforl,  Geoffroy  le  remplaça  comme  professeur  de 
médecine  nu  collège  de  France,  et,  on  1712,  il  obtint  la  chuirc  du  chimie  au  Jardin  du  Roi , 
vacante  par  la  mort  de  Berger. 


Étienne-François  Geoffroy  a laissé  un  nom  célébra  dans  la  chimie  el  la  matière  médicale. 
C'est  à lui  que  l'on  doit  les  premières  tables  d’affinité  chimique,  l'uu  des  travaux  qui  ont  lo 
plus  servi  à l'avancement  de  cette  science  dans  les  premières  années  du  dix-huitième  siècle. 
Bien  que  son  caractère  fût  circonspect,  méthodique  et  ses  munières  timides,  son  enseigne- 
ment était  très-suivi  e|  rivalisait  avec  celui  de  Vaillant,  de  Duverney  et  de  Winslow.  Il  mourut 
en  1731  et  fut  remplacé  par  Louis  Lémcry,  fils  de  Nicolas,  à qui  la  postérité  a conservé  le 
titre  du  grand  Lémcry. 

Il  y avait  longtemps  que  Louis  Lémcry  suppléait  Fagon  et  Berger  dans  la  chaire  de  chimie 
du  Jardin  Royal.  Il  était  médecin  du  Roi  depuis  1722  et  appartenait  à l'Académie  des  sciences. 
Il  accompagna  en  Franco  l’iufanlc  d'Espagne  lorsqu’elle  vint  épouser  Louis  XV.  C’était  nu 
médecin  de  cour  duns  toute  l'acception  du  mot.  Ses  manières  étaient  distinguées,  il  s'expri- 
mait avec  élégance  et  ses  écrits  sont  encore  remarquables  aujourd'hui  par  l'ordre,  la  clarté  et 
l'érudition.  Les  Mémoires  de  l’Académie  contiennent  un  grand  nombre  de  travaux  île  chimie 
qu’il  y présenta,  et  son  Triiilt1  #/es  aUn'PUts  a joui  longtemps  d'uue  certaine  eéléhrilé. 


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HISTOIRE. — 1035-  1739. 


21 


Aux  savants  que  nous  venons  de  nommer,  et  qui  représentèrent  l'enseignement  do  la  chimie 
au  Jardin  du  Roi,  pendant  la  période  que  nous  étudions,  il  faut  ajouter  le  nom  de  quelques 
démonstrateurs  qui  tiennent  également  une  place  honorable  dans  l'histoire  de  cette  science. 
Christophe  Glaser,  Suisse  d'origine,  apothicaire  du  duc  d'Orléans  et  plus  tard  du  Roi 
Louis  XIV,  fut  l’un  des  derniers  sectateurs  des  principes  de  Paracelse;  Simon  Roulduc,  membre 
de  l’Académie  des  sciences,  et  qui  fit  faire  quelques  progrès  à la  matière  médicale,  fut 
remplacé  comme  démonstrateur,  en  1729,  par  son  fils  Gille-Françnis  Roulduc,  aussi  de  l'Aca- 
démie , apothicaire  du  Roi , qui  s’occupa  avec  un  succès  notable  do  l’analyse  des  eaux  miné- 
rales. 

Avant  eux,  Moïse  Charas,  un  pou  plus  avancé  dans  la  philosophie  de  la  science,  marqua  en 
quelque  sorte  la  transition  entre  l’école  spiritualiste  de  Van  llelmout  et  la  chimie  plus  ration- 
nelle du  siècle  suivant;  Gharas  fut  le  précurseur  le  plus  immédiat  de  Nicolas  Lémery.  Né  à 
lizès , en  1618,  d’une  famille  protestante,  il  s’était  livré  de  bonne  heure  è l’étude  de  l’histoire 
naturelle  et  de  la  chimie.  Il  publia  une  véritable  monographie  sur  la  vipèro,  qui,  à cette 
époque,  était  un  objet  général  de  curiosité  et  du  terreur.  A l’exemple  do  Nicandre  et  d’Andro- 
maque,  il  Ot  suivre  ce  travail  d’un  poème  latin,  /’ Echmophium , sur  le  même  sujet.  Auteur 
d’une  pharmacopée  longtemps  célèbre , Gharas  fut  atteint . A l’Ago  do  soixante  ans , par 
la  révocation  de  l’édit  de  Nantes,  cl  obligé  de  se  retirer  on  Angleterre.  A la  mort  do  Charles  II, 
il  passa  en  Hollande,  puis  il  allu  à Madrid,  sur  les  instances  de  l’ambassadeur  d’Espagne;  mais 
il  ne  tarda  pus  A s’y  voir  exposé  aux  poursuites  de  l’inquisition , comme  A la  jalousie  des 
médecins  espagnols,  et  l’on  saisit  pour  cela  une  circonstance  assez  singulière.  Un  archevêque 
de  Tolède  ayant  été  déclaré  saint  après  sa  mort,  son  successeur  annonça  que  désormais  les 
serpents  et  autres  animaux  venimeux  du  diocèse  perdraient  leur  venin.  Gharas,  dans  une  expé- 
rience publique,  qui  eut  lieu  chez  Don  Pèdre  d’Aragon,  (il  mordre  par  une  vipère  deux  poulets, 
qui  moururent  aussitôt.  Il  n’en  fallut  pas  davantage,  pour  le  perdre  : on  l’accusa  d’avoir  voulu 
renverser  une  croyance  établie.  Il  fut  obligé  de  s’enfuir,  non,  comme  le  dit  Condorcet,  pour 
avoir  mal  parlé  des  vipères,  mais  pour  avoir  soulevé  la  rivalité  do  ia  médecine  espagnole.  Il 
fut  jeté  en  prison  A l’Age  de  soixante-dix  ans.  On  lui  lit  son  procès;  il  se  iléfendit  avec,  talent 
et  courage.  Enfin,  au  bout  de  quatre  mois  et  demi,  la  liberté  lui  fut  rendue,  au  prix  de  son 
abjuration.  Il  revint  en  faveur,  fut  admis  A l’Académie,  et  mourut  A quatre-vingts  ans,  juste- 
ment entouré  de  l’estime  cl  de  la  considération  générale. 

Nous  venons  d'énumérer  les  principaux  services  que  rendit  A l’établissement  la  longue  et 
intelligente  administration  de  Fagon.  Après  lui,  renseignement  commença  A changer  de 
direction  et  quitta  la  voie  exclusive  des  sciences  médicalos,  pour  so  porter  plus  spécialement 
vers  les  sciences  naturelles.  En  1715,  il  n’y  avait  encore  au  Jardin  que  trois  chaires  princi- 
pales: celles  de  botanique,  de  chimie  et  d'anatomie.  Chacune  d'elles,  indépendamment  du 
professeur  titulaire,  était  pourvue  d’un  démonstrateur,  qui , pendant  les  leçons,  exécutait  les 
expériences  et  les  préparations  pharmaceutiques.  La  botanique  avait,  en  outre,  un  sous- 
démonstrateur  chargé  do  faire  les  herborisations  A la  campagne  et  de  diriger  les  cultures. 

Les  choses  ne  changèrent  point  sous  l'administration  de  Poirier,  qui  avait  succédé  A Fagon 
en  1715,  et  qui  ne  lui  survécut  que  de  quelques  jours.  En  1718,  l'intendance  du  Jardin, 
détachée  de  la  charge  de  premier  médecin  du  roi,  fut  confiée  A Chirac,  premier  médecin  du 
régent.  Pierre  Chirac,  né  à Conques,  dans  le  Rouergue,  qui  n’a  pas  laissé  un  nom  bien 
recommandable  dans  l’administration  du  Jardin  du  Roi,  ne  mérite  pourtant  pas  d'être  oublié 
dans  l'histoire  de  la  science.  D'abord  destiné  A la  théologie,  il  vint  A Montpellier  pour  achever 
ses  études  et  y fut  distingué  par  Chicoisneau  père,  chancelier  de  l'Université,  qui  lui  conlia 
l'éducation  do  ses  (ils,  et  qui,  ayant  reconnu  son  aptitude  pour  les  scietices,  le  dirigea  vers 
l’élude  de  la  médecine.  Chirac  se  livra  avec  ardeur  à l’anatomie.  Devenu  chirurgien  de  l'ar- 
mée de  Roussillon,  il  assista,  en  1693,  au  siège  île  Rusas,  puis  il  alla  en  Italie  avec  le  duc 
d’Orléans,  qu'il  guérit  d'une  blessure  au  poignet.  Ce  prince,  depuis  régent,  le  ramena  avec 


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22 


PREMIÈRE  PARTIE, 
lui  à Paris,  et,  après  la  mort  do  Ifornbcrg,  le  nomma  son  premier  médecin.  Promu  à l’in- 
tendance du  Jardin  du  Roi,  Chirac  se  montra  peu  soucieux  du  progrès  des  sciences  naturelles. 
Il  eut  la  fatale  pensée  de  retirer  le  soin  des  cultures  à Bernard  de  Jussieu,  pour  donner  cet 
emploi  à un  chirurgien  «jui  y était  complètement  impropre,  et  ne  protégea  guère  que  rensei- 
gnement de  l’anatomie,  alors  professée  avec  tant  de  distinction  par  Duvcrney , Hunauld  et 
Winslow;  mais  il  laissa  tomber  renseignement  do  la  botanique,  que  les  Jussieu  soutinrent 
néanmoins  à force  d’intelligence  et  de  sacrifices.  Disons,  toutefois,  pour  relever  Chirac  de  ses 
torts  comme  administrateur,  que,  plein  de  zèle  pour  les  progrès  de  la  chirurgie,  il  conçut,  le 
premier,  la  pensée  de  la  réunir  à la  médecine  dans  une  Académie  Royale,  projet  qu’il  fut  sur 
le  point  de  réaliser,  mais  dont  la  mort  du  régent  suspendit  l'exécution.  Chirac  mourut  à Marty, 
d’une  pleurésie  (1732),  à l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans. 

lin  grief  plus  fondé  contre  Chirac  et  son  administration,  c’est  celui  d’avoir  préparé  de 
longue  main  sa  survivance  et  de  l’avoir  fait  passer  dans  les  mains  de  François  Chicoisneau, 
son  gendre.  Non  que  Chicoisneau  fût  un  homme  sans  mérite  : il  avait  fait  ses  preuves  comme 
médecin  habile  et  même  comme  homme  de  cœur  pendant  la  peste  do  Marseille,  en  1720,  où 
Chirac  l’avait  fait  envoyer.  Il  était  doué  de  savoir,  de  talents  naturels  et  s’exprimait  avec 
autant  do  précision  que  d'élégance.  Chirac,  devenu  premier  médecin  «lu  mi  Louis  XV,  l'ap- 
pela à la  cour  et  le  fit  nommer  médecin  des  enfants  «le  Frant^e,  ce  qui  était  le  désigner  à 
l’avance  comme  son  successeur.  C’est,  en  effet,  ce  qui  arriva,  et,  avec  sa  charge,  il  obtint 
en  même  temps  la  surintendance  «lu  Jardin. 

Chicoisneau  prit  peu  d’intérêt  aux  développements  «le  l’institution  et  ne  comprit  pas  la 
responsabilité  morale  et  scientifique  qui  se  rattachait  à l'emploi  dont  il  était  revêtu.  H«*ureu- 
sement , le  choix  d’un  intendant  tomba  sur  un  homme  «l’un  mérite  incontestable  et  «l’un  zèle 
à toute  épreuve  pour  les  intérêts  de  la  science.  Charles-François  «le  Cisleroay  Dufay  avait  été 
d’abor«l  militaire,  comme  la  plupart  des  membres  de  sa  famille.  Lieutenant  à l’âge  de  qua- 
torze ans  dans  le  régiment  de  Picardie,  il  avait  figuré  en  Espagne  aux  sièges  de  Saint- 
Sébastien  et  do  Fontarabie.  Plus  tard,  il  avait  accompagné  le  cardinal  de  Rohan  dans  son 
ambassade  à Rome.  Copenilanl,  il  n’avait  jamais  cessé  de  s’occuper  des  sciences,  et  particu- 
lièrement do  la  chimie.  Il  avait  lu  plusieurs  fois  à l’Académie  «les  Mémoires  pleins  d’intérêt, 
qui,  en  1733,  le  firent  admettre  dans  cette  compagnie.  Il  quitta  dès  lors  le  service  pour  se 
dévouer  tout  entier  à l’étude.  En  quelques  années,  il  produisit  «les  travaux  si  divers,  qu’ils 
auraient  pu  lui  donner  entrée  dans  chacune  des  six  sections  dont  se  composait  alors  l’Aca- 
démie. Il  avait  trente-cinq  ans  lors«ju’il  fut  nommé  intendant  du  Jardin  «lu  Roi. 

Dés  ce  moment,  rétablissement  prit  une  direction  nouvelle.  Dufay  rétablit  Bernard  de 
Jussieu,  qu’il  avait  accompagné  dans  son  voyage  en  Angleterre,  «lans  les  fonctions  de  démons- 
trateur de  botanique  et  de  direct«*ur  des  cultures.  Il  releva  les  ruines,  il  étendit  lo  cabinet, 
il  fit  renouveler  les  plantations.  Il  alla  lui-même  en  Hollande  et  en  Angleterre  pour  se  pro- 
curer de  nouvelles  plantes,  ainsi  que  des  objets  d’histoire  naturelle.  Il  installa  Duv«’rncy  neveu 
comme  démonstrateur  d’anatomie.  Malheureusement,  son  administration  ne  devait  pas  être 
«le  longue  durée.  En  1739,  atteint  de  la  petite  vérole  et  prévoyant  qu'il  ne  survivrait  pas  à 
celte  cruelle  maladie,  il  légua  au  Cabinet  du  Roi  sa  riche  collection  de  pierres  précieuses  et 
désigna  Buffon  au  ministre , comme  son  successeur.  C’était  assurer,  plus  qu’il  ne  l'espérait 
peut-être,  les  d«»stinées  do  la  science  et  la  prospérité  future  «le  cette  belle  institution. 


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DEUXIÈME  PÉRIODE 


1739-1771 


Buffon  appartenait  depuis  1733  à l'Académie  dns  Sciences,  où  il  avait  été  admis  à l'àge  du 
vingt-six  ans.  Il  s’y  était  fait  connaître  par  divers  travaux  sur  les  mathématiques,  sur  lu  phy- 
sique, sur  l 'économie  rurale.  Dufav,  son  ami,  en  le  signalant  au  ministre  Maurepas,  avait 
pressenti  toute  la  portée  et  la  puissance  de  son  génie.  Bien  que  Buffon  ne  parût  pas  encore 
bien  arrêté  sur  la  science  à laquelle  il  se  consacrerait  d'une  manière  exclusive,  sa  nomination 
& la  place  d'intendant  du  Jardin  du  Itoi  le  détermina  à se  livrer  désormais  aux  sciences  natu- 
relles : heureuse  décision , qui  devait  servir  à la  fois  aux  progrès  de  la  science  et  à la  gloire 
du  savant,  car  celui-ci  avuit  compris  qu’en  donnant  & l’institution  tous  les  développements 
qu’elle  attendait  de  son  zèle,  il  réunissait  pour  lui-même  tous  les  matériaux  du  vaste  monument 
qu’il  se  proposait  d’élever  à l’histoire  de  la  nature. 

Georges- Louis  Leclerc  de  Buffon , fils  d’un  conseiller  au  parlement  de  Dijon , était  né  à 
Monlhard,  le  7 septembre  1707.  A peine  son  éducation  classique  était-elle  achevés-  qu'il  fit  la 
connaissance  du  jeune  duc  du  Kingston , dont  le  gouverneur,  humme  éclairé  et  versé  dans  les 
sciences , en  inspira  le  goût  aux  deux  jeunes  amis.  Buffon  alla  passer  avec  eux  quelques  mois 
à Londres  pour  s’y  perfectionner  dans  la  langue  anglaise.  Afin  de  constater  ses  progrès  dans 
cette  élude  et  do  s’exercer  lui-même  à l'art  d’écrire , il  traduisit  en  français  la  Statique  des 
végétaux,  de  Halles,  et  le  Traité  des  /luxions,  de  Newton  (I).  Il  y ajouta  deux  préfaces  remar- 
quables , qui  furent  ses  premiers  écrits , et  où  l’on  trouve  déjà  les  caractères  principaux  de  son 
laleut  : une  gravité  noble,  soutenue,  élégante,  et  de  larges  vues  systématiques.  De  retour  on 
France , il  s’occupa  de  géométrie , de  physique , il  construisit  des  miroirs  d’Archimède , qui 
avaient  déjà  fait  l’objet  des  recherches  de  Dufay  et  de  plusieurs  autres  savants.  C'est  à la 
même  époque  qu'il  fit  ses  expériences  sur  la  force  des  bois  et  quelquos  autres  travaux  qui  lui 
ouvrirent  les  portes  de  l’Académie. 

Lorsqu'il  fut  appelé  à remplacer  Dufay,  ses  idées  prirent  aussitût  une  direction  nouvelle.  Il 
s'appliqua  d'abord  à développer  l’établissement  confié  à son  administration.  Il  porta  ses  regards 
sur  toutes  ses  parties,  conçut  tout  lo  système  des  améliorations  dont  il  lui  sembla  susceptible, 
calcula  tout  ce  qu’il  avait  à faire,  tous  les  secours  dont  il  avait  besoin,  et  se  mit  à l’œuvre 
avec  courage  et  résolution. 

En  1739,  le  Jardin  était  borné  à l’Est  par  les  pépinières,  au  Nord  par  les  serres,  au  cou- 
chant par  les  galeries.  Il  y avait  encore  beaucoup  de  terrains  vagues  ut  sans  culture.  Buifon 
fit  enlever  quelques  allées  de  vieux  arbres,  qui  ne  répondaient  pas  à la  symétrie  des  bâtiments 
et  planta,  eu  1730,  les  doux  belles  allées  de  tilleuls  qui  encadrent  aujourd’hui  les  galeries 
d’histoire  naturelle.  Ces  allées  se  terminaient  alors  à la  pépinière , bordée  elle-même  par  la 
ladite  rivière  de  Bièvre.  Lorsqu’on  détourna  plus  lard  le  cours  de  celte  rivière,  on  fit  l'acqui- 
sition des  terrains  qui  s'étendaient  jusqu’à  la  Seine,  et  l'on  prolongea  les  allées  de  Buffon,  dans 
cette  direction , jusqu'à  la  grande  grillo  du  quoi. 

(I)  C’est  ce  même  Traité  des  fluxions  qu’un  bibliographe,  peu  versé  dans  le  calcul  différentiel,  avait 
ran-è,  dans  son  catalogue,  parmi  les  ouvrages  de  médecine. 


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24 


PREMIÈRE  PARTIE. 

La  première  serre  chaude  avait  été  construite  par  Bouvard.  Kilt*  fil  partie  quelques  années 
après  de  l'orangerie,  derrière  laquelle  furent  établies  depuis  les  deux  serres  de  Vaillant.  Os 
deux  dernières,  adossées  contre  la  butte,  furent  construites,  l’une  en  1714,  et  l’autre  en  1717. 
Le  milieu  de  la  seconde  fut  longtemps  occupé  par  un  cierge  du  Pérou , recouvert  d’une  lan- 
terne vitrée. 

L'amphithéâtre  que  Fagon  avait  fait  construire  pouvait  contenir  six  cents  élèves.  Il  était 
placé  dans  le  batiment  situé  entre  la  porte  d'entrée  principale  et  la  terrasse  de  la  grande  butte. 
Il  a subsisté  jusqu'au  moment  où  l'on  éleva  l'amphithéâtre  actuel. 

Le  cabinet  ne  consistait  d’abord  qu’en  deux  petites  salles,  qui  ne  pouvaient  suffire  long- 
temps aux  objets  dont  il  s'enrichissait  journellement.  Lorsque  Bernard  de  Jussieu  fut  nommé 
garde  des  collections,  il  agrandit  le  local  qui  leur  était  réservé  et  les  disposa  dans  deux  grandes 
salles  des  galeries  où  logeait  d'abord  l'intendant;  c’est  h cette  époque  qu’elles  commencèrent 
à être  ouvertes  au  public,  à certains  jours.  La  pièce  qui  renfermait  des  squelettes  et  des  pièces 
d'anatomie  faisait  partie  d’une  maison  longtemps  habitée  par  Vaillant,  et  qui  fut  abattue 
pour  être  remplacée  par  le  bâtiment  destiné  à la  première  bibliothèque.  Les  herbiers  étaient 
placés  dans  l’appartement  du  démonstrateur  do  botanique.  Vaillant,  Antoine  et  Bernard  de 
Jussieu  y donnèrent  successivement  tous  leurs  soins.  Lorsque  ce  dernier  fut  obligé  d’aller 
résilier  à Versailles,  la  garde  du  cabinet  fut  confiée  à Daubenton. 

Buffon  employa  les  premières  années  de  son  administration  à recueillir,  à disposer  les 
matériaux  qui  devaient  lui  servir  à l'accomplissement  de  la  grande  pensée  qui  le  préoccupait. 
Jusqu’à  lui,  ('histoire  naturelle  n’avait  été  écrite  que  par  des  observateurs  ou  des  compilateurs 
peu  exercés  dans  l'art  do  peindre  ses  phénomènes.  Surchargée  de  détails  d’érudition , do 
nomenclatures  bizarres,  do  systèmes  inconciliables,  cette  science  n'avait  jamais  été  présentée 
avec  cette  simplicité;  noble  et  abondante  dont  la  nature  offre  l’image.  Les  matériaux  étaient 
nombreux , mais  il  fallait  les  choisir,  les  classer  et  les  présenter  sous  une  forme  attrayante, 
propre  à faire  ressortir  l’ensemble  comme  les  détails.  Buffon  comprit  quel  intérêt  et  quel 
charme  pourrait  donner  è un  pareil  tableau  l’écrivain  qui  saurait  réunir  aux  vues  larges  cl 
profondes  d’Aristote,  l’éloquence  de  Théophraste,  de  Pline,  et  la  sévérité,  l'exactitude  des 
observateurs  modernes.  Après  avoir  longtemps  médité  celte  pensée,  il  se  sentit  l’énergie,  la 
patience  et  même  tout  le  talent  nécessaire  pour  la  mettre  à exécution , et  il  n’hésita  pas  à se 
consacrer  à cette  grande  œuvre. 

dépendant,  quelques  obstacles  personnels  pouvaient  la  lui  rendre  très-difficile.  Son  imagina- 
tion vive  et  impatiente  lui  permettait  à peine  de  s’appliquer  aux  recherches  de  détail , sa  vue 
un  peu  faible  ne  se  prêtait  pas  à une  application  prolongée;  il  avait,  pour  nous  servir  de 
l’heureuse  expression  de  M.  Flourens,  le  génie  de  la  pensée  plutôt  que  celui  de  l’observation, 
la  palicnce  de  l'esprit  plus  que  celle  des  sens.  Mais  il  avait  en  même  temps  une  constitution 
vigoureuse,  capable  de  résister  à un  travail  soutenu,  un  caractère  ardent,  la  conscience  de 
ses  forces  et  un  vif  désir  de  cette  gloire  dont  il  sentait  que  tous  les  éléments  se  trouvaient  à 
sa  portée.  Ajoutons  qu’au  service  d’un  génie  élevé  et  d’une  imagination  poétique,  il  possédait 
un  style  coloré  et  grandiose,  propre  à peindre  les  beautés  de  la  nature,  dont  il  avait  d’ailleurs 
le  profond  sentiment. 

Après  avoir  consacré  plusieurs  années  à parcourir  ce  champ  si  vaste  d'un  point  de  vue 
général , et  à réunir  les  matériaux  de  ce  grand  travail , il  en  arrêta  le  plan , et  son  immensité 
ne  l’effraya  point.  Toutefois,  il  fallait,  avant  tout,  s’appuyer  sur  des  recherches  exactes, 
qu’il  se  sentait  incapable  de  poursuivre  seul  dans  leurs  plus  minutieux  détails,  et  il  comprit 
la  nécessité  de  s'adjoindre,  pour  cela,  un  collaborateur.  Dans  l’un  de  scs  voyages  à Montbard, 
il  avait  retrouvé  un  ami  d’enfance , le  jeune  Daubenton , dans  lequel  il  reconnut  aussitôt  les 
qualités  qui  lui  manquaient  a lui-même.  Il  lui  fallait,  en  effet,  un  homme  d’un  esprit  juste  et 
fin,  un  observateur  habile  et  consciencieux,  assez  modeste  pour  se  contenter  du  second  rôle, 
assez  dévoué  pour  entrer  dans  ses  propres  idées,  disposé  à suivre  sa  fortune,  à devenir,  eu  un 


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HISTOIRE.  — 1739-  1771 


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HISTOIRE.  — 17  39-177». 


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mot , son  œil  et  sa  main , tout  en  lui  laissant  dans  l'œuvre  commune  la  part  la  plus  brillante 
et  la  plus  glorieuse.  Buffon  trouva  tout  cela  dans  son  jeune  ami,  et  peut-être  plus  encore 
qu’il  n'avait  espéré. 

Dautientnn  (L.-J.-Marie),  né  à Montbard,  en  1716, était  fllsd'un  notaire  de  cette  ville.  Its’étoit 
distingué  dans  scs  premières  études,  et,  venu  è Paris  pour  s'y  livrer  à la  théologie,  il  avait  suivi 
en  secret  les  cours  de  médecine;  il  était  au  Jardin  du  Roi  l'auditeur  le  plus  assidu  des  leçons 
de  Winslow,  de  Hununld  et  d'Antoine  do  Jussieu.  La  mort  de  son  jvèr©  l'ayant  laissé  libre  de 
choisir  sa  profession,  il  alla  se  faire  recevoir  docteur  à Reims,  et  revint  à Montbard  l’année 
suivante  pour  y exercer  la  médecine.  Buffon  ne  dovait  pas  l'y  laisser  longtemps.  Il  l'engagea 
à venir  & Paris  à la  fin  de  1742;  dès  l'année  1745,  il  le  fil  nommer  garde  et  conservateur  du 
cabinet  du  roi,  à la  place  de  Noguez,  qui  s’élait  retiré  en  province.  Dès  ce  moment,  les  col- 
lections prirent  une  nouvelle  physionomie  ; jusque-là , ce  n'était  proprement  qu’un  droguier, 
auquel  on  avait  joint  des  pierres  précieuses  et  des  coquilles  tirées  de  différentes  sources  ; 
Dautientnn  en  eut  bientôt  fait  une  véritable  collection  d'histoire  naturelle,  et  la  plus  riche  qui 
existât  encore.  Il  ne  s'appliqua  plus  uniquement  à recueillir  des  échantillons  rares  et  singu- 
liers , mais  à réunir  tous  les  objets  analogues  et  à compléter  les  séries,  l/étudc  et  l’arrangement 
de  ces  matériaux  devinrent  pour  lui  comme  une  sorte  de  passion.  A mesure  que  leur  nombre 
s’accrut  et  qu’ils  furent  mieux  disposés,  le  public  lui-méme y attacha  plus  de  prix;  quelques 
particuliers  s’empressèrent  d'offrir  au  cabinet  leurs  collections  privées.  On  découvrit,  on 
perfectionna  les  moyens  de  conserver  les  corps  organisés.  Daubenton  s'enfermait  des  journées 
entières  duns  les  galeries  pour  étudier  et  classer  toutes  ces  richesses,  et  les  jours  oii  elles 
étaient  ouvertes  au  public , il  se  plaisait  à les  montrer  et  à les  expliquer  aux  curieux. 

Mais  ce  n'est  pas  là  que  so  bornaient  scs  travaux  et  l'utile  secours  qu'attendait  Buffon  de 
son  savant  compatriote.  Avant  de  commencer  la  publication  de  son  immense  ouvrage , il  fal- 
lait tout  revoir,  tout  observer  ; il  fallait  reprendre  en  sous-œuvre  tout  le  travail  des  siècles 
précédents.  Dans  cette  grande  entreprise  il  s’était  réservé  la  distribution  du  plan,  l’exposition 
des  généralités , les  vues  systématiques , la  peinture  des  grands  effets  de  la  nature  ; à Daubenton 
furent  attribués  le  travail  des  recherches , la  partie  anatomique  et  descriptive , les  détails  exacts 
et  précis , les  observations  minutieuses.  Ces  deux  hommes  de  génie , se  complétant  ainsi  l'un 
par  l’autre,  avancèrent  lentement , mais  à pas  certains,  dans  la  vaste  carrière  qu'ils  s’étaient 
ouverte,  et,  en  1749,  dix  ans  après  l'avénement  de  Buffon  à l'administration  «lu  Jardin  du 
Roi,  ils  publiaient  ensemble  les  trois  premiers  volumes  do  V Histoire  naturelle , magnifique 
prodrôme  de  l’ouvrage  ipii  devait  tous  deux  les  immortaliser. 

Les  chaires  continuaient  d’ètre  occupées  par  les  professeurs  que  Dufay  y avait  laissés , et 
dont  quelques-uns  de  ceux-ci  étaient  déjà  les  titulaires  sous  ses  prédécesseurs.  Dans  les  pre- 
mières années  de  son  administration , Buffon  eut  le  regret  de  perdre  plusieurs  île  ces  hommes 
dont  les  talents,  comme  le  caractère,  faisaient  l’honneur  du  professorat  : Boulduc  fils  et 
Ifunauld  s’éteignirent  la  même  année,  en  1742;  Louis  Lémery  mourut  l'année  suivante,  et 
Duvemev  neveu  en  1749.  Ces  pertes  importantes  amenèrent  de  grandes  modifications  dans 
l'enseignement  du  Jardin  du  Roi.  Lémery  fut  remplacé  par  Bourdelin,  et  Boulduc  par  Rouelle; 
le  premier  comme  professeur,  et  le  second  comme  démonstrateur  de  chimie. 

Le  nom  de  Bourdelin  est  celui  d’une  de  ces  familles  qui , au  xvn*  et  au  xvtn*  siècle,  occu- 
pèrent un  rang  si  honorable  dans  les  sciences  médicales  et  perpétuèrent  dans  leur  descendance 
les  traditions  ainsi  que  le  goût  des  études  scientifiques.  Telles  furent  les  familles  des  Lémery, 
des  Jussieu,  des  Boulduc,  des  Bourdelin,  des  Geoffroy,  des  Brongniart,  des  Fourcroy,  qui 
toutes  se  distinguèrent  aussi  dans  lo  professorat,  contribuèrent  surtout  aux  progrès  de  la 
chimie,  et  dont  l’origine,  on  nous  permettra  de  le  remarquer,  se  rattache  à la  pharmacie.  L'aïeul 
de  Claude  Bourdelin,  né  à Villefranehe  en  Beaujolais , était  apothicaire  à Paris,  et  fit  parti 
des  premiers  savants  choisis  pur  Colbert  pour  former  le  premier  noyau  de  l'Académie.  Ses 
deux  fils  appartinrent,  l’un  à l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  l'autre  à l'Académie 

D 


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2i*  PREMlfeRE  PARTIE. 

îles  Sciences.  Ce  dernier  fui  le  père  île  Claude  Buurdeliu , nommé  professeur  de  chimie  au 
Jardin  du  Roi , à la  place  de  I,.  Lémery. 

Bourdelin  élail  partisan,  comme  son  prédécesseur,  de  la  chimie  de  Charas  et  de  Nicolas 
Lefebvre.  Déjà  âgé  de  quarante-sept  ans,  quand  il  entra  en  fonctions,  et  d'ailleurs  livré  à une 
pratique  médicale  très-étendue,  il  lit  peu  d'efforts  pour  se  tenir  au  courant  des  nouvelles  théo- 
ries de  la  science.  Rouelle,  au  contraire,  imbu  des  systèmes  de  Ueerhor  et  de  Stahl,  faisait 
assez  peu  de  cas  de  la  chimie  de  l'époque  précédente.  Il  en  résulta , comme  nous  le  verrous 
bientôt,  une  singulière  discordance  entre  les  leçons  de  Bourdelin  et  les  expériences  du  démon- 
strateur, lequel  ne  se  faisait  pas  scrupule  de  renverser  les  arguments  du  professeur  et  de  se 
complaire  dans  son  triomphe,  aux  yeux  de  son  auditoire.  Bourdelin  n'y  mettait  du  reste  aucun 
obstacle,  seulement  il  cessa  d'écrire  sur  la  science  et  se  lit  plus  souvent  remplacer  dans  son 
cours  par  Malouin,  d’aliord,  et  ensuite  par  Marquer,  qui  devait  lui  succéder,  lin  motif  hono- 
rable l’avait  porté  à se  vouer  principalement  à la  pratique  médicale.  Ha  mère  avait  épousé  en 
secondes  noces  un  dissipateur  qui , en  mourant , n’avait  laissé  quo  des  dettes , pour  lesquelles 
elle  s’était  engagée.  Bourdelin  voulut  acquitter  ces  dettes  et  rendre  à sa  mère  une  position 
indépendante.  Il  y réussit  à force  de  travail.  Bon  frère,  alors  mineur,  réclama  plus  tard  le 
droit  de  partager  son  sacrifice;  Bourdelin  ne  mil  aucun  orgueil  à le  refuser.  Malheureusement, 
ce  frère,  médecin  comme  lui,  et  son  élève,  mourut  encore  jeune , au  moment  oit  il  commen- 
çait à se  montrer  digne  du  nom  qu’il  portait.  Bourdelin  mourut  en  1777,  à l’àge  de  quatre-vingt 
et  un  ans;  sa  place  à l'Académie  des  Sciences  fut  remplie  par  L.-CI.  Cadet. 

Paul-Jacques  Malouin,  aussi  membre  de  l'Académie,  n’appartint  jamais  nu  Jardin  du  Roi 
comme  titulaire,  mais  il  remplaça  souvent  avec  distinction  Lémery,  Geoffroy  et  Bourdelin, 
son  maître  et  son  ami.  C’était  un  homme  grave,  austère,  mais  d'un  caractère  plein  de  dou- 
ceur. Il  était  né  à Caen,  en  1701,  d’une  famille  distinguée  dans  laquelle  on  comptait  autant 
de  médecins  que  de  magistrats.  Son  père,  conseiller  au  présidial,  l'envoya  à Paris  pour  suivre 
ses  cours  de  jurisprudence,  mais,  entraîné  par  un  penchant  irrésistible,  le  jeune  homme  se 
livra  exclusivement  aux  études  médicales;  en  sorte  qu’à  son  retour  au  pays  natal,  au  lieu 
d’apporter  à son  père  un  litre  de  licencié  en  droit,  il  lui  présenta  le  diplôme  île  docteur  eu 
médecine.  Fontanelle,  qui  était  son  parent,  l'engagea  à revenir  à Paris,  lui  facilita  l’entrée  de  la 
carrière,  en  lui  ouvrant  l’accès  de  quelques  maisons  opulentes,  et  le  lit  entrer  à l’Académie. 

Malouin  était  animé  d’un  resjicct  sincère  pour  la  dignité  médicale.  I u personnage  éminent, 
qui  avait  suivi  longtemps  avec  exactitude  ses  indications,  et  qu'il  avait  guéri,  étant  venu  le 
remercier  : « lou*  été»  digne  d'être  malade,  » lui  dit  Malouin.  Il  ne  pardonnait  pas  à ceux 
qui,  après  avoir  profité  des  lumières  et  des  secours  de  la  médecine,  tournaient  cet  art  en 
plaisanterie.  Il  dit  un  jour  à l'un  de  ces  incrédules,  ou  plutôt  de  ces  ingrats  : » Je  sais  que 
u vous  ôtes  malade  et  qu'on  vous  traite  mal  ; je  vous  guérirai , mais  je  ne  vous  verrai  plus.  » 
Co  qu’il  trouvait  de  plus  digne  d’éloges  dans  Fontenelle  et  dans  \oltaire,  c’est  qu’ils  avaient 
toujours  res|>ecté  la  médecine.  C'est  lui  qui  répondit  à quelqu'un  qui  citait  en  sa  présence  les 
plaisanteries  de  Molière  sur  les  médecins  : « Aussi,  voyez  comme  il  est  mort!  » 

Après  avoir  pratiqué  quelque  temps  à Paris,  où  il  avait  succédé  en  quelque  sorte  à la 
célébrité  de  Dumoulin , peu  ambitieux  d'ailleurs  et  ami  du  repos , il  acheta  une  charge  de 
médecin  du  grand  commun  à Versailles,  u Je  veux  me  retirer  à la  cour,  » avait-il  dit  à celte 
occasion  ; mot  bizarre , mais  plein  de  justesse  selon  ses  idées.  Malouin  était  laborieux , éco- 
nome, désintéressé.  Il  avait  écrit  pour  l'encyclopédie  et  pour  les  collections  académiques  l'art 
du  boulanger  et  du  vermicellier.  Quelques  années  plus  tard,  Parmentier  ayant  critiqué  cos 
écrits  dans  une  lecture  à l’Académie,  Malouin  vint  à lui  et  le  fécilita,  eu  ajoutant  : « Vous 
« avez  mieux  vu  que  moi , Monsieur,  a Malouin  fonda  un  prix  à la  Faculté  de  Médecine  pour 
l'éloge  do  l’un  de  ses  membres;  éloge  qui  devait  être  prononcé  chaque  année  à la  séance 
d'ouverture.  Il  mourut  en  1778,  à l'àge  de  soixante-dix-sept  ans.  Il  fut  remplacé  à l’Académie 
des  Sciences  par  Lavoisier. 


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27 


HISTOIRE.  - 1730-1  77  1. 

Le  démonstrateur  on  titre  de  Bourdelin  était  Rouelle  (Guillaume-François),  né  à Mathieu, 
près  de  Caen,  en  1703.  Rouelle  était  doué  d’une  physionomie  vive,  d’une  mémoire  heureuse; 
il  avait  beaucoup  «l'intelligence  et  d’originalité  dans  l’esprit.  Bien  qu’il  eût  fait  d’assez  bonnes 
études,  il  attachait  assez  peu  de  prix  aux  connaissances  littéraires.  Aussi  sa  parole  était-elle 
incorrecte,  familière,  bien  qu'animée  et  pittoresque,  et  affectait-il  un  véritable  dédain  pour  ce 
qu’il  ap|H>lait  Y académie  du  beau  partage.  Entraîné  par  un  sentiment  instinctif  vers  les  sciences 
physiques  et  naturelles , il  so  livra  avec  une  sorte  de  passion  à l’étude  de  la  chimie.  Pour  ou 
acquérir  avec  plus  de  fruit  les  premiers  éléments , il  entra  comme  élève  en  pharmacie  chez 
l’allemand  Spitzlev,  successeur  du  grand  Lémory,  et  il  y resta  plusieurs  années.  C’est  là  qu’il 
connut  et  qu’il  se  lia  d’amitié  avec  Antoine  et  Bernard  de  Jussieu.  Il  fonda  ensuite  cette 
pharmacie  de  la  me  Jacob,  longtemps  possédée,  après  lui,  par  Bertrand  et  Joseph  Pelletier,  et 
il  donna  quelques  leçons  particulières  de  chimie  qui  commencèrent  sa  réputation.  Cependant , 
il  semblait  peu  capable  de  devenir  un  professeur  éminent,  lue  pétulance  extrême , une  abon- 
dauce  d’idées  qui  ne  lui  permettait  pas  toujours  de  les  présenter  dans  le  meilleur  ordre,  un  certain 
mépris  pour  les  usages  reçus  qui  allait  parfois  jusqu’à  outre- passer  lu  bienséance,  sa  brusquerie, 
son  impatience,  tout  cela  s’opposa  quelque  temps  aux  succès  du  jeune  professeur.  Toutefois, 
on  s’accoutuma  peu  à peu  à ces  dehors  singuliers;  il  acquit  une  certaine  facilité  d’élocution , 
il  s'habitua  à mettre  plus  de  lucidité  et  de  méthode  dans  l’exposition  «les  faits  scientifiques; 
puis,  la  hardiesse  et  la  nouveauté  de  ses  idées,  son  enthousiasme,  son  habileté  dans  les  expé- 
riences, jusqu’à  ses  manières  originales  et  à sa  parole  bizarre,  tout  devint  un  attrait  pour  ses 
auditeurs.  Enliii , sa  réputation  s'étendit  à ce  point  qu'à  la  mort  de  Boulduc  la  place  de 
démonstrateur  au  Jardin  du  Roi  lui  fut  accordée  sans  hésitation. 


CT'lail  eu  1742,  Rouelle  était  alors  dans  toute  la  force  et  la  niatiinlé  «le  sou  talent  : son  nom 
était  déjà  euiopéen.  Lémory,  Geoffroy,  Boerhave  «*l  Slahl  venaient  «b*  mourir;  la  science 


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28  PREMIÈRE  PARTIE. 

semblait  attendre  qu'un  homme  supérieur  vînt  remplir  le  vide  que  ces  grands  chimistes  avaient 
laissé.  « L’impulsion  donné!  par  ces  hommes  illustres,  dit  Y icq  d’Azyr,  s'affaiblissait  de  jour 
en  jour,  lorsqu’un  génie  bouillant  et  hardi  réchauffa  toutes  les  têtes  du  feu  de  son  enthousiasme, 
et  devint  le  chef  d’une  école  dont  le  souvenir  honorera  son  siècle  et  sa  patrie.  On  venait  de 
toutes  parts  se  ranger  parmi  ses  disciples;  son  éloquence  n’était  point  celle  des  paroles;  il 
présentait  ses  idées  comme  la  nature  offre  ses  productions , dans  un  désordre  qui  plaisait 
toujours  et  avec  une  abondance  qui  ne  fatiguait  jamais.  Hien  ne  lui  était  indifférent;  il  parlait 
avec  intérêt  et  chaleur  des  moindres  procédés,  et  il  était  sûr  de  fixer  l'attention  de  ses  audi- 
teurs, parce  qu’il  l’était  de  les  émouvoir.  Quand  il  s’écriait  : a Ecoute  z-moi!  car  je  suis  le  seul 
« qui  puisse  vous  démontrer  ces  vérités  » , on  ne  reconnaissait  point  dans  ce  discours  les 
expressions  de  l'.amour-propre , mais  les  transports  d’une  aine  exaltée  par  un  zèle  sans  bornes 
et  sans  mesure.  Ennemi  de  la  routine , il  donnait  des  secousses  utiles  à ce  peuple  d’hommes 
froids  et  minutieux  qui , travaillant  sans  cesse  sur  le  même  plan  cl  suivant  toujours  la  même 
ligne , ont  besoiu  que  l'on  rompe  quelquefois  la  trame  de  leur  uniformité.  » 

Nous  avons  vu  qu'à  cette  époque  les  leçons  au  Jardin  du  Roi  étaient  faites  par  un  professeur 
qui,  après  avoir  exposé  les  principes  et  développé  les  généralités  de  la  science,  cédait  sa  place 
au  démonstrateur,  lequel  venait  exécuter,  sous  les  yeux  du  même  auditoire,  les  expériences 
destinées  à confirmer  ses  Uiéories.  Les  choses  s’étaient  ainsi  passées  pendant  longtemps  et 
sans  conteste  entre  Geoffroy,  Lémery,  Charas  et  les  Houldue  ; mais  il  n’en  fut  plus  de  même 
lorsque  Dourdelin,  attaché  aux  errements  de  l'ancienne  école,  fut  secondé  par  Rouelle,  jeune, 
ardent , pénétré  des  nouvelles  théories  et  dont  l'élocution  véhémente  contrastait  de  la  manière 
la  plus  tranchée  avec  le  langage  réservé  du  placide  Dourdelin.  Gelui-ci , froid  et  timide , aux 
formes  peu  animées,  était  écouté  avec  une  impatience  contenue;  mais,  lorsque  paraissait 
Rouelle,  l’attention  s'éveillait  aussitôt  et  l'intérêt  qu'excitaient  sa  parole  vive  et  originale,  ses 
expériences  claires  et  saisissantes,  s’élevait  parfois  jusqu'à  l'enthousiasme.  La  leçon  du  pro- 
fesseur finissait  ordinairement  par  ces  mots  : « Tels  sont.  Messieurs,  les  principes  et  la  théorie 
« de  celte  opération,  ainsi  que  M.  le  démonstrateur  va  vous  le  montrer  par  ses  expériences,  n 
Mais  le  plus  souvent , Rouelle  se  plaisait  à démentir,  au  contraire , les  doctrines  du  professeur 
par  des  démonstrations  complètement  opposées  à ses  principes,  et,  malheureusement  |tour 
Dourdelin , le  démenti  de  Rouelle  était  ordinairement  fondé  et  sans  réplique. 

C’est  dans  une  de  ces  leçons  qu’eut  lieu  un  incident,  raconté  par  Grimm  d'une  manière 
assez  piquante.  Il  s’agissait  d'une  ex|>érieiice  alors  nouvelle,  et  qui  consistait  à enflammer  l’huile 
essentielle  de  térébenthine  par  l’esprit  de  nitre.  Rouelle  expliquait  que , « pour  le  succès  de 
« l’opération,  il  suffisait  d’un  tour  de  main  fort  simple  et  si  peu  apparent,  qu’on  pouvait 
« l’exécuter  en  présence  de  beaucoup  do  monde,  sans  que  personne  s’eu  aperçût.  » Il  avait 
alors  pour  préparateurs  son  frère,  Hilaire  Marin  Rouelle,  ol  l’un  de  ses  neveux  , dont  le  pre- 
mier soin  était  de  prévenir  les  accidents  auxquels  sa  distraction  habituelle  pouvait  donner  lieu 
et  dont  il  faillit  plus  d'une  fois  devenir  la  victime.  Ce  jour-là,  Rouelle  demeuré  seul,  expliquait 
la  théorie  et  le  procédé  de  sou  expérience.  Tout  en  agitant  avec  un  tube  de  verre  le  mélange 
inflammable,  il  disait  comment  il  avait  découvert  ce  tour  de  main,  et  ajoutait  que,  si  l’on 
cessait  un  seul  moment  d’agiter  la  liqueur,  le  produit  ferait  une  sorte  d’explosion  ; puis , se 
tournant  brusquement  vers  l’auditoire,  il  abandonne  un  moment  l’expérience  pour  achever 
l’explication.  Tout  à coup  l'inllammulion  éclate  et  brise  le  vase  avec  fracas,  en  remplissant 
l'amphithéâtre  d’une  fumée  épaisse  et  suffocante.  Aussitôt,  les  auditeurs  épouvantés  de  fuir 
et  de  se  répandre  avec  effroi  dans  le  Jardin , tandis  que  l'opérateur  étonné , mais  impassible , 
en  est  quitte  pour  la  perte  de  sa  perruque  et  de  ses  manchettes. 

On  trouve  dans  les  Mémoires  du  temps  plusieurs  traits  qui  peignent  d’une  manière  assez 
piquante  l’irritabilité,  la  pétulance  et  la  distraction  de  cet  homme  de  génie.  Sa  préoccupation 
habituelle  le  suivait  jusque  dans  le  monde,  dans  ses  cours,  à l’Académie.  Il  arrivait  ordinai- 
rement dans  son  amphithéâtre  en  grande  tenue,  habit  de  velours,  perruque  bien  poudrée  et 


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HISTOIRE.  — 1739-  177  1. 


29 


petit  chapeau  sous  le  bras.  Assez  calme  au  début  de  sa  leçon , il  s'échauffait  peu  à peu  ; si  sa 
pensée  ne  se  développait  pas  nettement,  il  s’impatientait,  il  posait  son  chupeau  sur  un  appa- 
reil, il  était  sa  perruque,  dénouait  sa  cravate,  puis,  tout  en  discutant,  il  déboulonnait  son 
habit  et  sa  vesto,  qu’il  quittait  Tune  après  l’autre.  Dès  lors,  ses  idées  devenaient  lucides,  il 
s’animait,  se  livrait  sans  réserve  à son  inspiration  savante,  et  ses  démonstrations  lumineuses 
entraînaient  bientôt  son  auditoire  ravi, 


?*  Nous  n’avons  pas  à rappeler  ici  en  détail  es  nombreux  travaux  dont  'Rouelle  a enrichi  la 
science;  nous  dirons  seulement  qu’il  fit  faire  des  pas  réels  à la  théorie  des  sels,  ainsi  qu’à 
l’analyse  végétale;  qu’il  lut  plusieurs  Mémoires  à l’Académie  sur  l’art  des  embaumements 
chez  les  anciens,  sur  le  sel  marin,  sur  la  culture  de  la  cannelle  à Ceylan , etc.  Mais  ce  n’était 
point  par  ses  écrits  qu’il  devait  influer  plus  puissamment  sur  In  science,  c’est  par  sa  paroi*;, 
par  son  zèle,  par  cet  enthousiasme  qu’il  avait  peine  à contenir,  mais  qui  n’en  agissait  que 
plus  vivement  sur  l’esprit  de  ses  nombreux  élèves.  C’est  précisément  parce  qu’il  écrivit  peu, 
qu’il  eut  souvent  à se  plaindre  «le  ceux  qui,  sortis  de  son  école,  nu  se  faisaient  aucun  scrupule 
de  s'attribuer  des  découvertes  dont  il  ne  s’élait  pas  réservé  la  priorité.  Dans  sa  jjétulance  et 
sa  distraction  ordinaires,  il  exprimait  souvent  des  vues  neuves,  hardies,  profondes;  il  décrivait 
des  opérations,  des  procédés  dont  il  eût  bien  voulu  dérober  le  secret  à ses  auditeurs,  mais 
qui  lui  échappaient  à son  insu  dans  la  chaleur  «lu  discours;  puis,  il  ajoutait  : « Mais  ceci 
« est  un  de  mes  arcanes  «juo  je  ne  dis  à personne  ; » et  c’était  précisément  ce  qu’il  venait  do 
révéler  à tout  lo  monde.  Lorsque,  plus  tard,  on  venait  à parler  devant  lui  «le  ce  qu’il  avait 
enseigné  'publiquement , mais  qu’il  pensait  lui  avoir  été  dérobé,  il  criait  au  plagiat  et  se 
répandait  on  invectives  contre  ceux  qu’il  accusait  «le  ces  larcins.  8a  préoccupation  à ce  sujet 
était  telle  qu'il  allait  jusqu’à  s’attribuer  toutes  les  découvertes  des  chimistes  étrangers,  décou- 


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30  PREMIÈRE  PARTIE. 

vertes  qu'il  croyait  fermement  avoir  faites  avant  eux.  Ses  récriminations  et  ses  plaintes  fai- 
saient en  quelque  sorte  partie  <ie  ses  cours,  en  sorte  qu’à  telle  leçon  on  était  sûr  d’avoir  une 
attaque  contre  Manquer  ou  Malouin,  contre  Pntt  ou  Lelimann;  à telle  autre,  une  diatribe 
contre  Buffon  nu  Bordeu.  Dans  son  emportement,  il  ne  se  faisait  faute  d'aucune  injure;  mais 
lu  plus  générale,  l'épithète  qui  revenait  lit  plus  souvent  et  servait  le  mieux  sa  fureur,  était 
celle  de  plagiaire.  « Oui,  Messieurs!  s’écriait-l-il  tous  les  ans  à certain  endroit  de  son  cours, 
a en  parlant  du  Bordeu , c’est  un  de  nos  gens , un  frater,  un  plagiaire , qui  a tué  mou  frère 
n que  voilà.  » L’imputation  de  plagiat  avait  en  effet  à ses  yeux  tant  de  gravité,  qu’il  l'appli- 
quait aux  plus  grands  criminels,  et  que,  (mur  montrer,  par  exemple,  toute  son  horreur  pour 
l'attentat  de  Damiens,  il  ne  manquait  pas  de  dire  que  c’était  un  plagiaire. 

Dans  le  monde,  Rouelle  était  le  véritable  type  du  savant,  absorbé  dans  ses  rêveries  et 
dédaigneux  des  lois  de  la  bienséance.  Il  axait  tellement  l'habitude,  dit  Orimm , de  s’aliéner  la 
tête,  que  les  objets  extérieurs  n’exislaieut  pas  pour  lui.  Il  se  démenait  comme  uu  énerguméno, 
il  se  renversait  sur  sa  chaise,  se  cognait,  donnait  des  coups  de  pied  à son  voisin,  lui  déchirait 
ses  manchettes , sans  en  rien  savoir.  I n jour,  se  trouvunl  dans  un  cercle  où  il  y avait  plusieurs 
dames,  et  parlant  avec  sa  vivacité  ordinaire,  il  défait  sa  jarretière,  tin-  son  lais  sur  son  soulier, 
se  gratte  1a  jambe  avec  les  deux  mains  , remet  ensuite  son  bas  et  sa  jarretière,  et  continue  sa 
conversation  sans  avoir  le  moindre  soupçon  de  ce  qu'il  venait  de  faire.  Dans  ses  cours,  il 
avait  ordinairement  son  frère  et  son  neveu,  pour  l’aider  à faire  les  expériences;  mais,  ces 
aides  ne  se  trouvant  pas  toujours  prés  de  lui , Rouelle  s'écriait  : A errti , éternel  neeeu  ! et 
l’étemel  neveu  ne  venant  point , il  s'en  allait  lui-même  dans  les  arrière-pièces  de  son  labo- 
ratoire chercher  les  vases  dont  il  avait  besoin.  Rendant  celte  opération,  il  coidiuuait  sa  leçon, 
comme  s'il  était  en  présence  de  ses  auditeurs.  A son  retour,  il  avait  ordinairement  achevé  la 
démonstration  commencée,  et  rentrait  en  disant  ; Oui , Messieurs  !...  Alors  on  le  priait  de 
recommencer,  ce  qu'il  faisait  volontiers , croyant  seulement  avoir  été  mal  compris. 

Bien  qu'il  sût  manier  les  appareils  avec  une  grande  habileté,  et  les  modifier  selon  le  besoin 
des  expériences  et  des  démonstrations,  sa  pétulance  et  le  tremblement  habituel  de  ses  mains 
l'exposaient  à mille  accidents  auxquels  il  échappa  souvent  comme  par  miracle.  Au  commen- 
cement de  son  cours  du  Jardin  du  Roi,  il  avait  coutume  d'employer  plusieurs  leçons  à décrire 
minutieusement  le  moyen  de  percer  les  ballons  de  verre  pour  y pratiquer  des  tubulures  et  à 
exécuter  lui-même,  en  présence  des  auditeurs,  cette  opération  qu'il  regardait  comme  très- 
importante.  Tout  en  déclamant  contre  la  maladresse  et  l'étourderie  do  ceux  qui  cassaient  les 
ballons,  faute  de  connaître  son  procédé,  il  ne  manquait  pas  d'en  briser  plusieurs  des  plus 
beaux  ; mais  il  ne  se  décourageait  point  Pt  recommençait  jusqu’à  ce  qu’il  eût  réussi. 

On  conçoit  qu'ayant  l’esprit  toujours  tendu  sur  l’objet  de  ses  recherches.  Rouelle  restât 
complètement  étranger  à certaines  idées  tout  à fait  en  dehors  de  sa  sphèro  habituelle.  Aussi 
apportait-il  dans  le  monde  et  dans  la  conversation,  avec  ses  formes  étranges,  une  bonhomie 
naïve  qui  lui  donnait  quelques  traits  de  ressemblance  avec  Jean  Lafontaine.  Hors  de  son 
laboratoire,  et  dés  qu'il  perdait  de  vue  ses  appareils,  il  semblait  ne  plus  rien  comprendre  au 
monde  et  à la  société,  l.n  jour,  cher  M.  de  Buffon,  on  parlait  des  mouvements  instinctifs 
dont  on  n'est  pas  maître.  — a Par  exemple,  disait  le  cardinal  de  Bemis,  il  m'est  impossible 
n d’entrer  dans  une  église  sans  courber  la  tète.  — Il  y n en  effet,  reprit  Rouelle,  certains 
« mouvements  naturels  et  machinaux  dont  il  n’est  pas  facile  de  se  rendre  compte.  Pourquoi, 
« par  exemple,  les  ânes  et  les  canards  baissent-ils  toujours  la  tête  quand  ils  pi  ss  nt  sous  des 
o arcades  ou  des  portes  cochères?  » — Et,  comme  on  le  regardait  en  souriant  ; — n Oui, 
n Messieurs,  ajouta-t-il,  j'ai  fait  cette  expérience,  moi;  j'ai  fait  passer  des  ânes  et  des  canards 
u sous  la  porte  Saint-Antoine,  et  même  sous  la  porte  Saint-Denis,  qui  est  bien  autrement 
n haute.  Eh  bien!  Messieurs,  vous  me  croirez  si  vous  voulez,  mais  je  vous  donne  ma  parole 
« d'honneur  que  je  n’en  sais  pas  plus  que  vous  à ce  sujet.  » — n Monsieur  Rouelle,  répliqua 
« M.  de  Bernis.  voilà  une  idée  qu'on  ne  vous  volera  point;  le  public  ne  manquerait  pas  de 


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HISTOIRE.-  1739-  1771.  31 

n lapider  lu  plagiaire.  » — Ne  croirail-nn  pas  entendre  le  fabuliste  demander  à un  docteur 
de  Sorbonne  si  saiut  Augustin  avait  autant  d'esprit  que  Ratielais,  et  le  douleur  lui  répondre  : 
ii  Prenez  garde,  Monsieur  de  Lafontaine,  vous  avez  mis  un  de  vos  bas  à l’envers;  n ce  qui 
d’ailleurs  était  vrai. 

Quoiqu'il  n'eût  jamais  pu  s'assujettir  aux  formes  banales  de  la  politesse  et  aux  usages  du 
monde.  Rouelle  n’en  était  pas  moins  défenseur  ardent  et  religieux  des  lois,  des  institutions 
et  de  tout  ce  qu’il  crevait  digne  de  ses  respects.  Il  portait  l’amour  de  la  patrie  jusqu'au  fana- 
tisme. Les  grands  événements  politiques  et  militaires  le  préoccupaient  au  point  de  balancer 
dans  son  esprit  l'intérêt  qu'il  prenait  aux  progrès  des  sciences  et  qu’il  trouvait  parfois  l’occa- 
sion d'en  entretenir  ses  auditeurs  au  milieu  même  de  ses  leçons.  C’est  ainsi  que,  pendant  la 
guerre  qui,  en  1756,  venait  d’éclater  avec  l'Angleterre,  il  voulait  aller  commander  les  bateaux 
plats,  et  assurait  avec  confiance  « qu'il  possédait  un  arcane  à l'aide  duquel  il  se  flattait  de 
o brûler  Londres  et  d’incendier  sous  l’eau  toute  la  flotte  anglaise.  » Crimm  raconte  que  le 
lendemain  du  jour  oü  parvint  la  nouvelle  de  la  défaite  de  ltosbacli  (1757),  il  le  rencontra  tout 
écloppé  et  marchant  avec  peine.  — n Eh  ! mon  Dieu,  Monsieur  Rouelle,  lui  dit-il,  que  vous 
« est-il  donc  arrivé?  » — «Je  suis  moulu,  répondit  le  chimiste,  toute  la  cavalerie  prussienne 
n m'a  marché  celte  nuit  sur  le  corps.  » Le  même  jour  il  se  trouvait  au  Jardin  du  Roi,  et  1a 
conversation  ayant  roulé  sur  le  même  sujet,  il  ne  manqua  pas  de  traiter  le  prince  de  Soubise 
d'ignare,  d’esprit  obtus,  de  criminel,  et  enfin  de  plagiaire.  « Mais,  lui  dit  M.  de  Ruffou,  ce 
a n’est  point  un  plagiat  que  de  s’être  laissé  battre  par  les  Prussiens,  c’est  au  contraire  une 
n invention  toute  nouvelle  de  M.  de  Soubise.  n — « Ne  le  défendez  pas,  s’écria  Rouelle, 
n c'est  un  animal  infime,  un  mulet  cornu,  un  double  cochon  borgne!  Je  suis  sûr  qu’il  a 
« quelque  chose  de  vicié  dans  la  conformation.  » 

Quelque  grave  et  consciencieux  que  fût  habituellement  M.  de  Ruffon,  il  s’avisa  pourtant  de 
faire  un  jour  à Rouelle  une  assez  piquante  espièglerie.  C'était  d’ailleurs  une  mystification 
toute  scientifique.  Il  écrivit  une  sorte  de  dissertation  sur  l’organisation  présumable  des  jeunes 
rentaures,  et  il  l’adressa  par  la  poste  au  savant  chimiste.  Rouelle  ne  manqua  pas  de  se  ré- 
crier, et,  le  jour  même,  il  disait  à tout  le  monde  qu’il  n'y  avait  pas,  dans  cet  essai,  une  seule 
observation  qui  n’eût  été  pillée  effrontément  dans  ses  leçons  et  dans  ses  écrits. 

Rouelle  était  d'une  taille  moyenne,  scs  traits  étaient  assez  réguliers  et  sa  physionomie 
remarquable  par  la  vivacité  et  l'expression.  Son  caractère  était  naturellement  doux , affec- 
tueux, serviable;  mais,  à la  moindre  contradiction,  il  s'irritait  et  sa  brusquerie  allait  parfois 
jusqu’à  la  violence.  La  simplicité  de  ses  moeurs,  l'inflexibilité  de  sa  vertu,  son  désintéresse- 
ment surtout  ne  se  démentirent  dans  aucune  circonstance.  Il  n’accepta  jamais  des  fonctions 
qu’il  se  croyait  incapable  de  remplir.  Plusieurs  années  avant  sa  mort,  il  avait  résigné  celles 
qu'il  ne  pouvait  convenablement  exercer.  Étant  sur  le  point  de  livrer  à l'impression  son  cours 
do  chimie,  un  libraire  de  Londres  vint  lui  en  offrir  cinq  cents  louis  de  plus  que  les  libraires 
de  Paris;  Rouelle  refusa  par  patriotisme,  et  ce  cours  ne  fut  jamais  imprimé. 

l ue  telle  austérité  do  principes  n’expliquerait-elle  pas  jusqu’à  certain  point  celle  brusquerlo 
de  tempérament  et  cette  haine, contre  les  plagiaires;  sorte  de  monomanie  assez  semblable  à 
celle  de  Jean-Jacques,  qui  ne  voyait  dans  tons  les  hommes  que  des  traîtres  et  des  ennemis 
personnels?  Jean-Jacques  Rousseau  ne  doutait  pas  que  Louis  XV  et  le  duc  de  Choiseul  n’eus- 
sent agi  à l’instigation  de  Voltaire  en  s’emparant  de  l’Ilc  de  Corse,  précisément  tandis  qu’il 
était  à rédiger  pour  cette  lie  un  projet  de  constitution,  et  qu’on  en  eût  fait  la  conquête,  uni- 
quement pour  lui  ûter  la  gloire  d’en  être  le  législateur. 

Rouelle  était  membre  de  l'Académie  royale  de  Stockholm,  de  celle  d'Erfurt  et  associé  de 
l'Académie  des  sciences.  Eu  1753,  il  fut  chargé  par  le  ministre  de  la  guerre  d'examiner  un 
nouveau  procédé  pour  la  fabrication  et  le  raffinage  du  salpêtre.  L'année  suivante,  le  ministre 
des  finances  lui  confia  un  travail  sur  l’essai  des  monnaies  d’or.  Il  se  livra  à ces  recherches 
avec  une  ardeur  qui  ulléra  profondément  sa  santé.  Dès  l’anpée  1788,  sentant  scs  forces  s'al- 


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32  PREMIÈRE  PARTIE. 

faiblir,  il  s'était  demis,  en  faveur  de  son  frère,  de  la  chaire  île  chimie  au  Jardin  du  Roi.  Depuis 
lors,  il  traîna  une  vie  languissante  et  douloureuse,  il  perdit  l'usage  de  ses  jambes,  et,  trans- 
porté à Passy,  il  y mourut  en  1770,  à l'Age  de  soixante-sept  ans. 

Quel  que  fût  l’éclat  <]ue  l'ouvrage  de  lluffou  et  de  Dauheulon  venait  de  répandre  sur  l’his- 
toire naturelle,  cl  en  particulier  sur  la  zoologie,  la  célébrité  ipte  le  Jardin  du  Roi  recevait  des 
cours  si  suivis  de  llunauld , de  AVinslow  et  de  Rouelle  n’en  devait  pas  souffrir.  Igi  botanique 
y était  toujours  représentée  par  les  deux  hommes  vénérables  qui  avaient  tant  fait  pour  elle,  et 
qui  préparaient  avec  patience  h l’étude  du  règne  végétal  un  avenir  plus  brillant  encore. 
Antoine  de  Jussieu  mourut  eu  1738,  après  avoir  professé  pendant  quarante-neuf  ans.  Sa 
longue  pratique  médicale  lui  avait  acquis  une  assez  Mie  fortune,  ce  qui  lui  permettait  île 
faire  de  grands  sacrifices  en  faveur  de  la  science.  .Nous  avons  vu  que,  sous  l’administration 
regrettable  de  Chirac  et  de  Chicoisueau,  il  s’élail  vu  obligé  plus  d’uno  fois  d'acheter  de  sa 
bourse  des  graines , des  instruments  de  culture  et  même  ITes  engrais  ; plus  tard , il  envoya , à 
ses  frais,  des  jeunes  gens  dans  différentes  parties  de  la  France,  pour  recueillir  des  plaides 
qu'il  voulait  acclimater  à Paris.  Enfin , son  herbier  et  sa  bibliothèque  offrirent  souvent  aux 
étudiants  des  ressources  que  rétablissement  ne  possédait  pas  encore.  Il  avait  dirigé  vers  la 
médecine  et  vers  la  botanique  les  études  du  plus  jeune  de  ses  frères,  Joseph  de  Jussieu,  qu'il 
lit  adjoindre  aux  académiciens  chargés,  eu  1735,  d'aller  au  Pérou  pour  mesurer  un  arc  du 
méridien.  Ce  frère,  passionné  pour  les  voyages,  et  très-versé  dans  les  mathématiques,  par- 
courut plusieurs  parties  de  l'  Amérique  du  Sud  ; il  observa  le  premier  la  culture  des  quinquinas, 
et  adressa  plusieurs  fois  au  Jardin  des  végétaux  jusqu’alors  inconnus.  C'est  à lui  entre  autres 
que  l'on  doit  l'héliotrope  odorant,  originaire  du  Pérou,  si  recherché  pour  l’arome  de  ses 
fleurs,  il  visitait  les  Cordillières  des  Indes  lorsqu'il  fut  nommé,  en  1743,  membre  de  l’Aca- 
démie des  Sciences. 

I,a  chaire  d’Antoine  île  Jussieu  fut  donnée  à Lemonnier,  déjà  associé  de  l'Académie,  et 
pins  tard  médecin  du  roi.  Lemminier  appartenait  à une  famille  toute  académique;  son  père, 
géomètre  et  physicien  distingué,  avait  fait  partie  de  !' Académie  des  Sciences,  ainsi  que  son 
frère,  Charles,  célèbre  astronome,  qui  figura  dans  cette  compagnie  pendant  plus  d’un  demi- 
«iècle.  ils  y siégèrent  même  tous  trois  ensemble  pendant  quatorze  nus.  Lemonnier  (Louis- 
Guillaume),  le  botauistc,  s’élail  d'abord  occupé  de  physique;  il  avait  rédigé  Ire  articles 
aimant  et  électricité  de  la  première  encyclopédie;  il  fit  le  premier  cette  observation  précieuse, 
que  la  commotion  électrique  peut  se  propager  instantanément  à plus  d'une  lieue  sans  s’affai- 
blir, phénomène  dont  la  télégraphie  a fait  île  nos  jours  une  si  merveilleuse  application.  Il 
étudia  aussi  la  médecine,  et  enfin  diverses  parties  du  l'histoire  naturelle.  C’est  comme  natura- 
liste, qu’en  1739 , il  accompagna  Cassiui  et  Lacnille,  envoyés  dans  le  .Midi  de  la  France  pour 
y prolonger  la  méridienne  de  l'Observatoire  de  Paris.  Il  recueillit  dans  ce  voyage  de  nombreuses 
observations  sur  la  botanique,  sur  les  mines,  les  carrières  et  les  eaux  minérales.  Au  moment 
de  la  mort  d’Antoine  de  Jussieu,  il  était  absent,  comme  médecin  des  armées,  et  sa  nomination 
lui  parvint  pendant  le  cours  de  la  campagne  de  Hanovre.  A son  retour,  il  voulut  céder  cette 
place  à Bernard  de  Jussieu,  son  maître  vénéré , mais  celui-ci  refusa. 

Lemonnier,  encore  jeune , avait  été  nommé  médecin  de  l’infirmerie  de  Saint-fiormain-en- 
Layo,  et  allait  souvent  visiter  un  jardinier-fleuriste , nommé  Antoine  Richard , qui  le  pria  do 
disposer  les  plantes  de  son  jardin  suivant  le  système  de  Linné.  Le  duc  d'Ayen,  depuis  maréchal 
de  Noailles , grand  amateur  d’horticulture , l’y  rencontra , le  prit  en  amitié , et , sous  les  inspi- 
rations de  Lemonnier,  sou  vaste  parc  ne  tarda  pas  à se  couvrir  des  plus  beaux  arbres , qu’il 
parvint  à se  procurer  de  toutes  parts.  Louis  XV  ayant  visité  et  admiré  ce  jardin , désira  eu 
établir  un  semblable  à Trianon,  et  voulut  connaître  le  botaniste  qui  en  avait  dirigé  les  planta- 
tions. Le  duc  d'Ayen , saisissant  cette  occasion  de  servir  son  jeune  ami , courut  le  chercher, 
et , sans  le  prévenir,  le  conduisit  devant  le  roi.  Lemonnier  montra  une  telle  émotion , en  se 
trouvant  en  présence  du  monarque,  que  le  roi  en  fut  touché,  et  lui  donna  de»  marques  d’une 


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HISTOIRE.  - 1739-  1771. 


33 


affection  qui  se  changea  liienlAt  en  une  véiilable  fureur.  Il  Ici  nomma  son  botaniste , puis 
médecin  îles  armées,  et  colin  professeur  île  botanique  au  Jariliu,  A la  place  il' Antoine  île 
Jussieu. 


Lemonnier  ne  profita  île  son  créilit  qu’en  faveur  de  la  science.  Son  premier  mouvement  fut 
do  désigner  Bernard  de  Jussieu  pour  directeur  des  cultures  au  Jardin  de  Trianon,  et  de  placer 
sous  ses  ordres,  comme  jardinier  en  chef,  Antoine  Richard.  Il  fournil  ainsi  A l'illustre  bota- 
niste l’occasion  de  faire  une  première  application  dé  la  méthode  naturelle,  événement  presque 
inaperçu  d’abord,  mais  qui,  plus  tard,  changea  la  marche  de  la  science,  et  replaça  In  France 
au  rang  dont  les  travaux  de  l.inné  l'avaient  fait  déchoir.  Lemonnier  se  lit  suppléer  dans  ses 
cours  par  Antoine-Laurent  de  Jussieu , neveu  de  Bernard , encore  bien  jeune  à celte  époque, 
mais  dont  il  sut  pressentir  les  hautes  destinées.  Il  décida  le  ministre  à envoyer  Simon  et 
Michaux  en  Perse,  pour  y faire  des  recherches  relatives  à la  botanique.  Quelques  années 
après,  Antoine  Richard  fils  parcourut  les  côtes,  les  Iles  do  In  Méditerranée,  et  alla,  avec 
Aublet,  visiter  Cayenne.  Piraut  fut  envoyé  sur  les  bords  de  l’Euphrate,  Poivre  aux  Indes  et  à la 
Chine,  Desfontaines  parcourut  l'Atlas  et  Lahillardière  visita  le  Liban.  Lemonnier  lui-mème, 
explora  plusieurs  parties  de  la  France  & diverses  époques.  En  1745,  il  avait  herborisé  avec 
Linné , Antoine  et  Bernard  de  Jussieu.  Trente  ans  plus  tard,  il  eut  le  bonheur  de  faire  quelques 
herborisations  avec  Jean-Jacques  Rousseau. 

Lemonnier  avait  amené  Louis  XV  à prendre  un  intérêt  réel  A l'étude  des  plantes.  On  créa  è 
Auteuil  et  à Marlv  des  jardins  botaniques,  qui  furent  comme  des  succursales  de  celui  de 
Trianon.  Lo  Roi  les  visitait  souvent  et,  plus  d'une  fois,  Linné  et  Haller  reçurent  des  graines 
recueillies  de  la  main  du  monarque.  Linné  en  témoigna  sa  reconnaissance,  eu  donnant  le  nom 
do  ludtrigia  à une  plante  de  la  famille  des  Onagracées,  comme  il  dédia  au  duc  d’Ayen  une 
Malvacée  ( Ayenin ).  Aublet  dédia  A Lemonnier  lo  genre  JUunneria,  de  la  famille  des  Hutacées. 

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PIIKMIÈRE  PU1TIF.. 

Claudo  Richard  fut  place  à la  tête  du  Jardin  d’Auteuil.  C'est  là  que  naquit  le  célèbre  bota- 
niste Louis-Claude  Richard,  son  fils,  professeur  à la  Faculté  de  Médecine  et  membre  de 
l’Académie  des  Sciences.  Celui-ci  donna  le  jour  à Achille  Richard,  aussi  professeur  à la  Faculté 
et  membre  de  l’Académie,  mort  tout  récemment  : perte  cruelle , dont  la  science  ne  s’est  con- 
solée qu’en  appelant  le  docteur  Montagne  à siéger  à la  place  laissée  vacante  si  prématurément. 

Lemonnier  a puissamment  contribué  à l’acclimation , en  France,  des  beaux  arbres  et  des 
belles  fiours.  Il  les  répandit  non-seulement  dans  les  jardins  «le  Saint-Germain,  de  Trianon,  de 
Rellevue , d'Auleuil  et  de  Paris , mais  il  les  distribuait  aux  amateurs , et  chercha  à en  peupler 
nos  champs  et  nos  furéts.  Il  fit  planter  des  cèdres  «lu  Liban  dans  le  Roussillon,  des  pins  de 
Wevinouth  à Fontainebleau,  des  pins  maritimes  et  des  pins  du  Nord  dans  les  environs  de 
Rouen  et  du  Mans.  Il  pmposa  aussi  «le  planter  des  pins  de  Riga , si  précieux  pour  la  marine 
et  qui  réussirai«*nt  très-bien  dans  certaines  localités.  Quant  aux  fl»*urs  et  aux  arbres  d’orne- 
ment, c’est  à lui  que  l'on  doit  la  belle  «le  nuit  à longues  fiours,  l’acacia  à fleurs  roses, 
l’amandier  à f«*uilles  satinées;  il  a multiplié  les  kahnias,  les  rhodo«!endmns  et  les  beaux  arbustes 
«le  l’Amérique  septentrionale.  C’est  lui  qui  a introduit  l'usage  du  terreau  de  bruyère,  si  utile 
p«>ur  la  culture  des  plantes  du  Cap  et  «le  l'Amérique. 

L«*monni«*r  poursuivit  pendant  de  longues  années  sa  carrière  d<*  savant , p«*u  empressé  <!«• 
tirer  parti  «le  la  faveur  «|u’il  avait  acquise  «*t  fort  étranger  aux  intrigues  qui  l’environnaient 
Médis'in  aussi  charitable  que  «lésintéressé , dès  «ju’il  habita  In  c«>ur,  il  ne  re«;ut  plus  d’Iiono- 
raires  pour  sa  pratique  civile.  A la  mort  «h1  Lassone,  en  17HN,  il  fut  nommé  premier  médecin 
«le  L«>uis  XVI,  i*i  fil  preuve  «l*‘  courage,  comme  de  «lévouemenl à son  souverain,  «*u  continuant 
de  le  visiter  dans  sa  prison  jusqu’au  moment  fatal.  La  bonté  affectueuse,  la  dignité  modestie 
«jui  éclataient  sur  sa  physionornù*,  commandaient  le  aspect  et  lui  sauvèrent  la  vie,  nu  10  août 
1792.  Il  habitait  alors  le  château,  et,  malgré  son  grain!  Age,  il  cnit  devoir,  dans  colto  journée, 
concourir  à la  «léfenso  de  ceux  qu’il  servait.  Lorsque  le  peuple  se  fut  reudu  maître  «le  la  place, 
il  se  relira  dans  la  chambre  «pi’il  occupait  ntl  pavillon  de  Flore.  La  porto  est  forc«*e,  la  multitude 
l’entoure,  le  menace,  et,  il  se  préparait  à la  mort,  lorsqu’un  inconnu  l'apostrophe  rudement 
et  lui  onlonne  de  le  suivre.  On  l’entraîne  à travers  les  morts,  les  blessés  et  le  f**u  dos  combat- 
tants; son  conducteur  et  lui  traversent  sains  et  saufs  le  pont  Royal , et  parviennent  jusqu'au 
Luxembourg.  Pendant  la  route,  son  gui«Ie  lui  avoue  «jue,  chargé  «l’une  partie  «le  l’attaque,  il 
avait  été  frappé  de  son  air  vénérablo , et  «pie  le  respect  qu’il  lui  avait  inspiré  l’avait  décidé  à 
sauver  ses  jours. 

Les  événements  de  l'époque  enlevèrent  à Lemonnier  toute  sa  fortune , qui  n’était  pas  consi- 
«lérable,  car  son  désintéressement,  comme  son  zèle  pour  la  scien«?«,  ne  lui  avaient  pas  permis 
«le  faire  beaucoup  d’économies.  Sa  bihliolliè«jue  seule  avait  «juelque  valeur,  mais  il  ne  put  se 
résoudre  à s’en  séparer.  Pour  subvenir  à son  existence  et  pour  continuer  à être  utile,  le 
savant  vieil  la  ni  se  décida  à s'établir  dans  une  petite  boutique  d’herboriste,  où  il  vécut  pendant 
plusieurs  anmVs,  mêlant  à son  débit  de  plantes  médicinales  d’excellents  conseils  sur  leur  emploi 
«lans  les  maladies,  luttant  sans  démuragement  contre  l’adversité  et  contre  le  chagrin  «le  voir 
tomber  sous  la  violence  des  factions  ses  protecteurs,  ses  amis,  et  ces  I>eaux  arbres  qu’il  avait 
plantés,  l'ne  «le  ses  nièces,  encore  très-jeune,  se  décida  à l’épouser  déjà  octogénaire,  et  lui 
prodigua  les  plus  tendres  soins  justju’à  la  mort,  qui  l’atteignit  eu  1799,  à l’âge  de  quatre- 
vingt-deux  ans. 

L’enseignement  «le  l’anatomie  au  Jardin  «lu  Roi,  avait  fait  également  des  perles  importantes 
pendant  les  dix  premières  années  de  l'administration  de  RufTon.  Iluiiauld  était  mort  en  1712, 
la  même  aurns!  que  Boulduc.  Sa  place  fut  donnée  aussitôt  à Winslow,  qui  avait  longtemps 
suppléé  Duvcrney  et  vainement  esp«*ré  sa  survivance.  Winslow  était  neveu  «lu  célèbre  anato- 
miste Sténon,  de  Florence;  il  avait  publié  plusieurs  ouvrages  et  appartenait  «lepuis  longtemps 
à l’Académie.  Rien  qu’il  fût  alors  âgé  de  soixante-treize  ans,  celte  circonstance  ranima  son 
ardeur  scientifique;  il  reparut  avec  honneur  dans  la  chair*.*  professorale,  qu'il  occupa  encore 


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U U v u i £•  il  c ninriü 


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HISTOIRE.  — 1 739-  1771. 


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pendant  huit  années,  et  montra  qu’il  n’avait  rien  perdu  de  son  zèle  ni  de  ses  talents.  Winslnw 
était  un  observateur  ingénieux,  précis,  méthodique;  on  peut  le  regarder  comme  le  vrai  créateur 
de  l’anatomie  descriptive.  Il  ne  mourut  qu’en  1760,  âgé  de  quatre-vingt-douze  dns. 

Lorsqu’il  sentit  qu’il  ne  pouvait  plus  remplir  ses  fonctions  avec  la  même  exactitude , il 
demanda  un  successeur.  On  désigna  pour  cet  emploi  Antoine  Ferrein,  qui  en  prit  possession 
en  1758.  Ferrein,  né  à Frespesch  en  A génois,  avait  été  suppléant  d’Astruc,  à la  Faculté  de 
Montpellier.  Mécontent  d’un  passe-droit,  dont  il  avait  été  victime,  il  était  venu  à Paris,  où, 
en  peu  d’années , il  devint  médecin  en  chef  des  hôpitaux  militaires , professeur  au  Collège  do 
France  et  membre  de  l’Académie.  Il  avait  soixante-cinq  ans  lorsqu’il  fut  appelé  à remplacer 
Winslow  au  Jardin  du  Roi.  Il  ne  professa  pas  moins  avec  distinction  et  forma  d’illustres  élèves, 
qui  figurèrent  parmi  lis  meilleurs  anatomistes  du  dernier  siècle.  Il  mourut  en  1769.  Sur  la  (in 
de  sa  vie,  il  fut  suppléé  par  Portai , alors  fort  jeune.  Sa  chaire  fut  donnée  à Antoine  Petit. 

Duverney  neveu  (Jean-François-Marie),  mourut  en  1749,  et  fut  remplacé  par  Mertrud , 
chirurgien  distingué.  Duverney  avait  été  le  premier  démonstrateur  titulaire  d’anatomie,  et 
avait  publié  une  miographie  complète.  C’était  un  homme  modeste,  instruit,  fort  apprécié  pour 
ses  qualités  personnelles.  Daubenton  s'honorait  d’avoir  été  son  élève  et  le  citait  toujours  avec 
estime  et  vénération. 

C/pst  alors  que  surgit  une  série  de  jeunes  et  brillants  professeurs  qui,  forts  des  succès  déjà 
acquis  à renseignement  du  Jardin  du  Roi,  excités  surtout  par  l’exemple  du  chef  de  cette  grande 
école,  tentèrent  d’heureux  efforts  pour  se  montrer  dignes  de  leur  mission  et  surent  glorieu- 
sement l’accomplir.  Leur  célébrité,  toutefois,  ne  prit  son  essor  que  dans  la  période  consécutive 
A celle  dont  nous  nous  occupons.  Les  vingt  années  qui  nous  en  séparent  encore  sont  d’ail- 
leurs suffisamment  remplies  par  les  travaux  de  Ruffon,  de  Daubenton,  et  par  ceux  de  quelques 
naturalistes  chargés  d’aller  recueillir  sur  divers  points  du  globe  de  nouvelles  richesses,  comme 
d’v  propager,  avec  la  renommée  de  nos  savants,  les  récentes  et  rapides  conquêtes  de  la 
science. 

Aussitôt  que  l’apparition  des  trois  premiers  volumes  do  Y Histoire  naturelle  eut  révélé  au 
monde  savant  toute  la  portée  de  cette  grande  entreprise  et  le  savoir  comme  le  talent  des  deux 
auteurs,  RufTon  fit  un  appel  à tous  les  naturalistes  de  l’Europe,  pour  en  obtenir  des  objets 
destinés  à enrichir  le  cabinet  du  roi.  Cet  appel  fut  entendu  par  tous  ceux  qui  comprirent  dès 
l'abord  tout  l’avenir  que  ce  travail  préparait  à l’histoire  naturelle,  et  qui  désiraient  y concourir 
de  quelque  manière.  Le  local  devint  bientôt  trop  étroit  pour  recevoir  toutes  ces  richesses  ; 
Ruffon  se  décida  alors  à quitter  son  logement  de  l’intendance  pour  le  consacrer  à de  nouvelles 
galeries.  Le  cabinet  s’augmenta  en  conséquence  de  quatre  grandes  salles  contiguës  et  bien 
éclairées;  les  deux  premières  reçurent  les  animaux  empaillés,  la  troisième  les  minéraux,  et 
la  quatrième  l’herbier,  les  bois  et  autres  objets  du  règne  végétal.  Ces  salles  furent  ouvertes 
au  public  deux  fois  par  semaine,  et  confiées  à la  garde  de  Daubenton,  qui  se  fit  adjoiudre 
son  cousin,  connu  sous  lo  nom  de  Daubenton  le  Jeune;  celui-ci  prit  le  titre  de  sous- 
démonstrateur. 

Le  peintre  Auhriet  était  mort  en  1743.  On  sait  qu’il  avait  accompagné  Toumefort  dans  1- 
Levant.  Indépendamment  des  nombreux  vélins  dont  il  avait  enrichi  la  collection  du  Jardin,  il 
avait  fait  les  dessins  des  Éléments  de  Botanique,  du  corollaire  des  Institutions , de  Toumefort, 
et  ceux  du  Botanicon  parisiensis , de  Vaillant.  Auhriet , d’ailleurs  fort  bon  botaniste,  s’était 
attaché  surtout  à reproduire  les  détails  des  plantes  nouvelles  que , dans  ses  voyages , il  avait 
dessinées  sur  les  lieux.  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  se  fit  seconder  par  M,,c  Bassopnrtc, 
dont  le  talent,  malgré  tout  son  zèle,  ne  s’éleva  jamais  à la  hauteur  de  celui  du  maître  qu’elle 
était  appelée  à remplacer. 

Les  cultures  étaient  dirigées  par  Rertambnise , jardinier  habile,  formé  par  les  soins  de 
Bernard  de  Jussieu.  Rrrtambnise  étant  mort  en  1715,  fut  remplacé,  comme  jardinier  en  chef, 
par  Jean-André  Thouin , de  Stord , près  Elle-  \dam , le  chef  de  la  savante  famille  dont  le  nom 


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Î8  PREMIÈRE  PARTIE. 

reviendra  pins  d’une  fois  dons  ce  nicit , cl  A qui  la  science , l'asronomie  el  la  prospérité  du 
Muséum  doivent  «le  si  reconnaissants  souvenirs. 

lîuffon  et  Daubenton  avaient  travaillé  dix  ans  avant  «le  mettre  ail  jour  l«»s  trois  premiers 
volumes  «le  V Histoire  naturelle.  I n nouvel  intervalle  «l«*  ijnutro  ans  s’écoula  avant  l'apparition 
du  quatrième  volume;  mais,  h partir  «le  1753,  ils  publièrent  à peu  près  chaque  année  un 
nouveau  volume,  en  sorte  qu’en  1767,  il  en  avait  paru  «piinze.  Lo  plan,  les  théories  générales, 
la  peinture  des  ino*urs  des  animaux , le  tahleau  d«*s  grands  effets  «le  la  nature,  en  un  mot  tous 
les  morceaux  d’éclat  étaient  «le  la  main  «le  BulTon;  à Daubenton  appartenaient  toutes  les 
observations  «le  «létail  et  toul«*s  les  descriptions  anatomiques.  C’iHait  le  inaguilbpie  prodrome 
d’un  ouvrage  que  ni  l’un  ni  l’autre  ne  «levait  voir  terminé,  mais  «pii  formait  les  premières 
nssis<\s  «lu  plus  beau  monument  qui  eût  encore  été  élevé  À l'histoire  de  la  nature. 

La  renommée  de  Buffon  était  désormais  établie  sur  une  hase  inébranlable.  Ce  style  coloré 
ot  grandiose,  appliqué  a «les  objets  décrits  jusque-là  sans  clarté  et  sans  éloquence,  ces  grandes 
images,  ces  tableaux  si  éclatants  et  si  neufs , éveillèrent  et  saisirent  vivement  tous  les  esprits. 
La  langue  française,  avec  sa  pureté  et  sa  précision  scientifique,  l’ébnpience,  la  poésie  mémo 
venaient  «le  faire  invasion  dans  une  science,  pour  ainsi  «lire,  toute  nouvelle.  L’ouvrage  trouva 
de  nombreux  lecleurs,  et  lit  naître  do  tout«*s  parts  h*  goût  «le  l’histoire  naturelle.  Les  gens 
sérieux  y virent  une  source  d’étude  et  <rappli«'.alions  utiles , lo  désœuvrement  et  la  curiosité  y 
trouvèrent  une  distraction;  les  cabinets  se  multiplièrent ; les  gramis,  les  souverains  s’intéres- 
sèrenl  a la  science,  et  les  naturalistes  prirent  une  meilleure  place  dans  un  monde  jusque-là 
tout  à fait  étranger  à ces  merveilles  «ju’il  avait  sous  les  yeux , mais  qu’il  ignorait. 

La  collaboration  de  Daubenton  ne  se  borna  point  à ajouter  certains  détails  scientifiques  aux 
descriptions  brillantes,  aux  s«’*duisantes  théories  «le  Buffon;  celui-ci  reçut  plus  d’une  fois 
de  son  ami,  et  presque  à son  insu,  des  services  d’une  autre  nature.  BufTon,  ardent,  impérieux, 
d’une  coinplexion  vigoureuse,  voulait  plutôt  deviner  la  vérité  que  l’observer;  son  imagination 
lui  faisant  devancer  l’explication  réelle  «les  faits,  il  plaçait  souvent  lo  raisonnement  et  l’hy- 
pothèse avant  l’expérience.  Daubenton,  nu  contraire,  «l’un  tempérament  délicat,  «l’une  nature 
modeste,  plein  do  sagesse  et  do  mesure,  portait  dans  ses  travaux  une  exactitude,  une  circon- 
spection soutenue  et  «consciencieuse;  sa  patience  était  inépuisable  et  il  luttait  à la  fois  de 
toutes  les  forces  do  son  esprit  contre  l’imagination  de  Buffon  et  contre  la  sienne  propre. 
Buffon  avait  au  plus  haut  point  l'esprit  de  système;  il  voyait  surtout  les  faits  dans  leur 
ensemble  et  croyait  perdre  quelque  chose  «le  la  hauteur  «le  ses  vues  en  s’appliquant  à l’obser- 
vation des  détails.  On  sait  qu’ayant  montré  h Guyton  de  Morveau  un  minéral  «lont  il  ignorait 
la  nature,  et  le  chimiste  lui  ayant  proposé  «le  l’analyser  par  la  calcination  : ««  Le  meilleur 
creuset , s’écria  Buffon , c’est  lo  génie  ! »> 

Après  la  publication  des  quinze  premiers  volumes , Daubenton  cessa  d«*  prendre  part  aux 
suivants,  parce  que  Buffon  avait  permis  au  libraire  Punckoucke  «I«ï  faire  une  édition  «le  17/ w- 
toire  des  Quadrupèdes,  dont  on  avait  retranché  la  partie  descriptive  el  anatomique.  Daubenton 
s’en  était  assez  justement  offensé.  S«*s  descriptions  ajoutaient  un  grand  prix  scientifiquR  à 
l’ouvrage,  mais  elles  n’avaient  ce  mérite  qu'aux  yeux  des  savants  et  des  observateurs.  Buffon, 
«pii  aimait  à s’entendre  dire  que  l’ouvrage,  réduit  aux  parties  «ju’il  avait  seul  traitées,  en  aurait 
un  succès  plus  général , se  détermina  à ces  retranchements , «pii  le  réduisaient  presque  à 
n’offrir  qu’un  intérêt  purement  littéraire.  C’est  ce  dernier  point  de  vue,  poussé  jus«|u*à  l’exagé- 
ration dans  «les  éditions  ultérieures,  «jui  a fini  par  faire  disparaître  le  naturaliste  devant  l’aca- 
Uéniicien,  el  réduit  les  trente-six  volumes  in-4°  de  V Histoire  naturelle,  aux  proportions  d’un 
mince  volume  in- 18 , placé  parmi  les  modèles  classiques  «le  la  langue  française.  Les  regrets 
«les  hommes  «le  science  consolèrent  lé  modeste  Daubenton,  qui  n’en  resta  pas  moins  dévoué  à 
son  compatriote  et  à son  ami , «pi'il  regardait  aussi  comme  son  bienfaiteur. 

La  partie  de  ces  quinze  volumes,  qui  est  son  ouvrage,  comprend  la  description  extérieure 
et  intérieure  de  cent  quatre-vingt-deux  espèces  de  quadrupèdes,  dont  cinquante-huit  n’avaient 


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HISTOIRE.  — 1739-  1771.  37 

jamais  été  disséqués,  et  dont  treize  n'avaient  pas  même  été  décrits  extérieurement.  Elle  ren- 
ferme aussi  la  description  extérieure  seulement  de  vingt-six  espèces,  dont  cini|  n'étaient  pas 
connues.  On  ne  saurait  donner  trop  d'éloges  à ces  descriptions,  conçues  sur  mi  plan  uniforme 
et  présentées  avec  autant  de  clarté  ipie  de  précision.  On  les  regarde  comme  le  véritable  point 
de  départ  de  l'anatomie  comparée,  et  elles  sont  si  fécondes,  aux  yeux  des  observateurs,  en 
Conséquences  générales,  que  Camper  avait  dit  : « Daubenton  ne  sait  pas  toutes  les  découvertes 
o dont  il  est  l'auteur!  » 

L’intérêt  que  Buffon  prenait  à la  zoologie,  ne  lui  faisait  point  négliger  l'enseignement  de  lu 
botanique  et  les  soins  indispensables  à la  culture  des  plantes.  Lemonnier  professait  toujours 
avec  un  succès  remarquable.  Bernard  de  Jussieu,  trop  retenu  à Trianon,  exerçait  encore  au 
Jardin  une  grande  influence*.  « C'était,  dit  Cuvier,  le  plus  modeste  et  |>eiit-êlre  le  plus  profond 
botaniste  de  l’Europe,  » et  pourtant  ses  rivaux  se  nommaient  Linné,  Adanson,  Haller!  Bien- 
veillant, désintéressé,  passionné  pour  la  science,  il  aimait  ses  élèves  et  s'occupait  de  leur  sort 
presquo  autant  que  de  leur  instruction.  Nous  avons  dit  qu’il  avait  appelé  de  Lyon  son  neveu, 
Antoine  Laurent,  (ils  de  Christophe,  l’aîné  de  ses  frères.  Il  expliqua  à eu  neveu  ses  vues  sur 
les  rapports  naturels  des  plantes  et  sur  la  eoonlinalion  de  tous  les  êtres  qui  composaient  le  règne 
végétal.  Ce  système,  qu'il  ne  développa  jamais  par  écrit,  mais  dont  il  avait  fait  une  applica- 
tion silencieuse  à Trianon , était  le  couronnement  do  sa  vie  scientifique , comme  il  allait  servir 
d'introduction  à son  neveu  dans  la  même  carrière.  En  1769,  Bernard  de  Jussieu  était  le  seul 
survivant  des  professeurs  que  Buffon  avait  trouvés  au  Jardin  du  Roi,  quand  il  avait  |>ris  les  rênes 
de  son  administration.  l’eu  à peu  ses  forces  l’abandonnèrent,  il  devint  aveugle,  et  il  s'éteignit 
doucement  en  1 777 , chargé  d'années , moins  encore  que  de  gloire  et  de  vertus. 

Antoine-Laurent  de  Jussieu , présenté  par  Lemonnier,  à l’âge  de  vingt  et  un  ans , comme 
son  suppléant  à la  chaire  de  botanique,  fut  agréé  par  Buffon.  Encore  peu  exercé  au  professo- 
rat, il  lui  fallait  souvent  apprendre  la  veille  ce  qu’il  devait  enseigner  le  lendemain;  mais  le 
moment  n’était  pas  éloigné  où  il  devait  prendre  son  rang  dans  la  science  d’une  manière  écla- 
tante. Il  avait  vingt-deux  ans  quand  il  se  fit  recevoir  docteur  en  médecine;  trois  ans  plus  tard, 
il  présentait  à l’  Académie  des  Sciences  son  Mémoire  sur  les  Henonculacées,  disposées  en 
famille  naturelle.  Il  y établissait  d'une  manière  nette  et  positive  le  principe  de  la  valeur  relative 
et  de  la  subordination  des  organes  des  plantes.  Sa  vocation  était  décidée  ; il  allait  continuer 
dignement  et  rehausser  encore  la  célébrité  scientifique  du  nom  qu'il  portait. 

A.-L.  do  Jussieu  songeait  déjà  à introduire  dans  l’école  botanique  du  Jardin  du  Roi  la  distri- 
bution qup  son  oncle  avait  établie  avec  tant  do  succès  dans  le  Jardin  de  Trianon.  Dés  l'année 
1774,  il  entreprit  celle  réforme,  sur  laquelle  nous  aurons  occasion  de  revenir.  Le  jardinier  en 
chef,  Jean-André  Thouin,  était  mort  en  1764,  laissant  une  veuve  sans  fortune  et  chargée  de 
famille.  L'atuédc  scs  six  enfants,  André,  à peine  âgé  de  dix-sept  ans,  était  né  au  Jardin  en 
1747  ; la  culture  et  l'étude  des  plantes  avait  été  sa  première  et  presque  son  uniquo  occupation. 
Buffon,  qui  l’avait  vu  naître,  s’intéressa  à lui.  Lo  jeune  homme  était  intelligent,  laborieux, 
et  se  sentit  le  courage  de  remplacer  son  père.  Bernard  de  Jussieu  et  Richard  , le  jardinier  do 
Trianon,  obtinrent  en  sa  faveur  lo  consentement  du  Roi,  et  André  Thouin  ne  tarda  pas  à jus- 
tifier la  bonne  opinion  qu'il  avait  inspirée  à ses  protecteurs.  Nous  le  verrons  plus  lard,  homme 
de  théorie  comme  de  pratique,  devenir  membre  do  l’Académie,  professeur  au  Jardin  du  Roi, 
directeur  des  cultures,  et  rendre  à l'établissement,  comme  à la  science,  les  services  les  plus 
signalés. 

Mais  les  soins  de  Buffon  s’étendirent  encore  plus  loin.  Il  voulait  que  le  cabinet  et  le  Jardin 
du  Roi  devinssent  le  répertoire  le  plus  étendu , lo  plus  complet  des  productions  de  la  nature 
dans  les  trois  règnes,  et  il  obtint  du  Gouvernement  qu'un  certain  nombre  de  naturalistes  fus- 
sent envoyés  sur  les  points  les  plus  reculés  du  globe,  pour  v recueillir  tous  les  objets  d'histoire 
naturelle  destinés  à accroître  et  à compléter  ses  collections.  Ces  voyageurs  devaient  payer  en 
mémo  Ictnp  à la  s-'once  des  tributs  do  plus  d'une  nature  ; la  géographie,  l'histoire,  la  navi- 


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38  PREMIÈRE  PARTIE. 

Ration,  l'ethnographio,  l'archéologie  et  plusieurs  autres  branches  des  connaissances  humaines, 
leur  durent  on  effet  d'importants  et  rapides  progrès,  comme  cette  période  mémo  va  nous  en 
fournir  de  brillants  exemples. 


Parmi  ces  naturalistes  voyageurs,  il  en  est  qui  ne  furent  pas  revêtus  d’un  titre  officiel, 
mais  le  zèle  dont  ils  firent  preuve  pour  la  prospérité  de  l’établissement,  et  les  précieux  objets 
dont  ils  1'ciflrichirent , autorisent  A mêler  leurs  noms  A ceux  dont  l'histoire  du  Jardin  du  Roi 
aime  A s’enorgueillir.  De  ce  nombre  est  sans  contredit  Pierre  Poivre,  né  A Lyon  en  1710, 
«l’une  famille  de  négociants  estimés.  Elevé  par  les  missionnaires  de  Saint-Joseph,  Poivre 
manifesta  de  bonne  heure  son  goût  pour  les  voyages  et  son  aptitude  pour  les  sciences.  On 
l’envoya  A Paris  aux  Missions  étrangères,  qui  désiraient  se  l’attacher,  et,  tout  en  terminant  sa 
théologie,  il  se  livra  avec  ardeur  A l’étude  de  l'histoire  naturelle,  du  dessin  et  des  procédés  des 
arts.  Parti  à vingt  ans  pour  la  Chine  et  la  Cochinchine,  il  apprit  la  langue  du  pays  et  recueillit 
un  grand  nombre  d’observations  précieuses.  En  revenant  en  France,  son  vaisseau  fut  pris  par 
les  Anglais.  Il  eut  un  bras  emporté  dans  le  combat,  fut  fait  prisonnier  et  conduit  A batavia. 
On  l’envoya  ensuite  A Pondichéry,  où  il  se  trouva  lors  de  l’expédition  de  Madras,  et  passa 
quelque  temps  A l'Ile-de-France.  Il  s’embarqua  avec  La  bourdonnais  pour  revenir  en  Europe, 
mais  il  fut  pris  «le  nouveau  par  les  Anglais  sur  les  cèles  «h»  la  Manche,  conduit  A (îuemesey 
et  rendu  A sa  pairie  A la  paix  de  1745.  Malgré  ses  dangers  et  ses  souffrances.  Poivre  continua 
avec  une  admirable  activité  A observer  tout  ce  qui,  dans  les  contrées  qu’il  eut  occasion  de 
parcourir,  se  rapportait  A la  géographie,  A l'histoire  naturelle,  A l'administration  et  au  com- 
merce. A sou  retour,  il  présenta  ces  résultats  A la  Compagnie  des  Indes;  il  fit  comprendre  A 
ses  commissaires  l’importance  d’ouvrir  un  commerce  «liront  avec  la  Cochinchine,  ainsi  que 
l’opportunité  de  transporter  aux  Iles  «le  France  et  «le  bourbon  les  épiceries  cultivées  aux 
M»lu<pi<‘s.  On  le  chargea  «le  poursuivre  l'exécution  de  ce  proj«*t;  il  repartit  pour  la  Cochin- 
chine,  comme  ministre  «lu  Roi  de  Fronce,  et  oblint  l’établissement  «l’un  comptoir  français  à 


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HISTOIRE.  — 1739-  1771. 


39 


Fai-Fo.  Il  no  roussit  pas  aussi  bien  dans  le  second  projet  ; il  transporta  pourtant  quelques 
plants  d'épiceries  4 l'Ile-de-France , et  publia  tous  les  renseignements  qu’il  avait  recueillis 
relativement  à leur  culture.  Il  retourna  ensuite  à Madagascar,  Ile  encore  fort  mal  connue,  et 
y continua  ses  observations  & travers  mille  dangers.  En  repassant  en  Europe,  il  fut  pris  une 
troisième  fois  par  les  Anglais  et  conduit  en  Irlande;  mais,  traité  avec  égards,  il  ne  tarda  pas 
A être  rendu  à la  liberté.  La  Compagnie  des  Indes  était  alors  sur  le  point  de  so  dissoudre,  et 
l’on  fit  peu  d'attention  aux  résultats  qu'il  annonçait.  Poivre  se  retira  alors  à Lyon , où  il  resta 
plusieurs  années , pendant  lesquelles  il  s’occupa  d’agriculture  et  d’économie  politique.  Le 
ministre  Prasliu  l'arracba  à sa  retraite  et  le  contraignit,  en  qucbpie  sorte,  à accepter  les  fonc- 
tions d’intendant  des  colonies.  Avant  de  s'embarquer,  il  se  maria,  et  partit  en  1767,  comblé 
des  marques  do  faveur  du  Roi  et  revêtu  de  pouvoirs  très-étendus.  Poivre  administra  pendant 
six  ans  les  Iles  de  France  et  de  Bourbon,  dont  il  réussit  & réparer  les  désastres.  Il  s’y  montra 
le  modèle  des  administrateurs  : travaux  publics , établissements  de  charité , institutions 
d’agriculture,  expéditions  marilimes,  finances,  justice,  tout  fut  organisé  par  ses  soins.  Il  se 
trouva  souvent  dans  les  circonstances  les  plus  ilifliciles;  mais,  ferme,  actif,  désintéressé, 
juste  surtout  et  d'unu  humeur  inaltérable,  il  triompha  de  tous  les  obstacles.  Il  introduisit 
dans  ces  colonies  plusieurs  cultnres  précieuses  : celles  du  giroflier,  du  muscadier  et  beaucoup 
d'autres  qui  y réussirent  à souhait,  et  s'acclimatèrent  merveilleusement  11  dédia  la  belle 
plante  connue  sous  le  nom  de  Pétunia,  au  naturaliste  Pctun,  qui  l’avait  accompagné  dans 
l’une  de  ses  expéditions.  C’était  dons  l'intérêt  de  sa  patrie,  jamais  dans  le  sien  propre,  (pie 
Poivre  concevait  ses  plans,  qu'il  entreprenait  des  voyages  et  brnvuil  les  plus  grands  dangers. 
Il  eut  toujours  l’art  de  faire  tourner  au  profit  de  son  instruction  et  du  bien  général  les  vicissi- 
tudes de  sa  carrière  aventureuse  : vie  toute  de  dévouement , de  piété  sincère,  de  patriotisme, 
qu'on  ne  saurait  trop  offrir  en  exemple  et  louer  assez  dignement. 

Le  Jardin  du  Roi  s'enrichit  souvent  d’objets  curieux  que  Poivre  lui  lit  parvenir,  de  concert 
avec  son  ami  Oommerson , dont  nous  aurons  bientôt  à parler.  Il  ordonna  plusieurs  expédi- 
tions dans  un  but  scientifique.  Le  jardin  de  Mon-plaisir,  qu’il  avait  formé  à l'Ile-de-France, 
réunissait  toutes  les  richesses  végétales  de  l’Afrique  et  de  l’Inde.  Poivre  revint  en  Franco  en 
1773,  à peu  près  sans  fortune.  On  l'oublia  pendant  quelques  années,  mais  Iluffon  et  Turgot 
firent  valoir  ses  services,  cl  le  Roi  lui  accorda  une  [tension  de  douze  mille  livres.  Il  so  retira 
alors  à Lyon,  dans  une  campagne  qu'il  possédait  sur  les  bords  de  la  Saône,  et  où  il  mourut 
en  1786. 

L’n  autre  voyageur,  4 qui  los  sciences  naturelles,  lo  Jardin  du  Roi,  et  la  botanique  en  par- 
ticulier, furent  redevables  du  uonibrcux  et  importants  services,  est  Philibert  Oommerson , né 
en  1727,  à Obâtillon-lcs-Dombes.  Son  père  était  notaire  et  désirait  lui  voir  suivre  la  même 
carrière,  mais  l’élude  du  droit  étant  peu  d'accord  avec  ses  goûts,  il  alla  étudier  la  médecine 
à Montpellier,  où  il  fut  reçu  docteur  en  1747.  Il  se  livra  avec  ardeur  à l’élude  île  l’histoire 
naturelle,  mais  surtout  4 la  botanique,  et  commença  4 recueillir  un  herbier,  qui  devint  par 
la  suite  le  [dus  riche  peut-être  qu'un  seul  homme  ait  jamais  formé  lui-même.  Il  se  mit  en 
correspondance  avec  Linné,  qui  l'engagea  4 décrire,  pour  lu  Reine  de  Suivie,  les  poissons  de 
la  Méditerranée,  (lommerson  y trouva  l'occasion  d'écrire  un  Traité  presque  complet  d’ichtyo- 
logie. La  Reine  l'eu  remercia  elle-même,  ce  qui  fut  pour  le  jeune  naturaliste  un  encouragement 
d’un  grand  prix.  En  1755,  il  alla  herboriser  en  Suisse,  et  y fit  la  connaissance  du  savant 
Haller;  il  visita  aussi  l’Auvergne  et  le  Dauphiné.  Lalande,  son  compatriote,  l'ayant  engagé  4 
venir  4 Paris , Oommerson  fut  désigné , comme  naturaliste , pour  faire  le  voyage  autour  du 
monde,  dans  l'expédition  commandée  par  Bougainville.  Parti  en  1767,  il  visita  Montevideo,  Rio- 
Janciro,  Buenos- Ayres , où  il  séjourna  pendant  quelque  temps,  et  fit  une  riche  collection  de 
plantes;  puis,  il  alla  aux  fies  Malouinos  et  4 la  Terre  de  Feu,  où  il  observa  la  race  des  Pata- 
gons.  Il  parcourut  ensuite  les  côtes  de  la  Nouvelle-Bretagne,  les  Moluques,  l'ilo  de  Java, 
Batavia,  et  arriva  4 l’Ilo-do-France  on  1768.  Il  y trouva  Poivre,  alors  intendant  de  la  colouie, 


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41  PREMIÈRE  PARTIE. 

qui  l'y  retint  quelque  iemps.  C’est  «le  Madagascar  qu’il  écrivait  à Lalande  : ««  Quel  admirable 
h pays!  Il  mériterait  seul,  non  pas  un  observateur  ambulant , mais  îles  académies  entières. 
» C’est  à Madagascar  «pie  je  puis  annoncer  aux  naturalistes  qu’est  la  véritable  terre  de  pro- 
« mission  pour  eux;  c’est  là  que  la  nature  semble  s’ètre  retirée  comme  dans  un  sanctuaire 
« particulier,  pour  y travailler  sur  d’autres  modèles  que  ceux  auxquels  elle  s’est  asservie 
ii  ailleurs;  les  formes  les  plus  insolites,  les  plus  merveilleuses,  s’y  rencontrent  à chaque  pas. 
h Le  Dioscoride  du  \ord,  M.  Linné,  y trouverait  de  quoi  faire  encore  dix  éditions  de  son 
h Système  f/c  ta  Nature , et  finirait  peut-être  par  convenir  île  bonne  foi  que  l’on  n’a  encore 
ii  soulevé  qu’un  coin  du  voile  qui  la  couvre.  » 


CotfutiMOX  rk<»c*Ti  ni  Lmi  * t»  IWim  ut  Srlot 


A Bourbon , Commerson  décrivit  le  volcan  qui  est  situé  au  milieu  de  l’îlo  et  qui  se  trouvait 
alors  en  éruption.  Il  s’occupa  aussi  de  minéralogie  et  des  autres  branches  de  l’Iiistoire  natu- 
relle. C’est  lui  qui  a donné  le  nom  (Y Hortensia  à cette  belle  plante  originaire  de  la  Chine,  qui 
fait  aujourd’hui  l'ornement  de  nos  parterres,  l ue  jeune  bretonne,  qui  l’avait  suivi  en  qualité 
de  domestique,  habillée  en  homme,  le  secondait  avec  beaucoup  d’intelligence  dans  ses  her- 
borisations. C’est  la  première  femme  qui  ait  fait  le  tour  du  monde.  Commerson  mourut  à 
l’Ile-de-France,  en  1773.  Le  gouvernement  fit  venir  ses  papiers,  ses  dessins  et  ses  collections, 
pour  les  déposer  au  Jardin  «lu  Boi.  Quoiqu’il  n’eût  jamais  écrit  d’ouvmge  complet , sa  cor- 
respondance avait  révélé  en  lui  un  naturaliste  si  éminent,  que  l’Académie  des  Sciences  l’avait 
choisi  pour  l'un  «le  ses  membres,  «juoique  absent.  Malheureusement,  cette  nomination  avait 
lieu  huit  jours  après  sa  mort.  MM.  de  Jussieu  et  de  Lamarck  ont  tiré  de  ses  manuscrits  et  de 
son  herbier  plusieurs  genres  nouveaux.  Forster  et  Loureiro  lui  ont  dédié  chacun  un  genre, 
sous  le  nom  de  Commersonia, 

Mais,  voici  venir  le  plus  intrépide,  le  plus  brillant  des  voyageurs  de  cette  époque,  qui, 
sans  être  un  éminent  naturaliste,  ni  un  savant  de  premier  or«lre,  n’en  donna  pas  moins  la 
plus  vive  impulsion  aux  recherches  lointaines,  et  accrut  d’importantos  conquises  le  domaine 
des  sciences  naturelles.  Louis-Antoine  de  Bougainville  était  né  a Paris,  en  1729.  Après  avoir 


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HISTOIRE.  — 1739-  1771. 


Il 


lait  de  lionnes  éludes,  il  se  fil  recevoir  avocat,  niais  il  ne  larda  pas  à abandonner  le  barreau 
pour  la  carrière  militaire.  Doué  d'une  aptitude  remarquable  pour  les  sciences  mathématiques, 
quinze  jours  après  s'étre  fait  inscrire  au*  mousquetaires  noirs,  il  publia  lu  première  partie 
d'un  Traité  du  Calcul  intégral  (1752).  L'histoire  do  sa  vie  est  remarquable  par  la  variété  des 
objets  dont  il  s'occupa  et  par  la  multitude  des  événements  qui  la  remplirent.  En  1751 , il  était 
aide  de  camp  de  Chevert,  au  camp  de  Sarrelouis;  la  même  année,  il  alla  à Londres,  comme 
secrétaire  d'ambassade  et  il  y fut  reçu  comme  membre  de  la  Société  royale.  Deux  ans  après, 
il  fut  nommé  aide  de  camp  du  marquis  de  Monlcnlm,  chargé  de  la  défense  du  Canada.  Parti 
do  Brest  en  1756,  comme  capitaine  de  dragons,  et  mis  à lu  tête  d’un  détachement  d’élite,  il 
s’avança  à travers  mille  dangers  jusqu'au  fond  du  lac  du  Saint-Sacrement , et  brûla  une  flotille 
anglaise  sous  le  fort  même  qui  la  protégeait.  Il  se  couvrit  de  gloire  dans  celte  campagne,  et 
fut  blessé  d’un  coup  de  feu  & la  tête.  Le  gouverneur  du  Canada  l’ayant  envoyé  en  Franco 
pour  demander  des  renforts,  Bougainville  se  présenta  au  ministre  qui,  préoccupé  de  la  situa- 
tion intérieure  de  la  France,  lui  dit  avec  humeur  : « Eli,  Monsieur!  quand  le  feu  est  à la 
« maison , on  ne  s’occupo  pas  des  écuries.  — On  ne  dira  pas  du  moins , Monsieur,  répondit 
n Bougainville,  que  vous  parlez  comme  un  cheval.  » 

Il  retourna  au  Canada,  en  1759,  avec  lo  grade  de  colonel;  le  marquis  de  Monlcnlm  lo 
nomma  commandant  des  grenadiers,  et  lo  chargea  do  couvrir  la  retraite  de  l'armée  française 
sur  Québec.  Bougainville  s’acquitta  de  celte  mission  avec  sa  bravoure  et  son  habileté  ordi- 
naires. Après  la  bataille  oh  le  gouverneur  fut  tué,  il  revint  en  France,  et  partit  pour  l’Allemagne 
comme  nido  de  camp  do  M.  de  ChoiseuJ  Stainville;  mais  la  paix  étant  survenue,  et  obligé  de 
renoncer  à la  carrièro  des  armes , il  résolut  de  devenir  marin. 


Bougainville,  dans  ses  voyages  au  Canada,  avait  établi  des  relations  avec  quelques  négo- 
ciants de  Saint-Malo,  connus  par  la  hardiesse  do  leurs  entreprises  maritimes.  Il  leur  lit 
comprendre  les  avantages  qu'ils  pourraient  retirer  d'un  établissement  commercial  aux  Iles 

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Al  PREMIÈRE  PARTIE. 

Falkland,  nommées  depuis  îles  Malouines.  Ces  négociants  consent iront  à équiper  quelques 
vaisseaux , et  Bougainville  se  chargea  d’aller  fonder  lui-même  rétablissement  dont  il  avait  eu 
la  première  pensée.  Le  roi  le  nomma  capitaine  de  vaisseau  , et  il  partit  en  1703,  à la  tête  do 
sa  petite  flotte.  Les  Espagnols,  inquiets  de  l'avenir  de  la  colonie  naissante,  élevèrent  des 
réclamations  prés  du  Gouvernement , qui  ne  voulut  pas  les  mécontenter.  Bougainville  se  vit 
donc  obligé  de  leur  faire  la  remise  de  ces  Iles,  et  revint  en  France.  C’est  «lors  qu’il  conçut  le 
projet  d’un  voyage  de  recherches  autour  «lu  monde.  Nous  n’avons  point  à donner  ici  une  énu- 
mération, même  abrégée,  des  nombreuses  découvertes  auxquelles  ce  voyage  donna  lieu.  La 
relation  en  parut  eu  1771 , et  plaça  Bougainville  au  premier  rang  «les  navigateurs  modernes. 
Cette  expédition  fil  honneur  à son  courage,  comme  à son  savoir  et  à son  humanité.  À son 
retour,  il  n'avait  perdu  que  sept  hommes  de  l'équipage  de  ses  deux  vaisseaux. 

Bougainville,  pendant  la  guerre  «l'Amérique,  commanda  avec  distinction  dans  la  marine 
royale,  et  fut  nommé  chef  d'escadre,  puis  maréchal  «le  camp.  En  1790,  il  fut  envoyé  à Brest 
pour  calmer  l'irritation  qui  sYlait  manifestée  dans  l’armée  navale,  alors  commandée  par 
M.  d’Albert  de  Bions.  Son  intervention  n’ayant  pas  réussi,  il  se  relira,  après  avoir  servi  sa  patrie 
avec  éclat  pendant  quarante  ans.  Il  se  livra  alors  exclusivement  aux  sciences,  devint  membre 
de  l’Institut  en  1790,  et  fut  nommé  sénateur  à l’avénement  de  l’Empire.  Sa  taille  était  élevée, 
son  mointien  noble  et  élégant,  sa  santé  robuste;  il  avait  l'humeur  enjouée,  l'esprit  vif,  la 
répartie  toute  militaire.  Il  avait  projeté  un  voyage  au  pôle,  et  tous  ses  préparatifs  étaient  ter- 
minés,  lorsque  le  comte  de  Brienne  arriva  au  ministère  de  la  marine,  et,  l’ayant  fait  venir, 
lui  parla  de  son  projet  dans  des  termes  «pii  pouvaient  donner  à croire  qu’il  regardait  ce  voyage 
comme  une  faveur  qu'on  sollicitait.  ««  Monsieur,  lui  «lit  le  marin , croyez-vous  doue  que  ceci 
« soit  pour  moi  une  abbaye?...  » Toutefois,  le  voyage  n’eut  pas  lieu.  Bougainville  mourut 
en  1811 , à l’Age  de  quatre-vingt-neuf  ans.  Cnmmcrson,  qui  l’avait  accompagné  dans  son 
voyage  autour  du  monde,  lui  dédia  un  genre  «Je  In  famille  des  Nyctaginées,  sous  le  nom  de 
Buginvillea, 

D’autres  navigateurs  suivirent  les  traces  de  ceux  que  nous  venons  «le  nommer,  ou  s'ouvri- 
rent de  nouvelles  voies  à travers  les  continents  éloignée,  toujours  dans  le  but  d’agrandir  le 
champ  des  sciences  naturelles.  La  pério«lc  qui  suivra  celle-ci  nous  offrira  un  grand  nombre 
«le  ces  vaillants  champions,  <piel<|uefois  de  ces  glorieux  martyrs  de  la  science.  En  1771, 
Buffet),  déjA  parvenu  a une  immense  renomnit’**,  voyait  se  réaliser  chaque  jour  les  plans  qu’il 
avait  conçus,  et  «lu’il  avait  su  mettre  A exécution  A force  de  génie  et  «le  persévérance.  Il  rêvait 
encore  pour  rétablissement  qu’il  dirigeait  <1«;  plus  brillantes  destinées,  lorsqu'une  maladie 
grave  vint  l’atteindre  et  inspira  quehjuc  temps  A tous  les  amis  de  la  science  les  plus  sérieuses 
appréhensions.  Nous  marquons  ici  la  fin  d’une  seconde  pério«le  pour  Y Histoire  du  Muséum , 
parce  que,  «l’une  part,  cet  événement  suspendit  un  moment  la  publication  du  grand  ouvrage 
auquel  sa  prospérité  semblait  désormais  attachée,  et  aussi  parce  «juc  le  rétablissement  do 
Buffon  et  sa  rentrée  au  Jardin  du  Roi  devinrent  l'occasion  de  modifications  nombreuses,  qui 
imprimèrent  à renseignement , comme  A la  science  elle-même , une  impulsion  plus  rapide  et 
une  marche  toute  nouvelle. 


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HISTOIRE.  — 177  1-179  4. 


43 


TROISIÈME  PÉRIODE 

1771-1794 

Buffon  était  arrivé  au  point  culminant  de  sa  renommée,  comme  naturaliste,  comme  admi- 
nistrateur et  comme  écrivain.  En  France  ainsi  qu’à  l'étranger,  sa  considération  était  immense. 
Il  avait  donné  la  plus  puissante  impulsion  à l'étude  de  l'histoire  naturelle  ; il  avait  élevé  dans 
l’opinion  les  travaux  scientifiques  au  niveau  des  plus  hautes  conceptions  de  l'intelligence. 
Tous  les  hommes  qui  s'occupaient  de  science  avaient  les  veux  fixés  sur  lui , cl  cherchaient , 
par  leur  correspondance  avec  le  grand  naturaliste,  à attirer  sur  eux-mémes  quelques  rayons 
de  sa  gloire. 

En  1 77 1 , il  fut  atteint  de  cette  maladie  qui  l’éloigna,  pendant  près  d’une  année,  de  ses  tra- 
vaux habituels,  et  qui  donna  même  pour  sa  vie  les  inquiétudes  les  plus  vives.  Dans  une  fatale 
prévision,  II.  d’Angivilliers,  directeur  général  des  bâtiments  du  Roi,  sollicita  et  obtint  sa  sur- 
vivance. Buffon  l’apprit  au  moment  où  il  entrait  on  convalescence,  et  en  fut  vivemont  blessé. 
M.  d’Angivilliers  comprit  ses  torts,  et  chercha  à les  affaitilir  en  lui  témoignant  une  admiration 
respectueuse,  qui  finit  par  les  lui  faire  pardonner.  Chargé  de  désigner  aux  peintres  et  aux  sta- 
tuaires les  sujets  destinés  à l’ornement  des  bâtiments  royaux,  il  fit  exécuter,  en  marbre,  par 
Pajou , la  statue  de  Buffon.  Celte  statue  fut  placée  d’abord  dans  le  grand  escalier  du  cabinet 
du  Roi,  et  ligure  encore  aujourd'hui  dans  les  galeries  d’histoire  naturelle.  A la  même  date,  lo 
Roi  érigea  la  terre  de  Buffon  en  comté. 

Buffon,  entièrement  rétabli  en  1772,  redoubla  de  zèle  et  d'ardeur  pour  la  prospérité  do  l'éta- 
blissement. Il  fit  acheter  deux  maisons  voisines,  dans  l'une  desquelles  il  établit  son  domicile; 
c’est  colle  qui,  après  sa  mort,  fut  longtemps  consacrée  à la  bibliothèque.  On  rcnonvola  l’écolo 
do  botanique,  jusque-là  disposée  suivant  le  système  de  Tourncfort.  On  sait  que  cette  méthode 
séparait  tout  l’ensemble  du  règne  végétal  en  trois  grandes  divisions  : les  arbres , les  arbris- 
seaux et  les  plantes  herbacées.  Antoine-Laurent  de  Jussieu  fit  comprendre  à Buffon  les  incon- 
vénients de  cette  distribution , et  lui  signala  surtout  l’exiguïté  du  local  consacré  à l'étude  des 
végétaux;  celui-ci  obtint  du  ministre  l.a  Vrillièro  les  fonds  nécessaires  pour  l’agrandissement 
du  jardin  botanique  et  pour  le  renouvellement  des  plantations.  On  conçoit  que  Jussieu  s’em- 
pressa d’y  foire  mie  nouvelle  application  de  la  méthode  naturelle,  déjà  si  heureusement  pra- 
tiquée par  son  oncle  Bernard  dans  les  jardins  do  Trianon.  On  substitua  à la  nomenclature  de 
Toumorort  celle  do  Linné,  dès  lors  généralement  ndopléo  par  tous  les  botanistes;  on  entoura 
les  serres  ainsi  que  l’orangerie  d’une  vaste  grillo,  et  l'on  éleva  avec  les  déblais  la  rampe  qui 
conduit  aux  huttes  et  aux  labyrinthes. 

A peu  près  à la  même  époque,  Buffon  conçut  l’idée  d'agrandir  l’étendue  du  jardin,  en  y 
réunissant  tous  les  terrains  qui  le  séparaient  encore  de  la  Seine.  Ces  terrains,  cultivés  pour  la 
plupart  en  jardins  potagers,  appartenaient  en  grande  partie  aux  religieux  île  Saint-Victor;  lo 
reste  se  composait  de  quelques  chantiers  qui  étaient  une  propriété  de  la  ville,  et  que  celle-ci 
céda  facilement  à la  couronne.  Il  était  plus  difficile  do  se  rendre  possesseur  des  terrains  qui 
appartenaient  ou  couvent.  Buffon  acheta,  sous  son  nom,  un  domaine  voisin,  d'une  valeur 
à peu  près  équivalente,  et  proposa  à l’abbé  de  Saint-Victor  de  l’échanger  contro  l’enclos  con- 
tigu an  jardin.  L'échange  fut  accepté,  et  le  Roi  fit  aussitôt  l’acquisition  de  l'espace  dont  Buffon 
était  ainsi  devenu  propriétaire.  La  Bièvre , qui  séparait  ce  terrain  du  Jardin  du  Roi , ayant  été 
détournée  do  son  cours  et  conduite  directement  à la  Seine,  ou  en  combla  le  lit,  on  rasa 
quelques  bâtiments  qui  masquaient  la  vuo  dos  galeries;  on  construisit  de  nouvelles  serres 


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44 


PREMIÈRE  PARTIE. 

chaudes,  on  créa  des  pépinières,  on  prolongea  les  allées  de  tilleuls  jusqu'à  la  grille  du  quai, 
enfin,  on  ouvrit  la  rue  qui  termine  le  jardin  au  sud,  parallèlement  aux  grandes  avenues,  et  les 
habitants  du  quartier  lui  donnèrent  le  nom  de  rue  de  Duffun,  qu’elle  a toujours  conservé. 

Toutes  ces  améliorations  furent  exécutées  par  André  Thouin  et  dirigées  par  A.-L.  de  Jussieu. 
L’agrandissement,  l’embellissement  du  jardin,  ainsi  que  les  dispositions  nouvelles  relatives  à 
l’étude  des  plantes,  marchèrent  d’un  pas  égal.  C’est  alors  aussi  que  l'on  creusa , jusqu’au- 
dessous  du  niveau  moyen  de  la  Seine,  le  bassin  carré  qui  devait  recevoir,  par  infiltration,  les 
eaux  du  fleuve,  et  dans  lequel  on  cultiva  quelque  temps  des  plantes  aquatiques.  Plus  près  de 
la  Seine,  on  disposa  un  nouveau  parterre  pour  les  plantes  étrangères  dont  le  jardin  s'enrichis- 
sait chaque  jour.  Enfin,  d’autres  carrés  furent  consacrés  à des  plantations  d'arbres  exotiques, 
d’arbres  fruitiers , aux  semis , et  à une  école  d’arbres  forestiers.  Au  nord , quelques  bâtiments 
et  des  terrains  assez  étendus,  appartenant  À des  particuliers,  séparaient  encore  le  jardin  do  la 
rue  do  Seine;  on  acheta  successivement  quelques-unes  de  ces  propriétés.  On  fit  d’abord 
l'acquisition  de  celles  qui  so  rapprochaient  le  plus  do  la  grande  entrée.  Leur  position , abritée 
du  nord  et  de  l’ouest,  permit  d’y  transporter  les  couches  et  les  semis,  et  l’on  construisit  sur 
la  terrasse  la  serre  qui  porte  encore  le  nom  de  Buffon.  Plusieurs  de  ces  dispositions  impor- 
tantes ne  furent  achevées  qu’en  1784. 

Le  cabinet,  dont  les  richesses  s’augmentaient  de  jour  en  jour,  réclamait  des  développements 
analogues  à ceux  du  jardin.  Ce  ne  fut  toutefois  qu’en  1787  que  l'on  put  faire  l'acquisition  do 
l'hôtel  de  Magot,  placé  entre  la  petite  butte  et  la  rue  de  Seine.  BufTon  y lit  transporter  lo 
logement  de  Daubenton  et  celui  de  Lacépéde , qui  occupaient  jusque-là  le  second  étage  du 
cabinet,  ce  qui  lui  permit  de  consacrer  aux  collections  les  appartements  de  ces  deux  profes- 
seurs. Il  fit  aussi  construire  un  bâtiment  neuf,  en  prolongement  des  salles  d’histoire  naturelle, 
ainsi  que  le  grand  Amphithéâtre,  qui  existe  encore  aujourd’hui. 

Les  collections  continuaient  de  s’accroître,  soit  par  les  acquisitions  du  gouvernement,  soit 
par  les  dons  des  particuliers,  des  sociétés  savantes,  et  môme  des  souverains  étrangers.  Los 
missionnaires  de  lu  Chine , lo  roi  do  Pologne , l’impératrice  do  Hussio  adressèrent  à Buffon  de 
nombreux  et  importants  objets  d’histoire  naturelle  : coquillages,  minéraux,  pierres  précieuses, 
plantes,  et  môme  animaux  vivants  ou  disséqués,  provenant  de  toutes  les  parties  du  globe,  et 
réunis  au  Jardiu  du  Hoi,  comme  au  centre  commun  des  plus  curieuses  productions  de  lu 
nature. 

Mais  la  source  la  plus  active,  la  plus  fécondo  des  richesses  qui  vouaient  ainsi  s’y  accumuler, 
c’étaient  les  voyages  de  découvertes.  Les  présents  les  plus  précieux,  les  plus  magnifiques,  lui 
venaient  de  ces  savants  intrépides , à qui  le  Jardin  «lu  Roi  ouvrait  l’accès  des  contrées  les  plus 
éloignées  et  les  plus  inconnues  jusqu’alors.  Aux  collections  rapportées  par  Poivre,  Bou- 
gainville et  Commerson,  vinrent  s’ajouter  celle  qu'Adanson  avait  faite  au  Sénégal,  celles  que 
Sonnera t avait  recueillies  dans  l’Inde,  Dombey,  au  Pérou  et  au  Chili,  les  nombreux  tributs 
quo  rapportèrent  successivement  Desfontaines,  Michaux,  Labillardièrc , Simon,  Richard, 
Dolomieu  et  plusieurs  autres  naturalistes , dont  nous  allous  suivre  des  yeux  les  lointaines 
excursions  et  les  recherches  savantes  autant  quo  hardies. 

Le  premier  voyageur  qui  ouvre  celte  brillante  liste  est  Joseph  Dombey,  né  à Mâcon,  en 
1742.  Issu  de  parents  pauvres,  il  fit  d’assez  bonnes  études,  et,  décidé  à suivre  la  carrière  do 
la  médecine,  il  alla  à Montpellier,  où  Commerson,  sou  parent,  et  Gouan,  alors  professeur  de 
botanique,  lui  inspirèrent  le  goût  de  l’histoire  naturelle.  Il  revint  au  pays  natal  en  1768,  avec 
le  titre  de  docteur.  Entraîné  par  son  penchant  pour  la  botanique  et  la  minéralogie,  il  parcourut 
plusieurs  provinces  et  vint  à Paris,  en  1772,  pour  suivre  les  cours  de  Jussieu  et  de  Lemonnier. 
Il  herborisait  sur  le  mont  Jorat,  lorsque,  sur  l’avis  de  Jussieu  et  du  Condorcet,  qui  appré- 
ciaient ses  talents,  il  fut  désigné  par  Turgot  pour  faire  un  voyage  scientifique  dans  I* Amérique 
espagnole,  et  notamment  au  Pérou.  Il  fallait  obtenir  l'agrément  de  la  cour  d’Espagne;  il  partit 
donc  pour  Madrid,  où  il  séjourna  pendant  près  d’une  année  avant  de  recevoir  son  autorisation. 


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45 


HISTOIRE.  - 1771  - 1794. 

Au  moment  du  départ,  ou  lui  adjoignit  deux  autres  naturalistes  devenus  célèbres,  Ruiz  et 
Ibivon,  élèves  d'Ortéga.  Dombcy  s'embarqua  à Cadix  eu  1777,  arriva  à Callao  au  mois  d'avril 
suivant , et  fit  aussitôt  dessiner  un  grand  nombre  de  plantes , en  même  temps  qu’il  recueillait 
beaucoup  de  graines;  niais  les  dessinateurs,  qui  étaient  Espagnols,  gardèrent  les  originaux  de 
leurs  dessius  et  refusèrent  de  lui  en  donner  des  copies.  Au  bout  de  quelque  temps,  il  n'envoya 
pas  moins  en  Franco  un  riche  herbier,  de  nombreux  objets  d'archéologie , trente  livres  de  pla- 
tine, alors  récemment  découvert,  et  un  Mémoire  sur  le  prétendu  Cannelier  de  Quito.  A travers 
beaucoup  de  périls,  il  alla  faire  la  reconnaissance  des  différents  districts  où  se  trouvent  les 
quinquinas , et , dans  le  cours  de  cette  excursiou , il  donna  les  plus  grandes  preuves  de  savoir, 
de  courage  et  do  générosité. 

Malheureusement,  à côté  de  la  passion  du  la  science,  Dombcy  avait  le  goût  du  jeu;  c'est 
dire  que  sa  fortuno  était  très-inégale;  mais  il  était  laborieux,  hardi,  libéral,  et  savait  supporter 
les  privations.  Il  se  trouvait  à lluanuco  quand  éclata  l'insurrection  de  1780,  qui  coûta  la  vie 
à plus  de  cent  mille  hommes.  Il  était  alors  dans  une  veine  do  prosjiérité;  il  offrit  au  gouver- 
nement mille  piastres , vingt  charges  de  grains  et  deux  régiments  lovés  et  équipés  à scs  frais , 
se  proposant  de  se  mettre  à leur  tête  pour  marcher  coutre  les  relielles.  Ces  offres  généreuses, 
quo  l'on  ne  crut  pas  devoir  accepter,  ranimèrent  le  zèle  des  offleiers  et  rétablirent  les  affaires 
do  cette  proviuce.  Dombcy,  ne  voulant  pas  proliter  du  refus  que  l'on  avait  fait  de^es  dons,  les 
fit  remettre  à l'hôpital  de  Saint-Jean-de-Dieu , pour  être  distribués  aux  pauvres.  Lorsque  les 
troubles  furent  calmés,  il  revint  à Lima,  où  il  apprit  que  le  vaisseau  qui  portait  scs  collec- 
tions avait  été  pris  par  les  Anglais,  et  que  les  objets  de  science  et  d’art  avaient  été  achetés 
par  le  vice-roi  pour  le  compte  du  roi  d'Espagne.  Il  s'en  plaignit  vivement  au  vice-roi  lui- 
même  , et  déclara  que  dès  ce  moment  il  n'enverrait  plus  rien. 

Avant  de  revenir  en  Euro;*),  Dombcy  voulut  aussi  visiter  le  Chili.  L'argent  lui  manquait 
pour  le  voyage,  mais  scs  amis  lui  prêtèrent  60,000  livres,  et  il  arriva  à lu  Conception  en  1782. 
Une  épidémie  ravageait  alors  cctto  ville;  Dombcy  porta  partout  des  secours.  Grâce  à son 
courage  et  à ses  talents  comme  à ses  largesses , l'épidémie  s'arrêta.  On  lui  offrit  la  place  do 
premier  médecin  de  la  ville,  avec  dix  mille  francs  d'appointements;  il  refusa  et  alla  à Saint- 
Iago  pour  y continuer  ses  explorations  scientifiques.  Il  y rechercha  des  mines  de  mercure, 
découvrit  une  nouvellu  mine  d’or,  analysa  diverses  eaux  minérales,  et  dépensa  à toutes  ces 
éludes  une  somme  considérable,  qu’on  essaya  vainement  de  lui  rembourser.  « Je  n'ai  de 
u comptes  à fournir,  répondit -il  avec  dignité,  qu'au  gouvernement  qui  m’a  envoyé  près  de 
« vous.  » 

Do  retour  û Lima , Dombcy  se  préparait  à partir  pour  l’Eurojie , lorsque  le  visiteur  général 
osa  l'accuser  d'intelligence  avec  les  Anglais.  « Si  j'étais  un  simplo  voyageur,  dit  Dombey  avec 
« calme,  je  ne  souffrirais  pas  vos  injures.  — Et  que  feriez -vous  7 — Je  vous  percerais  le 
« co'ur ; mais  comme  c’est  au  Roi  de  France,  que  ju  vais  instruire  de  vos  procédés,  i 
u m’obtonir  justice , je  dois  rester  tranquille.  » A ces  mots , il  sortit , et  le  visiteur  général  le 
rappela  pour  lui  faire  des  excuses.  Dotnhcy  s’embarqua  avec  une  collection  immense,  ren- 
fermée dans  soixante-douze  caisses,  et  arriva  à Cadix  en  1785.  La  douane,  en  visitant  sa 
cargaison . endommagea  plusieurs  objets  précieux.  L’Espagne  voulait  en  retenir  la  moitié  au 
profit  du  roi.  On  lui  fit  promettre  de  ne  rien  publier  avant  le  retour  des  botanistes  espagnols 
qui  l’avaient  accompagné.  On  essaya  même  d'attenter  à sa  vie,  car  un  homme  que  l'on  prit 
pour  lui  fut  trouvé  assassiné  à sa  porte.  Il  réussit  à s'échapper  secrètement,  partit  pour 
le  Havre  et  se  rendit  aussitôt  à Paris.  Malgré  les  instances  île  Buffon,  Dombey,  retenu  par  sa 
promesse,  no  voulut  d'aliord  rien  publier;  mais  un  naturaliste  plein  de  zèle  et  de  talent  s'en 
chargea,  et,  bien  que  le  nom  de  L'Héritier  n'appartienne  point  précisément  â l'histoire  du 
Muséum , les  services  qu'il  rendit  â ce  sujet  à la  science  méritent  de  trouver  uuc  place  dans 
ce  récit. 

L'Héritier  (Charles-Louis),  né  à Paris,  en  1746,  était  fils  d’un  uégociant,  et  fut  destiné  à la 


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<18  PREMIÈRE  PARTIE. 

magistrature.  Nommé , en  1772,  procureur  du  Roi  à la  maîtrise  des  eaux  et  forêts  de  la  géné- 
ralité de  Paris , il  s'appliqua  à connaître  les  arbres  et  devint  bientôt  un  botaniste  éminent.  En 
1784,  il  commença  à publier,  sous  le  titre  de  Stirpes  novœ,  un  ouvrage  qui  avait  pour  objet  la 
description  de  plusieurs  plantes  nouvelles.  Il  continua  pendant  quelques  années  d'en  faire 
paraître  les  livraisons,  accompagnées  de  belles  planches;  mais,  impatient  d'augmenter  ses 
richesses  botaniques,  il  écrivait  dans  sa  préface  : «<  Puisse  nu  moins  quelque  voyageur  confier 
« à nos  soins  la  publication  de  ses  découvertes!  Ce  serait  un  dépôt  commis  à notre  foi;  su 
« gloire  et  ses  trésors  seraient  en  sûreté,  et,  oubliant  nos  propres  travaux,  nous  nous  houo- 
« rerions  d’être  les  simples  éditeurs  des  siens.  » Ce  vceu  ne  tarda  pas  à se  réaliser.  Ayant 
appris  que  Dotnhcy  sollicitait  en  vain  de  M.  de  Calonno  les  moyens  de  publier  une  partie  do 
scs  recherches,  L’Héritier  lui  offrit  de  se  charger  à ses  frais  de  la  partie  botanique  et  de  lui 
payer  une  pension  annuelle  contre  la  remise  do  ses  herbiers.  I n obstacle  imprévu  vint  tra- 
verser cet  arrangement.  Les  Espagnols  firent  valoir  rengagement  qu’avait  pris  Domhey  a leur 
égard,  et  la  cour  de  France  accueillit  avec  condesceudance  cette  réclamation.  L’Héritier 
apprend  un  jour,  par  hasard,  à Versailles,  que  l’ordre  vient  d’être  donné  à M.  «le  Iîuffon  de  se 
faire  remettre  l’herbier  de  Domlioy,  dés  le  lendemain.  Il  vient  en  bâte  à Paris,  se  confie  à. 
Broussonnet , son  ami;  il  passe  la  nuit  à faire  préparer  des  caisses.  L’Héritier,  sa  femme, 
Broussounet«et  Redouté  emballent  l’herbier  eu  toute  hôte,  et,  dès  le  matin,  il  part  en  poste, 
avec  son  trésor,  pour  Calais  et  l’Angleterre. 

Oit  ardent  botaniste  passa  quinze  mots  h Londres,  dans  la  retraite  la  plus  absolue,  cons- 
tamment occupé  de  la  belle  collection  qu’il  avait  à publier.  Il  s’entoura  de  dessinateurs,  de 
graveurs;  il  fit  venir  Redouté  à Londres,  pour  l'aider  «le  s«»s  talents,  et  il  réussit,  sinon  à ter- 
miner et  à mettre  au  jour  la  Flore  du  Pérou , du  moins  à en  achever  le  manuscrit  et  les  plan- 
ches principales.  Lorsqu'il  revint  en  France,  In  révolution  avait  éclaté;  il  avait  perdu  son 
emploi  et  une  partie  «le  sa  fortune,  mais  il  avait  conservé  toute  sa  passion  pour  la  science. 
Occupé  quelque  temps  nu  ministère  «le  la  justice,  il  ne  pouvait,  dit  Cuvier,  s’empêcher  de 
recueillir,  en  entrant  ou  en  sortant  de  son  bureau,  l«*s  mousses,  les  lichens,  les  hyssus  et  les 
petites  herbes  qui  se  présentaient  sur  les  murs  et  entre  les  pavés;  et  c’est  un  fait  ass«»z 
remarquable  d’histoire  naturelle,  «ju’en  une  année,  il  en  observa , seulement  dans  les  environs 
de  la  maison  du  ministre,  plusieurs  centaines  d’es|«èces , dont  il  se  proposait  «le  publier  le 
catalogue,  sous  le  titre,  <]ui  aurait  paru  un  peu  singulier  eu  botanique,  do  Flore  de  la  place 
Vendôme.  L’Héritwr,  en  1800,  tomba  sous  les  coups  d’un  assassin,  et  fut  égorgé  à coups  «Je 
sabre,  par  un  meurtrier  resté  inconnu,  à quebjues  pas  «le  sa  maison. 

Dornbey  mourut  avant  la  publication  de  lu  Flore  du  Pérou.  Dégoûté  de  la  science,  en  raison 
des  difficultés  qu’il  avait  éprouvées , il  vendit  ses  livres  et  brûla  un  grand  nombre  do  notes 
précieuses.  Ruffon,  pour  l’indemniser  de  ses  portes,  lui  fit  accorder  une  somme  de  «0,000  liv. 
et  une  pension  de  6,000  livres,  que  Domhey  partagea  entre  sa  famille  et  les  indigents.  Il 
quitta  Paris  et  alla  se  fixer  dans  le  Dauphiné,  puis  à Lyon,  où  il  se  trouvait  pendant  le  siège 
«le  cette  ville,  en  1703.  A la  fin  de  la  même  année,  il  demanda  une  mission  pour  les  États- 
l/nis.  Il  partit  ; mais  un  orage  Payant  forcé  de  s’arrêter  à la  Guadeloupe,  il  faillit  être  massacré 
dans  une  émeute.  A peine  rembarqué,  son  vaisseau  fut  pris  par  des  corsaires,  et  il  fut  conduit 
dans  les  prisons  de  Montserrat,  où  le  chagrin,  la  misère  et  les  mauvais  traitements  termi- 
nèrent sa  vie,  en  1704. 

Doinboy,  par  son  courage,  son  zèle  et  ses  connaissances  variées,  doit  être  placé  au  premier 
rang  parmi  les  savants  voyageurs  du  «lix-huitième  siècle.  Son  herbier,  déposé  au  Muséum, 
renferme  quinze  cents  plantes,  dont  soixante  genres  nouveaux.  Il  est  accompagné  de  la 
description  «les  végétaux  du  Chili  et  «lu  Pérou.  En  minéralogie,  on  lui  doit  la  découverte  du 
cuivre  muriaté,  do  l’euclase;  il  n indiqué  le  premier  le  sal|>être  natif  du  Pérou;  il  a observé  la 
phosphorescence  de  la  mer.  En  zoologie,  il  a décrit  plusieurs  espèces  nouvelles  de  quadru- 
pèdes, d’oiseaux,  «le  poissons  et  d’insectes.  Ruiz  et  Pavon,  dans  leur  Flore  péruvienne,  oui 


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HISTOIRE.  — 1771-1/01.  47 

rendu  justice  à ses  talents  cl  cité  honorablement  ses  découvertes.  Cavanilles  lui  a dédié  le 
genre  Dombcya. 

L'existence  de  Sonnerai  fut  consacrée,  comme  celle  de  Domboy,  à des  voyages  de  décou- 
vertes, mais  elle  fut  traversée  par  moins  de  contrariétés  et  de  dangers.  Pierre  Sonnerai,  né  à 
Lyon,  en  1745,  entra  de  bonne  heure  dans  l'administration  de  la  marine.  Il  était  déjà  versé 
dans  l'histoire  naturelle  et  bon  dessinateur.  Parti  do  Paris  en  17(18,  il  alla  d’abord  à l'Ile-de- 
France,  dont  Poivre,  son  parent,  était  intendant.  Il  y trouva  Commerson,  qui  était  son  com- 
patriote, et  il  fit  avec  lui  plusieurs  excursions  à Bourbon  et  à Madagascar.  Poivre  l'envoya, 
eu  1771 , aux  Moluques.  En  passant  aux  Sécbelles,  il  eut  l’occasion  d’y  observer  et  de  décrira 
le  coco  de  cet  archipel,  dont  la  forme  est  singulière  et  que  l’on  croyait  originaire  des  Maldives. 

Il  alla  ensuite  à Manille  et  aux  Philippines,  d’où  il  rapporta  beaucoup  de  plantes,  ainsi  que 
des  graines  de  giroflier  et  de  muscadier.  Il  revint  en  France,  en  1774,  avec  une  riche  collection 
d’histoiro  naturelle  qu'il  déposa  au  cabinet  du  Roi.  Il  repartit  la  même  année  pour  l’Inde,  avec 
le  titre  de  commissaire  de  la  marine  et  avec  la  mission  de  continuer  ses  recherches.  Sonnerai 
parcourut  Ceylan,  la  côte  de  Malabar,  Surate,  le  golfe  de  Cambaye;  puis  Coromandel,  la 
presqu'île  au  delà  du  (lange , la  péninsule  de  Malacca  et  la  Chine.  La  guerre  interrompit  ses 
voyages.  Après  le  siège  de  Pondichéry,  en  1778,  il  revint  en  Europe  avec  une  magnifique  col- 
lection d'histoire  naturelle,  et  publia  la  relation  de  son  voyage.  Il  retourna  plus  tard  dans 
l’Inde,  et  y séjourna  plusieurs  années.  Il  était  encore  à Pondichéry  en  1801.  Enfin,  il  revint 
en  France , et  mourut  à Paris  en  1814 , à un  âge  assez  avancé. 

Son  Voyant  cl  la  SomeUe-Guinde  est  dédié  à madame  Poivre.  On  a aussi  do  lui  un  Voyage 
aux  Indes  et  à la  Chine,  accompagné  de  belles  figures.  Les  relations  de  Sonnerai  ont  beau- 
coup contribué  à bien  faire  connaître  l'Inde , sous  ses  rapports  les  plus  importants  et  les  plus 
variés  ; il  s’est  fort  attaché  à la  description  des  usages  et  des  métiers  des  Indous.  Les  détails 
de  ces  ouvrages  sont  aussi  intéressants  qu'exacts,  bien  qu’on  y remarque  un  certain  désordre, 
cl  que  l’auteur  s'y  montre  un  peu  enclin  à la  crédulité.  Son  zèlo  était  infatigable  ; il  réussit  à 
naturaliser,  soit  en  France,  soit  dans  les  colonies,  un  grand  nombre  de  végétaux  précieux. 
Les  îles  de  France  et  de  Bourbon  lui  doivent  le  Rima  ou  arbre  à pain,  le  Cacao,  le  Mangous- 
tan et  une  foule  d'autres.  Il  a,  le  premier,  décrit  l’Ayc-Aye,  grand  quadrupède  de  l’ordre  des 
Rongeurs,  et  plusieurs  oiseaux  nouveaux.  Tout  cela  est  très-habilement  dessiné  par  lui-méme. 
Sonnerai  était  correspondant  du  cabinet  du  roi  et  do  l’Académie  des  sciences.  Linné  lui  a 
dédié  le  genre  Sonneratia  , arbre  du  Malabar  (Myrtoides) , qu’il  avait  décrit  lui-même  sous  le 
nom  de  Pagapatd. 

Ln  troisième  voyageur,  l'un  de  ceux  qui  ont  le  plus  enrichi  le  sol  de  la  France  des  fruits  de  . 
leurs  découvertes,  est  André  Michaux,  né,  en  lî  tfi,  à Satory,  dans  le  parc  de  Versailles.  Son 
père  était  fermier  ; il  s'adonna  de  bonne  heure  aux  travaux  de  la  campagne,  et  montra  une 
véritable  vocation  pour  les  recherches  d'agriculture.  Il  fit  quelques  éludes  et  se  maria;  mais, 
ayant  perdu  sa  femme  la  première  année  de  son  mariage,  Lemonnicr,  qui  le  connaissait  de- 
puis son  enfance,  essaya  de  le  consoler  en  lui  inspirant  le  goût  de  la  botanique,  et  en  l’enga- 
geant à faire  des  essais  de  naturalisation.  .Michaux  suivit  les  leçons  de  Bernard  de  Jussieu  et 
pnl  l'envie  de  voyager.  Il  alla  d'abord  en  Angleterre,  puis  en  Auvergne  et  aux  Pyrénées  avec 
de  Lamarck  et  André  Thouin;  il  obtint  enfin  l’autorisation  de  partir,  en  1782,  avec  le  consul 
de  Perse,  Rousseau.  Il  parcourut  cette  partie  île  l’Asie  pendant  deux  ans , au  milieu  de  beau- 
coup de  difficultés  et  de  dangers.  Revenu  à Paris  en  1784,  avec  une  belle  collection  de  plantes 
et  de  graines,  il  se  hâta  de  les  mettre  en  ordre,  avec  l'espoir  de  retourner  en  Asie  et  l'intention 
de  pénétrer  jusqu'au  Tliibct.  On  l'envoya  au  contraire  dans  l'Amérique  septentrionale,  avec  la 
mission  d'établir,  près  de  New- York , une  pépinière  pour  des  arbres  que  l'on  espérait  accli- 
mater à Rambouillet.  Dès  l’année  1785,  il  fit  un  premier  envoi  en  France;  deux  ans  après,  il 
fonda  un  établissement  semblable  près  de  Charlcstoxvn,  et  fil  plusieurs  excursions,  entre 
autres  dans  la  Caroline.  En  1792,  il  partit  pour  Québec,  remonta  le  fleuve  Saint-Laurent , 


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48  PREMIÈRE  PARTIE. 

accompagné  seulement  «le  trois  sauvages  et  d'un  métis,  et  pénétra  très-prés  de  la  haie  d'ffud- 
son.  L’approche  de  l’hiver  l’avant  forcé  de  revenir  sur  ses  pas,  il  arriva  à Philadelphie,  à la 
lin  de  la  même  année.  Le  ministère  frayais  l’ayant  chargé  d’une  mission  relative  à un  projet 
d’occupation  de  la  Louisiane,  il  partit  en  juillet  1793,  franchit  les  monts  Alléghany,  des- 
cendit l’Ohio  jusqu'à  Louisville,  revint  à Philadelphie,  et,  après  avoir  habité  onze  ans  les 
États-Unis,  il  s’embarqua  pour  la  France  en  1790.  Son  navire  échoua  sur  les  côtes  de  Hol- 
lande* : Michaux  fut  heureusement  recueilli , mais  il  resta  plusieurs  heures  sans  connaissance. 
Revenu  à lui-même,  il  s’informa  avec  anxiété  de  ses  collections  ; elles  étaient  sauvées , mais 
tous  ses  propres  effets  étaient  perdus.  Il  ne  se  préoccupa  que  «le  ses  plantes,  qu’il  s’empressa 
de  mettre  en  ordre,  de  faire  sécher,  et  il  arriva  à Paris.  |,es  pépinières  de  Rambouillet,  aux- 
quelles il  avait  envoyé  plus  de  00,000  pie«ls  d’arbres,  avaient  été  ravagées.  On  lui  accorda  à 
peine  quelque  indemnité  pour  tant  de  services  et  de  si  pénibles  voyages.  Il  avait  trouvé  Le- 
monnier  mourant;  il  s’empressa  «le  lui  rendre  les  derniers  devoirs,  et  fut  aussitôt  désigné  pour 
faire  partie  de  l'expédition  du  capitaine  Hamiin.  Il  partit  en  1800,  visita  Ténériffe,  resta  six 
mois  à l’Ile  de  France,  pour  y recueillir  des  plantes  et  des  graines,  y créa  une  pépinière  sem- 
blable à celles  de  New-York  et  de  Charlcstnwn,  mais  il  y fut  dévalisé  de  tout  ce  qu’il  possédait, 
entre  autres  d’un  rubis  magnifique  et  d’un  très-grand  prix.  Il  se  rendit  alors  à Madagascar, 
où  il  fonda  une  nouvelle  pépinière;  mais,  atteint  par  une  lièvre  endémique,  il  y mourut,  en 
1802,  à l’Age  de  59  ans,  au  moment  oïi  il  projetait  un  nouveau  voyage  dans  l’Amérique  du 
Nord.  Courage,  abnégation , persévérance  dans  ses  entreprises,  exactitude  dans  ses  observa- 
tions, franchise,  simplicité  dans  ses  habitudes,  sûreté  absolue  dans  les  rapports  intimes,  tels 
sont  les  caractères  qui  signalent  cet  intrépide  naturaliste,  et  lui  assurent  une  place  si  dis- 
tinguée parmi  les  voyageurs  éminents.  Il  vécut  uniquement  p«)ur  la  science  et  se  sacrifia 
pour  elle. 

On  lui  doit  une  Histoire  des  Chênes  «le  l’Amérique  septentrionale  et  une  Flore  du  même 
pays.  Aiton  a consacré  à sa  mémoire  une  Companulacée,  sous  le  nom  de  Michauxia.  Son 
fils,  François  André,  a publié  une  Histoire  des  arbres  forestiers  de  V Amérique  septen- 
trionale. 

Nous  trouvons,  «lans  la  même  période,  un  voyageur  naturaliste,  non  moins  «ligne  des  sou- 
venirs de  la  science,  mais  «lont  les  recherches  s’appli«]uent  à une  autre  branche  de  l’Histoire 
naturelle.  Déodat-Guy-Sylvain-Tancrède  Gratct  de  Dolomieu  naquit,  en  1750,  à Dolomieu, 
près  de  la  Tour-du-Pin,  en  Dauphiné,  et  appartenait  à une  ancienne  famille  do  cette  province. 
Destiné  dès  l’enfance  à l'ordre  de  Molle,  il  était,  à quinze  ans,  officier  de  carabiniers,  et,  à 
dix-huit  ans,  il  commençait  son  noviciat  dans  l’ordre.  Dans  sa  première  caravane,  il  eut  une 
querelle  avec  un  officier  de  son  bord  , descendit  à terre  pour  se  battre  avec  lui , et  le  tua.  Il 
fut  conduit  à Malte,  mis  en  jugement  et  contlamné  à quitter  l’habit  do  l’ordre;  cependant,  en 
raison  d«îson  extrême  jeunesse,  le  grand-maltre  lui  fil  grAco;  mais  le  pape  s’y  opposa.  Dolo- 
micu,  mis  en  prison,  écrivit  directement  au  cardinal  Torrigiani,  alors  ministre  du  pape,  et 
obtint  sa  liberté.  Pendant  sa  captivité  qui  avait  duré  neuf  mois,  il  s’élait  livré  avec  ardeur  à 
l’étude  des  sciences  physiques.  Envoyé  en  garnison  à Metz,  il  y travailla  de  nouveau  avec  le 
physicien  Thirion  et  avec  le  duc  de  la  Rochefoucault,  qui  devint  son  ami.  Ce  dernier,  à son 
retour  à Paris,  le  présenta  à l’Académie  des  sciences,  «jui  le  nomma  son  correspondant.  Il 
quitta  les  carabiniers  et  retourna  à Malte,  d’où  il  suivit,  en  Portugal,  le  bailli  de  Rohan, 
ambassadeur  extraordinaire , comme  chevalier  d’ambassade,  et  étudia  en  même  temps  le  pays 
sous  le  rapport  de  la  géologie  et  de  la  minéralogie. 

En  1781  , Dolomieu  fit  en  Sicile  un  nouveau  voyage  scientifi«|uc , dans  lequel  il  développa 
tout  le  zèle  et  tout  le  courage  d’un  vrai  naturaliste.  C’est  là  qu’il  conçut  ses  premières  idées 
sur  les  volcans.  11  alla  aussi  à Naples  pour  examiner  le  Vésuve;  l’année  suivante,  il  visita  les 
Pyrénées.  A celte  époque,  il  eut  à Malte  quelques  discussions  avec  le  grand  maître,  au  sujet 
de  certaines  prérogatives  qu’il  réclamait,  discussions  qui  «levinrent  la  source  des  malheurs 


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Il  I STO I H K.  — 1771  - 1 704. 


19 


qu'il  éprouva  plus  tard.  Au  retour  d'un  nouveau  voyage  qu'il  avait  fait  en  Calabre,  pour  ob- 
server les  résultats  du  tremblement  de  terre  do  1783,  il  avertit  le  grand  maître  de  certains 
projets  que  la  Cour  de  Naples  méditait  contre  lui.  Le  ministère  napolitain,  prévenu  de  ces 
révélations,  prit  en  haine  le  jeune  savant,  et  lui  interdit  l'entrée  du  royaume.  C'est  alors 
qu’il  parcourut  les  Alpes,  le  Tyrol,  le  pays  des  Grisons,  toujours  occupé  de  ses  recherches 
géologiques,  et  partout  accueilli  avec  distinction,  car,  à un  extérieur  noble  et  séduisant , il 
joignait  des  manières  affables  et  un  esprit  aussi  enjoué  que  piquant.  Il  retourna  à Malte, 
après  avoir  obtenu  gain  do  cause  sur  ses  contestations  avec  le  giand-mattre,  et,  eu  1791, 
il  revint  en  France,  apportant  avec  luises  riches  collections  géologiques. 

Dolomicu  s’était  d'abord  attaché,  rnmme  beaucoup  d'esprits  généreux,  aux  principes  de  la 
Révolution  de  89 , mais  il  s'en  éloigna  après  avoir  vu  assassiner  sous  scs  yeux , à Forges , le 
vertueux  duc  de  la  Rochefoucauld.  Il  se  dévoua  alors  à la  protection  de  la  mère  cl  de  la  sreur 
de  son  ami , également  témoins  de  ce  crime  ; il  reprit  en  même  temps  scs  études  et  ses 
voyages  géologiques.  En  1796.  il  revint  à Paris,  et  fut  nommé  aussitôt  professeur  à l'école 
des  Mines  et  membre  de  l'Institut.  L’année  suivante,  lorsqu'on  projeta  l'expédition  d’Egypte, 
il  témoigna  le  désir  d’en  faire  partie,  et  il  s'embarqua  sur  le  vaisseau  le  Tonnant,  La  flotte 
s’étant  arrêtée  en  vue  de  Malle,  il  craignit  qu'on  l'accusât  d'avoir  concouru  à une  expédition 
contre  son  ordre , et  c'est , en  effet , ce  qui  arriva.  l,e  chagrin  qu'il  en  ressentit  l'empêcha  de 
prendre  beaucoup  de  part  aux  recherches  dont  l’Egypte  devait  être  l'objet,  et  il  désira  rentrer 
en  France.  Le  navire  qui  le  ramenait  lit  naufrage  près  de  Tarente,  et,  comme  on  était  alors 
en  guerre  avec  Naples,  il  fut  mis  en  prison.  Son  nom,  découvert  par  une  surprise,  réveilla 
l'ancienne  animosité  de  la  cour  contre  lui  ; on  le  plongea  dans  un  cachot  infect,  où  il  subit 
mille  tortures  pendant  vingt  et  un  mois.  C'est  pourtant  dans  cette  horrible  situation  qu'il  par- 
vint à écrire  son  Traité  de  philosophie  minéralogique  ; enfin , rendu  è la  France  par  suite  de  la 
paix,  il  revint  à Paris,  et  fut  nommé  professeur  au  Muséum  dilisloire  naturelle,  à la  place 
do  Ilaubenton  qui  venait  de  mourir.  Son  cours  fut  suivi  avec  un  empressement  fondé  à la  fois 
sur  son  mérite  et  sur  l’intérêt  qu’inspirait  sa  personne.  Malheureusement,  sa  santé  était  pro- 
fondément altérée;  après  un  voyage  en  Suisse  et  dans  le  Dauphiné,  pendant  une  visite  qu’il 
tit  à son  beau-frère,  le  comte  de  Drée,  à Châteauneuf,  eu  Charolais,  il  fut  atteint  d'une  fièvre 
aiguë,  à laquelle  il  succomba,  en  1801 , à l’âge  de  61  ans. 

Ici  se  présentent,  presque  aux  mêmes  dates,  deux  naturalistes  dont  les  carrières  eurent 
beaucoup  d'analogie;  dont  l’âge,  les  études,  les  goûts,  mais  non  le  caractère,  eurent  la  plus 
grande  conformité,  et  qu'uuc  amitié  sincère  unit  pendant  plus  de  cinquante  ans  : Desfontaines, 
dont  l'humeur  aimable  et  douce,  1a  vie  simple  et  laborieuse  rappelle  les  plus  touchants  sou- 
venirs, cl  Labillardière  qu'une  misauthropie  native,  un  esprit  caustique  et  une  humeur  atrabi- 
laire éloignèrent  trop  d’un  monde  qui  l’eût  aimé,  s’il  eût  pu  le  connaître,  et  qui  lui  eût  voué 
autant  de  respect  que  son  savoir  lui  méritait  d’estime. 

Héué  Louicbe-Dcsfoutaines  naquit  en  1750,  au  .Tremblay,  bourg  d'Ille-et-Vilaine,  qui  avait 
déjà  donné  le  jour  à l’analomisle  Berlin.  Ses  parents,  qui  étaient  pauvres,  voulaient  d’abord  eu 
faire  un  mousse.  Il  réussit  mal  dans  ses  premières  études,  et  son  pédagogue,  qui  le  traitait 
assez  durement,  ne  cessait  de  lui  dire  « qu’il  ne  serait  jamais  bon  à rien.  » Ou  l’envoya 
pourtant  au  collège  de  Rennes,  où  il  se  prit  à travailler  et  devint  bientôt  le  premier  de  toutes 
scs  classes.  A chaque  succès,  il  priait  son  père  d’en  informer  son  ancien  maître,  en  lui  rap- 
pelant son  fatal  pronostic  ; petite  vengeance  dont  il  se  donna  la  satisfaction  jusqu'au  moment 
où  il  entra  à l’Académie  des  sciences.  Décidé  à étudier  la  médccme,  il  vint  à Paris  en  1773, 
ol  suivit  d'abord  les  leçons  de  Vicq  d’Arn;  mais  une  répugnance,  qu’il  ne  put  vaincre,  pour 
les  recherches  anatomiques,  le  détermina  à s'adonner  à l'Histoire  naturelle.  Auditeur  assidu 
des  cours  du  Jardin  du  Roi,  I.emonnier  le  prit  en  amitié,  et  il  fut  distingué  par  Laurent  de 
Jussieu.  Après  s'être  fait  recevoir  docteur,  il  lut  plusieurs  Mémoires  de  botanique  à l’Académie, 
qui  s’empressa  de  l’admetlre  dans  son  sein,  à l’âge  de  33  ans.  L’un  de  ses  Mémoires  avait 

« 


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50  PREMIÈRE  PARTIE. 

pour  sujet  V Irritabilité  de»  Plante».  Duhamel,  Bonnet  et  Linné  s 'étaient  déjà  occupés  de  ce 
sujet  intéressant;  ils  avaient  observé  les  mouvements  de  contraction  des  feuilles  et  des  co- 
rolles ; Desfonlaines  poussa  plus  loin  ce  genre  de  recherches , et , en  l’appliquant  à tous  les 
organes  contractiles  de  la  fructification , il  mit  en  lumière  un  phénomène  jusque-là  ignoré, 
l’un  des  plus  importants  de  la  vie  végétale. 

C'est  sous  les  auspices  do  l'Académie  que  De. fontaines  entreprit , en  1783 , son  voyage  en 
Barbarie.  Ce  pays  était  alors  peu  connu,  et  une  pareille  tentative  ne  laissait  pas  d'offrir  de 
graves  dangers.  Il  pénétra  jusqu'au  mont  Allas,  uu  pays  des  1 .otophagos  et  au  désert  de 
Sahara.  Muni  do  recommandations  diplomatiques,  il  suivait  les  pachas  dans  leurs  tournées, 
en  so  mêlant  à leur  escorte , et  ce  devait  être  un  spectacle  assez  curions  que  de  voir  un  mo- 
deste botaniste,  herborisant  dans  ces  solitudes,  escorté  de  soldats  arabes , qui  le  protégeaient 
à la  fois  contre  la  rapacité  des  Bédouins  et  contre  les  attaques  des  lions  ou  des  tigres  du 
désert. 

Après  deui  ans  d'absence,  Desfonlaines  revenait  avec  uno  ample  mqisson  de  ç] antes , 
d’oiseaux  d'Afrique  et  d'autres  objets  d'Ilistoiro  naturelle.  Il  s'occupa  de  mettre  en  ordre 
toutes  cos  richesses,  et  publia  son  beau  voyage  sous  le  titre  de  Flore  atlantique.  C'était  le 
résultat  de  plusieurs  années  de  recherches  et  d'études.  L’ouvrage  contenait  la  description 
do  deux  mille  plantes,  parmi  lesquelles  on  comptait  trois  cents  espèces  nouvelles.  Lemonnier, 
qui  désirait  vivement  transmettre  à Desfontaines  sa  chaire  du  Jardin  du  Roi,  proposa  à 
Buffon  do  s'en  démettre  en  faveur  de  son  jeune  ami.  Buffon  fit  un  peu  désirer  son  consente- 
ment, mais  enfin  il  l’accorda.  Desfontaines  devait  bientôt  justifier  hautement  cette  faveur, 
ainsi  que  la  généreuse  protection  de  Lemonnier.  Nous  venons  de  voir  en  lui  le  naturaliste 
voyageur  ; nous  ne  tarderons  pas  à lo  retrouver  an  Muséum , donnant  à l'enseignement  de  la 
Botanique  l'impulsion  la  plus  heureuse  et  la  plus  féconde. 

Jacques-Julien  llouton  de  Lahillardière  était  né  à Alençon  en  1755.  Après  avoir  fait  dans 
sa  ville  natale  d'assez  bonnes  éludes,  il  alla  à Montpellier  pour  étudier  la  médecine,  et  prit 
dos  leçons  de  Botanique  de  Cnuan,  l'ami  de  Commerson,  dont  il  devait  un  jour  suivre  les 
traces  dans  les  terres  australes.  Il  vint  se  faire  recevoir  docteur  à Paris;  puis,  il  alla  en  An- 
gleterre, oit  il  fit  la  connaissance  du  célèbre  Joseph  Banks.  Il  parcourut  ensuite  les  Alpes  et 
le  Dauphiné  avec  lo  botaniste  Yillnrd.  Il  obtint , par  la  protection  de  Lemonnier,  de  s’embar- 
quer pour  un  voyage  à Chypre  et  en  Syrie.  Il  visita  Damas , le  mont  Carmel , et  passa  près 
d'une  année  à parcourir  le  Liban , ce  mont  fameux  qui  réunit  sur  ses  pentes  tous  les  climats , 
toutes  les  tonqiératures , et  qui , suivant  les  poêles  arabes , « porte  l’hiver  sur  sa  tête,  le  prin- 
« temps  sur  ses  épaules  et  l'automne  dans  son  sein,  tandis  que  l’été  dort  à ses  pieds.  » Il  en 
mesura  la  hauteur;  il  y étudia  les  cèdres,  dont  les  plus  gros  ont  3 mètres  de  diamètre.  Il  y 
trouva  ces  urbres  antiques,  réduits  à une  centaine  d’individus,  Le  nombre  do  ces  arbres 
diminue  chaque  siècle  ; des  voyageurs  en  comptèrent  depuis  trente  ou  quarante  ; plus  tard 
encore,  une  douzaine.  Suivant  M.  de  Lamartine,  aujourd’hui  il  n’y  en  aurait  plus  que  sept, 
que  leur  masse  peut  faire  présumer  contemporains  des  temps  bibliques.  Autour  de  ces  vieux 
témoins  des  âges  écoulés,  il  reste  encore  une  petite  forêt  de  cèdres  plus  jeunes,  qui  forment 
un  groupe  de  quatre  ou  cinq  cents  arbres  ou  arbustes. 

Lahillardière  observa  les  mœurs  des  habitants  de  ces  contrées,  cl  en  rapporta  beaucoup 
de  plantes.  Revenu  en  France,  il  se  préparait  à publier  la  relation  de  ce  voyage,  et  l’Académie 
venait  de  le  nommer  son  correspondant , lorsqu’il  fut  désigné  pour  faire  partie  do  l'expédition 
envoyée  à la  recherche  de  La  Pérouse , cet  infortuné  voyageur  qui , parti  depuis  trois  ans , 
n’avait  plus  donné  de  ses  nouvelles  et  ne  devait  pas  revoir  son  pays.  Lahillardière  s’emliarqua 
sous  les  ordres  de  d’Entrecasteaux,  avec  MM.  de  Rossel  et  Beautemps-Bcaupré  ; il  visita  Téné- 
riffe,  le  Cap,  la  Nouvelle-Hollande  et  les  Iles  de  la  Sonde.  Il  fil  partout  d’amples  récoltas  de 
plantes  et  d’objets  divers  d’Histoire  naturelle.  Lorsque  l’escadre,  après  avoir  perdu  son  chef, 
aborda  l'Ile  de  Java,  elle  fut  déclarée  prisonnière  et  mise  en  dépôt  entre  les  mains  des  Hollan- 


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HISTOIRE.  - 177  1 - 1794. 


51 


dais.  Il  fut  conduit  à Batavia , et  ou  lui  enleva  ses  collections  qui  furent  transportées  en 
Angleterre;  mais  hâtons-nous  de  dire,  à l'honneur  de  la  science,  que  Banks  les  lui  fit  rendre 
sons  y toucher , on  ajoutant  avec  délicatesse  u qu’il  eût  craint  d’enlever  une  seule  idée  bota- 
nique à un  homme  qui  était  allé  les  conquérir  au  péril  de  sa  vie.  » 

En  1795,  Labillardière  fut  rendu  à la  liberté  et  revint  en  France.  Il  s’occupa  aussitôt  do  la 
publication  de  son  Voyage  à ta  recherche  de  La  Pérouse,  quia  enrichi  presque  toutes  les  bran- 
ches de  l'Histoire  naturelle  d'observations  du  plus  haut  intérêt.  En  1804 , parut  sa  Flore  de  la 
Nouvelle-Hollande , le  premier  ouvrage  qui  ait  présenté  le  tableau  do  celte  végétation  singu- 
lière, si  différente  de  tout  ce  que  l’on  connaissait  jusqu'alors,  et  qui  donna  une  idée  générale  de 
ce  troisième  monde , peuplé  d’étres  naturels  presque  sans  analogues  dans  les  deux  aatres.  Ce 
n'est  que  vingt  ans  après  qu’il  publia  sa  Flore  de  la  Nouvelle-Calédonie , complément  de  la 
précédente , et  qui  acheva  de  faire  connaître  les  ressources  végétales  do  ces  vastes  contrées. 
Sans  être  un  botaniste  de  premier  ordre,  Labillardière  a rendu  à cetto science  d'éminents  ser- 
vices, Il  s’est  attaché  surtout  â enrichir  l'agriculture  de  végétaux  utiles  et  capables  d'être  na- 
turalisés en  Europe.  C'est  à lui  que  l’on  doit,  par  exemple,  lu  lin  de  la  Nouvelle-Zélande 
( Phormium  lenax ) , plante  textile  pourvue  de  qualités  bien  supérieures  à celles  de  notre  lin  et 
de  notre  chanvre,  et  qui,  parfaitement  acclimatée  dans  nos  provinces  méridionales,  promet 
dans  l'avenir  d'admirables  produits  â notre  industrie.  La  narration  de  Labillardière  est  simple, 
naturelle , remplie  de  faits  nouveaux  ; elle  a le  tou  qui  convient  à un  observateur  conscien- 
cieux. Nous  avons  dit  quo  son  humour  était  peu  sociable  ; cependant  il  était  spirituel , mais 
caustique , quelquefois  gai , mais  enclin  à la  satire,  n Le  Irait  dominant  de  son  caractère , a 
dit  M.  Flourens,  était  le  goût  ou  plulût  la  passion  de  l'indépendance.  Pour  être  plus  libre,  il 
vivait  seul  ; il  s’était  arrangé  pour  que  tout,  dans  sa  vie,  nu  dépendit  que  de  lui  : son  temps, 
sa  fortune,  ses  occupations  : ami  sincère , mais  d’une  amitié  circonspecte  et  toujours  prompte 
a s’effaroucher  à la  moindre  apparence  de  sujétion.  » il  avait  succédé  à L’Héritier  dans  le  sein 
do  l’Académie  des  sciences.  On  a appelé  cap  Labillardière  l'extrémité  des  terres  les  plus  éle- 
vées de  la  Louisiane.  Le  docteur  Smith  a dédié  à ce  voyageur  le  genre  Billardiera,  plante 
de  la  Nouvelle-Hollande,  qui  appartient  â la  famille  des  pitlosporéos.  Il  mourut  octogénaire, 
è Paris,  en  1834. 

Après  ces  noms  illustres,  chers  à tant  de  titres  à nos  suuvenirs,  ce  serait  être  ingrat  quo 
d'omettre  ceux  du  quelques  voyageurs  étrangers,  à qui  la  science  comme  l'humanité  doivent 
des  services  analogues  et  une  égale  reconnaissance.  Nous  venons  de  prononcer  le  nom  do 
J.  Banks  qui , pendant  les  guerres  de  la  fin  du  dernier  siècle  et  du  commencement  de  celui-ci, 
fut  le  palladium  des  naturalistes  français  ; il  les  sauvait  de  la  captivité,  il  leur  faisait  rendre 
leurs  collections,  il  protégait  les  expéditions  savantes;  sans  lui,  la  plupart  de  nos  collections 
publiques  seraient  encore  incomplètes.  Joseph  Banks , d'origine  suédoise , né  à Londres , en 
1743,  devait  son  goût  pour  les  sciences  naturelles  â Buffon  et  à Linné.  Jeune , ardent  et  pos- 
sesseur d’une  fortune  indépendante , il  prit  la  passion  de  la  Botanique  et  celle  des  voyages , 
que  sou  intimité  avec  le  comte  de  Sandwich,  devenu  chef  de  l'Amirauté,  lui  rendit  facile  à 
satisfaire.  En  1768 , il  lit  partie  d'une  expédition  à Terre-Neuve.  A cette  époque,  on  en  des- 
tina plusieurs  autres  à des  recherches  de  géographie;  l’uno  d’elles  (de  1768  à 1771)  fut  celle 
de  Cook,  qui  avait  en  même  temps  pour  objet  d'observer,  à Otaïti,  lo  passage  de  Vénus  sur  le 
disque  du  soleil.  Banks  s’y  associa,  ainsi  quo  Solandcr,  naturaliste  suédois,  élève  de  Linné, 
el  comme  lui  fils  d'un  pasteur  de  village.  C’était  la  première  fois  que  l'Histoire  naturelle  et 
l’Astronomie  s'unissaient  pour  leurs  recherches  â la  grande  navigation.  A la  même  époque , 
Catherine  il  envoyait  Pallas,  dans  le  même  but,  en  Sibérie,  et  Louis  XV  ordonnait  le  premier 
voyage  autour  du  inonde  do  Bougainville  et  Commerson. 

Bien  que  J.  Banks,  aidé  de  Solander,  ail  rapporté  d'immenses  collections,  il  n'en  publia 
lui-même  qu’une  faiiilo  partie.  Peu  soucieux  de  la  gloire  du  savant , mais  ne  songeant  qu'à  so 
rendre  utile,  Banks  mettait  ses  manuscrits  comme  ses  collections  à la  dis;iosition  de  tous  ceux 


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Z2  IMtKMlfcltK  PARTIR. 

qui  voulaient  y puiser.  Fahricius  en  a tiré  son  Histoire  des  insectes  % Broussonnet  colle  îles 
poissons,  tous  les  botanistes , (lu  i tuer,  \ahl,  Robert,  ou  ont  publié  les  végétaux.  Il  envoyait 
des  échantillons  et  des  graines  à tous  les  jardins  de  I* Europe.  Ou  lui  doit,  outre  les  plantes 
et  les  arbres  qu’il  rapporta  eu  très-grand  nombre,  plusieurs  animaux  précieux  : le  Cygne  noir, 
le  Kangurno,  le  Pliaseoloine , qui  se  sont  répaudus  dans  nos  bassins  nu  dans  nos  parcs;  il 
donna  la  connaissance  générale  de  ces  lies  dont  est  semés*  la  mer  Pacifique  et  do  la  nature 
toute  spéciale  dont  elles  sont  couvertes.  Il  en  fut  de  même  pour  la  Nouvelle-Hollande,  ce 
troisième  monde  d’un  si  grand  avenir,  si  différent  des  deux  autres  par  sa  topographie, 
comme  par  les  êtres  naturels  dont  il  est  («cuplé , et  dont  l'importance  et  l’intérêt  se  dévelop- 
pent chaque  jour, 


Cook  J lu**.. 

Eu  1772,  le  capitaine  Cook  repartit  pour  uu  nouveau  voyage.  Banks  et  Solander  devaient 
encore  faire  partie  de  celte  expédition.  Quelques  difficultés  s’étant  élevées  entre  eux  et  le  ca- 
pitaine, Banks  et  son  compagnon  partirent  pour  les  contrées  du  Nord.  Ils  visitèrent  d’abord 
lile  du  Slaffa  et  sa  fameuse  grotte  aux  colonnes  de  basalte;  ils  allèrent  ensuite  en  Islande. 
Banks  devint  le  bienfaiteur  «les  pauvres  habitants  de  cette  contrée;  il  attira  sur  eux  l'attention 
du  roi  de  Danemark  ; pendant  une  disette , il  leur  envoya  à ses  frais  une  cargaison  de  grains. 
Do  retour  à Londres,  il  fut  accueilli  avec  empressement  par  tous  les  hommes  éclairés;  il  de- 
vint président  du  la  Société  royale,  el  conserva  ce  litre  pendant  quarante  cl  un  ans.  Il  fut  fait 
baronnet , conseiller  d’État , el  le  roi  le  décora  de  l’ordre  du  Bain.. 

J.  Banks  n’usa  jamais  pour  lui-même  du  crédit  et  de  la  haute  faveur  «iont  il  jouissait.  Il 
dirigea  l’attention  du  souverain  sur  futilité  des  voyages  et  de  l'Histoire  naturelle  pour  les 
progrès  de  l’agriculture.  Il  protégeait  partout  les  savants  et  les  encourageait  par  ses  conseils 
comme  par  ses  largesses.  Son  zèle  et  sa  libéralité  adoucissaient  les  maux  de  la  guerre  envers 
tous  ceux  «|ui  se  livraient  aux  travaux  scientifiques.  Louis  X\  1 avait  fait  respecter  Cook  en 


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HISTOIRE. - 177  1-1701.  53 

Amérique,  et  si  ce  bel  exemple  est  devenu  la  loi  des  Dations,  on  peut  dire  i{uc  J.  Banks  y a 
puissamment  contribué  ; il  obtint  des  ordres  semblables  en  faveur  de  l’infortuné  La  Pérouse  ; 
nous  avons  vu  avec  quelle  noble  délicatesse  il  lit  rendre  à Labillardière  scs  collections;  il  agit 
de  la  même  manière  avec  plusieurs  naturalistes.  Il  fit  racheter  au  cap  «le  Bonne-Espérance 
des  caisses  prises  par  îles  corsaires,  et  qui  appartenaient  à M.  do  Humboldt;  il  fit  parvenir 
des  secours  à Broussoimet,  réfugié,  pendant  la  révolution,  en  Espagne  et  au  Maroc;  ses  bien- 
faits pénétrèrent  jusque  dans  la  prison  de  Dolomicu,  à Messine.  Ses  collections,  sa  bibliothè- 
que, son  crédit  et  sa  fortune  étaient  à la  disposition  de  tous  les  amis  de  la  science  ; sa  maison, 
ouverte  avec  une  hospitalité  sans  égale  à tous  les  savants,  était  comme  une  seconde  Acadé- 
mie. En  emmenant  Solander  avec  lui  dans  ses  voyages,  il  lui  avait  assuré  400  livres  de  renies 
(10,000  fr.),  et  au  retour  il  ie  fit  nommer  sous-bibliothécaire  du  Musée  britannique. 

Joseph  Banks  était  d'une  activité  infatigable  cl  d’une  curiosité  à laquelle  il  fallait  que  tout 
cislèl.  On  cito  de  lui  vingt  traits  de  hardiesse , fondés  sur  sa  passion  de  voir  et  d’apprendre. 
Au  Brésil,  il  se  glissa  comme  un  contrebandier  sur  le  rivage,  pour  s'emparer  do  quelques 
productions  naturelles  que  lo  gouverneur  avait  eu  la  sottise  do  lui  refuser.  A Otaiti , il.  s’était 
fait  teindre  en  noir,  de  la  tête  aux  pieds,  pour  figurer  dans  une  cérémonie  funèbre  à laquelle, 
sans  cela , il  n’eût  pu  assister.  Son  esprit  bienveillant  et  ferme,  sa  belle  physionomie,  sa  tuille 
imposante  commandaient  le  respect  et  inspiraient  la  confiance.  Les  sauvages , qu'il  comblait 
de  bienfaits,  le  prenaient  pour  arbitre  dans  leurs  différends  et  lui  portaient  une  vive  affection. 
La  noblesse  du  caractère  impose  à tous  les  hommes  civilisés  ou  non  ; c’est  uno  suprématie  à 
laquelle  partout  on  est  contraint  de  céder. 

Qu'on  nous  pardonne  cettu  digression  : la  science  est  cosmopolite  et  lus  distinctions  de 
nationalité  n’existent  point  pour  elle.  Tandis  que  Banks  protégeait  scs  hardis  représentants  en 
son  nom  comme  au  nom  de  l’Angleterre,  l'Institut,  sous  le  même  prétexte , couvrait  de  sa 
sauvegarde  les  savants  étraugers  retenus  eu  France  parla  guerre  euroiiéeune.  Nos  voisins, 
nous  aimons  à le  croire,  n'hésiteraieut  donc  point  à admettre,  dans  leur  panthéon  scientifique, 
les  noms  de  Domhey,  de  Commcrson , de  Bougainville,  cornmo  notre  Muséum  peut  s’honorer 
de  ceux  de  Banks , de  Cook  et  de  Solander. 

Tels  senties  principaux  résultats  auxquels  étaient  parvenus,  en  moins  d'un  quart  de  siècle, 
ce  petit  groupe  de  naturalistes  intrépides.  On  ne  se  rendait  point  compte  encore  de  l’impor- 
tance de  tant  «l'acquisition*  précieuses,  ducs  à leur  dévouement  comme  à leur  sagacité. 
L'espace  manquait  |«mr  mettre  en  lumière  toutes  ces  richesses,  les  métlioiles  ne  suffisaient 
point  pour  les  classer;  la  roôlogic  et  la  minéralogie  n'étaient  pas  même  représentées  par  des 
professeurs  spéciaux.  Jusque-là,  dans  les  cabinets,  ou  songeait  plulèt  à rassembler  des  échan- 
tillons curieux , à donner  un  certain  éclat  aux  collections , qu'à  les  compléter  en  faveur  de 
l'étude.  Buffon  avait  peu  de  goût  pour  les  méthodes;  il  aimait  à peindre  la  nature  dans  ce 
désordre  harmonieux  qui  la  caractérise  ; il  eût  voulu  que  le  cabinet  rappelât  ect  ensemble 
plein  d'abondance  et  do  variété  qu'il  avait  cherché  à reproduire  dans  ses  écrits,  ot  où  les  op- 
positions, les  contrastes,  en  excitant  la  curiosité,  en  éveillant  vivement  l'attention,  foui  naître 
quelquefois  des  vues  et  des  idées  nouvelles.  Mais  ce  syslèmo  avait  l'inconvénient  de  laisser 
dans  l'ombre  une  foule  d’objets  qui  servent  à lier  les  espèces , à caractériser  les  séries  et  à 
compléter  l'ensemble.  C’est  la  même  pensée  qui  faisait  entasser  dans  des  magasins  fermés  au 
public  la  belle  collectiou  de  pièces  anatomiques  préparées  par  Daubonton  ; et  pourtant , ces 
richesses  ainsi  accumulées,  et  dont  on  ne  connut  le  prix  que  longtemps  apres , avaient  fourni 
à Buffon  lui-même  les  éléments  de  son  histoire  dos  Oiseaux,  à Lacépède,  ceux  de  l'histoire 
des  Poissons  ; ils  allaient  bientôt  offrir  à M.  Ilaiiy  les  matériaux  d'un  système  complet  de 
minéralogie,  ot  permettre  un  peu  plus  lard  à Cuvier  de  poser  les  premières  assises  du  monu- 
ment qu’il  devait  élever  à l'iumtomie  comparée. 

Dans  les  premières  années  de  cette  période,  la  Botanique  perdit  presque  à la  fois  les  trois 
hommes  auxquels  elle  avait  dû  jusque-là  scs  plus  grands  progrès  pendant  le  cours  du  même 


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54  PREMIÈRE  PARTIE. 

siècle.  Bernard  de  Jussieu  s’éteignit  en  1777  ; Haller  et  Linné  succombèrent  dans  les  doux 
mois  qui  suivirent  sa  mort.  L’éloge  de  Bernard  fut  prononcé  à l’Académie  des  sciences  par 
Condorcet,  en  1778,  dans  une  séance  publique  à laquelle  assistait  Voltaire,  qui  devait  mourir 
la  même  année.  Enfin,  la  Botanique  devait  encore  perdre,  au  même  moment,  Jean-Jacques 
Rousseau , qui  avait  cherché  dans  l’étude  du  Règne  végétal  quelque  compensation  aux  mé- 
comptes qu'il  avait  cru  trouver  dans  le  commerce  des  hommes.  Dans  les  cinq  dernières  an- 
nées de  sa  vie,  il  avait  suivi  avec  assiduité  les  herborisations  de  Laurent  de  Jussieu.  On  sait 
toutes  les  lumières  et  tout  le  charme  qu’il  avait  répandus  sur  les  éléments  de  cotte  étude, 
dons  ses  lettres  célèbres  adressées  à madame  Dolessert,  et  son  nom  vient  naturellement 
s’ajouter  à celui  des  hommes  éminents  que  celte  science  venait  de  perdre  dans  l’espace  de 
quelques  mois. 

Tandis  que  Buffon  donnait  en  France  un  si  vif  élan  à l’étude  des  sciences  naturelles,  uu 
autre  naturaliste,  son  émule,  son  contemporain,  car  il  naquit  la  même  année  que  lui,  mé- 
ditait uu  projet  de  révolution  complète  dans  l’histoire  de  la  nature.  Nous  avons  dit  ailleurs  que 
Linné  avait  visité  la  France  et  le  Jardin  du  Roi  ; la  haute  influence  qu’il  exerça  si  longtemps 
sur  la  Botanique,  ses  liaisons  avec  les  naturalistes  français,  mais  surtout  la  gloire  de  son 
nom,  ne  nous  permettraient  pas  de  le  passer  sous  silence  dans  le  rapide  coup  d'œil  que  nous 
jetons  ici  sur  la  marche  de  cette  science. 

Charles  Linné  était  fils  d’un  pauvre  pasteur  do  village , qui , le  croyant  doué  d'une  intelli- 
gence médiocre,  voulait  d’abord  en  faire  un  cordonnier  ; mais  un  ami  de  sp  famille,  le  doc- 
teur Rothman , en  porta  un  meilleur  jugement , et  décida  ses  parents  à lui  faire  étudier  la 
médecine , ce  point  de  départ  presque  général  des  naturalistes  célèbres.  Dès  ses  premières  an- 
nées, il  avait  manifesté  pour  les  plantes  un  goût  aussi  vif  que  précoce.  Sa  mère  aimait  beau- 
coup les  fleurs;  pendant  su  grossesse,  elle  suivait  des  veux  avec  amour  sou  mari  cultivant  son 
modeste  jardin , et , quand  elle  allaitait  son  fils , elle  no  parvenait  à apaiser  les  cris  de  l’en- 
fant qu’en  mettant  des  fleurs  dans  scs  mains.  Ce  penchant  naturel  se  développa  encore  avec 
l'âge.  Cependant , son  père  avait  bien  de  la  peine  à subvenir  aux  frais  de  ses  études.  Linné 
gagna  d'abord  quelque  argent  à faire  des  copies,  puis  il  dounA  des  leçons  de  latin  à d'autres 
écoliers  ; on  ajoute  que,  se  souvenant  de  son  premier  métier,  il  raccommodait  à son  usage 
les  chaussures  de  ses  condisciples.  Enfin,  ou  lui  confia  la  direction  du  jardin  botanique 
d’tpsal , et  c’est  en  s’efforçant  d’y  mettre  de  l’ordre  qu’il  reconnut  les  vices  des  méthodes,  et 
qu’il  songea  à les  réformer.  Ce  fut  de  même  en  lisant  le  discours  d’ouverture  du  cours  de  Vail- 
lant qu’il  conçut  l’idée  d’un  système  fondé  sur  les  organes  de  la  fructification.  Quelques  années 
après , une  autre  idée  lumineuse  devint  pour  lui  comme  une  seconde  révélation  : il  imagina 
d’exprimer  le  nom  de  chaque  plante  au  moyeu  de  deux  mots  seulement , au  lieu  de  la  phrase 
caractéristique,  mais  souvent  assez  longue,  de  Bauhin  ou  de  Tourricfort.  Linné  était  âgé 
do  27  ans  quand  il  publia  son  premier  ouvrage  : Spccies  Plantation;  il  avait  déjà  fait  un 
voyage  en  Laponie , aux  frais  de  la  Société  royale  des  sciences  dT’psal.  A cette  époque,  il 
vint  en  Hollande  pour  étudier  sous  l'illustre  Roërhaave,  qui  le  prit  aussitôt  en  amitié.  Celui-ci 
le  présenta  à un  riche  amateur,  George  Cliffort,  chez  qui  Linné  séjourna  pondant  trois  ans, 
et  pour  lequel  il  écrivit  son  Hortus  Cliffortianus.  Quand  il  quitta  l'Université  de  Leydo  pour 
venir  en  France,  le  jeune  savant  alla  faire  ses  adieux  à Boerhaave  qui,  déjà  vieux  et  presque 
mourant,  l’embrassa  et  lui  dit  ces  touchantes  paroles  : « J’ai  rempli  ma  carrière;  que  Dieu 
« te  conserve , toi  qui  commences  la  tienne.  Le  monde  savant  a obtenu  de  moi  ce  qu’il  en 
« attendait;  mais  il  attend  plus  encore  de  toi.  Adieu,  mon  Linné,  adieu,  mon  fils!...  » 

Linné  arriva  à Paris  en  1738.  Le  botaniste  Adrien  Van  Royen , qui  avait  succédé  à 
Boërhaave,  lui  avait  donné  une  lettre  de  recommandation  j>our  Bernard  do  Jussieu.  Lorsqu’il 
se  présenta  au  Jardin  du  roi , Bernard  faisait  une  démonstration  de  Botanique , et  présentait 
aux  élèves  une  plante  originaire  d'Amérique,  en  leur  demandant  s’ils  pourraient,  à ses  carac- 
tères extérieurs , reconnaître  sa  patrie.  On  se  taisait , quand  Linné , élevant  la  voix , s’écria  en 


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HISTOIRE.  - 177  1 - 1704.  6$ 

latin  : « Faries  Americana ! » Physionomie  américaine!  Bernard  jetant  les  yeux  sur  lui,  ré- 
pondit aussitôt  : « Tu  es  Linncus!  » Vous  êtes  Linné! 

A son  retour  en  Suède,  Linné  ne  tarda  pas  à être  nommé  premier  médecin  du  roi , membre 
de  l’Académie  de  Stockholm  et  professeur  de  Botanique  à Upsal.  Il  devait  occuper  cette  chaire 
pendant  trente-sept  ans.  C’f»st  devant  cette  longue  période  de  professorat  qu’il  profita , de 
même  que  Buffou , de  sa  haute  influence  et  de  tous  les  moyens  dont  il  disposait  pour  étendre 
et  perfectionner  la  science , pour  recueillir  les  éléments  de  ses  ouvrages  et  pour  les  publier.  Il 
fit  donner  des  commissions  à des  élèves  qui,  de  tous  les  points  du  globe,  lui  rapportèrent  des 
matériaux  immenses  ; les  naturalistes  du  monde  entier  s’empressaient  de  lui  offrir  tout  ce 
quils  croyaient  digne  de  lui.  Do  toutes  parts,  à l’exemple  de  la  Suède  comme  de  la  France, 
les  nations  s’efforçaient  de  seconder  ce  prodigieux  essor  d’une  science  encore  nouvelle.  Linné 
recevait  de  tous  les  corps  savants  et  de  tous  les  souverains  les  marques  les  plus  éclatantes  de 
considération;  mais,  inaccessible  à l’orgueil,  ces  honneurs  ne  changeaient  rien  à la  simplicité 
de  ses  goûts  et  de  ses  habitudes  ; la  critique , à laquelle  d’ailleurs  il  ne  répondit  jamais , ne 
réussissait  pas  davantage  à l’émouvoir. 

Le  plus  célèbre  des  écrits  de  Linné  , sa  Philosophie  botanique  » publiée  en  1751 , est  le  ré- 
sumé de  plusieurs  opuscules  qu’il  avait  déjà  produits  sous  différents  titres,  comme  pour  y 
servir  de  prélude.  C’est  un  ouvrage  rempli  d’érudition  et  de  vues  nouvelles,  présentées  dans 
un  style  concis,  élevé  et  souvent  poétique.  Il  est  devenu  le  coda,  la  loi  fondamentale  des  bo- 
tanistes ; les  principes  en  ont  été  heureusement  appliqués  à d’autres  branches  do  l’Histoire 
naturelle.  Son  Systema  naturœ , qui  d’abord  ne  se  composait  que  de  trois  feuilles,  fut  réim- 
primé un  grand  nombre  de  fois,  et,  augmenté  de  toutes  les  découvertes  récentes,  il  a fini  par 
prendre  des  dimensions  prodigieuses,  au  point  que  la  quatorzième  édition,  donnée  par  Gmelin, 
comprenait  déjà  dix  gros  volumes  in-8°. 

Si  le  système  artificiel  de  Linné  a dû  perdre  de  son  crédit  en  présence  de  la  méthode  natu- 
relle fie  Jussieu,  il  n’en  est  pas  de  même  de  sa  nomenclature,  qui  est  restée  dans  la  science 
et  à laquelle  tous  les  naturalistes  se  sont  généralement  rattachés.  On  en  peut  dire  autant  de 
sa  Philosophie  botanique  qui  a conservé  jusqu'à  nos  jours  sa  haute  autorité.  Linné  réunissait 
toutes  les  qualités  nécessaires  au  succès  «le  ses  grandes  vues;  il  rangea  toutes  les  productions 
de  la  nature  sous  une  loi  nouvelle  ; il  créa  pour  la  science  une  langue  spéciale  ; son  enseigne- 
ment se  répandit  et  domina  dans  toutes  les  écoles  pendant  plus  d’un  demi-siècle.  Sa  société 
était  douce , sûre , remplie  de  charme  ; sa  bienveillance  et  sa  piété  étaient  sincères , son  zèle 
et  son  activité  infatigables.  Le  principal  caractère  fie  Linné  fut  d’ètre  un  grand  professeur , 
comme  Buffon  un  grand  philosophe.  Malheureusement  une  dissidence  regrettable  sépara  tou- 
jours ces  deux  hommes  de  génie,  qui  eussent  encore  augmenté  l’élan  de  la  science,  s’ils  se 
fussent  entendus  et  réunis  pour  la  servir. 

Linné  mourut  en  1778,  d’une  attaque  d'apoplexie,  à l'âge  de  71  ans.  Il  avait  refusé  les 
offres  de  plusieurs  monarques  qui  désiraient  l’attirer  dans  leurs  États.  « Les  talents  que  je 
liens  fie  Dieu,  avait-il  toujours  répondu*  je  les  «lois  à ma  patrie.  »>  Aussi  le  roi,  Gustave  III, 
l’honora-t-il  dignement  et  s’honora  lui-même  en  écrivant  l’éloge  funèbre  de  ce  grand  natura- 
liste, qui  répandit  sur  la  Suède  une  gloire  non  moins  éclatante  et  sans  doute  plus  durable  que 
celle  de  son  infortuné  souverain. 

L’enseignement  de  la  Botanique  au  Jardin  du  Roi  était  heureusement  tombé  dans  des  mains 
qui , loin  de  se  borner  à le  soutenir  dignement,  ne  tardèrent  pas  à l'enrichir  des  plus  écla- 
tantes découvertes.  Desfontaines  occupait  la  chaire  de  Lomonnier,  Antoine-Laurent  de  Jussieu 
avait  succédé  à son  oncle  Bernard , André  Thouin  était  chargé  du  soin  des  cultures.  La 
science  des  végétaux  allait  devoir  à ces  trois  savants  des  progrès  qui,  dans  son  histoire,  si- 
gnalent, comme  une  date  glorieuse,  la  fin  du  siècle  dernier. 

Lorsqu’on  1774,  on  eut  résolu  d'agrandir  le  Jardin  et  d’en  renouveler  les  plantations* 
Laurent  de  Jussieu  et  André  Thouin  tombèrent  facilement  d'accord  sur  la  méthode  suivant 


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66  P R K M I fc  R R PARTIR. 

laquelle  serait  disposée  la  nouvelle  école.  C’était t pour  le  premier,  une  heureuse  occasion 
d’appliquer  en  grand  les  idées  de  son  oncle  et  les  vues  propres  qu'il  venait  de  développer  dans 
ses  deux  Mémoires  à l’Académie  ; mais  cette  grande  opération  exigeait  des  essais , des  tâton- 
nements ; une  réforme  aussi  capitale  ne  pouvait  s’opérer  qu’avec  lenteur  et  circonspection  ; 
aussi  les  travaux  se  continuèrent-ils  pendant  plusieurs  années,  et  ce  n’est  guère  qu’en  1787 
qu’ils  furent  terminés.  Ce  ne  fut  pas  un  médiocre  succès  pour  Jussieu  que  do  faire  consentir 
Ruffon  à laisser  introduire  au  Jardin  la  nomenclature  de  Linné  ; mais  déjà  sa  parole  était  une 
autorité  en  Botanique,  et  les  réformes  qu’il  proposait  formaient  comme  l’avenir  de  1a  science. 

Antoine-Laurent  de  Jussieu  était  né  à Lyon,  en  1748.  Il  avait  17  ans  et  demi  quand  son 
oncle  l’appela  à Paris.  C’est  sous  les  yeux  de  l’illustre  vieillard  qu’il  commença  ses  études 
médicales,  et  c’est  de  lui  qu’il  reçut  les  premières  notions  d’Histoire  naturelle.  Bernard  menait 
une  vie  fort  retirée  et  ses  habitudes  étaient  d’une  régularité  extrême.  « Tout,  dans  sa  maison, 
était  soumis  a l’ordre  le  [dus  exact  et , si  l’on  peut  s’exprimer  ainsi , à l’esprit  de  méthode  le 
*plus  sévère.  Chaque  chose  s’y  faisait,  chaque  jour,  à la  même  heure  et  de  la  même  manière. 
Chaque  repos  avait  son  heure  fixe  et  invariable.  On  soupait  à neuf  ; et,  lorsque  le  jeune  Lau- 
rent allait  jusqu’à  se  permettre  la  distraction  du  théâtre,  il  n’ouhliait  jamais  de  calculer  le  nombre 
précis  de  minutes  qu’il  lui  fallait  pour  rentrer  dans  la  salle  à manger  par  une  porte,  juste  dans 
le  moment  même  oh  son  oncle  y entrait  par  l'autre...  L’onde  et  le  neveu  travaillaient  tout  le 
jour  dans  la  même  chambre , sans  se  parler.  Le  soir,  le  neveu  faisait  la  lecture  à son  oncle, 
qui  lui  communiquait,  à son  tour,  ses  vues  et  ses  réflexions.  On  sent  que  les  impressions 
reçues  auprès  d’un  homme  de  cette  trempe  ne  devaient  guère  moins  influer  sur  le  caractère 
du  jeune  Jussieu  que  sur  son  génie.  Aussi,  même  simplicité  dans  les  habitudes,  même  con- 
stance dans  le  travail , même  persévérance  dans  le  développement  d’une  grande  idée  et  de  la 
même  idée  : jamais  deux  hommes  ne  semblèrent  plus  faits  pour  se  continuer  l'un  l’autre , et 
n’être,  si  l’on  peut  ainsi  dire,  que  les  deux  Ages,  les  deux  phases  successives  d’une  même 
vie  (I).  » 

AI.  de  Jussieu  n’avait  que  25  ans  lorsqu’il  présenta  à l'Académie  des  sciences  son  premier 
Mémoire , intitulé:  Examen  de  la  famille  de»  Renoncules.  Ce  Mémoire  renfermait  déjà  tous  les 
éléments  «le  là  grande  pensée  qu’il  consacra  sa  vie  à approfondir  et  à développer,  à savoir  : 
les  principes  de  la  méthode  naturelle.  !•  y établissait  qu’à  côté  de  la  nomenclature  qui, 
jusque-là,  semblait  avoir  occupé  exclusivement  les  botanistes,  doit  se  placer  la  recherche  des 
caractères  des  plantes  ; que  tous  ces  caractères  n’ont  pas  la  même  importance  et  qu’il  ne 
suffit  pas  de  les  énumérer,  mais  qu'il  faut  surtout  les  évaluer.  Cette  valeur  relative  des  orga- 
nes, il  la  fondait  d’abord  sur  la  nature  «le  leurs  fonctions,  sur  leurs  rapjiorts  avec  le  dévelop- 
pement du  végétal  et  aussi  sur  leur  constance  plus  ou  moins  grande,  qui  se  rattache  toujours 
à leur  plus  ou  moins  grande  importance  dans  l’organisation.  Enfin , il  appliquait  ces  principes 
à un  groupe  de  plantes,  dont  il  rapprochait  les  éléments  épars,  à une  famille  qui  formait 
d’ailleurs  le  premier  anneau  de  celte  grande  chaîne  «les  plantes  dieotvlédonées. 

L’année  suivante,  1774,  Jussieu  présenta  à l'Académie  un  nouveau  Mémoire,  ayant  pour 
litre  : Exposition  d’un  nouvel  ordre  de  plante » adopté  dans  les  démonstrations  du  Jardin  royal. 
Il  y développait,  y précisait  encore  les  mêmes  vues  , et  déterminait  les  grandes  divisions  de  la 
méthode  naturelle,  qu’il  nommait  des  classes.  Il  les  fondait  d'abord  sur  les  lobes  de  l’embryon, 
puis  sur  l'insertion  fies  étamines.  Il  établissait  ensuite,  sur  des  caractères  de  moins  en  moins 
élevés,  les  divisions  secondaires  : celles  des  familles,  des  genres,  des  espèces,  et  y joignait 
l’exemple  de  certains  groupes  qui  justifiaient  d’une  manière  éclatante  et  ces  principes  et  leurs 
applications. 

C’est  à ces  deux  Mémoires  que  semblèrent  s’arrêter,  pendant  quelques  années,  les  commu- 
nications de  M.  de  Jussiim  avec  l’Académie;  mais  il  n’en  poursuivait  pas  moins,  soit  dans  ses 

(I)  M.  Flourfn*,  Êleje  hi»toriqnr  d'Antoine- Laurent  de  Jatsien 


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HISTOIRE.  - 1771  - 1704.  57 

étud«*s  privées,  soit  dans  son  enseignement,  les  grandes  vues  de  réforme  qu’annonçaient  ses 
premiers  travaux.  Enfin,  quinze  ans  après  leur  apparition,  il  exposa  définitivement  l’ensemble 
de  ses  idées  dans  un  ouvrage  capital  : Généra  plantarum , etc.,  publié  en  1789,  qui  constitue 
une  date  remarquable  dans  l'histoire  de  la  Botanique,  comme  dans  celle  du  Jardin  du  Hni.  Le 
livre  s’ouvrait  par  une  Introduction  dans  laquelle  Jussieu  exposait  l’ordonnance  générale  de  sa 
méthode.  Il  y établissait  en  mémo  temps  les  principes  généraux  de  toute  classification  des 
êtres  naturels,  principes  qu’il  fondait  sur  une  science  entièrement  neuve  et  dont  la  découverte 
lui  était  propre,  celle  de  la  subordination  des  caractères.  Le  reste  de  l’ouvrage  avait  pour  objet 
la  répartition  de  toutes  les  plantes  connues  en  cent  familles,  déterminées  par  l’ensemble  et  les 
rapports  de  situation  des  principaux  caractères. 

Mais  ce  n’est  pas  ici  que  l’on  doit  s’attendre  à trouver  les  développements  de  cette  grande 
et  féconde  pensée.  La  méthode  naturelle  d’Antoine-Laurent  de  Jussieu  a été  exposée  avec  tant 
de  précision  et  de  lucidité  dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage,  que  nous  croyons  parfaite- 
ment inutile , en  la  reproduisant , d'interrompre  un  récit  particulièrement  consacré  aux  événe- 
ments généraux  «le  l’histoire  de  la  science. 

Ia  question  des  affinités  naturelles  dans  le  règne  végétal  n’était  pas  nouvelle.  Magnol 
l’avait  examinée  le  premier  en  1689,  et  s’était  même  servi  à ce  sujet  île  l’expression  heureuso 
de  famille.  Rivinus,  Morison,  Jean  Ray  s'en  étaient  préoccupés  et  l’avaient  étendue.  Adanson 
surtout,  après  avoir  démontré  le  vice  de  toute  classification  artificielle,  avait  dit  que  toute 
méthode  devait  se  fonder  sur  l’ensemble  des  caractères;  mais  il  n’avait  pas  songé  à leur 
valeur  relative  et  à leur  subordination.  On  admettait , on  observait  partout  des  affinités  natu- 
relles, mais  on  n’en  connaissait  pas  les  lois.  Voilà  le  trait  de  lumière  qui  appartient  sans  nul 
doute  à Bernard  de  Jussieu,  le  principe  qu’il  a découvert,  sans  le  soumettre  à une  analyse 
rigoureuse,  mais  que  Laurent  a saisi,  dégagé , appliqué  surtout,  avec  la  sagacité  et  la  persé- 
vérance qui  caractérisent  le  vrai  génie. 

L’apparition  du  Généra  plantarum  eut  lieu  au  même  moment  que  celte  grande  explosion 
politique  qui  devait  changer  les  destinées  de  la  France.  Les  hauts  intérêts  qui  préoccupaient 
alors  tous  les  esprits  devaient  les  rendre  peu  attentifs  à la  révolution  botanique  que  préparait 
le  livre  de  JW.  de  Jussieu.  Sa  publication  coïncidait  aussi  avec  l’un  des  plus  grands  événe- 
ments de  l’histoire  scientifique  : les  découvertes  de  la  chimie  moderne  et  les  théories  do 
Lavoisier,  qui  fixaient  dès  lors  à un  si  haut  degré  l’attention  do  l’Europe  savante.  La  méthode 
naturelle  d’ailleurs  n'était  pas  inattendue;  ce  n’était  pas  une  réforme  brusque  et  radicale,  elle 
ne  touchait  pas  à la  nomenclature  linéenne,  elle  résumait  seulement  des  idées  déjà  admises,  et 
qu'elle  fixait  invariablement.  Son  influence  s’établit  donc  d’une  manière  paisible  et  d’abord 
presque  inaperçue;  mais  elle  grandit  peu  à peu,  se  répandit  généralement  dans  la  science  et 
s'étendit  même  à d’autres  branches  de  l’histoire  naturelle,  à la  zoologie  surtout,  à laquelle, 
peu  d’années  après,  Georges  Cuvier  devait  en  faire  une  si  brillante  application. 

M.  «le  Jussieu  traversa  sans  dangers  les  troubles  de  la  révolution,  et  ses  travaux  scienti- 
fiques ou  furent  à peine  interrompus.  En  1790,  il  fut  chargé  par  la  mairie  de  Paris  du  dépar- 
tement des  hôpitaux.  Ce  poste  ne  le  laissa  point  dans  l’oubli,  mais  il  s’v  rendit  si  utile,  qu’on 
ne  songea  point  à l'inquiéter.  Trois  ans  plus  tard , lorsque  le  Jardin  des  Plantes  fut  réorganisé 
et  prit  le  nom  de  Muséum  d'histoire  naturelle,  M.  de  Jussieu  fut  compris  parmi  les  douze 
officiers  pourvus  des  nouvelles  chaires.  L’année  suivante,  il  fut  nommé  directeur.  Ce  fut  en 
cette  qualité  qu’il  inaugura  la  bibliothèque,  que  l’on  avait  composée  en  choisissant,  parmi  les 
livres  des  corps  religieux  supprimés,  tout  ce  qui  avait  trait  à l’histoire  naturelle,  travail  auquel 
il  avait  beaucoup  contribué  lui-même.  Nommé  membre  do  l’Institut,  dés  la  création  de  ce 
corps,  il  en  était  vice- président  lorsque  Bonaparte,  après  la  compagne  d’Italie,  fut  appelé  à la 
présidence;  et  quand  la  première  classe  de  l’Institut  devint  l’Académie  des  sciences,  il  en  fut 
l’un  des  premiers  présidents.  En  1804,  M.  de  Jussieu  fut  nommé  professeur  de  matière  médi- 
cale à la  Faculté  de  médecine,  puis  conseiller  de  ITniversité.  Cependant,  il  avançait  en  âge, 

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I 


58  PREMIÈRE  PARTIE. 

et,  ses  forces  commençant  à diminuer,  il  so  démit  de  sa  chaire  au  Muséum  en  faveur  de  son 
fils  Adrien,  de  ce  fils  en  qui  vient  de  finir  tout  récemment  cette  illustre  lignée  de  savants 
botanistes.  Sa  vue  s'affaiblit  par  degrés;  sa  taille,  autrefois  droite  et  élevée,  se  courba.  Dans 
les  dernières  années,  il  ne  s’éloignait  guère  de  sa  famille,  qui  avait  pour  lui  rattachement  le 
plus  vif  et  le  plus  respectueux,  que  pour  faire  quelques  promenades  dons  ce  jardin,  qu’il  avait 
pour  ainsi  dire  créé  une  seconde  fois,  et  pour  assister  aux  séances  de  l’Académie,  à laquelle 
il  appartint  pendant  soixante-trois  ans.  Enfin,  sans  autre  maladie  qu’un  affaissement  pro- 
gressif de  tous  les  organes,  il  s’éteignit  doucement  en  1830,  à l’âge  de  quatre-vingt-huit  ans 
et  demi. 

Desfontaines  l’avait  précédé  depuis  quelques  années  dans  In  tombe.  Nous  avons  vu  celui-ci, 
jeune  encore  et  revenu  tout  récemment  de  son  voyage  en  Barbarie,  entrer  à l’Académie  des 
sciences  et  succéder  à Lemonnier  dans  la  chaire  de  botanique  du  Jardin  royal.  Déjà,  à cette 
époque,  renseignement  de  cette  science  avait  pris  une  allure  plus  relevée  et  plus  philoso- 
phique. Depuis  longtemps  elle  ne  se  bornait  plus  à la  description  des  plantes  médicinales  ou 
économiques  : une  partie  des  cours  était  consacrée  à l’exposition  des  systèmes  de  classifi- 
cation et  de  la  nomenclature;  l’autre  partie  avait  pour  objet  les  rapports  généraux  qui  existent 
entre  les  plantes,  leurs  modifications  suivant  les  climats,  la  nature  du  sol,  enfin,  leurs  appli- 
cations à l’agriculture,  à l’industrie  ou  aux  arts.  Desfontaines  allait  donner  à cet  enseignement 
une  étendue  et  une  distribution  encore  plus  favorables  à l’étude  comme  aux  progrès  ultérieurs 
de  la  science. 

Depuis  que  l’école  du  Jardin  du  Boi  avait  été  disposée  suivant  l’ordre  des  affinités  natu- 
relles, on  avait  apporté  plus  d’attention  a l’anatomie  végétale.  La  méthode  de  Jussieu,  fondée 
sur  les  détails  les  plus  délicats  de  Inorganisation  îles  plantes,  avait  obligé  les  botanistes  à 
approfondir  davantage  la  structure  île  certaines  parties , mais  elle  n’avait  pas  rendu  plus  faciles 
les  abords  do  cette  élude.  Lue  découverte  remarquable  de  Desfontaines,  tout  en  confirmant 
les  grands  princi|>cs  de  la  méthode  naturelle,  vint  heureusement  les  rendre  d’une  application 
aussi  simple  que  facile.  Jussieu  avait  établi  sa  grande  division  entre  les  phanérogames  sur  la 
structure  de  l’embryon,  qui,  dans  les  monocolylédonées , n’offre  qu’un  seul  lobe,  mais  qui 
en  présente  deux  dans  les  plantes  dieolylédonées.  Or,  jusque-là , pour  s’assurer  de  ce  carac- 
tère, il  fallait  observer  minutieusement  la  graine,  ce  qui  n’était  pas  toujours  possible  aux 
différents  âges  de  la  plante,  et  ce  qui  n’était  pas  d’ailleurs  à la  portée  de  tous  les  botanistes. 
Desfontaines,  dans  un  Mémoire  qu’il  lut  à l’Académie  en  1780,  et  qui  fit  une  vive  sensation 
parmi  les  naturalistes,  montra  que  cette  grande  division  si*  fonde  également  sur  la  structure, 
toujours  très-apparente,  de  la  tige  et  des  feuilles.  Ainsi,  au  lieu  de  recourir  aux  cotylédons, 
qui  ne  sont  pas  toujours  visibles , alors  que  la  plante  est  encore  en  fleur  et  l’ovaire  à peine 
formé,  il  suffit  d’observer  si  la  tige  est  creuse  ou  bien  munie  d’une  moelle  centrale,  si  les  ner- 
vures des  feuilles  sont  simples,  parallèles  entre  elles,  ou  bien  si  elles  sont  ramifiées  et  à veines 
entrecroisées.  Dans  le  premier  cas,  la  plante  est  invariablement  monocotylédonée , comme 
on  le  voit  dans  les  Graminées,  le  Maïs,  le  Palmier;  dans  le  second,  la  plante  est  dicotylé- 
donée,  comme  dans  le  plus  grand  nombre  des  plantes  ligneuses  ou  herbacées,  et  dans  tous 
les  arbres  ou  arbustes  de  nos  climats.  Desfontaines  établit  ainsi  que  les  rapports  fondés  sur 
les  organes  de  la  végétation,  comme  les  feuilles  et  les  tiges,  répondent  constamment  aux  rap- 
ports tirés  des  organes  de  la  fructification;  que  les  uns  se  confirment  par  les  autres,  et,  en 
même  temps  que  cette  observation  diminuait  les  difficultés  de  l’étude,  elle  rendait  les  principes 
de  la  méthode  d’une  plus  grande  évidence  et  d’une  application  plus  générale. 

Cette  découverte,  qui  éclairait  l’a  structure  interne  des  plantes  à l’aide  do  leurs  caractères 
extérieurs,  était  comme  un  nouveau  lien  qui  unissait  l’anatomie  végétale  au  perfectionnement 
de  la  méthode.  Desfontaines,  ainsi  heureusement  engagé  dans  une  voie  nouvelle,  s’attacha 
spécialement  aux  observations  de  physiologie  végétale,  et  en  fit,  dès  ce  moment,  le  sujet  de 
la  première  partie  de  son  cours.  Les  leçons,  jus  ju’alors,  avaient  ou  lieu  dans  le  jardin  même; 


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lUSroillË.  — 1 771  - 1 701. 


50 


les  élèves  étaient  placés  sur  un  seul  rang,  le  long  d'une  plate-bande  dont  le  professeur  suivait 
avec  eux  les  étroites  allées.  Mais  le  nombre  de  scs  auditeurs  s'étant  considérablement  accru, 
Desfontaines  se  vit  forcé  de  faire  son  cours  dans  l'amphithéâtre  ; il  y fit  apporter  les  plantes 
nécessaires  à la  démonstration,  et  après  lu  leçon,  chacun  pouvait  les  aller  revoir  dans  les  par- 
terres. Son  cours  était  suivi  avec  un  empressement  sans  égal.  Plus  de  quinze  cents  personnes 
s’v  pressaient  assidûment , attirées  par  la  renommée  du  professeur  comme  par  le  charme  et 
l’intérêt  qu'il  savait  répandre  sur  les  sujets  de  son  enseignement.  A son  exemple,  tous  les 
professeurs  de  botanique  divisèrent  désormais  leur  cours  en  deux  parties  : l’une  consacrée  à 
l’organogrnphie  et  à la  physiologie  végétale:  l’autre,  à la  description  des  familles,  îles  genres 
et  des  espèces.  La  philosophie  de  la  science  venait  du  faire  un  pas  considérable.  La  France, 
dans  la  botanique , avait  repris  le  premier  rang. 


Dr  lonmn 


Desfontaines,  comme  Jussieu,  n'eut  pas  trop  à souffrir  des  orages  do  la  révolution.  Labo- 
rieux et  paisible,  il  s'aperçut  à peine  des  secousses  et  des  dangers  auxquels  la  société  était  en 
proie  pendant  celte  triste  époque.  Il  ne  sortit  de  sa  studieuse  retraite  que  pour  aller  voir  et 
consoler  le  malheureux  Ramond,  et  pour  faire,  avec  André  Thouin,  do  courageuses  tentatives 
en  faveur  de  L’Héritier,  menacé  d'une  mort  imminente.  Nommé  secrétaire  de  l’assemblée  îles 
professeurs,  c'est  lui  qui  rédigea  le  réglement  relatif  à la  réorganisation  de  l’établissement.  Au 
retour  do  l'ordre,  il  reprit  sa  place  à l'Institut,  sa  chaire  au  Muséum,  et  reçut  la  croix  de  la 
Légion  d'honneur.  Parvenu  à un  âge  assez  avancé,  il  n'avait  encore  rien  perdu  do  son  activité 
ni  de  ses  forces.  Cependant,  sa  vue  s'affaiblit  peu  à peu,  et  il  finit  par  devenir  tout  à fait 
aveugle.  Il  s'appliqua  alors  à reconnaître  les  plantes  au  toucher,  et  y réussit  d'une  manière 
étonnante.  Sa  mémoire  était  si  fidèle,  qu'il  passait  en  revue,  de  souvenir,  tous  les  carrés  du 
Jardin,  et  qu'il  en  nommait  les  espèces  sans  en  omettre  une  seule.  Mais  ce  qu’il  conserva  sur- 
tout jusqu'au  dernier  jour,  c’est  le  goût  le  plus  vif  pour  la  science,  une  bonté  inaltérable  et 


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60  PREMIERE  PARTIE. 

une  chaleur  d'amitié  qui  formaient  les  bases  «le  son  caractère.  On  n «lit  qu’il  aimait  les  plantes 
comme  Lafontaine  aimait  les  animaux.  Il  est  certain  qu’il  rappelait  le  fabuliste  par  plus  d’un 
trait,  par  sa  candeur  et  sa  bonhomie,  par  sa  modestie  et  sa  timidité.  Le  goût  «les  êtres  natu- 
rels, surtout  de  la  botanique,  s'allie  fréquemment  avec  ces  «jualités  aimables;  peut-être  aussi 
ce  goût  ne  se  développe-t-il  avec  force  que  dans  les  Ames  peu  accessibles  aux  vaines  (tassions 
qu'exalte  le  commerce  du  monde.  Il  est  positif  du  moins  «juo  l’on  trouve  les  plus  nombreux 
exemples  de  cette  heureuse  alliance  parmi  les  hommes  voués  spécialement  à l’étude  de  la 
nature. 

A l'histoire  de  cette  partie  de  l’enseignement  se  rattache  encore  le  nom  d'un  naturaliste  qui 
a laissé  au  Muséum  de  bien  nombreux  et  honorables  souvenirs , André  Thouin , qui  seconda , 
avec  autant  d’habileté  que  de  dévouement,  les  vues  do  Buffon  et  celles  de  Jussieu  dans 
l'agrandissement  et  la  replantation  du  Jardin;  qui,  du  rang  «le  simple  jardinier,  s’éleva,  à force 
d’études  et  de  courage,  aux  plus  liauhvs  sommités  de  la  science  et  «tu  professorat.  Devenu  l’agent 
principal  et  presque  le  seul  mobile  «le  ces  nombreuses  opérations,  « jamais,  dit  Cuvier,  ou  n’avait 
vu  une  plus  heureuse  activité.  Il  se  fil  à la  fois  lioinine  d’affaires  pour  les  échanges  et  les 
achats,  architecte  pour  les  plans  et  les  constructions,  jardinier  pour  tout  ce  «jui  avait  rapport 
aux  végétaux  vivants,  botaniste  pour  ce  qui  regardait  leur  disposition  et  leur  nomenclature, 
et  il  mit  dans  des  soins  si  divers  une  telle  intelligence , que  tout  lui  réussit  également . et  les 
plantations,  et  les  opérations  financières,  et  les  édifices.  C’est  du  Janiin  «lu  Roi,  pendant  le 
temps  de  la  grande  activité  de  M.  Thouin,  «|ue  sont  sorties  ces  Heurs  si  belles  ou  si  suaves 
«jui  ont  donné  au  printemps  des  charmes  nouveaux  : les  Hortensia,  les  Du  lu  ru , les  Verbena 
triphylla  (rapportée  par  Domboy),  les  Danistcria  et  ces  fleurs  tardives,  les  Chrysantemum , 
les  Dahlia , qui  ont  prêté  à l'automne  les  charmes  du  printemps,  et  ces  beaux  arbres  «pii 
ombragent  et  varient  nos  promenades,  les  Hohinias  glutineux,  les  Marronniers  à fleurs  rouges, 
les  Tilleuls  argentés  et  vingt  autres  espèces.  Il  en  est  sorti  une  multitude  de  variétés  de  beaux 
fruits,  une  quantité  d’arbres  forestiers;  le  Chêne  à glands  doux , le  Pin  laricio  ont  surtout 
excité  le  zèle  de  M.  Thouin,  «jui  en  a fait  l’objet  de  mémoires  particuliers.  On  sait  qu’autre  fois 
le  Jardin  «lu  Roi  avait  donne  le  Caféier  à nos  colonies.  Sous  M.  Thouin , il  leur  a procuré  la 
Canne  d’Otaïti , «pii  a augmenté  d’un  tiers  le  produit  «les  sucreries,  et  surtout  l'arbre  à pain, 
«pii  sera  probablement,  pour  le  Nouveau-Monde,  un  présent  équivalent  à celui  de  la  Pomme  do 
terre,  le  plus  beau  de  ceux  qu’il  a faits  è l’Ancien.  M.  do  La  Billardière  avait  apporté  cet  arbre 
à Paris;  mais  ce  sont  les  instances  et  les  directions  de  M.  Thouin  «jui  l’ont  fait  réussir  à 
Cayenne,  où  il  donne  maintenant  des  fruits  plus  beaux  «pie  dans  sou  pays  natal.  C’est  aussi 
à M.  Thouin,  après  M.  de  La  Billardière,  que  la  France  continentale  devra  de  posséder  le 
Phormium  Tenax , ou  Un  de  la  Nouvelle-Zélande , dont  les  filaments  sont  si  supérieurs  au 
chanvre  en  force  et  en  élasticité. 

Je  n’ai  pas  besoin  de  dire  quel  immense  travail  exigeaient  les  correspondances  «|ui  pro- 
curaient tant  de  richesses,  et  les  instructions  nécessaires  pour  en  assurer  la  conservation. 
Chaque  fois  qu’un  envoi  de  Végétaux  partait  pour  les  provinces  ou  pour  les  colonies, 
M.  Thouin  l'accompagnait  de  renseignements  sur  la  manière  de  soigner  chaque  espèce  pen- 
dant la  route , de  l’établir  au  lieu  «le  sa  destination , d’en  favoriser  la  reprise  et  le  développe- 
ment, de  faire  d'une  manière  avantageuse  la  récolte  que  l’on  devait  en  attendre,  de  la  multi- 
plier enfin,  soit  «le  graines,  soit  de  boutures  ou  de  marcottes.  C’est  d'après  ces  instructions 
que  se  dirigeaient  les  cultivateurs  et  les  colons  français  ou  étrangers.  Les  hommes  même 
«jui  accompagnaient  ces  envois , ou  que  l’on  faisait  venir  pour  diriger  les  plantations , étaient 
ses  élèves,  et  avaient  travaillé  sous  ses  yeux  dans  le  Jardin  du  roi.  Cayenne,  le  Sénégal, 
Pondichéry,  la  Corse,  ne  recevaient  des  janliniers  que  de  sa  main.  Son  nom  retentissait  partout 
où  existait  une  culture  nouvelle.  Cette  influence  s’étendit  encore,  lorsqu’en  1795,  dans  lu 
nouvelle  organisation  «le  l'établissement,  il  fut  nommé  professeur,  et  chargé  d’enseigner  pu- 
bliquement l’art  «ju’il  pratiquait  avec  tant  «le  bonheur.  Vingt  années  de  suite  cette  école  a dis- 


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HISTOinB. — I771-IÎ04.  61 

tribut1  ('instruction  à des  hommes  de  tous  les  rangs,  qui  l'out  disséminée  à leur  tour  sur  tous 
les  points  de  la  Franco  et  de  l’Europe.  » 

André  Thouin  avait  été  admis  à l’Académie  des  sciences,  en  1786.  Quatre  uns  après,  il  fut  élu 
membre  du  conseil  général  de  la  Seine.  A la  réorganisation  du  Muséum,  on  créa  pour  lui  la  chaire 
de  Culture.  C’est  alors  qu'il  appropria  à cet  enseignement  une  partie  du  Jardin  dont  il  lit  une 
(■•cole  sociale.  Il  donna  une  impulsion  immense  à cette  application  de  la  science,  et  rendit  en 
cela  à l'agriculture  des  services  éminents.  A.  Thouin  travailla  soixante  ans  à justifier  la  bonne 
opinion  que  ses  protecteurs  avaient  conçue  do  son  zole  comme  de  ses  talents.  Il  resta  céliba- 
taire par  dévouement  pour  sa  famille  et  pour  la  science,  et  mourut,  dans  le  jardin,  oil  il  était 
né,  à l’âge  de  77  ans  (182-1).  Sa  modestie  et  sa  réserve  étaient  sans  égales;  il  ne  demanda 
jamais  aucune  récompense.  Il  reçut  la  croix  de  la  Légion  d’honneur  à la  fondation  île  l'ordre, 
mais  il  n’en  porta  jamais  les  insignes.  « lu  ruban,  disait-il,  irait  mal  à mon  habit  de  jardi- 
ii  nier,  et  l’orgueil , inséparable  de  toute  distinction , pourrait  me  faire  oublier  la  serpe  et  la 
h bêche  qui  ont  fait  ma  consolation , ma  fortune , et  doivent  suffire  à mon  ambition.  » 

La  belle  collection  des  vélins  avait  continué  de  s’accroître,  depuis  Aubriet,  parles  soins 
de  M’1*  Basseporto,  son  élève,  qui  mourut  en  1780,  et  qui,  presque  octogénaire,  y travaillait 
encore.  Cependant,  en  1774,  Uuiïon  avait  donné  sa  survivance  à un  jeune  peintre  hollan- 
dais, Van  Spaëndonck  dont  le  talent  donnait  les  plus  belles  espérances.  Devenu  titulaire,  son 
talent  prit  tout  son  essor  et  les  succès  qu'il  obtint  décidèrent  plus  tard  l'administration  à créer 
pour  lui  une  chaire  spéciale  d 'Iconographie.  Van  Spaëndonck  n'était  pas  seulement  un  peintre; 
il  était  assez  versé  dans  les  sciences  pour  en  suivre  les  détails  par  l'intelligence  aussi  bien  que 
par  les  veux.  Il  peignait  les  Plantes,  a dit  Cuvier  sur  sa  tombe,  dans  le  lieu  même  oh 
Jussieu  en  parlait;  il  peignait  à cèle  de  Buffoa,  cet  autre  peintre  si  brillant  aussi  et  si  su- 
blime. Il  a ennobli  le  genre  qu’il  avait  embrassé,  et,  dans  scs  tableaux  étonnants,  l'imagina- 
tion se  croit  toujours  prêle  à trouver  attire  chose  que  des  lleurs. 


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Vti  Smiiooju. 


62 


PREMIÈRE  PARTIE. 


Le  cours  do  Van  Spaéndonck  était  très-suivi  et  a produit  des  élèves  du  plus  grand  mérite. 
Son  écolo  a beaucoup  contribué  à faire  rechercher  â l’étranger  nos  ouvrages  «l'Histoire  natu- 
relle; il  en  est  sorti  une  multitude  d'hommes  de  talent  qui  ont  répandu  dans  les  ateliers  et  les 
fabriques  celte  élégance  de  forme,  cette  variété  et  cette  richesse  de  couleurs  admirées  dans  les 
produits  de  notre  industrie.  Van  Spaèndonck  devint  membre  de  l’Institut,  et  mourut  en  1821. 

Tels  étaient  les  pas  importants  que  venait  de  faire  la  Botanique  dans  les  mains  des  profes- 
seurs du  Jardin  du  Roi.  Cette  science,  sur  laquelle  s’était  principalement  appuyée  l’institution 
naissante,  ré|H>ndait  ainsi  à la  haute  protection  dont  elle  était  l’objet,  bien  que  les  travaux  et 
les  goûts  de  Buffon  l’eussent  presque  toujours  éloigné  de  son  étude.  Mais  il  avait  compris  que 
le  Règno  végétal  est  le  vrai  point  de  départ  de  toutes  les  sciences  naturelles , qu’il  est  la  pre- 
mière source  à laquelle  s’adressent  les  besoins  de  l’homme,  celle  qui  fournit  à l’agriculture, 
à la  médecine,  à l’industrie,  aux  arts,  les  matériaux  les  plus  précieux  et  les  plus  abondants. 
C’était  comme  un  hommage  qu’il  rendait  d’ailleurs  à une  science  qui  venait  de  porter  si  haut 
et  si  loin  l’honneur  du  nom  français,  grâce  au  génie  de  ses  professeurs  comme  à l’intrépidité 
de  ses  jeunes  naturalistes.  La  même  pensée  allait  bientôt,  dans  la  nouvelle  organisation,  af- 
fecter à la  Botanique  quatre  des  professeurs  du  Muséum  : Jussieu , Desfontaines,  André 
Thouin  et  Lamarck. 

Au  même  moment,  des  destinées  non  moins  brillantes  s’ouvraient  à une  autre  science,  la 
chimie,  que  nous  avons  laissée,  en  1770,  entre  les  mains  de  Bourdelin,  déjà  vieux,  et  de 
Rouelle  *qui  allait  mourir.  Celui-ci  fut  remplacé,  comme  démonstrateur,  par  son  frère  llilaire- 
Marie  Rouelle,  aussi  membre  de  l’Académie  des  sciences  et  chimiste  distingué,  bien  qu’il 
soit  loin  de  tenir  le  même  rang  dans  l’histoire  de  la  science.  Rouelle  le  jeune  était  aussi  mé- 
thodique et  réservé  que  son  frère  était  véhément  et  bizarre.  Il  possédait  toutefois  une  grande 
habileté  dans  la  pratique  des  opérations  et  des  expériences.  Son  élocution  était  encore  moins 
pure  que  celle  de  sou  frère,  lequel  ne  se  piquait  pas,  comme  on  sait,  d’une  grande  correction 
de  langage.  Cependant  sa  parole  était  précise,  énergique,  et  son  cours  était  très-suivi. 
Rouelle  le  jeune  mourut  en  1779,  et  fut  remplacé  par  Auguste-Louis  Brongniart,  déjà  profes- 
seur à l’école  de  pharmacie  et  premier  apothicaire  du  roi.  Brongniart  suivit  d’abord  les  prin- 
cipes de  la  chimie  de  Stahl  et  les  idées  de  Macquer;  mais,  lorsqu’il  devint  démonstrateur  du 
cours  de  Fourcroy,  il  entra  franchement  dans  les  vues  de  ce  professeur,  et  se  montra  connue 
lui  l’un  des  propagateurs  les  plus  ardents  des  théories  et  de  la  nomenclature  nouvelles.  Bron- 
gniart avait  publié  un  tableau  analytique  des  combinaisons  chimiques,  et  travailla  avec  Has- 
scnfraU  au  Journal  des  Sciences , Arts  et  Métiers.  Pendant  la  révolution,  il  devint  pharmacien 
des  armées.  Il  était  frère  de  l’architecte  éminent  à qui  l’on  doit  la  Bourse  de  Paris,  et  oncle 
d’Alexandre  Brongniart,  longtemps  professeur  de  minéralogie  au  Jardin  des  Plantes  et  direc- 
teur de  la  manufacture  de  Sèvres  : famille  illustre  ou  se  perpétuent  les  traditions  du  savoir  et 
du  mérite,  dans  la  personne  de  M.  Adolphe  Brongniart,  membre,  comme  ses  ascendants,  de 
l’Académie  des  sciences , et  aujourd'hui  professeur  de  Botanique  au  Muséum. 

Brongniart  fut  le  dernier  des  démonstrateurs  de  chimie  (tu  Jardin  du  Roi.  Cette  singulière 
distribution  dans  les  attributions  des  professeurs  était  un  reste  des  traditions  scolastiques  du 
moyen  âge.  L’enseignement  des  sciences  physiques,  dont  L’ensemble  composait  ce  qu’on 
nommait  alors  la  philosophie  naturelle,  ne  fut  longtemps  qu’une  réunion  de  doctrines,  d’hy- 
pothèses que  l’on  exposait  dans  la  chaire  avec  toute  la  pompe  magistrale.  Lorsque  ces 
sciences  commencèrent  à s’appuyer  sur  l’observation  directe  et  positive,  les  professeurs  conti- 
nuèrent à se  montrer  revêtus  de  la  robe  doctorale,  qui  n’était  pas  commode  pour  les  manipu- 
lations et  les  travaux  de  laboratoire.  Il  fallut  donc  leur  adjoindre  uu  aide  qui  fît  les  expé- 
riences dont  le  professeur  en  titre  expliquait  en  même  temps  la  théorie.  L’exemple  de  Rouelle 
avait  montré  tous  les  inconvénients  d’une  pareille  méthode;  Fourcroy  allait  bientôt  prouver 
que  la  pratique  des  opérations  peut  s’allier  parfaitement  avec  le  talent  de  la  parole  et  l'exposi- 
tion lumineuse  des  théories  les  plus  élevées. 


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HISTOIRE.  — 1771-1704.  03 

Bourdelin  était  remplacé  depuis  longtemps  par  Marquer,  membre  de  l'Académie  des 
sciences,  professeur  doué  d’une  élocution  facile  et  précise,  écrivain  méthodique  et  élégant, 
qui  eut  le  malheur  de  surgir  dans  une  époque  do  transition,  et  dont  les  travaux  furent  étouffés, 
pour  ainsi  dire,  entre  les  doctrines  longtemps  célèbres  de  Boérhaaveet  de  Stahl  et  les  théories 
naissantes  de  Carendish  et  do  Lavoisier.  Pierre-Joseph  Marquer,  né  à Paris  en  1718,  appar- 
tenait nécessairement  à la  première  école,  il  avait  près  de  60  ans  lorsqu'il  remplaça  Bourdelin 
comme  titulaire , et , jusque-  là , ses  écrits  comme  son  enseignement  avaient  été  fondés  sur  les 
idées  alors  régnantes.  Cependant , il  ne  restait  pas  étranger  aux  questions  qui  s’agitaient  si 
vivement  entre  les  jeunes  chimistes;  il  avait  mémo  essayé  de  modifier  la  théorie  du  phlogis- 
tique,  en  y substituant  la  lumière,  es|>érant  concilier  ainsi  des  opinions  presque  antagonistes. 
La  justesse  de  son  esprit  l'attirant  comme  malgré  lui  vers  les  idées  nouvelles,  il  essayait  du 
moins  d’en  retarder  le  mouvement , et  n’admettait  qu’à  regret  des  doctrines  qui  renversaient 
toutes  celles  qu’il  avait  jusque-là  professées.  Toutefois,  les  découvertes  de  Priestley,  de  La- 
voisier, de  Schééle  ébranlaient  vivement  ses  convictions , et  il  eut  sans  doute  fini  par  s’y  sou- 
mettre, si  la  mort  n’y  eût  mis  obstacle.  Macquer  succomba  à une  maladie  du  coeur,  en  1784. 

Si  tous  ces  motifs  ne  permirent  pas  à Macquer  de  suivre  hardiment  la  marche  de  la  chimie 
philosophique,  il  se  distingua  du  moins  comme  praticien,  et  on  lui  doit  de  nombreuses  et 
utiles  recherches  de  détail.  C'est  lui  qui  opéra  pour  la  première  fois,  en  1771 , la  combustion 
du  diamant;  il  reconnut  que  l’arsenic  était  un  métal;  il  étudia  l’un  des  premiers  le  platine, 
nouvellement  apporté  en  Europe,  mais  il  n’aperçut  pas  les  autres  métaux  qui  s’y  trouvent 
ordinairement  réunis.  Il  s’occupa  du  zinc,  du  plomb,  de  l'étain,  de  l’antimoine;  il  reconnut 
la  solubilité  du  caoutchouc  dans  l’éther  et  dans  les  huiles  essentielles;  il  fit  d'huurcuses  appli- 
cations de  la  chimie  à l’art  de  la  teinture.  Appelé  à diriger  les  travaux  chimiques  à la  manu- 
facture royale  de  Sèvres , il  s'occupa  de  la  chaux , de  l'alumine , il  se  livra  à d'immenses  re- 
cherches sur  les  terres  réfractaires  et  perfectionna  les  fourneaux  destinés  à la  fabrication  des 
poteries. 

Manquer  était  un  professeur  habile,  mais  froid;  il  lisait  ses  leçons,  écrites,  à la  vérité, 
dans  un  style  précis  et  substantiel;  mais  son  cours  était  loin  d’exciter  le  même  intérêt  que  les 
improvisations  piquantes  et  animées  de  Guillaume  Rouelle.  Macquer  publia  un  Dictionnaire 
de  Chimie  qui  fut  traduit  en  plusieurs  langues,  et  qui  est  resté  comme  un  monument  précieux 
de  l'état  de  la  science  à son  époipie.  Il  est  fâcheux  pour  sa  gloire  que  ce  bel  ouvrage  ait  vu  le 
jour  au  moment  où  de  nouvelles  idées  allaient  opérer  une  révolution  complète  dans  la  marche 
de  la  chimie.  Macquer  était  un  savant  distingué  et  estimable;  son  caractère  était  doux  et  bien- 
veillant , son  esprit  net  et  méthodique , son  style  d'une  clarté  et  d'une  éléganco  remarquables. 
Il  travaillait  à plusieurs  publications  ; on  trouve  plusieurs  de  ses  écrits  dans  les  Mémoires  do 
l'Académie,  dans  la  collection  des  arts  et  métiers,  surtout  dans  le  Journal  des  Savants  , o le 
plus  ancien , dit  Vicq-d'Azyr,  le  mieux  fait , et  peut-être  le  moins  lu  de  tous  ceux  qu’on  pu- 
blie. » La  chaire  que  Macquer  occupait  au  Jardin  allait  bientùt  passer  dans  les  mains  de 
Kourcrov. 

La  chimie  préludait,  depuis  plus  d’un  siècle,  à cette  réforme  qui  devait  l’élever  à un  rang  si 
distingué  parmi  les  connaissances  humaines.  Colle  science,  dans  l'âge  précédent,  avait  rempli 
un  rûle  assez  secondaire  et  parfois  peu  digne  d'elle-même,  livrée  qu'elle  était  aux  mystères 
de  la  magic,  de  la  cabale,  aux  rêveries  et  aux  spéculations  des  alchimistes.  Tantôt  con- 
fondue avec  les  sciences  occultes , tantôt  avec  la  métallurgie  ou  la  médecine;  sans  principes 
fondamentaux,  sans  enseignement  authentique,  sans  langue  régulière,  elle  n'avait  commencé 
à fixer  l’attention  des  hommes  sérieux  que  depuis  la  fondation  des  sociétés  savantes.  Dés 
lors,  la  masse  de  faits  qu'elle  recueillait  en  silence  et  leurs  déductions  généralisées  lui  don- 
naient déjà  une  physionomie  imposante,  lorsqu’un  phénomène,  habilement  observé  par  des 
hommes  de  génio,  vint  tout  à coup  lui  ouvrir  de  nouveaux  horizons.  On  chercherait  vaine- 
ment dans  l'Histoire  des  sciences  un  autre  exemple  d'un  essor  aussi  prodigieux  fondé  sur  une 


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61  PREMIÈRE  PARTIE. 

soûle  découverte,  oollo  îles  gaz,  ol  mit  les  nombreuses  conséquences  qui  s'y  ratlm  lient.  A 
partir  de  celle  époque,  la  cliimio  se  trouva  rapidement  changée  ilans  ses  principes , dans  ses 
procédés,  dans  son  langage  ; son  importance  grandit  à tous  les  veux  ; elle  ouvrit  de  nouvelles 
routes  à tous  les  arts,  tout  en  se  préparant  A elle-même  des  développements  illimités  : cette 
révolution  devait  s'accomplir  tout  entière  dans  l'espace  de  quarante  ans. 


M ICQ C IB, 


Nous  n’avons  pas  à lelracer  ici,  et  nous  le  regrrtlons,  les  phases  principales  de  cette 
grande  réforme,  sorte  de  drame  scientifique,  qui  pourtant  servirait  à expliquer  l'impulsion 
extraordinaire  qu'ont  reçue  depuis,  de  la  chimie,  presque  toutes  les  connaissances  actuelles. 
Les  découvertes  successives  qui  s'y  rapportent,  les  circonstances  qui  les  entourèrent,  les 
hommes  qui  ont  posé  les  principes,  trouvé  les  procédés,  imaginé  les  théories,  créé  la  nouvelle 
langue  de  la  science,  depuis  Black  et  Cavendish  jusqu'à  Priestley  et  Bergmann  ; depuis  le  mo- 
deste Schéélo  jusqu'à  l'infortuné  Lavoisier,  les  événements  de  l'Histoire  générale,  mêlés  à ce 
mouvement  solennel,  tout  cet  ensemble  composerait  une  véritable  épopée  dont  la  science 

fournirait  les  données  principales,  et  l’histoire  le  plan,  le  tissu,  les  personnages Mais  il 

faut  nous  borner  à exposer  les  progrès  de  la  chimie  dans  l'enseignement  du  Muséum,  et  lu 
part  que  Fourcroy  allait  prendre  à la  marche  d'une  science,  en  tète  de  laquelle  figurent  si  di- 
gnement les  chimistes  français. 

Antoine-François  Fourcroy,  fils  d’un  pharmacien  du  duc  d'Orléans,  naquit  à Paris  cil 
1755.  Il  perdit  sa  mère  à l'Age  de  7 ans,  et  il  en  éprouva  une  telle  douleur  qu'il  voulut  se 
jeter  avec  elle  dans  la  fosse  mortuaire.  Quoique  rempli  d'intelligence , il  reçut  au  collège  de 
mauvais  traitements  et  en  sortit  de  lionne  heure  sans  y avoir  fait  de  grands  progrès.  Il  se  fit 
copiste  et  apprit  & écriro  aux  enfants  ; il  eut  même  la  pensée  de  devenir  comédien  ; mais  les 
conseils  de  Vicq-d'Azyr,  qui  était  l'ami  île  son  père , le  détournèrent  de  ce  projet  et  le  déter- 
minèrent à étudier  la  médecine.  Il  donnait  des  leçons  particulières,  faisait  des  traductions  et 


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HISTOIRE.  — 1771  - 1704.  B5 

voyait  quelques  malades;  mais  tout  cela  ne  rendait  pas  sa  situation  fort  aisée.  Il  aimait  à 
rappeler  lui-même  qu'il  était  logé  dans  une  mansarde  dont  la  croisée  était  si  étroite,  que  sa 
tête,  coiffée  à la  mode  de  cette  époque,  ne  pouvait  y passer  qu'en  diagonale.  11  y avait  sur 
le  même  carré  un  porteur  d'eau,  père  de  douze  enfants.  Fourcroy  traitait  les  maladies  de  sa 
nombreuse  famille;  aussi  le  voisin  lui  rendait-il  service  pour  service,  cl  le  jeuuo  étudiant  ne 
manquait-il  jamais  d'eau. 

Après  les  années  d'étude  nécessaires,  il  fallut  prendre  scs  grades.  Une  sorte  d’animosité 
régnait  alors  entre  la  Faculté  et  la  Société  royale  de  Médecine,  dont  Vicq-d'Azyr  était  le  secré- 
taire. Le  docteur  Diesl  avait  légué  une  somme  à la  Faculté,  pour  qu'elle  accordât  tous  les 
doux  ans  des  licences  gratuites  à l'étudiant  pauvre  qui  les  mériterait  le  mieux.  Fourcroy  con- 
courut, et  se  plaça  au  premier  rang  ; mais,  lorsqu’on  apprit  qu’il  était  le  protégé  de  \ icq-d'Azyr, 
il  fut  repoussé.  Heureusement,  la  Société  royale , blessée  de  ce  procédé , fit  une  collecte  pour 
couvrir  les  frais  de  sa  réception;  il  fallut  donc  le  recevoir.  Quant  au  grade  de  docteur  régent, 
comme  il  dépendait  uniquement  des  suffrages  do  la  Faculté , on  le  lui  refusa  d’une  voix  una- 
nime, « ce  qui  l’empêcha  dans  la  suite  d’enseigner  aux  écoles  de  médecine,  et  donna  à cette 
compagnie  le  triste  agrément  de  ne  point  avoir  dans  ses  registres  le  nom  de  l'un  des  plus 
grands  professeurs  de  l'Europe.  » Ou  peut  expliquer  jusqu’à  certain  point,  par  ces  motifs,  les 
préventions  de  Fourcroy  contre  des  institutions  qui  permettaient  de  tels  abus , et  contre  des 
hommes  qui  avaient  montré  si  peu  de  bienveillance  pour  sa  jeunesse  et  pour  ses  talents. 

Ses  premiers  écrits  eurent  pour  objet  des  matières  assez  diverses,  mais  les  conseils  do 
Bucquct  le  décidèrent  à su  livrer  plus  spécialement  à la  chimie.  Bucquet  était  alors  professeur 
de  chimie  à la  Faculté  do  Médecine;  la  méthode,  la  clarté  et  la  noblesse  de  son  langage  atti- 
raient à son  cours  l’auditoire  le  plus  distingué.  Lu  jour  que  lo  savant  professeur  était  en  proie 
à ces  douleurs  d’entrailles  qui  lui  survenaient  subitement,  et  auxquelles  il  finit  par  succomber, 
il  pria  Fourcroy  d'achever  sa  leçon.  Celui-ci,  après  s’en  être  vainement  défendu,  monte  en 
chaire,  s'efforce  do  vaincre  son  émotion,  s'enhardit,  s’anime,  et  nuit  par  obtenir  un  succès 
éclatant.  Bucquet,  dès  ce  jour,  lo  regarda  comme  son  héritier;  il  lui  prêta  son  amphithéâtre, 
son  laboratoire,  lui  fit  faire  un  mariage  avantageux,  ot  lo  présenta  à Buffon,  pour  succéder  à 
Manquer  dans  la  chaire  de  chimie  au  Jardin  du  Roi.  Buffon  s'empressa  do  l'accueillir  sur  la 
renommée  de  son  talent.  Son  compétiteur  était  Berthollet. 

Lorsque  Fourcroy  fut  mis  en  possession  de  l'enseignement,  les  bases  principales  de  la  nou- 
velle chimie  étaient  déjà  posées.  Pondant  les  dix  dernières  années,  des  découvertes  importantes, 
des  théories  primordiales  avaient  pris  placo  dans  la  science.  Déjà  Black  et  Wilke  avaient 
changé  la  théorie  de  la  chaleur;  Baycn  avait  montré  que  les  chaux  métalliques  se  réduisent 
par  la  simple  action  du  feu , et  qu’elles  dégagent  une  substance  gazeuse  que  Priestley  avait 
recueillie  et  qu’il  avait  nommé  air  vital.  Bergmann  avait  donné  à l'analyse  une  précision  mathé- 
matique; Sehéèle  avait  découvert  le  manganèse,  le  chlore,  l’acide  prussique,  les  acides  végétaux 
et  plusieurs  acides  métalliques.  Priestley  uvait  répandu  un  nouveau  jour  sur  les  gaz;  Fonlgna 
et  Laborie  avaient  fait  faire  do  nouveaux  pas  à l’histoiro  de  l'acide  crayeux  (carbonique)  ; 
Cavendish  et  Monge  avaient  pressenti  la  décomposition  de  l’eau.  Les  dissertations , les  jour- 
naux , les  Mémoires  académiques  étaient  remplis  de  faits  et  de.  recherches  de  la  même  valeur. 
Cependant , la  Théorie  avançait  lentement , parce  que  chaque  chimiste  avait  la  sienne.  I no 
réforme  complète  devenait  imminente  : il  était  réservé  à Lavoisier  d'en  diriger  le  mouvement, 
et  de  la  résumer  dans  les  principes  de  la  Doctrine  pneumatique. 

Les  premiers  travaux  de  Lavoisier  remontaient  à peu  près  à la  même  date.  En  1772,  il  avait 
montré  l'analogie  du  gaz  produit  par  la  combustion  du  diamant,  avec  celui  qu’on  obtenait  par 
l'incinération  du  charlion.  Deux  ans  après,  dans  un  do  ses  premiers  écrits,  il  continuait  les 
idées  de  Black  sur  l’air  lixe  et  présentait  l’exposition  sommaire  des  travaux  auxquels  il  se  pré- 
parait. Dans  le  cours  de  quelques  années,  il  décomposait  l'air  en  le  faisant  agir  sur  les  métaux 
au  moyeu  de  la  calcination,  il  retirait  l’air  respirable  du  précipité  de  mercure  par  l’action  do 

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PREMIÈRE  PARTIE. 

In  simple  chaleur,  ri  l’air  fixe  (acide  carbonique)  de  In  combinaison  de  l’air  respiralde  avec  le 
cliarUin.  Il  décomposait  l'acide  du  nitre,  et  montrait  que  les  acides  minéraux  ne  différent 
entre  eux  que  par  leur  base,  unie  à l’air  res | arable.  En  1777,  après  avoir  posé  les  fondements 
de  sa  Théorie  générale,  il  opérait  l’analyse  de  l’air  par  la  combustion  du  phosphore,  il  montrait 
l'analogie  de  la  respiration  et  de  la  combustion  ; il  expliquait  théoriquement  la  fianune,  la  cha- 
leur, l'acidification,  et  nommait  O.ri/gcne  la  base  de  l’air  respiralde.  En  1780,  il  publiait  scs 
Mémoires  sur  les  fluides  aériformes,  sur  l’acide  phosphorique , et  ses  travaux  avec  Eaplacc 
sur  le  calorimètre.  Plus  tard,  il  établissait  définitivement  les  principes  de  son  système , il  les 
généralisait,  en  étudiait  les  applications  ; il  annonçait  la  décomposition  et  la  recomposition  de 
l’eau,  découvertes  qui  donnaient  le  dernier  coup  à la  théorie  défaillante  du  phlogistique;  enfin, 
à l’aide  d’un  travail  de  quinze  années,  il  avait  régénéré  toutes  les  parties  de  la  science  et  fondé 
sur  une  suite  de  découvertes  capitales  l'admirable  doctrine  qui  porte  encore  son  nom. 

On  comprend  toutes  les  résistances  que  dut  soulever  une  réforme  aussi  générale,  aussi 
Complète.  Cependant  peu  & peu  les  physiciens  et  les  chimistes  abandonnèrent  ou  modifièrent 
les  idées  de  Stahl , |iour  so  rapprocher  de  la  doctrine  de  Lavoisier.  I u chimiste  dont  les 
recherches  avaient  aussi  fort  enrichi  la  science,  qui  avait  étudié  le  chlore,  décomposé  l'am- 
moniaque, reconnu  In  nature  de  l'or  et  de  l'argent  fulminant,  montré  l'action  de  l'oxygène  sur 
la  décoloration  des  substances  végétales,  llerthollet , renonça  l’un  des  premiers  aux  théories 
surannées  de  la  chimie  allemande.  Guyton  de  Morceau  ne  tarda  pas  à donner  le  même  exem- 
ple; Fourcroy  s’empressa  de  s’y  joindre,  et  ces  trois  chimistes,  réunis  à Lavoisier,  appliquèrent, 
de  commun  accord,  à la  nouvelle  théorie,  une  nomenclature  ingénieuse  récemment  imaginée 
par  Guyton  de  Morvcau.  Leur  travail,  qui  parut  en  1787,  un  an  avant  la  mort  de  Ruffou, 
donna  un  vif  élan  à la  propagation  de  la  doctrine,  en  généralisant  les  données,  en  simplifiant 
les  formules,  et  dès  lors  sans  hésitation  et  sans  conteste,  presque  tous  les  savants  de  l’Europe 
adoptèrent  les  principes  et  la  nomenclature  des  chimistes  français. 

Fourcroy  se  montra  le  champion  le  plus  habile,  le  plus  ardent  de  la  scienee  ainsi  renouvelée. 
Il  la  développa  dans  ses  leçons  comme  dans  ses  écrits.  Il  ne  parla  plus  dans  ses  cours  que  In 
nouvelle  langue  chimique;  la  lucidité  de  ses  démonstrations , la  netteté  de  sa  logique  et  le 
charme  de  son  éloquence  contribuèrent  puissamment  à la  propagation  des  idées  nouvelles;  il 
dirigea  vers  l’étude  de  la  chimie  un  grand  nombre  de  lions  esprits.  Sa  réputation  s’accrut  avec 
tant  de  rapidité  que  le  grand  amphithéâtre  du  Jardin  étant  devenu  trop  étroit  pour  l'affluenco 
de  ses  auditeurs,  il  fallut  deux  fois  l’agrandir.  Le  zèle  du  professeur  était  te),  qu’il  fit  parfois 
jusqu’à  trois  et  quatre  leçons  dans  le  même  jour  ; ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  se  livrer  aux 
expériences,  d’écrire  de  nombreux  Mémoires  et  de  publier  son  cours,  dont  il  parut  six  éditions 
dans  l’espace  de  quelques  années. 

L’énumération  des  travaux  chimiques  do  Fourcroy  serait  trop  étendue  pour  figurer  dans 
cette  esquisse  de  sa  viu;  la  plus  grande  partie  de  ces  recherches,  d’ailleurs,  lui  étant  commune 
avec  Vaiiquclin,  nous  aurons  sans  doute  l'occasion  d’y  revenir.  Fourcroy  était  entré  à l'Aca- 
démie des  sciences  la  même  année  où  il  fut  admis  à remplacer  Macquer  dans  la  chaire  du 
Jardin  du  Roi  (1784).  Sa  renommée  comme  orateur,  son  activité  prodigieuse,  et  [leut-être 
aussi  son  ressentiment  bien  connu  contre  des  institutions  que  la  révolution  allait  détruire  le 
firent  nommer  suppléant  à la  Convention  natiouale.  Il  n’y  entra  pourtant,  comme  député,  qu’au 
mois  d’octobre  1793,  par  conséquent  à une  époque  postérieure  à la  mort  de  Louis  XVI.  Malgré 
les  reproches  publics  qu'on  lui  en  fit,  dit  Cuvier,  il  ne  monta  point  à la  tribune  tant  qu’on  ne  put 
y paraître  sans  déshonneur,  et  il  se  renferma  dans  quelques  détails  obscurs  d’administration, 
se  contentant,  pour  récompense,  d’obtenir  la  grâce  de  quelques  victimes.  Ilarcet  lui  dut  la 
vie,  et  ne  l’apprit  d’un  autre  que  longtemps  après.  Il  fit  appeler  près  do  la  Convention  des 
savants  respectables,  que  la  faux  révolutionnaire  aurait  atteints  partout  ailleurs.  Enfin,  menacé 
lui-même,  il  lui  devint  impossible  do  servir  personne,  et  des  hommes  affreux  n’ont  pas  eu 
honte  de  travestir  son  impuissance  en  crime...  « Quand  un  homme  célèbre,  ajouto  son  illustre 


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H1  STOMIE.  - 177  1 - 1704. 


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biographe,  a eu  la  malheur  d’ftre  accusé  comme  M.  de  Fourcroy;  lorsquo  cctto  accusation 
fait  le  tourment  de  sa  vie , ce  serait  en  vain  que  son  historien  essaierait  de  la  faire  oublier  eu 
(Tardant  le  silence.  Nous  devons  même  le  dire  ; si,  dans  les  sévères  recherches  que  nous  avons 
faites,  nous  avions  trouvé  la  moindre  prouve  d'une  si  horrible  atrocité,  aucune  puissance 
humaine  ne  nous  aurait  contraints  de  souiller  notre  bouche  de  son  éloge , d'en  faire  retentir 
les  voûtes  de  ce  temple,  qui  ne  doit  pas  être  moins  celui  de  l'honneur  que  du  ironie  (I),  u 


Fourcroy  ne  prit  quelque  influence  dans  l’Assemblée  que  plusieurs  mois  après  lo  fl  thermi- 
dor. Dés  les  premiers  moments,  il  s'occupa  d’instruction  publique  et  prit  part  à toutos  les 
mesures  qui  so  rattachent  à cetto  branche  de  l'administration.  Il  concourut  à la  restauration 
des  Écoles,  à la  réorganisation  du  Muséum  d’hisloirc  naturelle,  à la  création  do  l'Institut  sous 
lo  Directoire.  Il  avait  fait  partie  du  Conseil  des  Anciens  ; sous  les  consuls  il  fut  nommé  con- 
seiller d'Etat.  Il  devint  successivement  membre  de  l'Institut,  professeur  à l'Écolo  do  Médecine, 
à l’Écolo  Polytechnique , nu  Muséum , commandant  de  la  Légion  d'honnour  et  directeur 
général  de  l’Instruction  publique. 

C’est  au  milieu  de  ces  fonctions  si  diverses  qu’une  incroyablo  facilité  de  travail  lui  permet- 
tait encore  do  publier  de  nombreux  et  importants  ouvrages  : ses  Éléments  de  Chimie,  son 
Sytlime  des  Connaissances  chimique»,  dont  la  troisième  édition  se  composait  de  dix  volumes; 
sa  Philosophie  chimique,  dont  on  fit  dix  traductions  à l’étranger;  des  Mémoires,  des  articles 
répandus  dans  l’ Encyclopédie  méthodique,  dans  les  Annales  de  Chimie,  lo  Journal  des  Phar- 
maciens, le  Dictionnaire  des  Sciences  naturelles,  le  Journal  des  Mines,  les  Annales  du  Muséum, 
publication  dont  il  avait  conçu  la  première  idée.  Cependant  la  haute  considération  dont 
Fourcroy  jouissait , et  à laquelle  il  attachait  tant  de  prix , lui  imposait  sans  cesse  de  nouveaux 

(I)  Ctvitn,  Khqe  historique  i'.t.  F.  de  Fouremj,  In  à l ltisiilul,  le  7 janvier  1811. 


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68 


PREMIÈRE  PARTIE. 

efforts.  Sa  santé  s’en  ressentit  ; il  éprouvait  depuis  quelque  temps  des  palpitations,  dos  ver- 
tiges. Pendant  prés  de  lieux  ans,  il  s'attendait , pour  ainsi  dire  , rliaque  jour  au  coup  fatal. 
Saisi  enfin  d’une  atteinte  suliite,  au  moment  où  il  signait  quelques  dépêches,  il  s'écria  : i Je 
suis  mort!  » et  il  l'était  en  effet.  La  perte  de  Fourcroy  laissait  un  grand  vide  dans  la  science; 
heureusement,  de  dignes  successeurs  allaient  se  partager  ce  glorieux  héritage  : Laugier  devait 
le  remplacer  au  Muséum , Gay-Lussac  à l'École  Polytechnique , Yuuquclin  à la  Faculté  do 
Médecine,  el  M.  Thénard  à l’Institut. 

L'importance  des  minéraux  comme  sujets  chimiques  et  l'appui  que  se  prêtent  mutuellement 
deux  sciences  rapprochées  par  tant  de  points,  rendaient  indis[>ensnhle  d'établir  au  Jardin 
royal,  à eêté  de  la  chaire  consacrée  à la  chimie,  l'enseignement  spécial  de  la  minéralogie.  A 
la  vérité,  Dauhenton,  en  sa  qualité  de  garde  et  démonstrateur  du  Cabinet,  recueillait,  classait 
les  échantillons  minéralogiques , el  en  faisait  la  démonstration  à quelques  auditeurs,  les  jours 
oit  les  galeries  étaient  ouvertes  au  public;  mais  ce  n'était  point  là  un  cours  régulier,  et  ce 
naturaliste  n'avait  pas  encore  le  titre  île  professeur  de  minéralogie.  Toutefois,  il  avait  lu  à 
l’Académie  des  sciences  plusieurs  Mémoires  sur  cette  branche  de  l’histoire  naturelle  et  il  avait 
émis,  à diverses  reprises,  sur  des  questions  de  géologie,  des  vues  neuves  et  d'un  véritable 
intérêt. 

Les  rapports  uvec  les  sociétés  savantes , avec  les  académies  étrangères  el  les  voyageurs 
s’étaient  beaucoup  multipliés,  el  ces  relations  exigeaient  une  correspondance  fort  active. 
Ruffon  obtint  la  création  d'une  place  d'adjoint  au  garde  du  Cabinet , qui  serait  chargé  spécia- 
lement île  la  correspondance.  Son  choix  tomba  sur  un  jeune  naturaliste,  déjà  connu  par  de 
bons  écrits,  particuliérement  par  des  travaux  estimés  de  minéralogie,  el  très-capable,  par  son 
zèle  comme  par  la  variété  de  ses  connaissances,  de  remplir  de  pareilles  fondions.  Barthélemy 
Faujas  de  Saint-Fond , né  à Montélimard,  en  1750,  avait  été  destiné  par  ses  parents  à la 
magistrature.  Après  avoir  fait  dans  sa  ville  natale  d'assez  bonnes  éludes  et  s'être  même  dis- 
tingué par  quelque  aptitude  à la  poésie , il  avait  suivi  à Grenoble  les  cours  de  jurisprudence. 
I il  goût  très-vif  pour  les  voyages  et  l’aspect  de  ces  belles  montagnes  que  l'on  nomme  les 
Alpes  dauphinoises,  l'entraînèrent  presque  à son  insu  à une  observation  approfondie  de  ces 
masses  imposantes.  Il  ne  les  admirait  pas  seulement  au  point  de  vue  pittoresque,  poétique  : 
il  voulait  connaître  leur  contexture,  leur  composition  intime  ; il  cherchait  surtout  à deviner 
l'hisloiro  de  leur  formation  et  celle  des  révolutions  auxquelles  les  siècles  les  avaient  soumises. 
Au  milieu  de  ces  préoccupations,  Faujas  devint  pourtant  avocat  el  même  président  de  la  séné- 
chaussée; mais  dés  qu'il  fut  maftre  de  se  livrer  à ses  goûts,  il  reprit  ses  excursions  dans  les 
montagnes  et  s’occupa  avec  ardeur  de  physique,  île  chimie  et  de  minéralogie.  Quand  il  eut 
recueilli  une  certaine  masse  d’observations  de  celte  nature,  il  entra  en  correspondance  avec 
Ruffon.  Il  lui  apportait,  comme  résultat  de  ses  premières  recherches,  quelques  faits  importants 
à l’appui  des  vues  du  grand  naturaliste  sur  la  théorie  de  la  terre.  Ruffon  l’attira  à Paris  et 
s'efforça  de  l'y  fixer  en  lui  donnant  une  modeste  place  au  Jardin  du  Roi.  Quelques  années 
apres , il  le  lit  nommer  commissaire  royal  des  mines.  Ce  nouveau  titre  permit  à Faujas  do 
parcourir  la  plupart  des  provinces  de  France  el  lui  fournit  l’occasion  d'y  faire  plusieurs  décou- 
vertes d'une  importance  réelle.  Plus  tard,  il  visita  l’Angleterre,  l’Éeossc,  les  Hébrides,  puis 
la  Hollande,  l'Allemagne  el  l'Italie,  cherchant  partout  à reconnaître  les  éléments  du  monde 
primitif,  et  à retrouver,  dans  la  configuration  des  masses  minérales,  la  trace  «les  révolutions 
successives  du  globe.  Il  établissait  ainsi  les  premiers  fondements  d'une  science,  la  géologie, 
dont  le  nom  n'était  pas  encore  écrit  dans  nos  dictionnaires , bien  qu’ello  eût  été  dtjà  le  sujet 
des  plus  iiigéuicuses  hypothèses.  Les  observations  de  Faujas  venaient  y joindre  une  masse 
considérable  de  faits  nouveaux , dont  lui-même  n’eût  pu  tirer  «;ue  «les  conséquences  prématu- 
rées,  mais  «pii  servirent  à consolider  les  bases  de  la  géologie,  en  attendant  qu’un  savant  du 
premier  ordre  élevât  sur  elles  l’un  des  plus  beaux  monuments  du  génie  scientifi«iue  moderne. 

Faujas  était  doué  d’une  activité  raie  el  possédait  toutes  les  qualités  du  naturaliste  investi- 


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69 


HISTOIRE.  — 1771  -1794. 

galeur.  Il  fouilla  avec  sagacité,  souvent  avec  bonheur,  dans  les  archives  de  la  nature,  et  saisit 
parfois  le  secret  do  ces  grands  événements  c|ui  ont  remué  le  sol  que  nous  habitons.  Son 
ouvrage  sur  les  volcans  éteints  du  Vivante  et  de  l'Auvergne  répandit  une  vive  lumière  sur  ce 
sujet  aussi  neuf  qu’intéressant.  On  lui  doit  un  grand  nombre  d’écrits  sur  la  plupart  des  ques- 
tions de  ce  genre,  sur  les  roches,  les  mines , les  eaux  minérales , sur  la  paléontologie  et  divers 
autres  sujets  d’histoire  naturelle.  Parmi  ses  découvertes  minéralogiques  on  place  au  premier 
rang  celle  des  mines  de  la  Voulle,  département  de  l’Ardèche.  Par  ses  recherches  sur  les 
pouzzolanes  de  Chenuvary-en-Yelay,  il  attira  l’un  des  premiers  l’attention  des  savants  et  des 
ingénieurs  sur  le  parti  que  l’on  pouvait  retirer  de  leur  emplui  dans  l’art  des  constructions 
hydrauliques. 

Pendant  les  orages  de  la  révolution,  la  fortune  de  Faujas  se  trouva  fort  compromise;  heu- 
reusement , il  avait  reçu  quelques  missions  scientifiques  qui  mirent  sa  personne  en  sûreté.  A 
son  retour,  il  avait  perdu  ses  emplois , mais  il  obtint  une  indemnité  en  considération  de  ses 
découvertes.  Il  no  tarda  pas  & devenir  professeur  do  minéralogie  au  Muséum,  et  l'un  des 
administrateurs  do  l’établissement.  En  1818,  bien  que  septuagénaire,  il  prufessait  encore  avec 
un  remarquable  succès  ; il  mourut  l’année  suivante  à sa  terre  do  Saiut-Fond , en  Dauphiné. 

La  minéralogie,  eu  1780,  avait  doue  déjà  deux  représentants  au  Jardin  du  Roi,  et  toutefois 
cette  science  n’y  tenait  pas  encore  un  rang  égal  à sou  importance.  Faujas  était  souvent  éloigné 
de  Paris,  par  ses  fonctions  de  commissaire  des  mines,  et  Daubcntou  no  pouvait  donner  à cette 
branche  des  sciences  naturelles  qu'une  partie  de  son  temps,  réclamé  d’ailleurs  |>ar  tant  d’occu- 
pations diverses.  C’est  pourtant  à lui  que  cette  science  doit  l'un  des  hommes  qui  ont  fait  faire 
à la  minéralogie  scs  plus  grands  progrès  à la  fin  du  dix-huitième  siècle  : Daubeuton  eut  la 
gloire  d’itre  le  maître  de  Haiiy. 

En  1743,  le  bourg  de  Saint-J  est,  département  de  l’Oise,  donnait  le  jour  à René-Jusl  Haiiy, 
fils  d'un  pauvre  tisserand.  Lue  intelligence  précoce  et  son  assiduité  aux  cérémonies  de  l’église 
avaient  fait  remarquer  le  jeune  René  par  le  prieur  d’une  abbaye  située  dans  le  même  village. 
Le  goût  de  la  musique,  que  Haiiy  conserva  toute  sa  vie,  était  bien  pour  quelque  chose  dans 
son  empressement  à suivre  les  exercices  religieux , mais  il  n'enlevait  rien  à sa  piété  réelle  et 
sincère.  Le  prieur  lui  fit  donner  quelques  leçons  au  couvent , et  lit  onlendre  à sa  mère  qu'à 
l'aido  des  recommandations  qu'il  lui  donnerait,  l'enfant  pourrait  aller  à Paris  achever  ses 
éludes,  lfaiiy  partit  donc , mais  il  n’obtint  d’abord  qu’une  place  d'enfant  de  chœur  dans  une 
église  du  quartier  Saint-Antoine.  Il  s'en  contenta , parce  que  du  moins  il  y trouvait  l'occasion 
d’exercer  ses  dispositions  musicales;  enfin,  par  le  crédit  de  ses  protecteurs,  il  finit  par  obtenir 
une  bourse  au  collège  de  Navarre , où  sa  conduite  et  son  application  lui  valurent  l’emploi  de 
maître  de  quartier,  puis,  avant  l'âge  de  vingt  et  un  ans,  celui  de  régent  de  quatrième.  Peu  d’an- 
nées après,  il  était  régent  de  seconde  au  collégo  du  Cardinal-Lemoine,  et  c’est  à ce  poste 
modeste  que  son  ambition  semblait  vouloir  se  borner. 

Cependant,  il  avait  suivi  au  collège  de  Navarre  les  cours  de  physique  do  Brisson,  et  il  s’élail 
souvent  exercé  à en  répéter  les  expériences , mais  il  n’avait  encore  aucune  notion  d’histoire 
naturelle.  Dans  sa  nouvelle  résidence,  il  se  lia  d'amitié  avec  le  respectable  Lhomond,  homme 
pieux  et  savant , auteur  d’ouvrages  bien  connus , destinés  à l'instruction  de  l'enfance,  et  qui, 
par  modestie , s’était  contenté  de  l'emploi  de  régent  de  sixième.  Lhomond  aimait  beaucoup  la 
botanique , et  son  jounc  collègue  avait  le  regret , dans  leurs  promenades , de  ne  pouvoir  s'en 
occuper  comme  lui.  Pendant  une  de  ses  vacances,  Haüy  apprit  qu’un  moine  de  Saint-Just 
avait  quelques  notions  do  cette  science.  Il  conçut  aussitôt  la  pensée  de  faire  une  surprise  à 
Lhomond,  et  après  quelques  herborisations  dans  lesquelles  il  accompagna  le  bon  religieux,  il 
avait  fait  des  progrès  si  rapides , qu'à  son  retour  il  était  presque  à la  hauteur  de  son  ami , et 
que  la  botanique  devint  pour  quelque  temps  leur  étudo  commune  et  leur  science  favorite. 

Cette  étude  le  conduisait  souvent  au  Jardin  du  Roi , qui  était  voisin  de  son  collège.  I n jour 
il  entra  presque  pur  hasard  aune  leçon  de  minéralogie  de  Daubcntou,  et  remarqua  avec  plaisir 


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70 


PREMIÈRE  PARTIE. 

que  celle  science  avait  des  rapports  assez  nombreux  avec  la  physique,  dont  il  sciait  déjà 
occupé.  Cette  leçon,  qui  l'avait  frappé,  l’amena  à réfléchir  sur  les  différences  que  présentent, 
nu  point  de  vue  de  la  classification , les  minéraux  et  les  plantes.  Il  s’étonna  de  la  constance 
des  formes,  souvent  si  compliquées,  dans  toutes  les  parties  d'une  même  espèce  végétale,  et 
de  la  variété  des  caractères  extérieurs  dans  certains  minéraux  d’une  composition  d’ailleurs 
identique.  Dès  co  moment,  ses  méditations  se  tournèrent  vers  la  recherche  des  lois  primor- 
diales qui  président  à la  cristallisation.  Lue  circonstance  toute  fortuite  devint  pour  lui  un  trait 
de  lumière  qui  dissipa  tous  ses  doutes,  et  qui  allait  répandre  un  jour  nouveau  sur  tous  les 
phénomènes  de  celte  nature.  » 

llaüy,  examinant  quelques  minéraux  chez  un  de  ses  amis,  laissa  tomber  un  groupe  do 
spath  calcaire  cristallisé  en  prismes.  Lu  «le  ces  prismes  se  brisa  de  manière  à mettre  à nu, 
sur  sa  cassure , des  faces  parfaitement  lisses , qui  représentaient  un  cristal  d’uno  forme  toute 
différente  de  la  première.  Il  examina  ce  cristal,  l’inclinaison  do  ses  faces,  do  scs  angles,  et  il 
remarqua  que  ses  caractères  étaient  les  mêmes  que  ceux  du  spath  d'Islande,  en  cristaux  rhom- 
boïdes. Surpris  de  sa  découverte,  il  rentre  dans  son  cabinet,  prend  un  spath  cristallisé  en 
hexaèdre,  le  casse  avec  adresse  et  trouve  dans  ses  fragments  un  nouveau  rhomboïde;  il  agit 
de  même  sur  un  spath  lenticulaire  et  il  obtient  le  même  résultat.  llaüy  en  conclut  que  ces 
divers  spaths  n'ont  qu'une  seule  et  même  forme  moléculaire,  et  que  ces  molécules  primitives, 
en  se  groupant  de  différentes  manières,  donnent  naissance  à des  cristaux  d’un  aspect  différent. 
Il  répète  cette  expérience  sur  uuo  multitude  do  cristaux  et  partout  il  retrouve  le  même  prin- 
cipe; partout  les  faces  extérieures  résultent  du  décroissement  des  lames  superposées,  qui  s’est 
opéré , tantôt  par  les  angles , tantôt  par  les  bords , et  d'un  arrangement  particulier  des  molé- 
cules élémentaires , subordonné  aux  mêmes  lois  de  structure. 

Quand  il  se  fut  bien  assuré  de  ces  faits  extraordinaires,  qu’il  les  eut  confirmés  en  appliquant 
sa  théorie  à la  prévision  de  faits  nouveaux  qui  se  réalisèrent,  enfin  quand  il  les  eut  vérifiés,  en 
soumettant  les  faces  et  les  angles  de  tous  ses  cristaux  aux  calculs  rigoureux  de  la  géométrie, 
Haüy  se  hasarda  à confier  sa  découverte  à son  maître,  à Dauheuton,  qui  lui-même  s’empressa 
de  la  communiquer  à Replace.  Celui-ci,  apres  avoir  apprécié  sa  nouveauté  et  compris  la 
portée  de  ses  conséquences,  engagea  llaüy  à la  présenter  à l’Académie.  Ce  n'est  pas  à quoi  il 
fut  le  plus  facile  de  le  déterminer  (I).  « L’Académie,  le  Louvre,  étaient  pour  le  bon  régent  du 
Cardinal-Lemoine  une  sorto  de  pays  étranger  qui  effrayait  sa  timidité.  Les  usages  lui  étaient 
si  peu  connus,  qu'à  ses  premières  leçons,  il  y venait  en  habit  long,  que  les  anciens  canons  de 
l’Église  proscrivent , dit-on , mais  que  depuis  longtemps  les  ecclésiastiques  qui  n’étaient  point 
on  fonctions  curiales  ne  portaient  plus  dans  la  société.  A cette  époque  de  légèreté,  quelques 
amis  craignirent  que  ce  vêtement  ne  lui  ôtàt  des  voix;  mais  pour  le  lui  faire  quitter  (et  c'est 
oncorc  ici  un  trait  de  caractère),  il  fallut  qu’ils  appuyassent  leur  conseil  de  l'avis  d’un  docteur 
de  Sorbonne,  — Los  anciens  canons  sont  très-respectables , lui  dit  cet  homme  sage , mais  en 
co  moment , ce  qui  importe,  c’est  que  vous  soyez  do  l’Académie.  — Il  est  au  reste  fort  à pré- 
sumer que  c'était  là  une  précaution  superflue,  et  à l'empressement  que  l’Académie  montra  à 
l'acquérir,  on  vit  bien  qu’elle  aurait  voulu  l’avoir,  quelque  habit  qu’il  eût  porté.  On  n’attendit 
pas  même  qu'une  place  de  physique  ou  de  minéralogie  fût  vacante,  et  quelques  arrangements 
en  ayant  rendu  mie  de  botaniquo  disponible,  elle  lui  fut  donnée  presque  d'une  voix  el  de  pré- 
férence à de  savants  botanistes.  Ses  concurrents  étaient  Dcsfontaines , Tessier , Dombey  et 
Palisot  de  Ceauvois. 

« 11  reçut  un  témoignage  encore  plus  flatteur  de  l'estime  de  scs  nouveaux  confrères.  Plusieurs 


(I)  En  reproiliiiifcant  quelques  traits  de  l'éloge  île  llaU),  par  M.  Cuvier,  que  nous  risquerions  d'affaiblir  en 
les  abrégeant,  ce  n’est  pas  un  emprunt  que  nnua  avons  la  hardiesse  de  lui  faire,  e'est  plutôt  un  hommage 
que  nous  aimons  ü rendre  à ce  savant  illustre,  dont  tous  les  écrits  nous  ont  été  si  souvent  utiles  dans  le 
rours  de  ee  travail. 


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HISTOlnK.  — 1771-1794.  7l 

d'entre  eux,  et  des  plus  distingués,  le  prièrent  de  leur  donner  des  explications  orales  et  des 
démonstrations  de  sa  théorie.  Il  leur  en  (il  uir cours  particulier.  MM.  de  Lagrange,  Lavoisier, 
de  Laplace,  Fourcroy,  Bertliollet  et  de  Morvcau  vinrent  au  Cardinal-Lemoine  suivre  les  leçons 
du  modeste  régent  de  seconde,  tout  confus  do  se  voir  devenu  le  maître  d'hommes  dont  il  aurait 
à peine  osé  se  dire  le  disciple.  C'est  qu'en  effet,  dans  une  doctrine  aussi  nouvelle,  et  cependant 
déjà  presque  complète,  les  hommes  les  plus  habiles  étaient  des  écoliers...  Il  avait  iuvenlé 
jusqu’aux  méthodes  de  calcul  qui  lui  étaient  nécessaires,  et  avait  représenté  d’avance,  par  des 
formules  qui  lui  étaient  propres,  toutes  les  combinaisons  possibles  de  la  cristallographie. 

« Lorsqu’il  eut  atteint  daus  l’ Université  les  vingt  ans  de  service  qui  suffisaient  alors  |>our 
obtenir  la  pension  d’émérite,  llaüy  se  hâta  de  la  demander.  Il  y joignit  les  produits  d'un  petit 
bénéfice  et  continua  de  loger  au  Cardinal-Lemoine.  Tout  cela  ne  lui  donnait  au  plus  que  le 
strict  nécessaire,  mais  encore  fallait-il  que  ce  nécessaire  fût  assuré.  Malheureusement,  les 
événements  politiques  allaient  en  disposer  d’une  autre  manière.  L'Assemblée  constituante 
avait  exigé  des  ecclésiastiques  un  serment  d’adhésion  à la  nouvelle  forme  de  gouvernement, 
sous  peine  d’ftre  privés  de  leurs  pensions  et  de  leurs  places,  llaüy,  retenu  par  sa  piété  scru- 
puleuse, se  trouva  dans  celle  dernière  catégorie;  mais  ce  n’est  pas  là  que  s’arrêta  pour  lui  la 
persécution.  Quelques  jours  après  le  10  août,  on  emprisonna  tous  les  prêtres  qui  n’avaient 
pas  prêté  le  serinent,  et  le  bon  llaüy  se  trouva  nécessairement  atteint  par  cette  terrible  mesure.  » 
Fort  peu  au  courant,  daus  sa  vio  solitaire,  de  ce  qui  se  passait  autour  de  lui,  il  voit  un  jour 
avec  surprise  des  hommes  grossiors  entrer  violemment  dans  son  modeste  réduit.  Ou  com- 
mence par  lui  demander  s’il  n’a  point  d'armes  à feu  : o Je  n’en  ai  d'autre  que  celle-ci,  u dit-il, 
en  tirant  une  étincelle  de  sa  machine  électrique.  Ce  trait  désarme  un  instant  ces  horribles  per- 
sonnages, mais  ne  les  désarme  que  pour  un  instant.  On  se  saisit  de  ses  papiers,  où  il  n'y  avait 
que  des  formules  d'algèbre;  on  culbute  cette  collection,  qui  était  sa  seule  propriété;  enfin,  on 
le  confine  avec  tous  les  prêtres  et  les  régents  de  cotte  partie  de  Paris  dans  le  séminaire  de 
Saint-Firmin , qui  était  contigu  au  Cardinal-Lemoine,  et  dont  on  venait  de  faire  une  prison. 
Cellule  pour  cellule,  il  n’y  trouvait  pas  trop  de  différence  : tranquillisé  surtout  en  se  voyant 
nu  milieu  de  beaucoup  de  ses  amis,  il  no  prend  d'autres  soins  que  de  se  faire  apporter  ses 
tiroirs  et  de  tâcher  de  remettre  ses  cristaux  en  ordre.  Heureusement , il  lui  restait  au  dehors 
des  amis  mieux  informés  de  ce  que  l’on  préparait. 

L'un  de  scs  élèves,  depuis  devenu  son  collègue,  Ccoffroy-Saint-llilaire,  logeait  au  Cardinal- 
Lemoine.  A peine  instruit  de  ce  qui  vient  d’arriver  à son  maltro,  il  court  implorer  pour  lui 
tous  ceux  qu’il  croit  pouvoir  le  servir.  Des  membres  de  l'Académie,  des  fonctionnaires  du 
Jardin  du  Roi  n'hésitent  point  à aller  se  jeter  aux  pieds  des  hommes  féroces  qui  conduisaient 
cette  affreuse  tragédie.  On  obtient  un  ordre  de  délivrance,  et  Ceoffroy-Saint-Iliiairo  court  le 
porter  à Saint-Firmin;  mais  il  arriva  un  peu  tant,  et  llaüy  était  si  tranquille,  il  se  trouvait  si 
bien,  que  rien  ne  put  lo  déterminer  à sortir  le  soir  même.  Le  lendemain,  il  fallut  presque 
l’entraîner  de  force.  A quelques  jours  de  là,  allaient  avoir  lieu  les  massacres  du  2 septembre! 

Depuis  lors,  on  ne  l'inquiéta  plus.  La  simplicité,  la  douceur  de  ses  manières  suffirent  seules 
pour  le  protéger.  Un  jour  pointant  ou  le  fit  comparaître  à la  revue  de  son  bataillon,  mais  on 
le  réforma  sur  sa  mauvaise  mine.  Ce  fut  là  à peu  près  tout  ce  qu’il  sut,  ou  du  moins  ce  qu’il 
vit  de  la  révolution.  Cependant,  au  milieu  de  la  plus  grando  effervescence,  la  Convention  le 
nomma  membre  de  la  commission  des  poids  et  mesures  et  conservateur  du  Cabinet  des  mines. 
C'est  dans  ce  dernier  établissement  qu’il  écrivit  son  Traité  de  Minéralogie,  publié  d’abord  par 
fragments  dans  le  Journal  tics  Mines,  et  qui  forma  plus  tard  4 vol.  in-8”.  Cet  ouvrage  replaça 
la  France  au  premier  rang  dans  celte  branche  d'histoire  naturelle.  Son  succès  fut  aussi  rapide 
quo  général , parce  qu'il  était  fondé  sur  une  découverte  complètement  originale,  suivie,  déve- 
loppée et  appliquée  avec  persévérance  à toutes  les  variétés  des  minéraux,  llaüy  y plaçait  la 
cristallisation  en  première  ligne  pour  la  détermination  des  espèces  minéralogiques , et , selon 
lui,  la  composition  chimique,  malgré  sa  haute  importance,  n’arrivait  qu’au  second  rang, 


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72 


PREMIÈRE  PARTIE. 

attendu  que  I-'  même  composé  peut  so  présenter  sou*  diverses  forme*.  Il  donnait  enfin  à In 
minéralogie  uno  précision  absolue,  mathématique,  pii  soumettant  à l'observation  géométrique 
1ns  angles  ut  Ins  facns  i|uu  présentent  tous  Ins  minéraux  cristallisés. 

V la  mort  de  Daubvnton,  eu  fut  Dolomieu,  et  non  pas  Haiiy,  qui  fut  nommé  professeur  de 
minéralogie  au  Muséum  d'histoire  naturelle.  Ou  a vu  que  Dolomieu  avait  été,  eonlre  toutes 
les  règles  du  droit  îles  gnns,  jeté  dans  les  prisons  de  la  Sicile.  Plongé  dans  un  horrible  cachot, 
on  lui  refusa  les  plumes,  le  papier,  les  livres,  tout  moyen  de  distraire  sa  pensée.  « — Vous 
a voulez  donc  me  faire  mourir?  dit-il  un  jour  à son  geiMinr.  — Que  m'inqiorte  que  tu  meurns, 
« répondit  cet  homme  cruel , je  ne  dois  compte  au  roi  que  de  tes  os  ! » l,a  fermeté  ingénieuse 
de  Dolomieu  finit  par  triompher  de  sa  situation.  Il  écrivit  sa  Philosophie  minéralogique  avec 
un  éclat  de  bois  et  la  fumée  de  sa  lampe,  sur  les  marges  d'un  volume  qu’il  était  [larvenu  à 
soustraire  à l'inquisition  de  son  gardien.  Les  fragments  de  cet  ouvrage  furent  achetés  au  poids 
de  l'or  par  le  généreux  Joseph  liants , et  cet  argent , qui  devait  servir  nu  soulagement  du 
proscrit , resta  tout  entier  dans  les  mains  de  son  affreux  gl’élirr.  Mais  ces  feuillets  furent 
connus,  et  Dolomieu , rendu  à la  liberté , eut  un  litre  de  plus  à l’intérêt  des  savants.  L’un  de 
ceux  qui  sollicitèrent  le  plus  vivement  en  sa  faveur  fut  llauy,  celui  dont  la  rivalité  devait  être 
pour  lui  la  plus  redoutable.  Lorsque  Lavoisier  fut  arrêté , lorsque  Borda  et  Dolambre  furent 
destitués,  ce  fut  encore  Haiiy  qui  écrivit  pour  eux  et  qui  le  (U  sans  hésiter,  ni  sans  qu’il  lui  en 
arrivât  rien.  A une  pareille  époque,  son  impunité  était  peut-être  plus  étonnante  encore  que 
son  courage. 

La  mort  prématurés*  de  Dolomieu,  fruit  évident  des  souffrances  qu'il  avait  éprouvées,  rendit 
hientét  à Haiiy  la  place  qui  lui  était  si  dignement  acquise.  Des  qu'il  fut  nommé  professeur  au 
Muséum,  en  1802,  renseignement  de  cette  branche  des  sciences  naturelles,  ainsi  que  les  col- 
lections qui  s’y  rapportent , semblèrent  prendre  une  nouvelle  vie.  De  tous  les  points  de  l'Eu- 
rope les  élèves  accouraient  aux  leçons  d'un  professeur  aussi  célèbre  que  modeste,  aussi  lucide 
et  méthodique  que  complaisant  et  affable.  Quelques  années  après,  llaüy  publia  un  Traité  de 
Physique,  remarquable  par  la  clarté  des  démonstrations  et  par  l’élégance  du  style.  C’est  un  de 
ces  livres  trop  rares,  propres  à inspirer  aux  jeûnas  gens  le  goflt  des  sciences  et  qui  se  fait  lire 
avec  intérêt  et  avec  fruit  par  les  hommes  île  tout  âge.  Son  Traité  de  Cristallographie  lie  parut 
qu’en  1822,  l'année  même  de  sa  mort.  C'est  dans  cet  ouvrage,  et  dans  le  Traité  de  Minéralogie, 
que  Haiiv  dévoila  tous  les  secrets  de  l'organisation  des  minéraux.  Il  reconnut  les  lois  suivant 
lesquelles  la  matière,  inanimés;  en  apparence , prend  des  formes  analogues  à celles  des  être* 
organisés.  Il  mesura  les  éléments  primitifs  des  cristaux,  il  étudia  leur  structure  et  soumit  au 
calcul  les  combinaisons  suivant  lesquelles  ils  se  réunissent,  pour  donner  naissance  à ces  pro- 
duits merveilleux  du  règne  minéral,  depuis  la  molécule  saline  microscopique  jusqu’aux  gemmes 
et  aux  pierres  précieuses,  jusqu'à  ces  groupes  d'un  immense  volume  qui  tapissent  l'intérieur 
des  grottes  et  des  cavernes  souterraines.  La  pureté  du  style  ajoutait  encore  à l'intérêt  de  ces 
découvertes  si  originales , et  le  mérite  de  l'écrivain  ne  s’y  montrait  pas  au-dessous  du  savoir 
du  physicien,  du  minéralogiste  et  du  cristallographe. 

La  vieillesse  de  Haiiv  ne  fut  pas  exempte  de  sollicitude.  Il  ne  désirait  pourtant  qu’une 
aisance  suffisante  pour  pouvoir  rapprocher  de  lui  sa  famille  et  en  recevoir  quelques  soins  dans 
son  âge  avancé.  Il  n'y  réussit  pas  complètement.  Son  frère  Valentin , bien  connu  comme  fon- 
dateur de  l’institution  des  Jeunes-Aveugles,  de  retour  de  la  Russie  et  de  l'Allemagne,  oit  il 
avait  fondé  des  établissements  analogues,  revint,  infirme  et  sans  fortune,  accroître  les  charges 
du  bon  professeur  cl  aggraver  encore  sa  situation  précaire.  A la  vérité , les  soins  pieux  de  ses 
jeunes  parents  dissimulaient  avec  adresse  la  gêne  du  pauvre  ménage  et  épargnaient  au  savant 
vieillard  de  plus  graves  inquiétudes.  Comme  lui-même  n'avait  rien  changé  à ses  habitudes  da 
simplicité,  il  ressentait  peu  les  privations  matérielles  et  trouvait  encore  le  moyen  d’exercer  sa 
charité  sur  de  plus  pauvres  quo  lui.  On  ne  peut  douter  que  cet  homme  si  émineut  par  son 
savoir,  si  plein  de  candeur  et  do  bonté,  si  étranger  aux  choses  du  monde,  n’ait  servi  de  modèle 


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HISTOIRE.  — 1771  - 1701. 


7.7 


au  personnage  principal  de  la  charmante  comédie  de  Michel  Perrin.  Son  vêtement  antique, 
son  air  naïf,  son  langage  modeste  et  familier  ne  pouvaient  faire  deviner  en  lui  un  des  savants 
les  plus  considérés  de  l'Europe,  Un  jour,  dans  une  de  ses  promenades,  il  rencontra  deux  sol- 
dats qui  allaient  se  battre  : il  s'informe  du  sujet  de  leur  querelle,  les  apaise,  les  raccommode, 
et  pour  s'assurer  que  la  dispute  ne  renaîtra  point , il  va  sceller  avec  eux  la  puis,  à la  manière 
des  soldats,  au  cabaret. 

Malgré  la  délicatesse  de  sa  complexion , l’existence  de  Haüy  se  prolongea  jusqu’à  un  âge 
assez  avancé.  Un  accident  cruel  en  accéléra  la  fin.  Il  fil  une  chute  dans  sa  chambre  et  se  cassa 
le  fémur  ; un  abcès  se  forma  dans  l’articulation  et  une  fièvre  aiguë  emporta  le  malade  au  bout 
de  quelques  jours.  Il  mourut  en  1822,  à l’Age  de  soixante-dix-neuf  ans.  M.  Brongniart,  qui  lo 
secondait  depuis  quelques  années  dans  son  enseignement , fut  appelé  à le  remplacer  au 
.Muséum. 

Nous  avons  un  peu  anticipé , relativement  à l’ordre  de  succession  parmi  les  démonstrateurs 
du  cabinet.  Daubenton,  en  possession  de  ce  titro  depuis  1775,  devait  le  conserver  jusqu’à  la 
nouvelle  organisation  de  l’établissement.  Depuis  longtemps  il  s'était  fait  adjoindre,  comnio 
sous-démonstrateur,  un  de  ses  parents,  connu  sous  le  nom  do  Daubenton  le  Jeune  (Edme- 
Louis) , né  à Monthard  en  1732.  Vers  1784  , celui-ci  se  vit  forcé,  par  motifs  de  santé,  de  se 
démettre  de  ses  fondions.  Il  était  à la  fois  cousin  et  beau-frère  de  Daubenton,  et  avait  épousé 
la  belle-sieur  de  Vicq-d'Azvr.  Il  fut  remplacé  au  Jardin  du  Roi  par  Lacépéde,  dont  nous  aurons 
bientét  à parler. 

Daubenton  (Louis-Jean- Marie)  , le  collaborateur  de  Buffon  , avait  été  nomme,  en  1778, 
professeur  d'Instoirc  naturelle  au  Collège  de  France,  et  quelques  années  après  il  fut  chargé  de 
faire  un  cours  d’économie  rurale  à l'École  vétérinaire  d’Alfort,  nouvellement  fondée.  En  1785, 
on  créa  pour  lui  une  chaire  semblable  à l’École  Normale.  Ces  soins  multipliés  n’étaient  rien 
à ceux  qu'il  consacrait , avec  un  zèle  qui  ne  se  ralentit  jamais,  aux  collections  confiées  à sa 
surveillance.  On  a vu  tout  ce  quo  le  Cabinet  avait  dû,  dès  les  premières  années  de  son  admis- 
sion au  Jardin  du  Roi , à son  activité  comme  à son  goût  tout  spécial  pour  l’arrangement  des 
collections  d'histoire  naturelle.  L’ordre  et  la  méthode  qu’il  introduisit  dans  le  classement  do 
toutes  ces  richesses  doivent  le  faire  reganler  comme  lo  véritablo  fondateur  de  co  Cabinet, 
aujourd’hui  lo  plus  complet  et  le  plus  splendide  qui  existe.  Rien  n’égale  la  patience,  le  soin, 
le  dévouement  dont  il  fil  preuve  dans  ces  fonctions,  qu’il  pinça  toute  sa  vie  au  nombre  de 
ses  devoirs  les  plus  chers,  ■ L'étude  cl  l'arrangement  de  ces  trésors , dit  Cuvier , étaient 
devenus  pour  lui  uno  véritable  passion , la  seule  peut-être  qu'on  ait  jamais  remarquée  en  lui. 
Il  s'enfermait  pendant  des  journées  entières  dans  le  Cabinet,  il  y retournait  de  mille  manières 
les  objets  qu’il  y avuit  rassemblés  ; il  en  examinait  scrupuleusement  toutes  les  parties  ; il 
essayait  tous  les  ordres  possibles,  jusqu'à  ce  qu’il  eût  rencontré  celui  qui  ne  choquait  ni  l’cril, 
ni  les  rapports  naturels. 

Ce  goût  pour  l’arrangement  d'un  Cabinet  se  réveilla  avec  force  dans  scs  dernières  années, 
lorsque  des  victoires  apportèrent  au  Muséum  d'histoire  naturelle  une  nouvelle  masse  de 
richesses,  et  que  les  circonstances  permirent  de  donner  à l’ensemble  un  plus  grand  dévelop- 
pement. A quatre-vingts  ans , la  tête  courbée  sur  la  poitrine , les  pieds  et  les  inaius  déformés 
par  lu  goutte,  ne  pouvant  marcher  que  soutenu  par  deux  personnes,  il  se  faisait  conduire 
chaque  matin  au  Cabinet  pour  y présider  à la  disposition  des  minéraux , la  seule  partie  qui  lui 
fût  restée  dans  lu  nouvelle  organisation  de  rétablissement. 

Ainsi,  c’est  principalement  à Daubenton  que  la  France  est  redevable  de  ce  temple  si  digne 
de  la  déesse  A laquelle  il  est  consacré,  et  oh  l’on  ne  sait  ce  que  l’on  doit  admirer  le  plus,  de 
l’étonnante  fécondité  de  la  nature  qui  a produit  tant  d’êtres  divers , ou  de  l'opiniâtre  patience 
do  l’homme  qui  a su  recueillir  tous  ces  êtres,  les  nommer,  les  classer,  en  ussigtier  les  rapports, 
en  décrire  les  parties  et  en  expliquer  les  propriétés.  » 

Les  travaux  de  Daubenton  s'étendirent  à presque  toutes  les  branches  des  sciences  natu- 


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71  PREMIÈRE  PARTIE. 

relies.  On  sait  les  nombreuses  découvertes  dont  il  enrichit  la  zoologie,  et  la  rapide  impulsion 
que  ses  recherches  imprimèrent  à ranatomie  comparée.  En  physiologie  végétale,  il  appela  le 
premier  l’atteution  sur  le  mode  d’accroissement  de  la  tige  des  palmiers,  et  cette  observation 
prépara,  pour  ainsi  dire,  l'admirable  découverte  de  Desfontaines,  sur  laquelle  se  fondent 
aujourd'hui  les  grandes  divisions  de  la  botanique.  Il  reconnut  aussi  dans  l’écorce  des  arbres 
l'existence  des  trachées,  que  l’on  n’avait  encore  observées  que  dans  le  Ifois.  En  minéralogie, 
il  publia  des  idées  ingénieuses  sur  la  formation  des  albâtres,  des  stalactites,  des  marbres  ligu- 
res, etc.  Ses  travaux  en  agriculture  et  en  économie  rurale  eurent  un  mérite  de  plus,  celui 
d'une  application  et  d’une  utilité  immédiates.  Dauhenton  s’occupa  avec  un  succès  remarquable 
de  l’éducation  des  moutons  et  de  l'amélioration  des  laines.  Ses  expériences  à ce  sujet  remon- 
taient à 1706,  et  il  les  continua  jusqu’à  sa  mort.  Il  démontra  l’importance  du  parcage 
continuel  des  bêtes  à laine  et  le  danger  de  les  renfermer  dans  les  étables;  il  étudia  le  méca- 
nisme de  la  rumination  et  en  déduisit  des  conséquences  sur  la  manière  de  les  nourrir.  Il  forma 
des  bergers  pour  propager  la  pratique  de  ses  méthodes , il  distribua  ses  béliers  aux  agricul- 
teurs, rédigea  des  instructions  à leur  usage,  et  fit  fabriquer  des  draps  avec  la  laine  qu’il  avait 
obtenue,  pour  démontrer  la  supériorité  de  ses  produits.  C’est  de  ce  point  que  partent  les  perfec- 
tionnements dont  cette  branche  de  l’économie  rurale  a commencé  à s'enrichir  dès  la  fin  du 
dernier  siècle. 

Daubentnn  avait  acquis  par  ces  derniers  travaux  une  sorte  de  réputation  populaire,  qui  lui 
fut  très-utile  dans  une  circonstance  dangereuse.  En  1793,  ce  naturaliste,  presque  octogéuaire, 
eut  besoin,  pour  conserver  la  place  qu’il  honorait  depuis  cinquante-deux  ans  par  ses  talents  et 
scs  vertus,  de  demander  à une  assemblée,  qui  se  nommait  la  section  des  Sans-Culotles . un 
certificat  de  civisme  (I).  Il  ne  l'eût  pas  obtenu  comme  professeur  ou  académicien;  quelques 
gens  sensés  le  présentèrent  sous  le  titre  do  berger,  et  ce  fut  le  berger  Daubenton  qui  obtint  le 
certifient  nécessaire  pour  le  directeur  du  Muséum  national  d'histoire  naturelle. 

Cependant , cette  pièce  ne  le  mettait  pas  complètement  à l’abri  des  persécutions  qui  mena- 
çaient alors  lous  les  hommes  paisibles  et  éminents.  Il  avait  proposé  plusieurs  fois  de  faire  des 
cours  d’économie  rurale  au  Jardin  des  Plantes.  Lorsqu’il  fut  question  de  réorganiser  l’établis- 
sement, il  se  réunit  aux  autres  professeurs  pour  demander  sa  conversion  en  une  école  spéciale 
d’histoire  naturelle.  En  1794,  il  fut  nommé  professeur  de  minéralogie,  et,  bien  qu’octogénaire, 
il  n’en  fui  pas  moins  exact  à remplir  ses  nouvelles  fonctions.  C’était  un  spectacle  touchant, 
dit  encore  son  panégyriste,  de  voir  ce  vieillard  entouré  de  ses  disciples,  qui  recueillaient  avec 
une  attention  religieuse  ses  paroles,  dont  leur  vénération  semblait  faire  autant  d’oracles; 
d’entendre  sa  voix  faible  et  tremblante  se  ranimer,  reprendre  de  la  force  et  de  l’énergie , lors- 
qu’il s’agissait  de  leur  inculquer  quelques-uns  de  ces  grands  principes  qui  sont  le  résultat  des 
méditations  du  génie,  ou  seulement  de  leur  développer  quelques  vérités  utiles. 

Ce  zèle  pour  la  science  et  pour  l’instruction  de  la  jeunesse  ne  l’abandonna  pas  même  dans 

(»)  Voici  la  copie  figurée  de  celle  pièce  singulière,  qui  existe  encore  : 

• Sectiox  ûes  Saxs  Ca  lotte. 

• Copie  de  Vexirail  de»  délibération»  de  VAs»emblée  générale  de  la  séance  du  cinq  de  la  première  décade 

du  troisième  moi»  de  la  seconde  année  de  la  Itépublique  françoise  une  et  indivisible. 

« Appert  que  d’après  le  Rapport  laite  de  la  société  fraternelle  de  la  section  des  Sans-Culotte  sur  le  bon 

• Civisme  et  faits  d'humanité  qu'a  toujour  lémognés  le  Berger  Dauhenton  l'Assemblée  Générale  arrête  una- 
« ntniement  qu'il  lui  sera  accordé,  un  certificat  de  Civisme,  et  le  Président  suivie  de  plusieurs  membre  de 
« ladite  assemblée  lui  donne  l'âcolade  avec  toutes  les  acclamations  dues  à un  vraie  modèle  d'humanité  ce  qui 

• a été  témoigné  par  plusieurs  reprise. 

■ Signé  R. -G.  DARDEL,  président. 

Pour  extrait  conforme, 

« Signé  Dénoxî  • 


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75 


HISTOIRE.  — 1771-1704. 
les  dernières  aimées  de  sa  vie;  il  faisail  des  efforls  continuels  pour  se  tenir  au  courant  île  la 
science  et  no  pas  rester  au-dessous  do  son  enseignement.  I n de  ses  collègues  lui  avant  offert 
de  le  suppléer  dans  ses  leçons,  « Mon  ami,  lui  répondit-il,  je  ne  puis  être  mieux  remplacé  quo 
a par  vous  ; lorsque  l’âge  me  forcera  à renoncer  à mes  fonctions , soyez  sûr  que  je  vous  en 
a chargerai.  » Il  avait  alors  quatre-vingt-trois  ans. 

Daubentou,  d'une  compleiion  naturellement  faible  et  malgré  un  travail  presque  incessant, 
parvint  néanmoins  à une  vieillesse  avancée , à l'aide  d’une  étude  assidue  de  lui-même , et  eu 
évitant  tous  les  excès  du  corps,  de  l’âme  et  de  l’esprit,  il  se  délassait  de  ses  travaux  scienti- 
fiques par  des  lectures  de  littérature  légère,  de  romans,  do  contes,  de  pièces  de  théâtre.  Il 
appelait  cela  : « mettre  son  esprit  à la  diète,  n Mmc  Daubentou,  qui  partageait  ce  dernier  goût, 
publia  un  roman  qui  a joui  dans  le  temps  de  quelque  célébrité  ; Zélie  dans  le  désert. 

Ln  des  traits  les  plus  saillants  du  caractère  de  Daubenton  était  la  bonne  opinion  qu'il  avait 
des  hommes;  sans  doute  parce  qu'il  s’était  peu  mêlé  â leur  commerce  cl  qu'il  n'avait  pris 
aucune  purl  au  mouvement  qui  entraînait  alors  la  société.  Celto  disposition  bienveillante, 
comme  sa  candeur  habituelle,  donnait  le  plus  grand  charme  à sa  conversation.  Dans  sa 
conllunce  naïve,  il  se  laissait  prendre  aux  démonstrations  et  aux  paroles  des  hommes  saillants 
do  cette  funeste  époque  et  croyait  à leur  bonne  foi  ; ce  qui  lui  valut  quelques  reproches  do 
pusillanimité.  Ceux  qui  curent  le  bonheur  de  le  connaître  n'y  virent  jamais  qu’une  condescen- 
dance naturelle,  qui  d'ailleurs  fut  toujours  sincère  et  désintéressée. 

Daubentou  apportait  jusque  dans  ses  expériences  la  candeur  et  la  bonhomie  qui  formaient 
le  fond  de  sou  caractère.  Douze  cochons  d'Inde,  auxquels  il  n'avait  fait  donner  pour  tout 
aliment  que  des  champignons,  alin  de  constater  l'action  de  ces  plantes,  périrent  au  bout  do 
huit  jours.  On  vint  aussitôt  lui  annoncer  cette  nouvelle.  « — De  quoi  sont-ils  morts? 
n demande-t-il  avec  vivacité.  — De  faim,  sans  doute,  répond  tranquillement  la  personne 
n qu’il  interroge.  — Cela  ne  m’étonne  point,  reprend  alors  Daubenton  avec  encore  plus  de 
n tranquillité;  ces  pauvres  animaux  n’avaient  pas  dû  manger  depuis  huit  jours 

Les  nuages  qui  s'élevèrent  un  moment  entre  KulTon  et  lui  ne  laissèrent  aucune  trace  dans 
son  âme  paisible  et  bienveillante.  Il  saisissait  même  toutes  les  occasions  d'exprimer  sa  grati- 
tude envers  celui  qu'il  regardait  toujours  comme  son  protecteur.  « Sans  lui , disait-il  à 
n Lacépède,  je  n'aurais  pas  eu , dans  ce  Jardin , cinquante  ans  de  bonheur.  » 

Dans  lu  dernière  année  de  sa  vie , Daubenton  fut  nommé  sénateur.  Il  voulut , comme  tou- 
jours, se  mettre  en  mesure  d'accomplir  ses  nouveaux  devoirs;  mais  la  première  fois  qu’il 
assista  à la  séance,  il  fut  frappé  d'apoplexie,  et  tomba  sans  connaissance  entre  les  bras  de 
ses  collègues,  pour  ne  plus  se  ranimer.  C’était  le  31  décembre  1709.  Il  finissait  avec  le  siècle, 
dont  il  avait  été  l’une  des  gloires  ; il  était  âgé  de  quatre-vingt-quatre  ans.  Ses  funérailles  furent 
splendides  et  touchantes  par  le  nombre  des  savants , des  élèves  et  des  hommes  do  tous  les 
rangs  qu’elles  rassemblèrent.  On  lui  éleva  un  tombeau  rustique,  surmonté  d'une  simple 
colonne,  sur  l'une  des  buttes  du  Jardin  des  Plantes,  auprès  du  Cèdre  planté  par  les  mains  de 
Bernard  de  Jussieu. 

Daubenton  ne  prit  jamais  rang  parmi  les  professeurs  d'anatomie  du  Jardin  du  Roi,  et  pour- 
tant c’est  à lui  peut-être  que  se  rapportent  les  progrès  les  plus  marqués  que  lit  cetto  science 
pendant  la  période  que  nous  parcourons.  Indépendamment  de  ces  descriptions  anatomiques, 
qui  ajoutèrent  un  si  grand  prix  â l’ Histoire  des  Quadrupèdes  de  liuffnn,  c’est  aussi  à ses  mains 
habiles  que  l'on  doit  cette  magnifique  collection  de  pièces  osléologiques,  qui  a fourni  de  si 
précieux  matériaux  aux  développements  ultérieurs  de  l'anulomio  comparée.  Il  fut  aidé  dans 
ces  derniers  travaux  par  les  deux  Mertrud;  le  premier,  élève  de  Duverney,  démonstrateur 
sous  Kerreiu  et  Winslnw,  mort  en  1700,  et  le  second,  son  neveu  {Jean-Claude),  pour  qui 
lluffon  avait  la  plus  grande  estime,  et  qui  laissa  au  Jardin  une  véritable  renommée  de  savoir 
et  d’habileté. 

I.e  professeur  en  litre  était  Antoine  Petit , qui  avait  succédé  à Fcrrcin,  et  qui  conservait  à 


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Antoine  Petit , parvenu  a une  grande  célébrité  comme  savant  et  comme  praticien , et  après 
avoir  acquis  une  fortune  Imnorablc,  en  fil  un  généreux  emploi  en  faveur  de  la  science  et  pour 
le  soulagement  des  pauvres.  Il  fonda  , à la  Faculté  de  Médecine  de  Paris,  deux  chaires,  l'uno 
d'anatomie  et  l’autre  de  chirurgie.  A Orléans,  il  fil  également  des  fonds  pour  établir  dos  con- 
sultations gratuites  destinées  aux  indigents.  La  première  institution  fut  em|H>rtée  par  les  orages 
politiques  de  la  fin  du  siècle,  la  seconde  subsiste  encore  et  porte  toujours  le  nom  de  son  digne 
fondateur. 

Vicq-d'Arvr  n'a  donc  jamais  appartenu  à l’enseignement  du  Jardin  du  Roi  que  comme  sup- 
pléant d'Antoine  Petit  ; mais  c’est  là  que  commença  la  célébrité  de  cet  éminent  professeur,  et 
il  est  juste  qu'une  partie  de  sa  gloire  rejaillisse  sur  un  établissement  qui  en  fut  la  première 
source. 

Félix  \ icq-d'A/.vr,  né  à Valognes  en  1748,  était  fils  d'un  médecin  et  naturellement  appelé 


70  PREMIÈRE  PARTIE. 

la  chaire  d'anatomie  la  célébrité  qu'elle  avait  acquise  sous  Duvernoy,  llunauhi  et  Wiuslow. 
Antoine  Petit,  fils  d'un  tailleur  d'Orléans,  était  né  dans  cette  ville,  eu  1722.  11  avait  obtenu 
de  tels  succès  dans  ses  premières  études,  qu’on  l'engagea  à suivre  la  carrière  de  la  médecine, 
et  que  la  Faculté,  en  considération  de  ses  talents  comino  do  son  peu  de  fortune,  l'admit  gra- 
tuitement au  grade  do  docteur.  Il  se  livra  presque  aussitôt  à l'enseignement  et  y obtint  do 
rapides  succès.  Il  lit  partie  do  l’Académie  des  sciences  en  1780,  et  fut  nommé,  en  1769,  pro- 
fesseur d’anatomie  au  Jardin  du  Roi  ; mais  il  lie  tarda  pas  à s'v  faim  suppléer  par  A icq-d’Azyr, 
dont  il  avait  apprécié  tout  lo  mérite  cl  pour  qui  il  avait  conçu  une  vive  amitié.  Vers  1776, 
Antoine  Petit  renonça  tout  à fait  au  professoral;  il  se  retira  d'abord  à Foutenay-aux-Roses. 
Quelques  années  après,  ayant  perdu  sa  mère,  il  alla  se  fixer  à Olivol,  près  d'Orléans,  où  il 
mourut  en  1794.  Il  eût  désiré  se  voir  remplacer  au  Jardin  du  Roi  par  Yicq-d'Azyr,  son  élèvo 
et  son  ami.  mais  Buffmi  lui  préféra  Portai,  alors  très-répandu  à la  cour,  et  c'est  à ce  dernier 
que  fut  accordée  la  survivance  du  professeur. 


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HISTOIRE.  — 1 77  1 - 1 704. 


77 


à suivre  la  mémo  carrière.  Il  fit  ses  premières  èlu'les  dans  sa  ville  natale,  et  les  poursuivit  à 
Caen,  où  il  obtiut  de  tels  succès,  qu'ils  lui  inspirèrent  d'abord  un  goût  oxclusif  pour  la  litté- 
rature et  la  poésie.  Cependant,  sou  père  l'ayant  envoyé  à Paris,  ses  rapports  avec  des  hommes 
distingués  dans  les  sciences  finirent  par  changer  ses  premières  dispositions,  et  il  reconnut  que 
l’art  médical  réunissait  les  moyens  do  mettre  à prolit  presque  tout  ce  qui  peut  intéresser  une 
haute  intelligence.  A peine  en  possession  du  titre  de  docteur,  il  se  fit  remarquer  par  quelques 
écrits  qui  le  firent  admettre  comme  associé  à l’Académie.  Il  ouvrit  alors  des  cours  d'anatomie 
comparée  qui  attirèrent  un  grand  nombro  d'élèves:  la  chaleur,  la  clarté,  l'élégauco  qu'il 
apporta  dans  son  enseignement  élevèrent  sa  réputation  au  point  que  la  Faculté  s'en  émut,  et 
qu'en  so  fondant  sur  d’anciens  règlements  tombés  en  désuétude , elle  lit  interrompre  ses 
leçons.  C'est  alors  qu' Antoine  Petit,  qui  avait  apprécié  la  portée  du  jeune  Vicq-d’Azyr,  lo 
choisit  pour  son  suppléant  au  Jardin  du  Roi,  espérant  laisser  dans  ses  dignes  mains  une  chaire 
qu'il  songeait  dès  lors  à abandonner.  Ou  sait  que  Cuffon  devait  en  disposer  autrement. 


Vicq-d’Azyr  se  maria  île  bonne  heure,  et  par  suite  d'un  événement  dénature  tout  à fait  romanes- 
que. Il  était  avec  quelques  élèvos  dans  son  laboratoire,  lorsque  des  cris  do  douleur  et  d'effroi 
se  firent  entendre  au  dehors,  et  l'on  apporta  daus  la  salle  une  jeuno  |iersonne  évanouie.  C'était 
M,u  Lenoir, nièce  de  Daubeulon.  Vicq-d’Azyr  s'empresse  do  lui  prodiguer  ses  soins;  il  la  rap- 
pelle à la  vie,  et  cette  circonstance  devient  l'origine  d’une  liaison  qui  se  termina  par  un  mariage. 
.Malheureusement,  cette  union  n’eut  pas  une  longue  durée;  il  perdit  sa  femme  au  bout  de 
dix-huit  mois,  h la  suite  d’une  longue  maladie;  mais  il  conserva  l'affection  de  Daubeulon, 
qui  devint  son  protecteur,  ainsi  que  Lassonue , alors  premier  médecin  du  roi.  A la  suite  do 
cet  événement,  Vicq-d’Azyr  tomba  malade,  et  alla  se  rétablir  dans  son  pays  natal,  sur  les 
bords  de  la  mer.  Il  profita  do  ce  séjour  pour  étudier  l'organisation  des  poissons.  La  mémo 
année,  Turgot  l’envoya  dans  le  Midi,  à l’occasion  d’une  épizootie,  et  c'est  à son  retour  <ju'i| 


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•R  PREMIÈRE  PARTIE. 

proposa  au  ministre  la  formation  d'un  bureau  composé  «le  six  membres , chargés  de  recueillir 
tous  les  documents  relatifs  aux  muladies  épidémiques.  Telle  est  la  première  origine  de  la 
création  de  la  Société  royale  de  Médecine , dont  Yicq-d* Azyr  prépara  les  règlements , qui  fut 
proposée  nu  roi  en  1770  par  Lassonne  et  Turgot,  confirmée  «leux  ans  après  par  lettres  patentes 
«lu  roi  Louis  \\l , et  dont  le  jeune  professeur  fut  nommé  secrétaire  perpétuel.  Telle  est  aus?si 
In  première  source  de  l’animosité  que  montra  la  Faculté  à l’égard  «1«‘  cette  fondation,  et  surtout 
«lu  mauvais  vouloir  qu’elle  témoigna  toujours  à Yicq-«rAzyr. 

La  création  «le  la  Société  nivale  de  Médecine  réalisait  la  jieiisée  connue  un  siècle  auparavant 
par  Chirac,  et  qui  a servi  «le  hase  à la  fondation  «le  l’Académie  «!«•  Médecine,  rétablie  en  1820 
par  le  roi  Louis  XVIII.  Cette  compagnie  était  ap|»e1éo  h reluire,  et  rendit,  en  effet,  d<»  tels 
services,  qu’ils  Unirent  par  triompher  «les  préventions  de  la  Faculté;  elle  fournit  surtout  à 
Vîcq-d’Azyr  l’occasion  de  développer  sur  un  vaste  théâtre  les  talents  «pii  le  distinguaient;  il  en- 
treprit d’écrire  l’éloge  de  ses  membres  décédés,  et  il  le  fit  avec*  le  plus  grand  succès.  Ln  savoir 
extrêmement  varié , un  jugement  sain , un  style  élégant  et  pur,  remarquable  surtout  par  la 
distinction,  l’élévation  des  sentiments  et  des  pensées,  lui  acquirent  dès  lors  une  place  éminente 
parmi  les  savants  comme  parmi  les  gens  de  lettres,  à ce  point  qu’en  1788  il  fut  jugé  digne  d’oc- 
cuper, dans  h11  sein  «le  l’Académie  française,  le  fauteuil  «pu*  Ruffun  venait  d’y  laisser  vacant. 

L’étendue  et  la  variété  des  connaissances  île  Yicq-d'Azyr  en  faisaient  souvent  une  sorte  d’ar- 
bitre pour  ses  collègues , meme  les  plus  instruits  ; c’était  à lui  «pie  l’on  s’a«lressait  de  préfé- 
rence pour  constater  l’exactitude  «les  citations  et  In  réalité  «les  découvertes,  l u docteur,  qui 
avait  puisé  toute  son  érudition  dans  Haller,  citait  souvent,  comme  une  autorité,  un  certain 
Pari$ini , nu  nom  duquel  il  ajoutait  parfois  l'épithète  de  savant  et  d’illustre.  On  consulta  Vicq- 
d’Azvr  sur  ce  personnage,  et  il  avoua  «l’abord  qu’il  lui  était  inconnu;  mais,  en  y réfléchissant, 
il  se  souvint  que  ce  nom  do  Pari&ini  n’était  autre  chose  «pie  le  titre  par  lequel  Haller  désignait 
ordinairement  les  membres  «le  l’Académie  des  sciences  de  Paris. 

L'amitié  do  I^assouno  lui  avait  fait  obtenir  la  place  «le  premier  médecin  «le  la  reine  Marie- 
Antoinette.  C'était  précisément  l'époque  où  cette  malheureuse  princesse  allait  soulever  contre 
elle  les  attaques  les  plus  odieus«?s  et  les  plus  violentes.  Vicq-d’ Azyr  devint  l’objet  des  suspicions 
qui  atteignaient  alors  tous  les  hommes  pourvus  d’un  emploi  â la  cour.  Surchargé  de  travaux 
et  accablé  «J’inquiétudos,  il  se  vit  obligé,  pour  conjurer  de  plus  grands  malheurs,  de  prendre 
part  aux  travaux  des  sociétés  populaires  et  aux  actes  de  l’administration  centrale.  Après  avoir 
assisté  à üno  fêle  patriotique,  celle  où  le  dictateur  proclama  l'immortalité  de  l’âme,  la  chaleur 
et  la  fatigue  lui  occasionnèrent  une  maladie  aiguë  à laquelle  il  succomba  au  bout  de  quelques 
jours,  en  1791 , à l’âge  «le  quarante-six  ans. 

Lu  destinée  de  Portai  devait  être  bien  «lifférente  de  celle  do  Vicq-d’Azyr.  Antoiue  Portai  était 
comme  lui,  fils  d'un  médecin  distingué,  et  naquit  à Caillai*,  «lépartement  du  Tarn,  en  1742. 
Destiné  par  sa  famille  à la  carrière  médicale,  et  après  «Je  bonnes  études  faites  chez  les  jésuites 
de  Toulouse , il  se  rendit  à Montpellier.  Ses  progrès  furont  si  rapides  qu’après  deux  ans  do 
noviciat , il  a«lressait  à l’Académie  do  cetto  ville , sur  des  questions  médicales , un  écrit  assez 
remarquable  pour  lui  mériter  le  titre  de  correspondant  de  cette  compagnie.  C’était  l’époque  où 
Sauvage,  Lamure,  Uarlhez  et  tiordeu  répandaient  tant  de  gloire  sur  cette  école  célèbre.  Portai 
se  plaça  sous  le  patronage  «le  Lamure  ; mais,  pour  s«î  livrer  aux  «'*tudes  anatomiques,  il  eut  à 
lutter,  comme  Hunauld,  contre  une  antipathie  involontaire  que  lui  inspirait  la  vue  des  ca«la- 
vres.  On  raconte  que,  pour  faire  ses  premières  dissections,  il  était  obligé  de  ruser  avec  lui- 
même  et  de  Rapprocher  qu’à  reculons  du  corps  sur  lequel  il  devait  opérer.  Il  triompha  «lo 
cette  répugnance  machinale  à force  de  volonté,  au  point  «jue,  tout  en  prenant  scs  premiers 
grades,  il  faisait  des  leçons  particulières  d’anatomie  et  publiait  des  Mémoires  sur  divers  points 
do  mé«le«  ine  «H  de  chirurgie.  Dans  sa  thèse  inaugurale,  écrite  en  latin,  il  présenta  la  descrip- 
tif»» d’une  machine  qu’il  avait  inventé»?  dans  le  but  de  réduire  l«*s  luxations  par  des  moyens  à 
la  fois  moins  «lotiloureux  cl  plus  énergiques. 


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HISTOIRE.  — 1771  - 1791. 


79 


« A peine  reçu  docteur,  dil  Parisot,  Portai  tourim  les  yeux  vers  Paris  : Paris,  séjour  d'opu- 
lence, de  lumière  et  de  gloire,  où  les  jeunes  talents  mûrissent  et  s’élèvent,  où  florissaient 
alors,  avec  les  sciences,  les  lettres  et  les  arts,  cette  aimable  facilité  de  meeurs,  celte  urbanité, 
celte  élégance,  celte  politesse  que  nous  a fait  perdre  la  sévérité  de  nos  manières.  C'est  là  que 
Portai  se  sentait  appelé,  et  sous  quels  auspices  il  y allait  paraître!  Le  cardinal  de  Komis, 
promu  tout  récemment  à l'archevêché  d'Alby,  avait  été  guéri  d’une  légère  douleur  par  le  père 
de  Portai , et  cette  facile  guérison  valut  au  (ils  les  recommandations  les  plus  instantes  auprès 
de  deux  hommes  qui , avec  peu  de  foi  dans  leur  art , en  avaient  sondé  toutes  les  profondeurs, 
et  tenaient  alors  le  sceptre  de  la  médecine,  Sénac  et  Lieutaud.  Muni  des  lettres  de  l’arche- 
vêque, Portai  part  pour  Paris.  Sur  sa  route,  il  rencontre  et  s’associe  deux  autres  voyageurs, 
d’abord  Treilhard,  puis  l’abbé  Maury,  que  le  hasard  joignit  à eux,  lorsqu’il  sortait  d’Avallon. 
Les  trois  compagnons  cheminaient  gaiement  ensemble,  s’entretenant  d'abord  avec  réserve,  et 
bientôt  avec  tout  l'abandon  du  jeune  âge.  Ils  se  confiaient  leurs  espérances,  u — Moi , disait 
Treilhard,  je  veux  être  avocat  général.  — Moi,  disait  Maury,  je  serai  de  l’Académie  française. 
— Et  moi,  continuait  Portai,  de  l'Académie  des  sciences.  » En  marchant,  ils  s’échauffaient 
l’un  pour  l'autre  dans  leur  ambition.  Arrivés  sur  les  hauteurs  qui  dominent  Paris,  ils  s’arrêtent 
pour  contempler  cette  grande  capitale.  Au  même  instant  une  cloche  résonne  : c’était  un  bour- 
don de  la  cathédrale.  « — Entendez-vous  celte  clnclie?  dil  Treilhard  à Maury;  elle  dil  que  vous 
« serez  archevêque  de  Paris.  — Probablement  lorsque  vous  serez  ministre,  répliqua  Maury. 
« — Et  que  serai-jo,  moi?  s'écria  Portai.  — Ce  que  vous  serez I répondirent  les  deux  autres, 
« le  bel  embarras,  vous  serez  premier  médecin  du  roi!  » Ils  so  jouaient  de  l’avenir;  mais  la 
fortune  les  entendit  et  se  ressouvint  de  leurs  paroles  pour  les  accomplir,  et  au  delà.  Cependant 
les  trois  favoris  de  la  déesse  entrèrent  dans  Paris  et  allèrent  se  nicher,  à leur  arrivée,  dans  la 
plus  humble  maison  de  la  plus  humble  rue  du  quartier  Latin.  Ils  y vécurent  quelque  temps 
ensemble  avec  leur  frugalité  accoutumée.  Leur  amitié , du  reste , a survécu  à toutes  les 
vicissitudes.  » 

Sénac  et  Lieutaud  accueillirent  leur  jeune  compatriote  avec  d'autant  plus  d'empressement 
qu’ils  reconnurent  en  lui  des  connaissances  anatomiques  aussi  solides  qu'étendues,  ce  qui  se 
rencontrait  alors  assez  rarement  parmi  les  praticiens.  Ils  se  dévouèrent  aux  succès  de  leur 
jeune  ami  et  leur  appui  confraternel  ne  lui  fit  jamais  défaut.  Commo  il  fallait  être  docteur  de 
la  Faculté  de  Paris  pour  y exercer  et  surtout  pour  enseigner,  ils  réussirent  à le  faire  nommer 
professeur  d’anatomie  du  Dauphin , ce  qui  équivalait  en  ce  sens  au  diplôme  de  lu  Faculté. 
Sans  entrer  ici  dans  lo  détail  des  travaux  à l’aide  desquels  Portai  établit  sa  célébrité , qu'il 
nous  suffise  de  rappeler  qu'un  Précis  de  Chirurgie,  qu’il  écrivit  à l’usage  de  ses  élèves,  une 
Histoire  de  l'Anatomie  et  de  la  Chirurgie,  en  six  volumes,  un  grand  ouvrage  intitulé  : Anatomie 
médicale,  et  un  nombre  prodigieux  de  Mémoires  sur  des  questions  de  la  même  nature,  sont 
des  titres  qui  témoignent  «le  sa  rare  et  savante  activité.  Il  était  membre  de  l’Académie  îles 
sciences  et  professeur  au  Collège  de  France , en  remplacement  de  Ferrein , avant  de  succéder 
à Antoine  Petit,  au  Jardin  du  Roi.  Lue  certaine  animosité  exista  longtemps  entre  Petit  et 
Portai , non-seulement  purce  que  celui-ci  avait  obtenu,  par  une  sorte  de  passe-droit,  la  chaire 
que  Petit  eût  désiré  faire  passer  dans  les  mains  de  Vicq-d’Azyr,  mais  aussi  en  raison  de  quel- 
ques attaques  assez  vives  que  Portai  avait  lancées,  dans  ses  ouvrages,  contre  sou  prédécesseur. 
Petit,  offensé,  se  défendit  avec  aigreur  et  violence;  Portai  répliqua  avec  politesse  et  modéra- 
tion, mais  il  ne  fit  jamais  revenir  son  antagoniste  de  scs  amères  préventions  à son  égard. 

Portai  avait  soixante-cinq  ans  lorsqu'il  publia  son  Anatomie  médicale.  Il  continua  d'écrire 
encore  pendant  vingt  uns,  sans  que  ses  facultés  accusassent  ni  faiblesse  ni  altération.  Il  avait 
professé  pendant  soixante  ans,  et  il  exerça  lu  médecine  presque  jusqu'aux  derniers  jours  do  sa 
vie.  « Homme  doux  et  paisible,  dit  Pariset,  quoique  irritable,  et  dont  le  seul  tort  peut-être  a 
été  dans  ses  premières  années  de  prendre  l'avenir  en  défiance,  de  ne  pas  croire  à l'effet  naturel 
de  ses  talents , et  d'avoir  voulu  attacher  des  ailes  a la  fortune  pour  en  précipiter  le  vol.  a 


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RO 


P It K M I K It K PARTIE. 

Portai  avait  été  sous  Louis  XM  médecin  de  Monsieur,  frère  du  roi,  qui,  devenu  Louis  XVIII, 
se  ressouvint  de  sa  personne  et  le  nomma  son  premier  médecin.  Après  la  mort  de  ce  prince, 
Portai  fut  premier  médecin  do  Charles  X.  C'est  ainsi  «pi’après  que  Treilhard  et  Maury  furent 
devenus,  le  premier  un  des  chefs  de  la  France,  le  second  un  des  princes  de  l’Église,  Portai 
reçut  doublement  l'insigne  honneur  qu’ils  lui  avaient  présagé. 

La  longue  expérience  du  monde,  et  d'un  monde  choisi,  avait  meublé  la  tète  de  Portai  d’une 
infinité  d'anecdotes  pleines  d'intérêt , et  ces  anecdotes , assaisonnées  «lu  sel  de  son  esprit , fai- 
saient le  charme  de  ces  assemblées  de  savants,  de  gens  de  lettres,  de  voyageurs,  «le  ministres, 
d’ambassadeurs  étrangers  qu’il  réunissait  chaipie  semaine  autour  de  lui , et  «lonl  il  se  compo- 
sait comme  une  académie  brillante  et  variée.  Avec  quelle  ironie  aimable  et  douce  il  racontait 
qu’ayant  guéri  le  fameux  Vestris  d’une  maladie  grave,  il  reçut  quelque  temps  après  la  visite 
du  danseur,  qui  lui  dit  : ««  Monsieur  Portai,  je  sais  tout  ce  que  je  vous  dois,  et  je  porto  un 
««  cœur  reconnaissant.  Je  ménage  trop  votre  délicatesse  pour  vous  parler  d’honoraires  : entre 
« artistes,  cela  ne  se  fait  pas;  mais  j’ai  <|Ucl«pio  chose  «le  mieux  à vous  offrir.  Je  vous  ai 
« observé  quand  vous  entrez  dans  un  salon  ; permettez-moi  de  vous  le  dire,  vous  n’avez  point 
« de  grâce,  de  celte  grâce  élégante  qui  assouplirait  tous  vos  mouvements  et  ferait  «le  vous 
« un  homme  accompli.  Or,  cette  grâce,  je  prétends  vous  la  «lonner,  » ajouta-t-il  en  se  redres- 
sant. Et  le  voilà  qui  prend  les  mains  du  «locleur  et  veut  le  mettre  à la  première  position. 
Portai  s’excusa  et  u’apprit  point  à se  donner  des  grâces. 


r 


OBI  IL. 


En  1820,  Portai  mil  h profit  son  crédit  auprès  du  roi  l.nuis  XVIII  pour  en  obtenir  lu  réor- 
ganisation de  l’Académie  royale  de  Médecine,  dont  il  devint  le  président  honoraire  et  perpétuel. 
11  mourut  en  1832,  à l’âge  de  quatre-vingt-dix  ans,  après  avoir  légué  à l’Académie  les  fonds 
nécessaires  pour  la  fondation  d’un  prix  annuel  sur  îles  questions  de  médecine  dont  il  laissa  le 
choix  & ses  collègues. 


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HISTOIRE.  — I 771  - I 791. 


81 


Tandis  qu'Antoino  Petit , Vicq-d’Azyr  et  Portai  représentaient  ainsi  dignement  l'anatomie  au 
Jardin  du  Roi , le  modeste  poste  de  sous-démonstrateur,  que  Daubcnton  le  jeune  venait  do 
résigner,  allait  ouvrir  les  portes  do  cette  institution  à un  jeune  naturaliste,  destiué  à poursuivre 
lu  grande  lâche  que  Buffon  avait  entreprise , à répandro  de  nouvelles  lumières  sur  l'anatomie 
comparée,  et  à revêtir  à son  tour  des  prestiges  de  l'éloquence  les  grandes  scènes  de  la  nature, 
Bernard-Germain-Etienne  de  Laville,  comte  de  Lacépèdo,  était  né  & Agen,  cri  1758,  d’une 
famille  noble  et  considérée  du  Languedoc.  Ses  premières  années  avaient  été  l’objet  des  plus 
tendres  soins  do  la  part  de  ses  parents,  et  d’un  ami  do  son  père,  AI.  de  Chabannes,  alors 
évfque  d’Agen.  L’enfant  d'ailleurs  était  d’un  naturel  doux  et  affectueux  ; il  croyait  tous  les 
hommes  aussi  bons  que  ceux  dont  il  était  entouré.  A douze  et  à treize  ans , comme  il  le  dit 
lui-même,  il  se  figurait  que  tous  les  poètes  ressemblaient  à Racine  et  ri  Corneille,  tous  les 
historiens  à Bossuet,  tous  les  moralistes  à Fénelon.  La  longue  pratique  des  hommes  et  les 
tristes  expériences  de  sa  vio  le  firent  à peine  revenir  de  ces  bienveillantes  préventions, 

La  lecture  assidue  des  écrits  de  Buffon  lui  avait  inspiré  de  bonne  heure  un  goût  passionné 
pour  l'étude  des  sciences.  Il  avait  pris  ce  grand  écrivain  pour  maître  et  pour  modèle.  11  por- 
tait scs  ouvrages  avec  lui  dans  ses  promenades,  et  il  les  apprit  en  quelque  sorte  par  cœur;  il 
admirait  ses  tableaux,  mais  il  n'était  pas  moins  sensiblo  aux  beautés  réelles  de  la  nature,  et 
ces  deux  sentiments  devinrent  la  source  des  talents  qui  no  tardèrent  pas  à se  développer  en 
lui. 

Un  autre  goût  s’était  en  même  temps  emparé  de  l'imagination  du  jeune  Lacépède  ; c'était 
celui  de  la  musique,  cet  allié  ordinaire  des  sentiments  tendres,  cette  poésie  naturelle  des  âmes 
douces  et  expansives.  Il  en  avait  reçu  les  premières  leçons  dans  sa  famille,  et  il  y avait  fait 
de  si  rapides  progrès  que  la  musique  devint  pour  lui  comme  une  seconde  langue , qu’il  parlait 
et  écrivait  avec  une  égale  facilité.  Dès  celte  époque , il  avait  conçu  le  dossin  de  remettre  en 
musique  l'opéra  d ’Armide.  Ayant  appris  que  Gluck  s’occupait  du  même  travail , il  ne  renonça 
pas  tout  & fait  au  sien  ; U en  adressa  même  quelques  fragments  au  célèbre  compositeur,  et 
celui-ci  lui  prodigua  à cette  occasion  les  éloges  et  les  encouragements. 

A la  même  époque,  Lacépède  s’adonnait  avec  la  même  ardeur  à l'étudo  do  la  physique.  Il 
avait  formé  dans  sa  ville  natale , avec  quelques  jeunes  gens  du  son  âge , une  sorte  d’académie 
où  l'on  faisait  en  commun  des  expériences  de  diverses  natures.  Ayant  tiré  de  cos  recherches 
des  conséquences  qui  lui  parurent  nouvelles,  il  s’enhardit  à les  communiquer  à Buffon  par 
correspondance.  La  réponse  du  savant  ne  se  fit  pas  attendre;  elle  était  conçue  dans  des  termes 
si  flatteurs  qu’elle  excita  encore  le  zèle  du  jeune  physicien.  « C’était,  dit  Cuvier,  plus  d'encou- 
ragement qu'il  n’en  fallait  pour  exalter  un  homme  de  vingt  ans.  Plein  d'espérance  et  de 
feu,  il  arriva  à Paris  avec  ses  partitions  et  ses  registres  d’expériences  ; il  y arrive  dans  la  nuit, 
et  le  matin , de  bonne  heure , U est  au  Jardin  du  Roi.  Buffon , le  voyant  si  jeune,  fait  semblant 
de  croire  qu’il  est  le  flls  de  celui  qui  lui  avait  écrit;  il  le  comblo  d’éloges.  Uno  heure  après, 
chez  Gluck,  il  en  est  embrassé  avec  tendresse;  il  s’entend  dire  qu'il  avait  mieux  réussi  quo 
Gluck  lui-même  dans  le  récitatif  : Il  est  enfin  dans  ma  puissance,  que  Jean-Jacques  Rousseau 
a rendu  si  célèbre.  Le  même  jour,  AL  de  Montazet,  archevêque  de  Lyon , son  parent,  membre 
de  l’Académie  française , le  garde  à un  dîner  où  devait  se  trouver  l’élite  des  académiciens.  On 
y lit  des  morceaux  de  poésie  et  d'éloquence  ; il  y prend  part  à uno  de  ces  conversations  vives 
et  nourries , si  rares  ailleurs  quo  dans  une  grando  capitale.  Enfin , il  passe  le  soir  dans  la  loge 
de  Gluck  à entendre  une  représentation  A' Alceste.  Cette  journée  ressembla  à un  enchantement 
continuel  ; il  était  transporté,  et  ce  fut  au  milieu  do  ce  bonheur  qu’il  Ht  le  vœu  de  se  consacrer 
désormais  à la  double  carrière  de  la  science  et  de  l’art  musical.  » 

De  pareils  projets  étaient  bien  dignes  d’un  jeune  homme  plein  d'ardeur  et  d'enthousiasme, 
mais  ils  ne  pouvaient  se  présenter  sous  le  même  aspect  à de  graves  magistrats  ou  à do  vieux 
officiers  tels  que  scs  parents.  Lacépède,  d’après  sa  naissance  et  ses  relations,  pouvait  prétendre 
à un  rang  distingué  dans  la  robe,  dans  l’armée  ou  dans  la  diplomatie.  Un  prince  étranger, 

K 


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82 


PREMIÈRE  PARTIE, 
dont  il  avait  fait  la  connaissance  à Paris , sc  fit  fort  de  lui  procurer  un  brevet  de  colonel  au 
service  d’une  principauté  d'Allemagne.  Il  obtint  en  effet  ce  brevet  et  alla  prendre  possession 
de  son  emploi;  cependant,  après  deux  voyages,  il  revint  à Paris,  sans  même  avoir  vu  son 
régiment.  Mais  il  avait  un  titre,  un  uniforme,  des  épaulettes;  c'était  tout  ce  qu'il  en  fallait 
pour  satisfaire  sa  famille  el  pour  lui  donner  à lui-même  les  loisirs  de  se  livrer  à ses  goûts. 

Il  se  mit  donc  à cultiver  en  même  temps  les  sciences  et  l’art  musical.  Sur  l’invitation  de 
Gluck,  il  composa  même  deux  opéras,  mais  il  eut  tant  de  peine  à obtenir  des  répétitions  et 
fut  si  contrarié  des  caprices  cl  de  l’humeur  d’une  actrice,  qu’il  se  promit  île  ne  plus  composer 
que  pour  lui-même  et  pour  scs  amis.  Il  publia  néanmoins,  en  1 785 , deux  volumes  sur  la 
Poétique  de  la  Musique,  ouvrage  écrit  avec  feu,  plein  d’éloquence  naturelle,  el  dont  le  roi  de 
Prusse , ainsi  que  le  compositeur  Sacchini , le  félicitèrent  vivement. 

Ses  progrès  dans  la  carrière  des  sciences  furent  plus  heureux.  Buffnn,  après  lui  avoir  fait 
obtenir  la  place  de  sous-démonstrateur  au  Jantin  du  Roi,  l’appela  à travailler  avec  lui  A la 
continuation  de  son  Histoire  naturelle.  Malheureusement,  il  ne  devait  pas  recevoir  longtemps 
les  conseils  el  l’appui  de  son  illustre  protecteur.  Quelques  mois  seulement  avant  la  mort  do 
Buffon,  il  publia  le  premier  volume  do  son  Histoire  des  Iteptiles.  L'uunéc  suivante,  il  donna 
le  second , qui  traitait  des  Serpents.  Cet  ouvrage , par  l’intérêt  des  faits  comme  par  l'élégance 
du  style,  fut  jugé  très-digne  du  livre  immortel  auquel  il  faisait  suite.  Il  marquait  surtout  les 
progrès  qu'avaient  faits  les  idées  scientifiques  depuis  lu  publication  des  premiers  volumes  de 
Y Histoire  naturelle.  Lacépède  y revenait  ouvertement  aux  méthodes  el  à lu  nomenclature  quo 
Buffon  avait  tant  dédaignées,  et  dont  les  sciences  d'observation  ne  sauraient  aujourd’hui 
négliger  le  secours. 

Buffon  venait  de  mourir,  et  on  était  en  1789.  Lacépède,  que  sa  réputation  do  savant, 
d’homme  de  lettres , et  une  certaine  popularité  mettaient  naturellement  en  évidence , fut 
nommé  président  de  sa  section , commandant  de  la  garde  nationale , membre  du  conseil 
général  de  Paris,  député  d’Agen  à la  première  législature,  cl  président  de  cette  assemblée.  Il 
apporta  dans  toutes  ces  fondions  la  bienveillance  el  les  formes  agréables , conciliantes , qui 
étaient  dans  son  caruclàro , mais  il  fut  bientôt  remplacé  par  des  hommes  d'une  autre  trompe, 
plus  ardents  surtout  et  plus  résolus.  Lacépède  donna  sa  démission  de  professeur  au  Jardin 
des  Plantes,  se  retira  à la  campagne  et  s’efforça  de  se  fairo  oublier.  Cependant,  ses  goûts 
d'étude  lui  faisaient  quelquefois  désirer  de  revenir  à Paris  et  il  fit  pressentir  Robespierre  à ce 
sujet  par  quelques  amis.  « Il  est  à la  campagne?  répondit  le  dictateur,  eh  bien!  dites-lui  d’y 
« rester.  » Une  telle  réponse  ne  permettait  pas  de  renouveler  la  demande.  Il  ne  revint  en  effet 
qu’après  le  9 thermidor.  La  Convention , peu  de  temps  après , afin  de  ranimer  l'instruction 
publique,  que  le  régime  précédent  avait  anéantie,  créa  l’École  Normale,  destinée  à former  des 
professeurs.  Quinze  cents  personnes  furent  appelées  des  départements  à Paris  pour  prendre 
part  aux  leçons  de  cette  école  improvisée  ; des  hommes  déjà  célèbres  par  leur  savoir  reçurent 
l’enseignement  de  quelques  pédagogues,  la  plupart  incapables  et  choisis  à la  hâte.  Lacépède, 
à l’âge  do  quarante  ans,  devint  élève  de  l’École  Normale,  avec  Bougainville,  déjà  septuagé- 
naire, général  et  grand  navigateur,  avec  le  grammairien  Wailly,  avec  Laplace  et  Fourrier,  et 
sur  les  mêmes  bancs  sc  trouvaient  des  hommes  qui  à peine  savaient  lire.  La  création  de 
l’École  Normale  opéra  toutefois  un  bien  réel;  ce  fut  un  centre  où  les  hommes  d'intelligence  se 
rencontrèrent,  échangèrent  leurs  idées,  et  conservèrent  par  des  efforts  communs  le  dépôt  des 
lumières,  menacées  un  moment  de  s’éteindre  tout  à fait. 

Lacépède  n’avait  pas  été  compris  au  nombre  des  professeurs  dans  la  nouvelle  organisation 
du  Muséum;  mais  dès  qu’on  put  prononcer  son  nom  sans  danger  pour  lui,  ses  collègues 
s’empressèrent  de  l’y  appeler.  On  créa,  à cet  effet,  une  chaire  spéciale  affectée  à l’histoire  des 
Reptiles  et  des  Poissons.  Ses  leçons  furent  suivies  avec  un  vif  empressement , et  le  jeune  pro- 
fesseur, dans  la  chaire  comme  dans  ses  écrits,  se  montra  digne  d’être  le  continuateur  de 
Buffon.  Appelé  à l’Institut  dès  sa  formation,  il  concourut  à reconstituer  cette  savante  académie 


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83 


IIISTOinE.  — 1771  — 1791. 
et  on  devint  l'un  des  premiers  secrétaires.  Malgré  tant  de  titres  & l'illustration , il  paraît  que  le 
nom  do  Lacépède  n'élait  pas  encore  arrivé  h l’oreille  do  tous  les  hommes  haut  placés  de  celte 
époque.  On  sait  qu'un  ministre  du  Directoire , à qui  l’on  demandait , après  une  visite  offlciolle 
qu’il  venait  de  faire  au  Muséum,  s'il  y avait  vu  Lacépède,  répondit  qu’il  n'avait  vu  quo  la 
Girafo,  et  se  plaignit  vivement  qu'on  11e  lui  eût  pas  tout  fait  voir. 


Lacépède  publia,  en  1798,  le  premier  volume  de  V Histoire  des  Poissons,  et  pendant  chacune 
des  années  suivantes,  jusqu'en  1803,  il  fit  paraître  l’un  des  volumes  qui  complètent  ce  grand 
ouvrage.  Bien  que  la  guerre  eût  alors  interrompu  les  relations  avec  les  académies  et  avec  les 
naturalistes  étrangers , et  que  les  collections  du  Jardin  n'offrissent  à cclto  époque  que  do  fai- 
bles ressources,  il  avança  considérablement  cette  branche  do  l’Ilistoiro  naturelle,  et,  de  l’aveu 
de  Cuvier,  il  n’exista  longtemps  dans  la  scienco  aucun  ouvrago  supérieur  au  sien.  « Tout  ce 
qu’il  a pu  recueillir  sur  l’organisation  de  ces  animaux,  sur  leurs  habitudes,  sur  les  guerres 
que  les  hommes  leur  livrent,  sur  le  parti  qu’ils  en  tirent,  il  l'a  exposé  dans  un  style  élégant 
et  pur;  il  a su  même  répandre  du  charme  dans  leurs  descriptions,  toutes  les  fois  que  les 
beautés  qui  leur  ont  aussi  été  départies  dans  un  si  haut  degré  permettaient  de  les  offrir  à 
l'admiration  des  naturalistes.  La  science,  par  sa  nature,  fait  des  progrès  chaque  jour;  il 
n’est  point  d'observateur  qui  ne  puisse  renchérir  sur  ses  prédécesseurs  pour  les  faits , ni  de 
naturaliste  qui  ne  puisse  perfectionner  leurs  méthodes  ; mais  les  grands  écrivains  n'en  demeu- 
rent pas  moins  immortels.  » 

L'Histoire  des  Poissons  fut  suivie,  en  1801,  de  celle  des  Cétacees,  qui  tcmrino  le  grand 
ensemble  des  animaux  vertébrés.  Lacépède  la  regardait  comme  le  plus  achevé  de  ses  ouvrages. 
Il  augmenta  à peu  près  d’un  tiers  le  nombre  des  espèces  enregistrées  dans  le  catalogue  des 
êtres  de  cette  classe.  Plus  tard , il  dirigea  scs  travaux  sur  des  sujets  plus  philosophiques. 
L’articlo  Homme , qu’il  donna  dans  le  Dictionnaire  des  Sciences  naturelles,  est  une  sorte  do 
programme  de  ce  qu’il  avait  en  vue  pour  Histoire  physique  du  genre  humain,  destinée  à faire 


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PREMIÈRE  PARTIE. 

partie  d'une  histoire  des  âges  de  la  Nature.  Ce  beau  travail  était  presque  achevé  à sa  mort, 
mais  il  n'en  a encore  été  publié  que  quelques  fragments. 

Après  le  18  brumaire,  Lacépèdo  fut  de  nouveau  lancé  dans  la  carrièro  politique  et  appelé 
aux  emplois  les  plus  éminents.  11  devint  successivement  sénateur,  président  du  Sénat,  grand 
chancelier  de  la  Légion  d’honneur,  titulaire  de  la  sénatorerie  de  Paris  et  ministre  d’Élat.  A 
cette  occasion , on  lui  a reproché  parfois  sa  condescendance  pour  le  pouvoir  et  la  versatilité 
de  ses  opinions,  qui  peuvent  s’expliquer  à la  rigueur  par  sa  bienveillance  naturelle,  par  son 
exquise  politesse,  par  sa  modestie  pleine  de  réserve  pour  lui-mfme  et  de  déférence  envers  les 
autres.  Ses  démonstrations  d’ailleurs  étaient  sincères  cl  n'étaient  rien  à la  droiture  de  scs  sen- 
timents. Il  lit  preuve  d'une  haute  habileté  dans  l'administration  de  la  Légion  d’honneur,  et  il 
prouva  qu'il  savait  aussi  faire  usage  dans  l'occasion  d’une  noble  fermeté.  Le  major  général 
de  l’armée  avant  accordé  par  faveur  des  décorations  à quelques  officiers  qui  se  trouvaient  en 
dehors  des  conditions  voulues , Napoléon  ordonna  au  grand  chancelier  de  les  faire  reprendre. 
Lacépèdc  lui  représenta  la  douleur  qu’un  tel  acte  ferait  éprouver  4 ces  braves;  mais,  comnio 
il  craignait  de  ne  pas  réussir  : « Eh  bien , ajouta-t-il , je  demanderai  pour  eux  ce  que  je  vou- 
« drais  obtenir  à leur  place  : l’ordre  de  les  faire  fusiller...  a Les  décorations  no  furent  pas 
retirées  (I). 

Lacépèdc  ne  pouvait  jamais  croire  à de  mauvais  sentiments , ni  à de  mauvaises  intentions. 
Ces  dispositions  bienveillantes,  expansives,  il  les  manifesta  spontanément  à toutos  les  époques 
de  sa  vie , en  consacrant  sa  plume  éloquente  à la  louange  de  quelques  hommes  qui  lui  inspi- 
rèrent une  haute  estime  : le  prince  de  Brunswick,  Buffon,  Dolomieu,  Daubeuton,  Vandermondo 
et  d'autres.  On  a beaucoup  parlé  de  sa  politesse  excessive;  mais  il  était  encore  plus  obligeant 
que  poli.  Son  désintéressement  égalait  sa  bienfaisance.  Tous  les  émoluments  qu'il  retirait  de 
scs  places  s'appliquaient  à des  actes  de  libéralité.  I n fonctionnaire  de  ses  amis  ayant  été 
ruiné  par  de  fausses  spéculations,  Lacépèdc  fit  remettre  chaque  mois  à sa  femme  une  pension 
qu’elle  croyait  recevoir  de  son  mari.  I n de  scs  employés  4 qui,  dans  un  embarras  pressant,  il 
avait  donné  une  assez  forte  somme , l'ayant  prié  de  fixer  l’époque  du  remlioursemeiil  ; a Mon 
ami , lui  dit  Lacépèdc , je  ne  prête  jamais.  » Ce  savant , aussi  recommandable  par  ses  vertus 
que  par  ses  talents,  aussi  étonnant  par  son  activité  incessdhte  que  par  la  simplicité  de  ses 
goûts  et  de  ses  habitudes,  mourut  en  1825 , vie  la  petite  vérole,  4 l'âge  de  soixante  cl  dix  ans. 
]l  fut  remplacé  par  M.  de  Blainvillc  4 l'Académie  des  sciences,  et  par  M.  Duméril  dans  sa 
chaire  du  Muséum. 

Telle  était  la  situation  générale  de  l'établissement,  des  collections  et  do  l'enseignement  des 

(!)  Nous  possédons  l'ampliation  de  cet  ordre,  diclé  par  l'Empereur,  écrit  et  signé  par  le  gênerai  Fririon,  serré* 
taire  général  du  ministère  de  la  guerre.  Les  termes  dans  lesquels  il  est  conçu  en  font  un  véritable  document 
historique,  dont  voici  la  copie  textuelle  : 

ORDRE  DE  L'EMPEREUR. 

Madrid . le  9 décembre  IBÛ8. 

M*  le  (réitérai  Clarke,  vous  témoignerez  mon  mécontentement  nu  Roi  de  Naples,  de  ce  qn'il  donne  des  distinc- 
tions à mes  soldats,  sans  ma  participation;  qu'il  n’a  point  rc  droit,  et  qu'en  conséquence  aucun  de  ceux  auxquels 
il  en  a donné  ne  les  auront  : que  tout  Français  qui  porte  une  décoration  ne  doit  la  tenir  que  de  moi;  que  je 
maintiendrai  rigoureusement  ce  principe;  et  que  cela  ne  se  renouvelle  plus  désormais. 

Sur  ce,  etc. 

Signé  NAPOLÉON. 

Pour  copia  : 

Le  Secrétaire  général, 

1?  ri  ai  on. 

C/csl  en  conséquence  de  cet  ordre  que  le  grand  chancelier  fut  chargé  de  retirer  les  décorations  qui  avaient 
été  accordées,  circonstance  qui  fut  l'occasion  de  l’acte  de  fermeté  de  M.  de  Lacépèdc. 


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HISTOIRE.  — 177  1-1794. 


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sciences  au  Jardin  du  Roi,  au  moment  où  Buffon,  chargé  d’années  et  entouré  de  la  considéra- 
tion la  plus  éclatante,  allait  quitter  pour  toujours  ce  brillant  théâtre  de  sa  gloire,  cette  insti- 
tution a laquelle  lui-méme  devait  sa  renommée  et  qui  lui  devait  en  retour  sa  splendeur  et  sa 
richesse.  Depuis  l’apparition  des  trois  premiers  volumes  do  17 lialoire  naturelle,  chaque  année, 
jusqu’en  1770,  avait  vu  paraître  un  volume  nouveau.  Pendant  sa  maladio  do  1771,  cette 
publication , en  quelque  sorte  périodique , avait  subi  une  lacune , mais  elle  avait  bientôt  repris 
son  cours,  et,  dans  l'intervalle  qui  sépare  celte  époque  de  l’année  1783,  on  rit  paraître  les 
neuf  volumes  suivants.  Ceux-ci  n'étaient  pas  entièrement  de  la  main  de  Buffon.  l ue  partie  en 
avait  été  rédigée  par  Gueneau  de  Montbéliard,  qui,  dans  IV listoire  de»  Oiseaux,  parvint  à 
imiter  de  la  manière  la  plus  heureuse  certaines  qualités  de  son  st.vle;  l’abbé  Bexon  avait  aussi 
donné  quelques  soins  au  môme  travail , mais  Buffon  en  avait  revu , retouché  tout  l'ensemble, 
et  divers  fragments  restés  célèbres  portent , de  manière  à ne  pas  la  méconnaître , l’empreinte 
magistrale  de  son  talent. 

Les  cinq  volumes  des  Minéraux  parurent  de  1783  à 1788.  C’est  évidemment  la  partie  la 
plus  faible  do  l’ouvrage , parce  que  Buffon  y prodigua  les  hypothèses , ot  qu’il  y tint  peu  do 
compte  des  nouvelles  découvertes  de  la  chimie , non  plus  que  des  vues  de  Romé  de  Lisle , de 
Bcrgmann , de  Saussure  et  de  Haiiy  sur  la  cristallisation.  Les  sept  volumes  de  supplément, 
dont  le  dernier  fut  publié  en  1789,  l’année  qui  suivit  sa  mort , se  composent  d’articles  déta- 
chés; mais  le  cinquième  contient  les  Époques  de  la  t\alure,  l’un  des  derniers  ouvrages  de 
Buffon , et  celui  qui  devait  mettre  le  sceau  à sa  renommée  comme  philosophe , comme  natu- 
raliste et  comme  écrivain. 

Buffon  s’occupa  pendant  cinquante  ans  do  ce  magnifique  ouvrage , que  la  France  a adopté 
et  qu'elle  regarde  comme  une  de  ses  gloires.  Cependant,  à celle  époque  de  1788,  les  trente-six 
volumes  dont  il  se  composait  ne  formaient  encore  qu’une  partie  du  plan  que  l'auteur  avait 
conçu.  I ne  fois  qu’il  eut  entrepris  ce  grand  travail , il  ne  l’abandonna  plus  et  no  s’en  laissa 
distraire  par  aucun  autre.  Daulienton  et  Gueneau  de  Montbéliard  y avaient  dignement  con- 
couru; Lacépède  se  préparait  & le  poursuivre  et  y joignit  en  effet,  comme  nous  l'avons  vu, 
les  Reptiles,  les  Cétacées  et  les  Poissons.  Il  restait  encore  à y réunir  les  Invertébrés  et  l’his- 
toire des  Végétaux. 

Les  services  que  Buffon  rendit  au  Jardin  du  Roi  sont  de  deux  natures  : il  développa , il 
enrichit  l'établissement  et  imprima  & la  marche  des  sciences  naturelles  la  plus  vive  impulsion 
qu’elles  eussent  encore  reçue.  Son  administration  fut  aussi  active  que  fermo  et  intelligente. 
L'extension  qu’il  donna  au  local  et  aux  collections  provoqua  de  nouveaux  accroissements,  qui 
Unirent  par  rendre  indispensable  une  nouvelle  organisation.  Mais  partout  les  cadres  étaient 
préparés  et  prêts  à recevoir  les  richesses  de  toute  nature  que  l'avenir  tenait  en  réserve.  Le 
goût  général  pour  l'histoire  naturelle,  conséquence  do  l’éclat  qu’il  sut  donner  au  Jardin,  en 
même  temps  qu’il  publiait  son  grand  ouvrage , attira  sur  la  scienco  les  regards  des  gens  du 
monde  et  la  protection  des  grands.  Buffon  en  profita  habilement  pour  la  réalisation  de  scs 
vues.  Il  soutint  son  crédit  par  sa  bienveillance  cuvcrs  tous  ceux  qui  s'adressaient  à lui , en 
s'appliquant  à ne  blesser  personne , en  restant  étranger  i toute  polémique.  Il  se  vit  parfois 
obligé  de  sacrifier  aux  puissances  du  jour,  dons  l’intérêt  de  l’établissement,  mais  il  lo  (U  tou- 
jours avec  dignité:  il  consacra  même  souvent  les  faveurs  personnelles  qu'il  avait  obtenues 
aux  améliorations  qu'il  projetait , ce  qui  lui  permit  d'en  solliciter  d'autres  avec  plus  de  har- 
diesse et  de  succès  ; on  un  mot , tous  les  moyens  qui  s’offrirent  à lui , il  les  fit  servir  avec 
autant  de  zèle  que  de  désintéressement  aux  progrès  de  la  science,  comme  aux  développements 
de  la  royale  institution  qu’il  avait  à diriger. 

Presque  toute  la  vio  scientifique  do  Buffon  se  concentre  dans  la  publication  de  son  Histoire 
naturelle , qui  commence  par  la  Théorie  de  ta  Terre,  et  finit  par  les  Époques  de  la  Nature, 
deux  ouvrages  placés  aux  deux  oxtrémités  de  sa  carrière , ayant  trait  au  même  sujet , mais 
conçus  dans  des  vues  toutes  différentes,  et  moins  éloignés  l’un  do  l’autre  par  les  trente  années 


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PREMIÈRE  PARTIE, 
qui  les  séparent  que  par  les  doctrines  presque  opposées  qu'ils  représentent.  Lorsqu'il  écrivit 
le  premier,  Buffon  ne  possédait  encore  que  des  données  fort  incomplètes  sur  cette  matière,  et 
il  fut  oblige  d’y  suppléer  par  des  hypothèses  plus  hardies  quo  solides.  Dans  lo  second,  il  put 
s'appuyor  sur  des  faits  mieux  observés,  et  en  tirer  de  plus  houreuses  conséquences.  Aussi , de 
tous  les  ouvrages  du  dix-huitième  sièclo , c’est  peut-être  celui  qui  a donné  lo  plus  d'élan  aux 
grandes  conceptions  scientifiques  et  ouvert  la  plus  largo  carrière  aux  théories  relatives  à la 
constitution  du  Globe.  Toutefois,  et  bion  qu’il  les  ait  traitées  avec  toute  la  précision  quo  com- 
porteraient des  vérités  reconnues,  il  déclare  lui-même  que  ce  no  sont  encore  là  que  dos 
hypothèsos.  o A tout  prendre,  s'écrie  à ce  sujet  M.  Flourens,  j'aime  mieux  uno  conjecture  qui 
o élève  mon  esprit  qu’un  fait  exact  qui  le  laisse  à terre,  et  j’appellerai  toujours  grande  la 
« pensée  qui  me  fait  penser.  — C’est  là  le  génie  do  Buffon  et  le  secret  do  sa  puissance  : c’est 
« qu’il  a une  force  qui  se  communique  ; c’est  qu’il  ose , et  qu’il  inspire  à son  lecteur  quelque 
« choso  de  sa  hardiesse;  c’est  qu’il  mot  partout  sous  mes  yeux  le  courage  dos  grands  efforts , 
« et  qu’il  me  le  donne.  » 

Cependant,  on  a vivement  reproché  à Buffon  quelques  erreurs  de  détails,  sans  lui  tenir 
compto  do  l’étonnante  quantité  de  faits  dont  il  a enrichi  la  science.  Personne , sans  douto , no 
soutiendrait  aujourd’hui  la  réalité  de  certains  systèmes  qui  ne  peuvent  plus  passer  que  pour 
des  jeux  d’esprit;  « mais  Buffon,  ajoute  Cuvier,  n’en  a pas  moins  le  mérite  d’avoir  fait  sentir 
généralement  que  l’état  du  Globe  résulte  d’une  succession  do  changements  dont  il  est  possible 
de  saisir  les  traces,  et  c’est  lui  qui  a reudu  tous  les  observateurs  attentifs  aux  phénomènes, 
d’où  l’on  a pu  remonter  à ces  changements...  Son  éloquent  tableau  du  développement  phy- 
sique et  moral  de  l’hommo  n’en  est  pas  moins  un  très-beau  morceau  do  philosophie , digne 
d’être  mis  à côté  do  ce  que  l’on  estimo  le  plus  dans  le  livre  do  Locke.  Scs  idées  concernant 
l’infiuenco  qu’exercent  la  délicatesse  et  le  degré  de  développement  de  chaque  organe  sur  la 
nature  des  diverses  espèces , sont  des  idées  de  génie  qui  feront  désormais  la  base  de  toute 
histoire  naturelle  philosophique  et  qui  ont  rendu  tant  de  services  à l’art  dos  méthodes,  qu’elles 
doivent  faire  pardonner  à leur  auteur  le  mal  qu’il  a dit  de  cet  art.  Enfin  ses  idées  sur  la  dégé- 
néralion  des  animaux  et  sur  les  limites  que  les  climats,  les  montagnes  et  los  mers  assignent  à 
chaque  espèce , peuvent  être  considérées  comme  do  véritables  découvertes , qui  so  confirment 
chaque  jour  et  qui  ont  donné  aux  recherches  des  voyageurs  une  base  fixe  dont  elles  manquaient 
absolument  auparavant.  » 

Buffon  s’éleva,  en  effet , dans  ses  premiers  écrits,  contre  les  nomenclatures  et  les  méthodes 
en  histoire  naturelle.  On  peut  expliquer  cette  singularité  en  se  souvenant  qu’il  était  entré  brus- 
quement dans  la  science  sans  avoir  assez  étudié  les  vues  des  naturalistes  qui  l’avalent  précédé 
sur  cette  matière.  Il  s’était  surtout  roidi  contre  le  système  artificiel  de  Linné,  fondé  sur  la 
considération  d’un  caractère  unique,  et  il  l’avait  confondu  avec  la  méthodo  naturelle,  ce  puis- 
sant moyen  do  généralisation,  qui  repose  sur  l’ensemble  et  la  valeur  comparée  des  caractères, 
qui  subordonno  les  rapports  particuliers  aux  rapports  généraux,  et  ceux-ci  à de  plus  généraux 
encore,  lesquels  finissent  par  devenir  de  véritables  lois  naturelles.  Il  est  difficile  de  concilier 
cette  aversion  pour  les  méthodes  avec  son  esprit  généralisateur,  systématique , qui  semble 
dédaigner  les  faits  secondaires,  dans  la  crainte  de  faire  perdre  de  la  grandeur  et  de  l’unité  à 
ses  conceptions.  Du  reste,  on  peut  croire  qu’il  évitait  à dessoin  certains  rapprochements,  espé- 
rant intéresser  davantage  lo  lecteur  par  ce  désordre  apparent  qui  pormel  de  choisir,  do  se 
reposer,  de  groupor  les  matériaux  à volonté , selon  los  idées  quo  les  faits  et  leurs  rapports 
inspirent  à l’imagination.  Ce  désordre  osl  on  effet  l’un  dos  caractères  de  son  ouvrage;  ce  qu’il 
y a du  certain,  c’est  quo  les  éditeurs,  qui  ont  voulu  classer  ses  descriptions  suivant  des  vues 
ou  des  systèmes  particuliers,  en  ont  détruit  tout  le  channe.  Les  hardiesses  que  faisait  accepter 
l’écrivain  ou  le  poète  ne  se  pardonnent  plus  à la  parole  froide  et  positive  du  savant. 

A masure  que  Buffon  avança  dans  son  travail , il  revint  do  ses  préventions  à co  sujet , à ce 
point  que,  parvenu  à son  Histoire  des  Oiseau er,  et  même  avant,  commo  lo  retnarquo  M.  Flou- 


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HISTOIRE.  - 1771-1794. 


87 


rens,  il  se  soumit  tacitement  & la  nécessité  où  nous  sommes  de  classer  nos  idées  pour  nous 
en  représenter  clairement  l’ensemble.  Il  en  vint  même  è créer  spontanément  une  sorte  de 
classification,  fondée  sur  l'observation  comparée  des  êtres,  notamment  dans  son  travail  sur  la 
Gazelle  et  les  Singos.  Ses  continuateurs,  comme  nous  l’avons  vu,  se  soumirent  d'eux -mêmes 
à la  règle  commune  et  rachetèrent  ce  défaut,  si  c’en  ost  un,  sans  rien  ôter  à l’oeuvre  du  maître 
du  caractère  qui  la  distingue. 

Les  attaques  dont  Buffon  fut  l’objet  ne  s’arrêtèrent  point  à ces  remarques  générales  ; on  alla 
jusqu’à  critiquer  sa  manière,  ce  style  si  universellement  jugé  irréprochable.  D’Alembert,  qui 
n’aimait  ni  sa  personne,  ni  son  talent,  ne  l’appelait  quo  le  grand  phrasier,  le  roi  des  phrasiers. 

« Ne  me  parlez  pas,  disait-il  un  jour  à Rivarol,  de  votre  Buffon,  ce  comte  de  Tuflières,  qui, 
n au  lieu  de  nommer  simplement  le  Cheval , s’écrie  : la  plus  noble  conquête  que  l'homme  ait 
« jamais  faite  est  celte  de  ce  fier  et  fougueux  animal,  etc.  — Oui-,  reprit  spirituellement 
« Rivarol , c'est  comme  ce  sot  de  Jean-Baptiste  Rousseau,  qui  s'avise  de  dire  : 

Des  bords  sucrés  où  oail  l'aurore, 

Aux  bords  enflammés  du  couchant , 

n au  lieu  de  dire  tout  simplement  : de  l 'Est  à V Ouest,  n 
Voltaire  reprochait  également  au  style  de  Buffon  une  pompe  et  uno  magnificence  affectées. 
C’est  à lui  que  s'adressait  ce  vers  : 

Dans  un  style  ampoulé  parlez-nous  de  physique,--. 

Quelqu’un  vantait  un  jour,  en  présence  de  Voltaire,  le  style  de  l 'Histoire  naturelle,  a — Pas 
si  naturelle  I » s'écria-t-il.  On  sait  que  Voltaire  et  Buffon  avaient  eu  quelque  démêlé  au  sujet 
des  coquilles  fossiles  et  autres  productions  marines  que  l’on  trouve  sur  de  hautes  montagnes. 
Cette  petite  querelle  s’apaisa.  Buffon , qui  l’avait  soutenue  victorieusement , la  termina  avec 
franchise  et  dignité;  de  son  côté,  Voltaire  y mit  Un  par  une  plaisanterie  : « Je  ne  veux  pas, 
a dit-il,  rester  brouillé  avec  M.  de  Buffon  pour  des  coquilles.  » 

Ces  attaques , plus  ou  moins  sérieuses , mais  qui  caractérisent  assez  bien  l’esprit  du  temps, 
ne  changèrent  rien  à l'opinion  générale  au  sujet  de  cet  homme  d'un  vrai  génie.  La  postérité 
s’est  également  prononcée  à l’égard  de  ses  talents,  et  il  n'y  a aujourd’hui  qu'une  seule  voix 
sur  le  mérite  de  son  style.  Rousseau  a écrit  au  sujet  de  Buffon  : a Je  lui  crois  des  égaux 
o parmi  scs  contemporains,  en  qualité  de  penseur  et  de  philosophe;  mais,  en  qualité  d'écri- 
ii  vain,  je  no  lui  en  connais  aucun.  C'est  la  plus  belle  plume  de  son  siècle.  » 
n Pour  l’élévation  du  point  de  vue  où  il  se  place,  dit  Cuvier,  pour  la  marche  forte  et 
savante  de  scs  idées,  pour  la  pompe  et  la  majesté  de  ses  images,  pour  la  noble  gravité  de  ses 
expressions,  pour  l’harmonie  soutenuo  do  son  style  dans  les  grands  sujets,  il  ne  peut  être 
égalé  par  personne.  » 

C’est  là  en  effet  la  vraie  puissance  à l’aide  de  laquelle  Buffon  a exercé  et  exercera  longtemps 
encore  uno  influence  réelle , non-seulement  sur  l'avenir  des  sciences , mais  encore  sur  le 
caractère  do  la  langue  française.  C’est  qu’à  côté  do  la  faculté  de  concevoir  d'ingénieuses 
hypothèses  et  do  hautes  théories,  il  possédait  cello  do  les  exprimer  avec  clarté,  avec  éloquence. 
A un  sentiment  élevé  des  beautés  de  la  nature,  il  unissait  l’art  de  les  représenter,  de  les 
embellir  par  la  magie  du  langage  et  l’éclat  du  coloris.  On  a reproché  à son  style  une  sorte 
de  monotonie  ou  d'uniformité,  qui  tient  évidemment  au  sérieux  des  sujets  qu'il  avait  à traiter; 
bien  que  ce  style  soit  en  général  d'une  gravité  soutenue , Buffon  a su  néanmoins  le  rendre 
flexible  et  l’approprier  à la  diversité  de  formes,  d’aspects  et  de  mouvements  des  nombreux 
objets  qu'il  avait  à reproduire.  Quelle  variété  do  tons  dans  ses  descriptions  du  Cheval , du 
Lion,  du  Cerf,  de  la  Fauvette  ou  du  Colibri!  Quelle  solennité  dans  la  peinture  dos  grands 
phénomènes,  ou  dans  ces  vues  philosophiques  où  son  génie  « embrasse  à la  fois  tout  l’espace 


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88 


PREMIERE  PARTIE. 

« qu'il  a rempli  de  sa  pensée!  » et  en  même  temps,  quelle  (lnesse  de  touelie  dans  ces  pensées 
morales  oii  se  révéle  toute  l’exquise  délicatesse  de  ses  sentiments.  Jamais  d'emphase , mais 
partout  de  la  noblesse  et  de  la  distinction.  La  grandeur  de  son  style,  il  est  vrai,  ne  se  prêtait 
pas  aux  choses  communes  et  même  aux  choses  de  détail,  et  Quami  il  voulait,  dit  M“-  Necker, 
« mettre  sa  grande  robe  sur  de  petits  objets , elle  faisait  des  plis  partout.  » Sa  haute  taille 
semblait,  en  effet,  avoir  quelque  peine  à se  courber  : il  savait  décrire  l’Éléphant  ou  le  Chêne 
superbe , mais  il  De  descendait  point  jusqu'à  l'humble  plante  ou  à l'insecte. 

Ruffon  donna  le  premier  exemple  de  l’application  de  la  poésie  aux  matières  scientifiques,  en 
ce  sens  qu'il  chercha  le  premier,  dans  les  scènes  de  la  nature  et  dans  les  pensées  qu’elles  peu- 
vent inspirer,  la  source  de  toutes  ces  images,  tantôt  douces  et  gracieuses,  tantôt  fortes  et 
sublimes  qui  caractérisent  la  poésie.  o Buffon , dit  Condorcet , est  poète  dans  toutes  ses  des- 
criptions. Son  harmonie  n’est  pas  seulement  de  la  correction , mais  une  sorte  d'analogie  entre 
les  idées  et  la  parole  ; sa  phrase  est  douce  ou  sonore , majestueuse  ou  légère , suivant  les 
objets  qu'elle  doit  peindre  ou  les  sentiments  qu'elle  doit  réveiller.  » Il  est,  en  effet,  le  premier 
de  nos  maîtres  dans  l’art  do  peindre  la  nature.  Il  a appris  à la  voir,  à l’aimer,  à la  décrire. 
J. -J.  Rousseau,  et  après  lui  Bernardin  de  Saint-Pierre  et  Chàteaubriand , s’en  sont  évidem- 
ment inspirés;  en  sorte  que  Buffon,  le  classique  par  excellence,  se  trouverait  ainsi, — étrange 
paradoxe,  — à la  tête  de  tous  ceux  qui  s'efforcent  aujourd'hui  de  revendiquer  en  leur  faveur 
la  découverte  des  trésors  de  poésie  et  de  style  que  renferment  les  tableaux  et  les  phénomènes 
de  la  nature. 

El  toutefois  Buffon  n’aimait  pas  la  poésie , ou  du  moins  la  versification.  Il  prétendait  qu’il 
est  impossible,  dans  notre  langue,  d’écrire  quatre  vers  de  suite  sans  blesser  ou  la  propriété 
des  termes  ou  la  justesse  des  idées.  C’est  ainsi  qu'à-propos  de  ce  vers  de  Racine  : 

te  jour  n'est  pas  plus  pur  que  le  fond  de  mon  cœur, 

il  disait  que  l’on  ne  pouvait  pas  comparer  le  jour  à un  fond.  « J’aurais  fait  des  vers  comme 
« un  autre , ajoutait-il , mais  j'ai  bien  vite  abandonné  un  genre  oit  la  raison  ne  porte  que  des 
« fers.  Elle  en  a bien  assez  d'autres , sans  lui  en  imposer  encore  de  nouveaux.  » Il  faisait 
pourtant  une  exception  en  faveur  des  vers  que  l’on  composait  à sa  louange. 

Buffon  aimait  la  magnificence,  et  ce  goût  se  reflétait  dans  scs  habitudes , dans  son  allure  et 
même  dans  scs  écrits,  Comment  se  serait-il  défendu  d’un  certain  orgueil,  lorsque,  toujours  pré- 
occupé du  grand  objet  qu’il  avait  à poursuivre,  il  avait  constamment  sous  les  yeux  les  heureux 
fruits  de  ses  efforts , lorsqu'il  recevait  de  toutes  parts  les  témoignages  de  la  considération  la 
plus  éclatante.  Les  philosophes  et  les  savants  lui  prodiguaient  l'admiration  j J. -J.  Rousseau 
baisait  religieusement  le  seuil  de  son  cabinet;  la  statue  qu'on  lui  avait  élevée  au  Jardin  du  Roi 
portait  cette  légende  : 

Majeslnli  nalurir  par  nujr'mum. 

Son  fils  avait  fait  placer,  au  pied  de  la  tour  de  Montbard , une  petite  colonno  de  marbre,  sur 
laquelle  on  avait  gravé  ces  mots  : 

Eicrlsœ  Inrri  hnmilis  colnmna. 

Pendant  la  guerre  d'Amérique,  des  corsâmes  renvoyaient  à Buffon  des  caisses  qu'ils  avaient 
capturées  et  qui  étaient  à son  adresse.  Le  roi  Louis  XV  avait  érigé  sa  terre  on  comté.  L’impé- 
ratrice de  Russie  lui  adressait  les  lettres  les  plus  flatteuses  et  lui  envoyait  tous  les  objets  pré- 
cieux qui  pouvaient  se  rapporter  à scs  travaux  ; enfin , le  prince  Henri  de  Prusse  écrivait  : 
ci  Si  j'avais  besoin  d'un  ami,  ce  serait  lui;  d'un  père,  encore  lui;  d’une  intelligence  pour 
te  m'éclairer,  ch  ! quel  autre  que  lui  ! » 

Buffon  exerça  pendant  un  demi-siècle,  au  Jardin  du  Roi,  son  utile  et  glorieuse  dictature.  Il 


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HISTOIRE.—  1771-17  91.  80 

changea  la  nature  primitive  de  l'institution  et  la  dirigea  d’une  manière  plus  spéciale  vers  les 
sciences  naturelles.  Sous  son  influence,  la  chimie  et  la  botanique  devinrent  plus  étendues  et 
leurs  applications  plus  générales.  L'anatomie  se  développa  en  comparant  l'organisation  de 
l'espèce  humaine  avec  celle  das  animaux.  C'est  à ses  théories  plus  ou  moins  fondées  que  la 
géologie  doit  évidemment  sa  première  origine.  Il  en  est  de  même  de  la  zoologie,  dont  les  élé- 
ments existaient,  mais  obscurs  et  confus , avant  l'époque  où  il  attira  sur  ce  point  l'attention 
des  savants  et  du  public.  Il  faut  même  regarder  comme  une  circonstance  heureuse  que  les 
commencements  de  celte  science  soient  dus  à un  homme  d'imagination,  dont  les  hypothèses 
forcèrent  à étudier  les  objets  d'un  regard  plus  scrupuleux.  C'est  grâce  à lui  que  Duubeuton, 
dont  l'esprit  était  aussi  exact  que  celui  de  RufTon  avait  de  hardiesse,  donna  à la  zoologie  une 
direction  plus  assurée,  plus  scientifique , et  que  Lacépèdo  marcha  résolûment  dans  cette  voie, 
jusqu’au  moment  où  Cuvier  changea  complètement  la  philosophie  de  la  science,  en  subor- 
donnant toutes  les  considérations  théoriques  à l’empire  absolu  des  faits  et  de  l’observation. 
Qui  peut  dire  si  une  marche  opposée  eût  fait  faire  à la  science  des  progrès  plus  rapides  et 
amené  do  meilleurs  résultats? 

Iluffon  avait  une  figure  noble,  une  taille  imposante,  des  manières  distinguées;  ajoutons 
une  constitution  robuste,  la  passion  du  travail,  avant  celle  de  la  gloire,  et  une  force  de  volonté 
toujours  assujettie  à l’empire  de  la  raison.  Il  réunissait,  dit  Voltaire,  le  corps  d'un  athlète  et 
l’âme  d’un  sage.  Rien  qu’il  aimât  la  représentation  et  l’appareil  de  la  grandeur,  il  était  simple 
dans  sa  vie  privée  et  d'un  naturel  bienveillant.  Sa  conversation  11e  donnait  aucune  idée  du  son 
mérite,  parce  qu’elle  réfléchissait  rarement  les  qualités  éminentos  de  son  esprit.  Il  était  poli, 
mais  sa  politesse,  peu  expansive,  semblait  plutût  une  barrière  qu’il  cherchait  à opposer  à la 
familiarité,  Marié  à l’âge  de  quarante-cinq  ans,  il  n’eut  qu’un  fils,  officier  distingué  de  cava- 
lerie, â qui  la  faux  révolutionnaire  fit  expier  la  gloire  de  son  père  et  le  tort  de  sa  naissance. 
Buffon  mourut  à quatre-vingt  et  un  ans , des  suites  douloureuses  d'une  maladie  de  la  vessie.  Sa 
mort,  arrivée  au  moment  où  les  événements  politiques  commençaient  à prendre  île  la  gravité, 
dût  en  quelque  sorte  le  dix-huitième  siècle  au  point  de  vue  littéraire,  et  termine  l’une  des  pé- 
riodes les  plus  brillantes  des  temps  modernes,  relativement  aux  sciences  et  à leur  enseignement. 

Buffon,  dans  l’espace  de  cinquante  ans,  avait  réalisé,  autant  qu’il  est  donné  à la  volonté 
humaine  de  dominer  le  cours  des  événements , presque  toutes  les  vues  qu'il  avait  imaginées 
pour  les  développements  du  Jardin  du  Roi  et  [mur  les  progrès  des  sciences  naturelles.  Il  avait 
levé  tous  les  obstacles  et  fait  concourir  â l’accomplissement  de  ses  projets  tous  les  moyens 
dont  les  talents  et  les  circonstances  lui  avaient  permis  de  disposer.  Au  moment  de  quitter  la 
vie,  il  avait  eu  le  bonheur  si  rare  de  voir  scs  longs  efforts  couronnés  des  succès  les  plus  écla- 
tants. El  toutefois,  dans  ce  moment  même,  de  nouvelles  destinées  se  préparaient  pour  l'insti- 
tution qui  devait  tout  à son  zèle  ; elle  allait  prendre  part  aux  malheurs  du  pays  et  déchoir 
quelque  temps  de  sa  prospérité;  mais  la  grandeur  et  l’utilité  de  son  objet  devaient  aussi  la 
relever  plus  riche,  plus  puissante,  et  lui  réserver  dans  un  avenir  prochain  une  fortune  et  une 
gloire  encore  plus  brillantes. 

Ce  ne  fut  pas  M.  d’Angivilliers  qui  succéda  à Buffon  comme  intendant  du  Jardin,  mais  sou 
frère , le  marquis  Flahaut  do  la  Billardcrie , maréchal  de  camp.  Celui-ci  fit  continuer  les  tra- 
vaux commencés  et  suivit  les  errements  de  l’administration  précédente.  11  ordonna  la  cons- 
truction d'une  nouvelle  serre , destinée  aux  ficoïdes  ; il  fit  d’ailleurs  tous  ses  efforts  pour  se 
concilier  l’affection  des  professeurs  et  se  montrer  digne  de  son  emploi.  Mais  les  événements 
extérieurs  marchaient  avec  rapidité;  la  détresse  des  finances  exigeait  la  réduction  des  dépenses 
dans  tous  les  services.  Le  20  août  1790,  Lebrun  fit  à l’Assemblée  constituante  un  rapport  sur 
le  Jardin  du  Roi,  dans  lequel  il  proposait  des  modifications  importantes  dans  son  administra- 
tion et  dans  son  budget.  Pendant  la  discussion  de  ce  rapport , les  officiers  du  Jardin , c’ost  le 
nom  que  l’on  donnait  alors  aux  professeurs  et  aux  principaux  employés,  firent  parvenir  au 

L 


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Uemarclm  de  Saint-Pierre  mit  en  effet  autant  de  prudence  que  de  sagesse  dans  tous  scs 
actes.  Il  gagna  facilement  la  confiance  et  rattachement  des  officiers  du  Jardin  des  Plantes,  car 
c’est  le  nom  qui  fut  d'abord  substitué  à celui  de  Jardin  du  Roi.  Il  administra  avec  économie 
et  trouva  pourtant  le  moyen  de  faire  construire  une  nouvelle  serre,  adossée  à la  grande  butte, 
dans  la  direction  de  la  grande  terrasse  et  des  galeries,  serre  qui  a conservé  le  nom  de  son  fon- 
dateur. Enfin,  il  se  concerta  avec  les  professeurs  pour  diverses  améliorations  indispensables 
et  rédigea  dans  ce  but  plusieurs  Mémoires  conçus  dans  les  vues  les  plus  saines  et  empreints 
d'un  talent  disposition  des  plus  distingués. 


90  PREMIÈRE  PARTIE. 

président  une  adresse  dans  laquelle  ils  plaçaient  cet  établissement  sous  la  sauvegarde  des 
représentants  de  la  nation  et  faisaient  valoir  toute  son  importance  pour  le  bien  public.  L'As- 
semblée renvoya  cette  adresse  au  comité  des  finances,  ajourna  le  rapport  et  demanda  aux  offi- 
ciers du  Jardin  un  projet  pour  la  réorganisation  de  l'établissement. 

Ce  projet  fut  en  effet  délibéré  et  arrêté  en  assemblée  générale  des  professeurs,  réunie  sous 
la  présidence  de  Daubenton.  Il  fut  signé  par  tous  les  membres  en  exercice  et  même  par 
Antoine  Petit  et  Lemonnier,  professeurs  honoraires.  On  l'imprima  et  on  l’adressa  à l'Assem- 
blée constituante;  niais  les  circonstances  devenaient  tellement  graves  que  l’on  ne  put  y donner 
aucune  suite.  M.  de  la  Rillnrderie  ayant  quitté  la  France,  Bernardin  de  Saint-Pierre  fut  nommé 
intendant  à sa  place.  Ce  choix  était  justifié  par  {dus  d’une  considération  : Bernardin  de  Saint- 
Pierre  était  un  écrivain  éminent , animé  comme  Buffon  d’un  goût  passionné  pour  les  beautés 
de  la  naluro  cl  doué  d'un  talent  incontestable  pour  les  peindre.  A la  vérité,  il  manquait  de 
connaissances  scientifiques  positives,  mais  sou  zèle  pouvait  suffire  pour  donner  à l'enseigne- 
ment une  impulsion  favorable.  Il  paraissait  propre  b l’administration,  et  son  caractère  doux, 
conciliant , sa  popularité  même  pouvaient  rendre  à rétablissement  de  grands  services  et  le 
garantir  des  graves  dangers  qui  le  menaçaient. 


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PIAN  1)1  JARDIN  DI  ROI  EN  I7«« 


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1 0 ■'erres  ,/e  fJtt/ap  oyatmir  /utr  ia  ptn/e  ÿtn 
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U -brrr  netttu .emtueuenr par Ho/ /ru 
ri  trrttn, /<  Attife  ion-  sou  Ariuerie'rr 
tS  /WtAr  lu/r. 

tt  Buef/t  /Ht*  AifUiM  eu  cnfrut/  «i  4 1 rme  Je  l'etu* 
dan*  fs  ./enfin 

!.i  Bètrf  Je . Jaynte  uf./uf  sou  . tirer  sur  il  même  rue 
t(  iarJtu  Je  ree  Met' 

/*  .Vouori  tuupAdAeatrs  f.itt  au  fend  de  ce /me  J * 

U Berne  ia/tmenr  ans  stitos  Je  i any^irAea&v 
y#  Htynemem  de  ia  tio/urr  yms  .reposât/  .esœJtn  a h nu, 
je  iotuàe*  pour  for  semis  I Jt  in.ien  parterre 
îl  (rrm/ufr  rrfde  Je* /Jouter  I SJ  ftp  nu  et  e 
Si  finntuttous  irrnnJtéetu , eu  petit  lois  Jet/  un. 

futrftr  met  tfpe  fattrteuue  œufs  Joe  Offre*  et  tut 
••u /un  duutte/  orf  Un  ta/c 
K //!•  Jour  ofietir  prtutipet/es  pla/tfrur  en  offrit/, 
if  Uitoj  Je*  mu  mu  et,.  J in  Je 

Mer  fut  A en/e  /u  rue  Je  Buf/ôn 
it  Xus.it u . r.-use  rtut/n  .tu  menue  Jr  le  ermere 
iP  Immue  ni  fer,,  | le  terre  Je*  urfnu  /hu/ter* 
h (êrre  aosplauM,  eeuttomtÿiuu  t/ut  urne/  J. nient 
<*V  une  peptUten  peur  /ne  aréry*  tufmtujr 
’>f  /Jeter  tu/rej  au/re/iu.,  ruppJtmmt  Jr peptntere 
fe  / Jet* y ne t/tf  est  ntt. et /rte,  t»/  une  ,eWe  Je 
■ ti/ntrr  Upfusps/t/  vt /Jante  tu  arfres peuduueero 
« (>utt/er  carres  p/an/e*  ,n  yututvnets  i/itrftrttr 
dm  yma/rr  rat  se  us 
-le  Use  Jet  f tapit  ers  Je  'un.  tua 
J.»  du.  /'/Mut tes  J flrtsst/ 

Su.  Ju/a/afut*  né  Hiftitue 

Je,  ur/rtxi  Je  ./te t/e* 
dur  fît/tpu/n  Je  h remet 
Je.-  Ji/rArs  J f ttr.pe 
Je*  firaJft i.  J imetypur 
Je* . iyiunftv  eu  fête  r émus  Je  Japon 
ti  irtMesur  /e  BeufrearJ  Jr  in  'aÇ’Sfrure 
«J  Temtstee  <r  pore*  sus-  fr  yu>n 
lu  .terre  //un.. f entier  depuis  ru  •’UUttyene 


h Mie  Jr  . ••  te  le 


Se  Tut*  *s 


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A Hue  du  .ittrJtu  Ju  Bot 
B . Bue  Je  fiu/fèn 
I Beu /eu  an  de  / fr.  y ttftti  J. 

it  •htfct&trrc 
D ( tu.u  ->y  Aertrard 
E / Atout. r:e  n Ms  et/nr,itu.t 
otaraisAer.. 

F Lts  de  .lie/ee  ■>''  ttefer 
*»  Trmtuis  J*,  leut't.tu.i  /omurfàt 
B Empituruieet/  de  pieéet.’ttrs 
outes sa*  sur  /,  l '.trrc/ètu- 
Je  h fibre 


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IIISTOIHE.  - 177  1 - 1704. 


91 


La  Ménagerie  de  Versailles  était  comprise  au  nombre  des  établissements  dont  on  avait 
décrété  la  suppression.  11.  Couturier,  régisseur  des  domaines  du  roi,  écrivit  à Bernardin  de 
Saint-Pierre,  do  la  part  du  ministre,  pour  offrir  au  Jardin  îles  Plantes  les  animaux  qui  lu  com- 
posaient; mais  l'établissement  n'avait  à sa  disposition  ni  le  local  pour  les  recevoir,  ni  les 
fonds  nécessaires  pour  subvenir  à leur  entretien.  Cependant  Bernardin  de  Saint-Pierre  comprit 
l'importance  de  cette  proposition  et  rédigea  aussitôt  un  Mémoire  sur  la  nécessité  de  joindre 
une  Ménagerie  au  Jardin  national  des  Plantes.  Ce  Mémoire,  qui  porte  la  dote  do  1792,  et  qui 
est  adressé  à la  Convention  nationale,  fit  une  sensation  telle  qu’il  détermina  l'Assemblée  à 
prendre  des  mesures  immédiates  pour  la  conservation  des  animaux  existants  et  à adopter  en 
principe  le  projet  qui  lui  était  soumis.  Ainsi,  bien  que  ces  mesures  n'aient  reçu  leur  exécution 
que  l'année  suivante,  c’est  évidemment  à Bernardin  do  Saint-Pierre  qu’il  faut  rapporter  l'hon- 
neur de  cette  fondation.  L'écrit,  d'ailleurs  peu  connu,  qui  se  rattache  à cette  circonstance, 
trouvera  sa  place  dans  la  seconde  partie  de  cet  ouvrage.  C'est  un  morceau  littéraire  où  la 
vigueur  du  raisonnement  s'allie  à la  plus  mille  éloquence , et  dont  le  ton  général  rappelle  la 
manière  de  Jean-Jacques , avec  qui , pour  le  talent  comme  pour  le  caractère , Bernardin  avait 
tant  d’autres  rapports. 

Après  avoir  montré  les  immenses  ressources  que  possède  te  Jardiu  des  Plantes,  pour  l’étude 
de  la  nature , il  remarquait  qu’un  seul  des  régnes  organisés  y présentait  les  objets  morts  et 
vivants  ; qu’à  cité  des  plantes  qui  végètent  et  qui  vivent , on  n’y  voyait  point  les  animaux  qui 
sentent,  qui  aiment,  qui  connaissent.  Le  Cabinet  montre  les  dépouilles  de  la  mort,  le  Jardin 
doit  montrer  les  premiers  éléments  do  la  vio.  « Quelques  lumières,  disait-il,  quo  l’aualomio 
comparée  ait  répandues  sur  celle  de  l’homme  mémo,  l'étude  des  goûts  des  animaux,  de  leurs 
instincts,  du  leurs  passions  en  jette  do  bien  plus  importantes  pour  nos  besoins  et  pour  notre 
prnpro  existence  ; elle  est  le  complément  de  l'Histoire  naturelle.  C’est  cette  élude  qui  a rendu 
Bttffon  si  intéressant,  non-seulement  aux  savants,  mais  à tous  les  hommes.  Mais  cet  écrivain 
illustre  ayant  manqué  de  lieaucoup  d’ohjels  d’observations,  n’a  travaillé  souvent  quo  sur  des 
Mémoires  incertains  : ses  remarques  les  plus  utiles  et  ses  tableaux  les  mieux  coloriés  sont 
ceux  qui  ont  eu  pour  modèles  les  animaux  qu’il  avait  lui-même  étudiés;  car  lus  pensées  de  la 
nature  portent  avec  elles  leur  expression.  Quelles  riches  études  il  nous  eût  laissées,  s’il  eût  pu 
los  étendre  à une  Ménagerie!...  » 

A peine  ce  plaidoyer  éloquent  eut-il  obtenu  le  succès  qu’il  méritait  si  bien,  qu’un  nouveau 
danger  menaça  le  Jardin  des  Plantes.  Ln  décret  du  18  août  1792  ayant  supprimé  les  Lnivcr- 
Sités , les  Facultés  et  autres  institutions  do  la  mémo  nature , on  eut  lieu  de  craindre  que  lo 
Jardin  fût  enveloppé  dans  la  même  proscription.  A la  vérité , le  local  et  ses  dépendances 
étaient  une  propriété  nationale  ; on  y distribuait  gratuitement  des  plantes  médicinales  aux  pau- 
vres malades , et , à la  rigueur , lo  laboratoire  de  chimie  pouvait  servir  à la  fabrication  du 
salpêtre.  Tous  ces  motifs  auraient  ou  peine  à faire  respecter  l’établissement , si  quelques 
hommes  do  courage  no  se  fussent  élevés  contre  la  fureur  aveugle  qui  voulait  anéantir  toutes 
les  sources  d’instruction  et  jusqu’aux  dépôts  publics  des  sciences  et  des  arts.  Parmi  eux  so 
distingue  Lakanal,  l’un  do  ces  hommes  convaincus,  mais  probes  et  éclairés,  dont  la  fermoté 
devait  mettre  un  terme  à ces  dévastations.  Joseph  Lakanal  était  né  à Serres,  village  du 
département  de  l’Ariége,  en  1762.  Ln  de  ses  oncles,  engagé  dans  les  ordres,  et  avec  qui  on  l’a 
quelquefois  confondu , devint , au  commencement  de  la  révolution , évêque  constitutionnel  de 
Pamiers.  Lakanal  fut  élevé  aux  Oratoriens.  Ses  études  terminées  à dix-huit  ans , la  congré- 
gation désira  se  l’attacher;  on  l’envoya  à Lectoure,  comme  professeur  de  grammaire,  puis  à 
Moissac  et  à Castelnaudary  pour  occuper  des  chaires  plus  élevées.  Comme  il  se  préparait  à 
recevoir  les  ordres,  il  entra  an  séminaire  Saint-Magloire , mais  il  ajourna  son  ordination. 
Rentré  dans  les  collèges  de  l’Oratoire,  il  devint  régent  de  rhétorique  à Périgucux  et  à Bourges. 
11  prit  scs  grades  à la  Faculté  des  Arts,  et  fut  reçu  docteur  à Angers.  En  1 785,  il  était  à Moulins 
professeur  de  philosophie;  en  1792,  il  fut  nommé  député  île  l’Ariége;  il  avait  alors  trente  ans. 


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92 


PREMIÈRE  PARTIE. 

« De  lu  Franco  entière',  dit  M.  Isidore  Geoffroy-Saint-Hilaire , qui  a écrit  sur  Lakaual  uno 
remarquable  notice,  île  laquelle  nous  tirons  la  plupart  de  ces  détails,  il  nu  connaissait  que  le 
séminaire  Saint-.Vlagloirc  et  les  collèges  îles  Oraloriens.  Nulle  ex|>éricncc  des  choses  du  monde, 
mais  aussi  nul  de  ses  préjugés  : c'est  un  homme  nouveau  pour  une  situation  nouvelle. 
Heureusement  aussi,  c’est  un  grand  eteur  pour  une  grande  oeuvre,  et  l'on  verra  que  Lakanal 
n'est  pas  né  seulement  pour  faire  admirer  à ses  élèves  les  vertus  antiques,  il  saura  les  faire 
revivre  en  lui...  » 


L *fc  AN  l !.. 


« La  Convention  s'ouvre.  Quand  Lakanal  se  voit,  lui,  obscur  et  inexpérimenté,  en  présence 
de  tels  hommes  et  à la  veille  de  tels  événements,  il  se  demande  ce  qu'il  pourra  faire  pour  son 
pays.  A d'autres  les  succès  de  la  tribune,  les  hautes  influences  politiques,  l'éclat  du  puuvoir; 
pour  lui,  il  ne  sait,  il  ne  croit  savoir  qu’une  chose  : enseigner;  il  s’occupera  des  écoles.  11 
devient  au  comité  d’instruction  publique  le  collègue  de  Siéyès,  do  Dauuou,  do  Chénier,  do 
Fourcroy,  de  Boissy-d’Anglas.  Peu  de  semaines  s’étaient  écoulées,  que  Lakaual  passait  |iour 
la  cheville  ouvrière  du  comité  et  que  ses  collègues  lui  en  déféraient  la  présidence  par  un  vote 
presque  unanime.  » 

ci  Jamais  mission  ne  fut  plus  complètement,  plus  heureusement  accomplie.  Tout  ce  qu’il 
s’était  promis  à lui-mème,  Lakanal  l’accomplit.  Placé  entre  le  comité  des  finances,  qui  ne 
connaît  qu’un  besoin,  l’économie,  et  la  foule  de  ceux  qui  no  voient  dans  les  sciences,  les 
lettres  et  les  arts,  qu’une  inutile  aristocratie  de  l’esprit,  Lakanal  semble  toujours  devoir 
échouer.  C’est  une  lutte  où,  durant  (rois  années,  la  victoire,  souvent  emportée  do  vive  force, 
parfois  adroitement  obtenue , resta  à la  bonne  cause.  » 

Le  peuple,  vainqueur  de  Louis  XVI  au  10  août,  poursuivait  encore  sa  victime  dans  tous 
les  souvenirs  de  la  monarchie,  qu’il  voulait  extirper  du  sol  de  la  France,  et,  à ce  titre,  les 
monuments,  les  objets  d’art,  ornements  des  demeures  royales,  tombaient  de  toutes  parts  sous 
des  mains  égarées.  Lakanal,  indigné  surtout  des  dévastations  commises,  sous  les  yeux  même 


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HISTOIRE.  - 1771  - 1794. 


93 


do  la  Convention,  aux  Tuileries,  les  dénonce  énergiquement  elles  fait  réprimer  parun  premier 
décret.  Quelques  semaines  après,  le  4 juin  1793,  il  demande  de  nouveau  la  parole  : « Les 
monuments  nationaux , s'écrie-t-il , reçoivent  tous  les  jours  les  outrages  du  vandalisme.  Des 
chefs-d’œuvre  sans  prix  sont  brisés  ou  mutilés.  Les  arts  déplorent  ces  pertes  irréparables.  Il 
est  temps  que  la  Convention  arrête  ces  farouches  excès.  » 

Le  Jardin  des  Plantes , de  création  ro.ralc  comme  les  Académies , mais  à un  plus  haut 
degré,  puisque  depuis  plus  d'un  siècle  et  demi  il  n’était  qu’un  annexe  de  la  maison  du  roi  ; le 
Jardin  des  Plantes  eût,  sans  nul  doute,  partagé  le  sort  qui  anéantissait  tout  ce  qui  avait  tenu 
par  un  lien  quelconque  à la  couronne.  Lakanal  détourne  le  coup  fatal.  « Il  apprend  un  matin 
que  des  vandales,  selon  son  expression,  vont  attaquer  devant  la  Convention  l’établissement 
ex-royal.  Le  même  jour,  à trois  heures,  il  se  rend  chez  Daubenton,  appelle  au  conseil  Tliouin 
et  Desfontaines,  et  reçoit  d’eux,  avec  de  précieuses  notes,  le  Mémoire  rédigé  en  1790  pour 
l’Assemblée  constituante;  le  lendemain,  10  juin  1793,  il  est  à la  tribune,  et  les  vandales, 
muets  de  surprise , l’entendent  lire  un  Rapport  écrit  durant  la  nuit , et  présenter  un  vaste  pro- 
jet aussitôt  converti  en  loi  : le  Jardin  des  Plantes  était  érigé  en  Muséum  national  d' Histoire 
naturelle.  Ainsi  fut  sauvé  on  vingt-quatre  heures  et  sauvé  )>ar  une  mesure  qui , en  le  trans- 
formant , l’agrandissait , un  établissement  qui,  sous  sa  forme  actuelle,  minoré  et  partiellement 
imité  par  toutes  les  nations  civilisées,  ne  reste  pas  moins,  dans  son  harmonique  ensemble, 
unique  encore  en  Europe,  » 

Trente  ans  après,  Lakanal  put  se  convaincre  qu’on  n’avait  point  oublié  au  Muséum  celui 
qui,  eu  1793,  avait  été  le  sauveur  et  le  second  fondateur,  et,  en  1794  et  1795 , le  constant  et 
zélé  protecteur  de  l'établissement.  Quand  Deleuze,  en  1823,  rédigea  son  Histoire  du  Muséum, 
les  professeurs  y tirent  insérer  une  relation  détaillée  des  faits  que  nous  venons  de  rappeler,  et 
un  exemplaire  fut  envoyé  i Lakanal,  alors  réfugié  en  Amérique,  avec  cette  dédicace,  datéo 
du  10  juin  1823  et  signée  de  tous  les  professeurs  : A M.  Lakanal,  pour  le  remercier  du  décret 
du  iO  juin  1793.  Lakanal  fut  vivement  touché  de  cet  hommage,  presque  le  seul  qui  soit  venu 
Consoler  son  exil. 

C’est  principalement  k Lakanal  que  l’on  doit  l'adoption  du  télégraphe.  L’ingénieuse  machine 
do  Cliappe,  présentée  en  1792  à l’Assemblée  législative,  avait  à peine  attiré  son  attention. 
Elle  fut  représentée  l’année  suivante  à la  Convention , et  cette  fois  Lakanal , l'un  des  commis- 
saires chargés  de  l'examiner,  fait  accorder  une  récompense  nationale  à l'inventeur,  obtient 
dos  fonds  pour  l'établissement  d’une  première  ligne,  et  imprime  aux  travaux  une  telle  activité 
que,  un  mois  après,  on  pouvait  communiquer  de  l’aris  à la  frontière.  Sou  Rapport  est  du 
25  juillet,  et,  le  !"  septembre,  Carnot  lisait  à la  tribune  une  dépêche  qui  annonçait  la  red- 
dition do  Condé,  le  même  jour,  à six  heures  du  matin. 

Après  le  9 thermidor,  Lakanal  présenta  et  fit  voter  cinq  décrets,  qui  sont  pour  sa  mémoire 
de  nouveaux  titres  d’honneur.  Les  trois  premiers  fondaient  trois  grandes  institutions,  qui  sub- 
sistent et  sont  encore  aujourd’hui  en  pleine  prospérité  ; l'École  Normale , l'École  des  Langues 
orientales  et  le  Bureau  des  Longitudes.  Les  doux  autres  décrets  organisaient  les  Écoles  pri- 
maires et  les  Écoles  centrales.  C’était  tout  l'édifice  de  l'instruction  publique  qui  venait  d’être 
reconstruit. 

Plus  tard,  Lakanal  prit  part  à l’organisation  de  l'Institut  et  fut  nommé,  l'un  des  premiers, 
membre  do  la  classe  des  sciences  morales  et  politiques.  En  1797,  le  Directoire  lo  chargea 
d'une  mission  dans  les  départements;  il  s’y  montra  ferme,  conciliant  et  désintéressé.  Après  lo 
18  brumaire,  l'homme  qui  avait  réorganisé  en  Franco  l’instruction  publique  accepta  une 
modeste  place  do  professeur  à l’École  centrale  de  la  rue  Saint-Antoine  (Lycée  Charlemagne). 
En  1814,  il  s’exila  volontairement  aux  États-Unis  et  devint  président  do  l’université  de  la 
Louisiane.  Quelques  années  après , il  se  fit  colon  et  entreprit  des  plantations  dans  l’Alabama, 
sur  les  bords  de  la  Mobile.  Lorsque  l’Académie  des  sciences  morales  et  politiques  fut  rétablie, 
le  nom  do  Lakanal  fut  d'abord  oublié;  mais  l’Académie,  par  un  vole  unanime,  répara  cet 


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04 


PREMIÈRE  PARTIE. 

oubli,  et  un  décret  de  1834  déclara  qu’il  reprendrait  sa  place.  Il  revint  on  effet  en  France  en 
1837,  se  maria  à l'âge  de  soixante-quinze  ans  et  eut  un  (ils.  Lakanal  sï'tciguit  en  1844  , en 
disant  â quelques  amis  qui  l'entouraient  : a Je  vais  me  présenter  devant  Dieu , le  cœur  pur  et 
« les  mains  nettes.  » Il  avait  dit  quelques  jours  auparavant  à l'un  d'eux  : « Je  n'ai  jamais 
eu  sur  les  mains  une  goutte  de  sang , ni  dedans  une  obole  mal  acquiso.  » 

Le  décret  qui  organisait  le  Jardin  des  Plantes  sous  le  nom  de  Muséum  d'IIistoire  naturelle, 
fut  rendu  le  10  juin  1793  et  publié  le  14.  il  reproduisait  presque  intégralement  le  projet  déli- 
béré, en  1790,  par  l'Assemblée  des  oflicicrs  du  Jardin,  sur  la  demande  de  la  Convention. 
Voici  quelles  en  étaient  les  dispositions  principales  : l'égalité  des  droits , des  fonctions , des 
émoluments  entre  tous  les  professeurs  ; une  administration  simple , confiée  à l'assemblée 
générale  des  officiers  ; une  surveillance  fraternelle  et  réciproque  ; l’équilibre  maintenu  par  des 
efforts  communs,  le  jioids  du  travail  également  supporté  par  tous  ; le  droit  de  vote  sur  tout  co 
qui  est  relatif  à l'enseignement;  un  président  annuel,  un  trésorier  et  un  secrétaire.  Le  nombre 
des  chaires  était  porté  & douze  ; celui  des  leçons  était  augmenté  : nux  chaires  existantes  on 
ajoutait  des  cours  do  chimie  appliquée,  de  culture,  de  géologie,  d’instructions  pour  les 
voyageurs  et  d’iconographie.  La  zoologie  divisée  comprenait  deux  chaires , indépendamment 
de  celle  d'anatomie  des  animaux. 

Les  officiers  proposaient  les  sujets  pour  les  places  vacantes,  et  nommaient  les  aides-natu- 
ralistes. Chaque  année,  dans  une  séance  publique,  on  rendait  compte  des  progrès  de  la  science 
et  de  ceux  de  l'établissement  ; on  créait  une  bibliothèque , formée  de  tous  les  ouvrages  de 
physique  et  d'histoire  naturelle  recueillis  dans  les  bibliothèques  des  ordres  religieux  supprimés 
ou  dans  les  dépôts  publics,  et  à laquelle  on  réunissait  la  collection  des  vélins  jusque-là  dé- 
posée à la  Dibliotbéquo  royale. 

Tous  les  professeurs  en  exercice  conservaient  leurs  chaires.  Lacépèdo  ayant  envoyé  sa 
démission  quelques  mois  auparavant,  II.  Geoffroy-Sainl-Ililnire , présenté  par  llaiiy  et  par 
Daubenton , fut  chargé  du  cours  de  zoologie  : quadrupèdes , oisoaux , poissons  et  reptiles  ; et 
Lamarck  qui , depuis  quelques  années  déjà , avait  le  titre  de  botaniste  du  cabinet  et  de  garde 
des  herbiers,  eut  la  chaire  de  zoologie  qui  comprenait  les  insectes  et  les  vers.  Comme  co 
dernier  appartenait  à l’administration  précédente,  nous  placerons  ici  les  détails  biographiques 
qui  le  concernent  ; ceux  qui  so  rapportent  à Gcoffroy-Saint-llilaire  trouveront  naturellement 
leur  placo  dans  l’histoire  de  la  période  suivante. 

Voici  la  liste  des  cours  arrêtés  à cetto  époque  et  les  noms  des  professeurs  qui  y furent 
attachés  : 


Minéralogie , 

Chimie  générale , 

Arts  chimiques. 

Botanique , 

Botanique  rurale. 

Culture , 

Zoologie  : quadrupèdes , etc.. 

Zoologie  : insectes  et  vers , 

Anatomie  humaine, 

Anatomie  des  animaujr. 

Géologie  el  instructions  mue  voyageurs , 
Iconographie , 


MM.  Daubextos  ; 

Foi  FicitoY  ; 

Brongniart; 

Desfoxtaixf.s; 

De  Jcssieu; 

A.  Thouin; 

Geoffroï-Saint-Hilaire; 
Lamarck; 

Portai.; 

M E R T r u d ; 

Faijas-Saint-Fond; 

Vas  Spaesdoxck. 


Dès  l’année  1787  , Buffon  avait  adjoint  au  cabinet  deux  aides  pour  la  préparation  des 
animaux,  ainsi  que  M.  François  Lucas,  avec  le  titre  d'huissier.  A la  réorganisation,  Jean 
Thouin,  frire  d'André,  fut  nommé  jardinier' en  chef.  On  désigna  egalement  quatre  aides- 


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HISTOIHE.  — I7Î  1 - 1794.  95 

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HISTOIRE.  — 1771  - 1 794.  95 

naturalistes  : MM.  Desmoulins,  Dufresne,  Valenciennes  et  Delcuze;  enfin,  trois  peintres 
d'Ilistoire  naturelle  : Maréchal  et  les  deux  frères  Redouté. 

Jean-Baptiste-Pierro-Auloine  de  Monet , chevalier  de  Lamarek  , né  à Barcntin,  près  de 
Bapaume,  en  1744,  était  le  onzième  enfant  du  seigneur  du  lieu.  On  le  destina  de  bonne  heure 
au  sacerdoce , et  ou  l'envoya  chez  les  Jésuites  d'Amiens  ; mais  sa  vocation  n'était  pas  là.  La 
France , à cette  époque , était  engagée  dans  une  lutte  violente  et  désastreuse  contre  la  Prusse 
et  l'Angleterre.  L’un  des  frères  de  Lamarek  avait  trouvé  une  mort  honorable,  sur  la  brèche, 
au  siège  de  Berg-op-Zootn.  Deux  autres  de  ses  frères  servaient  encore  avec  distinction  ; 
presque  toute  sa  famille  avait  suivi  la  carrière  des  armes,  et  le  jeune  homme  avait  à cœur 
d’imiter  de  tels  exemples.  Son  père  étant  mort  en  1760;  Lamarek  quitta  aussitôt  lo  petit 
collet  ; il  partit,  à peine  âgé  de  17  ans,  pour  l'armée  d'Allemagne,  monté  sur  un  mauvais 
cheval  et  muni  d’une  simple  recommandation,  que  madame  de  Lamctli,  amie  do  sa  famille, 
lui  remit  pour  lo  colonol  du  régiment  de  Beaujolais.  L’officier,  frappé  de  la  mine  chétive 
du  jeune  homme,  l’admit  pourtant  comme  volontaire.  C’était  en  juillet  1761.  Lo  maréchal  de 
Broglie,  qui  venait  de  réunir  son  corps  d’armée  avec  celui  du  prince  de  Soubise,  devait 
attaquer  le  lendemain  les  alliés,  commandés  par  lo  prince  Ferdinand  de  Brunswick.  Cette 
bataille  île  Willinghausen,  village  situé  entre  Ham  et  Lippstadt,  fut  perdue  par  les  Français. 
Une  compagnie  do  grenadiers,  au  premier  rang  de  laquelle  Lamarek  s'était  placé  de  son 
propre  mouvement , se  trouva  exposée  au  feu  de  l’artillerie  ennemie,  et , dans  le  mouvement 
de  la  retraite,  on  l'oublia.  Il  ne  restait  plus  que  quatorze  hommes,  dont  le  plus  ancien  proposa 
à la  petite  troupe  de  se  retirer.  Lamark  s'y  opposa  avec  énergie,  et  il  fallut  que  le  colonel 
envoyât , par  mille  détours , une  ordonnance  pour  l'y  décider.  Ce  trait  de  courage  ayant  été 
rapporté  au  maréchal,  le  jeune  volontaire  fut  nommé  officier.  A quelque  temps  de  là,  il  reçut 
le  brevet  do  lieutenant,  l'n  accident  l’arrêta  dans  sa  carrière  militaire,  à laquelle  il  se  vit  par 
la  suite  forcé  de  renoncer.  Son  régiment  ayant  été  envoyé  à Monaco,  un  de  ses  camarades,  en 
jouant  avec  lui , le  souleva  par  la  tète,  ce  qui  détermina  mie  affection  grave  des  glandes  du 
cou , pour  laquelle  Lamarek  fut  obligé  de  venir  se  faire  traiter  à Paris.  Ce  traitement  exigea 
une  année  entière;  pendant  sa  longue  maladie,  il  fut  contraint  de  rester  dans  la  solitude, 
n'ayant  d'autre  ressource  que  de  se  livrer  à la  méditation. 

Lamarek  avait  reçu  au  collège  des  notions  de  physique  qu'il  n’avait  point  oubliées.  Pondant 
son  séjour  à Monaco  , il  s’était  occupé  do  Botanique , sans  autre  guide  que  le  Traité  des 
Plantes  usuelles  de  Chôme),  A Paris,  logé  dans  une  mansarde,  il  n’avait  guère  d’autre  spec- 
tacle devant  les  yeux  que  les  nuages  et  le  firmament,  ce  qui  lui  inspira  également  la  pensée 
d’éludior  la  météorologie.  Il  prit  dès  lors  le  parti  d’apprendre  la  médecine.  Réduit,  à cette 
époque,  à une  modique  pension  de  400  livres,  il  était  forcé,  dans  les  intervalles  de  ses  études, 
de  travailler  dans  les  bureaux  d'un  banquier.  Cependant,  de  toutes  les  parties  de  l'art  médical, 
celle  qui  l'intéressait  le  plus  était  la  Botanique,  et  c'est  à cette  science  qu'il  s'attacha  définiti- 
vement. Il  s'y  livra  avec  uno  persévérance  telle  qu’après  dix  ans  d’un  travail  assidu,  il  se 
présenta  tout  à coup  dans  le  mondo  savant,  avec  un  ouvrage  aussi  remarquable  par  la  nou- 
veauté du  plan  que  par  celle  do  l’exécution. 

Frappé  de  l'insuffisance  des  systèmes  imaginés  pour  la  détermination  des  plantes,  Lamarek 
avait  eu  l’idée  d’en  créer  un  nouveau  qui  devait  conduire  plus  facilement  et  plus  sftrement  à 
ce  résultat.  Il  se  mit  aussitôt  à l’œuvre,  et  c’est  dans  ce  but  qu’il  écrivit  la  Flore  française, 
ouvrage  qui  ne  tarda  pas  à avoir  un  grand  retentissement.  Sans  chercher  à augmenter  d'une 
manière  notable  le  nombre  des  plantes  de  la  Franco  alors  connues,  il  s’était  seulement  attaché 
à les  faire  reconnaître  à l'aide  d'une  méthode  aussi  commode  qu'ingénieuse.  Il  prenait  pour 
point  de  départ  les  conformations  les  plus  générales , et , en  procédant  toujours  par  voie 
dichotomique,  il  ne  laissait  chaque  fois  à choisir  qu’entre  deux  caractères  opposés,  divisant  et 
subdivisant  toujours  par  deux,  jusqu'à  ce  que,  n’ayant  plus  à se  décider  entre  deux  caractères 
bien  tranchés,  on  arrivât  infailliblement  à la  détermination  de  l'espèce  que  l’on  étudiait.  Cette 


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(Mi  PREMIÈRE  PARTIE. 

méthode  eut  un  succès  rapide  ; Buffmi  en  fut  si  émerveillé  qu'il  obtint  de  faire  imprimer  la 
Flore  française  par  l'imprimerie  royale.  Dauhculon  travailla  au  discours  préliminaire,  et, 
dans  le  cours  de  l'ouvrage,  le  bon  Haiiv  vint  souvent  en  aide  à la  plume  encore  pou  exercéo 
de  l’auteur.  Presque  au  même  moment,  une  place  do  Botanique  étant  devenue  vacante  à 
l'Académie  des  sciences , Lamarck  y fut  admis , bien  que  préseuté  en  seconde  ligne , A 
l'exclusion  du  botaniste  Descemet,  qui  mourut  sans  obtenir  justice  de  ce  passe-droit  jusque-là 
sans  exemple. 

Buffon  lui  donna  un  autre  témoignage  de  l'intérêt  qu'il  lui  portait,  en  le  faisant  voyager 
avec  son  fils  , mais  pourvu  d'une  commission  de  botaniste  du  roi , qui  le  chargeait  en  cette 
qualité  de  visiter  les  jardins,  les  cabinets  étrangers,  et  d'établir  avec  eux  des  correspondances. 
Il  parcourut  ainsi , pendant  deux  ans  ( 1 781-1782) , la  Hollande,  l'Allemagne  et  la  Hongrie. 
Cependant,  à son  retour,  il  n'obtint  aucun  emploi,  et  ce  ne  fut  qu’après  la  mort  de  Buffon  que 
M.  d'Angivilliers  créa  pour  lui  la  place  de  botaniste  du  Cabinet,  avec  le  soin  et  la  garde  des 
herbiers  du  roi.  C’est  pendant  les  années  qui  séparèrent  son  voyage  de  son  entrée  au  Jardin 
que  Lamarck  publia  la  partie  botanique  de  l’ Encyclopédie  mélhodii/ue  ; travail  bien  plus 
important  que  sa  Flore  française , bien  qu’il  ait  joui  dans  le  monde  d'une  moindre  célébrité. 

Au  moment  où  le  Jardin  et  le  Cabinet  du  Roi  furent  reconstitués  sous  le  nom  de  Muséum 
d' Histoire  naturelle,  Lamarck,  alors  le  dernier  venu  des  officiers  qui  avaient  à se  partager  les 
chaires  nouvellement  instituées,  (ut  sur  le  point  de  se  trouver  exclus.  Cependant . Lacépèdo 
venait  de  se  démettre  de  scs  fonctions  et  avait  laissé  vacante  la  chaire  de  zoologie  relative 
aux  insectes  et  aux  vers.  Lamarck  se  vit  obligé  d'en  prendre  possession.  Il  avait  alors  60  ans 
et  ne  connaissait  celte  matière  que  pour  s’être  occupé  de  conchyliologie.  Mais  son  courage  ne 
lui  fit  pas  défaut , et  il  se  trouva  bientôt  en  état , non-seulement  de  professer  avec  succès  cette 
branche  de  la  science , mais  encore  d’v  acquérir  une  réputation  supérieure  à celle  qu'il  avait 
obtenue  en  Botanique.  Malheureusement,  à peine  eut-il  obtenu  la  chaire  do  zoologie,  que  sa 
vue  commenta  à s'affaiblir,  et  qu'il  fut  obligé  de  recourir  à l'assistance  de  Latreille,  pour 
observer  et  étudier  les  insectes.  Cette  infirmité  ne  (il  que  s'accroître  par  un  travail  forcé,  et, 
dans  les  derniers  temps , il  linil  par  devenir  tout  à fuit  aveugle. 

Lamarck  avait  beaucoup  médité  sur  les  lois  générales  de  la  physique  et  de  la  chimie,  sur 
les  révolutions  du  globe,  sur  les  phénomènes  météorologiques,  sur  les  lois  qui  président  à 
l'organisme  et  à la  vie.  Il  crut  devoir  émettre,  sur  ces  différents  sujets,  des  opinions  fondées 
uniquement  sur  des  raisonnements  et  des  hypothèses.  Ses  théories,  souvent  en  désaccord 
avec  les  faits , furent  jugées  avec  rigueur  ; on  chercha  même  à le  tourner  en  ridicule , et  ses 
amis  lui  firent  comprendre  que  quelques-unes  de  scs  publications  ne  répondaient  pas  à la 
considération  que  ses  autres  travaux  lui  avaient  méritée;  il  se  soumit  en  silence,  mais  il 
continua  ses  observations.  Lorsque  l'état  de  sa  vue  ne  lui  permit  plus  de  les  poursuivre , et 
que  ses  infirmités  curent  accru  ses  besoins , scs  moyens  d’existence  se  trouvèrent  à fieu  près 
réduits  aux  modiques  émoluments  de  sa  chaire  d’Hisloire  naturelle.  « Les  amis  des  sciences, 
dit  Cuvier,  attirés  par  la  haute  réputation  que  lui  avaient  valu  ses  ouvrages  de  botanique  cl 
de  zoologie , voyaient  ce  délaissement  avec  surprise  ; il  leur  semblait  qu'un  gouvernement 
protecteur  des  sciences  aurait  dit  mettre  un  peu  plus  de  soin  à s’informer  de  la  position  d’un 
homme  célèbre.  Mais  leur  estime  redoublait  à la  vue  du  courage  avec  lequel  ce  vieillard 
illustre  supportait  les  atteintes  de  la  fortune  et  celles  de  la  nature.  Ils  admiraient  surtout  le 
dévouement  qu'il  avait  su  inspirer  à ceux  do  ses  enfants  qui  étaient  demeurés  prés  de  lui.  Sa 
fille  aînée , entièrement  consacrée  aux  dovoirs  de  l'amour  filial  pendant  des  années  entières , 
ne  l'a  pas  quitté  un  instant,  n’a  pas  cessé  de  se  prêter  à toutes  les  études  qui  pouvaient 
suppléer  ou  défaut  de  sa  vue,  d'écrire  sous  sa  dictée  une  partie  de  scs  derniers  ouvrages,  do 
l'accompagner,  de  le  soutenir  tant  qu'il  a pu  faire  encore  quelque  exercice,  et  ces  sacrifices 
sont  allés  au  delà  de  tout  ce  qu'on  pourrait  exprimer.  Depuis  que  le  père  ne  quittait  plus  la 
chambre , la  fille  ne  quittait  plus  la  maison.  A sa  première  sortie , elle  fut  incommodée  par 


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HISTOIRE.  — 1771-1791.  97 

l'air  libre  dont  elle  avait  perdu  l'usa  ire.  S’il  est  rare  île  porter  à ce  point  la  vertu , il  lie  l’est 
pas  moins  île  l'inspirer  à ce  degré , et  c'est  ajouter  à l'éloge  de  Lamarck  que  de  raconter  ce 
qu'ont  fuit  pour  lui  ses  enfants.  » 

Le  meilleur  ouvrage  de  Lamarck  est  sans  contredit  son  Système  des  animaux  sans  vertè- 
bres. en  sept  volumes  in-8”.  C'est  là  qu’il  établit  ce  grand  principe  de  clussitication  qui  portage 
tout  le  Régne  animal  en  deux  grandes  classes,  fondées  sur  la  présence  ou  l’absence  des  vertè- 
bres. C'est  en  effet  la  seule  circonstance  d'organisation  qui  soit  commune  à tous  les  animaux. 
Ce  trait  de  lumière  était  d'autant  plus  remarquable  que  Lamarck  était  assez  peu  exercé  aux 
recherches  d'anatomie  pratique  ; mais  il  profita  habilement  des  travaux  de  ses  devanciers  et 
même  de  ses  contemporains,  pour  en  déduire  des  généralités  heureuses.  On  lui  doit  également 
une  Philosophie  zoologique , dans  laquelle  il  établit  une  physiologio  toute  nouvelle,  appuyée 
toutefois  sur  des  hypothèses  dont  il  ne  put  déduire  que  des  conséquences  forcées,  ('.'est  là  qu'il 
développe  cette  singulière  thèse  qu’un  besoin  peut  donner  naissance  à un  organe,  et  que  cette 
génération  spontanée  est  modifiable  indéfiniment  : proposition  qui  tombe  évidemment  devant 
ce  fait  que,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu’à  nos  jours,  les  formes  animales  n'ont  pas 
changé. 

Lamarck  répandit  ses  vues  sur  divers  sujets  de  physique  et  d’histoire  naturelle  dans  un 
grand  nombre  d'écrits.  Les  plus  importants  ont  pour  titre  : Recherches  sur  les  causes  des 
principatts  faits  physiques , etc.  ; Mémoires  de  Physique  et  d' Histoire  naturelle  ; Hydrogéologie , 
ou  Recherches  sur  l'influence  générale  des  eaux , etc.  ; enfin  un  Annuaire  météorologique  dont 
il  parut  successivement  onze  volumes.  Scs  idées  avaient  en  général  de  l'originalité,  de  la 
hardiesse,  quelquefois  même  elles  portèrent  l’empreinte  du  génie;  mais  son  intelligence, 
appliquée  à la  fois  à un  trop  grand  nombre  d’objets,  scs  théories  fondées  trop  rarement  sur 
des  observations  exactes  l'ont  conduit  à des  excentricités  souvent  regrettables.  Lamarck  était 
certainement  un  esprit  hors  ligne;  il  avait  le  goût  du  travail,  une  activité  rare,  et  toutefois, 
après  une  longue  vie  toute  consacrée  à l'étude , il  lui  restera  peu  de  chose  peut-être  de  son 
énorme  bagage  scientifique.  Cependant , sa  Flore  française , sa  Philosophie  zoologique , mais 
surtout  son  Système  des  animaux  sans  vertèbres , sont  de  justes  titres  à une  célébrité  qui  s’at- 
tachera longtemps  encore  à son  nom.  Lamarck  avait  été  marié  quatre  fois;  il  mourut  en 
1829,  à l’àgc  de  85  ans. 

Le  décret  qui  organisait  le  Muséum  une  fois  rendu,  les  professeurs,  dans  leur  première 
assemblée  générale  , nommèrent  Daubenton  président , Desfontaines  secrétaire , et  André 
Tliouin  trésorier.  Ou  prépara  le  local  destiné  à la  bibliothèque,  M.  de  Jussieu  s’occupa  de 
recueillir  les  livres  qui  devaient  la  composer,  M.  Toscan  en  fut  nommé  bibliothécaire, 
Mordant  de  Launay  bibliothécaire  adjoint,  et,  au  mois  de  septembre  1794,  elle  fut  ouverte 
solennellement  au  public. 

On  s'occupa  en  même  temps  de  disposer  pour  la  Ménagerie  un  local  provisoire,  oit  l’on 
réunit  les  animaux  de  lu  Ménagerie  de  Versailles  et  quelques  autres  que  l’on  se  procura  par 
des  acquisitions  ou  des  échanges.  L’intendance  fut  destinée  à fournir  des  logements  aux 
professeurs  ; ou  décida  de  construire  un  second  élage  au-dessus  des  galeries  pour  doubler 
leur  étendue.  Le  règlement  intérieur  une  fois  arrêté , le  représentant  Thibaudeau  en  fit.au 
comité  des  sciences,  lo  sujet  d’un  rapport  qui  fut  adopté  et  qui  fixa  d’une  manière  définitive 
l’organisation  du  Muséum. 

Cependant,  on  avait  bien  compris,  dès  le  principe,  la  nécessité  de  créer  une  troisième 
chaire  de  zoologie  ; mais , en  l'absence  de  Lacépcde , démissionnaire , on  crut  ne  devoir  pas 
en  parler  dans  le  projet  d’organisation , si*  réservant  de  faire  valoir  ultérieurement  les  droits 
de  l'éminent  professeur.  C’est  eu  effet  ce  qui  eut  lieu  : la  loi  du  1 1 décembre  1794  créa  celle 
troisième  chaire  de  zoologie,  et  on  s'empressa  de  désigner  Lacépèdc  pour  l'occuper. 

La  même  loi  ordonna  l'acquisition  des  terrains  compris  entre  la  rue  Poliveau,  la  rue  de 
Seine,  la  rivière,  le  boulevard  de  ITIdpilal  et  la  rue  Saint- Victor , afiu  de  compléter  le  péri- 

M 


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98 


l'HKJIlfcHK  PA1IT1E. 

mètre  occupé  pur  le  Muséum.  La  commission  d’instruction  publique  avait  formé  un  plan 
encore  plus  vaste,  mais  impraticable,  et,  en  mai  1794,  le  Comité  de  salut  public  l’avait 
converti  en  loi  ; mais  cette  loi  fut  rapportée,  à la  sollicitation  même  des  professeurs,  et  on 
décida  que  l’étendue  du  Jardin  serait  bornée  définitivement  par  les  rues  de  Buffon  et  de  Seine, 
par  la  rivière  et  la  rue  Saint-Victor.  Le  projet  ainsi  limité  devenait  d’une  exécution  plus  facile, 
et,  toutefois,  il  ne  put  se  réaliser  complètement  que  longtemps  après. 

A la  fin  de  1794,  l'amphithéâtre  fut  agrandi  et  terminé  par  l’addition  de  trois  pavillons  et 
du  laboratoire  de  chimie.  C’est  dans  ce  local  que  se  fit,  en  janvier  1795,  l'ouverture  de 
l’École  normale,  sous  la  présidence  de  Lakanal  et  de  Siéyès,  délégués  par  la  Convention,  en 
présence  de  quatorze  cents  élèves  venus  de  tous  les  points  de  la  France,  des  douze  professeurs, 
et  par  une  magnifique  leçon  de  l’illustre  Laplacc. 


QUATRIÈME  PÉRIODE 


1794-1815 

Le  Muséum  «l'histoire  naturelle  était  fondé,  mais  son  inauguration  arait  eu  lieu  sous  de 
tristes  auspices.  L'activité,  le  zèle  et  le  savoir  de  ses  professeurs  ne  pouvaient  suffire  à tout 
ce  que  la  science  et  renseignement  attendaient  de  cette  grande  institution.  Les  troubles  de  la 
société , la  pénurie  des  finances , l'interruption  de  tout  commerce  avec  les  académies  étran- 
gères, la  difficulté  des  rapports  avec  l’autorité  qui  changeait  de  mains  chaque  jour,  toutes  ces 
causes  entravaient  l'exécution  des  projets  les  mieux  conçus  et  des  mesures  les  plus  utiles.  On 
fil  pourtant  l’acquisition  de  quelques  terrains,  on  entreprit  des  constructions  indispensables, 
on  préparait  l'organisation  de  la  Ménagerie  et  les  développements  du  Cabinet;  mais,  d'une 
autre  part,  on  ne  pouvait  pourvoir  aux  nécessités  les  plus  urgentes;  on  manquait  d’argent 
pour  payer  les  ouvriers,  pour  nourrir  les  animaux,  pour  acheter  des  engrais.  Ou  cultivait  des 
pommes  de  terre  dans  les  carrés  destinés  aux  plantes  rares  ; les  collections  s’entassaient  dans 
les  magasins;  on  n’avait  ni  local,  ni  armoires  pour  conserver  les  objets  les  plus  précieux. 
Heureusement , le  dévouement  et  le  courage  des  professeurs  ne  se  ralentissaient  point , et  leur 
désintéressement , bien  digne  des  vrais  amis  de  la  science , prévint  plus  d’une  fois  la  ruine 
imminente  de  l'établissement. 

Cet  étal  de  choses  devait  se  prolonger  jusqu’aux  dernières  années  de  ce  siècle,  qui  marchait 
si  difficilement  vers  sa  fin.  Cependant,  grâce  à une  administration  bien  entendue,  on  parvint 
à exécuter  des  améliorations  d’une  réelle  importance.  Dés  l'année  1 705 , on  acheta,  pour  les 
réunir  au  Muséum,  toutes  les  propriétés  particulières  qui  entouraient  l’hôtel  de  Magny.  On  y 
établit  les  bureaux  et  oti  y réserva  un  local  pour  le  Cabinet  «l’anatomie.  Ou  disposa  des  loge- 
ments pour  les  professeurs  daus  d'autres  bâtiments , autrefois  possédés  par  la  communauté 
«tes  Noui  eaux-Comertis , et  situés  le  long  de  la  me  de  Seine.  Les  jardins  qui  dépendaient  de 
Ces  habitations  furent  réunis  au  Labyrinthe.  Ou  commença  la  construction  d'une  serre  tem- 
pérée; on  acheta  quelques  pièces  des  terrains  que  l’on  destinait  à la  Ménagerie  et  dans  lesquels 
on  dessina  les  premiers  parcs  pour  les  animaux  ruminants;  on  entreprit  la  construction  du 
Second  étage  au-dessus  des  galeries,  cl  un  peu  plus  tard  colle  d'une  nouvelle  serre,  destinée 
Aux  végétaux  rapportés  par  le  capitaine  Baudin.  Ces  constructions  furent  dirigées  par  l’archi- 
tecte Molinos,  qui  avait  succédé  & Verniquet,  à qui  l'on  doit  l'érection  du  grand  Amphithéâtre 
actuel. 

Cependant , le  Muséum  recevait  de  différents  points  des  objets  de  la  plus  grande  valeur 


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00 


HISTOIRE.  — 1 704  - 181  ô. 

pour  ses  collections.  En  1795,  la  conquête  de  la  Hollande  lui  avait  procuré  1rs  drus  Éléphants 
et  le  cabinot  d'histoire  naturelle  du  Statliouder,  riche  surtout  en  objets  do  zoologie.  Une  aulra 
collection  précieuse  lui  était  parvenuo  de  la  Belgique;  l’année  suivante,  M.  Desfonlaines  avait 
offert  au  Muséum  sa  collection  d'insectes  de  Barbarie.  L'Académie  des  sciences  lui  avait  donné 
une  pépite  d’or  d'un  poids  considérable;  le  gouvernement  avait  remis  au  Muséum  la  collection 
de  pierres  précieuses  do  l’hôtel  des  Monnaies.  En  1797,  on  acheta  la  collection  d’oiseau» 
d’Afriquo,  do  Lcvaillant,  puis  celle  des  oiseaux  de  la  Guyane,  de  Brochcton;  enfin,  on  1798, 
on  reçut  les  nombreuses  collections  do  botanique  et  de  zoologie  rapportées  d'Amérique  par  le 
capitaine  Baudin  et  ses  savants  collaborateurs. 

Au  commencement  de  1706,  le  capitaine  Baudin,  récemment  de  retour  d’un  voyage  de 
recherches  dans  l'Inde,  avait  annoncé  au  gouvernement  qu’il  avait  laissé  dans  l'Ile  do  la 
Trinité  une  riche  collection  d’histoire  naturelle,  et  qu’il  l'offrirait  au  Muséum,  si  on  voulait 
lui  confier  un  vaisseau  pour  l’aller  chercher.  Celto  demande , vivement  appuyée  par  les  pro- 
fesseurs, fut  accordée,  à la  condition  que  Baudin  emmènerait  avec  lui  quatre  naturalistes. 
On  désigna  pour  l'accompagner  Maugé  et  Lerillain,  pour  la  zoologie;  Dru,  pour  la  botanique, 
ainsi  que  Biedley,  jardinier  du  Muséum. 


I. 


imii 


Baudin  partit  du  Havre  en  septembre  1706.  Son  vaisseau  ayant  fait  naufrage  aux  fies  Cana- 
ries, le  gouvernement  espagnol  lui  donna  un  autre  bâtiment  pour  continuer  son  voyage.  L’île 
do  la  Trinité  étant  alors  au  pouvoir  des  Anglais,  il  se  dirigea  sur  Saint-Thomas,  et  de  là  sur 
Porto-Rieo.  Après  deux  ans,  il  appareilla  pour  revenir  en  France,  et  entra  à Fécamp  avec 
scs  collections  au  mois  de  juin  1798.  u Jamais,  dit  Delcuze,  on  n’avait  reçu  à la  fois  un  aussi 
grand  nombre  de  végétaux  et  surtout  d’arbres  des  Antilles  : il  y avait  une  centaine  do  caisses 
dont  plusieurs  renfermaient  des  individus  de  six  et  jusqu’à  dix  pieds  de  hauteur;  les  plantes 


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PREMIÈRE  PARTIE. 

avaient  été  si  bien  soignées  pendant  la  traversée,  qu’elles  étaient  en  pleine  végétation  et 
qu’elles  réussirent  très-bien  dans  nos  serres.  » 

« Le  résultat  du  voyage  ne  se  bomu  point  a procurer  au  Jardiu  «les  plantes  vivantes,  il  enri- 
chit également  les  cabinets  : les  herbiers  furent  accrus  d’un  grand  nombre  de  plantes  des 
Antilles,  recueillies  et  desséchées  avec  soin  par  Dru  et  Riodley,  qui  n’avaient  pas  négligé  d’in- 
diquer le  lieu  où  elles  avaient  été  ramassées.  Riodley  avait  fait  «le  plus  une  collection  de  tous 
les  bois  de  Saint-Thomas  et  de  Porto-Rico , et  il  avait  attaché  à chaque  échantillon  un  numéro 
qui  renvoyait  au  rameau  fleuri  «lu  mtMne  arbre  conservé  dans  l'herbier,  ce  qui  donna  au  pro- 
fesseur de  botanique  la  facilité  de  les  déterminer.  Les  deux  zoologistes  rapportaient  aussi  des 
peaux  de  quadrupèdes , des  Oiseaux  et  des  Insectes.  La  nombreuse  collection  d’Oiseaux  faite 
par  Maugé  était  surtout  très-intéressante , parce  que  la  plupart  des  espèces  manquaient  au 
Muséum  et  que  tous  les  individus  étaient  parfaitement  conservés.  » 

Toutes  ces  richesses  auraient  fini  par  être  perdu«is  pour  la  science,  si  l’on  n’eût  pourvu  à 
leur  conservation  par  des  mesures  immédiates.  En  1798,  les  professeurs  se  décidèrent  à pré- 
senter au  gouvernement  un  Mémoire  pour  lui  faire  connaître  tes  besoins  du  Muséum.  On  y 
énumérait  les  objets  précieux  «pie  l’on  avait  reçus,  mais  dont  on  ne  pouvait  tirer  aucun  parti  : 
tes  collections  restaient  enfoutes  dans  «tes  caisses,  où  elles  étaient  exposées  à «Mro  «lélruites 
par  les  insectes  ou  par  «i'autres  causes;  tes  animaux  vivants  étaient  logés  provisoirement 
dans  des  écuries,  où  le  défaut  d’air,  le  froid  et  une  mauvaise  alimentation  allaient  les  laisser 
périr  : un  moment , la  détresse  fut  telle  que  l’on  «lut  autoriser  le  surveillant  de  la  Ménagerie  à 
faire  tuer  les  animaux  les  moins  précieux  p»mr  servir  à la  nourriture  des  autres. 

Il  était  presque  impossible  au  gouvernement  «le  satisfaire  à ces  demandes,  dans  l’état  «»ii  la 
guerre  et  les  dissensions  intérieures  avaient  réduit  lu  France.  On  pourvut  toutefois  aux  besoins 
tes  plus  urgents;  mais  les  événements  «jui  fur«»nt  la  conséquence  «lu  18  brumaire  (9  novem- 
bre 1799)  changèrent  la  face  des  choses,  et  dès  lors  un  nouvel  avenir  s’ouvrit  à la  prospérité 
«lu  Muséum.  Lo  gouvernement  consulaire  comprit  toute  l'importance  «ie  l’institution  et  résolut 
aussitôt  do  lui  donner  tous  les  développements  qu’elle  nteritait.  Ou  reprit  les  travaux  inter- 
rompus, on  continua  tes  acquisitions  de  terrain,  on  mil  en  ordre  tes  collections.  On  fit  acheter 
à Londres  plusieurs  animaux  importants  pour  la  Ménagerie  : «leux  Tigres,  deux  Lynx,  un 
Mandrill,  un  Léopard,  une  Panthère,  une  Hyène,  divers  Oiseaux  étrangers.  Sir  Joseph  Banks, 
avec  sa  générosité  accoutumée,  saisit  c«*Ue  occasion  pour  offrir  au  Muséum  quelques  plantes 
intéressantes  <jui  manquaient  aux  serres.  A lu  même  époque,  la  collection  anatomique  s’enri- 
chit des  dépouilles  «le  plusieurs  animaux  rares;  M.  Latrcille,  aide  naturaliste  d’un  mérite 
éprouvé , disposa  la  collection  d’lns«*ctes  avec  un  soin  et  une  intelligence  qui  annonçaient  un 
entomologiste  des  plus  distingués;  sous  les  mains  de  M.  Alexandre  Brongniart,  les  cadres  du 
Cabinet  do  Minéralogie  s’étendirent , se  complétèrent  ; enfin , on  common«;a  à former,  avec  les 
échantillons  accumulés  dans  les  magasins,  des  collections  classiques  destinées  à enrichir  les 
Écoles  centrâtes  «les  départements. 

Cependant,  une  circonstance  grave  menaça  tout  à coup  d'interrompre  lo  cours  «le  cette 
prospérité  naissante.  On  eut  un  moment  la  pensée  «le  confier  l’administration  du  Muséum  à 
un  intendant,  directeur  général,  nommé  par  le  ministre,  et  de  réduire  tes  fonctions  des  profes- 
seurs à leur  enseignement,  ainsi  qu’à  la  conservation  des  collections  qui  s’y  rapportent.  Les 
professeurs  s’émurent  de  ce  projet , non  dans  leur  intérêt  personnel , mais  dans  celui  des 
sciences  et  do  l’institution.  Ils  s'empressèrent  de  faire  de  vives  représentations  à ce  sujet  ; ils 
firent  valoir  les  rapides  développements  «lu  Jardin  sous  l’administration  des  premiers  inten- 
dants , qui  tous  avaient  été  professeurs , les  notables  succès  «jue  l’établissement  avait  «tejà 
obtenus,  grâce  au  nouveau  régime  administratif,  le  «langer  «le  voir  quelque  jour  cette  adminis- 
tration passer  «lans  tes  mains  d’un  homme,  étranger  aux  sciences , et  qui  pourrait , à leurs 
progrès  réels,  préférer  l’éclat  d’une  institution  brillante  sous  d'autres  rapports  ; ils  ajoutaient 
que  l’état  «le  subordination  où  so  trouveraient  les  professeurs  risquerait  «te  paralyser  leur  zèle. 


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HISTOIRE.  - 1 794-  1 815. 


101 


rendrait  leur  responsabilité  illusoire,  enfla  que  ceux  d'entre  eux  ijui  étaient  pourvus  do  places 
éminentes  dans  l'État  ne  pourraient  recevoir  des  ordres  d'un  chef  moins  élevé  hiérarchique- 
ment,  et  se  verraient  contraints  do  so  démettre  de  leurs  fonctions.  Ces  motifs  ne  furent  pas 
accueillis;  le  ministre  persista  et  nomma  M.  de  Jussieu  directeur.  Celui-ci,  loin  d'accepter, 
protesta  avec  plus  d'énergie,  et  Cbaptal , devenu  ministre  do  l'intérieur,  se  lutta  du  faire  droit 
à des  réclamations  qui  lui  parurent  parfaitement  fondées. 


Sous  l’impulsion  de  ce  ministre,  à qui  le  Muséum  doit  des  souvenirs  pleins  de  reconnais- 
sance, l'institution  ne  tarda  pas  en  effet  à reprendre  une  vie  nouvelle.  Cbaptal  était  médecin, 
chimiste  très-distingué , professeur  éminent.  Il  avait  été  dans  l'École  du  Montpellier,  comme 
Fourcroy  dans  la  chaire  du  Jardin  des  Plantes,  l’éloquent  propagateur  d’une  science  encore 
toute  nouvelle.  Il  comprenait  mieux  que  personne  la  portée  des  sciences  naturelles  et  toutes 
les  ressources  (pie  leurs  applications  promettaient  à l’industrie.  Élevé  au  premier  emploi  de 
l'administration  publique , sa  première  pensée  avait  été  du  ramener  les  esprits  dans  les  voies 
do  l'ordre , a l’aide  di*  l'étude,  et  de  fonder  la  prospérité  do  la  nation  sur  les  développements 
do  l'intelligence  : il  no  pouvait  donc  mauquor  do  couvrir  le  Muséum  de  sa  haute  protection. 

L'enceinte  totale  du  Jardin  qui , dans  les  premières  années  de  l'administration  de  Bnffon, 
n’était  que  de  vingt  et  un  arpents,  avait  été  plus  que  doublée  en  1783.  L’Écolo  botanique, 
déjà  fort  étendue  par  les  soins  de  Jussieu , fut  augmentée  d’un  tiers  par  ceux  de  Desfontaines, 
et  replantée  intégralement.  La  galerie  supérieure  du  Cabinet  et  son  ameublement  furent  ter- 
minés. On  arrêta  le  plan  de  la  Ménagerie  et  des  parcs;  on  construisit  de  nouvelles  salles  pour 
un  laboratoire  de  zoologie  et  pour  les  préparations  anatomiques.  Dès  l’année  1802,  le  Muséum 
se  trouva  complètement  organisé;  toutes  les  parties  do  l'établissement  recevaient  la  même 
impulsion  ; l'ordre,  l’activité  régnaient  sur  tous  les  points,  et  l’enseignement,  confié  aux  mains 
des  plus  habiles  professeurs,  attirait  de  nombreux  élèves  autour  do  ce  large  foyer  de  lumières 
et  de  savoir. 

La  seule  partie  des  collections  qui  laissât  encore  à désirer  était  celle  do  la  minéralogie,  qui. 


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<02 


PREMIÈRE  PARTIE. 

créée  par  Dauhenton  avec  des  soins  tout  particuliers  et  une  assiduité  de  cinquante  ans,  pré- 
sentait néanmoins  beaucoup  de  lacunes,  line  collection  très-riche  et  très-étendue , avant  été 
apportée  en  France  par  un  Allemand , M.  Weiss,  les  professeurs  s’empressèrent  d'appeler  sur 
ce  sujet  l’attention  de  Cliaplal,  qui,  après  avoir  pris  l’avis  du  Conseil  des  mines,  trouva  le 
moyen,  à l’aide  d'échanges  et  de  quelques  sacrifices,  de  l'acquérir  pour  le  Muséum.  En  IS02, 
M.  Geoffroy-Saint-llilaire  fit  don  à l'établissement  des  objets  île  toute  nature  qu’il  avait 
recueillis  en  Égypte  pendant  un  séjour  de  quatre  années.  Celte  collection,  du  plus  haut  intérêt 
au  point  do  vue  de  l'histoire  naturelle , comme  sous  les  rapports  historique  et  archéologique, 
contenait  entre  autres  plusieurs  des  animaux  sacrés  conservés  dans  les  tombeaux  do  Thèbes 
et  de  Memphis , ainsi  qu'une  foule  d’autres  pièces  qui  devaient  jeter  une  vive  lumière  sur 
diverses  questions  importantes  de  philosophie  naturelle. 

Vers  la  même  époque,  l’etnpereur  Napoléon  donna  au  Muséum  la  collection  des  Poissons 
fossiles,  achetée  au  comte  de  Gazola,  une  autre  collection  du  même  genre,  offerte  par  la  ville 
de  Vérone,  et  celle  dos  roches  de  Corse,  recueillie  par  M.  de  Barrai. 

Les  travaux  du  laboratoire  do  zoologie  avaient  pris  une  immense  activité.  On  s’en  étonnera 
peu  quand  on  saura  que  ces  travaux  étaient  dirigés  par  des  zoologistes  de  premier  ordre, 
remplis  de  zèle  et  de  talents,  qui  s’étaient  imposé  la  mission  de  créer  de  leurs  propres  mains 
la  galerie  d'anatomio  comparée,  et  qui  donnaient  l'exemple  du  travail  aux  élèves  et  aux  dessi- 
nateurs qui  les  secondaient  : entreprise  qui  devait  faire  autant  d’honneur  à leur  courage, 
qu’elle  rendait  de  services  à la  scienco,  car  alors  ces  travaux  difficiles  n’étaient  pas  exempts 
do  danger.  En  1803  et  1801,  Cuvier  acheva  avec  le  plus  grand  succès,  sur  trois  individus 
morts  successivement  au  Muséum,  l’anatomie  de  l'Éléphaut,  jusque-là  fort  peu  connue  et 
aujourd'hui  aussi  complète  que  celle  du  Cheval. 

En  1801,  le  Muséum  s’enrichit  à la  fois  d'une  collection  considérable  de  zoologie  et  de 
botanique,  la  plus  importante  qui  lui  fût  jamais  parvenue.  Au  commencement  de  l’année  1800, 
l'Institut  avait  proposé  au  premier  consul  d’envoyer  deux  vaisseaux  aux  terres  australes  pour 
y faire  des  découvertes  relatives  à la  géographie  et  aux  sciences  physiques  et  naturelles. 
Le  premier  consul  adopta  cette  idée , et , sur  la  présentation  de  l'Institut  et  du  Muséum 
d’Histoire  naturelle,  il  nomma,  pour  faire  partie  de  l'expédition,  vingt-trois  hommes  instruits, 
qui  furent  chargés  de  s’occuper  uniquement  de  ce  qui  est  relatif  au  progrès  des  sciences.  Les 
deux  vaisseaux  le  Géographe  et  le  naturaliste , commandés,  lo  premier  par  le  capitaine  Baudin, 
le  second  par  lo  capitaine  Hamclin,  partirent  du  Havre  le  19  octobre  1800;  ils  relâchèrent 
à l’Ile  de  France,  oh  restèrent  la  plupart  do  ceux  qui  s’étaient  embarqués  pour  des  recher- 
ches scientifiques. 

Après  avoir  quitté  l’Ile  de  France , les  deux  vaisseaux  allèrent  reconnaître  la  côte  occiden- 
tale de  la  Nouvelle-Hollande,  et  ils  se  rendirent  à Timor,  oü  ils  passèrent  six  semaines.  De  là, 
ils  retournèrent  visiter  la  même  côte , ils  firent  le  tour  de  la  terre  de  Diemen , et  remontant  au 
Nord,  ils  allèrent  au  port  Jackson,  oii  ils  firent  un  séjour  do  cinq  mois.  Ils  reprirent  ensuite 
la  route  de  Timor,  en  passant  par  le  détroit  de  Bass.  De  Timor , ils  revinrent  en  France,  et  ils 
entrèrent  dans  le  port  de  Lorient  le  25  mars  1801. 

Des  cinq  zoologistes  qui  avaient  été  nommés  pour  cette  expédition,  deux  s’étaient  arrêtés  à 
l’ile  de  France.  Les  deux  autres,  Maugé  et  Levillain,  étaient  morts  pendant  le  voyage.  Péron, 
resté  seul,  se  lia  de  la  plus  intime  amitié  avec  AI.  I.esueur,  peintre  d’histoire  naturelle 
et  très -bon  observateur;  ces  deux  hommes  infatigables  vinrent  à bout  de  recueillir,  de 
conserver  cl  de  décrire  une  infinité  d’objets.  On  passa  quinze  jours  à débarquer  la  collection 
ou  port  de  Lorient,  et  elle  fut  aussitôt  envoyée  nu  Muséum.  Pour  en  donner  une  idée , nous 
no  saurions  mieux  faire  que  de  transcrire  ici  quelques  phrases  du  rapport  fait  à l’Institut  par 
M.  Cuvier. 

a Chaque  jour  dévoile  mieux , dit-il  , l’importance  et  l’étendue  do  cctto  collection  do 
zoologie.  Plus  de  cent  mille  échantillons  d’animaux  grands  et  petits,  et  appartenant  à toutes 


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HISTOIRE.  — 1794  - 1815. 


103 


les  classes,  la  composent.  Elle  a déjà  fourni  plusieurs  genres  importants;  et  le  nombre  des 
espèces  nouvelles,  d’après  le  rapport  des  professeurs  du  Muséum,  s’élève  à plus  de  deux  mille 
cinq  ceuts.  » 

« Tout  ce  qu’il  était  possible  do  conserver,  ils  l’ont  rapporté,  soit  dans  l’alcool,  soit 
empaillé  avec  soin,  soit  desséché.  Lorsqu’ils  ont  pu  préparer  des  squelettes,  ils  ne  l'ont  pas 
négligé,  et  celui  du  crocodile  des  Moluques  prouve  jusqu’où  leur  zèle  s’est  étendu  à cet 
égard.  » » 

« Le  même  voyage,  ajoute  Delcuze,  procura  au  Muséum  plusieurs  animaux  vivants,  du 
nombre  desquels  étaient  le  Zèbre  et  le  Gnou,  que  M.  Jansen,  gouverneur  du  Cap,  envoyait  à 
l’impératrice  Joséphine,  et  qu’elle  donna  au  Muséum.  La  collection  de  Botanique  n’était  pas 
moins  importante  que  celle  de  zoologie.  La  végétation  de  la  Nouvelle-Hollande  ne  ressemble 
point  à celle  des  autres  parties  du  globe.  Quelques  plantes  étaient  déjà  connues  pur  les  Anglais 
et  par  le  voyage  de  M.  de  Lubillardière , mais  elles  étaient  en  petit  nombre  auprès  de  celles 
qui  furent  apportées  en  1804.  Il  y avait  plusieurs  caisses  d'arbrisseaux  vivants  qui  se  multi- 
plièrent facilement,  un  très-grand  nombre  de  graines  qui  germèrent,  des  herbiers  très-bien 
conservés,  dans  lesquels  les  trois  quarts  au  moins  des  plantes  étaient  nouvelles,  et  dont 
plusieurs  même  ne  sont  pas  encore  connues,  malgré  les  savantes  recherches  de  M.  Robert 
Brown.  Quelques-unes  ont  été  publiées  dons  les  Annales  du  Muséum.  Ce  qu’il  faut  surtout 
remarquer,  c’est  que  les  plantes  de  la  Nouvelle-Hollande,  depuis  le  port  Jackson  jusqu’au 
détroit  d’Entrecasteaux , ne  sont  point  de  terre  chaude  comme  celles  des  Tropiques;  toutes 
peuvent  passer  l’hiver  en  pleine  terre  dans  les  départements  méridionaux  do  la  France,  et  un 
grand  nombre  ne  craindraient  pas  les  hivers  à Paris.  Aussi  depuis  que  le  Muséum  a reçu  cet 
envoi,  a-t-on  vu  s’introduire  dans  les  jardins  les  Métrosidéros , les  Mélaleuca,  les  Leptos- 
permum,  qui,  par  la  beauté  de  leurs  fleurs,  ont  d'abord  excité  l’admiration.  Les  magnifiques 
Eucalyptus  qui,  dans  leur  pays  natal,  s'élèvent  à 150  pieds,  et  dont  le  tronc  acquiert  7 à 8 pieds 
de  diamètre , commencèrent  à se  multiplier.  On  les  conserve  encore  dans  l’Orangerie  à cause 
de  l’époque  à laquelle  ils  fleurissent.  Mais  en  les  élevant  de  graine , on  parviendra  à changer 
leurs  habitudes,  et  ils  seront  cultivés  dans  nos  parcs.  C’est  du  Muséum  que  de  beaux  individus 
de  tous  ces  arbres  de  la  famille  des  Myrtes  se  sont  répandus  chez  les  pépiniéristes,  et  de  là 
dans  toute  la  France.  » 

Les  herbiers,  autrefois  réunis  assez  confusément  dans  des  pièces  dépendantes  (lu  logement 
du  professeur  de  Botanique,  avaient  été  transportés  dans  une  salle  des  maisons  nouvellement 
acquises,  et  d’abord  confiés  aux  soins  de  Lamarck;  mais  celui-ci,  faute  de  local,  n’était  point 
parvenu  à les  mettre  en  ordre,  et,  devenu  professeur  de  zoologie , le  temps  lui  avait  manqué 
pour  y donner  ses  soins.  Desfontaines  s'y  consacra  avec  zèle,  et  réussit  à classer  toutes  ces 
richesses.  Cette  partie  des  collections  devait  bientôt  s’enrichir  du  magnifique  herbier  des 
plantes  équinoxiales  de  l’Amérique,  recueillies  par  MM.  de  Humboldt,  Ronpland  et  Kunth.  Cet 
herbier  contenait  4,600  espèces,  dont  plus  de  3,000  étaient  inconnues  jusque-là,  et  renfer- 
mait tous  les  échantillons  d'après  lesquels  avaient  été  gravées  les  figures  qui  accompagnent 
leur  grand  ouvrage  sur  l'histoire  des  plantes  équinoxiales.  En  1809,  le  ministre  acheta  la 
collection  des  bois  de  l’Amérique  septentrionale,  recueillie  par  Michaux  le  fils,  ainsi  que 
l’herbier  du  même  pays , et  qui  est  le  type  de  l’ouvrage  d’André  Michaux  père , mort  à Mada- 
gascar, en  1802.  Ou  y joignit  les  beaux  herbiers  de  M.  Martin,  directeur  des  pépinières  de 
Cayenne. 

La  collection  do  minéralogie  s’était  accrue  de  la  série  des  roches  de  Corse  de  M.  Rampasse, 
qui  complétait  celle  de  M.  de  Barrai.  On  y avait  réuni  les  nombreux  échantillons  de  ce  Règne 
qu’en  1808,  M.  Geoffroy-Saint-Hilaire  avait  rapportés  de  Lisbonne,  ainsi  que  les  minéraux 
envoyés  d’Italie  et  d’Allemagne  par  M.  Marcel  de  Serres.  Ces  dernières  acquisitions  avaient 
trouvé  place  dans  les  salles  récemment  ouverte?,  dans  le  prolongement  des  galeries  du  cabinet, 
et  dans  les  constructions  dont  on  les  avait  surmontées  au  second  étage. 


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PRKMlfcRK  PARTIE. 

Mais  la  partie  des  collections  qui  avait  acquis  le  plus  de  développements  était  celle  qui  se 
rapporte  à la  zoologie.  Peu  de  temps  après  la  réorganisation  du  Muséum,  on  avait  présenté  le 
plan  d’une  vaste  Ménagerie,  dans  laquelle  les  animaux  de  toutes  les  classes  et  de  tous  les 
climats  auraient  été  placés  dans  des  conditions  en  rapport  avec  leurs  besoins  et  leurs 
habitudes  ; mais  ce  projet , dans  lequel  on  avait  eu  peu  d’égard  aux  moyens  d’exécution , fut 
abandonné.  En  1802,  l'architecte  Molinos  ayant  présenté  le  plan  d’une  vaste  rotonde  destinée 
à renfermer  les  animaux  féroces,  on  commença  à mettre  ce  projet  à exécution;  mais  on  ne 
tarda  pas  à reconnaître  ses  inconvénients  et  les  travaux  furent  suspendus.  On  les  reprit  en 
181  1 , toutefois  après  avoir  modifié  la  distribution  intérieure,  de  manière  à pouvoir  y loger  les 
grands  herbivores,  comme  les  Éléphants  , les  Chameaux  et  les  fdrafes.  Cette  habitation, 
destinée  à être  chauffés*  pendant  l’hiver,  bien  qu’elle  ne  remplisse  pas  complètement  toutes  les 
conditions  désirables,  ne  laisse  pas  d’être  très-utile  et  de  faire  un  effet  assez  pittoresque  nu 
milieu  des  parcs  dont  elle  est  entourée. 

La  Ménagerie  s’était  augmentée  de  vingt -quatre  animaux  envoyés  par  le  roi  de  Hollande, 
et  de  plusieurs  autres  offerts  par  des  voyageurs  ou  des  négociants  étrangers.  On  étendait 
chaque  année  l’espace  destiné  aux  animaux  vivants.  Les  Cerfs,  les  Daims,  les  Axis,  les 
Bouquetins,  le  Zèbre,  les  Kanguroos,  respiraient  en  liberté,  errnient  dans  des  parcs  charmants 
et  logeaient  dans  des  abris  construits  avec  goût  et  élégance.  Les  Oiseaux  aquatiques  avaient 
des  bassins  ou  des  mares  appropriés  à leurs  instincts;  les  Paons , les  Autruches,  les  Casoars 
avaient  leurs  enclos  réservés  ; les  Faisans  et  les  Oiseaux  de  basse  cour  des  cages  commodes  et 
de  lurges  espaces  : il  ne  manquait  plus  qu’un  logement  convenable  pour  les  Singes  et  une 
volière  : l’avenir  devait  y pourvoir. 

Les  galeries  d’anatomie  comparée  furent  ouvertes  au  public  en  1806.  La  plus  grande  partie 
des  pièces  qui  la  composaient  étaient  l’ouvrage  de  Cuvier.  Ces  galeries  n'offraient  plus 
seulement  une  arido  collection  de  squelettes,  mais  une  série  complète  de  parties  et  d’organes, 
appartenant  à toutqs  les  classes  du  Hègne  animal , et  préparés  avec  le  plus  grand  soin , de 
manière  à servir  à l’étude  et  à ,1a  comparaison.  Ce  travail,  auquel  le  jeune  professeur  s'était 
livré  avec  une  ardeur  et  une  persévérance  extraordinaires , avait  été  pour  lui  l’occasion  d’une 
découverte  qui , fondée  sur  des  études  anatomiques , devait  fournir  des  éléments  de  la  plus 
haute  importance  aux  progrès  de  la  géologie , et  ouvrir  à l’étude  des  révolutions  du  globe  une 
carrière  aussi  immense  qu’imprévue. 

On  avait  beaucoup  fait  pour  la  zoologie,  en  créant  une  Ménagerie  déjà  très-nombreuse,  en 
consacrant  un  vaste  laboratoire  aux  préparations  anatomiques  , en  rassemblant  les  matériaux 
d’une  galerie  d’anatomie  comparée.  Mais  ce  qui  devait  surtout  imprimer  une  marche  nouvelle 
à cette  branche  de  la  science;  c’était  l’organisation  de  son  enseignement.  Cet  enseignement 
était  alors  réparti  entre  plusieurs  cours  : celui  de  Geoffroy-Saint- Hilaire,  qui  s’appliquait  à 
tout  l’ensemble  de  la  science,  celui  d’anatomie  comparée,  dans  lequel  Cuvier  avait  remplacé 
Morlrud,  mais  en  lui  donnant  une  physionomie  toute  nouvelle;  le  cours  de  Lacépède,  relatif 
aux  Reptiles  et  aux  Poissons;  et  celui  de  Lamarck,  qui  comprenait  les  Vers  et  les  Insectes. 
Un  peu  plus  tard,  Ceoffroy-Saint-Hilairc,  chargé  à la  fois  de  son  cours,  de  la  correspondance 
et  du  soin  des  collections,  demanda  qu’on  lui  adjoignît  un  naturaliste  pour  la  surveillance  et 
le  mouvement  «le  la  Ménagerie.  On  désigna  pour  cet  emploi  M.  Frédéric  Cuvier,  frère  du 
professeur,  déjà  connu  dans  lu  seicnce  par  de  bons  travaux  de  zoologie.  .Nous  verrons  bientôt 
tout  ce  qu’un  pareil  concours  d’hommes  de  talents  et  «le  génie  devait  répandre  de  nouvelles 
lumières  sur  cette  branche  importante  des  sciences  naturelles;  mais  il  faut  reprendre  à sa 
source  l’histoire  des  événements  scientifiques  de  cette  période  et  celle  des  savants  qui  la  rem- 
plissent d’une  manière  si  brillante  par  leurs  actes  et  par  leurs  découvertes. 

Étienne  Geoffroy-Saint-Hilairo,  le  créateur  de  l’anatomie  philosophique  en  France,  naquit 
à Étampes  en  1772.  Sa  famille,  originaire  de  Troves,  avait  déjà,  dans  le  siècle  précédent» 
Jfourni  trois  membres  à l’Académie  des  sciences , et  l’un  d’eux  avail  été  professeur  au  Jardin 


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HISTOIRE.  — 1794-  1815.  105 

du  Roi  ( 1).  Son  pore  appartenait  au  barreau,  et  le  jeune  Etienne  semblait  naturellement  des- 
tiné à la  même  carrière.  Son  Alu  en  lion  de  famille  fut  non-seulement  dirigée  par  son  père, 
mais  surtout  par  sou  aïeule  maternelle,  femme  d’un  vrai  mérite,  <|ui  déposa  dans  son  rieur 
le  germe  des  vertus  et  le  goût  du  travail.  Sa  constitution  était  délicate;  il  avait  montré  de 
l'aptitude  et  de  l’intelligence  dans  ses  classes,  et  on  eut  d'abord  la  pensée  de  le  destiner  à 
l’Église.  Son  père,  chargé  de  famille , avait  dans  le  clergé  quelques  amis  puissants,  dont  la 
protection  pouvait  lui  faciliter  les  abords  de  la  carrière  ecclésiastique.  Il  obtint  en  effet  une 
bourse  au  collège  de  Navarre,  puis  un  mince  cauouicat  à Etnmpes,  mais  avec  la  |H*rspective 
d'un  bénéfice  assez  avantageux  dans  le  même  diocèse.  Cependant  le  jeune  homme,  avant 
même  de  quitter  le  collège,  se  sentait  entraîné  par  une  autre  vocation.  A Navarre,  il  avait 
suivi  avec  le  plus  vif  intérêt  les  cours  do  physique  de  Brisson,  et,  en  1790,  au  moment  de  ter- 
miner ses  études,  il  supplia  son  père  de  lui  permettre  de  suivre  les  cours  du  collège  de  France 
et  du  Jardin  des  Plantes.  Son  père  y consentit,  à la  condition  qu’il  entrerait  comme  pension- 
naire en  chambre  au  collège  du  Cardinal-Lemoine , et  qu'il  suivrait  en  même  temps  les  cours 
de  l’École  de  droit.  Geoffroy- Saint-Hilaire  se  résigna  ; avant  la  fin  de  l’année , il  était  déjà 
bachelier,  mais  l’étude  de  la  jurisprudence  ne  répondant  point  à ses  goûts,  il  obtint  la  permis- 
sion de  quitter  la  carrière  du  droit  pour  celle  de  la  médecine.  C’était  lui  ouvrir  la  seule  voie 
qui  convint  réellement  h ses  dispositions,  celle  îles  sciences  naturelles,  à laquelle  il  ne  tarda 
pas  à se  livrer  exclusivement. 

Geoffroy-Saint- Hilaire  trouva  au  Cardinal-Lemoine  l’abbé  Haüy,  régent  émérite  do  seconde, 
physicien  et  minéralogiste  célèbre,  dt’jà  membre  de  l’Académie  depuis  sept  ans.  Bien  qu'au 
réfectoire  ils  ne  dussent  fias  s’asseoir  à la  même  table,  il  y avait  entre  eux  plusieurs  motifs  de 
rapprochement  et  le  jeune  homme  s’enhardit  à l’aborder.  Haüy  avait  fait  ses  études  à Navarre 
et  était  élève  de  Brissou;  leurs  goûts  et  leurs  souvenirs  les  portaient  naturellement  l’un  vers 
l’autre.  Geoffroy-Sainl-Hilaire,  quoique  bien  jeune  encore,  fut  admis  en  tiers  dans  l'intimité 
qui  existait  entre  Haüy  et  le  vénérable  Lhomond.  On  juge  combien  le  jeune  homme  profitait 
à leurs  conversations  savantes,  car  Lhomond  était  botaniste  et  Haüy  s’était  occupé  aussi  de 
zoologie;  mais  la  minéralogie,  la  physique  et  la  chimie  étaient  les  sujets  les  plus  habituels  «Je 
leurs  entretiens.  Geoffroy  s’affermissait  de  plus  en  plus  dans  la  résolution  de  se  livrer  à l’étude 
de  ces  sciences;  il  était  un  des  auditeurs  les  plus  assidus  des  cours  de  Foureroy  et  de  Pau- 
benton.  Présenté  à ce  dernier  par  llaûy,  Dauheiiton  le  prit  on  amitié,  le  fil  travailler  près  de 
lui  et  lui  confia  la  détermination  do  quelques  échantillons  de  la  collection  de  minéralogie. 

A ce  moment,  l'horizon  politique  se  rembrunissait  de  jour  en  jour.  On  était  en  1792,  et  le 
clergé  était  alors  particulièrement  en  butte  a l'animosité  de  la  faction  démagogique.  Haüy, 
qui  se  trouvait  au  nombre  des  prêtres  qui  avaient  refusé  le  serment , venait  d’être  arrêté  avec 
d'autres  ecclésiastiques  du  Cardinal-Lemoine  et  de  Navarre,  et  incarcéré  avec  eux  dans  l’église 
de  Saint-Firmiu , convertie  en  prison  (2) . 

Geoffroy-Sainl-Hilaire , effrayé  du  danger  auquel  est  exposé  son  maître  et  son  aini,  court 
chez  Daubcnton,  chez  les  membres  de  F Académie , chez  les  hommes  influents,  et  grâce  à ses 
démarches,  il  obtient  l’ordre  d'élargissement  du  bon  professeur.  Il  le  lui  apporte  le  11  août, 
à dix  heures  du  soir,  mais  l’illuslre  physicien  ne  peut  se  décider  à quitter  encore  ses  amis;  il 
veut  passer  la  nuit  auprès  d’eux , et  le  lendemain , jour  de  fête,  il  veut,  dans  la  prison  même, 
remercier  Dieu  do  sa  délivrance.  Enfin,  le  15,  ce  n’est  qu’à  force  de  sollicitations  que 
Gooffroy-Saint-Hilaire  parvient  ù l’entraîner  et  à le  sauver,  car  on  était  à la  veille  des  événe- 
ments de  septembre.  Mais  Geoffroy  n’avait  pas  terminé  su  tâche;  d’autres  professeurs  de 


;l)  Voyez  pages  19  cl  20. 

(->  Le*  habitations  ont  aussi  leurs  destinée*  : Sainl-Firmin  fut  «l'a boni  mi  collège;  en  1021.  il  devint  le  cou- 
vent île  la  Mission;  plus  taré,  cm  le  convertit  en  séminaire  ; il  servit  de  prisou  pendant  la  terreur,  puis  on  y 
établit  F nstitut'on  des  Jeune.  Aveugles;  aujourd’hui  c'est  une  caserne. 

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loti  PREMIERE  PARTIE.» 

Navarre  et  du  Cardinal-Lemoine  étaient  restés  sous  les  verrous.  Il  entreprend  de  nouvelles 
démarches,  mais  en  vain  ; cependant  les  circonstances  deviennent  de  plus  en  plus  graves  : des 
menaces  sinistres  lancées  contre  les  prisonniers  le  décident  ; il  ne  prend  plus  conseil  que  de 
son  courage  et  de  son  dévouement  (I). 

a Un  plan  d'évasion  s’était  présenté  à son  esprit;  il  fait  aussitôt  ses  préparatifs.  A la  faveur 
des  relations  qui  naissent  du  voisinage,  il  avait  déjà  réussi  à gagner  l’un  des  employés  de 
Saint-Firmin.  Le  1rr  septembre,  par  l'entremise  de  son  barbier,  il  parvient  à se  procurer  la 
carte  et  les  insignes  «l'un  commissaire  des  prisons.  Retiré  dans  sa  chambre , dont  la  fenêtre 
avait  jour  sur  Saint-Firmin,  il  attend,  plein  d’anxiété,  le  moment  favorable.  Le  2 septembre, 
à deux  heures,  au  moment  oii  le  tocsin  sonne,  oii  le  désordre  est  partout,  il  revêt  ses  faux 
insignes,  il  se  présente  à la  prison,  il  y |>énè!ro,  et  hientét  ses  maîtres  connaissent  les  moyens 
d’évasion  qu'il  a préparés.  « Tout  e>t  prévu,  leur  dit-il,  et  vous  n'avez  qu’à  me  suivre.  » Tout 
avait  été  prévu  en  effet,  tout , sinon  le  dévouement  sublime  de  ces  vénérables  prêtres.  « Non, 
répond  l’un  d'eux,  l'abbé  «le  kérauran,  proviseur  de  Navarre,  non,  nous  ne  quitterons  pas  nos 
frères;  notre  délivrance  rendrait  leur  perte  plus  certaine!  » 

« Les  supplications  de  (îeoffroy-Saint-Hilaire  ne  purent  vaincre  leur  résolution.  Il  sortit, 
plein  de  regrets,  suivi  d’un  seul  ecclésiastique,  qu'il  ne  connaissait  pas.  » 

« Dans  la  mémo  journée,  le  massacre,  qui , vers  trois  heures,  avait  commencé  aux  Carmes 
et  à l’Abbaye,  devint  général.  De  sa  fenêtre,  Geoffrov-Saint-Hilaire  vit  frapp«»r  plusieurs  vic- 
times; il  vit,  et  cet  horrible  spectacle  lui  est  toujours  resté  présent,  il  vit  pnripiter  d’uu 
second  étage  un  vieillard  «pii  n'avait  pas  répondu  à l’appel , soit  qu’il  eût  voulu  se  cacher, 
soit  peut-être  qu’il  fût  sourd. 

« Kt  pourtant,  il  restait  à sa  fenêtre,  ne  pouvant  détacher  son  esprit  de  la  pensée  «l’être 
utile  aux  ecclésiastiques  «h?  Navarre  et  du  Cardiual-Lemoine , et  toujours  prêt  à saisir  les 
chances  favorables  qui  pourraient  naître  des  circonstances.  Il  attendit  en  vain  toute  la  soirée; 
mais,  dès  que  la  nuit  fut  venue,  il  se  rendit  avec  une  échelle  à Saint-Firuiin,  à un  angle  de 
mur  qu’il  avait  le  matin  même,  afin  de  tout  prévoir,  indûjué  à l’abbé  de  kérauran  et  a ses 
compagnons.  Il  passa  plus  «le  huit  heures  sur  le  mur,  sans  «jue  personne  se  montrât.  Enfin, 
un  prêtre  parut,  et  fut  bientôt  hors  «le  la  fatale  enceinte;  plusieurs  autres  lui  succédèrent; 
l'un  d’eux,  en  franchissant  le  mur  avec  trop  de  précipitation,  fit  une  chute  et  se  blessa  le  pied. 
(Ieoffroy-Saint-Hilaire  le  prit  dans  ses  bras,  et  le  porta  dans  un  chantier  v«iisin.  Puis,  il  courut 
de  nouveau  au  poste  que  son  dévouement  lui  avait  assigné  , et  «1’autres  ecclésiastiques 
s’échappèrent  encore.  Douze  victimes  avaient  été  ainsi  arrachées  à la  mort , lorsqu'un  coup 
de  fusil  fut  tiré  du  jardin  sur  Gcoffrny-Saint-Hilaire  et  atteignit  ses  vêlements.  Il  était  alors 
sur  le  haut  du  mur,  et,  tout  entier  à ses  généreuses  préoccupations,  il  ne  s'apercevait  pas  que 
le  soleil  était  levé. 

» Il  lui  fallut  «loue  «lescendre  et  rentrer  chez  lui,  à la  fois  heureux  et  désespéré.  Il  venait  do 
sauver  douze  vénérables  prêtres  ; mais  il  ne  devait  plus  revoir  ses  chers  maîtres  de  Navarre  : 
au  pieux  rendez-vous  convenu  entre  le  lilw-raleur  et  les  victimes , le  libérateur  seul  s’était 
rendu!  » 

Épuisé  par  de  telles  émotions,  Geoffrny-Saint-ililniro  se  relira  dans  sa  famille  el  y tomba 
malade.  Inc  fièvre  nerveuse  mit  quelque  temps  ses  jours  eu  danger,  mais  sa  jeunesse 
triompha,  et,  au  commencement  «le  l'hiver  de  17U2,  il  vint  à Paris  pour  reprendre  ses  tra- 
vaux. On  comprend  avec  quelle  effusion  il  fut  reçu  par  Haüy,  par  Lhomond,  et  même  par 
Daubenton  à qui  Haiiy  l’avait  signalé  et  recominan«lé  comme  son  sauveur.  Jamais  recom- 
mandation ne  Int  mieux  accueillie  : Daubenton , qui  déjà  l'avait  apprécié , sembla  l'adopter 


(I)  Non*  devons  fis  details,  ainsi  que  lis  principaux  traits  de  cette  biographie,  au  bel  ouvrage  publié  par 
M.  ls:ilore  iieolTroy-Saml-Hilaire,  sur  la  vie,  les  travaux  et  la  doctrine  scientifique  île  son  illustre  père.  Nous 
ne  pouvions  les  puiser  à une  source  tiliis  exacte  et  surtout  plus  résiliable. 


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HISTOIHE.  — 1794-  181  :».  197 

comme  un  fils , el  il  saisi!  avec  empressement  la  première  occasion  «jui  s’offrit  de  lui  ouvrir 
les  portes  du  Jardin  des  Plantes. 

Nous  ne  résistons  point  nu  désir  île  reproduire  ici  un  fragment  d’une  lettre  écrite  à Geoffroy- 
Saint-llilairc,  à l’occasion  de  sa  maladie,  par  l'excellent  Haiiy  : « Le  rétablissement  de  votre 
santé,  lui  disait-il,  exige  que  vous  écartiez  toute  occupation  sérieuse.  Laisscz-là  les  problèmes 
sur  les  cristaux  et  tous  ces  rhomboïdes  et  dodécaèdres  , hérissés  d’angles  et  de  formules  algé- 
briques ; attachez-vous  aux  plantes  qui  so  présentent  sous  un  air  bien  plus  gracieux , et 
parlent  un  langage  plu^intelligible.  tii  cours  de  Botanique  est  de  l’hygiène  toute  pure;  oii  n’a 
pas  besoin  do  prendre  les  plantes  en  décoction  ; il  suffit  d’aller  les  cueillir  pour  les  trouver 
salutaires.  Nous  reprendrons  l’étude  des  Minéraux,  lorsqu’elle  sera  plus  de  saison.  Je  suis 
toujours  fort  tranquille  ici  ; j’ai  assisté  ces  jours  derniers  à la  revue  de  notre  bataillon,  mais 
sans  pique  ni  fusil  ; j'ai  seulement  répondu  à l’appel,  après  quoi  l’on  m’a  permis  do  me  retirer; 
cette  démarche  m’a  procuré  beaucoup  d’accueil  de  la  part  des  principaux  membres  de  la 
section;  tous  les  absents  ont  été  notés;  j’ai  cru  devoir  éviter  cette  petite  disgrâce,  et  je  me 
conformerai  toujours  au  principe,  que  tout  ce  qu’on  peut  faire,  on  le  doit.  » 

Lacépède  s’était  vu  obligé,  par  divers  motifs,  de  se  retirer  à la  campagne  et  de  résigner  ses 
fonctions  de  démonstrateur  au  Cabinet  d’histoire  naturelle.  Dauhcnton  proposa  à Bernardin 
de  Saint-Pierre  de  nommer  Geoffroy-Saint-Hilaire  à la  place  devenue  vacante.  La  proposition 
fut  agréée  ; mais , au  mémo  instant,  l’établissement  lui-même  était  menacé  dans  son  existence. 
On  a vu  ailleurs  comment  le  coup  fut  détourné  par  le  dévouement  de  Lakanal.  La  nouvello 
organisation  éleva  tout  à coup  le  sous-démonstrateur  «lu  Cabinet  au  rang  de  professeur  titu- 
laire au  Muséum.  Ce  ne  fut  pas  Néanmoins  sans  quelque  opposition  : Fourcroy,  alors  nombre 
influent  du  comité  d’instruction  publique,  blâma  avec  violence  la  nomination  d'un  professeur 
encore  iiu'onnu  et  à peine  Agé  de  21  ans.  La  fermeté  de  Daubenton,  secondée  par  les  instances 
de  Haiiy  et  par  l’autorité  de  Lakanal,  maintint  G«.4offr<»y-Sainl-llilaire  dans  la  possession  de 
remploi.  L’ne  autre  difficulté  vint  de  (îeoffroy  lui-mème  qui,  eu  effet , se  trouvait  bien  jeune, 
et  peut-être  un  pou  déplacé  pour  une  chaire  «le  zoologie,  science  que  jusque-là  il  avait  peu 
étudiée;  mais  Daubenton  s’opposa  énergi«|ueinent  au  refus  que  lui  dictait  su  modestie  : « J’ai 
sur  vous  l’autorité  d’un  père,  lui  «lit-il,  et  je  prends  sur  moi  la  responsabilité  de  l’événement.» 
(ieoffroy-Saint-Hilairo  céda;  toutefois,  un  autre  scrupule  s’éleva  daus  son  esprit  : la  chaire 
appartenait  «le  droit  a Lacépède,  que  des  causes  indépendantes  de  sa  volonté  avaient  éloigné 
«le  Paris.  Il  écrivit  donc  à Lacépède  pour  lui  offrir  cette  chaire  ; Lacépède  refusa  avec  délica- 
tesse, et  dans  des  termes  tels  que  le  jeune  professeur  dut  se  résigner  à prendre  pla«*e  au  milieu 
de  ses  maîtres. 

Tout  était  à créer  dans  renseignement  qui  lui  était  destiné.  La  collection  zoologi«|ue , com- 
mencée sous  Buffon,  ne  s’était  développée  qu’avec  lenteur.  Les  squelettes  de  Dautienlon  avaient 
été  longtemps  relégués  dans  les  combles  du  Cabinet,  « où,  selon  une  expression  «fe  Cuvier, 
ils  gisaient  entassés  comme  des  fagots.  » Les  salles  d’anatomie  comparw?  étaient  surtout  fort 
incomplètes.  Geoffroy-Saint-llilahe  n’avait  aucun  antécédent  pour  le  cours  qu’il  allait  entre- 
prendre : ni  leçons,  ni  méthode,  ni  matériaux,  ni  auditoire;  il  n’avait  pas  à suivre,  mais  à 
«lonner  l’exemple.  Lamarck  se  trouvait  dans  la  même  situation.  Des  deux  cours  de  zoologie, 
l’un  était  confié  à un  botaniste,  et  l’autre  à un  minéralogiste  de  21  ans. 

Geoffr«>y-Saint-llilaire  commença  néanmoins,  dès  son  entrée  en  fonctions , à former  les 
collections  «jui  devaient  servir  «le  base  à son  enseignement  ; il  enrichit  surtout  do  ses  propres 
travaux  la  collection  dos  Mammifères  et  d«vs  Oiseaux.  Son  cours  fut  ouvert  au  mois  «le  mai 
1794,  et,  dès  la  fin  delà  même  année,  il  publiait  sou  premier  travail  zoologique,  sur  VAye-Aye. 
Mais  déjà  il  avait  rendu  à la  science  un  éminent  service , en  créant  presque  inopinément  la 
Ménagerie.  On  a vu  que  la  première  pensée  de  cet  établissement , que  Buffon  avait  appelé  «le 
ses  vœux,  sans  oser  en  faire  la  proposition  formelle,  avait  été  énoucéc,  avec  l’autorité  de  la 
raison  et  de  l’éloquence,  par  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Après  le  10  août,  la  Ménagerie  do 


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108 


PRKMlfcllK  PARTIR. 

Versailles  ayant  été  dévastée , il  avait  réclamé  le  petit  nombre  d'animaux  <|ui  avaient  échappé 
ail  massacre,  au  nom  du  Jardin  des  Plantes,  mais  on  n'avait  pu  donner  suite  à cette  demande 
pour  divers  motifs.  Les  professeurs,  dans  leur  projet  de  règlement,  insistèrent  à leur  tour  sur 
le  meme  sujet,  du  moins  comme  une  vue  d’avenir;  une  circonstance  fortuite,  et  dont  il 
sera  parlé  plus  au  long  lors  de  la  description  du  Muséum  dans  la  seconde  partie  de  cet 
ouvrage,  saisie  avec  habileté  par  (ieoffroy-Saint-Hilaire,  amena  subitement  la  réalisation  de 
l'Institution  de  1a  Ménagerie. 

Le  décret  qui  fut  rendu  à ce  sujet,  sur  la  proposition  de  Lakaual,  protecteur  ardent  et 
dévoué  de  rétablissement , porte  la  même  date  que  celui  qui  rétablissait  au  Muséum  la  chaire 
d’histoire  des  Reptiles  et  des  Poissons  en  faveur  de  Lacépèdc  : 1 1 décembre  179-L 

Cette  même  aimée  est  aussi  celle  des  premières  relations  de  Ccnffroy-Sainl-llilaire  avec 
Cuvier  « qui  devait  être,  tour  à tour,  le  plus  cher  de  ses  amis,  le  plus  illustre  de  ses  collègues 
au  Muséum,  et  le  plus  puissant  de  ses  adversaires  scientifiques.  L’agronome  Tessier,  ancien 
membre  de  l’Académie  des  sciences  et  ami  de  la  famille  Ceoffroy,  s’était  retiré  en  Normandie 
pour  fuir  la  persécution,  et  exerçait  à l’hépital  de  Fécamp  les  fonctions  de  médeciu  en  chef. 
Il  y lit  la  connaissance  d'un  jeune  homme,  habitant  d'un  château  voisin,  où  il  faisait  l'éduca- 
tion du  (ils  d’un  gentilhomme  protestant,  M.  d’Iléney.  Tessier,  avant  la  révolution,  avait  ou 
le  bonheur  de  révéler  au  monde  savant  un  homme  devenu  depuis  justement  célèbre , l’astro- 
nome Delanibre.  Dès  ses  premiers  rapports  avec  le  jeune  précepteur,  qui  lui  communiqua 
quelques  travaux  d'histoire  naturelle,  Tessier  comprit , suivant  ses  expressions,  « qu'il  venait 
encore  d'avoir  la  main  heureuse.  » Il  annonçait  h ses  amis  qu'il  venait  de  faire  « la  meilleure 
de  ses  découvertes,  » et  leur  demandait  d’ouvrir  la  carrière  des  sciences  à un  autre  Delambre. 
Ceoffroy,  après  avoir  aussi  parcouru  les  Mémoires  du  jeune  protégé  de  Tessier,  se  prit  pour 
l’auteur  d’une  estime  mêlée  d'enthousiasme , et  dans  son  admirution  déjà  affectueuse,  il  lui 
écrivait  : » Venez,  Monsieur,  venez  jouer  parmi  nous  le  rôle  do  Linné,  d'un  autre  législateur 
de  l'Histoire  naturelle.  » Cuvier  vint  en  effet,  au  commencement  de  1795  , passer  quelques 
mois  à Paris  avec  son  élève. 


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HISTOIRE.  — 1701-1815.  Iü9 

Gooffroy-SainUiilaire  l’accueillit  avec  empressement,  et  une  vivo  amitié  ne  tarda  pas  à 
s’établir  entre  eux.  « Même  amour  de  l'étude,  même  élan  de  la  jeunesse  vers  tout  ce  qui  est 
noble  et  beau , même  désir  de  servir  la  science  et  leur  pays.  » Aussi , dès  le  premier  moment , 
ils  vécurent  en  frères  : les  amis,  l’habitation,  les  moyens  d’étude,  tout  devint  commun,  et 
ils  s’associèrent  pour  composer  ensemble  un  premier  ouvrage.  Peu  de  temps  après.  Cuvier, 
nommé  suppléant  du  cours  d’anatomie  comparée , se  décidait  à rester  à Paris. 

Nous  dirons  ailleurs  quels  succès  attendaient  ce  jeune  et  brillant  naturaliste , quelles  idées 
le  rapprochèrent  et  l'éloignèrent  tour  à tour  de  la  ligne  suivie  par  son  savant  émule.  Hâtons- 
nous  de  constater  ici  que,  quelle  qu’ait  été  la  dissidence  de  leurs  opinions  scientifiques,  le 
souvenir  de  leur  première  amitié  prévalut  toujours  et  no  s’effaça  jamais  de  leur  cœur,  «<  Je 
crois , a dit  (îooffroy-Saint-Hiluire  , dans  l'un  de  ses  derniers  écrits , que  l’on  devra  dire  un 
jour  de  moi  que  j’ai  rendu  à la  société  deux  services  éminents.  »>  L’un  de  ces  services,  il  le 
place  dans  ses  travaux  de  philosophie  naturelle;  l’autre,  qu'il  semble  mettre  sur  la  même 
ligne,  « c’est,  dit-il,  d’avoir  appelé  à Paris  et  d'avoir  introduit  chez  les  naturalistes  le  célèbre 
Georges  Cuvier.  » 

Pendant  la  même  année,  les  «Jeux  amis  publièrent  en  commun  cinq  Mémoires,  presque  tous 
relatifs  à la  classe  des  Mammifères.  C’est  là  qu’à  l’occasion  de  certains  phénomènes  physiolo- 
giques, de  la  détermination  de  quelques  espèces , et  de  l’établissement  de  divers  genres  nou- 
veaux , se  trouvent  déposés  les  germes  des  vues  générales  qui  dominent  aujourd’hui  tout 
l’édifice  des  sciences  zoologiques.  L’année  suivante,  Geoffroy- Saint- Hilaire  publia  seul  un 
Mémoire  sur  les  Makis,  où  s'établit,  pour  la  première  fois,  ce  principe  au  développement 
duquel  il  «levait  consacrer  toute  sa  vie  : « l’unité  de  composition  organique.  » On  y trouve 
également  l'idée-mére  de  l’anatomie  philosophique,  formulée  dans  les  termes  suivants  : « La 
Nature  a formé  tous  les  êtres  vivants  sur  un  plan  unique,  essentiellement  le  même  dans  son 
principe,  mais  varié  de  mille  manières  dans  toutes  ses  parties  accessoires.  « 

Au  commencement  de  1798,  Berthnllet  vint  proposer  à Gcoffroy-Saint-Hilaire  de  prendre 
part  à une  expédition  lointaine  et  encore  secréte,  dans  laquelle  la  science  «levait  jouer  un 
certain  rôle.  ««  Venez,  lui  avait-il  dit,  Monge  et  moi  serons  vos  compagnons,  et  Bonaparte’ 
sera  notre  général.  »>  Geoffroy-Saint-Hiloire  n'hésita  point;  il  accepta  sans  savoir  dans  quels 
climats  allait  l’entraîner  sa  destinée  aventureuse.  Le  choix  seul  des  matériaux  scientifiques 
que  l’on  emportait  semblait  indiquer  pour  but  l’exploration  de  l’Égypte  ou  de  la  Syrie. 

Le  19  mai  1798,  sortit  de  la  rade  «le  Toulon  la  grande  escadre  commandée  par  l'amiral 
Brueys.  Elle  portait  trente-six  mille  soldats,  dix  mille  marins  et  un  nombre  considérable  de 
gens  de  lettres,  d’artistes  et  de  savants,  parmi  lesquels  on  comptait  Monge , Fourier , Malus, 
Berthollet,  Dolomieu , Cordier,  Geoffroy-Saint-llilaire,  Jomard,  Larrey,  et  une  foule  d’autres 
«Jéjà  illustres  ou  prêts  à le  devenir.  Geoffroy  monta  avec  son  frère,  officier  du  génie,  sur  la 
frégate  V Alceste  ; peu  de  jours  après,  on  so  présentait  devant  Malte,  cl  la  ville  imprenable 
tombait  au  pouvoir  des  Français.  V la  fin  de  juin,  on  débarquait  sur  la  plage  d’Égypte,  et  le 
lendemain  on  s’emparait  d’Alexandrie. 

Geoffroy-Suinl-llilaire  commença  aussitôt  ses  recherches  de  zoologie  et  d'anatômie  com- 
parée. il  fut  l’un  des  sept  chargés  par  Bonaparte  «le  former  l’Institut  d’Égypte,  établi  ou  Caire. 
Pendant  un  an,  il  se  livra  avec  anieur  à ses  explorations  et  à ses  travaux  : année  d’enclianle- 
mcnl  pour  un  jeune  homme  enthousiaste  de  la  science  et  de  la  nature.  « Après  une  excursion 
dans  le  désert,  un  voyage  sur  le  Nil,  une  visite  aux  Pyramides,  il  se  retrouvait  tout  a coup 
au  milieu  de  la  civilisation  do  son  pays,  parmi  des  collègues  dont  la  plupart  étaient  devenus 
ses  amis  ; il  pouvait  communiquer  à un  Institut  français  les  fruits  d’une  exploration  terminée 
la  veille  sur  les  ruines  d'Héliopolis  ou  «le  Meraplus;  et  si,  le  soir,  il  voulait  prendre  du  repos, 
il  retrouvait  l'élite  «les  officiers,  des  savants,  des  littérateurs,  des  artistes,  réunie  chez  le  général 
cil  chef,  dans  un  cercle  <|ue  Paris  lui-même  eût  envié  au  Caire.  » 

Gcoffroy-Baiiil-Hilaire  fit  successivement  avec  Savigny,  Mcchain  et  plusieurs  autres  mem- 


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1 10  PREMIERE  PARTIE. 

bres  de  la  commission,  trois  voyages  dans  le  Delta,  dans  la  Haute- Egypte,  jusque  par-delà 
les  cataractes  et  à lu  mer  Rouge;  il  eu  rapporta  d’immenses  et  curieuses  collections  de  toute 
nature,  car  il  se  montrait  partout  géologue,  zoologiste,  archéologue,  ethnographe.  Ou  connaît 
le  triste  dénomment  de  cette  célèbre  expédition,  les  désastres  qui  raccompagnèrent  et  les  nom- 
breuses péripéties  qui  retinrent  si  longtemps  la  flotte  et  la  commission  scientifique,  tantôt  au 
Caire,  tantôt  à \lexandric,  livrées  tour  à tour  à In  peste,  à la  famine,  à la  trahison,  à toutes 
les  horreurs  d’un  siège  prolongé.  C’est  pendant  le  blocus  d’ Aloxandrio  que  Gooffroy-Saint- 
liiluire  étudia  les  Poissons  de  la  Méditerranée,  qu’il  fit  ses  belles  expériences  sur  la  Torpille, 
sur  le  Malaplérure,  et  qu’il  écrivit  son  Mémoire  sur  l'anatomie  comparée  des  organes  élec- 
triques. 

Enfin  , une  capitulation  est  consentie;  nos  savants  vont  être  libres,  mais  on  leur  annonce 
que  leurs  richesses  scientifiques  resteront  au  pouvoir  des  Anglais.  Les  protestations  sont 
unanimes  et  énergiques.  Entraîné  par  elles,  honteux  de  facto  qu’il  avait  signé,  Menou  fit 
entendre  quelques  représentations,  mais  llutchinson  insista.  Geoffroy-Saint-Hilaire  et  scs 
collègues  Saviguy  et  Delillc  se  rendirent  aussitôt  au  camp  anglais  ; ils  établirent  que  nul 
n’avait  le  droit  de  leur  ravir  des  collections,  fruits  do  leurs  travaux  particuliers.  Ils  ajoutèrent 
qu’eux  seuls  possédaient  la  clef  de  leurs  dessins,  de  leurs  plans,  de  leurs  notes,  et  que  ce 
serait  en  priver  non  pas  la  France  seulement,  mais  la  science  et  le  monde  entier.  Le  général 
fut  inflexible.  Ce  fut  alors,  dit  l'historien  do  l’ex)>édilion  d’Égypte,  que,  par  un  élan  courageux, 
par  une  inspiration  énergique,  Geoffroy-Saint- Hilaire  sauva  une  partie  que  tout  le  monde 
considérait  comme  perdue.  « Non,  s’écria-t-il . nous  n’obéirons  pas!  Votre  armée  n’entre  que 
dans  deux  jours  dans  la  place.  Eh  bien  ! d'iei-là,  le  sacrifice  sera  consommé.  Nous  brûlerons 
nous-mêmes  nos  richesses.  Vous  disposerez  ensuite  de  nos  personnes  comme  bon  vous  sem- 
blera. — C’est  à de  la  célébrité  que  vous  visez.  Eh  bien  ! comptez  sur  les  souvenirs  de  l’his- 
toire : vous  aurez  aussi  brûlé  une  bibliothèque  à Alexandrie!  » L'effet  produit  par  ces  paroles 
fut  magique,  le  général  no  vit  plus  devant  lui  que  la  réprobation  qui  pèse  encore,  après  douze 
siècles,  sur  la  mémoire  d’Omar,  et  l’article  H»  de  la  capitulation  fut  annulé. 

Jusque-là  l’existence  de  Geoffroy- Saint-Hilaire,  bien  que  vouée  aux  travaux  scientifiques, 
avait  été  également  remplie  d’événements  , d’agitations  et  de  périls , au  milieu  desquels 
l'homme  et  le  citoyen  se  montrent  sans  cesse  à côté  du  savant.  Ce  ne  fut  qu’en  janvier  1802 
qu’il  revit  le  Muséum , sa  famille  et  ses  amis.  Ses  collections  avaient  beaucoup  souffert, 
mais  elles  contenaient  encore  d’immenses  richesses.  Dans  te  rapport  qui  fut  fait  à ce  sujet 
par  Lacépède,  Cuvier  et  Lamarck,  les  commissaires  déclaraient  que  leur  collègue  avait 
dépassé  toutes  les  espérances  que  l’on  pouvait  fonder  sur  son  zèle.  Arrivés  à la  partie  archéo- 
logique des  collections , ils  ajoutèrent  : u On  ne  peut  maîtriser  les  élans  de  sou  imagination  , 
lorsqu'on  voit  encore,  conservé  avec  ses  moindres  os,  ses  moindres  poils,  et  parfaitement 
reconnaissable,  tel  animal  qui  avait,  il  y a deux  ou  trois  mille  ans,  dans  Thèbes  ou  dans 
Memphis , des  prêtres  et  des  autels  ! » 

Geoffroy  s’empressa  aussitôt  de  mettre  en  ordre  toutes  ses  richesses,  et  commença  a les 
décrire.  De  1803  à 1806,  datent  ses  plus  nombreux  travaux  de  zoologie  et  d’anatomie  com- 
parée. Il  lira  de  tous  ces  matériaux  les  éléments  de  plusieurs  Mémoires  sur  la  Faune  d’Egypte, 
sur  le  polyptère,  sur  les  Poissons  électriques,  le  Crocodile,  l’appareil  respiratoire  surnuméraire 
de  rHétérobranche,  et  diverses  monographies  remarquables  par  leur  exactitude,  dans  lesquelles 
il  exposa  et  développa  les  nouvelles  théories  qui  le  préoccupaient.  A la  même  époque , il  tra- 
vaillait au  Catalogue  des  Mammifères  du  Muséum,  oit  il  commençait  à modifier  la  classifica- 
tion du  Mémoire  de  1795,  qui  lui  était  commun  avec  Cuvier.  Déjà  il  avait  été  frappé  de  cette 
idée  qu’il  entre  inévitablement  de  l’arbitraire  dans  une  méthode;  qu’uni?  classification  est  tou- 
jours imparfaite  cl  que  la  vraie  science  doit  être  cherchée  plus  loin  et  plus  haut;  que  les  faits 
ne  sont  pas  lés  seuls  éléments  de  noire  savoir,  et  que  l’observation  n’est  pas  la  source  unique 
de  nos  connaissances  en  histoire  naturelle. 


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HISTOIRE.  — 1794-1815.  III 

\ partir  <lo  IXOfl,  Geoffroy-Saint-Hilaire  s’attacha  à approfondir  cetto  pensée,  ainsi  c|uo  les 
grands  principes  sur  lesquels  il  voulait  fonder  une  nouvelle  école  zonlogique  : l'unité  de  com- 
position, le  balancement  des  organes,  la  théorie  des  analogues,  le  principe  des  connexions,  etc. 
Quelques-unes  de  ces  idées  n’étaient  pas  entièrement  nouvelles  : lîuffon.  Camper,  Vicq-d’Azyr 
et  d’autres  les  avaient  vaguement  énoncées,  Geoffroy  lui-même  en  avait  nosé  les  germes  dans 
ses  premiers  Mémoires.  I,e  moment  était  venu  de  leur  donner  plus  de  consistance  et  de  les 
établir  d’une  manière  nette  et  précise,  de  les  élever,  en  un  mot,  A la  bailleur  d’une  science. 
Tel  est  le  point  de  départ  de  In  scission  qui  allait  surgir  entre  lui  et  Cuvier,  l’origine  de  la  lutte 
mémorable  qui  devait  diviser  si  longtemps  les  deux  plus  grands  naturalistes  dont  s’honorait 
alors  la  France.  Ln  nouvel  iucidciit  devait  encore  la  suspendre  et  mettre  nu  temps  d’arrêt 
dans  les  travaux  sur  lesquels  (iwITroy-Saini -Hilaire  voulait  s'appuyer  lui-même  pour  la 
soutenir. 

Eu  1X08.  Napoléon,  maître  du  Portugal,  résolut  d'v  envoyer  un  naturaliste  pour  reconnaître 
les  matériaux  scientifiques  que  l’on  pourrait  tirer  de  celle  source.  Cette  mission  fut  donnée  à 
Geoffroy-Saint-Hilaire,  A qui  l'on  adjoignit  Delnlnnde,  jeune  préparateur  du  Muséum,  plein  de 
savoir  et  de  dévouement,  qui  depuis  fut  l’intrépide  explorateur  de  l’Afrique,  et  mourut  martyr 
de  son  rèle  pour  la  science.  Geoffroy  devait  visiter  toutes  les  collections,  les  Musées,  les 
bibliothèques,  et  choisir  tous  les  objets  qui  pourraient  être  utilement  transportés  A Paris.  Il 
avait  reçu  A cet  égard  des  pouvoirs  illimités  ; mais,  dès  le  principe,  il  se  posa  A lui-même  pour 
règle  de  conduite  cette  maxime  : que  les  sciences  ne  sont  jamais  en  guerre.  Il  voulut  que  sa 
mission,  pour  être  utile  A lu  France,  le  fût  aussi  au  Portugal,  et,  avant  de  partir,  il  fit  préparer 
plusieurs  caisses  remplies  d’objets  destinés  à remplacer,  dans  les  collections  portugaises , les 
productions  du  Brésil,  alors  si  rares  ou  France  et  très-abondantes  dans  le  pays  qu’il  allait 
visiter. 

l'arli  de  Bayonne  au  mois  de  mars,  il  entra  en  Espagne  sous  île  funestes  auspices  : une 
crise  violente  allait  y éclater.  Les  deux  naturalistes  se  rendaient  paisiblement  de  Madrid  A la 
frontière  portugaise,  quand  ils  se  virent  enveloppés  par  l’insurrection.  Arrêtés  aux  portes  de 
Mérida , leur  escorte  eut  peine  A les  protéger  contre  la  fureur  du  peuple,  qui  voulait  assouvir 
sur  deux  hommes  inoffensifs  leur  haine  contre  les  Français.  Ou  les  mil  en  prison  ; la  populace 
voulut  en  enfoncer  les  portes  et  y mettre  le  feu.  Plusieurs  jours  se  passèrent  dans  cette  liori- 
rible  angoisse.  'Tout  à coup,  au  milieu  de  cette  crise  terrible,  un  rayon  d’espoir  arrive  jusqu’A 
eux  : un  léger  service  allait  être  payé  par  un  bienfait. 

Quelques  jours  auparavant,  une  voilure  dans  laquelle  se  trouvait  uno  dame  espagnole 
versait  sur  la  route  que  parcouraient  les  deux  voyageurs;  la  dame  était  légèrement  blessée; 
ils  s'empressent  de  lui  offrir  leurs  soins,  lui  font  accepter  leur  propre  voiture,  l’accompagnent 
jusqu’A  la  ville  voisine  et  ne  la  quittent  qu’après  s’être  assurés  que  leur  secours  lui  devient 
inulile.  G'élait  une  dame  de  Mérida  , femme  d'un  officier  supérieur,  et  nièce  du  comte  de 
Torrefresno,  gouverneur  de  l'Estramadure.  L’arrestation  des  deux  Français,  les  tentatives 
violentes  du  peuple  contre  eux  , le  danger  qu’ils  courent  sont  les  premières  nouvelles 
qu'elle  apprend  A son  arrivée  à Mérida.  Dans  la  nuit  du  II  au  12,  par  l'autorité  du  gouver- 
neur, les  portes  de  la  prison  s'ouvrent  pour  eux;  leur  voiture  leur  est  rendue,  une  escorte 
les  accompagne , et , le  1 3 , ils  sont  A Elvas , première  ville  de  Portugal , alors  occupée  par  les 
Français. 

Geoffroy-Saint-Hilaire,  accueilli  A bras  ouverts  par  Junnt,  son  ancien  compagnon  d’Egypte, 
se  mit  en  devoir  d’accomplir  sa  mission.  Les  musées  et  les  bibliothèques  s'ouvrirent  devant 
lui,  mais  il  déclara  qu'il  ne  s’y  présentait  que  comme  visiteur  et  pour  ses  propres  étuoes  ; qu’il 
recevrait  des  dons,  qu'il  ferait  des  échanges,  et  qu’il  ne  voulait  rien  obtenir  que  par  la  conci- 
liation , jamais  par  la  violence,  l ue  telle  conduite  lui  conquit  aussitôt  l’estime  et  la  confiance 
des  dépositaires  de  ces  trésors.  Ce  qu'on  lui  eût  caché,  on  le  lui  montra,  on  le  lui  offrit.  Il  lit 
une  ample  moisson  d'objets  précieux,  n’emportant  quelles  doubles  inutiles,  après  avoir  mis 


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112 


PREMIERE  PARTIR. 

en  ordre,  déterminé  les  échantillons  qu'il  laissait,  et  remplacé  ceux  qu’il  avait  choisis  par 
d'autres  qu'il  avait  apportés  et  qui  manquaient  aux  mémos  collections. 

Geoffroy-Saint' -Hilaire  n’avait  fait  qu’obéir  aux  sentiments  généreux  de  toute  sa  vie;  mais, 
dans  cette  circonstance,  la  conduite  la  plus  noble  avait  été  aussi  la  plus  habile.  La  guerre  se 
rallumait  en  Portugal.  Au  mois  de  juillet,  les  Anglais  débarquèrent  en  force  supérieure.  Ln 
armistice,  puis  une  capitulation  entraînèrent  l’évacuation  du  pays.  Le  Portugal  voulut  garder 
les  collections  scientifiques  que  Geoffroy-Saint-H ilaire  avait  faites  avec  tant  de  soin  et  de 
désintéressement.  L’Académie  de  Lisbonne  intervint  en  faveur  du  savant  français,  et  l’on 
décida  qu'il  y aurait  partage.  JJn  tiers  des  caisses  lui  fut  accordé,  mais  à tilre  personnel,  fine 
nouvelle  négociation  lui  valut  un  autre  tiers;  enfin,  pour  concilier  la  stricte  équité  avec 
l'amour-propre  des  commissaires,  on  convint  que  Gcoffroy-Saint-H ilaire  abandonnerait  seule- 
ment quatre  caisses , qu’il  désignerait  lui-méme.  Il  indiqua  celles  qui  contenaient  ses  propres 
effets,  son  linge,  ses  livres.  Il  partit  enfin  et  arriva  à La  Rochelle,  en  octobre  18 10.  Les 
savants  portugais,  rendant  justice  à la  noblesse,  à la  loyauté  avec  laquelle  il  avait  rempli  sa 
mission,  déclarèrent  qu’il  avait  emporté  leur  respect  et  leur  estime;  et  lorsqu'on  1814,  les 
nations  que  la  France  avait  autrefois  vaincues  réclamèrent  les  richesses  que  la  guerre  leur 
avait  enlevées,  le  Portugal  seul  ne  réclama  rien. 

Kn  1809,  (ieoffroy-Snint-Hilairc  fut  nommé  professeur  de  zoologie  à la  Faculté  des  sciences. 
Il  refusa  d’abord  cette  chaire  pour  la  laisser  à Lamnrck,  qu’il  croyait  y avoir  plus  de  droits 
que  lui;  mais  Lamarck , déjà  vieux  et  infirme,  ne  crut  pas  pouvoir  la  remplir  dignement  et 
refusa.  Geoffroy  se  trouva  donc  placé  à la  tète  de  l’enseignement  do  la  zoologie , et  comme 
son  programmo  n’avait  aucune  limite,  il  put  y donner  la  carrière  la  plus  étendue  aux  tendances 
de  son  esprit  généralisateur.  C’est  dans  cette  chaire  que,  soutenu  par  l’intérêt  respectueux 
d’un  auditoire  déjà  versé  dans  les  études  philosophiques,  il  put  s'élancer  plus  libre  dans  le 
champ  des  abstractions  et  présenter  avec  autorité  ces  grandes  lois  de  l'organisation  animale, 
à la  conception  desquelles  son  nom  demeurera  attaché.  Il  entreprit  en  même  temps  la  descrip- 
tion et  la  détermination  des  productions  nouvelles  des  deux  Indes  qu’avait  procurées  à la 
science  sa  mission  en  Portugal,  et  rédigea,  pour  le  grand  ouvrage  d’Egypte,  l'icthyologie,  la 
immunologie  et  l’erpétologie.  Après  une  maladie  grave,  qu’il  éprouva  en  1812,  il  alla  se  réta- 
blir et  prendre  quelque  repos  à Coulommiers.  .Nommé  représentant,  en  1815,  par  les  électeurs 
de  sa  ville  natale,  ces  nouvelles  fonctions  l’éloignèrent  un  moment  de  ses  travaux  accoutumés, 
mais  hientél  rendu  à ses  chères  études,  il  en  reprit  le  cours  avec  une  ardeur  nouvelle,  et 
renonça  désormais  à loute  autre  carrière  que  celle  de  la  science. 

En  1818,  Geoffrov-Snint-Hilaire  publia  son  ouvrage  célèbre  intitulé  : Anatomie  philoso- 
phique. Nous  avons  vu  plus  haut  quelles  étaient,  depuis  l’origine  de  ses  travaux  en  zoologie, 
les  tendances  de  l’auteur  au  sujet  des  grandes  lois  sur  lesquelles  se  fonde  l’organisation  du 
Règne  animal.  L’anatomie  philosophique  est  le  résumé  de  ces  lois,  telles  que  Geoffroy-Saint- 
Hilaire  les  a conçues,  en  les  appuyant  sur  les  faits  qui  résultent  de  ses  longues  observations 
zoologiques.  Son  objet  spécial  est  d’ajouter  la  recherche  des  analogies  à la  recherche  des 
différences,  laquelle  est  le  résultat  unique  de  la  méthode  et  de  la  classification.  Observer, 
décrire,  classer,  n’est  pour  lui  que  le  commencement  de  In  science;  il  y ajoute  l’emploi  du 
raisonnement;  après  l’exposition  des  faits,  cello  de  leurs  conséquences,  qui  sont  les  lois 
générales  de  l’organisation. 

« Pour  lui , la  méthode  ne  doil  pas  être  seulement  une  suite  de  divisions , do  cou|>es , de 
ruptures,  mais  au  contraire  un  enchaînement  de  rapports  qui  s’appellent,  s’adaptent,  s'iden- 
tifient. Toutes  ces  distinctions  opérées,  à mesure  que  le  nombre  des  espèces  s’accroît,  les 
différences  s’effacent,  se  fondent  par  des  nuances  intermédiaires,  les  grands  intervalles  se 
comblent  et  Vunilé  du  ftégne  se  montre.  » 

Cette  recherche  des  analogies  conduit  Fauteur  à ce  qu’il  appelle  la  Théorie  des  analogues , 
laquelle  n’est  autre  chose  que  l’ensemble  de  ces  lois  el  de  ces  principes.  Celui  qui  se  présente 


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HISTOIRE.  — 1791  - 1815. 


113 

le  premier  est  le  principe  «le  la  connexion  des  parties,  c’est-à-dire  de  la  position  relative  et  de 
la  dépendance  des  organes  entre  eux  ; cette  connexion  est  fixe,  tandis  que  la  plupart  «les  autres 
caractères  : la  fonction,  la  forme,  la  grandeur  sont  variables.  De  ce  principe  découle  la  consi- 
dération des  organes  rudimentaires  ; cette  considération  elle-même  est  la  base  d’un  troisième 
principe;  qui  consiste  dans  le  balancement  des  organes , lequel  complète  la  théorie  «les  analo- 
gues. ««  Un  organe  normal  ou  pathologique,  dit  Geoffroy-Saint-Hilaire,  n'acquiert  jamais  une 
prospérité  extraordinaire,  qu'un  autre  de  son  système  ou  de  ses  relations  n'en  souffre  «la ns 
une  même  raison.  » Une  augmentation,  un  excès  sur  un  point  suppose  une  diminution 
sur  un  autre,  et,  comme  le  dit  Goethe,  le  budget  de  la  nature  étant  fixe , une  somme  trop 
considérable  affectée  à une  dépense  exige  ailleurs  une  économie.  Ainsi , dans  la  philosophie 
anatomique,  tout  se  tient  et  s’enchaîne  par  des  liens  multiples,  liens  de  correspondance  et 
d’harmonie,  résultant  du  concours  de  toutes  les  vues  de  l’auteur  vers  un  but  commun. 

Geoffroy-Saint-Hilaire  posait  doue  l'unité  de  composition  comme  la  loi  «le  premier  ordre 
dans  l'organisation  «lu  Règne  animal.  Buffon  avait  dit  qu’il  existe  dans  les  êtres  une  confor- 
mité constante,  un  dessein  suivi,  une  ressemblance  cachée  plus  merveilleuse  que  les  «liffé- 
rencos  apparents.  « Il  semble,  avait-il  ajouté,  que  l’Être  suprême  n’a  voulu  employer  qu’une 
idée,  et  la  varier  en  même  temps  «le  toutes  les  manières  possibles,  afin  que  l’homme  pût 
admirer  également  et  la  magnificence  de  l’exécution  et  la  simplicité  «lu  dessin.  » C’est  «le 
cette  pensée  que  Geoffroy-Saint-Hilaire  venait  de  faire  sortir  toute  sa  doctrine  d’anatomie 
philosophique. 

En  appliquant  ce  principe  au  développement  anormal  et  incomplet  que  l’on  dt'signnit  sous 
le  nom  «le  Monstruosités , il  porta  le  système  dos  causes  accidentelles,  si  longtemps  soutenu 
par  Lémery  fils,  jus«]u'au  dernier  <l«'gré  d’évidence.  Geoffroy-Saint-Hilaire  donna  l’explication 
la  plus  rationnelle  de  ces  phénomènes,  à l’ai«le  «le  «leux  principes  : celui  de  Perré/  de  déve- 
loppement et  celui  de  Y attraction  des  parties  similaires.  A ses  yeux,  les  monstres  ne  sont  plus 
que  des  anomalies  secondaires  et  accidentelles,  et  les  phénomènes  de  cet  ordre  sont  devenus 
pour  lui  l’objet  d’une  science  nouvelle,  à laquelle  il  a donné  le  nom  de  Tératologie. 

Jusque-là,  Geoffroy-Saint-Hilaire  n’avait  appliqué  le  principe  do  l’unité  de  composition 
qu’aux  animaux  vertébrés,  et  aucune  contestation  sérieuse  ne  s’était  élevée  à cet  égard.  En 
1820,  il  voulut  l’étendre  aux  animaux  inarticulés,  et  Cuvier  commença  à manifester  son 
improbation.  Geoffroy,  loin  de  s’en  inquiéter,  reprit  ses  études  zoologiques,  mais  cette  fois 
sous  l’influence  de  sa  théorie  généralisée;  et,  en  1830,  il  se  crut  en  position  d’en  appliquer 
les  principes  même  à la  classe  des  Molluscjues.  C’est  à celte  occasion  que  l’impatience  do 
Cuvier  éclata.  La  belle  ordonnance  que  celui-ci  avait  établie  dans  sa  classification  des  inverté- 
brés, et  «jui  était  l’heureuse  application  «le  sa  méthode,  se  trouvait  menacée  par  le  principe 
d’un  plan  uniqtn1  dans  l’organisation  des  animaux  de  toutes  les  classes  ; il  était  naturel  «pi’il 
s’efforçât  de  la  défendre,  et  Pou  sait  avec  quelle  supériorité  il  savait  faire  prévaloir  ses 
opinions. 

« Le  débat,  dit  M.  Fl  ou  rens  (I),  fut  porté  devant  l’Académie.  Jamais  controverse  plus  vive 
ne  divisa  deux  adversaires  plus  résolus,  plus  fermes,  munis  de  plus  de  ressources  pour  un 
combat  depuis  longtemps  prévu , et , si  je  puis  ainsi  dire , plus  savamment  préparés  à ne  pas 
s’entendre.  — Entre  ces  deux  hommes,  tout,  d’ailleurs,  était  opposé  : dans  l’un,  la  capacité 
la  plus  vaste,  guidée  par  une  raison  lumineuse  et  froide;  dans  l’autre,  l'enthousiasme  le  plus 
bouillant,  avec  des  éclairs  de  génie. 

« De  l’Académie,  de  la  France,  l'émotion  s’étendit  dans  tous  les  pays  ou  l’on  pense  sur  de 
tels  sujets.  Nous  eussions  pu  nous  croire  revenus  à ces  temps  antiques,  où  les  sectes  philoso- 
phiques  en  s’agitant  remuaient  le  monde.  Le  monde  se  partagea.  Les  penseurs  austères  et 


(I)  Floue  li. «torique  d'Etienne  Geoffroy-Saint-Hilaire,  lu  A l'Académie  «Us  sciences , dans  la  séance  publique 
annuelle  du  Si  mars  18S2  4 


O 


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PREMIERE  PARTIE. 

réguliers,  ceux  qui  sont  plus  touchés  de  la  marche  sévère  et  précise  des  sciences  que  de  leurs 
élans  rapides,  prirent  parti  pour  M.  Cuvier.  Les  esprits  hardis  se  rangèrent  du  côté  de 
M.  Geoffroy.  Du  fon«l  de  l'Allemagne,  le  vieux  Goethe  applaudissait  à ses  arguments. 

« Goethe  en  vint  à se  passionner  si  fortement  sur  ces  questions,  qu’au  mois  de  juillet  1830, 
abordant  un  ami,  il  s’écrie  : « Vous  connaissez  les  dernières  nouvelles  de  France  : que  pensez- 
« vous  de  ce  grand  événement?  Le  volcan  a fait  éruption;  il  est  tout  en  flammes.  — C’est 
« une  terrible  histoire,  lui  répond  celui-ci;  et,  au  point  où  en  sont  les  choses,  on  doit  s’al- 
« tendre  à l’expulsion  de  la  famille  royale.  — Il  s’agit  bien  rie  trène  el  de  dynastie,  il  s’agit 
«<  bien  de  révolution  politique!  reprend  Goethe;  je  vous  parle  de  la  séance  de  l’Académie  des 
« sciences  de  Paris  : c’est  là  qu’est  h*  fait  important , et  la  véritable  révolution,  celle  de  l’es- 
« prit  humain  ! >» 

« Dans  ce  débat,  en  effet,  oü  la  discussion  directe  semblait  ne  porter  que  sur  le  nombre  ou 
la  position  relative  de  quelques  organes,  la  discussion  réelle  était  celle  des  deux  philosophies 
qui  se  disputeront  éternellement  l’empire  : la  philosophie  des  faits  particuliers  et  In  philosophie 
des  idées  générales...  Quant  aux  doux  adversaires,  la  discussion  eut  sur  eux  l’effet  ordinaire  de 
toutes  les  discussions  : chacun  d’eux  en  sortit  un  peu  plus  arrêté  dans  ses  convictions. 

o Lorsque,  dans  la  dernière  année  du  dernier  siècle,  M.  Cuvier  publia  ses  Leçons  d'ana- 
tomie comparée , l’admiration  fut  universelle.  De  grands  résultats,  de  grandes  lois,  aussi 
certaines  qu’inattendues,  étonnèrent  tous  les  esprits.  La  même  main  qui  fondait  l’anatomie 
comparée,  en  faisait  sortir  une  science  plus  neuve  encore,  la  sciences  des  êtres  perdus.  A la 
voix  du  génie,  la  terre  se  recouvrait  de  ses  populations  antiques.  Cependant,  après  les  vues 
générales  et  supérieures,  était  venue  l’étude  des  détails.  Les  faits  n’étaient  plus  que  des  faits. 
La  moisson  «les  grandes  idées  semblait  épuisée. 

« Alors,  un  génie  nouveau  s’élève  : original,  hardi,  d’une  pénétration  infinie.  Il  rertiue 
toute  la  science  et  la  ranime.  Il  rajeunit  le  fait  par  l’idée.  A l’observation  exacte , il  mêle  la 
conjecture  ; il  ose.  Il  franchit  les  bornes  connues;  et,  par  delà  ces  bornes,  il  pose  une  science 
nouvelle,  à laquelle  il  donne  quelque  chose  de  ce  qu’il  avait  en  lui-même  de  plus  essentielle- 
ment propre  et  «le  plus  marqué  : de  son  audace,  «le  son  goût  pour  les  combinaisons  abstraites 
et  hasardées,  de  ses  lumières  vives  et  imprévues.  — La  gloire  de  Geoffroy-Saint-llilaire  sera 
d’avoir  fondé  la  science  profonde  «le  la  nature  intime  des  êtres  : Y Anatomie  philosophique.  » 

Qu’on  nous  panlonne  l’étendue  «le  cette  citation.  Pour  apprécier  la  portée  d’un  événement 
scientiflcpie  aussi  grave,  il  fallait  non-seulement  l’autorité  d’un  tel  juge,  il  fallait  aussi  sa 
plume  éloquente  et  sa  haute  impartialité. 

Cette  diseussmn  ne  pouvait  se  continuer  plus  longtemps  sur  le  terrain  académique.  Une 
sorte  de  trêve  la  suspendit,  en  attendant  qu’elle  fût  reprise  par  les  deux  adversaires,  soit  «lans 
leur  chaire  professorale,  soit  dans  leurs  écrits.  Geoffroy -Saint -Hilaire  résuma  en  effet  ses 
opinions  dans  un  livre  intitulé  : Principes  de  philosophie  zoologique.  Cuvier  annonça  qu’il 
publierait  les  siennes  sous  ce  titre  : De  la  variété  de  composition  dans  les  animaux . Cette 
controverse  célèbre,  à laquelle  la  mort  de  Cuvier  devait  mettre  un  terme  fatal,  servit  du  moins 
à fixer  l’attention  des  savants  sur  les  id«'*es  générales  de  philosophie  naturelle.  Ou  examina , 
on  étudia  les  théories  de  Geoffroy-Saint-llilaire,  circonstance  heureuse  qui  avait  manqué  au 
succès  «le  Goethe,  lors«ju*il  avait  émis  ses  premières  vues  sur  la  Métamorphose  des  plantes. 
L'important,  le  «lifficile  pour  les  novateurs  n’est  pas  d’exposer  leurs  théories,  mais  do  les  faire 
écouter,  de  les  faire  comprendre.  Cette  fois,  le  public  écouta;  il  comprit  la  haute  gravité  de 
ces  questions,  et,  sans  prendre  parti  pour  ou  contre  l’un  ou  l’autre  «les  illustres  athlètes,  il 
vit  que  la  science  avait  quelque  chose  à gagner  des  «leux  parts;  car  c’est  le  propre  de  la  con- 
tre verse  scientifique  «le  donner  toujours  naissance  à «l 'utiles  vérités. 

Hàtons-nous  de  dire  que  Cuvier  et  Geoffroy-Saint-Hilaire  ne  furent  jamais  qu’adversaires 
scientif’Mjues  et  ne  cessèrent  point  d’être  personnellement  amis.  Vers  la  fin  «le  leur  carrière,  les 
«leux  savants  furent,  «lans  l’espace  «le  deux  années,  frappés  «tans  leurs  affections  les  plus  vives 


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HISTOIRE.  — t704-  1815.  115 

et  atteints  rie  la  même  douleur  : ils  perdirent  l'un  et  l’autre  une  tille  de  20  ans.  (le  fut  pour 
eux  la  triste  occasion  de  revenir  spontanément  aux  témoignages  d’une  estime . d’une  amitié 
réciproque,  fondis1  sur  la  justice  qu'ils  rendaient  au  mérite  l'un  de  l’autre  et  sur  des  souvenirs 
que  des  dissidences  scientifiques  n'avaient  pu  effacer. 

Geoffroy-Sainl-Ililaire  survécut  douze  ans  à Cuvier.  Ses  dernières  années  furent  eneoro 
consacrées  à la  science;  il  revint  aux  travaux  d’observation,  et  continua  d'exposer,  dans  la 
chaire  et  dans  quelques  écrits,  ses  théories  et  scs  principes  ; il  (U  deux  voyages,  l’un  en 
Belgique  et  l’autre  en  Allemagne,  où  l’accueillirent  les  sympathies  les  plus  vives.  En  1810,  il 
s’aperçut  tout  à coup  qu'il  ne  pouvait  plus  lire  : il  était  frappé  de  cécité.  Quelques  années 
après,  en  1844  , il  s'éteignit,  à l’Age  de  72  ans. 

En  terminant  cette  esquisse  biographique , qu'il  nous  soit  permis  d'ajouter  aux  traits  qui 
caractérisent  le  savant,  de  nouveaux  faits  qui  témoignent  de  l'énergie  et  de  l’ardente  générosité 
de  son  Ame.  On  sait  ce  que  fit  Geoffroy-Saint-llilaire  pour  lu  bon  Hutiy;  on  connaît  moins  son 
dévouement  en  faveur  de  quelques  autres  victimes  de  nos  dissensions  politiques.  « L'enthou- 
siasme , dit  Pariset , j'ai  presque  dit  le  fanatisme  do  l’humanité,  ce  fanatisme  qui  n'est  qu’une 
pitié  souveraine,  et  ne  serait  peut-être  qu'une  exacte  justice,  était  sa  religion;  et  cette 
sainte  religion,  d’autres  proscrits  la  retrouvèrent  dans  son  cœur.  » Il  parviiU  |>endant  quel- 
ques jours  A soustraire  le  poète  Ijpucher  à la  mort  qui  finit  par  l'atteindre , en  le  cachant  chez 
lui  au  Jardin  des  Plantes.  Il  détourna  avec  adresse  le  coup  qui  menaça  un  moment  Uaubenton, 
son  maître  et  son  père  adoptif.  Ses  avis  et  ses  démarches  protégèrent  longtemps  Lacépèdn 
dans  sa  retraite  de  Leuville.  Pendant  la  campagne  de  Portugal,  il  avait  eu  le  bonheur  de 
soustraire  aux  plus  grands  dangers  l'évêquo  d’Evora,  l’un  des  hommes  les  plus  distingués  de 
sa  nation,  le  Fénelon  portugais;  peu  de  semaines  après,  le  prélat  sauvait  A son  tour  un  do 
nos  postes  surpris  par  l'ennemi,  et  il  adressait  à son  libérateur  ces  simples  et  touchantes 
paroles  ; « Je  me  suis  souvenu  de  vous.  » Ajoutons  un  dernier  trait.  Le  29  juillet  1830, 
l’archevêque  de  Paris  avait  trouvé  une  retraite  chez  M.  Serres,  A l'hépital  de  la  Pitié;  mais  ses 
traces  ayant  été  suivies,  Geoffroy  vint  lui  offrir  un  asile  chez  lui,  l’y  conduisit  et  l’v  retint,  à 
l’abri  de  toute  recherche,  jusqu’au  rétablissement  de  l’ordre.  M.  deQuélen  quitta  la  maison  do 
Geoffroy  lo  14  août  : c’était  le  même  jour  que,  trente-huit  ans  auparavaut,  Hnüv  lui  avait  dû 
sa  déiivranco. 

Entre  les  deux  naturalistes  auxquels  se  rapportent  tous  les  progrès  de  la  zoologie  pendant 
cette  périodo,  nous  no  pensons  pas  avoir  besoin  de  transition.  Plus  d'un  point  les  rapprocha 
dans  leur  existence  comme  dans  leurs  travaux;  leur  carrière  scientifique , commencée  on 
même  temps , fut  à peu  près  de  la  même  étendue , et  la  renommée , qui  s’attacha  à leurs 
savantes  recherches,  se  répondit  d’une  manière  A peu  près  égale  sur  leur  personne,  sur  leur 
pays  et  sur  le  Muséum  qui  fut,  pendant  quarante  années,  le  glorieux  théâtre  de  leur  ensei- 
gnement. Georges  Cuvier  ( Léopold  - Frédéric -Chrétien -Dagobert  ) naquit  A Montbéliard, 
le  23  août  1769 , cetto  année  si  fertile  en  grands  hommes , qui  donna  naissance  A llumbnldt , 
A Canning,  ASoult,  A Walter  Scott,  à ChAteaubriand , A Napoléon.  Sa  famille,  originaire  du 
Jura,  était  protestante,  et,  lors  des  persécutions  religieuses,  avait  cherché  un  refuge  dans  la 
principauté  de  Montbéliard,  alors  dépendante  du  Wurtemberg.  Son  père,  officier  dans  un  régi- 
ment suisse,  attaché  au  service  de  France,  n’avait  pour  toute  fortune,  après  quarante  ans  de 
services,  qu'une  modiquo  pension  de  retraite.  Heureusement,  le  jeune  Cuvier  trouva  près  do 
sa  mère,  femme  d’un  esprit  élevé,  les  moyens  de  s'instruire  et  de  développer  son  cœur  ainsi 
que  son  intelligence.  Il  fil , dans  ses  premières  études,  des  progrès  rapides  : assis  aux  genoux 
do  sa  mère,  il  apprenait  scs  leçons,  il  lisait  des  ouvragos  d’histoire,  de  littérature,  de  voyage; 
il  dessinait  avec  une  facilité  étonnante , tout  en  prêtant  l'oreillo  aux  sages  réflexions  de  son 
excellent  guide.  Comme  Lacépèdo,  il  s'inspira  de  bonne  heure  par  la  lecture  des  ouvrages  de 
Buffnu.  A treize  ans,  il  avait  copié  les  mille  planches  enluminées  qui  accompagnent  son 
llinloire  naturelle,  en  corrigeant  le  dessin  et  la  couleur  des  ligures  parleur  comparaison  avec 


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116 


PREMIÈRE  PARTIE. 


les  contours  cl  les  nuances  des  objets  eux-mêmes.  Une  mémoire  prodigieuse  et  une  aptitude 
remarquable  à tous  les  travaux  intellectuels  venaient  s'ajouter  aux  heureuses  dispositions  de 
son  esprit  sérieux  et  patient. 

Ses  études  classiques  terminées  île  bonne  heure,  ou  chercha  à obtenir  pour  lui  une  bourse 
à l’Université  de  Tubiugue,  dirigée  vers  les  études  théologiques.  Mais  il  fallait  pour  cela  subir 
un  concours;  et,  bien  que  Cuvier  se  fût  jusqu'alors  montré  le  premier  dans  toutes  les  classes, 
il  échoua , soit  qu’une  circonstance  fortuite  eût  détourné  un  moment  sa  pensée , soit  que  le 
professeur  fût  volontairement  coupable  d'un  passe-droit.  C’est  à cette  circonstance  qu’il  dut 
l’entrée  de  la  carrière  oh  l'appelait  naturellement  son  génie.  L’enfant  s’en  consola  en  repre- 
nant ses  études  avec  une  nouvelle  ardeur.  Cependant,  le  duc  Charles  de  Wurtemberg,  qui 
avait  entendu  parler  de  ses  talents  précoces,  avant  appris  l’échec  qu’il  avait  éprouvé , le  fit 
appeler  et  lui  accorda  une  place  gratuite  dans  l’Académie  Caroline  de  ivtuttgardl,  où  s’ensei- 
gnaient à la  fois  les  arts,  les  sciences  et  l’administration.  Ce  magnifique  établissement  réunis- 
sait quatre  cents  élèves  qui  y recevaient  des  leçons  de  plus  de  quatre-vingts  maîtres.  Il 
comprenait  cinq  Facultés  supérieures  : le  droit,  la  médecine,  l’administration,  l'art  militaire 
et  le  commerce,  la'  cours  de  philosophie  terminé , les  élèves  passaient  dans  une  de  ces 
cinq  Facultés.  Cuvier  choisit  l'administration,  par  ce  singulier  motif  qu'on  s’y  occupait 
beaucoup  d'histoire  naturelle,  et  qu’il  y avait  de  fréquents  occasions  d'herboriser  et  de 
fréquenter  les  Cabinets.  Il  apprit  en  peu  de  mois  la  langue  allemande,  les  mathématiques, 
les  éléments  du  droit,  et  commença  à so  livrer  à son  goût  de  prédilection  pour  l’étude  de 
l'Histoire  naturelle,  à l'aide  d’un  exemplaire  de  Linné,  qui  forma  pendant  dix  ans  toute  sa 
bibliothèque  scientifique. 

En  sortant  de  celte  école,  il  pouvait  es|>érer  un  emploi  très-prochain  dans  l’administration , 
mais  la  position  de  ses  parents  ne  lui  permettait  pas  d’attendre , et  il  accepta  avec  empresse- 
ment l’offre  d’une  place  de  précepteur  dans  une  famille  do  Normandie,  auprès  de  Fécamp. 
C'était  en  I7H8,  l'année  même  de  lu  mort  de  Buffou;  Cuvier  avait  près  de  19  ans.  Là,  tout  en 
se  livrant  à son  nouvel  emploi,  il  se  prend  à étudier,  à observer  les  insectes,  les  mollusques, 
les  poissons  , et  déjà  so  forment  dans  son  esprit  les  premiers  rudiments  de  ses  grandes  vues 
sur  l’ensemble  du  Régne  animal.  C’est  dans  cette  silencieuse  retraite,  au  milieu  d’une  famille 
aimable  et  distinguée  qu’il  passa  ces  années  orageuses  qui  devaient  être  aussi  terribles  pour  la 
France  qu’elles  furent  douces  et  fécondes  pour  le  jeune  savant. 

Cependant,  la  révolution  avait  eu  quelques  retentissements  dans  la  ville  près  de  laquelle  il 
habitait  ; on  voulait  y créer  une  société  populaire.  Cuvier  fit  comprendre  aux  hommes  éclairés 
et  paisibles  quo  leur  intérêt  le  plus  puissant  était  de  la  constituer  eux-mêmes,  afin  de  la 
dominer.  On  suivit  ce  conseil  ; la  société  se  forma  ; Cuvier  en  fut  nommé  le  secrétaire,  et  dans 
les  assemblées,  au  lieu  de  s’occupor  de  politique  , on  se  borna  à agiter  des  questions  d’écono- 
mie et  d’agriculture.  Ou  a vu  plus  bout  que  Fécamp  possédait  alors  l’abbé  Tessier,  un  des 
agronomes  les  plus  distingués  de  France,  qui,  pour  se  soustraire  à des  dangers  plus  graves, 
remplissait  alors  les  fonctions  de  médecin  de  l’hôpital  de  cette  ville.  Tessier  apprend  qu’une 
société  s’adonne  à sa  science  favorite;  il  s’v  fait  présenter,  il  y parle,  et  à ses  discours  Cuvier 
reconnaît  l’auteur  des  articles  d’agriculture  de  l’ Encyclopédie  méthodique.  A la  fin  de  la 
séance,  il  s’approche  de  l’orateur,  lui  fait  comprendre  qu’il  l’a  reconnu,  le  rassure  d’ailleurs, 
ot  lui  demande  la  permission  d’aller  causer  de  science  avec  lui.  A la  première  confidence  des 
travaux  du  jeuue  savant,  Tessier  s’étonne,  s’émerveille,  et,  ravi  de  sa  découverte,  il  l'annonco 
à ses  anciens  amis  du  Muséum  et  do  l’Académie.  Lui-même , de  retour  à Paris , l’y  appelle 
avec  instance  et  lui  offre  son  logement,  n Ne  rejetez,  lui  écrivait-il,  ni  l’hospitalité  que  je 
vous  offre,  ni  les  vœux  des  amis  que  je  vous  ai  donnés,  et  qui  vous  appellent.  Votre  mérite 
et  leurs  soins  feront  le  reste.  » On  sait  l’accueil  que  tirent  à Cuvier,  Jussieu,  Laméthrie,  La- 
cépède  et  Geoffroy-Saint-Hilaire.  il  était  à peine  âgé  de  26  ans,  et,  avant  d’entrer  dans  lu 
capitale,  il  y avait  déjà  une  réputation  de  savoir  et  dos  liens  de  la  plus  vive  amitié. 


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HISTOIRE.  — 1794  - 1815. 


117 


« Admirez,  s'écrie  un  de  ses  biographes  (I) , par  quel  enchaînement  de  conjonctures,  en 
apparenco  insignifiantes  ou  malheureuses,  la  Providence  conduit  le  jeune  Cuvier  vers  sa  desti- 
née! line  santé  délicate  le  rend  studieux  et  de  bonne  heure  appliqué;  une  mauvaise  composi- 
tion de  collège  le  dissuade  du  sacerdoce  et  lui  concilie  l'amitié  d'un  prince  puissant;  le  défaut 
de  fortune  le  préserve  du  séjour  énervant  et  corrupteur  des  villes,  et  lui  fait  trouver  à propos, 
dans  une  campagne  voisine  do  la  mer,  un  stimulant  pour  ses  souvenirs  classiques,  un  air 
salubre  pour  sa  faible  santé , dos  matériaux  pour  ses  éludes  favorites , en  même  temps  qu'une 
école  de  mœurs  et  un  asilo  assuré  contre  les  orages  politiques  et  les  sanglantes  calamités 
d’alors,  a C'est  là,  il  est  vrai,  un  concours  de  circonstances  singulières  qui  ont  pu  servir  au 
développement  de  sa  destinée;  mais  ce  qu'il  ne  devra  qu’à  lui-même,  c’est  sa  passion  pour 
l’étude,  cette  application  persévérante,  cette  patience  que  Buffon  assimilait  au  génie,  et  cet 
ensemble  si  rare  de  facultés  qui  allaient  en  faire  non-seulement  !o  naturaliste  le  plus  brillant, 
mais  l’une  des  capacités  les  plus  vastos  et  les  plus  variées  de  notre  époque. 

La  carrière  lui  est  ouverte , et  il  va  la  parcourir  à pas  de  géant.  Scs  premiers  travaux  ont 
un  tel  caractère  de  profondeur  et  d’originalité,  sa  parole  est  si  précise  et  si  lumineuse  qu’il 
devient  aussitôt  comme  le  centre  et  le  chef  d’une  école  nouvelle,  Millin  le  fait  nommer  membre 
de  la  commission  des  arts,  puis  professeur  (l'Histoire  naturelle  à l’école  centrale  du  Panthéon. 
Lacépède  et  Geoffroy-Sainl-Hilaire  le  font  admettre  au  Muséum  comme  adjoint,  ou  plutôt  en 
remplacement  du  vieux  Merlrud,  duns  la  chaire  d’anatomie  comparée.  Tous  les  obstacles 
s'aplanissent  comme  d'eux-mêmes,  et  aussitôt  Cuvier  appelle  auprès  de  lui  tout  ce  qui  restait 
de  sa  famille  : son  vieux  père  et  son  frère  Frédéric,  qui,  lui  aussi,  prendra  bientôt  dans  la 
science  une  place  honorable  et  tout  à fait  digne  de  son  nom. 

La  variété  des  talents  qui  distinguèrent  Georges  Cuvier  et  la  multiplicité  des  matières  aux- 
quelles il  les  appliqua  en  fout,  pour  ainsi  dire,  plusieurs  hommes,  qu’il  faudrait  examiner 
successivement  pour  apprécier  d'une  manière  convenable  l'ensemble  de  son  génie.  N'ayant  à 
le  considérer  ici  que  comme  naturaliste,  c'est  encore  à M.  Flourens  — et  quel  autre  pouvait 
mieux  nous  servir  de  guide?  — que  nous  emprunterons  les  principaux  détails  que  nous  allons 
reproduire  sur  les  travaux  scientifiques  de  son  illustre  prédécesseur. 

Les  premières  recherches  de  Cuvier  s’appliquèrent  à la  réforme  de  la  classification  et  de  la 
méthode  en  zoologie.  Il  avait  compris  dès  l’abord  qne  la  classification  comme  l’explication  des 
phénomènes  de  cet  ordre  no  pouvaient  procéder  que  de  la  connaissance  approfondie  de  la  nature 
intime  et  île  l’organisation  des  auimaux.  Cette  connaissance , qui  avait  évidemment  manqué  à 
Linné  et  à Bufrou,  était  à ses  yeux  la  cause  de  l’imperfection  de  leurs  systèmes.  Il  s’attacha 
donc  à étudier  ces  grandes  lois.  C’est  à leur  aide  qu’il  renouvela  la  zoologie , l’anatomie  com- 
parée , et  sur  cos  deux  sciences  il  eu  fonda  par  la  suite  deux  autres  : celle  des  animaux  fossiles 
et  la  géologie. 

Quels  que  soient  le  mérite  et  l'exactitude  des  recherches  anatomiques  de  Daubenton , il  est 
certain  que  jusqu’alors  les  naturalistes  s'étaient  principalement  attachés  aux  caractères  exté- 
rieurs des  animaux.  Linné,  dont  l’influence  avait  été  si  puissante,  avait  divisé  le  Règne  animal 
en  six  classes  : les  Quadrupèdes , les  Oiseaux , les  Reptiles , les  Poissons , les  insectes  et  les 
Vers.  Or,  ces  classes,  notamment  la  dernière,  tantôt  séparaient  les  animaux  les  plus  rappro- 
chés par  leur  organisation , tantôt  réunissaient  les  plus  disparates  , en  sorte  que  la  classifica- 
tion, au  lieu  de  favoriser  l’étude  îles  rapports,  rompait  quelquefois  ceux-ci  de  la  manière  la 
plus  choquante.  Le  seul  moyen  de  réformer  celte  classification  était  de  la  fonder  sur  l'organi- 
sation même , sur  l’anatomie  dos  animaux , car  c’est  l’organisation  seule  qui  donne  les  vrais 
rapports  et  permet  d’en  tirer  des  généralités  d’un  ordre  supérieur. 

C’est  ce  que  fit  Cuvier  dès  le  premier  Mémoire  qu'il  publia  en  1791 , où  il  divisa  tous  les 
êtres  confondus  jusque-là  sous  le  nom  d’.lnôiunix  A sang  blanc,  on  six  classes  : les  Mollns- 

(I)  >1,  fsiilore  Bourdon. 


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PREMIÈRE  PARTIE. 

quc‘8,  les  Crustacés,  les  Insectes,  les  Vers,  les  Echynodermes  et  les  Zoophytes.  Tout  était  neuf 
dans  cette  distribution , niais  aussi  tout  y était  si  évident  qu’elle  fut  généralement  adoptée. 
Dès  lors,  le  Régne  animal  prit  une  nouvelle  face  : la  précision  des  caractères  sur  lesquels 
s’appuyait  cette  distribution , la  convenance  parfaite  des  êtres  que  chaque  classe  rapprochait , 
tout  dut  frapper  les  naturalistes;  une  lumière  subite  venait  de  se  répandre  sur  les  parties  les 
plus  élevées  de  la  science;  les  grandes  lois  de  l’organisation  animale  étaient  saisies.  Nul 
homme  n’avait  encore  porté  un  coup  d’œil  aussi  étendu  sur  ces  lois  générales;  on  comprenait 
tout  ce  que  la  zoologie  devait  attendre  d'un  début  aussi  éclatant. 

Dans  un  second  Mémoire,  reprenant  en  particulier  l’une  des  classes  qu’il  venait  d'établir, 
celle  des  Mollusques,  Cuvier  jeta  les  fondements  de  son  grand  travail  sur  ces  animaux,  travail 
qui  a produit  les  résultats  les  plus  neufs  et  les  plus  féconds  de  la  zoologie  et  do  l’anatomie 
comparée  modernes.  C’étaient  l’exactitude  et  la  précision  dont  Daubenton  avait  donné  le  modèle, 
appliquées  aux  parties  les  plus  fines  et  les  plus  délicates  et  à l’organisation  d’une  classe  dos 
plus  difficiles  à étudier. 

Le  principe  qui  lui  avait  servi  de  guide  dans  ces  recherches  était  celui  de  la  subordination 
des  organes,  que  Bernard  et  Laurent  de  Jussieu  avaient  imaginé  et  appliqué  d’une  manière  si 
heureuse  à la  botanique,  mais  qui  n’avait  pas  encore  pris  place  dans  la  zoologie,  sans  doute 
h cause  du  nombre  et  de  la  complication  des  organes  qui  constituent  les  animaux.  Cuvier 
s’appuyant  sur  l’anatomie  n’hésita  pas  k étendre  ce  principe  à la  classification  des  êtres  de  ce 
Règne , et  le  résultat  de  ses  efforts  donna  naissance  à son  grand  ouvrage  intitulé  : Le  Règne 
animal  distribué  d'après  son  organisation , oii  sa  doctrine  zoologique  se  montre  reproduite* 
dans  tout  son  ensemble  et  coordonnée  dans  toutes  ses  parties. 

Jusque-là,  on  ri’avait  guère  vu  dans  la  méthode  qu’un  moyen  de  distinguer  les  espèces; 
Cuvier  en  fit  l’instrument  meme  do  la  généralisation  des  faits.  Appliquée  au  Règne  animal,  la 
méthode,  en  effet,  n’est  autre  chose  que  la  subordination  des  groupes  entre  eux,  d’après  l’im- 
portance relative  des  organes  caractéristiques  et  distinctifs  de  ces  groupes.  Or,  les  organes  les 
plus  importants  sont  aussi  ceux  qui  entraînent  les  ressemblances  les  plus  générales;  en  sorte 
qu’en  fondant  les  groupes  inférieurs  sur  les  organes  subordonnés  et  les  groupes  supérieurs  sur 
les  organes  dominateurs , ceux-ci  comprennent  nécessairement  les  inférieurs , et  que  l’on  peut 
toujours  passer  des  uns  aux  autres,  par  des  propositions  graduées,  et  do  plus  en  plus  géné- 
rales , à mesure  que  l’on  remonte  des  groupes  inférieurs  vers  les  supérieurs. 

Jusqu’ici,  Cuvier  n’avait  encore  considéré,  dans  les  grandes  classes  d’animaux  sans  vertè- 
bres, que  les  organes  de  la  circulation.  En  considérant  le  système  nerveux , qui  est  un  organe 
beaucoup  plus  important,  il  arriva  h découvrir  quatre  formes  générales  de  ce  système,  qui 
partagent  tout  l’ensemble  du  Règne  animal,  il  y a donc  quatre  plans,  quatre  types,  ou  quatre 
formes  générales  du  système  nerveux  dans  les  animaux,  qui  donnent  lieu  à ce  que  Cuvier 
appela  dos  embranchements.  L’une  comprend  les  Vertèbres , la  seconde  les  Mollusques,  la 
troisième  les  Articulés , et  la  dernière  les  Zoophyles.  A l’aide  de  ce  trait  de  lumière,  l’esprit 
saisit  nettement  les  divers  ordres  de  rapports  qui  lient  les  animaux  entre  eux  : les  rapports 
d’ensemble  constituent  l’unité,  le  caractère  du  Règne , les  rapports  plus  ou  moins  généraux , 
l'unité  des  embranchements , des  classes , et  les  rapports  plus  particuliers  constituent  l’unité 
des  ordres,  des  genres. 

Ce  premier  ouvrage  une  fois  produit,  Cuvier  voulut  entrer  plus  avant  dans  les  détails , afin 
de  compléter  le  système  qu’il  n’avait  encore  présenté  que  d’une  manière  abrégée.  C’est  alors 
qu’il  entreprit  la  seconde  partie  de  son  œuvre,  et  il  la  commença  par  V Histoire  des  Poissons , 
qui  composait,  parmi  les  Vertébrés,  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  moins  connue.  R voulait, 
par  l'exposition  détaillée  et  approfondie  de  toutes  les  espèces  de  celte  classe,  offrir  un  modèle 
pour  la  description  ultérieure  do  toutes  les  autres.  Le  premier  volume  de  ce  beau  travail  parut 
en  1828  ; l’ouvrage  devait  en  avoir  vingt  ; il  en  publia  neuf  en  moins  do  six  ans  ; la  mort  do 
l’auteur  en  arrêta  l’exécution  définitive,  mais  les  matériaux  étaient  recueillis,  mis  en  ordre,  H 


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HISTOIRE.  — 1794-  1815. 


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M.  Valenciennes,  qui  l’avait  secondé  si  habilement , devait  le  continuer.  Les  deux  collabora- 
teurs avaient  quadruplé  le  nombre  des  espèces  décrites  dans  les  ouvrages  les  plus  récents, 
ceux  de  Bloch  et  de  Lacépéde  : « Ouvrage  étonnant  par  son  étendue,  dit  M.  Flourens,  plus 
étonnant  encore  par  cet  art  profond  de  la  formation  des  genres  et  des  familles,  dont  l’auteur 
semble  s’étro  complu  à dévoiler  les  Secrets  les  plus  cachés , et  par  cette  science  des  caractères 
que  nul  homme  ne  posséda  jamais  à un  tel  degré  : résultats  de  l'expérience  la  plus  consom- 
mée et  fruits  du  génie  parvenu  à toute  sa  maturité.  » 

Presque  au  même  moment , Cuvier  opérait  dans  l 'anatomie  comparée  une  réforme  tout 
aussi  importante.  Cette  scienco  dont  il  ne  parlait  jamais  lui-même  qu’avec  enthousiasme,  il  la 
regardait  comme  celle  qui  devait  dominer  tout  ce  qui  se  rapporte  aux  êtres  organisés.  Il  n’a 
pas  achevé  non  plus  le  grand  ouvrage  qu’il  avait  préparé  et  médité  toute  sa  vie  sur  ce  sujet, 
mais  il  en  avait  répandu  les  éléments  dans  plusieurs  publications,  notamment  dans  ses  Leçons 
d’anatomie  comparée , dont  cinq  volumes  parurent  par  les  soins  de  M.  Duméril,  et  daus  ses 
Recherches  sur  tes  ossements  fossiles , dont  M.  Duvernoy  a publié  trois  volumes.  Ces  travaux 
en  peu  d’années,  ont  porté  rapidement  celte  science  si  longtemps  négligée  au  niveau,  et  peut- 
être  au-dessus  de  toutes  les  autres  sciences  cultivées  k la  même  époque.  Jusque-là,  l’anatomie 
comparée  n’était  qu'un  recueil  de  faits  particuliers  touchant  la  structure  des  animaux;  Cuvier 
en  fil  la  science  des  lois  générales  de  l'organisation  animale.  Il  en  déduisit  comme  principes 
généraux  : que  chaque  espèce  d’organes  a ses  modifications  fixes  et  déterminées  ; qu'un  rap- 
port constant  lie  entre  elles  toutes  les  modifications  do  l'organisme;  il  en  tira  la  loi  de  subor- 
dination des  organes  dans  l’ordre  de  leur  importance,  celle  de  corrélation  ou  de  coexistence . 
et  divers  autres  rapports  généraux  sur  lesquels  s’appuie  aujourd'hui  la  philosophie  de  cette 
science. 

Mais  l’application  la  plus  neuve  et  la  plus  brillante  que  Cuvier  ait  faite  de  l'anatomie  com- 
parée est  celle  qui  se  rapporte  aux  ossements  fossiles.  C’est  grâce  aux  travaux  de  cette  nature 
qu’il  retrouva,  dans  les  entrailles  de  la  terre,  les  traces  d’une  création  antérieure  à la  nôtre. 
L’étude  de  ces  fossiles  l’amena  à recomposer  la  géologie,  l’histoire  des  révolutions  du  globe 
terrestre,  et  a faire  de  tous  ces  débris,  comme  l’a  dit  M.  Dupin,  autant  de  médailles  attestant 
l’âge  relatif  des  terrains  qui  les  recèlent,  fournissant  des  dates  aux  diverses  opérations  de  la 
nature  pour  la  formation  de  notre  sol , et  une  sorte  de  table  chronologique  des  révolutions  qui 
ont  amené  l'état  dans  lequel  nous  le  voyons  aujourd’hui. 

Le  globe  que  nous  habitons  présente  presque  partout  des  traces  irrécusables  des  grandes 
révolutions  qu'il  a subies  à diverses  époques.  Les  produits  de  la  création  actuelle,  de  la  nature 
encore  vivante,  recouvrent  partout  les  débris  d’une  création  antérieure,  d'une  nature  détruite. 
Des  masses  considérables  de  productions  marines  so  trouvent  à une  grande  distance  des  mers, 
sur  de  hautes  montagnes.  De  grands  ossements,  découverts  dans  le  sein  de  la  terre,  ont 
fait  croire  à des  races  de  géants  qui  avaient  existé  dans  des  siècles  fort  reculés  ; des  savants 
eux-mêmes  ont  longtemps  regardé  les  pierres  figurées,  les  pétrifications  et  les  coquillages 
fossiles  comme  des  jeux  de  nature.  Bernard  Palissy  émit  le  premier,  au  seizième  siècle,  à ce 
sujet,  des  opinions  plus  rationnelles,  et  vit  dans  tous  ces  phénomènes  des  preuves  frappantes 
des  grands  cataclysmes  auxquels  notre  glolwi  avait  été  soumis.  A partir  de  cette  époque,  l'at- 
tention des  naturalistes  commença  à se  tourner  sur  ce  sujet.  Dans  le  cours  du  dix-huitième 
siècle,  celte  partie  de  la  science,  qui  ne  portail  pas  encore  do  nom,  fit  des  progrès  assez  rapi- 
des ; niais  l’étude  des  ossements  fossiles  devait  bientôt , dans  les  mains  de  Cuvier,  lui  donner 
le  plus  grand  essor,  et  constituer  désormais  les  bases  réelles  de  la  Géologie. 

Son  premier  travail  à ce  sujet  date  do  la  fondation  même  de  l'Institut.  Le  1er  pluviôse  an  iv 
(4  avril  1790) , jour  de  la  première  séance  publique  tenue  par  celte  assemblée,  le  jeune  natu- 
raliste lut  devant  elle  un  Mémoire  sur  les  espèces  d’Éléphants  fossiles,  comparées  aux  espèces 
vivantes,  dont  la  conclusion  semblait  annoncer  toute  la  série  do  ses  découvertes  ultérieures  à 
ce  sujet. 


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PREMIÈRE  P \RTIE. 

u Qu'on  s e demande,  disait-il,  pourquoi  l’on  trouve  tant  de  dépouilles  d’animaux  inconnus, 
tandis  qu’on  n'en  trouve  aucune  dont  on  puisse  dire  qu’elle  appartient  aux  espèces  que  nous 
connaissons , et  l’on  verra  combien  il  est  probable  qu’elles  ont  toutes  appartenu  à des  êtres 
d’un  monde  antérieur  au  notre,  à des  êtres  détruits  par  quelque  révolution  du  «loin?,  à des 
êtres  dont  ceux  qui  existent  aujourd’hui  ont  rempli  la  place.  >» 

« L’idée,  ajoute  M.  Flourens,  l’idée  d’une  création  entière  d'animaux  antérieurs  à la  créa- 
tion actuelle,  d’une  création  entière  détruite  et  perdue,  venait  donc  enfin  d’être  conçue  dans 
son  ensemble.  Le  voile  qui  recouvrait  tant  d étonnants  phénomènes  allait  donc  enfin  être  sou- 
levé, ou  plutôt  il  l’était  déjà,  et  le  mol  de  cette  grande  énigme  qui,  depuis  un  siècle,  occupait 
si  fortement  les  esprits , ce  mot  venait  d’être  dit.  Mais  pour  transformer  en  un  résultat  positif, 
et  démontrer  celte  vue  si  vaste  et  si  élevée,  il  fallait  rassembler  de  toutes  parts  les  dépouilles 
des  animaux  |M*rdus,  il  fallait  les  revoir,  les  étudier  toutes  sous  ce  nouvel  aspect;  il  fallait 
les  comparer  toutes,  et  l'une  après  l'autre,  aux  dépouilles  des  animaux  vivants;  il  fallait, 
avant  tout,  créer  et  déterminer  l’art  même  de  cette  comparaison.  Or,  pour  bien  concevoir 
toutes  les  difficultés  de  cette  méthode,  de  cet  art  nouveau,  il  suffit  de  remarquer  que  les  osse- 
ments fossiles  sont  presque  toujours  isolés,  épars;  que  souvent  les  os  de  plusieurs  espèces, 
et  des  espèces  les  plus  diverses,  sont  mêlés,  confondus  ensemble;  que  presque  toujours  ces 
os  sont  mutilés,  brisés,  réduits  eu  fragments.  Que  l’on  se  représente  ce  mélange  confus  de 
débris  mutilés  et  incomplets  recueillis  par  Cuvier;  que  l’on  se  représente  sous  sa  main  habile 
chaque  os,  chaque  portion  d’os  allant  reprendre  sa  place,  nllanl  se  réunir  à l’os,  à la  portion 
d’os  à laquelle  elle  avait  dû  tenir,  et  toutes  ces  espèces  d’animaux  , détruites  depuis  tant  de 
siècles,  renaissant  ainsi,  avec  leurs  formes,  leurs  caractères,  leurs  attributs,  et  l’on  ne  croira 
plus  assister  à une  simple  nfiéralinn  anatomique , on  croira  assister  à une  sorte  de  résurrec- 
tion , et  ce  qui  n’ùtera  sans  doute  rien  au  prodige , à une  résurrection  qui  s’opère  à la  voix  de 
la  science  et  du  génie  ! » 

Mais  quel  est  le  principe  qui  doit  présider  à celte  reconstruction  merveilleuse  des  espèces 
perdues?  C’est  celui  de  la  corrélation  des  formes,  principe  au  moyen  duquel  chaque  partie 
d’un  animal  peut  être  donnée  par  chaque  autre,  et  toutes  par  une  seule.  Mais  laissons  Cuvier 
lui-même  expliquer  par  quel  enchaînement  logique  d’idées  il  arrive  à établir  cette  loi , et  à en 
tirer  d’admirables  conséquences.  « L’anatomie  comparée  possédait,  dit-il,  un  principe  qui, 
bien  développé,  élait  capable  de  faire  évanouir  tous  les  embarras  : c’élait  celui  de  la  corréla- 
tion des  formes  dans  les  êtres  organisés , au  moyen  duquel  chaque  sorte  d’être  pourrait , à la 
rigueur,  êlre  reconnue  par  chaque  fragment  de  chacune  do  ses  parties. 

« Tout  être  organisé  forme  un  ensemble , un  système  unique  et  clos , dont  les  parties  se 
correspondent  mutuellement  et  concourent  à la  même  action  définitive  par  une  réaction  réci- 
proque. Aucune  de  ces  parties  no  peut  changer  sans  que  les  autres  changent  aussi , et , par 
conséquent,  chacune  d’elles,  prise  séparément,  indique  et  donne  toutes  les  autres. 

« Ainsi,  si  les  intestins  d’un  animal  sont  organisés  de  manière  à ne  digérer  que  de  la  chair, 
el  do  la  chair  récente , il  faut  aussi  que  ses  mâchoires  soient  construites  pour  dévorer  une 
proie,  ses  griffes  pour  la  saisir  et  la  déchirer;  ses  dénis  pour  la  couper  et  la  diviser,  le  sys- 
tème entier  de  ses  organes  du  mouvement  pour  la  poursuivre  et  pour  l’atteindre , ses  organes 
des  sens  pour  l’apercevoir  de  loin.  Il  faut  même  que  la  nature  ait  placé  dans  son  cerveau 
l’instinct  nécessaire  pour  savoir  se  cacher  et  tendre  des  pièges  à ses  victimes.  Telles  seront  les 
conditions  générales  du  régime  carnivore  ; tout  animal  destiné  pour  ce  régime , les  réunira 
infailliblement , car  sa  race  n’aurail  pu  subsister  sans  elles;  mais,  sous  ces  conditions  géné- 
rales, il  en  existe  de  particulières,  relatives  à la  grandeur,  à l’espèce,  au  séjour  de  la  proie 
pour  laquelle  l’animal  est  disposé,  et  de  chacuhe  de  ces  conditions  particulières  résultent  des 
modifications  de  détail  dans  les  formes  qui  dérivent  des  conditions  générales.  Ainsi,  non- 
seulement  la  classe,  mais  l’ordre,  mais  le  genre,  et  jusqu’à  l’espèce,  se  trouvent  exprimés 
dans  la  forme  de  chaque  partie.....  En  un  mot,  chaque  portion  de  l’animal  détermine  les 


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HISTOIRE.  — I 791-1815.  121 

autres  ; la  forme  de  la  dent  entraîne  la  forme  du  condyle , la  forme  du  condyle  celle  de  l’omo- 
plate, celle  des  ongles,  tout  comme  l'équation  d’une  courbe,  entraîne  toutes  ses  propriétés 

La  moindre  facette  d’os , la  moindre  apophyse  ont  un  caractère  déterminé , relatif  à la  classe, 
à l’ordre,  au  genre,  à l’espèce  auxquels  elles  appartiennent,  au  point  que,  toutes  les  fois  que 
l’on  a seulement  une  extrémité  d’os  bien  conservé,  on  peut,  avec  de  l'application,  et  en  s’ai- 
dant avec  un  peu  d’adresse  de  l’analogie  et  de  la  comparaison  effective,  déterminer  toutes 
ces  choses  aussi  sûrement  que  si  l’on  possédait  l’animal  entier.  J’ai  fait  bien  des  fois  l’expé- 
rience de  cette  méthode  sur  des  portions  d’animaux  connus,  avant  d’y  mettre  entièrement  ma 
confiance  pour  les  fossiles;  mais  elle  a toujours  eu  des  succès  si  infaillibles,  que  je  n'ai  (dus 
aucun  doute  sur  la  certitude  des  résultats  qu’elle  m’a  donnés.  » 

Telle  est,  en  effet,  la  méthode  à l’aide  de  laquelle  Cuvier,  en  explorant  avec  persévérance 
les  entrailles  de  la  terre,  parvint  à déterminer  et  à classer  les  restes  de  plus  de  cent  cinquante 
Mammifères  ou  quadrupèdes  ovipares  , dont  plus  do  quatre-vingt-dix  appartiennent  à des 
espèces  aujourd'hui  inconnues.  Ces  recherches  lui  firent  découvrir  en  mémo  temps  des  ani- 
maux de  toutes  les  classes  : des  Oiseaux,  des  Reptiles,  des  Poissons,  des  Crustacés,  des 
Mollusques  , des  Zoophytes,  et  l’on  vit  ainsi  reparaître,  par  groupes  et  par  masses,  toutes  ces 
populations  éteintes,  qui  attestent  les  révolutions  successives  du  globe  que  nous  habitons. 
Mais,  toutes  ses  découvertes  opérées,  il  s'agissait  de  les  classer,  et,  suivant  les  couches  do 
terrain  oü  on  les  avait  faites,  de  les  rapporter  aux  différentes  catastrophes  que  le  globe  avait 
dû  éprouver  à diverses  époques. 

En  1769,  Pallas  avait  publié  un  Mémoire  sur  les  Ossements  fossiles  de  Sibérie , oii  l’on 
apprit  avec  étonnement  que  l’Éléphant,  le  Rhinocéros  et  l’Hippopotame,  animaux  qüi  no 
vivent  aujourd’hui  que  sous  la  zone  torride , avaient  habité  autrefois  les  contrées  les  plus  sep- 
tentrionales. Dans  un  second  Mémoire,  il  rapporta  ce  fait  non  moins  extraordinaire  d’un  Rhi- 
nocéros trouvé  tout  entier  dans  la  terre  gelée,  avec  sa  peau  et  sa  chair;  fait  qui  s’est  renou- 
velé depuis  dans  cet  Éléphant  découvert  en  1806  sur  les  bonis  de  la  mer  Glaciale,  et  si  bien 
conservé  que  les  Chiens  et  les  Ours  ont  pu  en  dévorer  et  s’en  disputer  les  chairs.  Buffon  s’était 
hâté  d'appuyer  sur  le  premier  fait  son  système  du  refroidissement  graduel  des  régions  po- 
laires, mais  le  second  ne  pouvait  pas  s’y  accommoder,  car  il  montrait  que  ce  refroidissement, 
loin  d'avoir  été  graduel,  avait  dû  être,  au  contraire,  subit  et  instantané;  il  prouvait  que  le 
mémo  instant  qui  avait  fait  périr  les  animaux  dont  il  s’agit , avait  rendu  glacial  le  pays  qu’ils 
habitaient;  car,  s’ils  n’eussent  été  gelés  aussitôt  que  tués,  il  est  évident  qu’ils  n’auraient  pu 
nous  parvenir  avec  leur  peau , leur  chair  et  toutes  leurs  parties  parfaitement  conservées. 

À ces  faits  déjà  si  difficiles  à expliquer  s'ajoutait  cette  observation  si  frappante  que  les  osse- 
ments des  animaux  trouvés  à l’état  fossile  sont  très-différents  des  animaux  analogues,  aujour- 
d’hui vivants.  Cuvier  vit  dans  toutes  ces  circonstances  les  preuves  les  plus  évidentes  des  révo- 
lutions successives  du  globe;  il  ne  s’agissait  plus  que  de  fixer  l’ordre  et,  en  quelque  sorte,  la 
chronologie  de  ces  révolutions.  « C'est  aux  fossiles  seuls,  dit-il , qu’est  due  la  naissance  de  la 
théorie  de  la  terre;  sans  eux,  l’on  n’aurait  peut-être  jamais  songé  qu’il  y ait  eu  dans  la  for- 
mation du  globe  des  époques  successives  et  une  série  d’opérations  différentes.  Eux  seuls 
donnent  la  certitude  où  l’on  est  qu’ils  ont  dû  vivre  à la  surface,  avant  d’être  ensevelis  dans  la 
profondeur.  » 

Ainsi , les  dépouilles  des  êtres  organisés , par  leurs  rapports  avec  les  couches  du  globe  dans 
lesquelles  on  les  rencontre,  montrent  les  différents  âges  de  la  terre  qui  les  a nourris;  elles 
montrent  qu'aprés  chacune  des  catastrophes  que  cette  terre  a subies,  la  vie  animale  a pris 
do  nouvelles  formes,  jusqu’à  celles  qui  caractérisent  les  espèces  aujourd’hui  existantes.  Eu 
pénétrant , en  effet,  dans  les  profondeurs  du  sol , on  ne  trouve  aucune  trace  de  la  vie  animale 
ou  végétale  sur  les  granits  et  les  schistes,  premiers  fondements  de  l’enveloppe  actuelle  du 
globe;  dans  les  terrains  de  transition  qui  forment  la  seconde  couche,  on  voit  paraître  des  Zoo- 
phytes, des  Mollusques,  des  Reptiles  gigantesques  et  inconnus  aujourd'hui  : Y Ichthyosoure , 


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122 


PREMIERE  PARTIE. 

le  Plésiosaure,  nie. , espèces  de  Lézards  prends  commo  des  Baleines.  Dans  la  troisième  couche, 
commencent  à se  retrouver  les  grands  Mammifères  terrestres,  les  Pachydermes  énormes 
découverts  dans  les  carrières  de  Montmartre,  les  Paléothérium,  les  Lephiodons,  les  AnopIMé- 
rium , en  même  temps  que  des  Carnassiers , des  Rongeurs , des  Crocodiles , des  Tortues  et 
des  Poissons.  - 

La  quatrième  couche  de  terrains  renferme  les  dépouilles  d’animaux  marins;  au-dessus, 
celles-ci  disparaissent,  et  on  retrouve  une  nouvelle  population  d'animaux  terrestres.  Ce  sont 
des  Hlanimouths , Éléphants  gigantesques,  des  Rhinocéros,  des  Hippopotames,  des  Masto- 
dontes, des  Paresseux  énormes  dont  les  espèces  actuelles  ne  dépassent  pas  la  taille  d'un  Chien 
et  dont  les  races  perdues  égalent  en  grandeur  les  Rhinocéros , et  celte  population  se  retrouve 
partout  dans  les  couches  sablonneuses  et  limoneuses  île  toutes  les  latitudes , sur  les  bords  de 
la  mer  Glaciale  aussi  bien  que  dans  les  carrières  de  Montmartre.  Ce  n'est  enfin  que  dans  les 
dernières  couches  superficielles  du  globe,  dans  les  concrétions  récentes,  que  l'on  trouvai 
l'état  fossile  des  os  appartenant  A des  animaux  connus,  aujourd'hui  vivants. 

Dans  les  couches  précédantes , on  ne  trouve  presque  aucun  Quadrumane , presque  aucun 
Singe.  Mais  un  fait  bien  plus  remarquable,  c’est  qu’on  n’y  reucoutre  aucun  ossement  humain. 
Ainsi,  l’espèce  humaine  n’a  été  contemporaine  ni  de  toutes  ces  races  perdues,  ni  de  toutes  ces- 
catastrophes  qui  les  ont  détruites;  ainsi,  l’Homme  est  le  dernier  des  êtres  vivants  que  la  na- 
ture semble  avoir  produits,  et  nous  nous  trouvons  aujourd’hui  au  milieu  d’une  quatrième  suc- 
cession d'animaux  et  conséquemment  de  végétaux  terrestres.  Entre  chacun  de  ces  Ages , de 
ces  générations  différentes,  la  mer  est  venue  recouvrir  la  terre,  engloutir  les  débris  des  êtres 
organisés  qui  vivaient  A sa  surface,  et  ce  n’est  qu’après  sa  troisième  irruption  que  l’Homme, 
accompagné  des  animaux  actuels,  est  venu  en  prendre  possession.  « La  science , guidée  par 
le  génie,  a donc  pu  remonter  jusqu’aux  époques  les  plus  reculées  de  l’histoire  de  la  terre; 
elle  a pu  compter  et  déterminer  ces  époques , marquer  le  premier  moment  où  les  êtres  orga- 
nisés ont  paru  sur  le  globe,  et  toutes  les  modifications,  toutes  les  révolutions  qu’ils  ont  éprou- 
vées. Sans  doute,  toutes  les  preuves  de  cette  grande  histoire  n’ont  pas  été  recueillies  par 
Cuvier;  mais  il  n’est  pas  jusqu’aux  découvertes  que  d’autres  ont  fuites  après  lui  qui  n’ajou- 
tent encore  A sa  gloire , à peu  près  comme  on  a vu  graudir  le  nom  de  Colomb , A mesure  que 
les  navigateurs,  venus  après  lui,  ont  fait  mieux  connaître  toute  l’étendue  de  sa  conquête.  » 

En  parcourant  cette  suite  brillanto  dos  travaux  de  Cuvier,  où  l'historien  de  la  science  trou- 
verait difficilement  quoique  temps  de  repos,  nous  avons  passé  sur  les  détails  de  sa  vie  privée, 
auxquels  nous  devons  pourtant  revenir.  Ses  premiers  Mémoires,  publiés  en  1795,  l’année 
même  de  la  fondation  de  l’Institut , lui  avaient  ouvert  les  portes  de  celte  Compagnie , où  il 
forma , avec  Dauhenton  et  Lacépède , le  premier  noyau  de  la  section  de  zoologie.  Il  en  était 
secrétaire  en  1799,  lorsque  Bonaparte,  revenu  de  la  campagne  d’Égypte  et  nommé  premier 
consul,  fut  élu  président  de  celte  assemblée.  Les  rapports  qui  s’établirent  entre  le  président  et 
le  secrétaire  donnèrent  au  grand  capitaine  l’occasion  d’apprécier  le  savant.  Daubenlon  étant 
mort  à la  fin  do  la  même  année.  Cuvier  lui  succéda  dans  la  chaire  d'histoire  naturelle  au 
Collège  de  France,  et  fut  chargé  d’honorer  sa  mémoire  en  présence  do  l'Institut.  L’éloge  qu'il 
prononça  A cette  occasion  est  le  premier  de  cetto  série  de  panégyriques  qui  forment  l'un  de  ses 
meilleurs  titres  de  gloire;  cifr,  A ses  nombreux  talents,  Cuvier  unissait  encore  ceux  de  l'ora- 
teur et  de  l’écrivain.  En  1802,  il  succéda  A Mertrud  dans  la  chaire  d'anatomie  comparée  au 
Muséum.  Lorsqu’on  réorganisa  l'Instruction  publique,  il  fut  chargé,  eu  qualité  d’inspecteur 
général,  de  présider  à lu  fondation  des  Lycées.  Devenu  secrétaire  perpétuel  de  l'Institut,  c'est 
A lui  que  Napoléon  demanda  un  rapport  sur  les  progrès  des  sciences  naturelles  depuis  1789; 
travail  immense  dans  lequel  il  dut  passer  en  revue  toutes  les  branches  des  connaissances  de 
cet  ordre,  y compris  la  physique,  la  chimie,  la  médecine,  comme  leurs  principales  applica- 
tions, et  qui  est  resté  comme  un  véritable  monument  de  l’histoire  scientifique  pendant  cette 
époque.  Dans  la  même  année,  il  fut  nommé  conseiller  à vie  de  l’Université. 


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HISTOIRE.  — 1794-1815. 


123 


On  a blâmé  parlais  Cuvier  d'une  'certaine  condescendance  pour  le  pouvoir , et  dans  cette 
occasion  surtout  oit  les  paroles  qui  terminaient  ce  célébré  rapport  n’avaient  pourtant  que  le 
caractère  d'une  louange  aussi  élevée  que  délicate.  « Il  m’a  loué  comme  j’aime  à l’être,  » avait 
dit  Napoléon.  Cependant,  Cuvier  s'était  borné  â l’inviter  à imiter  Alexandre  et  à faire  tourner  sa 
puissance  aux  progrès  de  l'Histoire  naturelle.  « Il  est  permis  de  croire,  ajoute  judicieusement 
M.  Flourcns,  que  la  louange  qui  n’a  d'aulro  but  que  de  porter  un  souverain  à faire  de  grandes 
choses , n’est  point  indigne  d’un  philosophe.  » 

En  1813,  Napoléon  avait  manifesté  le  dessein  de  charger  l'Aristote  moderne  do  l'éducation 
de  son  Ois  ; c’est  probablement  dans  cette  prévision  qu’il  le  chargea , à plusieurs  reprises , de 
diverses  missions  en  Italie. 

Cuvier  conserva  sous  la  Restauration  sa  haute  position  scientifique , à laquelle  vinrent 
s’ajouter  encore  de  nouvelles  fonctions.  Il  fut  nommé  successivement  conseiller  d’Étal,  prési- 
dent du  Comité  de  l'intérieur,  chancelier  de  l'Université,  grand  officier  de  la  Légion  d’honneur, 
directeur  des  cultes  non  catholiques , enfin  baron  et  pair  de  France.  Il  avait  refusé  la  place 
d'intendant  du  Jardin  du  Roi  et  le  portefeuille  de  ministre  de  l’intérieur.  Cuvier  montra  que 
l’esprit  des  affaires  n’est  pas  incompatible  avec  le  génie  des  sciences.  Il  introduisit,  surtout 
dans  l'Instruction  publique,  des  améliorations  importantes.  C’est  lui  qui  fit  introduire,  dans 
l’enseignement  des  collèges,  dos  cours  d'histoire , do  géographie , de  langues  vivantes , do 
sciences  physiques  et  naturelles;  et,  en  1809,  c’est  à lui  qu'ou  dut  l'organisation  de  la  Faculté 
des  sciences. 

Les  nombreuses  fonctions  dont  il  était  revêtu  n'enlevaient  rien  à ses  devoirs  de  professeurs. 
Hans  les  dernières  années , il  avait  entrepris  au  Collège  de  France  une  sério  de  leçons  sur 
l’histoire  des  sciences  naturelles.  Lu  8 mai  1832,  il  ouvrit  ce  cours  pour  la  troisième  fois, 
en  présence  d'un  immense  auditoire.  A l’issue  do  celte  séance,  il  fut  atteint  des  premiers 
symptômes  d’une  paralysie , sans  doute  provoquée  par  des  excès  de  travail  et  qui , en  peu  de 
jours,  devait  lo  conduire  au  tombeau.  Tous  les  secours  de  l’art  furent  inutiles.  Il  vit  arriver 
la  mort  avec  une  sérénité  admirablo  : il  s’était  fait  transporter  dans  son  cabinet , comme  sur 
son  champ  de  bataille , pour  y exhaler  son  dernier  soupir , entouré  de  sa  famille , de  ses  amis, 
des  objets  ordinaires  de  scs  travaux.  Sa  ligure  était  calme,  reposée  ; aucune  altération  sensible 
ne  s’y  faisait  apercevoir.  Il  n’exprima  qu’un  regret,  celui  de  laisser  inachevés  les  ouvrages 
importants  qu’il  méditait  encore  et  dont  les  matériaux  étaient  entièrement  préparés.  Cuvier 
mourut  le  13  mai  1832 , cl , comme  Aristote,  à l'âge  de  63  ans. 

Le  nombre  et  l’étendue  des  travaux  de  ce  grand  naturaliste  ne  peuvent  s'expliquer  que  par 
les  facultés  supérieures  dont  son  esprit  était  doué , par  sa  mémoire  qui  tenait  du  prodige , par 
sa  facilité  à passer  sans  effort  d’un  travail  à un  autre , mais  aussi  par  l’ordre  et  la  régularité 
qui  présidèrent  toujours  â l’arrangement  de  sa  vie.  Aucun  homme  ne  s'était  jamais  fait  une 
élude  aussi  suivie,  aussi  méthodique  de  l’art  de  ne  perdre  aucun  moment.  Chaque  heure 
avait  son  travail  marqué  ; chaquu  travail  avait  un  cabinet  qui  lui  était  destiné , et  dans  lequel 
se  trouvait  tout  ce  qui  se  rapportait  à ce  travail  : livres,  dessins,  objets.  Tout  était  préparé, 
prévu,  pour  qu’aucune  cause  ne  vint  arrêter,  retarder  l’esprit  dans  le  cours  de  ses  médita- 
tions et  de  ses  recherches.  Voici,  du  reste,  d’après  l’un  de  ses  biographos,  quel  était  habi- 
tuellement le  programme  de  sa  journée  : 

o Levé  à neuf  heures , il  déjeunait  à dix  ; il  consacrait  cet  intervalle  à dresser  le  plan  de  sa 
journée,  à donner  des  ordres,  à lire  sa  correspondance  et  aussi  à ranger  sur  son  bureau  les 
matériaux  do  ses  travaux.  Ce  bureau  offrait  quelquefois  un  curieux  spectacle;  on  y voyait 
rangés  avec  ordre  des  livres  ouverts  à un  chapitre  précis  et  tous  au  même , des  planches  gra- 
vées, dos  animaux  empaillés,  des  squelettes,  des  mâchoires,  des  crânes,  quelquefois  une 
pièce  à demi  disséquée,  et  quelquefois  à côté  d’un  ossement  fossile,  tin  discours  ébauché  ou 
un  éloge , des  esquisses  et  des  épreuves , des  crayons , des  plumes , un  compas  et  même  un 
burin,  car  il  gravait  aussi.  A celte  description,  il  faut  ajouter,  d’après  M.  Pasquier,  que 


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124 


PREMIÈRE  PARTIE, 
chacun  des  differents  cabinets  où  travaillait  Cuvier  était  arrangé  suivant  l'espèce  d'occupation 
à laquelle  il  était  destiné,  et  de  manière  à lui  permettre  de  trouver  toujours  sous  sa  main  les 
ouvrages  dont  il  pouvait  avoir  besoin  pour  ce  genre  de  travail. 

« Au  déjeuner,  où  il  arrivait  presque  toujours  un  livre  à la  main,  Cuvier  se  faisait  apporter 
les  journaux.  Après  le  déjeuner,  repas  pour  lui  toujours  frugal , il  donnait  des  audiences  aux- 
quelles était  admis  quiconque  avait  à lui  parler,  et  pour  lesquelles  il  n’exigeait  pas,  comme 
tant  d'insignifiants  personnages , qu’on  lui  écrivit  d’avance  ; jamais  il  ue  faisait  attendre. 
« Quand  on  demeure,  disait-il,  au  Jardin  des  Plantes,  si  loin  des  solliciteurs,  on  n’a  pas  le 
« droit  de  leur  fermer  sa  porte,  u II  recevait  les  intimes  à sou  bureau , devant  sa  table  à la 
Tronchiu  ; car  toujours , étant  chez  lui , il  écrivait  debout.  Quant  aux  étrangers , il  lus  recevait 
dans  son  salon;  il  les  écoutait  et  leur  répondait  en  se  promenant.  Autant  il  était  vif  A écon- 
duire les  intrigants  et  les  fats,  autant  il  était  affable  et  bou  pour  les  hommes  studieux,  et 
surtout  les  jeunes  gens  timides  et  laborieux , dont  il  aimait  à encourager  le  zèle  en  leur  prodi- 
guant des  secours  et  des  conseils.  A ers  midi,  Cuvier  avait  coutume  de  monter  dans  sa  voi- 
ture, où  il  lisait  et  écrivait  même,  en  se  reudant  soit  au  conseil  d'Élat,  soit  au  ministère  de 
l’intérieur,  pour  sa  direction  des  cultes,  soit  au  Conseil  royal  ou  à l'une  des  trois  Académies 
dont  il  était  membre.  Toutes  ces  fonctions,  il  les  remplissait  avec  ponctualité,  avec  amour  ; 
mais  il  était  surtout  admirable  à sou  secrétariat  de  l'Académie  des  sciences.  Aussi  impartial 
qu’attentif,  il  lisait  intrépidement  les  mémoires  ou  lus  lettres  les  plus  illisibles,  traduisait  A la 
simple  vue  les  textes  étrangers,  donnait  l'équivalent  de  ce  qu'un  autre  que  lui  aurait  trouvé 
incompréhensible,  écoutait  chaque  réclamation  et  prenait  note  de  toutes  choses  pour  les 
procès-verbaux  comme  pour  les  analyses  annuelles.  » 

Cuvier  fut,  à la  vérité,  admirablement  secoudé  par  d'habiles  collaborateurs,  heureux  de  se 
placer  sous  son  brillant  patronage.  Nous  avons  cité  MM.  Duméril,  Duvcrnoy , do  lilainville, 
Brongniart , Valenciennes,  qui  ont  droit  de  réclamer  une  large  pari  dans  ses  premières  recher- 
ches. A ces  noms  devenus  célèbres,  nous  devons  joindre  celui  de  M.  Emmanuel  Rousseau, 
« homme  modeste  et  infatigable;  » ce  sont  les  expressions  de  Cuvier,  qui  avait  aussi  partagé 
les  travaux  de  Mertrud  et  de  GeofTroy-Saiul-Hilairo , et  celui  de  Eaurillard,  qui,  dans  un  éloge 
couronné  pur  l'Académie  de  Besancon , paya  un  si  noble  tribut  à lu  mémoire  de  sou  maître, 
u Ses  collaborateurs!  s'écrie  Pariset,  des  rois , des  princes , dos  ministres,  des  négociants, 
des  voyageurs,  des  savants,  des  navigateurs  de  toutes  les  nations  l'ont  été.  Ils  se  disputaient 
l'honneur  do  procurer  ou  de  transmettre  à Cuvier,  de  toutes  les  parties  du  monde,  les  notes, 
les  dessins,  les  échantillons  qui  pouvaient  contribuer  à la  perfection  de  son  travail.  » La 
haute  cousidératiou  dont  il  jouissait  et  sa  position  élevée  dans  la  science  attiraient  chez  lui 
tous  les  savants  étrangers  qui  visitaient  la  capitale.  Il  admettait  à travailler  dans  sa  vaste 
bibliothèque  tous  les  naturalistes  qui  réclamaient  cette  faveur.  Les  voyageurs  que,  sur  sa  dési- 
gnation , le  Gouvernement  dirigeait  sur  tous  les  points  du  globe  pour  recueillir  des  documents 
scientifiques,  recevaient  de  lui  des  instructions  particulières,  en  sorte  que  l’on  pouvait  dire  de 
lui , comme  de  Linné,  que,  par  toute  la  terre,  on  interrogeait  la  nature  en  son  nom. 

Comme  écrivain , Cuvier,  sans  avoir  la  pompe , la  majesté , l'éclat  de  Buf fou , se  distingue 
par  uu  style  naturel,  grave,  précis,  élégant,  parfaitement  propre  à l'exposition  scientifique. 
Plus  forme,  plus  élevé,  plus  brillant  dans  ses  discours,  il  prend  encore  de  la  noblesse  et  de  la 
grandeur,  lorsqu'il  traite  de  hautes  questions  do  philosophie. 

En  général,  son  style  reflète  los  qualités  dominantes  du  sou  esprit  : l’ordre,  la  clarté, 
l’étendue  des  pensées,  la  force  et  la  netteté  de  l’expression.  On  retrouve  toutes  ces  qualités 
dans  son  célèbre  rapport  sur  les  progrès  dus  sciences  naturelles,  dans  ses  discours  à 
l'Académie,  et  surtout  dans  ses  éloges  historiques , où  clics  sont  encoro  rehaussées  par  une 
forme  plus  vive,  plus  animée,  plus  saisissante.  « Sou  débit,  dit  M.  Flourens,  était  en  général 
grave,  et  même  un  peu  lent,  surtout  vers  le  début  de  ses  leçons;  mais  bientét  ce  débit 
s'animait  par  le  mouvement  des  pensées;  et,  alors,  ce  mouvement  qui  se  communiquait  des 


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H1ST01HE.  — 1794-1815.  125 

pensées  aux  expressions , sa  voix  pénétrante , Tiuspiralion  de  sou  génie  peinte  dans  ses  youx 
et  sur  son  visage,  tout  cet  ensemble  opérait  sur  son  auditoire  l'impression  la  plus  vive  et  la 
plus  profonde.  On  se  sentait  élevé,  moins  encore  par  ces  idées  grandes,  inattendues,  qui 
brillaient  partout , que  par  uue  certaine  force  de  concevoir  et  de  penser  que  cette  parole  sem- 
blait tour  à tour  éveiller , ou  faire  pénétrer  dans  les  esprits.  » 

Cuvier  s’était  marié  à trente-quatre  ans.  Il  avait  épousé  madame  Duvauccl , veuve  do  l’un 
des  viugt'liuit  fermiers  généraux,  morts  victimes  de  la  Révolution.  11  en  avait  eu  quatre 
enfants.  Les  deux  premiers  moururent  en  bas  âge;  il  perdit  le  troisième,  qui  était  un  (ils,  à 
l’âge  de  sept  aus.  Mais  un  plus  grand  malheur  lui  était  réservé;  ce  fut  la  perte  d'une  fille 
charmante , personne  d’un  mérite  accompli , qu’il  adorait , et  qui  mourut  a l'âge  do  vingt-deux 
ans,  huit  jours  avant  de  contracter  un  mariage  qui  lui  promettait  le  plus  heureux  avenir. 

« Au  moment  où  Cuvier  avait  été  si  soudainement  enlevé  â l’admiration  publique,  dit 
M.  Isidore  Geoffroy-Saint-Hilairo , un  fait,  encore  sans  exemple  peut-être,  s’était  produit,  et 
ce  fait  était  le  plus  magnifique  hommage  que  pût  recevoir  la  mémoire  de  notre  immortel 
zoologiste  : le  mouvement  de  la  science  s’était  ralenti  tout  à coup  ; il  avait  presque  paru , en 
France,  du  moins,  s’arrêter  un  instant.  C’est  que  les  naturalistes  de  toutes  les  écoles  s’étaient 
sentis  également  atteints , les  uns  perdant  un  chef  sous  lequel  ils  étaient  depuis  si  longtemps 
habitués  â marcher,  les  autres,  un  adversaire  dont  l’opposition  même,  si  utile  autrefois  au 
développement  des  théories  nouvelles , était  nécessaire  encore  à leur  libre  défense.  » 

Les  événements  scientifiques  qui  composent  cette  période  de  l’histoire  du  Muséum  d'histoire 
naturelle,  semblent  en  effet  se  concentrer  uniquement  dans  les  progrès  si  considérables  que 
fit  la  zoologie  sous  Cuvier  et  Geoffroy-Saint-Hilaire , et,  cependant,  d’autres  sciences  s’avan- 
çaient également  d’un  pas  rapide  et  soutenaient  avec  honneur  la  renommée  de  cette  grande 
école.  Ainsi , la  chaire  de  minéralogie , en  passant  des  mains  de  Daubenton , de  Dolomieu  et 
de  Hauy , dans  celles  d’Alexandre  Brongniart , non-seulement  conservait  tout  son  éclat , mais 
semblait  ouvrir  à cette  science  des  voies  nouvelles  et  fécondes.  L’enseignement  de  lu  chimie 
continué,  après  Fourcroy,  par  Laugier,  Vauquelin  et  (iay-Lussac,  attirait  aux  cours  du  Muséum 
un  auditoire  avide  de  recueillir  la  parole  de  ces  illustres  maîtres;  et  la  Botanique,  confiée  aux 
soins  d’A.-L.  de  Jussieu  et  de  Desfontaines;  l’Agronomie,  à ceux  d’André  Thouin  et  de  Bosc, 
poursuivaient  leur  marche  progressive,  eu  attendant  que  deux  jeunes  botanistes,  aux  noms 
chers  à la  science,  vinssent  augmenter  ses  richesses , en  même  temps  que  la  célébrité  do  leurs 
savantes  familles. 

Le  nom  de  Brongniart  était  déjà  acquis  au  Muséum  d’histoire  naturelle.  C’était  celui  du 
démonstrateur  des  cours  de  Fourcroy , devenu , à la  réorganisation , professeur  de  chimie 
appliquée  aux  arts.  Alexandre  Brongniart  né  à Paris,  en  1770,  était  neveu  de  ce  chimiste  et 
fils  de  l’éminent  architecte  à qui  l'on  doit  le  palais  de  la  Bourse  et  plusieurs  autres  monu- 
ments de  la  capitale.  Entouré,  dès  sa  jeunesse,  de  savants,  d’artistes  et  de  tous  les  moyens 
d’instruction,  son  éducation  se  ressentit  de  cet  heureux  concours  d’éléments,  si  propres  à 
développer  sa  précoce  intelligence.  Cependant  le  goût  des  sciences  prévalut  dans  son  esprit; 
il  était  né  curieux,  ardent,  appliqué;  son  élocution  était  facile,  et  l’on  assure  que  Lavoisier 
prit  plaisir  à lui  entendre  faire,  à quinze  aus,  uue  leçon  de  chimie. 

Alexandre  Brongniart  fit  ses  premières  études  scientifiques  à l’École  des  mines.  A vingt 
ans,  il  était  allé  faire  un  voyage  en  Angleterre  pour  visiter  les  mines  du  Derbyshire;  peu  de 
temps  après,  il  publia  un  premier  Mémoire  sur  l’art  de  VémaiUewr , qui  fut  son  début  dans  la 
carrière  céramique.  Devenu  préparateur  des  cours  de  son  oncle,  au  Jardin  des  Plantes,  il 
commença  l’étude  de  la  médecine;  mais,  atteint  par  la  première  réquisition , il  se  fit  commis- 
sionner, comme  pharmacien  militaire,  à l’armée  des  Pyrénées.  Pendant  quinze  mois,  il  par- 
courut ces  belles  montagnes,  en  zoologiste,  en  tiolauistc  et  en  géologue.  Cependant,  soupçonné 
d’avoir  favorisé  l'évasion  du  naturaliste  Broussonnct,  qui,  en  effet,  n’échappa  à la  mort  qu’en 
franchissant  la  frontière,  à la  brèche  de  Roland , il  fut  mis  en  prison.  Rendu  à la  liberté  après 


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126  PREMIÈRE  PARTIE. 

le  0 thermidor,  il  revint  à Parts  et  obtint  un  emploi  d'ingénieur,  attaché  à l'agence  des  mines. 
Bientôt  après,  il  fut  nommé  professeur  d'histoire  uaturello  à l'École  centrale  des  Quatre- 
Nations;  en  même  temps,  il  devint  collaborateur  des  meilleurs  recueils  scientifiques  do 
l’époque.  En  1800,  sur  la  recommandation  do  Bcrlhollel,  qui  avait  compris  toute  sa  portée, 
il  fut  nommé  directeur  de  la  Manufacture  do  porcelaine  de  Sèvres. 

A l’époque  de  la  réorganisation  do  lTniversilé  impériale,  Alexandra  Brongniart  fut  chargé 
de  composer  un  Trailt!  élémentaire  de  minéralogie.  Cet  ouvrage , qui  parut  on  1 807 , l'un  des 
meilleurs  et  des  plus  pratiques  qui  eussent  paru  jusqu’alors  sur  cette  science,  était  le  complé- 
ment indispensable  du  Traité  d'ilaùy  sur  le  même  sujet.  I.a  clarté  et  l'originalité  d'exposition, 
qui  on  font  le  principal  caractère,  le  rendirent  aussitôt  classique,  et  l'auteur  en  fit  le  texte  de 
scs  leçons  A la  Faculté  des  sciences , où  il  secondait  M.  Haüv , professeur  titulaire.  A la  mort 
de  son  illustre  maître,  il  fut  appelé  à le  remplacer  dans  la  chaire  de  minéralogie  au  Muséum. 


Am.  BBOKcniAai. 


M.  Brongniart  n'avait  pas  cessé  de  s'occuper  do  zoologie.  C'est  à lui  qu’on  doit  la  division 
des  Reptiles  en  quatre  ordres  ; classification  adoptée  aussitôt  par  Cuvier  et  par  tous  les  natu- 
ralistes. Il  créa  pour  les  Animaux  do  celte  classe,  les  noms  de  Sauriens,  do  Batraciens,  de 
Chélonicns  et  iV  Ophidiens,  que  l'on  répète  chaque  jour  sans  so  rappeler  qu’il  en  fut  l’auteur.  Il 
posa  également  les  bases  de  la  classification  des  Trilobites,  ces  singuliers  crustacés,  étrangers 
à toutes  les  créulions  modernes,  et  son  Mémoire  à ce  sujet  est  le  point  de  départ  do  tous  les 
travaux  qui,  depuis,  so  sont  rapportés  à cette  immense  famille.  C'est  ô celte  occasion  que 
Brongniart  entra  en  rapport  avec  Cuvier,  dont  il  devint  presque  aussitôt  le  collaborateur  et 
l’ami.  Il  venait  de  faire,  en  1800,  un  voyage  en  Auvergne,  où  il  avait  signalé,  connno  formés 
dans  l'eau  douce,  des  terrains  qui  ne  renfermaient,  à l'état  fossile,  que  des  coquilles  fluvia- 
tiles;  c’était  une  application  nouvelle  de  la  zoologie  à l'étude  des  couches  minérales.  Cuvier 
reconnut  dès  lors  dans  Alexandra  Brongniart  lu  collaborateur  qu'il  cherchait , cl , dès  l'année 


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HISTOIRE.  — 1794-  1815. 


127 


1810,  ils  présentèrent  ensemble  à l'Institut  leur  Essai  sur  la  géographie  minéralogique  des 
environs  de  Paris,  lis  avaient  été  secondés  dans  ces  recherches  devenues  célèbres  par 
MM.  Beudant,  Constant  Prévost  et  Desmarest  fils.  C’est  principalement  à ce  beau  travail, 
devenu  le  type  de  tous  les  travaux  du  même  genre,  que  Brongniart  dut,  en  1815,  son 
admission  à l’Académie  des  sciences. 

En  1827,  Alexandre  Brongniart  fit  avec  son  fils  un  voyage  en  Suisse.  Il  y fit  de  nom- 
breuses recherches  géologiques,  dont  il  joignit  les  résultats  à sa  seconde  édition  de  sa 
Description  géologique  des  environs  de  Paris.  En  1824,  il  visita,  dans  le  même  but,  la 
Norwége  et  la  Suède,  où  Berzélius  voulut  lui  servir  lui-même  de  guide  et  d’interprète.  C’est 
là  qu’il  posa  les  premières  bases  de  la  classification  des  plus  anciens  terrains  fossilifères , et 
qu’il  recueillit  les  éléments  de  son  beau  travail  sur  les  blocs  erratiques.  A la  même  époque, 
il  donna  de  nombreux  articles  au  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Dans  les  années  sui- 
vantes, il  fit  un  voyage  en  Italie,  dont  les  résultats  enrichirent  la  science  de  plusieurs 
Mémoires  importants,  entre  autres  sur  la  théorio  générale  des  volcans,  et  celle  du  Vésuve 
en  particulier.  En  1825,  il  obtint  le  titre  d’inspecteur  général  des  mines. 

Alexandre  Brongniart  était  doué  d’une  activité  prodigieuse.  A l’âge  de  dix-huit  ans,  il  avait 
été  l’un  des  fondateurs  de  la  Société  philomatique  ; il  en  resta  le  trésorier  depuis  cette  date 
jusqu’à  sa  mort.  Il  exerça  le  professorat  durant  une.  période  de  trente  années.  Il  ne  cessa 
jamais  de  donner  des  soins  a la  collection  minéralogique  du  Muséum , aujourd'hui  la  plus 
riche  du  monde.  Pendant  les  quarante-sept  ans  qu’il  fut  placé  à la  tête  de  la  Manufacture  de 
Sèvres,  il  s’occupa  constamment  de  perfectionner  et  d’enrichir  ce  célèbre  établissement.  Il 
visita  dans  ce  but  toutes  les  fabriques  de  porcelaine  do  l’Europe.  Artiste,  administrateur, 
géologue,  chimiste,  il  réunissait  toutes  les  conditions  désirables  pour  un  pareil  emploi.  C’est 
à lui  que  l’on  doit  la  renaissance  d’un  art  presque  perdu,  celui  de  la  peinture  sur  verre.  Enfin, 
il  fonda,  à Sèvres,  le  Musée  céramique,  riche  collection  des  poteries  de  tous  les  âges  et  de  tous 
les  pays,  qui  lui  fournit  les  matériaux  du  dernier  ouvrage  qu’il  ait  publié,  sous  le  titre  de 
Traité  des  arts  céramiques , en  deux  volumes  in-8°,  avec  atlas,  1844. 

M.  Brongniart  était  le  patriarche  d’une  famille  toute  scientifique,  digne  d’un  chef  aussi 
illustre,  et  qui  faisait  à la  fois  sa  gloire  et  son  bonheur.  Son  fils,  à qui  l’on  doit  les  belles 
recherches  sur  les  végétaux  pétrifiés,  contemporains  des  animaux  fossiles,  enfouis  dans  les 
mêmes  sépultures , et,  comme  eux,  appartenant,  pour  la  plupart , à des  genres  aujourd’hui 
perdus,  M.  Adolphe  Brongniart,  bien  jeune  encore,  avait  pris  place  à ses  côtés  a l’Académie 
des  sciences,  ainsi  que  ses  deux  gendres.  L’un  d’eux  était  M.  Victor  Audouin,  né  en  1797, 
naturaliste  distingué,  fondateur  des  Annales  des  sciences  naturelles  et  de  la  Société  entomolo- 
gique.  Après  avoir  été  suppléant  de  Lamarck  au  Muséum  , il  fut  {nommé  professeur  d’ento- 
mologie, à la  place  de  Latreillo,  mort  en  1833.  On  lui  doit  d'importantes  observations  sur 
les  crustacés , sur  la  muscardino  du  Ver  à soie , sur  la  pyrale  de  la  Vigne , une  Histoire 
naturelle  du  littoral  delà  France,  en  collaboration  avec  M.  Milne- Edwards.  Audouin  fut  admis 
à l’Académie  des  sciences  en  1838,  et  mourut  prématurément  en  1841.  L’autre  gendre 
d’Alexandre  Brongniart  est  M.  Dumas,  dont  tout  le  monde  connaît  les  litres  scientifiques,  les 
talents  élevés , et  qui  tient  aujourd’hui  un  si  haut  rang  parmi  les  premiers  chimistes  de  notre 
époque. 

M.  Brongniart  sut  jouir  pleinement,  mais  avec  modestie,  des  biens  dont  le  sort  l’avait 
comblé.  Sa  maison  était  un  véritable  sanctuaire  do  la  science;  ses  collections  étaient  ouvertes 
à tous  les  naturalistes;  son  salon , qui  réunissait  les  savants,  les  artistes,  les  hommes  éclairés 
de  toutes  les  nations,  rappelait  ces  écoles  do  l’antiquité  où  les  philosophes  discutaient  avec 
leurs  disciples.  Son  accueil  bienveillant,  les  lumières  variées  que  l’on  puisait  dans  sa  conver- 
sation, ses  encouragements,  son  exemple  surtout,  exerçaient  l’influence  la  plus  heureuse 
sur  tous  ceux  qui  l’entouraient.  Il  aimait  et  protégeait  les  jeunes  savants,  qui,  en  retour, 
avalent  pour  lui  autant  d’attachement  que  de  vénération.  M.  Brongniart  mourut  en  1847,  à 


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128 


PREMIÈRE  PARTIE. 

l’âge  de  soixante-dix-sept  ans.  Carrière  honorable  cl  liien  remplie,  qui  montre  eombien  le 
goût  du  travail , le  zèle  pour  la  science  et  le  dévouement  au  devoir  laissent  encore  de  place 
aux  plus  heureux  sentiments,  nu  culte  des  arts,  aux  jouissances  de  la  famille  et  aux  douceurs 
de  l'amitié. 

I.a  géologie,  qui  tient  de  si  prés  à la  minéralogie,  avait  non-seulement  pris  un  rang 
délinitif  parmi  les  sciences  naturelles,  mais  elle  s'était  élevée  à une  hauteur  inespérée  sous 
l'influence  des  découvertes  et  des  théories  de  Cuvier  et  de  Rrongniart.  Faqjas  de  Saint-Fond 
continuait  d'en  faire  la  matière  de  son  enseignement  au  Muséum;  toutefois,  l'âge  commençait 
â affaiblir  ses  forces,  et,  rcjjré  à la  campagne,  il  no  venait  guère  à Paris  que  pour  faire  son 
cours.  Les  collections,  qui  s'augmentaient  journellement,  avaient  besoin  d’èlro  disposées 
dans  un  nouvel  ordre  : ce  soin  était  réservé  à M.  Cordier,  inspecteur  divisionnaire  des  mines, 
élève  et  ami  de  Dolomieu,  son  compagnon  dans  plusieurs  voyages,  son  collègue  dans  l’expé- 
dition d'Ègyple,  et  qui  devait  hientût  succéder  à Faujas  de  Saint-Fond. 

Nous  n'avons  rien  â ajouter  à co  que  nous  avons  dit  plus  haut  de  l’enseignement  de  la 
botanique  au  Muséum,  durant  cette  période.  Quant  â la  chimie,  on  sait  que  la  chaire  de 
Fourcroy  échut,  en  1810,  â Laugier,  son  suppléant  dopuis  plusieurs  années.  Dès  l'année 
1801,  la  chaire  do  chimie  appliquée,  laissée  vacante  par  Auguste  Drongniart,  avait  passé 
dans  les  mains  de  Yauquelin,  l'élève  et  le  collaborateur  assidu  de  Fourcroy. 


Nicolas-Louis  Yauquelin  naquit  en  1763,  dans  la  petite  commune  de  Saiut-Andié-d’Hé- 
berlot , département  du  Calvados.  Ses  parents  étaient  pauvres.  Ils  cultivaient  la  terre  pour  les 
autres  et  pour  eux-mèmes,  car  ils  possédaient  quelques  champs  et  une  cabane.  Dans  lo 
voisinage  était  lo  château  d’Hébertot,  appartenant  nu  descendant  d'un  homme  illustre,  du 
chancelier  d'Aguesseau.  Le  |wro  de  Yauquelin  avait  1a  direction  d'assez  grands  travaux  d’agri- 
culture, que  le  jeune  homme  partageait  comme  un  simple  ouvrier.  Cependant,  il  faisait 
quelques  études  chez  le  magistor  du  village,  et  il  montrait  autant  d’intelligence  que  d’appli- 


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HISTOIRE.  — 1 704-1815.  129 

cation.  Sa  mère,  charmée  de  ses  succès  autant  qu’éblouie  par  la  belle  livrée  que  portaient 
les  domestiques  du  château,  lui  répétait  souvent  : <»  Courage,  Colin!  applique-toi  : tu  auras 
quelque  jour  de  beaux  habits  comme  ces  messieurs.  » 

Lassé  des  travaux  rustiques  et  préférant  ceux  qui  so  rapportaient  à l’étude , Vauquelin  se 
présenta  chez  un  pharmacien  de  Rouen , qui  l'admit  comme  garçon  de  laboratoire.  Ce  phar- 
macien faisait  chez  lui  quelques  cours  de  physique  et  de  chimie.  Vauquelin,  tout  en  surveillant 
les  fourneaux  et  les  appareils,  saisissait  â la  volée  quelques  paroles  du  professeur,  les 
recueillait  avec  soin  dans  sa  mémoire , puis , à l'aide  de  quelques  livres  que  lui  prêtaient  les 
élèves,  rédigeait,  pendant  la  nuit,  les  notions  qu’il  avait  retenues.  Surpris  dans  ce  travail 
par  le  professeur,  au  lieu  d’encouragements,  il  reçut  des  réprimandes  et  le  maître,  dans  son 
emportement,  mit  en  pièces  le  manuscrit.  «On  m'aurait  ôté  le  seul  habit  que  j’eusse  au 
« monde,  disait  Vauquelin,  j’aurais  été  moins  affligé.  » Ce  trait  de  dureté  le  révolta,  et  il 
quitta  Rouen  pour  venir  à Paris. 

Cependant,  déjà  formé  par  le  travail  et  par  ses  études  secrètes,  il  n'hésita  pas  à se  présenter 
comme  élève  en  pharmacie,  dans  quelques  officines.  Il  eut  le  bonheur  de  trouver  une  place 
chez  Chéradanie,  professeur  à l’École  de  pharmacie.  C’est  là  qu’il  connut  Laugier,  et,  plus 
tard , Fourcroy , déjà  professeur  brillant  et  très-répandu.  Fourcroy  avait  une  sœur  malheu- 
reuse, que  la  famille  Chéradame  avait  accueillie  et  qu’il  venait  voir  souvent,  il  avait  besoin 
d’un  aide,  d’un  préparateur;  frappé  de  l'intelligence  et  de  l’exactitude  de  Vauquelin,  il  lui 
offre  un  logement,  sa  table  et  300  francs  de  traitement,  mais  ce  qui  touche  bien  plus  le  jeune 
chimiste , la  direction  d’un  laboratoire  et  le  patronage  d’un  maître  déjà  célèbre. 

('.'était  l’époque  où,  sous  l’inspiration  des  découvertes  de  Lavoisier,  Fourcroy,  lui-niême, 
l’un  des  fondateurs  de  la  nomenclature  chimique,  répandait  les  nouvelles  lumières  de  cette 
science  au  Lycée,  au  Jardin  des  Plantes,  dans  son  propre  amphithéâtre,  où,  par  le  charme 
«le  sa  parole,  comme  par  l'intérêt  des  phénomènes  qu’il  expliquait,  il  faisait  naître  partout 
l’admiration  et  l’enthousiasme.  Placé  à la  source  de  ces  vérités  proclamées  qvec  tant  d'éclat , 
Vauquelin  s’échauffait  «le  la  même  ar«leur.  Il  étudiait  la  physique,  l'anatomie,  l’histoire  nalu- 
r«*lle,  il  reprenait  sous  main  ses  éludes  classiques,  il  s’exerçait  surtout  à l’analyse  chimique, 
partie  de  la  science  dans  laquelle  il  se  posa  bientôt  en  maître,  et  où  personne  depuis  n’espéra 
l'égaler.  Fourcroy,  qui  r«>gardnit  Vauquelin  comme  son  plus  «ligne  ouvrage,  l’encourageait  à 
se  produire,  à sortir  de  l’ombre  qui  convenait  si  bien  à sa  timidité,  enfin,  il  l'associa  à ses 
recherches,  et,  dès  cette  époque,  commença  à paraître  celte  suite  de  travaux  célèbres,  signés 
do  leurs  «leux  noms  réunis.  A partir  «le  ce  moment , ces  «leux  noms  se  trouvèrent  confondus 
en  «|uel«|iie  sorte  dans  l’esprit,  dans  l’estime  de  tous  les  chimistes.  Jamais,  en  effet,  deux 
natures  si  diverses  ne  s'étaient  plus  heureusement  associées.  L’ardeur,  la  vivacité,  l'esprit 
synthétique  de  Fourcroy  étaient  tempérés  par  la  sagacité  froide,  patiente,  ingénieuse  de  Vau- 
quelin.  Fourcroy  sans  lui  eût  anticipé  sur  l’aveuir,  Vauquelin  sans  Fourcroy  n’eût  peut-être 
rien  fait  pour  sa  propre  renommé»*.  Réunis,  ils  se  complétaient  l’un  par  l’autre,  et  leur 
association  présentait  l’idéal  des  conditions  les  mieux  appropriées  à la  recherche  scientifique  : 
le  génie  «jui  imagine  et  celui  «pii  exécute,  l'habileté  «jui  réalise  et  le  talent  «pii  expose  et 
résume. 

Vauquelin,  de  garçon  de  laboratoire  devenu  un  grand  chimiste,  Fourcroy  aurait  voulu  qu'il 
devînt  un  grand  professeur;  mais  est-ce  là  une  faculté  qui  s’acquiert  par  l’élude,  quand  les 
dispositions  natives  ne  s’y  prêtent  qu’à  regret?  Néanmoins,  à force  de  lutter  contre  les 
obstacles,  Vauquelin  parut  avec  succès  dans  la  chaire  professorale.  Ce  n’étaient  point  l'abon- 
dance, la  facilité,  la  richesse  «l'élocution  de  Fourcroy;  mais  la  simplicité  «les  démonstrations, 
l’exactitude  «les  expériences,  une  profusion  inépuisable  de  détails  pratiqu<s,  voilà  co  «pii 
donnait  tant  de  prix  à ses  cours,  à l’Athénée  «les  arls,  au  Lycée,  et  bientôt  dans  In  chaire  «lu 
Muséum  d'histoire  naturelle,  «<  Aussi,  «lit  Pariset,  tandis  «pie,  par  l’éclat  de  ses  leçons, 
Fourcroy  répandait  le  goût  «le  la  chimie  et  se  formait  «l«*s  légions  d’admirateurs,  Vauquelin, 

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PREMIÈRE  PARTIE. 

par  la  solidité  des  siennes , inculquai!  la  science , et  lui  formait  une  élite  d'excellents  élèves. 
Tout  ce  qui  fait  aujourd’hui  l'ornement  de  la  chimie  française  est  sorti  de  son  école.  Enfla , 
une  place  fut  vacante  dans  l’ancienne  Académie  des  sciences;  elle  fut  donnée  à Yauquelin. 
Vauquelin  fut  le  dernier  membre  que  nomma  cette  illustre  compagnie,  a 

« Déjà  l’orage  grondait  au-dessus  do  ce  grand  abîme  que  creusait  la  révolution  française,  et 
où  s’engloutirent  et  l’Académie  des  sciences,  et  tous  les  corps  savants,  et  toutes  les  écoles,  et 
toutes  les  institutions  ; époque  désastreuse  où  tout  manquait  à la  France,  excepté  sou  invincible 
courage,  où  les  sentiments  les  plus  naturels,  la  paix,  la  modération  et  jusqu'à  la  pitié,  sem- 
blaient bannis  du  fouir  des  hommes.  Du  moins,  cette  pitié  ne  fut-elle  jamais  éteinte  dans  le 
cœur  de  Vauquelin,  et  quelle  preuve  il  en  donna  ce  jour  de  fatale  mémoire  où  l'antique  trône 
de  France  s’écroula  dans  le  sang , et  où  ses  défenseurs  furent  si  malheureusement  aux  prises 
arec  la  fureur  populaire!  MM.  Chevallier  et  Robinet  racontent  que  ce  jour-là,  pour  éviter  la 
mort  qui  lo  pressait,  un  garde  suisse  s'échappe , fuit,  court,  vole,  tourne  une  rue,  trouve  une 
porte,  s’y  jette , traverse  une  cour  comme  un  trait  et  tombe  palpitant , où?  dans  le  laboratoire 
de  Vauquelin,  à ses  pieds  et  aux  pieds  de  deux  femmes  qui  étaieul  avec  lui.  Que  faire!  il  n’est 
qu’un  parti  : c’est  de  rendre  ce  malheureux  si  différent  de  lui-même  que  l’œil  des  meurtriers 
ue  puisse  le  reconnaître.  A l'instant  ses  vêtements  sont  ôtés,  jetés  au  feu,  brûlés,  ses  mous- 
taches coupées,  son  visage,  scs  mains  noircis  de  charbon;  on  l’affuble  d’un  vieux  liabit  et 
d’un  tablier.  Le  voilà  ce  que  fut  Vauquelin,  garçon  de  laboratoire.  Quel  magicien  opéra  une 
métamorphose  si  prompte  et  si  complète?  co  vif  sentiment  d'humanité,  celte  pitié  pénétrante 
qui  ne  raisonne  plus  avec  le  péril,  et  fait  renoncer  à la  vie  pour  sauver  celle  d'un  infortuné. 
Heureusement  ceux  qui,  le  couteau  à lu  main,  poursuivaient  le  garde  suisse,  perdirent  sa 
trace.  Il  s’était  évanoui  comme  l’oiseau  qui  fuit,  comme  la  flèclio  qui  vole.  Le  laboratoire  qui 
l'avait  reçu  faisait  partie  d’une  offloine  que  Vauquelin  avait  prise  daus  son  changement  de 
fortune , et  qu’il  tenait  avec  le  titre  de  maître  en  pharmacie.  Les  deux  dames  qui  partageaient 
sa  nouvelle  demeure  étaient  les  sieurs  de  Fourcroy.  Il  avait  été  leur  pensionnaire.  Elles  avaient 
été  pauvres,  elles  l'avaient  recueilli  : il  les  recueillit  à son  tour,  et  no  s’en  sépara  jamais. 
Les  rôles  étaient  changés , parce  que  les  cœurs  ne  l'étaient  pas. 

« Cependant , les  événements  so  précipitent.  Seule  et  debout  contre  toutes  les  nations,  la 
France,  pour  s’en  défendre  et  pour  les  attaquer,  la  France,  au  milieu  do  ses  divisions,  cher- 
che en  elle-même  toutes  scs  ressources.  Ce  qu’elle  demandait  autrefois  à l’étranger,  elle  le 
demande  à ses  concitoyens,  à Monge,  à Rertliollet;  elle  le  demande  à Vauquelin  , mais  dans 
quels  termes!  L'ordre  qu’il  reçoit  est  ainsi  conçu  ; « Pars,  fais-nous  du  salpêtre  ou  marche 
au  supplice.  « La  postérité  le  croira-l-elle?  Sous  ces  accents  do  fureur,  on  cachait  un  bien- 
fait : on  voulait  sauver  Vauquelin  en  le  rendant  nécessaire.  Il  port,  il  visite  les  départements, 
il  en  fait  sortir  des  milliers  de  salpêtre  qu’il  expédie  pour  les  ateliers  de  la  capitale.  On  sait  le 
reste  : l’Europe  fut  vaincue , et  l'histoire , en  célébrant  les  triomphes  de  la  France , fera  res- 
souvenir qu'ils  n’ont  pas  été  moins  dus  au  génie  qu’à  la  valeur  de  ses  habitants. 

« Revenu  au  calme  et  à l'œuvre,  on  reconnut  l’utilité  des  sciences  et  les  services  qu’elles 
avaient  pu  rendre.  On  avait  détruit , on  s’empressa  de  reconstruire  les  institutions  savantes. 
A côté  des  Lycées  et  des  Écoles  centrales  qu'organisait  Fourcroy,  s’élevèrent  et  l’École  poly- 
technique, et  l’École  des  mutes,  et  l'Institut  national.  Une  place  fut  marquée  pour  Vauquelin 
dans  ces  trois  derniers  établissements.  Il  fut  un  moment  successeur  de  J.  d’Areet  à 1a  chaire 
de  chimie  du  Collège  de  France;  mais  Fourcroy  était  fixé  au  Jardin  du  Roi;  la  mort  de 
M.  Aug.-L.  Brongniart  y laissait  vacante  la  chaire  de  chimie  appliquée  aux  arts.  Ce  fut  celle 
que  Vauquelin  préféra,  et,  en  se  réunissant  à l’illustre  colonie  du  Jardin  des  Plantes,  il  sem- 
blait rentrer  dans  le  sein  de  sa  propre  famille.  La  Légion  d’honneur  fut  créée  : Vauquelin  fut 
un  des  premiers  légionnaires.  On  forma  des  Écoles  spéciales  de  pharmacie;  il  fut  mis  à la 
tète  do  cello  do  Paris. 

« A peu  prés  à lu  même  époque,  on  avait  fondé  un  bureau  de  garantie  pour  les  matières  d’or 


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HISTOIRE.  — 1794-  1815. 


131 


et  d'argent;  Vauquelin  en  sollicitait  la  direction , mais  on  le  refusa  : il  n'était  que  grand  chi- 
miste. On  voulait  îles  connaissances  spéciales,  et  il  les  avait;  un  praticien  et  un  manipulateur, 
et  il  l'était.  Il  s'euferme,  compose  l'Art  de  l'essayeur , et  le  jette  dans  le  public,  en  gardant 
l’anonyme.  A l'instant,  on  se  récrie  sur  l’excellence  do  l’ouvrage , dont  l’auteur  ne  peut  élro 
qu'un  essayeur  consommé.  Yauquolin  se  nomme  et  obtient  la  place. 

o Un  dernier  hommage  lui  était  réservé,  ajoute  Pariset,  à qui  j'emprunte  ici  les  meilleurs 
traits  de  l'éloge  qu'il  a fait  de  Yanquelin,  à l'Académie  de  médecine.  Il  eut,  en  1809,  le 
malheur  de  perdre  Kourcroy.  La  chaire  de  chimie  n’appartenait  plus  à personne.  Il  fallait, 
pour  l’occuper,  l’obtenir  au  concours , et  avoir  le  titre  de  docteur  en  médecine.  Ce  titre,  Vau- 
ipielin  ne  l'avait  pas,  mais  il  eu  était  digne,  et  par  des  connaissances  médicales  très-étendues, 
et  par  d’autres  connaissances  que  n’ont  pas  toujours  les  médecins  de  profession.  Il  écrivit  sur 
l'analyse  de  la  matière  cérébrale,  dans  l'homme  et  les  animaux,  une  Thèse  qui  lui  valut  à la 
fois  le  doctorat  et  la  chaire.  L’estime , le  respect , la  crainte , le  sentiment  que  l’on  avait  de  sa 
supériorité , tout  concourut  à écarter  ses  rivaux.  Il  triompha  sans  combattre,  et  la  chaire 
vint  à lui  plutôt  qu'il  n'alla  à elle...  » 

Que  servirait  de  présenter  ici  In  longue  énumération  des  travaux  chimiques  de  Vnuquelin  ? 
Ces  détails  n’apprendraient  rien  aux  chimistes  de  profession , auxquels  les  nombreux  travaux 
de  ce  savant  sont  si  familiers,  travaux  dont  les  ouvrages  spéciaux  sont  en  quelque  sorte  rem- 
plis? Qui  ne  sait  que  parmi  les  corps  nouveaux  qu’il  a découverts  se  trouve  en  première  ligne 
le  chrome , métal  qu'il  relira  le  premier  du  plomb  rouge  de  Sibérie , et  qu’il  retrouva  dans  lo 
rubis  spinelle,  à l’état  d’acide;  découverte  du  plus  grand  intérêt  pour  la  teinture,  pour  l’art 
do  colorer  le  verre,  les  émaux  et  la  porcelaine?  Il  trouva,  dans  l’aigue-marine  et  dans  l’éme- 
raude, une  terre  nouvelle,  la  glucine,  que  d'autres  chimistes  avaient  longtemps  confondue 
avec  l'alumine.  Il  faudrait  citer  du  moins  ses  recherches  sur  l’asparagine,  sur  les  quinquinas, 
sur  les  acides  pectique,  citrique,  tartareux,  sur  la  conversion  des  acides  les  uns  dans  les 
autres , sur  l’identité  de  l’acide  pyroligneux  avec  l’acide  acétique,  sur  celle  du  sucre  avec  la 
gomme  et  la  fécule,  et  une  multitude  d’autres  travaux  qu’il  exécuta  tantôt  seul,  tantôt  en 
collaboration  avec  Kourcroy  ou  d’autres  chimistes , mais  qui  portent  tous  l’empreinte  d’mio 
étude  sévère,  profonde,  attontivo,  comme  ils  se  distinguent  par  les  vues  d’utilité  et  d’applica- 
tion qu’il  s'efforcait  toujours  d’y  rattacher. 

Vauquelin  était  d’une  taille  élevée,  d’une  physionomie  ouverte  et  calme,  où  se  réfléchissait 
la  sérénité  de  son  esprit,  qu’animait  seulement  deux  grands  yeux  noirs,  d’un  regard  plus  ferme 
que  pénétrant , et  oh  se  peignaient  à la  fois  l’intclligonce  et  la  bonté.  Dans  les  épanchements 
de  son  «eur,  il  aimait  à parler  du  lieu  de  sa  naissance,  do  In  pauvreté  de  ses  parents,  de 
l'humilité  de  sa  condition,  des  rudes  épreuves  do  son  premier  ège.  Il  faisait  presque  etiaque 
année  le  voyage  d’Hébertot , non  pour  y promener  l’orgueil  de  sa  célébrité , mais  pour  con- 
soler, honorer  sa  mère,  pour  assurer  son  bien-être  et  celui  de  ses  frères,  et  retrouver  au 
milieu  des  siens  ces  vires  affections  de  famille  dont  les  premières  impressions  sont  ineffaça- 
bles, et  qu'il  étendait  jusque  sur  ses  élèves.  Il  eut,  en  (827,  l'honneur  d'être  élu  député  par 

10  département  du  Calvados.  Arrivé  à la  fin  de  sa  carrière,  entourée  de  la  considération  la 
mieux  méritée,  rien  n’eût  manqué  & son  existence,  si  sa  santé  depuis  quelque  temps  chance- 
lante ne  se  fût  assez  rapidement  altérée.  Il  voulut  encore  aller  respirer  l’air  natal.  Après  dès 
alternatives  do  bien  et  do  mal , une  imprudence  accéléra  la  funeste  catastrophe.  Malgré  les 
soins  les  plus  éclairés  , il  sentit  sa  lin  s'approcher,  et  occupé  dans  ces  moments  suprêmes  de 
quelques  vers  de  Virgile  qu’il  essayait  de  traduire,  il  expira  tranquillement  en  novembre  1829. 

11  était  Agé  de  66  ans. 

Laugier  était  depuis  un  an  préparateur  du  cours  de  Fourcroy,  son  parent,  et  le  suppléait 
parfois  dans  ses  leçons,  lorsque  Vauquelin  vint  occuper  la  chaire  île  chimie  appliquée,  au 
Muséum.  André  Laugier,  né  à Paris  en  1770,  était  fils  du  trésorier  des  Quiuze-Vingts.  Un 
homme  puissant  de  l'époque,  d'une  moralité  fort  suspecte,  niais  ayant  la  haute  main  sur 


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PRKVlfcRK  I*  V 11  T I B . 
l'établissement,  oui  la  |»onséedo  prélever  une  certaine  somme  sur  la  caisse  do  l'administration 
et  proposa  à Laurier  père  do  surcharger  ses  comptes.  L'intègre  comptable  s’y  refusa  avec 
indignation,  et  la  vengeance  ne  se  lit  point  attendre.  I ne  lettre  de  cachet  fut  lancée*  contre  lui, 
et  il  perdit  non-seulement  son  emploi , mais  une  partie  de  sa  fortune.  L’aisance  de  sa  famille 
se  trouva  fort  restreinte,  et  l’éducation  «lu  jeune  André  s'en  ressentit  quelque  peu.  Cependant, 
on  le  plaça  à Picpus.  puis  au  collège  «le  Lisieux,  à Paris;  il  obtint  «piolqucs  succès  dans  ses 
classes,  bien  qu'il  fût  peu  encouragé  par  ses  maîtres,  et,  à ce  sujet,  il  racontait  lui-mème 
une  aventure  de  collège,  bien  capable  en  effet  «l’éteindre  plutôt  «pu*  «l’exciter  son  émulation. 

Sa  classe  comptait  prés  «b*  cent  élèves;  il  était  le  plus  jeune  do  tous,  et  rarement  dans  les 
compositions  il  dépassait  le  quarantième.  Le  professeur  ne  s'étonnait  nullement  «le  ne  pas  le 
voir  figurer  en  meilleur  rang,  l’Age  «le  l’enfant  lui  en  indiipiait  le  vrai  motif.  Cependant,  après 
quelques  efforts,  Laugier  se  lit  jour  et  obtint  une  «|«-s  premières  places.  Heureux  de  «•«*  petit 
triomphe,  il  en  attendait  la  récompense , lors«pi’«m  le  manda  chez  le  frère  correcteur,  el  là  le 
succès  du  fils  fut  traité  avec  autant  «le  justice  que  la  probité  «lu  père.  Encore  était-il  «pie  le 
professeur  préloudnit  légitimer  cet  acte  «le  brutale  sévérité  par  un  raisonnement  spécieux,  car 
il  disait  ; ««  Je  tu*  sévissais  pas  contre  lui,  parce  «pie  j«*  ne  le  croyais  pas  capable  «le  mieux 
faire;  mais,  puisqu'il  vient  d'obtenir  une  bonne  place,  il  est  évi«lent  que  c'était  sa  faute,  et 
«pie,  par  conséquent,  il  doit  être  puni  pour  le  passé.  » 


Ses  études  étaient  terminées  en  1788.  La  chimie,  à cette  époque,  préludait  au  brillant  essor 
qu'elle  allait  prendre  dans  les  dernières  années  du  siècle  ; Fourcrov  était  l'un  de  ses  élo«ju.  nts 
interprètes,  et  c'est  à son  école  «pie  Laugmr  vint  puiser  les  premières  notions  de  celte  science. 
Il  se  livra  avec  ardeur  au  travail  sous  ce  précieux  patronage,  mais  les  événements  politi«|ues 
ne  tardèrent  pas  à l’y  arracher.  La  France  venait  d’ètre  envahie;  l'ennemi  se  dirigeait  sur  la 
capitale;  Laugier  se  lit  soldat  et  rejoignit  l'année;  il  avait  alors  vingt-deux  ans.  tjon  équipage 
était  mince,  les  pluies  étaieuf 'abondantes,  les  marches  f«»reé«*s,  et  sa  santé  eut  fort  à souffrir. 


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HISTOIRE. — 1704-  1815. 


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Le  jeune  chimiste  n'avait  aucune  vocation  pour  le  métier  des  armes,  qu’il  n'avait  embrassé 
que  par  un  généreux  élan  de  patriotisme;  après  six  mois  do  campagne,  et  lorsque  les  Prussiens 
eurent  repassé  la  frontière,  il  quitta  ce  qu'on  appelait  le  camp  de  la  Lune,  sans  avoir  brûlé 
une  amorce,  et  n'emportant  pour  tout  trophée  que  des  douleurs  de  rhumatisme,  qui,  pendant 
tout  le  reste  de  sa  vio,  devinrent  pour  lui  d'importuns  souvenirs  de  son  premier  fait  d'armes. 

De  retour  à Paris  en  1794,  il  fut  nommé,  sur  la  recommandation  de  Fourerov,  à un  emploi 
dans  les  poudres  et  salpêtres;  mais  il  ne  le  posséda  que  peu  de  temps.  Il  venait  d’épouser  la 
fille  de  Chéradame,  chez  qui  Yauquelin  avait  fait  scs  premières  études  pharmaceutiques,  et 
Laugier  se  décida  à prendre  le  même  parti.  L’étude  qu'il  avait  faite  de  la  chimie  lui  devenait 
d’un  grand  secours,  et  il  fut  bicntûl  en  état  de  gérer  la  pharmacie  de  sou  beau-père.  Mais,  au 
même  moment,  l'expédition  d’Égypte  ayant  été  résolue,  il  ne  résista  point  au  désir  d'en  faire 
partie,  et  il  obtint  en  effet  uu  emploi  de  pharmacien  major.  Arrivé  à Toulon,  il  tomba  malade, 
et  l’escadre  ayant  fait  voile,  il  resta  attaché  à l’hôpital  militaire  de  cette  ville;  peu  de  temps 
après,  il  fut  chargé  de  la  chaire  de  chimie  à l’école  centrale  du  département  du  Yar. 

En  1799,  Laugier  fut  nommé  professeur  à l’hôpital  militaire  d’instruction  à Lille,  et  il  y 
professait  avec  distinction,  lorsque  Fourcroy,  devenu  directeur  de  l'instruction  publique,  le 
choisit  pour  son  suppléant  au  Muséum  d'histoire  naturelle  : la  tâche  était  difficile  à remplir  ; 
Laugier,  sans  avoir  la  brillante  élocution  de  Fourcroy,  se  faisait  pourtant  remarquer  par  la 
clarté,  par  la  méthode,  par  une  grande  lucidité  d’exposition;  ses  leçons  étaient  très-suivies,  et 
à la  mort  du  professeur  en  titre,  la  chaire  de  chimie  générale  lui  fut  acquise  comme  un  héritage 
justement  mérité.  La  plaee  qu’il  laissait  vacante  allait  être  occupée  par  M.  Chevreul. 

Fourcroy  ne  borna  point  là  son  affectueuse  protection  envers  Laugier.  Il  en  fit  son  secrétaire 
intime;. au  rétablissement  de  PI  Diversité,  celui-ci  devint  chef  de  bureau  dans  In  division  de 
l’instruction  publique,  au  ministère  de  l’intérieur.  Il  était  depuis  longtemps  professeur  d'his- 
toire naturelle  à l’École  de  pharmacie  de  Paris,  il  en  fut  nommé  sous-directeur  en  1811,  puis 
directeur  en  1829,  après  lu  mort  de  Yauquelin. 

Laugier,  obligé  de  se  partager  entre  ses  devoirs  d’administration  et  ses  recherches  scientifi- 
ques, ne  put  jamais  donner  à celles-ci  tout  le  développement  qu’il  eût  désiré,  et  pourtant  la 
liste  de  ses  travaux  est  encore  considérable.  Il  les  dirigea  toujours  de  préférence  sur  l’analyse 
des  minéraux,  sur  la  composition  des  fossiles  inorganiques.  Ces  analyses  très-nombreuses 
sont  d’une  telle  exactitude  qu’elles  ont  servi  de  type  à Berzélius  pour  établir  son  système  de 
minéralogie.  Il  s’occupa  également  de  l’analyse  des  aérolühes,  et  il  a indiqué  la  meilleure 
méthode  à suivre  pour  déterminer  la  nature  et  les  proportions  des  éléments  que  ces  pierres 
météoriques  peuvent  contenir.  Enfin  il  a étudié  les  concrétions  calculeuses,  et  remarqué  le 
premier  ce  qui  distingue  les  calculs  vésicaux  des  herbivores  de  ceux  des  animaux  carnivores. 

Laugier  mourut  en  1832,  victime  du  fléau  qui  enleva  la  même  année  aux  sciences  Sérullas, 
Henry,  Plis  son.  Cuvier  et  tant  d’autres  savants.  Deux  de  ses  (ils  occupent  aujourd'hui  d’ho- 
uoritblcs  postes  scientifiques,  l’un  à l’Académie  des  sciences,  l’autre  à la  Faculté  de  médecine 
de  Paris.  Son  éloge  fut  prononcé,  en  présence  de  l’École  et  de  la  Société  de  pharmacie,  par 
M.  Hnhiquet,  de  l’Académie  des  sciences,  et  c’est  de  cette  intéressante  notice  que  nous  avons 
tiré  les  principaux  détails  que  nous  venons  de  reproduire. 

La  science  poursuivait  ainsi  sa  marche  progressive,  et  la  prospérité  du  Muséum  se  dévelop- 
pait avec  calme  et  sécurité,  tandis  qu’au  dehors  lu  France  était  menacée  par  une  formidable 
coalition.  En  1813,  les  finances  de  l'État  étant  absorbées  par  les  besoins  de  la  guerre,  on  fut 
obligé  de  restreindre  les  allocations  destinées  aux  sciences.  L’administration  du  Muséum  fit 
suspendre  les  travaux  commencés,  on  se  borna  aux  dépenses  les  plus  indispensables;  un 
grand  nombre  d’élèves  furent  obligés  de  rejoindre  les  armées;  l’enseignement  seul  n’éprouva 
aucune  interruption. 

L'année  suivante,  lorsque  les  troupes  étrangères  entrèrent  à Paris,  un  corps  de  Prussiens  su 
présenta  à la  porte  du  Muséum,  oii  il  sc  pressait  de  bivouaquer.  Dans  le  premier  moment  les 


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134 


PREMIERE  PARTIE. 


professeurs  surpris,  isolés,  n'avaient  aucun  moyen  de  communiquer  avec  l’autorité  et  étaient 
à la  discrétion  des  vainqueurs.  Le  commandant  prussien  consentit  néanmoins  à attendre  deux 
lieures,  avant  d'occuper  le  poste  qui  lui  était  assigné.  Ce  délai  suffit  aux  administrateurs  pour 
recourir  à la  protection  d’un  savant  illustre,  M.  de  Humboldt,  qui  obtint  aussitôt  une  sauve- 
garde, et  le  Muséum  fut  mis  à l’abri  de  l’occupation.  Quelques  jours  après,  les  souverains 
étrangers  en  personne  venaient  en  admirer  les  richesses,  la  belle  ordonnance,  et  rassurer  eux- 
mêmes  les  professeurs  sur  le  sort  do  ce  précieux  établissement. 

Le  Muséum  d’histoire  naturelle  venait  d’échapper  à un  grand  danger,  qui  malheureusement 
devait  se  représenter  dès  l’aunée  suivante.  En  1815,  les  alliés  manifestèrent  des  intentions 
moins  généreuses  ; chaque  nation  réclama  les  objets  que  les  guerres  précédentes  leur  avaient 
enlevés.  Un  redemanda  au  Muséum  les  collections  du  Stathouder,  et  M.  Brugmann  fut  dési- 
gné pour  en  prendre  possession;  mais  ce  savant,  ayant  compris  la  difficulté  d’une  pareille 
restitution  et  le  tort  qu'elle  pourrait  faire  même  à l’étude  de  l’histoire  naturelle,  se  prêta  à tous 
les  moyens  de  concilier  les  intérêts  de  sa  patrie  et  ceux  do  la  science.  Il  intercéda  dans  ce  sens 
auprès  de  son  souverain,  qui  lui  donna  de  pleins  pouvoirs  à ce  sujet.  Il  fut  donc  convenu  que 
l’on  ferait  pour  la  Hollande  une  collection  d’une  valeur  équivalente  à celle  que  l’on  avait 
reçue,  mais  qui  serait  choisie  seulement  parmi  les  doubles  du  Muséum.  Cette  collection,  com- 
posée de  dix-huit  mille  échantillons,  était  évidemment  plus  riche  et  plus  précieuse  que  celle 
«pii  composait  l’ancien  cabinet  du  Stathouder.  L’empereur  d’Autriche,  loin  de  rieu  réclamer, 
lit  don  à l’établissement  de  plusieurs  plantes  qu’il  ne  possédait  pas  encore,  o4  de  deux  collec- 
tions, l’une  de  vers  intestinaux,  faite  par  M.  Bremsor,  l’autre  de  champignons  modelés  en  cire. 
H y joignit  un  catalogue  des  doubles  de  son  cabinet,  parmi  lesquels  les  professeurs  étaient 
invités  à choisir  les  objets  qui  manquaient  au  Muséum,  à la  charge  de  les  remplacer  par  des 
échanges.  D’autres  souverains  exigèrent  davantage.  Des  pierres  précieuses,  des  livres  et  des 
objets  do  diverse  nature  retournèrent  ainsi  à leurs  anciens  propriétaires,  et  firent  dans  le  cabi- 
net quelques  vides,  qui,  heureusement,  ne  tardèrent  pas  à être  comblés. 


CINQUIÈME  PÉRIODE 

1815- 1853 


Pendant  les  premières  années  qui  suivirent  la  paix  générale,  le  budget  du  Muséum  fut 
«l’abord  réduit,  puis  ramené  au  taux  précédent,  puis  il  reçut  quelques  allocations  extraordi- 
naires. On  augmenta  beaucoup  l’étendue  du  cabinet  d'anatomie  comparée.  En  1818,  on  com- 
mença In  construction  d'une  ménagerie  pour  les  animaux  féroces,  qui  fut  terminée  en  1821  ; 
on  continua  à acquérir  les  terrains  qui  bordaient  encore  la  rue  «le  Seine,  et  «jue  l'on  convertit 
aussitôt  en  parcs;  on  se  prépara  également  à élever  de  nouvelles  serres  destinées  aux  végé- 
taux exotiques  récemment  parvenus  de  Cayenne  et  de  l’Inde. 

Les  grands  événements  qui  venaient  «le  s'accomplir  n'avaient  pas  interrompu  les  voyages 
scientifiques,  et  le  Muséum  en  recueillait  chaque  jour  les  fruits  aussi  abondants  que  précieux. 
MM.  Diard  et  Duvaucel  avaient  fait  parvenir  des  envois  considérables  de  Calcutta  et  «le  Suma- 
tra, M.  Leschcnault  en  avait  adressé  d’autres  de  Pondichéry  et  de  Chandernagor;  on  en  avait 
reçu  «lu  Brésil  par  M.  Auguste  Saint-Hilaire,  de  l’Amérique  septentrionale  par  M.  Milbert; 
M.  de  Lalande  qui  était  allé  au  Cap,  et  qui  avait  pénétré  fort  avant  dans  l’intérieur  d«;  l’Afri- 
que, avait  rapporté  la  collection  znologiquo  la  plus  nombreuse  «|uu  l’on  eftt  reçue  depuis  celle 
«le  Péron  et  de  Baudin. 


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HISTOIRE.  — 1815-1853.  135 

D'autres  voyageurs,  ajoute  Deleuze,  qui  n’avaient  pas  une  mission  spéciale  s’empressèrent 
de  donner  également  des  preuves  de  leur  zèle  pour  la  science.  M.  Dussuniier  Fonbrune,  négo- 
ciant de  Bordeaux,  envoya  un  grand  nombre  d’objets  des  Philippines;  M.  Stéven,  savaut  natu- 
raliste au  service  de  la  Russie,  qui  avait  passe  douze  ans  dans  la  Tauride  et  le  Caucase,  offrit 
au  Muséum  les  principales  plantes  de  cette  contrée;  Dumont  d’Urville,  alors  lieutenaut  de 
vaisseau,  celles  qu’il  avait  recueillies  dans  les  îles  de  l’Archipel  et  sur  les  bords  du  Pont- 
Kuxin;  Freycinet,  récemment  arrivé  de  son  voyage  aux  Terros-Aust raies,  rapporta  une  col- 
lection en  tout  geure  faite  par  les  naturalistes  de  l’expédition,  MM.  Oaudichaud,  Quoy  et 
(iaimard.  Le  capitaine  Philibert,  chargé  de  parcourir  les  mers  de  l’Asie  et  d’aller  à la  Guyane 
française,  ayant  pris  à son  bord  M.  Perrottet,  ce  jeune  naturaliste  rapporta  cent  cinquante- 
huit  espèces  d’arbres  et  arbustes  vivants,  dont  la  plupart  n’existaient  dans  aucun  jardin  de 
l'Europe.  A celte  collection  végétale,  la  plus  précieuse  qui  fût  encore  parvenue  au  Muséum, 
étaient  joints  quelques  oiseaux  rares,  ainsi  que  le  Gymnote,  poisson  célèbre  qui  donne  à 
volonté  de  violentes  commotions  électriques;  enfin  le  baron  Milius,  commandant  de  171e 
Bourbon,  venait  de  rapporter  quelques  animaux  vivants  et  divers  objets  d’histoire  naturelle. 

Un  zèle  si  ardent,  si  louable,  et  les  conquêtes  scientifiques  qui  en  étaient  les  résultats,  dé- 
terminèrent le  gouvernement  à prendre  une  mesure  propre  à régulariser  et  à rendre  encore 
plus  profitables  les  expéditions  scientifiques.  In  fonds  annuel  de  20,000  francs  fut  destiné  à 
attacher  au  Muséum  des  élèves  voyageurs.  Ces  élèves,  nommés  sur  la  présentation  des  profes- 
seurs et  examinés  par  eux,  furent  dès  lors  envoyés  successivement  dans  toutes  les  contrées 
encore  mal  explorées,  munis  d’instructions  spéciales  sur  les  recherches  qu’ils  avaient  à y faire. 
Ils  furent  chargés  en  outre  d’entretenir  une  correspondance  active  avec  le  Muséum,  et  non- 
seulement  de  recueillir  tout  ce  qui  pourrait  accroître  nos  richesses  naturelles,  mais  de  natura- 
liser au  delà  des  mers  les  produits  de  notre  agriculture. 

Malheureusement,  la  première  application  que  l’on  fit  de  cette  utile  mesure  n’eut  qu’un 
funeste  résultat.  Des  trois  voyageurs  partis  en  1820,  deux  périrent  victimes  de  leur  zèle,  en 
arrivant  à leur  destination.  Godefroy,  appelé  par  la  variété  de  ses  talents  à rendre  de  grands 
services  à la  science,  fut  tué  dans  une  émeute,  par  les  naturels  du  pays,  peu  de  jours  après 
sou  débarquement  à Manille.  Ilavet,  jeune  homme  à la  fois  distingué  par  son  esprit,  par  son 
savoir  et  par  son  caractère,  mourut  à Madagascar,  à la  suite  des  fatigues  qu’il  avait  éprouvées. 
Le  troisième,  M.  Plée,  arriva  heureusement  aux  Antilles,  d’où  il  fit  parvenir  au  Muséum  d’im- 
portantes collections. 

De  pareils  exemples , loin  de  décourager  les  jeunes  navigateurs , ne  firent  qu’enflammer 
leur  zèle.  Ces  champions  intrépides  de  la  science  ne  comptent  pas  avec  les  sacrifices  que  cette 
noble  mission  leur  impose.  Quelques  pas  de  plus  faits  par  eux  dans  le  vaste  champ  de  la 
nature,  quelque  utile  découverte  à laquelle  leur  nom  pourra  se  rattacher,  voilà  ce  qui  les 
dédommage  des  privations  et  des  dangers  auxquels  ils  s'exposent  avec  tant  d’abnégation 
personnelle.  Il  nous  en  coûte  de  ne  pouvoir  reproduire  ici  la  liste  complète  do  cette  phalange 
courageuse;  mais,  du  moins,  arrêtons  un  moment  nos  regards  sur  l’un  do  ses  membres  les 
plus  dignes  de  nos  souvenirs  comme  de  nos  regrets. 

Danc  le  cours  de  l’automne  1826,  un  jeune  hommo,  déjà  cbnnu  dans  la  science  par  des 
travaux  remarquables , s’embarquait  au  Havre  pour  les  États-Lnis.  Il  allait  chercher,  sous  un 
climat  étranger , des  impressions  d'une  nature  nouvelle  et  quelque  soulagement  à de  vifs  cha- 
grins, à des  peines  de  cœur.  V ictor  Jncquemont  était  né  à Paris  en  180!.  Ses  études  termi- 
nées, son  père  désira  qu’il  apprît  la  médecine,  et  le  fit  entrer,  pour  étudier  la  chimie,  dans  le 
laboratoire  de  M.  Thénard.  Lejeune  adepte  faisait  quelques  expériences,  lorsqu'un  vase  rempli 
do  cvanogèue  se  brisa  entre  ses  mains,  et  il  respira  une  partie  de  ce  gaz.  Il  en  résulta  de  graves 
symptômes  d’une  phthisie  laryngée,  qui  altéra  sa  santé  assez  profondément  pour  l’obliger  à 
passer  plusieurs  mois  à la  campagne.  Pendant  sa  convalescence,  il  s’occupa  de  botanique, 
d’agriculture,  de  géologie.  Sa  vocation  était  décidée  : il  allait  être  naturaliste.  Il  entreprit 


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136  PREMIÈRE  PXRTIK. 

aussitôt  quelques  voyages  en  Auvergne,  dans  les  Cévenne>,  dans  les  Alpes,  préludes  de 
courses  plus  lointaines  , et  des  périls  qu’il  se  disposait  résol û ment  à affronter. 

Après  quelque  séjour  à New-York,  qu'habitait  un  de  ses  frères,  Victor  Jacquemont  partit 
pour  Saint-Domingue,  où  il  reçut  de  l'administration  du  Muséum  la  proposition  d’entreprendre 
dans  l'Inde  un  voyage  conçu  d'après  des  vues  toutes  nouvelles.  11  s'agissait  non-seulement 
d’y  faire  des  recherches  d'IIistoiro  naturelle,  mais  de  recueillir  des  documents  étendus  sur  la 
statistique , sur  les  races , les  mœurs  et  les  habitudes  des  ludous.  I,e  jeune  savant  hésita 
d'abord,  craignant  de  rester  au-dessous  d'une  pareille  tâche;  puis,  après  avoir  réfléchi,  il 
accepta  cette  mission.  Il  alla  à Londres  pour  se  familiariser  avec  la  langue  anglaise , et  pour 
se  ménager  des  protections  dans  les  pays  qu’il  allait  parcourir,  puis  il  vint  à Paris  pour  sou- 
mettre aux  professeurs  du  Muséum  le  plan  de  son  voyage  et  pour  prendre  congé  de  ses  amis. 
Au  mois  d'août  1828  , il  s'embarqua  à Brest  sur  la  Zélée . Il  n’arriva  qu’en  mai  1829  à Cal- 
cutta, mais  le  navire  avait  relâché  successivement  à Ténériffe,  à Rio-de-Janeiro,  au  cap  «le 
Bonne- Espérance , â Bourbon  et  à Pondichéry.  Il  fut  accueilli  avec  bienveillance  par  les  prin- 
cipaux personnages  de  l'Inde  anglaise,  entre  autres  par  William  Bentinck.  gouverneur  général. 
Après  six  mois  «le  séjour  à Calcutta,  ses  prépnrutifs  terminés,  il  se  mit  en  route  avec  une 
escorte  considérable  et  se  dirigea  vers  Bernarès,  la  ville  sainte  dos  Indous.  Dans  les  premiers 
mois  de  1830,  il  visita  Mirzapour,  les  mines  dh  diamant  de  Panna,  Dehli,  où  il  fui  présenté 
au  gran«l  niogol,  Schah- Mohammed,  descendant  deTanierlan.  Il  fui  conduit  en  gramlo  pompe 
à l'audience  de  l’Empereur,  escorté  d’un  régiment  d’infanterie,  d’un  détachement  «le  cavalerie, 
d’une  armée  «le  domesli«|uos  et  d’une  troupe  d’éléphants  richement  caparaçonnés.  Schah- 
Mohammed  lui  offrit  un  vêtement  d'honneur,  et  attacha  lui-même  «X  son  turban  de  mngnifl«|u«*s 
pierreries.  Au  mois  d’avril,  le  jeune  voyageur,  avec  une  suite  de  cinquante  jjersonnes,  se 
dirigea  vers  le  Nord;  il  remonta  jus«|u’aux  sources  du  Gange , il  gravit  les  flancs  «le  rilima- 
laiu , couverts  de  neiges  perpétuelles,  puis  redescendit  le  long  de  ses  gradins  septentrionaux, 
eu  s’approchant  des  frontières  «le  la  Chine.  IViuiaut  cetle  partie  du  voyage,  il  éprouva  une 
longue  série  «le  fatigues,  de  privations  et  «le  misères,  qu’il  supporta  pendant  plus  de  cin«|  mois 
avec  un  courage  admirable.  Il  souffre  «le  la  faim,  de  la  soif;  il  est  assailli  «le  tempi’U's  dont  la 
violence  nous  est  inconnue;  les  nuits  sont  glacées  et  sans  sommeil;  ses  gens  se  révoltent;  il 
les  ré«luit  à l’obéissance  par  s«»n  énergie,  et,  au  milieu  «le  tous  ces  périls,  il  ne  |w>r«l  pas  une 
occasion  «le  recueillir,  chemin  faisant,  toutes  les  productions  naturelles  qu'offrent  à ses  regards 
ces  étranges  contrées. 

Il  arrive  enfin  sur  les  limites  «le  la  Chine,  au  pays  «le  Kanawer,  et  ne  peut  résister  au  désir 
de  pénétrer  dans  le  céleste  Empire.  Il  se  décide  à traverser,  avec  qu«*lques  montagnards  bien 
armés,  d’imnienst's  déserts,  des  populations  hostiles,  et  à gravir  des  montagnes  «|ui  parais- 
sent inaccessibles.  Il  trouve  sur  son  passage  un  fort  bi»»n  défendu;  il  ordonne  à son  escorte  de 
se  former  en  colonne  et  inarche  hardiment  à sa  Me.  I/*  commandant  veut  s'opposer  à cette 
violation  du  territoire  et  s’approche  de  Jactjuemont , qui , sans  mettre  pie«l  à terre , le  saisi! 
par  sa  longue  queue  tressée  et  le  jette  â bas  de  son  cheval.  La  garnison , frapp«'*e  «le  cet 
acte  d’énergie,  le  laisse  pass«*r  avec  sa  troupe,  et,  après  <|ueh|ues  courses  sur  le  sol 
chinois  et  quelques  combats* analogues , il  rentre  dans  l’Inde,  efi  traversant  une  seconde  fois 
rilimahiïa. 

Au  mois  «le  mars  1831,  il  passa  le  Setledje  el  entra  «lans  le  PtMidjâh,  «jni  comprend  les  d«»ux 
royaumes  de  Lahore  el  de  Cachemyr.  Il  avail  reçu  dans  IcThibet  une  lettre  du  général  Allard, 
oflï»*i«?r  français,  <|ui  lui  offrait  ses  services  auprès  de  R«‘iidjit  Singh,  Maharadjah  «les  Seiks, 
souverain  de  ce  pays,  et  «lont  Allant  commande  les  armées.  iuc«|ueinont  passa  presque  tout 
l’été  à Lahore  et  à Cachemyr.  Il  y vécut  en  grand  seigneur,  comblé  «les  témoignages  de  l'ami- 
tié et  de  la  fnuniflcence  de  Remljit  Singh , logé  dans  un  pavillon  royal , ayant  une  sorte  de 
cour,  un  gentilhomme  «le  la  chambre,  une  compagnie  d«»s  gardes.  Il  se  livra,  grâce  à celle 
utile  protection,  à «les  recherches  fort  étendues  dans  «jos  contn*es  jusque-là  si  mal  explorées, 


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HISTOIRK.  — 1815-1853.  137 

et  quitta  Rendjit  Singh,  ravi  de  son  accueil  et  comblé  de  scs  bienfaits.  Il  fait  même  entendre 
que  le  souverain  lui  avait  offert  sérieusement  la  vice-royauté  de  Cachemyr. 

Au  mois  de  novembre,  Jacquemont  repassa  le  Setledje;  dès  qu’il  se  retrouva  sur  le  terri- 
toire britannique,  il  renvoya  sou  escorte  et  revint  à Delhi.  Il  y fil  emballer  et  embarquer  ses 
collections  sur  le  üjemnuh,  et  se  prépara  à entreprendre  un  nouveau  voyage  dans  les  contrées 
méridionales  do  l'Inde.  Il  partit,  en  effet,  dés  le  mois  de  février  1832.  Sou  intention  était  de 
visiter  toute  la  presqu’île  en  deçà  du  Gange  et  de  s'arrêter  à Bombay , après  avoir  visité  le 
pays  des  Marottes  et  les  villes  les  plus  importantes  du  pays,  puis  de  gagner  le  cap  Comorin, 
on  logeant  la  côte  de  Malabar,  enfin  de  remonter  au  Mord  parle  plateau  de  Misore  et  de  visiter 
les  montagnes  Bleues.  Il  ne  put  exécuter  qu'en  partie  ce  projet  de  voyage , le  plus  complet 
que  l’on  eftt  encore  entrepris  dans  les  Grandes  Indes. 

Victor  Jacquemont  arriva  au  mois  de  juin  à Pouna  , près  de  Bombay.  C’était  la  saison  des 
[duies , et  le  choléra  y exerçait  <le  grands  ravages,  l.'n  de  scs  domestiques  fut  atteint  du  lléau 
et  en  mourut  ; lui-même  éprouva  une  violente  dyssenterie  dont  sa  sauté , jusque-là  si  parfaite, 
fiait  par  triompher.  Il  était  d’ailleurs  prudent , très-attentif  à son  régime  et  à toutes  les  me- 
sures hygiéniques  convenables  dans  des  climats  si  différents  du  nôtre.  Daas  le  cours  de  sep- 
tembre, avant  de  revenir  à Bombay,  il  voulut  visiter  l'tlc  de  Salsetlc,  située  au  bas  du  versant 
occidental  des  Ghalos,  pays  malsain,  couvert  de  forêts.  On  était  dans  la  saison  la  plus  dange- 
reuse de  l'année  ; il  y éprouva  les  plus  rudes  fatigues , tantôt  sous  un  ciel  brûlant , tantôt  au 
milieu  d'ombrages  pestilentiels.  A la  lin  d'octobre,  il  arriva  à Bombay,  mais  épuisé  et  malade. 
Un  négociant  anglais,  M.  Micol,  qui  le  logeait  chez  lui,  le  confia  aux  soins  d'uu  habile  mé- 
decin. Jacquemont  était  atteint  d’une  inflammation  du  foie,  et,  médecin  lui-même,  il  comprit 
aussitôt  toute  la  gravité  île  sa  situation.  Après  trente  jours  de  douleurs,  il  ne  put  se  faire 
aucune  illusion  sur  l’issue  de  sa  maladie  et  ne  songea  plus  qu'à  consoler  ses  amis , à écrire  à 
sa  famille,  à recommander  scs  collections  à ceux  qui  l'entouraient  et  qui  lui  procuraient  les 
plus  tendres  soins.  Il  venait  d'être  nommé  membre  de  la  Légion  d'honneur;  il  commanda 
lui-même  ses  funérailles,  se  composa  une  épitaphe  aussi  simple  que  modeste,  et  mourut 
le  7 décembre  1832,  à l'àge  de  31  ans.  Su  correspondance,  recueillie  en  deux  volumes,  est 
pleine  d’intérêt  ; elle  reste , avec  ses  riches  collections , comme  un  haut  témoignage  de  l'intré- 
pidité, du  savoir  de  ce  jeune  naturaliste,  et  justifie  tous  les  regrets  qu'une  perte  aussi  cruelle 
a dû  inspirer  aux  amis  de  la  science.  M.  Adrien  de  Jussieu  qui,  lui-même,  vient  d'être  enlevé 
si  prématurément  aux  sciences  naturelles , a publié  une  notice  touchante  sur  Victor  Jacque- 
mont , dont  il  fut  l’ami. 

Les  diverses  branches  de  l'enseignement  au  Muséum , pendant  la  période  que  nous  parcou- 
rons , et  qui  s’étend  jusqu'à  l'heure  où  nous  écrivons  ces  lignes , conservèrent  celte  haute  re- 
nommée conquise  à l’aide  de  talents  si  variés,  si  éminents  et  au  prix  de  tant  de  nobles  efforts. 
Heureusement , la  majeure  partie  des  professeurs  qui  en  occupaient  les  chaires  à cette  dote , 
les  occupent  encore  aujourd’hui;  toutefois,  depuis  1815,  la  mort  n'a  pas  laissé  d'en  mois- 
sonner plusieurs  et  des  plus  éminents.  Après  la  perle  de  Cuvier , de  Gooffmy-Saint-IIilnirc  et 
de  Victor  Audouin , dont  la  zoologie  eut  successivement  à déplorer  la  perte , cette  science  eut 
encore  à regretter  MM.  Latreillc  cl  do  Blainville.  La  chimie,  d’abord  représentée  par  Laugier 
et  Vauquclin , vit  passer  les  chaires  occupées  par  ces  deux  savants  aux  mains  de  Gay-Lussac 
et  de  Sérullas,  qui,  eux-mêmes,  les  abandonnèrent  à de  dignes  successeurs;  enfin,  dans  la 
botanique,  de  nouvelles  pertes  appelèrent  Bosc  et  Adrien  de  Jussieu  à remplacer  André  Thouin 
ainsi  que  le  vénérable  Antoine-Laurent  do  Jussieu,  et  ces  deux  botanistes  eux-mêmes  ont 
aussi  disparu  de  la  liste  des  professeurs  du  Muséum.  C’est  à retracer  quelques  truits  de 
leur  biographie  et  à rappeler  leurs  principaux  titres  scientifiques  que  seront  consacrées  les 
dernières  pages  do  cet  écrit. 

Louis-Joseph  Gay-Lussac  naquit,  le  6 décembre  1778,  à Saint-Léonard , petite  ville  du 
département  de  la  Haule-Vionne,  où  son  grand-père  avait  été  médecin,  et  où  son  |>érc  exerçait  la 

n 


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138  PREMIÈRE  PARTIE. 

charge  Je  procureur  du  Roi.  Il  était  destiné  au  barreau , et  fut  élevé  d'abord  dans  sa  ville 
natale,  puis  dans  un  pensionnat  prés  de  Paris,  où  il  se  prépara  à subir  les  examens  d’ad- 
mission à l'école  polytechnique,  alors  l’école  centrale  des  travaux  publics.  Admis,  en  effet, 
îles  premiers,  dans  cette  célèbre  école,  il  en  sortit  en  1800,  pour  entrer  dans  le  service  des 
ponts  et  chaussés.  Rerthollet,  alors  professeur  de  chimie  à l’école  polytechnique,  avait  re- 
marqué en  lui  tant  do  douleur,  de  zélé  et  d'intelligence,  qu’il  voulut  le  fixer  près  do  lui,  et  en 
fit  son  répétiteur;  c'est  chez  ce  savant  que  Guy-Lussac  connut  Laplucc , qui , de  son  coté . le 
dirigea  dans  la  carrière  de  la  physique. 


Le  premier  Mémoire  du  jeune  savant,  publié  en  1801  , eut  pour  objet  le  mode  de  dilatation 
des  gaz  et  des  vapeurs.  C’est  là  qu’il  établit  que  In  différence  des  résultats  obtenus  jusqu'alors 
dans  celte  sorto  de  recherches  n'était  due  qu’à  la  présence  de  l’eau  dans  les  gaz  et  que,  lors- 
qu'ils sont  parfaitement  desséchés,  ils  se  dilatent  tous  d’une  manière  uniforme  et  constante. 
Ce  travail  fut  suivi  de  plusieurs  autres  : sur  le  perfectionnement  des  thermomètres  et  des 
baromètres;  sur  la  tension  des  vapeurs,  leur  mélange  avec  les  gaz,  leur  densité,  l'évaporation, 
l’hygrométrie  et  la  mesure  des  effets  capillaires.  En  1 804  ,’uno  occasion  s'offrit  d’ajouter  encore 
à cet  ensemble  de  recherches  physiques.  Il  fut  chargé,  avec  M.  Riot,  d’exécuter  une  ascension 
aérostatique,  dans  le  but  de  s'assurer  si  la  force  magnétique  cesse  d’agir  hors  du  contact  de 
la  masse  terrestre.  Le  24  août  de  celle  année,  les  deux  jeunes  physiciens  entrèrent  dans  un 
aérostat  disposé  à cet  effet , dans  le  jardin  du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  et  s'élèveront 
à une  hauteur  de  près  de  4.000  mètres.  Ils  constatèrent  qu’à  celte  hauteur  l’intensité  magnétique 
se  conservait  sans  altération  notable;  que  l'électricité  atmosphérique,  constamment  négative, 
s'accroissait,  et  que  la  température  s’abaissait  graduellement  en  raison  des  hauteurs.  Le  ballon 
étant  trop  petit  pour  los  porter  plus  haut  ensemble , Guy-Lussac  recommença  seul  l’ascension 
quelques  jours  après.  Cette  fois  il  parvint  à une  hauteur  de  prés  de  7,000  mètres,  la  plus 
grande  qu’aucun  homme  ait  jamais  atteinte,  et , pendant  cinq  heures  d’observations,  il  s’as- 


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HISTOIRE.  — 1815-  1853. 


139 


sura  que  l'air  perd  environ  un  degré  de  chaleur  par  174  mètres  d'élévation;  il  recueillit  de 
l’air  à différentes  hauteurs,  et  reconnut,  par  l’analyse,  que  l’air  des  couches  élevées  de  l'at- 
mosphère avait  la  même  composition  que  celui  des  couches  inférieures  ; onlln,  il  recueillit  unu 
foule  d'observations  importantes  sur  le  décroissement  des  pressions  des  températures  et  do 
l'humidité,  à diverses  hauteurs.  Ces  habiles  recherches  le  signalèrent  dés  lors  comme  un  phy- 
sicien très-distingué , et  no  tardèrent  pas  à le  faire  admettre  à l'Institut. 

A celte  époque,  M.  de  Humboldt  arrivait  de  son  voyage  scientifique  dans  l'Amérique  méri- 
dionale : il  se  prit  d’amitié  pour  Gay-Lussac , et  l'associa  à ses  recherches  de  physique  et  do 
chimie.  Au  retour  de  quelques  excursions  qu’ils  tirent  ensemble,  en  France,  en  Suisse,  en 
Italie  et  en  Allemagne,  ils  s'appliquèrent  à des  observations  d’eudiométrie : ils  reconnurent 
que,  dans  la  formation  de  l'eau,  un  volume  de  gaz  oxygène  se  combine  par  la  combustion 
avec  iloux  volumes  do  gaz  hydrogène.  Plus  tard , Gay-Lussac  généralisa  cette  observation , et 
il  en  tira  cetto  Loi  do»  volumes , si  féconde  en  applications,  bien  qu’elle  ait  tardé  à s’établir 
dans  la  science. 

Ces  travaux  furent  suivis  de  longues  ci  savantes  recherches  sur  l'action  de  la  pile  do  Volta. 
En  1807,  MM.  Hisinger  et  Berzélius  avaient  annoncé  le  pouvoir  du  courant  voltaïque  pour 
désunir  les  éléments  des  corps  composés,  et  lu  faculté  qu’il  possède  de  transporter  ces  élé- 
ments A des  pèles  contraires.  L'aimée  suivante,  llumphry  Üavy  multiplia  les  expériences  de 
cet  ordre  ; il  les  varia , les  reproduisit  avec  des  appareils  d'une  grande  puissance  et  finit  par 
rolirer  de  la  potasse  et  de  la  soude , deux  substances  simples , pourvues  de  tous  les  caractères 
métalliques,  qu’il  nomma  le  Potassium  et  le  Sodium.  Ces  deux  métaux,  combinés  de  nouveau 
avec  l’oxygène  qu’on  en  avait  séparé,  reproduisaient  les  alcalis  primitifs.  1 ne  découverte 
aussi  éclatante  avait  valu  nu  chimiste  anglais  le  prix  de  50,000  francs,  proposé  par  Napoléon, 
pour  les  résultats  les  plus  importants  qui  seraient  obtenus  par  l'emploi  de  la  pile  de  Voila. 
MM.  Gay-Lussac  et  Thénard  s'empressèrent  de  suivre  celte  voie  nouvelle , qui  leur  parut  fé- 
conde en  conséquences  inattendues.  L'Institut  venait  d’obtenir  du  Gouvernement  les  moyens 
de  faire  construire  une  pile  d’une  puissance  considérable.  Gay-Lussac  et  Thénard  furent 
chargés  de  diriger  les  expériences  auxquelles  cet  appareil  était  destiné.  Dès  le  mois  de  mars 
1808,  ils  annonçaient  la  découverte  d'un  moyen  d'obtenir  plus  en  grand  les  nouveaux  mé- 
taux sans  l'emploi  de  la  pile,  la  décomposition  de  l’acide  borique  par  leur  action,  etc.;  ils 
poursuivirent  leurs  recherches  avec  activité  et  en  publièrent  les  résultats,  en  1811,  dans  l’ou- 
vrage intitulé  : Recherches  physico-chimiques,  en  deux  volumes.  Davy,  de  son  côté,  mit  A profit 
les  recherches  des  chimistes  français  pour  compléter  les  siennes  ; noble  et  loyale  émulation  , 
sans  rivalité , qui  enrichit  la  science  des  faits  les  plus  curieux  dont  elle  eut  fait  la  conquèts 
depuis  les  découvertes  de  Lavoisier. 

En  1813,  un  manufacturier  de  Paris,  Courtois,  avait  découvert,  dans  les  lessives  do  varechs, 
une  substance  qui  lui  parut  nouvelle,  et  il  avait  communiqué  sa  découverte  à Gay-Lussac. 
Pou  de  jours  après,  celui-ci  présenta  à l’Institut  une  première  note  dans  laquelle  il  établissait 
les  principaux  caractères  de  la  nouvelle  substance,  et  lui  donnait  le  nom  (Y Iode.  Dans  lo  cou- 
rant du  même  mois,  il  en  lut  une  seconde  sur  le  même  sujet;  ces  deux  notices  n'étaient  que  le 
prélude  d'un  Mémoire  trés-étendu  qui  parut  l'année  suivante,  et  qui  était  une  véritable  mono- 
graphie de  l'iode.  Ce  dernier  travail  était  si  complet,  quo  depuis  lors  on  n'a  pu  qu'en  étendre 
les  résultats  ou  perfectionner  les  procédés  employés  par  l’auteur,  sans  rien  changer  aux  don- 
nées qu'il  avait  établies.  Lo  Mémoire  de  Gay-Lussac  sur  l’iode  est  resté  un  modèle  d’explora- 
tion chimique;  l'étude  do  la  nouvelle  substance  y est  présentée  avec  une  sûreté  de  jugement 
et  une  finesse  de  tact  qui  ne  laissent  rien  d’incertain  et  d'inobservé  ; de  l'avis  do  tous  les  chi- 
mistes, il  est  aussi  parfait  qu'un  travail  de  cette  nature  peut  l'être  A son  temps  donné. 

L’année  suivante,  en  1815,  Gay-Lussac  mit  le  sceau  à sa  réputation  do  chimiste  par  la 
découverte  du  Cyanogène , ou  azoture  de  cartione.  Cette  découverte  fut  d'une  haute  impor- 
tance pour  la  science,  en  ce  qu'elle  offrait  le  premier  exemple  d'un  corps  composé  qui,  dans 


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PREMIÈRE  PARTIE. 

ses  combinaison»,  porte  des  caractères  que  l'on  n’avait  encore  remarqué  que  dans  les  corps 
simples,  puis  en  ce  qu'elle  modifia  profondément  la  théorie  de  l’acidité.  C'est  en  effet  de  ses 
deux  Mémoires  sur  l’iode  et  sur  le  cyanogène,  que  Gay-Lussac  déduisit  sa  théorie  des  Uydra- 
cides,  l'un  des  pas  les  plus  brillants  que  la  science  oit  faits  dans  les  premières  années  de  notro 
siècle. 

Mais  ce  n’est  pas  à ces  recherches  de  science  pure,  à ces  belles  théories  fondéos  sur  l'exac- 
titude et  l'évidenco  des  faits  observés,  que  devaient  se  borner  les  travaux  de  Gay-Lussac. 
Devenu  professeur  de  physique  et  de  chimie  à l'École  polytechnique,  puis  au  Muséum,  il  porta 
dans  son  enseignement  la  dignité  sirnplo  cl  un  peu  froide  de  son  caractère,  la  lucidité,  la  rec- 
titude et  la  justesse  habituelles  de  son  esprit.  Depuis  1806,  il  était  membre  du  comité  consul- 
tatif des  arts  el  manufactures,  près  le  ministère  du  commerce;  en  1808,  il  fut  attaché  À l'ad- 
ministration des  poudres  et  salpêtres;  plus  tard,  il  fut  nommé  vérificateur  à la  mounaie.  Ces 
divers  emplois  l'amenèrent  à faire  plusieurs  travaux  d’application  des  sciences  aux  arts  et  & 
l'industrie;  il  inventa  l'alcoolomètre,  il  construisit  un  baromètre  portatif,  perfectionna  l’essai  des 
matières  d'or  et  d'argent,  il  publia  des  instructions  pratiques  d’une  grande  utilité  sur  plusieurs 
fabrications,  sur  les  chlorures  décolorants,  sur  l'essai  des  alcalis  du  commerce,  etc.  Il  faisait 
partie  de  l’Institut  depuis  l'année  1801.  Élu,  en  1821,  député  de  la  Haute-Vienne,  il  no  rem- 
plit dans  ce  poste  politique  d'autre  rôle  que  celui  d'un  savant  actif,  loyal  cl  dévoué.  En  18.10, 
il  fut  nommé  pair  de  France,  et  mourut  en  1860,  dans  sa  soixante-douzième  année,  d'une 
maladie  du  cccur.  Gay-Lussac  avait  des  goûts  simples,  modestes,  des  habitudes  d’ordre  et  de 
ponctualité.  Les  succès  qu’il  obtint,  toujours  justifiés  par  son  mérite  reconnu,  no  porteront 
jamais  ombrage  à personne.  Parvenu  à une  fortune  honorable  et  à tous  les  honneurs  que  peut 
procurer  la  science,  il  laissa  la  mémoire  d'un  homme  intègre,  irréprochable,  cl  de  l’un  des 
savants  les  plus  recommandables  dont  sa  patrie  puisse  s'honorer. 

Georges-Simon  Sérullas  naquit  le  2 novembre  1771.  à Pondu,  département  de  l’Ain;  l’illus- 
tre Bicliat  fut  son  condisciple  au  collège  de  Mantua.  Le  père  de  Sérullas  était  notaire,  et,  pour 
obéir  à la  volonté  paternelle,  l’enfant  fit  d’abord  quelques  études  dans  cette  direction  ; mais 
son  esprit  et  son  goût  le  portaient  vers  les  sciences  naturelles.  Les  événements  de  la  révolu- 
tion vinrent  changer  sa  destinée.  La  guerre  ayant  éclaté,  il  s'enrèln  comme  simple  soldat  à 
l’âge  de  dix-sept  ans.  Il  quitta  bientôt  la  carrière  militaire  active,  pour  venir  prendre  à Bourg 
quelques  notions  de  pharmacie,  et  il  obtint,  en  1793,  un  emploi  de  pharmacien  militaire  dans 
l’armée  des  Alpes.  I,e  pharmacien  en  chef,  Lauliert,  qui  avait  été  professeur  de  physique  à 
Naples,  ayant  remarqué  son  zèle  et  son  intelligence,  le  prit  en  amitié,  et  lui  enseigna  la  bota- 
nique, la  physique,  ainsi  que  les  premiers  éléments  de  la  chimie.  Sérullas,  à peine  ôgé  de  dix- 
neuf  ans,  fut  nommé  pharmacien-major. 

A l’époque  du  blocus  coutinenlal,  Parmentier  ayant  proposé  au  ministre  de  la  guerre  do 
remplacer  le  sucre  par  le  sirop  de  raisin,  Sérullas  fut  chargé  d’en  préparer  des  quantités 
énormes,  qui  suffirent  pendant  plusieurs  anuées  à la  consommation  des  hôpitaux  d’Italie.  Le 
ministre  lui  donna  à ce  sujet  de  hauts  témoignages  do  satisfaction,  mais  il  allait  bientôt  en 
mériter  de  plus  éclatants.  Plusieurs  sociétés  savantes  avaient  proposé  pour  sujet  do  concours 
le  moyen  d’extraire  la  matière  sucrée  contenue  dans  les  végétaux  indigènes.  Sérullas  présenta 
deux  Mémoires;  l’un  fut  couronné,  en  1810,  par  la  Société  d'agriculture  du  département  de  la 
Seine;  l’autre,  en  18(3,  par  la  Société  de  pharmacie  de  Paris.  Encouragé  par  de  tels  succès, 
il  en  poursuivit  avec  plus  d’ardeur  sa  double  carrière,  il  obtint  le  grade  de  pharmacien  prin- 
cipal, et  fit  partie  du  corps  d’armée  de  Ney,  qu’il  suivit  en  Allemagne,  en  Pologne,  en  Russie; 
en  1816,  il  fut  nommé  pharmacien  en  chef  et  premier  professeur  à l'hôpital  d’instruction  do 
Metz. 

A cette  époquo  commence  pour  Sérullas  la  seconde  partie  do  son  existence.  Parvenu  à l’Age 
de  quarante-deux  ans,  il  se  remet  à étudier  les  mathématiques  et  le  grec,,  indispensables  à ses 
nouvelles  fonctions.. il  entreprend  un  cours  public  de  cliimio  auquel  assistent  les  officiers  du 


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HISTOIRE.  — 1815-1853.  Ml 

génie  et  de  l'artillerie,  la  plupart  sortant  de  l’Ecole  polytechnique.  Ses  jours  et  ses  nuits 
s'écoulent  dans  l’étude.  Il  publio  successivement  un  travail  sur  la  conversion  du  sirop  de  raisin 
en  alcool,  et  un  Mémoire  sur  les  fumigations  cltlonques.  En  1820,  sous  le  titre  d'Obse  real  ions 
physico-chimiques  sur  les  alliages  du  potassium  et  du  swlium,  il  donne  des  détuils  nouveaux 
et  curieux  sur  ces  deux  métaux.  Il  étudie  l'antimoine  et  fait  connaître  que  toutes  les  prépara- 
tions antimoniales,  excepté  l’émétique,  renferment  de  l’arsenic.  Il  désigne,  sous  le  nom  do 
carbure  d’antimoine,  un  corps  obtenu  eu  chauffant,  en  vase  clos,  avec  du  charbon,  une  certaine 
quantité  d'émétique.  Il  indique  les  moyens  do  se  servir  de  cette  substauce  pour  enflammer, 
sous  l’eau,  la  poudre  à canon.  Il  produit  de  beaux  travaux  sur  la  formation  de  l’éther  sulfuri- 
que, sur  les  composés  do  brome,  d’iode,  de  cyanogène.  Son  courage  scientifique  s'exerce  dans 
son  laboratoire,  comme  sur  un  champ  de  bataille;  il  s’expose  journellement  à perdre  la  vie, 
car  ses  recherches  se  portent  sur  des  substances  jusqu'alors  inconnues,  dont  les  émanations 
pouveut  être  mortelles.  L’habile  professeur,  les  mains  et  le  visage  couverts  de  cicatrices,  n’en 
continue  pas  moins  ses  travaux  avec  passion,  et  son  zèle  comme  son  intrépidité  sont  couronnés 
par  des  découvertes  d’une  haute  importance  qui  éveillent  l’attention  de  tous  les  chimistes  de 
l'Europe  ut  attachent  à son  nom  une  rapide  renommée. 

Sérullas,  nommé  en  1827  membre  de  l’Académie  royale  de  médecine,  fut  appelé  l’année 
suivante  au  Val-de-Grâce,  comme  pharmacien  en  chef  et  premier  professeur.  Peu  d’années 
après  il  devint  le  successeur  de  Vauquelin  à l’Académie  des  sciences;  celte  haute  position  lui 
valut,  en  outre,  le  titre  d'oflicier  de  la  Légion  d’honneur.  C'est  à cette  époque  qu'il  annonça 
la  réaction  de  l’acide  indique  sur  les  sels  du  morphine,  découverte  si  importante  [tour  la  méde- 
cine légale.  Eu  1832,  il  venait  d’être  nommé  professeur  de  chimie  générale  au  Muséum,  en 
remplacement  de  Laugier.  Cette  chairo,  l'une  des  plus  brillantes  de  l'Europe,  réalisait  le  vceu 
le  plus  cher  de  sou  ambition.  Mois  déjà  ses  organes  digestifs,  altérés  par  le  travail  et  par  les 
gaz  délétères  auxquels  il  s'était  exposé,  rccélait  les  germes  d’une  maladie  chronique  qui,  sous 
l'influence  de  l'épidémie  alors  régnante,  devait  rapidement  devenir  mortelle.  C'est  aux  funé- 
railles de  Cuvier  qu’il  en  ressentit  les  premières  atteintes  ; peu  de  jours  après  il  avait  succombé, 
à l'âge  de  cinquante-huit  ans. 

Quelques  années  avant  cette  fatale  époque  de  1832,  qui  enleva  au  Muséum,  Laugier,  Cuvier 
et  Sérullas,  en  1828,  la  botanique,  ou  plutôt  l'agronomie  eut  à déplorer  la  (>erte  de  M.  Bosc, 
professeur  de  culture  depuis  l'année  1825.  Louis-Augustin-Guillaume  Bosc,  né  à Paris 
en  1769,  était  fils  de  Ilosc  d’Antic,  l'un  des  médecins  de  Louis  XV,  qui  plus  tard  s’occupa  des 
arts  industriels  et  à qui  l’on  doit  de  bons  travaux  sur  l'art  de  la  verrerie.  Le  jeune  Bosc  avait 
annoncé,  mémo  avant  de  savoir  lire,  des  dispositions  singulières  pour  l’histoire  naturelle. 
Négligé  par  une  bello-mère  qui  lui  portail  peu  d’affection,  et  presque  abandonné  à lui-même 
dans  une  campagne  des  environs  de  Langres,  il  recueillait  des  plantes,  des  minéraux,  des 
insectes;  « il  ne  se  souvenait  pas,  disait-il,  d'avoir  eu  d'autres  jouets,  n On  le  destina  à l'art 
militaire  et  ou  l’envoya  à Dijon  pour  étudier  les  mathématiques,  mais  il  suivait  de  préférence 
un  cours  de  botanique,  alors  professé  par  Durande  avec  un  certain  succès.  Il  se  passionna 
aussitôt  pour  celte  science,  et  surtout  pour  le  système  de  Linné,  qu’il  préféra  dès  lors,  et  toute 
sa  vie,  à toute  autre  méthode. 

Revenu  à Paris  avec  sa  famille,  Bosc  renonça  à la  carrière  des  armes  et  entra  dans  les 
bureaux  du  contrôle  général,  puis  à l’administration  des  postes,  où  son  intelligence  lui  valut, 
à dix-neuf  ans,  l’emploi  de  secrétaire  do  l’intendance.  Cependant  il  continuait  à se  livrer  à 
l'étude  de  l’histoire  naturelle;  il  se  lia  avec  Jussieu  et  Broussonuct,  qui  le  mirent  en  rapport 
avec  lo  fameux  Roland,  depuis  ministre,  et  avec  sa  femme  devenue  non  moins  célèbre.  Il  ne 
s’occupait  pas  exclusivement  de  botanique,  mais  encore  d’entomologie,  et  il  lit  à cette  occa- 
sion la  connaissance  de  Fabricius,  dont  jusque-là , en  1782,  il  n’avuit  pas  même  entendu 
parler.  C’est  à cotte  époque  qu’avec  Broussonnet  et  quelques  autres  naturalistes,  il  fonda  à 
Paris  la  Société  linnéenne,  sur  le  modèle  de  celle  de  Londres,  qui  déjà  avait  rendu  à la  scieuce 


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PREMIÈRE  PARTIE. 

de  notables  services.  Mais  les  actes  de  la  Société  naissante  ne  tardèrent  pas  à être  arrêtés  par 
les  troubles  civils.  Les  adeptes  se  livraient  à des  recherches  très-suivies  ; les  gens  de  la  cam- 
pagne prenaient  leurs  excursions  rurales  pour  des  rassemblements  de  malintentionnés;  à Paris 
même,  le  buste  qu’ils  avaient  érigé,  on  1790,  sous  le  grand  cèdre  du  Litian,  fut  brisé  parla 
populace  qui,  au  lieu  de  Charles  Linncus,  avait  cru  lire,  au-dessous  de  ce  buste  : Charles 
Neuf. 

Roland  étant  parvenu  au  ministère,  M.  d'Ogny,  intendant  des  postes,  fut  destitué,  l’admi- 
nistration fut  réorganisée . cl  Rose  devint  l’un  dos  trois  administrateurs;  en  1793,  à la  chulo 
de  Roland,  il  fut  lui-même  arrêté,  puis  rendu  un  moment  h ses  fonctions;  quelques  jours 
plus  tarif , il  était  définitivement  renvoyé  et  obligé  de  se  soustraire  par  la  fuite  & uno  mort 
certaine.  Il  s’était  retiré  dans  une  petite  maison,  située  dans  la  forêt  de  Montmorency,  et  dans 
laquelle  il  avait  un  moment  donné  asile  à Roland.  Le  jour  où  madame  Roland  avait  été 
arrêtée,  elle  lui  avait  conllé  sa  fille , et  c'est  dans  ses  mains  qu'elle  déposa  ses  célèbres 
Mémoires.  Bosc  resta  quelque  temps  caché  dans  celte  solitude,  revêtu  du  costume  des  gens 
du  pays  et  se  livrant  aux  mêmes  travaux , ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'y  recueillir  quelques 
malheureux  suspects  comme  lui,  entre  autres  La  Roveillèro-Lepcaux , qui,  bientôt,  allait 
devenir  l'un  des  chefs  du  nouveau  Gouvernement.  Il  racontait  qu'un  jour,  il  cachait  dans  un 
petit  grenier  l’un  des  députés  voués  à l'échafaud , au  moment  où  le  hasard  amenait  autour 
do  la  maison,  des  agents  occupés  à la  recherclio  des  proscrits.  Ce  danger  écarté,  il  ne  put 
offrir  à son  hôte  que  des  limaçons , des  racines  sauvages , et  las  œufs  d'une  seule  poule , qui , 
le  lendemain , lui  fut  enlevée  par  un  oiseau  de  proie. 

Rose  ne  tira  pas  grand  profit  des  sorvices  qu’il  venait  de  rendre  à ces  proscrits  île  la  veilla, 
devenus  des  puissants  du  jour.  Cependant , on  lui  avait  promis  de  le  nommer , à la  première 
vacance,  consul  aux  États-Unis.  Il  voulait  y aller  rejoindre  son  ami  Michaux,  qui  dirigeait  à 
lu  Caroline  un  jardin  du  naturalisation.  Après  avoir  vainement  uttendu , il  partit  à pied  pour 
Bordeaux,  et  s'embarqua,  en  1798,  sur  un  vaisseau  américain  ; arrivé  à Charlestown,  il  apprit 
que  Michaux  était  revenu  en  France.  Il  fut  nommé  pourtant  consul  à New-Yorck , mais  il  no 
put  obtenir  son  exequalur  du  président  Adams.  Il  s'eu  consola  on  s'établissant  dans  le  jardin 
de  Michaux , et  en  se  livrant  avec  une  nouvello  ardeur  à l’étude  de  l’histoire  naturelle. 

Bosc  revint  en  Franco  en  1800,  apportant  des  matériaux  nombreux,  qu’il  distribua  aussitôt 
à tous  les  naturalistes,  car,  à l'exemple  de  J.  Banks,  c’était  pour  la  science  et  non  pour  lui- 
même  qu'il  se  livrait  à ses  laborieuses  recherches.  Il  donna,  en  effet,  scs  Insectes  à Fabricius  et 
Il  Olivier ,ses  Poissons  à Lacépède,  ses  Oiseaux  à Baudin , ses  Reptiles  à Latreille,  ne  gardant 
pour  lui-même  que  les  vues  générales  et  le  savoir  qu'il  avait  acquis.  Cependant,  après  le  18  bru- 
maire , il  obtint  successivement  divers  emplois  dans  les  postes  et  dans  les  hôpitaux  de  Paris. 
Envoyé  en  Suisse  et  en  Italie  pour  des  recherches  scientifiques,  il  rapporta  do  Vérone  la  bello 
collection  do  Poissons,  dont  le  Muséum  s'enrichit.  Chaptal  le  chargea  do  l’inspection  des 
jardins  et  des  pépinières  de  Versailles,  il  fut  ap|>elé  au  Conseil  d'agriculture,  au  jury  de  l'École 
d'Alfort,  et,  eu  1806,  il  devint  membre  du  l’Institut. 

C’est  à partir  de  cette  époque,  qu’il  commença  cos  nombreuses  publications,  qui  rendirent 
do  si  grands  services  à l’agriculture.  Très-versé  dans  toutes  les  branches  de  l’histoire  natu- 
relle, il  en  fit  de  précieuses  applications  à l’agronomie.  Il  s'occupait  surtout  des  pépinières 
et  do  la  naturalisation  des  arbres  exotiques.  Les  journaux  scientifiques  de  l’époque,  le 
Dictionnaire  d'histoire  naturelle  de  Béterville  sont  remplis  do  ses  écrits  sur  ce  sujet.  Il 
publia  une  nouvelle  édition  de  l’ouvrage  d’Olivier  de  Serres , le  Dictionnaire  d'agriculture  de 
Y Encyclopédie  méthodique,  un  Supplément  au  cours  do  l'alibé  Rozier,  et  une  foule  d'autres 
travaux  d'une  grande  importance  pour  l'agronomie.  Bosc  ne  succéda  qu'en  1825,  à André 
Tliouiu , comme  professeur  de  culture  nu  Muséum.  L’année  précédente,  surpris  dans  le  Var, 
par  un  violent  orage,  il  avait  été.  saisi  d’une  fièvre,  qui  se  convertit  en  une  affection  chronique, 
et  qui  devint  la  source  de  la  maladie  dout  il  mourut  en  1828. 


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HISTOIRE.  — 1815-1853. 


113 

« Sans  les  chagrins,  dit  Cuvier,  qui  prouonça  son  éloge  à l'Académie  des  sciences,  sans 
les  accidents  qui  se  combinèrent  pour  détruire  sa  santé,  Bosc  aurait  pu  longtemps  encore  se 
rendre  utile  aux  sciences  et  à son  pays.  La  nature  l’avait  créé  vigoureux  ; une  stature  robuste, 
une  figure  noble  et  calme  annonçaient  à la  fois  la  force  du  corps  et  la  pureté  de  l’àme. 
Étranger  aux  intrigues  du  moude,  ou  pourrait  dire  qu’il  l'a  été  quelquefois  aux  ménagements 
que  la  société  réclame;  mais  toujours  aussi  il  a été  plus  sévère  encore  pour  lui-même  que 
pour  les  autres.  Sa  probité  inflexible,  son  dévouement  entier  à ses  amis,  un  désintéressement 
poussé  jusqu'à  l'exagération , et  qui , après  tant  de  travaux  et  tant  d'occasions  légitimes 
d'améliorer  sa  fortune,  ne  laissa  à sa  famille  d’autre  ressource  que  la  justice  du  Gouvernement, 
ne  marqueront  pas  moins  sa  place  parmi  les  hommes  que  leur  caractère  désigne  au  respect 
delà  postérité , que  parmi  ceux  quo  leurs  services  désignent  A sa  reconnaissance.  » 

En  1833  , la  Zoologie  eut  à regretter  la  perte  de  Pierre-André  Lalrcille,  professeur  d’ento- 
mologie, savant  consciencieux  et  modeste,  à qui  cette  partie  de  l’histoire  naturelle  rapporte 
de  si  éminents  progrès.  Latreille , né  à Drives,  en  1762,  d’abord  attaché  au  Jardin  des 
Plantes  comme  aide  naturaliste , puis  comme  répétiteur , devint  membre  de  l'Académie  des 
sciences,  et  enfin,  professeur  au  Muséum,  en  1820.  On  lui  doit  une  Histoire  naturelle  lies 
Fourmis,  un  Cours  d'entomologie , une  Histoire  des  Crustacés  et  des  Insectes,  et  plusieurs 
autres  ouvrages  d'un  haut  intérêt  sur  la  même  branche  de  Zoologie.  On  sait  qu'il  composa 
toute  la  partie  entomologique  du  Régne  animal  de  G.  Cuvier. 

Après  ce  largo  sacrifice  fait , en  quelques  années , aux  nécessités  du  sort , et  pendant  une 
période  assez  étendue,  aucun  nouveau  changement  n’avait  eu  lieu  dans  le  personnel  do 
l'enseignement  du  Muséum,  lorsqu'une  perte  aussi  subite  qu’imprévue  vint  lui  enlever  un  de 
ses  professeurs  les  plus  éminents.  Dans  les  premiers  jours  de  mai  1850,  11.  de  Blaioville, 
après  une  brillante  leçon  faite  à la  Sorbonne,  parti  pour  aller  voir,  auprès  de  Dieppe,  une 
parente  malade , fut  trouvé  sans  vie  dans  un  wagon  du  chemin  de  fer , oü  il  venait  de  prendre 
place  depuis  quelques  instants. 

llenri-Marie  Ducrolay  de  Rlainville  était  né  à Arques  (Seine-Inférieure) , le  1 2 septembre  1777, 
d'une  famille  noble  et  distinguée  de  Normandie.  Ayant  perdu  son  père  dans  un  âge  encore  fort 
tendre,  après  des  études  assez  rapides,  il  fut  placé  à l'Écolo  militaire  de  Beaumont.  En  1792, 
il  quitta  brusquement  cette  École  et  alla  chercher  un  refuge  sur  un  bâtiment  qui  était  en 
croisière  dans  la  Manche;  il  y passa  plusieurs  mois,  et  prit  part  à quelques  combats  sérieux. 
Rentré  en  France,  en  1796,  il  eut  le  malheur  de  perdre  sa  mère,  et,  pendant  quelques  années, 
lancé  au  milieu  des  troubles  et  des  écarts  de  la  société  de  l'époque,  il  resta  longtemps  incertain 
sur  la  carrière  qu’il  aurait  à suivre.  Il  avait  été  successivement  élève  de  l’école  de  Mars,  sous 
les  tentes  de  la  plaine  des  Sablons,  musicien  au  Conservatoire  de  Paris  et  peintre  dans  l’atelier 
rie  David.  A vingt-sept  ans,  il  n’avait  encore  rien  d’arrêté  pour  son  avenir,  lorsqu’un  jour, 
entré  par  hasard  au  Collège  do  France , oh  il  entendit  une  leçon  do  Cuvier , il  en  sortit  avec  la 
résolution  rie  se  vouer  désormais  à l’étude  des  sciences  et  de  devenir  professeur.  Aussitôt 
il  rompit  arec  sa  vie  précédente,  se  mit  à étudier  avec  ardeur,  se  fit  recevoir  docteur  on 
médecine,  et  s'exerça  au  professorat  en  faisant  des  cours  d’anatomie.  Deux  ans  après,  il 
suppléait  Cuvier  dans  ses  leçons  au  Colléga  de  France  et  au  Muséum. 

Lorsqu'on  1812,  M.  de  Blainvillo  monta  pour  la  première  fois  dans  sa  chaire  professorale, 
Cuvier  jouissait  déjà  dans  la  science  d’une  autorité  incontestée  et  d'une  gloire  éclatante.  Il 
avait  tendu  à son  jeune  émule  une  main  protectrice,  l’avait  admis  aux  travaux  de  son  labora- 
toire, et  le  traitait  avec  une  affection  toute  paternelle.  On  aurait  donc  pu  s’attendre  à voir 
M.  de  Blainville  adopter  avec  confiance  les  doctrines  de  ce  grand  naturaliste,  et  subordonner 
ses  propres  idées  à celles  do  son  illustre  patron.  « Mais,  comnio  le  remarque  M.  Milite 
Edwards  (I),  doué  d’une  inlelligence  puissanlc  et  difficile  à convaincre,  il  ne  se  contentait 

(I)  Discours  prononcé  aux  funérailles  de  M.  île  Dlain ville,  le  7 mai  I8.T0. 


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141 


I» n F. M 1 f: R K PARTIE. 

jamais  de  la  parole  du  maître,  et  se  plaisait  à envisager  les  choses  à des  points  de  vue 
nouveaux;  il  apercevait  rapidement  le  côté  vulnérable  d’un  argument,  se  préoccupait  des 
conquêtes  qui  restent  à faits.'  plus  oncore  que  des  découvertes  déjà  faites , et,  logicien  inflexible, 
esprit  militant,  il  aimait  à peser  la  valeur  des  observations  et  à en  déduire  des  principes 
nouveaux.  Aussi,  loin  de  vouloir  marcher  seulement  dans  les  voies  déjà  aplanies  par  son 
illustre  guide,  s’engagea-t-il  bientôt  sur  une  route  nouvelle,  où  ses  progrès  furent  brillants 
et  rapides.  A raison  de  la  multiplicité  de  ses  travaux,  il  acquit,  en  peu  de  temps,  une  légitime 
renommée,  et,  jeune  encore,  il  eut  la  gloire  de  former  école  à côté  de  l'école  de  son  maître.  » 

On  comprend  que  de  telles  dispositions  devaient,  tôt  ou  tard,  séparer  ces  deux  naturalistes, 
et  c’est,  en  effet,  ce  qui  arriva.  Peu  d'années  après , chacuu  d'eux , tout  en  suivant  dans  ses 
travaux  une  ligne  analogue,  professait  des  doctrines  différentes;  n Quel  bien,  disait  blainville, 
n Cuvier  m'a  fait  en  me  retirant  sa  faveur  et  sa  protection  ! Je  lui  dois  ce  redoublement  pour  le 
n travail , ce  feu  dévorant , qui  me  permettront , je  l'espère , de  m'élever  à sa  hauteur,  et  me 
n donneront  peut-être  des  droits  à lui  succéder.  Bans  cette  rupture  qui  m'afflige,  répétait-il  les 
n larmes  aux  yeux , jo  me  serais  engourdi  et  je  ne  serais  qu'un  protégé.  » Cette  dissidence  re- 
grettable n’empêcha  pas  M.  de  Blainville  de  poursuivre  une  honorable  carrière  et  d'atteindre  à 
tous  les  honneurs  scientifiques  réservés  à des  talents  supérieurs.  En  1830,  il  était  admis  à 
l'Académie  des  sciences,  et  lorsqu’on  1832  Cuvier  fui  enlevé  d’une  manière  si  rapide,  N.  de 
Blainville  fut  unanimement  désigné,  par  la  voix  publique  et  par  le  choix  de  ses  confrères,  à le 
remplacer  dans  sa  chaire  du  Muséum. 

Sans  énumérer  ici  les  nombreux  travaux  de  M.  de  Blainville,  qu’il  nous  soit  permis  d’en 
indiquer  on  peu  de  mots  le  caractère  général  cl  d’en  signaler  toute  l'importance.  « A l'exemple 
de  Cuvier,  dit  le  même  savant  que  nous  venons  de  citer,  .M.  de  Blainville  était  à la  fois  anato- 
miste, observateur  et  zoologiste  habile,  llans  ses  travaux  ardus  sur  les  Mollusques,  sur  les 
Annélides,  sur  les  Zoophytes,  sur  les  Vertébrés,  il  ne  sépara  pas  l’élude  de  l'organisation  inté- 
rieure des  animaux  de  ccllo  des  affinités  naturelles  dont  nos  classifications  sont  l'expression. 
Mais,  tandis  que  Cuvier  demandait  directement  à l'Anatomie  comparée  les  éléments  néces- 
saires à la  construction  de  l’édifice  zoologique,  M.  de  Blainville,  considérant  les  formes  exté- 
rieures des  animaux  comme  traduisant  toujours  d’une  manière  fidèle  les  caractères  essentiels 
do  l'organisme , chercha  à fonder,  sur  la  considération  de  ces  formes , le  système  à l’aide 
duquel  les  zoologistes  s'efforcent  de  représenter  les  différences  et  les  ressemblances  introduites 
par  la  nature  dans  la  constitution  de  ces  êtres.  » 

M.  <le  Blainville  présenta  d'abord  ces  résultats  généraux  dans  son  Prodrome  d'ime  nouvelle 
distribution  systématique  du  fiègne  animal,  publié  en  181(1,  et,  plus  lard , dans  divers  articles 
du  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Ces  vues  ne  furent  pas  toutes  accueillies  avec  la  même 
favour;  cependant,  les  progrès  de  la  science  sont  venus  donner  à quelques-unes  une  tardive 
mais  entière  conlirmation.  Sans  adopter  toutes  les  innovations  qnc  propose  M.  de  Blainville, 
les  naturalistes  sont  unanimes  à reconnaître  que  ce  zoologiste  rendit  à lu  science  des  services 
signalés;  qu’il  y a introduit  plus  d'une  idée  heureuse  et  hardie  ; qu'il  a ajouté  aux  faits  déjà 
connus  un  grand  nombre  de  faits  nouveaux;  que  tous  scs  écrits  portent  l'empreinte  d'une 
intelligence  robuste,  et  que  sa  célébrité  s'accroîtra  encore  dans  l'avenir.  Les  erreurs  que  l’on 
peut  commettre  disparaissent  et  s'oublient  avec  le  temps  ; mais  les  vérités  que  l’on  découvre 
ont  une  durée  étemelle,  La  science,  après  la  mort  de  tels  hommes  ne  songe  plus  aux  imper- 
fections de  leurs  œuvres , et  n'enregistre  dans  ses  annales  que  les  bienfaits  qu'elle  en  a reçus. 

Lorsqu’on  1832,  M.  de  Blainville  vint  occuper  la  chaire  d'anatomie  comparée  au  Muséum, 
il  entreprit  sur  les  animaux  vertébrés  un  grand  travail  destiné  à servir  de  complément  et  de 
pendant  à l'immortel  ouvrage  de  Cuvier  sur  les  ossements  fossiles.  M.  de  Blainville  avait  déjà 
B2  ans  lorsqu’il  commença  la  publication  do  ce  livre  monumental,  et  la  vingt-quatrième 
livraison  était  sous  presse,  quand  une  mort  subite  est  venue  mettre  un  terme  à scs  laborieuses 
recherches.  Mois  ce  n'est  pas  là  que  devait  se  borner  l’activité  de  cette  forte  intelligence.  Dans 


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H1ST0IRK.  — 1815-1853.  145 

les  dernières  années  de  sa  vie,  M.  de  Blainville  publia  une  Histoire  des  sciences  naturelles, 
dans  laquelle  il  lit  preuve  d'une  immense  érudition.  C’est  une  chose  digne  de  remurquo  quo 
Cuvier  et  Blainville , tout  en  appréciant  les  objets  à des  points  de  vue  différents,  et  souvent  en 
professant  des  doctrines  opposées,  se  soient  retrouvés  partout  sur  le  même  terrain,  tn  homme 
d'une  intelligence  ordinaire,  ajoute  encore  M.  Jlilne  Edwards,  n’aurait  osé  s’engager  dans  une 
pareille  lutte,  ou  bien  y aurait  promptemeut  succombé.  M.  de  Blainville,  au  contraire,  n’a 
point  iléchi  sous  le  fardeau  qu’il  s'imposait  ; il  se  sentait  la  force  nécessaire  pour  fournir  la 
longue  carrière,  si  glorieusement  parcourue  par  son  prédécesseur;  et,  bien  qu’il  n’ait  laissé 
dans  la  science  ni  des  traces  aussi  profondes , ni  des  monuments  si  beaux , ce  n’est  pas  pour 
lui  un  faible  honneur  que  d’avoir  su  briller  à côté  d’un  pareille  lumière. 

M.  de  Blainville  était  doué  d’une  complexion  vigoureuse  qui  promettait  de  résister  à des 
méditations  soutenues,  à des  travaux  incessants.  Ses  cours  attiraient  de  nombreux  auditeurs. 
Son  élocution,  sans  être  très-brillante,  frappait  surtout  par  l’abondance  et  l’originalité  des 
idées.  Son  imagination  était  ardente,  son  cœur  excellent.  « En  le  voyant,  dit  M.  C.  Prévost, 
soutenir  et  défendre  avec  une  chaleur  enthousiaste  ce  qu’il  croyait  vrai  ou  bon , attaquer  et 
poursuivre  avec  une  ardeur  parfois  opiniâtre  ce  qu’il  regardait  comme  faux  ou  mauvais,  ceux 
qui  l'entendaient  livrer  à une  critique  serrée,  spirituelle  et  souvent  piquante,  les  idées  qu’il  ne 
croyait  pas  devoir  admettra  de  confiance,  pouvaient  croire  son  caractère  difficile  et  même  inso- 
ciable. Pour  le  connaître,  il  fallait  avoir  vécu  avec  lui  dans  le  tête-à-tête,  ou  l'avoir  vu  dans 
le  monde,  en  dehors  des  luttes  et  des  rivalités  scientifiques;  gai  alors,  enjoué,  aimable,  faisant 
preuve  des  connaissances  les  plus  variées,  plein  de  bienveillance  et  d’aménité,  il  savait , dans 
les  salons , faire  oublier  qu’il  était  homme  de  science.  Pour  avoir  l’idée  do  ce  que  valait 
l'homme,  il  fallait  avoir  eu  besoin  de  lui,  lui  avoir  demandé  un  service,  des  conseils,  lui  avoir 
accordé  et  témoigné  une  entière  confiance  et  avoir  acquis  la  sienne  ; alors  on  ne  pouvait  plus 
se  défendre  de  l’aimer  et  de  l'estimer  à jamais.  » 

Il  nous  reste  à parler  de  la  perte  encore  toute  récente  que  le  Muséum  vient  d’avoir  à dé- 
plorer, dans  la  personne  de  M.  Adrien  de  Jussieu,  mort  cette  année  mémo,  1853,  à l’âge 
de  55  ans,  dans  toute  la  force  de  son  talent  et  de  son  intelligence.  Fils  d’Antoine-I.aurent  de 
Jussieu , par  conséquent  petit  neveu  des  trois  illustres  frères  : Antoine , Bernard  et  Joseph  de 
Jussieu,  ou  sait  que  le  dernier  survivant  île  celte  savante  famille,  marchait  dignement  sur  ses 
traces  glorieuses.  Adrien  de  Jussieu,  né  à Paris,  au  Jardin  des  Plantes,  le  23  décembre  1797, 
montra  do  bonne  heure  qu’il  serait  digne  du  beau  nom  qu’il  portait.  Après  de  brillants  succès, 
obtenus  dans  ses  études  classiques  ; après  avoir  remporté  le  prix  d’honneur  au  concours  gé- 
néral des  collèges  de  Paris,  il  hésita  quelque  temps  entre  la  carrière  des  sciences  et  celle  de  la 
littérature;  mais  il  ne  pouvait  faillir  à de  tels  antécédents.  Il  dirigea  toutes  les  forces  de  son 
intelligence  vers  l’étude  de  la  nature,  et,  s’inspirant  des  idées  qui  étaient  pour  lui  un  bien  de 
patrimoine,  il  devint  bientôt  un  botaniste  habile.  Mais  il  comprit  que  l’héritier  des  Jussieu  ne 
devait  parler  au  public  qu’avec  autorité , et  que , par  conséquent,  il  lui  fallait  être  à la  fois 
sévère  dans  ses  travaux  et  sobre  dans  ses  écrits  ; que  des  succès  éphémères  seraient  indignes 
do  son  nom,  cl  qu’il  devait  préférer  un  petit  nombre  d’œuvres  irréprochables  à une  longue 
liste  de  productions  incomplètes  ou  fragiles.  Ce  respect  pour  lui-même  l’a  rendu  moins  fécond 
que  beaucoup  de  scs  contemporains , mais  chacun  de  scs  travaux  porte  lo  cachet  de  la  matu- 
rité , et  peut  braver  impunément  toute  critique. 

Sa  première  publication  fut  un  excellent  Mémoire  sur  la  famille  des  Euphorbiacécs , qui  lui 
servit  de  thèse  inaugurale  pour  obtenir  le  titre  de  docteur  en  médecine.  Peu  de  temps  après, 
il  présentait  à l’ Vrademie  des  sciences  plusieurs  Mémoires,  sur  les  Rutaeées,  sur  les  Méliacées, 
sur  les  Malpighiacées , monographies  complètes  qui  montraient  toute  la  portée  de  son  esprit 
ingénieux  et  profond , et  qui  sont  regardées  comme  de  véritables  modèles.  Dés  l’année  1824 , 
il  fut  appelé  à suppléer  son  père  au  Muséum  comme  professeur  do  botanique  rurale.  Deux  ans 
après,  il  lui  succédait  comme  professeur  titulaire.  En  1831,  il  venait,  cinquième  du  nom, 

» 


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140 


PREMIÈRE  PARTIE. 

prendre  place  à l' Académie  des  sciences,  n Digne  héritier,  dit  M.  Milne  Edwards , d'un  de  ees 
beaux  noms  dont  l’Université  de  France  sera  toujours  lière,  il  était  en  quelque  sorte  la  per- 
sonnification des  idées  qui,  depuis  prés  d'un  siècle,  guident  et  fécondent  les  travaux  des  natu- 
ralistes. La  gloire  de  ses  ancêtres  l'entourait  comme  une  auréole  et  rehaussait  l’éclat  dont  il 
brillait  lui-même.  Il  nous  était  venu  précédé  de  tout  un  cortège  de  grands  maîtres,  et,  dans 
notre  pensée,  son  imago  restera  toujours  associéoau  souvenir  de  la  lignée  d’hommes  illustres 
dont  il  était  le  descendant.  » 


En  1840 , attaché  à la  Faculté  des  sciences  avec  le  titre  d’agrégé,  il  vint  y occupor,  dix  ans 
plus  tard,  la  chaire  de  llolauique,  rcsléo  vacante  par  la  démission  de  M.  do  Mirhol.  En  1839, 
M.  de  Jussieu  publia  ses  Recherches  sur  la  structure  des  Plantes  monocotylédones.  I,a  même 
sûreté  de  méthode,  lu  même  prudence  d'investigation,  la  mémo  réserve  d'hypothèses,  lui 
permirent  d’asseoir  sur  des  bases  plus  certaines  et  plus  étendues,  ce  groupe  naturel,  créé  par 
son  père.  On  reste  émerveillé,  dit  M.  Decaisne,  en  étudiant  ce  travail,  de  la  multitude  do 
faits  rassemblés,  de  la  clarté  et  île  la  précision  de  leur  coordination,  de  la  sagacité  avec 
laquelle  il  a su  éviter  les  écueils  oii  des  maîtres  habiles  étaient  venus  échouer.  En  abordant 
dans  son  grand  travail  les  questions  de  symétrie  florale,  de  fécondation,  d'anatomio  comparée, 
M.  de  Jussieu  donna  à cette  oeuvre  un  degré  do  perfection  quo  porsonno  encore  n'a  pu 
atteindre. 

L'écrit  le  plus  répandu,  le  plus  populaire  qu’ait  produit  Adrien  do  Jussiou,  est  un  ouvrage 
élémentaire  de  Botanique,  qui , sous  un  petit  volume,  renferme  les  données  les  plus  essen- 
tielles , les  plus  positives  de  la  science , considérée  dans  toutes  ses  parties  ; c'est  un  modèle 
d’exposition,  de  clarté,  de  mosure,  un  résumé  remarquable  par  la  netteté  du  plan,  par  la 
précision  des  détails,  comme  par  l’élégance  du  style,  l’n  seul  mot  peut  en  faire  apprécier 
l’incontestable  mérite  : publié  depuis  moins  do  dix  ans,  il  a bientôt  passé  dans  toutes  les 


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HISTOIRE.  — 1815-  1853.  147 

langues  de  l'Europe , et  vingt-quatre  mille  exemplaires  eu  sont  aujourd’hui  répandus  dans 
les  mains  de  tous  les  étudiants  du  monde. 

M.  do  Jussieu  était  un  homme  de  mœurs  simples,  douces  et  pures,  d'un  jugement  exquis, 
d'une  forte  intelligence,  d'un  esprit  orné;  sa  parole  était  vive,  élégante,  variée;  son  caractéro 
plein  de  lionté,  de  bienveillance  et  de  douceur  dans  les  relations  habituelles,  ne  manquait  ni 
de  fermeté,  ni  d'énergie  dans  les  occasions  importantes.  Personne  ne  posséda  à un  plus  haut 
degré  les  vertus  du  foyer  domestique.  Ses  habitudes  de  famille  étaient  simples  et  toutes 
patriarcales.  A toutes  ces  qualités  du  cœur,  se  joignait  un  tour  d’esprit  éminemment  français 
et  une  gaieté  aimable,  qui  ont  donné  au  cours  de  botanique  rurale  de  M.  do  Jussieu,  une 
rcuonunée  qui  ne  |>érirn  pas.  n Rien  de  plus  charmant  que  ses  herborisations,  dans  lesquelles 
le  maître  s'élevait  des  notions  élémentaires  jusqu'aux  sommités  de  la  science;  rien  du  plus 
louchant  que  do  lo  voir  entamer  et  résoudre,  à la  manière  des  sages  de  l'antiquité,  les 
questions  les  plus  controversées  de  la  Botanique  ; il  prodiguait , dans  ces  occasions,  les  trésors 
do  son  érudition  variée,  répondant  à toutes  les  questions  qu'on  lui  adressait  avec  cette 
précision,  ce  sens  exquis,  cette  variété  d'images  qui  trahissait  autaut  la  richesse  de  sou 
esprit  que  son  savoir  profond.  Ceux  qui  ont  pu  vivre  avec  lui  dans  cette  intimité  do  l'école, 
savent  l’heureuse  influence  de  ces  herborisations  sur  les  jeunes  esprits  et  quelle  sage  direction 
il  a su  leur  imprimer.  » 

Lorsque  la  mort  vint  trancher  prématurément  cotte  existence  si  remplie,  si  noblo,  si  pure, 
M.  de  Jussieu  était  président  de  l’Académie  des  sciences.  Ses  collègues,  MM.  Ad.  Ilrongniart, 
Duméril,  I)evaisne,  Milnu  Edwards  s'empressèrent  d’apporter  sur  sa  tombe  le  tribut  de  leurs 
éloges  et  de  leurs  regrets.  C'est  à eux  que  nous  avons  eu  recours  pour  tracer  ces  lignes; 
pouvions-nous  trouver  de  plus  éloquentes  paroles  que  celles  qu'inspirent  la  douleur,  l'attache- 
ment et  l'estime  pour  la  mémoire  d'un  cher  et  illustre  ami  î 


A cette  dernière  et  cruelle  perte  s'arrête  naturellement  lo  tableau  historique  que  nous  avions 
à tracer.  C’est  à regret  que  nous  n'avons  pu  donner  h cette  histoire  du  Muséum,  comme  à celle 
des  hommes  qui  complètent  sa  renommée , tous  les  développements  dont  un  pareil  sujet  était 
susceptible.  La  splendourdo  l'établissement  frappe  tous  les  yeux,  les  richesses  qu'il  renfemio 
excitent  l'admiration;  mais  il  fallait  dire  quels  efforts  ont  coûtés  toutes  ces  merveilles,  quels 
hommes  les  ont  recueillies , étudiées , en  ont  tiré  do  si  beaux  résultats  ; il  fallait , sur  chaque 
pierre  du  monument , écrire  le  nom  de  celui  qui  l'avait  posée.  Nous  n’avons  fait  que  signaler 
ces  noms  glorieux  ; la  postérité  seuto , dans  sa  reconnaissance , peut  leur  offrir  un  hommage 
digne  de  leur  dévouement,  de  leur  génie,  des  lumières  qu'ils  ont  répandues  sur  les  œuvres  de 
lu  nature,  et  des  services  qu’ils  ont  rendus  à lu  civilisation. 


P.-A.  CAP. 


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148 


PREMIÈRE  PARTIE. 


ALDR0VAN1) 


Ulysse  Aldhovand  naquit  en  i.r>27.  Un  con- 
temporain, Isaac  Bullarl,  qui  a publié  en  1582  de 
nombreuses  biographies  d'hommes  illustres,  s'ex- 
prime en  ces  termes  sur  son  compte  : 

« Si  la  Grèce  a vanté  autrefois  son  Ulysse. 
l’Italie  no  doit  pas  moins  se  glorifier  de  la  nais- 
sance de  celui-ci,  qui,  non  coulent  de  l'honneur 
qu’il  avait  de  sortir  des  comtes  d’Aldrovand,  dé- 
libéra de  rendre  son  nom  recommandable  à la 
postérité  en  lui  découvrant  dans  ses  doctes  écrits 
toutes  les  merveilles  qui  paraissent  sur  le  théâtre 
de  l’univers.  Poussé  de  cette  généreuse  résolu- 
tion, il  fil  de  longs  voyages  pour  remarquer  la 
forme,  les  inclinations  et  les  qualités  des  ani- 
maux cl  des  plantes  de  chaque  contrée  : il  perça 
jusqu’aux  entrailles  de  la  terre  pour  reconnaître 
la  vertu  des  animaux,  passa  des  yeux  dans  la  ré- 
gion de  l’air  pour  considérer  tous  les  oiseaux 
qui  y volent  et  y respirent,  chercha  dans  l'océan 
et  dans  les  rivières  les  poissons  qui  s'v  nourris- 
sent; puis,  remontant  de  l’esprit  dans  les  deux, 
examina  la  constitution  des  astres  et  des  météores 
avec  leurs  opérations  différentes  sur  les  corps 
inférieurs  . sans  rien  laisser  échapper  à sa  con- 
naissance de  tout  ce  qui  pouvait  servir  h l'éclair- 
cissement de  la  philosophie  naturelle  et  de  la 


médecine  qu’il  avait  entrepris  d’enseigner  à Bo- 
logne. » 

On  voit  d’après  ce  panégyrique  qu  Aldrovand 
«lut  être  de  son  temps  un  homme  universel.  S'il 
n’apporta  pas  dans  ses  travaux  une  méthode  irré- 
prochable. il  eut  au  moins  un  très-grand  mérite 
d'observation  et  d'infatigable  patience. 

Retiré  à Bologne , il  s'occupa  de  mettre  en 
ordre  ses  collections,  les  décrivit  dans  ses  cours, 
et  commença  une  immense  publication  à laquelle 
il  associa  comme  graveurs  Laurent  Bennino  de 
Florence,  Cornillc  Suint  de  Francfort  et  Christo- 
phe Coriolan  de  Nuremberg  qu'il  paya  de  ses 
deniers  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Pendant  la  belle 
saison,  il  allait  souvent  avec  eux  à une  maison 
qu'il  avait  près  de  Bologne,  et  il  leur  faisait  co- 
pier d’après  nature  tout  ce  qui  s’offrait  à leurs 
regards  et  leur  paraissait  digne  d’élre  reproduit 

Le  sénat  de  Bologne,  le  cardinal  Monlalle. 
François-Marie  duc  d'Urbin  et  d’autres  seigneurs 
italiens  s’empressèrent  de  contribuer  aux  dépen- 
ses qu  occasionnaient  des  travaux  si  étendus. 

Entouré  de  si  magnifiques  encouragements, 
après  avoir  publié  douze  livres  de  l’histoire  «les 
oiseaux  qu'il  dédia  nu  pape  Clément  VIII.  il  re- 
mit par  son  testament  toutes  ses  collections  au 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


sénat  de  Bologne  dans  l'espoir  qu’après  sa  mort 
son  ouvrage  serait  continué  et  ses  collections 
préservées  de  l'oubli.  Son  espérance  fut  réali- 
sée; celle  noble  compagnie  considérant  le  mérite 
de  l'ouvrage  cl  la  dernière  volonté  du  testateur, 
alloua  une  somme  considérable  à Jean-Corneille 
Uterverius,  de  Dclfl  en  Hollande,  et  professeur  de 
l’université  de  cette  ville,  et  à Thomas  Dempster. 
gentilhomme1  écossais  son  collègue,  pour -assurer 
la  publication  et  l’achèvement  de  l’ouvrage. 

Cette  encyclopédie  d'histoire  naturelle  forma  j 
13  volumes  in-folio  et  fut  réimprimée  à Francfort  I 
en  1510. 

Aldrovand  n’eut  pas  la  joie  de  voir  son  ouvrage  , 
terminé.  Quatre  volumes  parurent  seulement  de  ! 
son  vivant. 

Frappe1  de  cécité,  il  mourut  le  i mai  1505.  âgé  ; 
de  80  ans. 

Le  recueil  des  peintures,  qui  ont  servi  d'ori-  ; 
ginaux  aux  gravures  de  cet  immense  ouvrage,  a j 
été  transporté  pendant  la  révolution  au  Muséum 
«l’histoire  naturelle  de  Paris  et  fait  partie  «les 
précieuses  peintures  conservées  à la  Bibliothèque. 

Nous  ferons  remarquer  qu’à  cette  époque  éloi- 
gnée, alors  que  l’étude  de  l'histoire  naturelle 
commençait  â peine  â naître  en  France,  le  sénat 
de  Bologne  ne  balança  pas  à consacrer  une 
somme  immense  à la  publication  de  l'ouvrage 


119 

d’Aldrovand;  de  pareils  encouragements  sont 
honorables  à la  fois  pour  le  gouvernement  qui 
les  accorde  et  les  savants  qui  les  reçoivent. 

D’autres  honneurs  ne  manquèrent  pas  â Aldro- 
vand: le  pape  Urbain  VIII  céjébra  sa  mémoire 
dans  les  vers  suivants  : • 

Multipliées  rerum  formas  quas  [wuius  et  œilier 
Exhibe I,  et  quidquid  promit  et  abdit  humus. 

Mens  haurit,  speclant  oculi,  dmn  cuncla  sagaci, 
Aldrobaxde,  tuus  digerit  arte  liber. 

Miratur  proprios  solers  induslria  fœtus, 

Quamquc  tnlit  moli  se  neqat  esse  parem. 

Obstupct  ipsa  simul  rerum  fectmda  creatrix. 

Et  cupit  esse  suum  quod  videt  artis  opus. 

* Les  formes  variées  des  choses,  tout  ce  que 
nous  offrent  la  mer  et  les  plaines  éthérées,  tout 
ce  que  nous  montre  la  terre  et  tout  ce  qu  elle 
nous  cache  dans  ses  profondeurs,  tout  cela,  l’es- 
prit le  saisit,  les  yeux  le  yoieut,  Aldrovand,  dans 
ion  livre,  ingénieux  assemblage  de  tant  de  mer- 
veilles. L’art  admire  son  propre  ouvrage,  et  se 
déclare  inférieur  à ce  qu’il  vient  de  produire.  La 
féconde  création  de  toutes  les  choses  est  elle- 
même  frappée  d’élonneinent,  et.  contemplant 
cette  production  de  l'art,  elle  en  voudrait  être 
appelée  la  mère.  » 


RÉÀUMUR 


R k a u m t a ( René-Antoine  Fkrc  h aulx  d e), 
physicien  et  naturaliste,  né  à La  Rochelle  en 
1683,  mort  en  1757,  reçu  à l'Académie  des 
sciences  dès  1708,  i\  l’âge  de  23  ans,  et  pendant 
cinquante  ans  porta  ses  recherches  sur  l’histoire 
naturelle,  la  physique  générale  et  la  technologie. 
Ses  travaux  sur  la  cémentation  et  l’adoucissement 
des  fers  fondus,  sur  la  fabrication  du  fer-blanc, 
sur  la  porcelaine,  sont  au  nombre  des  plus  utiles 
et  des  plus  beaux  que  puisse  citer  la  science.  On 
lui  doit  le  thermomètre  qui  porte  son  nom  et  qui 
est  divisé  en  quatre-v iugls  degrés  ; il  le  lit  con- 
naître cil  1731.  Il  contribua  par  son  influence 
plus  encore  que  par  ses  travaux  à l’essor  que 
prirent  les  sciences  d’observation  et  d'application 
au  XVIIIe  siècle.  Outre  nombre  do  mémoires  in- 
sérés dans  le  recueil  de  l’Académie  des  sciences, 
on  lui  doit  des  Mémoires  pour  servir  à l'histoire 
des  insectes f 6 vol.  in-4°.  1734-42. 

G.  Cuvier  en  parle  en  ces  termes  : * L’auteur 
déploie  au  plus  haut  degré,  dans  cet  ouvrage,  la 
sagacité  dans  l'observation  et  dans  la  découverte 
de  tous  ces  instincts  si  compliqués  et  si  constants 
dans  chaque  espèce,  qui  maintiennent  ces  faibles 


créatures.  Il  pique  sans  cesse  la  curiosité  par  des 
détails  nouveaux  et  singuliers.  Son  style  est  uu 
peu  diffus , mais  d’une  clarté  qui  rend  tout  sen- 
sible ; et  les  faits  qu'il  rapporte  sont  partout  de 
la  vérité  la  plus  rigoureuse.  Cet  ouvrage  se  fait 
lire  avec  l'intérêt  du  roman  le  plus  attachant. 
Malheureusement  il  n’est  pas  terminé,  et  le  ma- 
nuscrit du  septième  volume,  laissé  après  la  mort 
de  l’auteur  à l'Académie  des  sciences,  s’est  trouvé 
si  en  désordre  et  si  incomplet  qu’il  a été  impos- 
sible de  le  publier.  Il  devait  y parler  des  grillons 
et  des  sauterelles,  et  les  coléoptères  auraient  rem- 
pli le  huitième  et  les  suivants.  Les  six  volumes 
qui  ont  para  traitent  des  autres  ordres  des  in- 
sectes ailés.  Dans  les  deux  premiers,  il  est  ques- 
tion des  chenilles,  de  leurs  formes,  de  leur  genre 
de  vie,  de  leurs  métamorphoses  en  papillons,  des 
insectes  qui  les  attaquent,  ou  qui  vivent  dans 
leur  intérieur  et  à leurs  dépens.  Le  troisième 
roule  sur  ces  petites  chenilles  nommées  teignes, 
ou  fausses  teignes,  qui  habitent  dans  l’intérieur 
des  substances  qu'elles  dévorent,  ou  qui  se  font 
des  étuis  cl  des  vêtements  pour  se  mettre  à l’abri  : 
il  contient  aussi  l'histoire  si  remarquable  des  pu- 


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150 


PREMIÈRE  PARTIE. 


corons  qui  sucent  les  arbres  et  des  insectes  ana- 
logues. Les  mouches  qui  produisent  les  noix  de 
(»alle  des  arbres;  les  vers  dont  naissent  les  mou- 
ches à deux  ailes,  et  qui  ont  des  germes  de  vie 
si  diversifie**,  depuis  le  cousin,  qui  habite  plu- 
sieurs années  dans  l'eau  avant  de  prendre  des 
ailes,  jusqu'à  l'œstre  qui  se  tient  dans  la  chair 
des  animaux  vivants,  ou  dans  leur  estomac,  ou 
dans  les  fosses  les  plus  profondes  de  leur  gorge 
ou  de  leurs  narines,  et  leur  causent  des  douleurs 
effroyables,  occupe  le  quatrième.  On  trouve  dans 
le  cinquième,  après  différents  genres  d’insectes 
assez  curieux,  l'histoire  de  la  merveilleuse  répu- 
blique des  abeilles  et  de  son  gouvernement. 
Réaumur  avait  demandé  aux  géomètres  d’expli- 
quer quel  avait  été  le  motif  de  la  figure  déter- 
minée des  rhombes  qui  forment  le  fond  de  cha- 
que cellule  d’un  rayon  de  miel  ; et  Kœnig  réso- 
lut ce  problème  en  prouvant  que  c’était  de  toutes 
les  formes  possibles,  dans  les  conditions  don- 
nées, celle  qui  épargnait  le  plus  la  matière  de  la 
cire. 

Nous  devons  dire  ici  que  les  recherches  de 
Schirach  et  surtout  celles  de  Huber  ont  infiniment 
ajouté  à tout  ce  que  les  découvertes  de  Réaumur 
avaient  déjà  détonnant;  mais  l'histoire  qu'il  a 
donnée  n’en  est  pas  moins  très-riche  en  faits  cu- 
rieux dt  le  produit  d'observations  faites  avec 


autant  d'esprit  que  d’assiduité.  Des  républiques 
moins  populeuses  et  moins  recherchées  dans 
leurs  ouvrages,  celles  des  bourdons,  des  frelons, 
des  guêpes,  les  industries  remarquables  des  di- 
verses guêpes  et  abeilles  solitaires  remplissent 
le  sixième  volume,  qui  est  un  des  plus  curieux 
de  l’ouvrage. 

« Réaumur  y annonce  la  découverte  surprenante 
que  Trembley  venait  de  faire  du  polype  et  de  sa 
faculté  de  se  reproduire  de  chacun  de  ses  tron- 
çons. Déjà  dans  un  de  ses  volumes  précédents,  il 
avait  fait  connaître  celle  de  Bonnet  sur  la  faculté 
qu’a  le  puceron  de  se  reproduire  plusieurs  géné- 
rations de  suite,  sans  accouplement.  Ces  natura- 
listes, jeunes  encore,  avaient  été  excités  par  sou 
exemple,  et  c’était  en  marchant  sur  ses  traces 
qu’ils  avaient  observé  des  faits  si  curieux.  » 

La  vie  de  Réaumur  se  passa  fort  tranquillement, 
tantôt  dans  s«*s  terres  en  Saintonge,  tantôt  dans 
sa  maison  de  campagne  de  Bercy  près  Paris.  Il 
ne  prit  point  d'emploi  et  consacra  tous  ses  mo- 
ments aux  sciences.  La  considération  publique 
et  une  grande  déférence  de  la  part  du  gouverne- 
ment suffirent  à ses  désirs. 

Une  chute  faite  eu  1757,  au  château  de  la  Bcr- 
mondière  dans  le  Maine,  où  il  était  allé  passer 
les  vacances,  accéléra  sa  fin.  11  mourut  le  1 8 oc- 
tobre. âgé  de  74  ans. 


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NOTICES  HISTOniOI ES 


151 


Cu.  BONNET 


Charles  Bonnet,  né  en  1720,  d’une  famille 
riche  cl  distinguée  par  les  places  qu'elle  avait 
remplies,  fut  destiné  à la  jurisprudence  et  recul 
l'éducation  convenable  pour  s'y  préparer  : une 
conception  facile,  une  imagination  heureuse  lui 
donnèrent  de  prompts  succès  dans  les  lettres  et 
dans  la  physique;  mais  elles  ne  lui  permirent  pas 
de  se  livrer  d’abord  avec  plaisir  aux  méditations 
plus  abstraites  de  la  philosophie,  et  encore  moins 
à l’élude  de  toutes  ces  formes,  de  toutes  ces  pe- 
tites décisions  particulières  dont  tant  de  codes 
sont  remplis. 

Ce  goût  pour  des  idées  agréables,  pour  des 
recherches  aisées,  quoique  ingénieuses,  était  déjà 
une  disposition  favorable  pour  l'histoire  natu- 
relle particulière;  un  hasard  le  jeta  tout  à fait 
dans  eette  vocation.  Il  lut  un  jour,  dans  le  S/wc- 
tacle  de  la  nature,  riiistoirc  de  l’industrie  singu- 
lière de  l'espère  d'insecte  appelée  Formica  leo. 
Vivement  frappé  de  faits  aussi  curieux  que  nou- 
veaux pour  lui,  il  ne  repose  plus  qu’il  n’ait  trouvé 
un  formica  leo;  en  le  cherchant,  il  trouve  bien 
d'autres  insectes  qui  ne  l'attachent  pas  moins,  fl 
parle  à tout  le  monde  du  nouvel  univers  qui  se 
dévoile  à lui.  On  lui  apprend  Icxistencc  de  l’ou- 
vrage de  Réaumur,  il  l'obtient  à force  d'impor- 
tuner le  bibliothécaire  public,  qui  ne  voulait  pas 
d’abord  le  confier  à un  si  jeune  homme  ; il  le  dé- 
vore en  quelques  jours;  et  court  partout  pour 


chercher  les  êtres  dont  Réaumur  lui  enseignait 
l’iiisloire.  Ï1  en  découvre  encore  une  foule  dont 
Réaumur  n’avait  point  parlé;  et  le  voila,  à seize 
ans,  devenu  naturaliste.  Il  le  serait  probable- 
ment resté  pour  la  vie,  sans  les  intirmilés  qui  le 
contraignirent  de  donner  une  autre  direction  à 
son  esprit. 

Il  entra  en  quelque  sorte  à pas  de  géant  dans 
la  carrière  de  1 observation.  A dix-huit  ans,  il 
communiquait  déjà  à Réaumur  plusieurs  faits  in- 
téressants. cl  à vingt  il  lui  révéla  sa  belle  décou- 
verte de  la  fécondité  des  pucerons;  merveille 
inouïe!  non  moins  admirable  que  la  patience 
qu’un  si  jeune  homme  avait  mise  à la  constater. 
L’Académie  des  sciences  ne  crut  trop  pouvoir  se 
hâter  d’inscrire  ce  jeune  observ  ateur  parmi  ses 
correspondants. 

Bientôt  après,  un  compatriote  de  Bonnet  vint 
offrir  un  plus  grand  miracle  aux  savants  étonnés  : 
le  polype  et  sa  reproduction  indéfinie  par  la  sec- 
tion furent  publiés  j»ar  Abraham  Trcmbley.  Bon- 
net aussitôt  appliqua  le  ciseau  à tous  les  animaux 
communément  appelés  imparfaits;  il  vit  les  par- 
ties coupées  renaître  dans  les  vers  de  terre  et 
d'eau  douce;  il  en  multiplia  aussi  les  individus 
en  les  divisant,  quoiqu'il  n’y  ail  aucune  compa- 
raison à faire  entre  leur  organisation  déjà  si  com- 
pliquée, et  l’homogénéité  presque  complète  du 
polype.  Ainsi  commença  à sc  montrer  dans  les 


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152  PREMIERE 

animaux  une  force  que  l'on  avait  jusque-là  re- 
gardée comme  réservée  aux  plantes. 

C’est  en  suivant  les  vues  de  Bonnet,  que  Spal- 
lanzani  porta  jusqu'à  leur  dernier  terme  les  preuves 
de  celte  force,  quand  il  fit  reproduire  au  limaçon 
sa  tête  avec  sa  langue,  ses  mâchoires  et  scs  yeux  ; 
et  à la  salamandre  ses  pattes  avec  tous  leurs  os, 
leurs  muscles,  leurs  nerfs  et  leurs  vaisseaux. 

Celle  propriété  mise  en  jeu  dans  les  vers  pré- 
senta à Bunuel  plusieurs  phénomènes  de  détails 
faits  pour  étonner.  L’extrémité  antérieure  fendue 
donnait  deux  têtes  qui,  à peine  formées,  deve- 
naient ennemies  l une  de  l’autre  : lorsque  l’on  fai- 
sait trois  tronçons,  celui  du  milieu  reproduisait 
ordinairement  une  tête  en  avant  et  une  queue  en 
arrière.  Mais  il  y avait  aussi  quelquefois  une  sorte 
d'erreur  de  la  nature  ; le  tronçon  du  milieu  pro- 
duisait deux  queues,  et,  ne  pouvant  se  nourrir, 
était  condamné  à une  prompte  d^lruction. 

Il  semblait  qu’il  fut  de  la  destinée  de  Bonnet 
que  les  idées  ou  les  essais  incomplets  dos  autres 
lui  fissent  faire  de  grandes  découvertes  et  de  beaux 
ouvrages,  et  en  effet  e’«*st  moins  en  concevant  des 
idées  ingénieuses  qu'en  poursuivant  sans  relâche 
leur  développement,  que  les  grands  génies  ont 
marqué  leur  place.  Le  germe  du  calcul  différen- 
tiel est  dans  Barrow,  celui  des  forces  centrales  dans 
Huyghens;  et  Newton  n’en  est  pas  moins  l'hon- 
neur de  l'esprit  humain. 

(Quelques  expériences  pour  faire  végéter  des 
arbustes  sans  terreau,  une  conjecture  de  Calan- 
drini  sur  l'objet  de  la  différence  entre  les  deux 
surfaces  des  feuilles  des  arbres,  firent  entrepren- 
dre à Bonnet  son  Traité  de  l’usaye  des  feuilles, 
l’un  des  livres  les  plus  importants  de  physique 
végétale  que  le  dix-huitième  siècle  ail  produits. 

Non-seulement  il  retrouva  au  plus  haut  degré 
dans  les  végétaux  cette  force  de  reproduction,  par 
laquelle  de  chaque  partie  séparée  d’un  corps  or-  , 
ganisé.  peut  à chaque  instant  renaître  le  tout  ; il 
lit  principalement  remarquer  cette  action  mutuelle 
du  végétal  et  des  éléments  environnants,  si  bien 
calculée  par  la  nature  que.  dans  une  multitude  de 
circonstances,  il  semble  que  la  plante  agisse  pour 
sa  conservation  avec  sensibilité  et  discernement. 

Ainsi  il  vil  les  racines  se  détourner,  se  prolon- 
ger pour  chercher  la  meilleure  nourriture;  les 
feuilles  se  tordre  quand  on  leur  présente  l'hu- 
midité dans  un  sens  différent  du  sens  ordinaire, 
les  brandies  se  redresser  ou  se  fléchir  de  diverses 
façons  pour  trouver  l'air  plus  abondant  ou  plus 
pur;  toutes  les  parties  de  la  plante  se  porter  vers 
la  lumière,  quelque  étroites  que  fussent  les  ou- 
vertures par  où  elle  pénétrait.  11  semblait  que  le 
végétal  luttât  de  sagacité  cl  d'adrebse  avec  l’ob- 
servateur, cl  chaque  fois  que  celui-ci  présentait 
un  nouvel  appât  ou  un  nouvel  obstacle,  il  voyait 
la  plante  se  recourber  d’une  autre  manière  et 
toujours  prendre  la  position  la  plus  convenable  à 
son  bien-être. 

Ces  recherches  sur  les  feuilles  occupèrent  Bon- 


PARTIK. 

net  pendant  douze  ans  : elles  forment  sou  plus 
beau  titre  de  gloire,  par  la  logique  sévère,  par  la 
sagacité  délicate  qui  y brillent,  et  par  la  solidité 
de  leurs  résultats. 

Que  de  secrets  aurait  pu  révéler  encore,  après 
un  tel  début,  un  esprit  de  cette  trempe,  si  la  na- 
ture lui  eût  laissé  les  forces  physiques  nécessaires 
pour  l’observation.  Mais  ses  yeux  affaiblis  par 
l'usage  du  microscope  lui  refusèrent  leur  secours, 
et  son  esprit  trop  actif  pour  supporter  un  repos 
absolu  se  jeta  dans  le  champ  de  la  philosophie 
spéculative.  Dès  lors  ses  ouvrages  prirent  un  au- 
tre caractère,  et  il  n’y  traita  plus  que  ces  ques- 
tions générales  agitées  par  les  hommes  depuis 
qu’ils  ont  le  loisir  de  se  livrer  à la  méditation,  et 
qui  les  occuperont  encore  aussi  longtemps  que 
le  monde  subsistera. 

Nous  ne  suivrons  pas  Ch.  Bonnet  sur  ce  nou- 
veau terrain;  nous  nous  contenterons  de  signaler 
sc>  Considérations  sur  les  corps  organisés , dans 
lesquelles  il  s'étudia  à soutenir  la  thèse  de  la 
préexistence  «les  germes  pour  laquelle  il  trouva 
de  puissants  soutiens  dans  Spallanzani  et  Haller. 

Dans  un  autre  ouvrage  général,  sa  Contempla- 
tion de  la  nature,  Bonnet  s’attacha  â celle  propo- 
sition de  Leibnitz,  que  tout  est  lié  dans  l'univers , 
et  que  la  nature  ne  fait  point  de  saut y mais  au  lieu 
de  la  restreindre  comme  le  philosophe  allemand 
aux  événements  successifs  et  dans  les  rapports  de 
couses  et  d’effets,  ou  du  moins  â l'action  et  à la 
réaction  mutuelle  des  êtres  simultanés,  il  l'appli- 
qua aussi  aux  formes  de  ces  êtres,  et  aux  grada- 
tions de  leur  nature  physique  et  morale. 

Celte  échelle  immense,  commençant  aux  sub- 
stances les  plus  simples  et  les  plus  brutes,  s'éle- 
vant par  des  degrés  infinis  aux  minéraux  régu- 
liers, aux  plantes,  aux  zoophytes,  aux  insectes, 
aux  animaux  supérieurs,  à l'homme  enfin,  et  par 
lui  aux  intelligences  célestes  et  se  terminant  dans 
le  sein  de  la  divinité;  celle  gradation  régulière 
dans  le  perfectionnement  des  êtres,  présentée  avec 
le  talent  de  Bonnet,  formait  un  tableau  enchan- 
teur qui  dut  gagner  beaucoup  d’esprits  et  avoir 
beaucoup  de  partisans. 

Pendant  longtemps  les  naturalistes  s'appliquè- 
rent â remplir  les  vides  que  le  défaut  d'observa- 
tions laissait  encore,  selon  eux.  dans  cette  échelle, 
et  la  découverte  d’un  chaînon  de  plus  dans  cette 
immense  série  leur  paraissait  ce  qu’ils  pouvaient 
trouver  de  plus  intéressant. 

Mais  quelque  agréable  que  celte  idée  puisse 
paraître  â l'imagination,  il  faut  avouer  que,  prise 
dans  cette  acception  et  dans  celte  étendue,  elle 
n’a  rien  de  réel  ; sans  doute  les  êtres  de  certaines 
familles  se  ressemblent  plus  ou  moins  entre  eux  ; 
sans  doute  il  en  est,  dans  quelques-unes,  qui  par- 
tagent certaines  propriétés  des  familles  voisines  : 
la  chauve-souris  vole  comme  les  oiseaux,  le  cy- 
gne nage  comme  les  poissons;  mais  ce  n’est  ni 
au  dernier  quadrupède  ni  au  premier  oiseau  que 
la  chauve-souris  ressemble  le  plus.  Le  dauphin 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


lierait  les  quadrupèdes  aux  poissons  encore  mieux  I 
que  le  cygne  n’y  ratlacherail  les  oiseaux.  Ainsi 
il  y a des  rapports  multipliés,  mais  point  de  ligne 
unique;  chaque  être  est  une  partie  qui  exerce  sur 
le  tout  une  influence  déterminée,  mais  non  pas 
un  échelon  qui  y remplirait  une  place  fixe. 

Bonnet  eut  le  malheur  de  partager,  avec  d'au- 
tres hommes  de  mérite  de  son  siècle,  leur  injuste 
mépris  pour  cet  art  ingénieux  de  distinguer  les 
êtres  par  des  marques  certaines,  que  l'on  pro- 
scrivait sous  le  nom  de  nomenclature.  Il  ne  son- 
geait pas  que  c'est  en  histoire  naturelle  la  base 
nécessaire  de  toute  autre  recherche,  et  il  ne 
soupçonnait  pas  que  c’est  le  chemin  de  cet  autre 
art,  bien  plus  profond,  de  déterminer  la  nature 
intime  des  êtres,  en  établissant  entre  eux  des 
rapports  rationnels  et  constants. 

Bonnet  appartenait  à cette  classe  d'écrivains 
habitués  dans  leurs  écrits  à plaire  A l'imagination 
pour  pénétrer  jusqu’à  la  raison  de  leurs  lecteurs, 
et  sa  Contemplation  de  la  nature  en  particulier  est 
aussi  remarquable  par  l'agrément  du  style  que 
par  le  nombre  des  faits  qui  y sont  rassemblés  et 
présentés  sous  les  rapports  les  plus  intéressants  : 
e’est  un  des  livres  que  l'on  peut  mettre  avec  le 


153 

plus  d'avantage  dans  les  mains  «les  jeunes  gens 
pour  leur  inspirer  à la  fois  le  goût  de  l'étude  et 
le  respect  pour  la  Providence. 

Les  autres  ouvrages  de  Eh.  Bonnet  sont  l’Essai 
de  psychologie  et  l'Essai  analytique  sur  les  facultés 
de  l’dme,  enfin  sa  Palingénésie  philosophique.  Ses 
oeuvres  complètes  ont  été  recueillies  à Neufchft- 
lel  en  1779,  et  forment  18  vol.  in-8**.  11  conserva 
pendant  un  assez,  long  temps  ce  calme  «le  l'âme 
dont  ses  écrits  portent  l’empreinte.  Il  mourut 
heureux  et  honoré,  à l’âge  de  soixante-treize  ans, 
à la  suite  d’un  affaiblissement  graduel,  le  20  mai 
1793. 

La  ville  de  Genève,  glorieuse  «l’avoir  eu  un 
tel  citoyen,  lui  décerna  «les  honneurs  publics. 

Après  ses  ouvrages,  le  monument  qui  lui  fait 
le  plus  «l'honneur,  re  sont  res  hommes  mêmes 
«pie  formèrent  ses  conseils  et  son  exemple,  et 
nous  croyons  ajouter  un  dernier  trait  au  tableau 
de  sa  vie,  en  traçant  immé«liatement  à sa  suite 
celle  d’un  neveu  qui  ne  fut  pas  moins  illustre,  et 
qui,  sans  avoir  porté  ses  idées  sur  un  champ 
aussi  étendu,  a fait  des  pas  plus  hardis  et  plus 
sûrs  «lans  la  c.-yrière  plus  étroite  qu’il  s'était 
tracée.  G.  Cuvier. 


DE  SAUSSURE 


Cuvier,  qui  a écrit  l’éloge  de  de  Saussure, 
rend  un  éclatant  hommage  au  génie  de  ce  savant, 
qu'il  appelle  son  maître  et  son  gui«le.  De  Saussure 
a posé  le  premier  les  Imiscs  de  la  science  géologi- 
que, et  a rassemblé  les  matériaux  qui  «levaient 
servir  à construire  le  magnit'iipie  édifice  que  Cu- 
vier a su  si  bien  coordonner  on  immortalisant 
son  nom. 

Ilcnri-Benedicl  «le  Saussure  est  né  en  1740,  et 
est  mort  en  1799.  Il  cultiva  d'abord  la  botanique 
et  lit  d'ingénieuses  observations  sur  l'écorcc  des 
feuilles.  L'élude  de  la  structure  du  globe  l'em- 
porta bientôt  dans  son  esprit  sur  celle  de  la 
structure  «1«‘$  plantes.  « J'ai  toujours  eu,  dit-il 
dans  un  de  ses  ouvrages,  une  passion  décidée 
pour  les  montagnes;  j<?  me  rnppclh*  encore  le 
saisissement  que  j’éprouvai  la  première  fois  que 
mes  mains  louelièr«‘nt  les  rochers  du  Salèv<*  et 
que  m«*s  y«?ux  jouirent  de  ses  points  de  vue.  A 
l'âge  de  dix-huit  ans.  j'avais  déjà  parcouru  plu- 
sieurs fois  les  montagnes  les  plus -voisines  d«* 
Genève.  Mais  ces  montagnes  peu  élevées  ne  sa- 
tisfaisaient <pf imparfaitement  ma  curiosité;  je 
brûlais  du  désir  de  voir  de  près  les  Hautes-Alpes. 
Enfin,  en  1760,  j'allai  seul  et  à pied  visiter  les 
glaciers  «i«*  Cliamouny  peu  fréquentés  alors,  et 
«lont  l'accès  passait  même  pour  difficile  et  dan- 
gereux. J'v  retournai  l’année  suivante,  et  depuis 
lors  je  n'ai  pas  laissé  passer  une  seule  année  sans 


j faire  de  grandes  courses  et  même  «les  voyages 
pour  l’élude  des  montagnes.  Dans  cet  espace  «le 
temps,  j’ai  traversé  quatorze  fois  la  chaîne  en- 
tière «les  Alpes  par  huit  passages  différents;  j’ai 
fait  seize  autres  excursions  jusqu'au  centre  de 
celte  chaîne;  j'ai  parcouru  le  Jura,  les  Vosges, 
les  montagnes  de  la  Suisse,  «le  l'Auvergne,  d'une 
i partie  «le  l’Allemagne,  et  «‘elles  de  l’Angleterre, 

! de  l'Italie,  «le  la  Sicile  et  des  îles  adjacentes.  J'ai 
fait  tous  c«*s  voyages,  le  marteau  du  mineur  à la 
! main,  sans  autre  but  que  celui  d'étudier  l'histoire 
naturelle,  gravissant  sur  toutes  les  sommiU'*s  ac- 
rtssibles  qui  me  promettaient  quelque  observation 
intéressante.  et  emportant  toujours  d«>s  échantil- 
lons des  mines  et  des  roches,  surtout  «le  celles 
i qui  m’avaient  présenté  quelque  fait  important 
pour  la  lltforie.  afin  de  les  revoir  et  «Dr  les 
étudier  à loisir.  » 

Il  n'avait  pu  encore  gravir  jusqu'à  la  rime  du 
Mont-Blanc  «|u‘il  voyait  chaque  jour  de  sa  fenêtre. 

, Dix  fois  il  l’avait  en  qu<*hjue  sorte  ntta<jué  par 
les  vallées  qui  y aboutissent;  il  en  avait  fait  le 
j tour  ; il  l’avait  examiné  du  sommet  d«*s  monta- 
i gnes  voisines  et  l'avait  toujours  trouvé  inacces- 
1 sible,  lorstpi'il  apprit,  le  18  août  1787,  que  deux 
; habitants  «le  Chamoiinv.  en  suivant  le  chemin  le 
j plus  direct,  venaient  de  s'élever  la  veille  à celle 
cime  qu'aucun  mortel  n'avait  «‘neore  atteinte, 
i On  peut  juger  de  son  ompr«‘ssomcnt  à suivre 


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PREMIÈRE  PARTIE. 


154 

leurs  traces;  le  19 août,  il  était  déjà  à Chamouny, 
mais  les  pluies  et  les  neiges  l'arrêtèrent  encore 
cette  année.  Ce  ne  fut  que  le  21  juillet  1788  qu'il 
obtint  enfin  cet  objet  principal  «le  ses  vœux. 

Accompagné  d’un  doincslhpic  et  de  dix-huit 
guides  qu’encouragèrent  ses  promesses  et  son 
exemple,  après  avoir  monté  pendant  «leux  jours, 
et  couché  deux  nuits  au  milieu  «les  neiges;  après 
avoir  vu  sous  ses  pieds  d'horribles  crevasses,  et 
entendu  rouler  à ses  côtés  deux  énormes  avalan- 
ches, il  arriva  à la  cime  vers  le  milieu  de  la  troi- 
sième journée. 

Ses  premiers  regards,  dit-il,  se  tournèrent  vers. 
Chamouny,  d'où  sa  famille  le  suivait  avec  un  té- 
lescope, et  où  il  eut  le  plaisir  de  voir  flotter  un 
pavillon,  signal  convtmu  pour  lui  faire  connaître 
qu'on  avait  aperçu  son  arrivée,  et  que  les  in- 
quiétudes sur  son  sort  étaient  au  moins  suspen- 
dues. Il  se  livra  ensuite  avec  calme  et  penduiit 
plusieurs  heures  aux  expériences  qu'il  sciait  pro- 
posées, quoique,  à cette  hauteur  de  21,000  pieds, 
la  rareté  de  l'air  accélérât  le  pouls  comme  une 


fièvre  ardente  et  épuisât  de  fatigue  au  moindre 
mouvement,  qu'une  soif  cruelle  se  fit  sentir  dans 
ces  régions  glacées,  comme  «huis  les  sables  de 
l’Afrique,  et  que  la  neige,  en  répercutant  la  lu- 
mière, y éblouit  et  brûlât  le  visage  ; on  y retrou- 
vait à la  fois  les  inconvénients  du  pôle  et  du  tro- 
pique, et  de  Saussure,  dans  un  voyage  de  quel- 
ques lieues,  bravait  presque  autant  de  souffrances 
que  s’il  eut  fait  le  tour  du  monde. 

Hiche  de  tant  de  trésors  d'observations  si  péni- 
blement a«*4|uises,  de  Saussure  eut  le  courage  de 
résister  à la  tentation  de  bâtir  un  système  à lui. 
Cuvier  a fait  de  cette  particularité  le  trait  princi- 
pal de  son  éloge:  il  s’arrête  à contempler  cet 
homme  qui,  apnS  de  si  longues  imhlitations  et  de 
si  grands  travaux,  se  demande  ce  qu’il  a fait,  ce 
qui  lui  reste  à faire,  et,  qui  trouvant  la  science 
encore  bien  pauvre  en  comparaison  de  ce  qu’il  lui 
faut  acquérir  encore,  ne  veut  pas  conclure  et 
abandonne  à scs  successeurs  l«*  mérite  de  termi- 
ner son  œuvre. 


DE  CANDOLLE 


L’année  1778,  qui  vit  mourir  Voltaire  et  J. -J. 
Rousseau,  vit  naître  Augustin  Pyramus  de 
C a nii o l le,  à Genève,  le  4 février,  un  mois 
après  la  mort  de  Linné,  deux  mois  après  la  mort 
de  Haller,  trois  mois  après  celle  do  Bernard  de 
Jussieu. 

Rapprochement  singulier,  et  qui  l’est  d'autant 
plus,  que  de  Candolle  semble  s'ôtre  imposé  la  tâ- 
che de  continuer,  et  si  l'on  peut  ainsi  dire,  de 
rendre  à la  Imlaniquc  ces  trois  grands  hommes.  Il 
disait  lui-même,  en  souriant,  qu’il  avait  publié  la 
Flore  française  pour  imiter  Haller,  la  Théorie  élé- 
mentaire de  la  botanique  pour  être  «ligne  de  Ber- 
nard de  Jussieu,  et  1 e Système  naturel  des  végétaux 
pour  remplacer  l’ouvrage  de  Linné. 

Il  se  livra  d’abord  à la  littérature  pour  laquelle 
il  avait  un  goût  très-prononcé,  et  fit  quelques  vers 
qui  oblinriMH  l'approbation  de  Florian,  ami  de  son 
père;  mais,  à l’Age  de  seize  ans,  il  donna  une  autre 
direction  à ses  études,  et  se  livra  exclusivement 
à l’étude  des  sciences  naturelles.  A dix-huit  ans, 
il  vint  à Paris,  et  après  un  séjour  de  cinq  années, 
pendant  !<?squcllcs  il  étudia  à fond  la  botanique, 
il  publia,  à la  prière  de  Desfontaines,  son  His- 
toire des  plantes  grasses,  <|ui  commença  sa  répu- 
tation. Mais  bientôt  un  travail  d’un  ordre  plus 
élevé,  cl  surtout  d’un  caractère  plus  original,  vint 
marquer  beaucoup  mieux  le  rang  qu'il  devait 
prendre  dans  la  science. 

Il  eut  l’heureuse  idée  de  s’occuper  du  som- 
meil des  plantes.  Il  s'assura  d’abord  que  l’air 
n’était  pour  rien  dans  ce  phénomène,  car  des 
plantes  dormantes  plongées  dans  l'eau  y passè- 


rent du  sommeil  à la  veille  et  de  la  veille  au 
sommeil  comme  â l’ordinaire. 

L'action  de  l’air  étant  exclue,  restait  celle  de  la 
lumière.  Des  plantes  dormantes  furent  donc  pla- 
cées dans  l’obscurité,  et  tour  â tour  soumises  ou 
à l’action  de  cette  obscurité  même,  où  à l’action 
de  la  lumière.  Or,  en  éclairant  ces  plantes  pen- 
dant la  nuit  et  en  les  laissant  dans  l'obscurité 
pendant  le  jour,  M.  de  Candolle  parvint  à chan- 
ger complètement  les  heures  de  leur  veille  et  de 
leur  sommeil;  il  vit  les  plantes  diurnes  s'épanouir 
le  soir. 

Aidé  de  la  seule  lumière  artificielle,  il  avait 
coloré  en  vert  les  plantes  étiolées  comme  le  fait 
le  soleil,  il  avait  changé  les  heures  du  sommeil 
et  du  réveil  des  plantes,  il  avait  prouvé,  et  ceci 
est  bien  plus  remarquable,  que  les  plantes  ont 
des  habitudes  ; car  ce  n’est  pas  tout  de  suite,  ce 
n'est  qu’au  bout  d’un  certain  temps  qu'elles  per- 
dent leurs  heures  ordinaires  pour  en  prendre 
d’autres. 

La  vie  des  plantes  est  donc  un  phénomène 
bien  plus  compliqué,  bien  plus  rapproché  de  la 
vie  des  animaux  qu’on  ne  l’avait  soupçonné  en- 
core: elles  ont  leur  action,  leur  repos,  leur  som- 
meil, leur  veille,  leurs  habitudes. 

Par  ce  remarquable  travail,  de  Candolle  venait 
de  passer  du  rang  d’élève  à celui  de  maître;  l’A- 
cadémie. quoiqu'il  n'eut  encore  que  \ingt-deux 
ans,  l'inscrivait  sur  la  liste  de  scs  candidats  : 
Adanson  disait,  en  parlant  de  lui,  qu'il  était  dans 
les  grands  chemins  de  la  science.  Lamarck  lui 
confiait  la  seconde  édition  de  la  Flore  française , 


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155 


NOTICES  HISTORIQUES. 


el  Georges»  Cuvier  le  choisissait  pour  son  sup- 
pliant à la  chaire  d'histoire  naturelle  du  Collège 
de  France. 

Celte  noble  mission  fut  pour  de  Candolle  le  but 
et  l'occasion  de  voyages  nombreux  el  pleins  de 
fatigues. 

u La  botanique,  dit  Fontencllc,  n'est  pas  une 
science  sédentaire  et  paresseuse,  qui  se  puisse 
acquérir  dans  le  repos  et  dans  l'ombre  du  cabinet... 
Elle  veut  que  I on  coure  les  montagnes  cl  les 
forêts,  que  l'on  gravisse  contre  des  rochers  es- 
carpés, que  l’on  s’expose  au  bord  des  précipices.» 

Ce  que  Fonlenelic  écrivait  pour  Tourueforl  peut 
s'appliquer  à de  Candolle.  La  seule  exploration 
des  hautes  régions  des  Alpes  par  ce  botaniste 
prouve  que  l'enthousiasme  de  la  science  a une 
intrépidité  qui  ne  le  cède  à aucune  autre.  Un  jour, 
il  veut  gagner  le  Grand-Sainl-Bernard  par  le  col 
Saint-Remi,  passage  presque  impraticable.  Le  col 
franchi,  reste  une  pente  très-inclinée,  fortement 
gelée,  et  qui  se  termine  par  un  précipice.  Les 
guides  marchaient  en  avant,  marquant  les  pas 
dans  la  neige  avec  leurs  bâtons  ferrés.  Notre 
voyageur  suivait  en  silence;  tout  à coup  le  pied 
lui  manque  et,  glissant  avec  une  effroyable  rapi- 
dité, il  entend  les  cris  de  détresse  de  ses  guides 
qui  ne  peuvent  lui  porter  aucun  secours.  Enfin,  il 
aperçoit  une  petite  fente  dans  la  glace;  il  y en- 
fonce fortement  son  bâton,  cl  ce  bâton  l'arrête. 
Aux  cris  de  détresse  succèdent  des  cris  de  joie; 
le  plus  intrépide  de  scs  guides  vient  à lui  par  un 
long  détour,  et  lui  traçant  un  chemin  dans  la 
neige,  le  conduit  dans  un  lieu  sûr.  a Ah  ! lui  dit 
alors  ce  brave  homme  en  F embrassant,  persoune 
ne  m’avait  jamais  donné  autant  d'inquiétude.  » 

La  mort  d’Adanson  laissant  une  place  vacante 
à l'Institut,  de  Candolle  se  présenta,  mais  Palisot 
de  Beauvois  l'emporta.  Cet  échec  fut  très-sensi- 
ble pour  de  Candolle,  qui  accepta  la  chaire  de 
botanique  que  lui  offrait  avec  empressement  la 
Faculté  de  Montpellier. 

La  brusquerie  de  Crclcl,  alors  ministre  de  l'in- 
térieur, nous  dévoile  à quel  point  de  Candolle  était 
apprécié  comme  savant.  De  Candolle  et  Laplace 
se  trouvaient  chez  le  ministre,  et  Laplace.  voulant 
exprimer  par  quelques  paroles  flatteuses  la  haute 
estime  qu’il  portait  à de  Candolle,  dit  au  ministre  : 
« Monseigneur,  vous  nous  jouez  un  mauvais  tour; 
nous  comptions  avoir  bientôt  II.  de  Candolle  à 
l'Institut.  — Votre  Institut  ! votre  Institut!  s'écrie 
M.  Crelet.  — Eh  quoi!  répond  Laplace  tout 
étonné.  — Savez-vous  que  j’ai  envie  quelquefois 
de  faire  tirer  un  coup  de  canon  sur  votre  Insti- 
tut? Oui,  Monsieur,  un  coup  de  canon  pour  en 
disperser  les  membres  dans  toute  la  France.  N’est- 
ce  pas  une  chose  déplorable  de  voir  toutes  les 
lumières  concentrées  dans  Paris,  et  les  provinces 
dans  l’ignorance?  J’envoie  M.  de  Candolle  à 
Montpellier  pour  y porter  de  l'activité.  » 

L’enseignement  de  de  Candolle  à Montpellier 
y ranima  en  effet  toutes  les  études 


I Dans  sa  Théorie  élémentaire  de  botanique,  de 
! Candolle  a posé  les  premières  bases  de  sa  théorie 
générale  sur  l’organisation  des  êtres. 

Selon  lui,  chaque  classe  d'êtres  est  soumise  à 
un  plan  général,  cl  ce  plan  général  est  toujours 
symétrique.  Tous  les  êtres  organisés  pris  dans 
leur  nature  intime  sont  symétriques. 

Mais  cette  symétrie,  comment  la  déterminer? 
Elle  est  rarement  le  fait  qui  subsiste,  elle  est 
souvent  altérée,  et  il  faut  remonter  à la  symétrie 
primitive  à travers  toutes  les  irrégularités  subsé- 
quentes. En  un  mot,  la  symétrie  est  le  fait  primi- 
tif, l'irrégularité  n'est  jamais  que  le  fait  secon- 
daire. Par  exemple,  le  fruit  du  chêne,  le  gland, 
n’a  jamais  qu’une  graine,  et  c’est  le  type  primitif 
altéré.  Mais,  dans  la  fleur  du  chêne,  l’ovaire  a 
toujours  six  graines,  et  c'est  le  type  primitif  re- 
trouvé. 

La  théorie  de  de  Candolle  révèle  à l'observa- 
teur un  monde  nouveau. 

En  1815,  la  Restauration  ayant  fait  un  crime  à 
de  Candolle  de  la  faveur  dont  il  jouissait  sous  le 
gouvernement  impérial,  de  Candolle  quitta  la 
France  cl  retourna  à Genève.  Son  retour  dans  sa 
patrie  fut  un  jour  de  fêle.  Un  créa  pour  lui  une 
chaire  d'histoire  naturelle  et  le  jardin  botanique. 
En  1827,  de  Candolle  publia  \ Orgunographie  vé- 
gétale, et  en  1832,  la  Physiologie  végétale,  qui  lui 
valut  le  grand  prix  que  la  Société  royale  de  Lon- 
dres venait  d'instituer. 

Il  nous  reste  à parler  de  son  plus  important 
ouvrage,  publié  une  première  fois  sous  le  titre  de  : 
Systema  naturale  regni  vegelabilis.  Recommencé 
en  1824  sous  une  forme  plus  abrégée,  il  prit  le 
titre  de  : Vrodromus  systemalis  naluralis  regni  ve- 
getabilis.  Quatre-vingt  mille  plantes  y sont  rangées 
dans  un  ordre  admirable,  c'ost-â-dire  dans  l'ordre 
même  de  In  nature;  chacune  s'y  trouve  indiquée 
avec  ses  caractères,  ses  rapports,  sa  description 
entière;  tout  dans  cette  description  est  d’une  pré- 
cision de  détail  jusque-là  sans  exemple;  l'auteur 
a laissé  cet  immense  ouvrage  inachevé,  et  pour- 
tant il  sc  compose  déjà  de  sept  énormes  volumes 
de  sept  à huit  cents  pages  chacun. 

La  puissance  de  tête  que  supposent  d’aussi 
grands  travaux  n'honorc  pas  seulement  celui  en 
qui  on  l’admire,  elle  honore  l'espèce  humaine  en- 
tière; la  force  de  l’homme  on  parait  plus  grande. 

Les  travaux  de  de  Candolle  marquent  dans  la 
botanique  une  époque  nouvelle. 

Tournefort  ayant  constitué  la  science,  Linné 
lui  ayant  donné  une  langue,  les  deux  Jussieu  ayant 
fondé  la  méthode,  il  ne  restait  qu'à  ouv  rir  à la 
botanique  l’élude  des  lois  intimes  des  êtres;  c’est 
ce  qu’a  fait  de  Candolle. 

Il  est  le  seul  homme  depuis  Linné  qui  ait  em- 
brassé toutes  les  parties  de  cette  science  avec  un 
égal  génie.  # 

11  mourut  le  9 septembre  1841.  Ses  dernières 
paroles  furent  celles-ci  : Je  meurs  sans  inquiétude, 
mon  fils  achèvera  mon  ouvrage. 


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156 


l’H  E M I (■;  Il  K PARTIE. 


Do  L'atuiollc  api^arlonnit  à toutes  les  académies 
savantes  du  monde.  Il  fui  inseril.  en  181  i.  sur  la 
liste  d«*s  huit  usso«'iés  étrangers  de  l'Académie 
des  sciences  de  Puris.  liste  qui  s'ouvre  |Nir  les 
noms  de  Newton  et  du  c/.ar  Pierre,  cl  «pii  depuis 
bientôt  deux  siècles  li  a en  aucun  temps  dégénéré 
de  cette  première  splendeur. 

>1.  KJourens,  secrétaire  perpétuel  de  l’Acadé- 


mie «les  sciences,  a prononcé,  le  2 décembre  1842, 
l'éloge  île  de  (landolle  en  séance  publique;  c'est 
ce  remarquable  travail  qui  nous  a servi  â donner 
sur  de  (iandolle  les  détails  qui  précèdent,  et  nous 
ne  pouvons  qu'engager  nos  lecteurs  â recourir  à 
cet  éloge  historique  qui  est  suivi  d’une  liste  com- 
plète des  ouvrages  de  de  Landolle. 


AD A NS ON 


Michel  Aimnson.  membre  de  l'Institut  et  «le 
la  Légion  d'honneur,  membre  étranger  «le  la  So- 
ciété royale  «le  Lou«lr«*s,  ci-devant  pensionnaire 
de  P Académie  «l«*s  sciences  «*t  censeur  royal,  na- 
quit à Aix  en  Provence,  le  7 avril  1727,  d'une 
famille  écossaise  qui  s'était  attachée  au  sort  du  roi 
Jacques.  Son  père,  écuyer  de  M.  «!«•  Yintimille, 
archevêque  d’Aix.  suivit  ce  prélat  lorsqu'il  fut 
nommé  archevêque  «le  Paris.  «*l  amena  avec  lui 
dans  la  capitale  le  jeune  Michel,  alors  Agé  «le 
trois  ans.  M.  Adanson  le  père  avait  encore  «piatre 
aiftrcs  entants  et  n'était  pas  riche,  mais  la  protec- 
tion de  l'archevêque  l'aida  dans  leur  éducation  : 
chacun  d'eux  recul  un  petit  bénéfice.  «*t  Michel 
Adansoti  en  particulier  eut.  A l'âge  d<‘  sept  ans. 


un  canonical  h Champeaux  en  Brie,  qui  servit  à 
payer  sa  pension  au  collège  «lu  Plessis. 

B«'au«'oup  de  vivacité  «lans  l’esprit,  une  mémoire 
imperturbable  et  un  ardent  «lésir  des  premiers 
rangs,  c’en  était  jdus  qu'il  ne  fallait  pour  avoir 
de  gratuls  succès  au  collège  et  pour  être  montré 
avec  complaisance  dans  les  occasions. 

Le  célèbre  obseï valeur  anglais,  Tuhcnillc 
Needham,  renommé  alors  par  les  faits  nombmix 
et  singuliers  que  ses  microscopes  lui  avaient  fait 
découvrir,  assistait  un  jour  aux  exercices  publies 
du  Plessis;  frappé  de  la  manière  brillante  «lont 
le  jeune  Adanson  h'S  soutenait,  il  «lemanda  la 
permission  «l’ajouter  un  microscope  aux  livres 
que  l’écolier  allait  recevoir  en  prix,  et  en  le  lui 


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157 


NOTICES  H I S T O R I O L E S. 


remettant.  il  lui  dit  avec  une  sorte  de  solennité  : 
Vous  qui  êtes  si  avancé  dans  l'étude  des  ouvrages 
des  hommes,  vous  êtes  digne  aussi  de  connaître 
les  œuvre s de  la  nature. 

Ces  paroles  décidèrent  la  vocation  de  l'enfant. 
Dès  cet  instant,  sa  curiosité  ne  change  plus  d'ob- 
jet: l'œil  attaché,  pour  ainsi  dire,  à cette  éton- 
nante machine,  il  y soumet  tout  ce  que  lui  fournil 
l'enceinte  étroite  de  son  collège,  tout  ce  qu’il 
peut  recueillir  dans  les  promenades  en  s'écartant 
furtivement  dis  sentiers  tracés  à ses  camarades, 
les  plus  petites  parties  des  mousses,  les  insectes 
les  plus  imperceptibles.  Il  n’eut  point  de  jeu- 
nesse; le  travail  et  la  méditation  le  saisirent  à 
son  adolescence,  et  pendant  près  de  soixante-dix 
années  tous  ses  jours,  tous  ses  instants  furent 
remplis  par  les  ol>scrvulions  pénibles,  par  les 
recherches  laborieuses  d’un  savant  de  profession. 

Admis  au  sortir  du  collège  dans  les  cabinets  do 
Réaumur  et  de  Bernard  de  Jussieu,  une  riche 
moisson  s’offrit  à son  activité;  il  la  dévora  avec 
une  sorte  de  fureur:  il  passait  ses  journées  en- 
tières au  Jardin  des  Plantes.  Vers  l’âge  de  dix- 
neuf  ans  il  avait  déjà  décrit  méthodiquement  plus 
de  quatre  mille  espèces  des  trois  règnes. 

C était  beaucoup  pour  son  instruction,  mais  ce 
n’était  rien  pour  l’avancement  de  la  science.  A 
force  d’instances  et  par  le  crédit  de  .MM.  de  Jus- 
sieu. il  obtint  une  petite  place  dans  les  comptoirs 
de  la  Compagnie  d’Afrique  et  partit  pour  le  Séné- 
gal le  20  décembre  1718.  Les  motifs  de  son  choix 
sont  curieux  : C’est  que  c’ était,  disait-il,  de  tous 
les  établissements  eurojiéens,  le  plus  difficile  à 
pénétrer,  le  plus  chaud , le  plus  malsain , le  plus 
dangereux  à tous  les  autres  égards,  et  par  causé - 
quent  le  moins  fourni  des  naturalistes. 

II  parait  d’ailleurs  avoir  eu  toujours  un  tempé- 
rament très -robuste;  on  le  voit,  dans  sa  relation, 
tantôt  |Kircourir  des  sables  échauffés  à soixante 
degrés  qui  lui  racornissaient  les  souliers,  cl  dont 
la  réverbération  lui  faisait  lever  la  peau  du  visage; 
tantôt  inondé  par  ces  terribles  ouragans  de  la  zone 
torride,  sans  que  son  activité  en  fut  ralentie  un 
instant. 

En  cinq  ans  qu'il  passa  dans  celte  contrée,  il 
décrivit  un  nombre  prodigieux  d'animaux  et  de 
plantes  nouvelles,  il  leva  lu  carte  du  llcuvo  aussi 
avant  qu’il  put  le  remonter,  il  dressa  des  gram- 
maires et  des  dictionnaires  des  langues  des  peuples 
riverains;  il  tint  nn  registre  d’observations  météo- 
rologiques faites  plusieurs  fois  chaque  jour,  et 
composa  un  traité  détaillé  de  toutes  les  plantes 
utiles  du  pays;  il  recueillit  tous  les  objets  de  son 
commerce,  les  armes,  les  vêtements,  les  ustensiles 
de  ses  habitants. 

De  retour  en  Europe,  le  18  février  1754,  avec  sa 
riche  provision  de  faits  et  de  vues  générales,  il 
chercha  aussitôt  à prendre  parmi  les  naturalistes 
le  rang  qu’il  croyait  lui  appartenir. 

L'imagination  la  plus  hardie  reculerait  à la 
lecture  du  plan  qu’il  soumet  en  1774.  au  juge- 


ment de  l’Académie  des  sciences.  Il  ne  s’agis- 
sait pas  en  effet  d’appliquer  sa  méthode  uni- 
verselle, fondée  sur  la  comparaison  effectuée 
des  espèces,  à une  classe,  à un  règne,  ni  même 
à ce  qu’on  appelle  communément  les  trois  règnes, 
mais  d'embrasser  la  nature  entière  dans  l'accep- 
tion la  plus  étendue  do  ce  mot.  Les  eaux,  les 
météores,  les  astres,  les  substances  chimiques, 
et  jusqu'aux  facultés  de  l’Ame,  aux  créations  de 
l’homme,  tout  ce  qui  fail  ordinairement  l’objet  de 
la  métaphysique,  de  la  morale  et  de  la  politique, 
tous  les  arts,  depuis  l’agriculture  jusqu’à  la  danse, 
devaient  y être  traités. 

Les  nombres  seuls  étaient  effrayants  : vingt-sept 
gros  volumes  exposaient  les  rapports  généraux  de 
toutes  ces  choses  et  leur  distribution  ; l'histoire  de 
quarante  mille  espèces  était  rangée  par  ordre 
alphabétique  dans  cent  cinquante  volumes;  un 
vocabulaire  universel  donnait  l’explication  de  deux 
cent  mille  mots,  le  tout  était  appuyé  d’un  grand 
nombre  de  traités  et  de  mémoires  particuliers,  de 
quarante  mille  figures  et  de  trente  mille  morceaux 
des  trois  règnes. 

Des  commissaires  nommés  parl’Académic  pour 
examiner  ce  travail  donnèrent  à Adanson  le  con- 
seil très-sage  de  détacher  de  ce  vaste  ensemble 
les  objets  de  ses  propres  découvertes,  et  de  les 
publier  séparément.  Les  sciences  auront  longtemps 
à regretter  qu’il  ait  refusé  de  suivre  ce  conseil,  ear 
divers  mémoires,  indépendants  de  ses  grands  ou- 
vrages, montrent  qu’il  était  capable  de  beaucoup 
de  sagacité  dans  l’examen  des  objets  particuliers. 

Adanson  fut  le  premier  qui  fil  connaître  la  vraie 
nature  du  Taret,  ce  coquillage  qui  ronge  les  vais- 
seaux et  les  pieux  et  qui  a menacé  l’existence 
même  de  la  Hollande.  On  doit  en  dire  aulaul  du 
Baobab,  arbre  du  Sénégal,  le  plus  gros  du  monde, 
car  son  tronc  a quelquefois  \ ingt-quatre  pieds  de 
diamètre  et  sa  cime  cent  vingt  à cent  cinquante. 

L’histoire  des  grammaires  et  les  nombreux  ar- 
ticles d’Adanson  insérés  dans  la  première  Ency- 
clopédie réunissent,  à quantité  de  faits  nouveaux, 
beaucoup  d érudition  et  de  netteté. 

Il  a fait  beaucoup  d'expériences  sur  les  variétés 
des  blés  cultivés  et  en  a vu  naître  deux  dans  l’es- 
pèce de  l’orge. 

Le  premier,  il  a reconnu  que  la  faculté  engour- 
dissante de  certains  poissons  dépend  de  l'élec- 
tricité. 

Il  découvrit  le  premier  les  moyens  de  tirer  une 
bonne  fécule  bleue  de  l'indigo  du  Sénégal. 

Buffon  a fait  connaître  d'après  lui  plusieurs 
quadrupèdes  et  plusieurs  oiseaux,  et  h*  premier  il 
a décrit  le  Calago  et  le  Sanglier  d' Ethiopie. 

Livré  tout  entier  à l’exécution  du  plan  gigantes- 
que qu’il  avait  conçu.  Adanson,  enfermé  dans  son 
cabinet  et  comme  séquestré  du  monde,  fut  perdu 
pour  la  science  et  la  société,  il  prit  sur  son  som- 
meil, sur  le  temps  de  ses  repas;  lorsque  quelque 
hasard  permettait  de  pénétrer  jusqu’à  lui,  on  le 
trouvait  couché  au  milieu  de  papiers  innombra- 


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15» 


PREMIÈRE  PARTIR. 


blés  qui  couvraient  les  parquets,  les  comparant, 
les  rapprochant  de  mille  manières. 

C'est  au  milieu  de  cet  isolement  que  la  pauvreté 
cl  les  infirmités  vinrent  l'accabler;  il  sut  en  sup- 
porter les  rigueurs  avec  un  courage  et  une  patience 
sans  exemple. 

I!  semblait  ignorer  lui-métne  que  le  dénûment 
le  plus  affreux  l'entourait,  pour  peu  qu'une  idée 
nouvelle  comme  une  fée  douce  et  bienfaisante 
vint  sourire  à son  imagination. 

Il  mourut  le  5 août  1806,  après  avoir  enduré 


pendant  plusieurs  mois,  sans  pousser  un  cri,  les 
plus  cruelles  souffrances,  soutenu  dans  ce  triste 
état  par  les  soins  de  deux  vieux  serviteurs  restés 
fidèles  à sa  mauvaise  fortune. 

Il  avait  demande  par  son  testament  qu'une 
guirlande  de  fleurs  prise  dans  les  cinquante-huit 
familles  qu'il  avait  établies,  fut  la  seule  décoration 
de  son  cercueil  : passagère  et  louchante  image  du 
monument  qu'il  s’est  érigé  lui-mérac. 

G CUVIER. 


Péron  (François),  naturaliste  et  voyageur, 
naquit,  le  22  août  1775,  à Ccrillv.  petite  ville  du 
Bourbonnais.  Après  avoir  embrassé  la  carrière 
militaire,  qu’il  fut  obligé  de  quitter  après  une 
assez  longue  captivité  et  la  perle  de  l'œil  droit,  il 
se  livra  à l ‘élude  de  la  médecine  et  des  sciences 
naturelles.  Il  fut  attaché  à l'expédition  de  Baudin, 
et  partit  à bord  du  Géographe , où  il  commença  des 
observations  météorologiques  et  de  belles  expé- 
riences qui  démontrent  que  les  euux  sont  plus 
froides  dans  le  fond  qu'à  la  surface  cl  qu'elles  le 
sont  d'autant  plus  qu’on  descend  à une  plus  grande 
profondeur.  Un  séjour  assez  prolongé  dans  l’Ile 
de  Timor  lui  permit  d ‘étudier  les  mollusques  et 
les  zoophytes  que,  la  chaleur  du  soleil  multiplie  à 
l’infini  dans  les  eaux  peu  profondcs.el  les  peint 


des  plus  vives  couleurs.  Après  avoir  reconnu  la 
partie  orientale  de  la  terre  de  Dicmen.  on  entra 
dans  le  détroit  de  Bass  cl  l’on  gagna  port  Jackson, 
on  suivit  les  rôles  de  la  nouv  elle  Hollande  et  l'on  en 
fil  le  tour.  Péron  déploya  un  courage  et  une  acti- 
vité infatigables.  Pes  cinq  zoologistes  nommés 
par  le  gouvernement,  deux  étant  restés  à l’ilc  de 
France  et  les  deux  autres  étant  morts  au  commen- 
cement de  la  seconde  campagne,  il  se  trouv  ait  seul 
chargé  de  cet  immense  travail  et  il  suffisait  à tout. 
Peu  de  temps  après  le  départ  de  Timor,  le  capi- 
taine lui  ayant  refusé  des  liqueurs  spirilucuses 
absolument  nécessaires  pour  conserver  sers  mol- 
lusques, il  se  priva  pendant  tout  le  voyage  de  sa 
portion  d'arack,  et  ce  qui  est  plus  remarquable, 
il  communiqua  son  enthousiasme  à plusieurs  de 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


scs  amis  qui  consentirent  à faire  le  môme  sacrifice.  I 
Pendant  les  tempêtes,  aidant  aux  manœuvres  l 
comme  un  simple  matelot,  il  continuait  les  obser-  i 
valions  aussi  paisiblement  que  s'il  eût  été  sur  le 
rivage.  Pendant  une  descente  qull  fit  ù l’Ilc  King. 
avec  quelques  naturalistes,  un  coup  de  vent  chassa 
le  vaisseau  en  pleine  mer,  et  pendant  quin/.e  jours, 
ils  ne  l'aperçurent  plus.  Péroiune  perdit  pas  un 
moment  l’occasion  d’augmenter  ses  collections  et 
ses  observations;  après  la  seconde  rclùche  h Timor, 
on  revint  ù l'ilc  de  France  où  l'on  resta  cinq  mois. 
On  fit  encore  une  relâche  au  Cap,  et  Péron  en  pro- 
fila pour  examiner  la  bizarre  conformation  des 
Boschimans,  tribu  de  Hottentots. 

Il  débarqua  enfin  à Lorient,  le7  avril  180i,  d’où 
il  sc  rendit  à Paris  et  fut  chargé  de  publier,  avec 
Freycinet,  la  relation  du  voyage  et  la  description 
des  objets  nouveaux  en  histoire  naturelle,  avec 
son  ami  Lcsueur.  La  collection  d’animaux  avait 
été  déposée  au  Muséum  d'histoire  naturelle,  il  ré- 
sulte du  rapport  delà  commission,  qui  l'avait  exa- 
minée et  dont  M.  Cuvier  fut  l'organe,  qu  elle 
contenait  plus  de  cent  mille  échantillons  d'ani- 
maux, que  le  nombre  des  espèces  nouvelles  s'é- 
levait à plus  de  deux  mille  cinq  cents  et  que 
Péron  et  Lcsueur  avaient  eux  seuls  fait  connaître 


159 

plusd'animauxquetouslesnaturalistesdesderniers 
temps  ; enfin  que  les  descriptions  de  Péron  rédi- 
gées sur  un  plan  uniforme,  embrassant  tous  les 
détails  de  l’organisation  extérieure  des  animaux, 
établissant  leurs  caractères  d’une  manière  absolue 
et  indiquant  leurs  habitudes  et  l'usage  qu'on  en 
peut  faire,  surv  ivront,  à toutes  les  révolutions  des 
systèmes  et  des  méthodes. 

Péron,  que  l’Institut  s’empressa  d'admettre  au 
nombre  de  ses  correspondants,  ne  mit  au  jour 
que  la  première  partie  «le  sa  relation;  sa  santé  était 
affaiblie  par  de  longues  fatigues,  une  maladie  de 
poitrine  dont  il  était  attaqué,  fil  des  progrès  ef- 
frayants; après  un  voyage  à Nice  qui  améliora  sa 
santé,  et  lui  permit  de  reprendre  scs  travaux,  il 
retomba  dans  un  état  pire  que  celui  ou  il  était 
avant  son  départ.  11  voulut  aller  finir  ses  jours  dans 
le  lieu  de  sa  naissance  auprès  de  deux  sœurs  qui 
avaient  été  les  premiers  objetsde  sa  tendresse;  ce  fut 
dans  leurs  bras  qu’il  expira  le  14  décembre  1H10. 

Scs  principaux  ouvrages  sont  : 1°  Observations 
sur  r Anthropologie  ; 2"  Voyage  de  découvertes 
aux  Terres  Aulrales  pendant  les  années  1800- 
1804;  3"  Histoire  générale  et  particulière  des 
Méduses. 

L.  C. 


Delalande.  Geoffroy-Sainl-llilaire  fut  chargé.  J 
en  1821,  de  faire  un  rapport  à l’Académie  des  1 
sciences,  nu  nom  d'une  commission  dont  il  I 


faisait  partie  et  composée  de  G.  Cuvier,  de 
Desfontaines,  de  M.  de  Humbohlt,  de  Lacépède, 
La  treille  et  M.  Dumeril,  ayant  pour  mission  d’étu- 


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IfiO 


PHKMlfeRE  PARTIE. 


dier  1rs  résultats  du  vovago  accompli  |»ar  Delà* 
lande  au  cap  de  Bonne  Espérance,  par  ordre  du 
Gouvernement,  dans  les  années  1818.  i8l9et1K20. 

L'illustre  rapporteur  signalait  à cette  époque 
une  tendance  remarquable,  chez  des  hommes  ar- 
dents, aussi  savants  qu’infatigables,  à se  vouer  & 
l'exploration  dos  diverses  contrées  de  la  terre. 
Los  circonstances  contribuaient  à développer  cette 
ardeur  des  naturalistes  à aller  s'enquérir  en  tons 
lieux  et  des  ehoses  et  des  hommes,  à appeler  tous 
les  peuples  à une  participation  commune  et  réci- 
proque, à un  échange  paternel  de  toutes  les  pro- 
ductions du  globe.  La  guerre  avait  eu  de  fâcheux 
résultats  pour  le  Muséum  d’histoire  naturelle.  Le 
Gouvernement  conçut  l’idée  de  procurer  aux  ainis 
des  sciences  et  des  arts  un  dédommagement  «le 
ces  perhfs,  pensée  généreuse  dont  le  développe- 
ment fut  poursuivi  avec  le  zélé  le  plus  louable. 

t’.’est  dans  ces  circonstances  qu'un  voyage  d'his- 
toire naturelle  futcontiéàDelalande;  il  était  signalé 
comme  propre  à ce  serv  ice  scientifique  : élevé  au 
Muséum  d’histoire  naturelle,  il  y avait  rempli  avec 
distinction  les  fonctions  d'aide-naturalistc  pour  la 
zoologie,  et  il  avait  déjà  fait  preuve  d'habileté  et 
de  dévouement  dans  trois  précédents  voyages, 
l’un  en  Portugal,  le  second  sur  les  côtes  de  la 
M«'*diierranéc  et  le  troisième  au  Brésil,  sous  les 
auspices  de  M.  le  duc  de  Luxembourg,  ambassa- 
deur en  ce  pays. 

II  partit  en  avril  1818  et  débarqua  le  8 août  à 
Falsbay,  à dix  lieues  du  cap  de  Bonne  Espérance, 
accompagné  de  son  neveu  le  jeune  Verrcmtx 
(Jules),  âgé  de  12  ans. 

Deux  mois  furent  employés  à recueillir  une  foule 
«la  plantes  pendant  la  belle  saison  si  courte  en  ce 
climat,  mais  si  riche  en  magnifiques  espèces  : après 
la  saison  des  pluies  qui  a lieu  pendant  les  mois  de 
juin,  juillet  et  août,  la  terre  rafraîchie  se  couvre 
de  verdure,  di's  collines  entières  semblent  de 
vastes  parterres  de  fleurs  diversement  coloriées  et 
distribuées  par  grandes  masses.  Les  liliacés.  les 
bruyères,  les  protées,  parmi  lesquelles  on  remar- 
que le  Prolea  argentea,  forment  eclte  couronne  de 
fleurs  que  la  sécheresse  vient  bientôt  flétrir  pour 
rendre  à la  terre  l'aspect  triste  et  monotone  qu'elle 
conserve  le  reste  de  l’année.  • 

Delalatide  avait  surtout  pour  mission  de  se  pro- 
curcr  plusieurs  espèces  qui  manquaient  au  Mu- 
séum : ('hippopotame  et  le  rhinocéros  bicorne. 

Il  partit  pour  une  premièreexpédition,  accompa- 
gné de  son  neveu  et  de  trois  Hottentots;  un  chariot 
et  vingt-deux  bœufs  formaient  son  équipage.  Celte 
première  course  n’eut  pour  résultat  que  la  trou- 
vaille d’une  Baleine  échouée -sur  le  sable;  malgré 
la  chaleur  la  plus  ardente  et  une  odeur  infecte,  le 
courageux  voyageur  dépeça  cette  Baleine  qui  avait 
soixante-quinze  pieds  de  long  et  parvint  à conser- 
ver tous  les  os  et  les  fanons  de  la  mâchoire  supé- 
rieure; il  en  découvrit  une  autre  à peine  connue 
en  Europe,  la  Baleine  à ventre  plissé. 

Une  seconde  course  fut  plus  heureuse  : après 


1 six  semaines  de  recherches  dans  les  marais  qui 
bordent  le  Berg-River,  un  de  scs  Hottentots,  en- 
voyé à la  découverte,  vint  lui  annoncer  qu’il  avait 
entendu  crier  un  hippopotame  dans  le  voisinage 
des  joncs  qui  bordent  le  fleuve.  Cette  nouvelle  le 
transporta  de  joie.  « Mes  gens,  mon  neveu  et  moi. 
raconte-t-il,  nous  nous  armâmes;  j étais  prévenu 
que  le  moindre  bruit  avertissait  ces  animaux  vigi- 
lants de  notre  présence;  nous  en  étions  à un  quart 
de  lieue,  il  fallut  nous  courber,  et  ce  fut  presque 
en  rampant  «jue  nous  fîmes  le  chemin  qui  nous 
séparait  d'eux;  à quelque  distance,  nous  nous 
divisâmes,  après  être  conv  enus  de  tirer  sur  le  plus 
gros  de  la  troupe.  Mon  coup  de  fusil  et  ceux  de 
mes  Hottentots  l'atteignirent,  je  le  vis  tomber  et 
je  poussai  un  cri  de  joie;  les  autres  hippopotames 
. se  précipitèrent  dans  le  fleuve  avec  un  bruit  épou- 
1 vanlahlc,  le  blessé  se  releva  et  vint  fondre  sur 
moi  (ne  sachant  sans  doute  où  il  allait,  et  je  dois 
m'estimer  heureux  qu’il  n’ait  pas  été  se  jeter  dan» 
le  fleuve  qui  l'eût  porté  à la  mer).  Un  s«?condcoup 
do  fusil  l'étcndil  mort  à mes  pieds,  jeu  ai  rap- 
porté la  peau  et  le  squelette;  l’un  et  l’autre  ser- 
viront à prouver  combien  sont  inexactes  les  des- 
criptions qu’on  a faites  de  cet  animal.  » 

Une  troisième  course  dans  le  pays  des  Cafrcs 
enrichit  sa  collection  d’un  grand  nombre  d’insec- 
tes rares,  d'oiseaux,  de  quadrupèdes  inconnus, 
entre  autres  d’ichncumons,  dhélamys  et  de  plu- 
sieurs espèces  d’antilopes,  enfin  du  rhinocéros 
bicorne,  qui  faillit  lui  coûter  la  vie.  « J’avais  dit- 
il  entièrement  dépouillé  le  rhinocéros,  et  j'étais 
allé  à mon  camp  chercher  du  monde  et  un  chariot 
pour  l’enlever,  craignant  avec  juste  raison  qu’il 
ne  fût  dérobé  par  les  Cafrcs  ou  dévoré  par  les 
bêtes  féroces.  Je  revenais  de  cette  course,  lorsque 
mon  cheval  qui  jusque-là  avait  été  très-docile, 
irrité  par  l'odeur  du  rhinocéros,  s’emporta  avec 
une  telle  violence  «pie  je  n'en  fus  plus  maître;  il 
nie  renversa,  et  dans  ma  chute  je  me  meurtris  la 
tète  et  me  cassai  la  clavicule.  » 

Après  huit  mois  de  séjour  dans  le  pays  des  Ca- 
fres,  au  milieu  des  combats  qui  se  livramn!  chaque 
jour  et  menacé  sans  cesse  d’être  assassiné*. 
Delalande  reprit  la  route  du  Cap.  rapportant  «le 
son  voyage  une  collection  immense  composée  «le 
dix-huit  mille  quatre  cent  seize  indiv  idus  en  échan- 
tillons appartenant  à deux  mille  neuf  cent  qua- 
rante-six espèces,  sans  compter  les  graines. 

Parmi  les  espèces  importantes  et  curieuses  in- 
troduites par  Delalande,  il  faut  citer  le  chien  sau- 
vage [iycaon  piclus  . le  prolèlc  Delalande  [Pro- 
Ides  Lalandii  le  renard  aux  grandes  oreilles 
{Megalotis  Lalandii  . la  loutre  sans  ongles. 
Aonix  Lalandii).  la  gerboise  du  Cap  i llelamys 
Cafer),  les  cynictiset  une  foule  d’antilopes  rares 
et  nouvelles. 

Mais  ce  «pii  ajoutait  un  prix  immense  à ces 
magnifiques  collections,  c’était  une  réunion  de 
pièces  anatomiques  de  diverses  races  humain«‘s  cl 
surtout  des  types  à peine  connus  en  Europe. 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


A la  variété,  à la  nature  de  ces  objets,  dit  le 
rapporteur,  on  est  disposé  à penser  que  plusieurs 
talents  divers  ont  été  employés  à les  réunir;  c’est 
sans  doute  une  des  choses  les  plus  remarquables 
de  ce  voyage,  que  celte  égalité  d'attention  donnée 
aux  êtres  les  plus  petits,  a des  insectes  presque 
microscopiques  et  en  même  temps  aux  animaux 
des  plus  grandes  dimensions. 


ICI 

Le  Gouvernement,  à la  suite  de  ce  rapport, 
nomma  Delalande  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur et  se  chargea  de  la  publication  de  la  relation 
de  son  voyage. 

Pierre-Antoine  Delalande,  né  en  1786,  est  mort 
en  1823. 

L.  C. 


Constantin-François  Ciiasskb<*:uf,  comte  de 
Volnby,  né  en  1737,  à Craon,  est  mort  en  1820. 
Il  vint  & Paris  pour  étudier  la  médecine,  mais  il  se 
livra  de  préférence  aux  travaux  scientifiques.  En 
1782,  il  entreprit  un  voyage  en  Orient,  apprit 
l'arabe  chez  les  Druses  du  Liban,  et  pendant 
quatre  ans.  parcourut  la  Syrie  et  T Egypte.  La  pu- 
blication de  son  voyage  lui  valut  une  grande 
réputation,  et  prépara  les  esprits  A l’idée  de  la 


glorieuse  expédition  qui  eut  de  si  importants  ré- 
sultats pour  les  sciences  et  surtout  pour  les  scien- 
ces naturelles.  En  1794,  il  fut  nommé  professeur 
d'histoire  aux  écoles  normales,  et  fut  membre  de 
l'Institut  lors  de  sa  création.  Son  amitié  avec 
Franklin  le  lit  accueillir  avec  enthousiasme  aux 
États-Unis,  dans  un  voyage  qu  iLfit  en  ce  pays 
en  1793. 


Ü 


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IG2 


P n F.  M I k U K PARTIR. 


Le  baron  Jean-Baptiste-Joseph  Foi  rier,  né  il 
Auxerre,  le  21  mars  1768.  fut  à la  fois  un  géo- 
mètre et  un  physicien  de  premier  ordre,  un  écrivain 
d'un  talent  supérieur,  un  citoyen  utile  il  sa  pairie 
dans  les  .diverses  carrières  où  l'appela  l'intérêt 
public,  une  gloire  pour  la  France  qu'il  honora 
par  ses  travaux  et  ses  découvertes. 

II  entra  de  bonne  heure  à l'éeole  militaire 
d’Auxerre;  une  grande  intelligence  se  développa  en 
lui  dès  le  début  de  ses  études,  il  en  avait  achevé 
le  cours  il  treize  ans  et  il  commença  à se  livrer 
avec  ardeur  à l'étude  des  mathématiques:  à dix- 
lmil  ans  il  avait  fait  plusieurs  découvertes  impor- 
tantes. elles  sont  consignées  dans  un  mémoire  où 
se  retrouve  le  génie  précoce  de  Pascal.  On  le 
nomma  professeur  de  mathématiques  il  l'école 
militaire  où  il  avait  été  élevé.  Envoyé  ù Paris  par 
son  département  à l’Ecole  normale,  il  s'y  montra 
comme  l'un  dès  professeurs  les  plus  capables  de 
cultiver  la  partie  philosophique  des  sciences  et 
fut  choisi  pour  être  l’un  des  directeurs  des  confé- 
rences. Plus  tnrd,  au  moment  de  l’organisation  de 
l’Ecole  polytechnique,  Lagrange  et  Monge,  dési- 
gnèrent Fourier  pour  être  l’un  des  professeurs  de 
celte  institution  que  l’Europe  a tant  et  si  juste- 
ment enviée  il  la  France. 

L'expédition  d'Égypte  se  préparait  en  silenee 
et  sous  le  voile  du  mystère.  La  guerre,  sous  l'in- 
spiration du  génie  qui  allait  la  diriger,  donnait 
un  moyen  de  civilisation  pour  les  pays  conquis. 
Fourier  lit  partie  de  la  commission  et  en  devint 


le  secrétaire  perpétuel.  Ses  fonctions  prirent  bien- 
tôt un  caractère  plus  important.  Fourier  fut 
choisi  pour  servir  d'intermédiaire  entre  les  con- 
quérants et  la  population  indigène  dans  leurs 
rapports  journaliers:  ces  nouvelles  fonctions  furent 
un  titre  pour  Fourier  ù l'estime  «les  uns  et  des 
autres.  Une  expédition  projetée  dans  la  haute 
Égypte  lit  appeler  Fourier  ù la  direction  de  cette 
exploration;  sous  ses  auspices,  les  ruines  magni- 
fiques «le  Thèbcs  apparurent  aux  regards  éblouis 
de  nos  guerriers.  Il  remonta  le  cours  du  Nil  cl 
visita  l'ile  d'Éléphanline. 

Il  fut  bientôt  chargé  «le  négocier  le  traité  entre 
Kléber  et  Mounul-Bey;  une  pacification  désirée  en 
fut  la  conséquence.  Mais  bientôt  il  lui  fallut  élever 
la  voix  pour  célébrer  dignement  les  vertus  héroï- 
ques  du  général  qui  venait  de  succomber  sous  le 
fer  d'un  assassin.  Du  haut  d'un  bastion,  en  pré- 
sence de  toute  l’armée,  il  en  appela  aux  senti- 
ments d'admiration  qui  faisaient  battre  tous  les 
cœurs  pour  le  vainqueur  de  Maeslrich  et  d'Hélio- 
polis.  Quand  il  prononça  ces  paroles  : « Je  vous 
prends  à témoin,  intrépide  cavalerie,  qui  accou- 
rûtes pour  le  sauver  sur  les  hauteurs  de  Corafm  ; » 
un  frémissement  électrique  courut  dans  tous  les 
rangs,  les  drapeaux  s’agitèrent  en  s'inclinant , 
les  rangs  se  pressèrent  et  l'orateur,  partageant 
la  «louleur  commune,  s'arrêta,  interrompu  par  le 
bruit  des  armes  et  des  sanglots  de  tant  de  braves 
éplorés.  L’accomplissement  de  ce  triste  dev  oir  fut 
bientôt  suivi  de  nouveaux  regrets;  Desaix,  qui 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


venait  do  quitter  l’Égypte,  avait  succombé 
vainqueur  à Marcngo  dont  il  avait  décidé  le  sort. 
Fourier  fut  l’interprète  des  sentiments  de  l'armée 
d'Égypte  et  il  trouva  des  paroles  éloquentes  et 
vraies  pour  célébrer  le  Sultan  jusle  que  l’armée 
venait  de  perdre. 

Fourier  ne  quitta  l'Égypte  qu’avec  les  derniers 
débris  de  l’année,  à la  suite  de  la  capitulation  si- 
gnée par  Menou.  I>e  retour  en  France,  il  s’occu|»û 
à rassembler  les  matériaux  pour  la  publication 
du  grand  ouvrage  d'Égypte  dont  la  direction  lui 
fut  confiée  et  dont  il  rédigea  l'introduction  géné- 
rale. Fontancs  y trouvait  réunies  les  grâces 
d’ Athènes  cl  la  sagesse  de  l'Egypte. 

A peine  de  retour  en  Europe,  Fourier  fut  nom- 
mé préfet  de  l’Isère  !;î  janvier  1802):  il  remplit  ses 
fonctions  jusqu'en  1815,  cl  elles  furent  signalées 
par  deux  bienfaits  de  la  plus  haute  importance  : le 
dessèchement  des  marais  de  Bourgoinetla  superbe 
roule  de  Grenoble  à Zurich  par  le  mont  Genèvre. 
Dans  un  autre  ordre  d’idées,  Fourier  rendit  dans 
ce  pays,  agité  par  les  événements  politiques,  les 
services  les  plus  signalés;  ses  formes  aimables  et 
conciliantes  amenèrent  tous  les  fiartis  sur  un  ter- 
rain neutre  où  germèrent  bientôt  les  fruits  de  la 
concorde  ; à force  do  ménngenients.  de  tact  et  de 
patience,  « en  prenant  V épi  dans  son  sens  et  non 
à rebours , » trente-sept  conseils  munici|>uux  fu- 
rent amenés  ù souscrire  une  transaction  commune 
sans  laquelle  le  dessèchement  du  marais  de  Bour- 
goin  était  inexécutable. 

Il  eut  l’insigne  bonheur  d’arracher  Cham  poil  ion 
à la  loi  de  la  conscription  qui  l’appelait  sous  les 
drapeaux  et  de  le  conserver  à la  science  dont  il 
devait  agrandir  les  limites. 

Au  milieu  de  ces  importantes  occupations,  il 
trouva  le  temps  de  rédiger  son  immortel  ouvrage, 
la  Théorie  analytique  de  la  chaleur. 

La  chaleur  se  présente  dans  les  phénomènes 
naturels  et  dans  ceux  qui  sont  le  produit  de  l’art, 
sous  deux  formes  entièrement  différentes,  que 
Fourier  a envisagées  séparément. 

La  première  est  la  chaleur  rayonnante.  Per- 
sonne ne  peut  douter  qu’il  n’y  ait  une  différence 
physique  bien  digne  d’ètreéludiée  entre  la  boule  de 
1er  h la  température  ordinaire  qu’on  manie  à son 
gré,  et  la  houle  de  fer,  de  même  dimension,  que 
la  flamme  d’un  fourneau  a fortement  échauffée, 
et  dont  on  ne  saurait  approcher  sans  se  brûler. 
Cette  différence,  suivant  la  plupart  des  physiciens, 
provient  d une  certaine  quantité  de  fluide  électri- 
que, impondérable,  ou  du  moins  impondéré,  avec 
lequel  la  seconde  boule  s’était  combinée  dans  l’acte 
de  réchauffement.  Le  fluide  qui,  en  s’ajoutant 
aux  corps  froids,  les  rend  chauds,  est  désigné 
par  le  nom  de  Chaleur  ou  de  Calorique. 

Les  corps  inégalement  écliauffés,  placés  en  pré- 
sence. agissent  les  uns  sur  le»  autres,  mémo  à de 
grandes  distances,  même  à travers  le  vide,  car  le» 
plus  froids  se  réchauffent,  et  les  plus  chauds  se 
refroidissent;  car,  après  un  certain  temps,  ils  sont 


163 

au  même  degré,  quelle  qu’ait  été  la  différence  de 
leurs  températures  primitives. 

Dans  l’hypothèse  admise,  il  n’est  qu’une  ma- 
nière de  concevoir  cette  action  à distance,  c’est 
de  siip|u>ser  qu’elle  s’o|>èrc  à l’aide  de  certaines 
effluves  qui  traversent  l'espace,  eu  allant  du  corps 
chaud  au  corps  froid;  c’est  d’admettre  qu’un  corps 
chaud  lance  autour  de  lui  des  rayons  de  chaleur, 
comme  les  corps  lumineux  lancent  des  rayons  de 
lumière. 

Les  effluves  et  les  émanations  rayonnantes,  à 
l’aide  desquelles  deux  corps  éloignés  l’un  de  l’autre 
se  mettent  en  communication  calorifique,  ont  été 
convenablement  désigués  sous  le  nom  de  Calori- 
que rayonuant. 

Il  s’agissait  de  connaître  la  loi  d émission  du 
calorique,  et  ce  problème  devant  lequel  tous  les 
procédés,  tous  les  instruments  de  la  physique 
moderne  étaient  restés  impuissants,  Fourier  l’a 
complètement  résolu;  cette  loi,  il  Ta  trouvée,  avec 
une  perspicacité  que  l’on  ne  saurait  trop  admirer, 
dans  les  phénomènes  qui,  de  prime  abord,  sem- 
blent devoir  en  être  tout  à fait  indépendants. 

Personne  ne  doute,  et  d'ailleurs  l’cx|>ériencc  a 
prononcé,  que,  dans  tous  les  points  d’un  espace 
terminé  par  une  enveloppe  quelconque  entretenue 
à une  température  constante,  on  ne  doive 
éprouver  une  température  constante  aussi,  et  pré- 
cisément celle  de  l’enveloppe  : or,  Fourier  a établi 
que  si  les  rayons  calorifiques  émis  avaient  une 
égale  intensité  dans  toutes  les  directions , que  si 
même  celle  intensité  ne  variait  proportionnelle- 
ment au  sinus  de  l’angle  d’émission,  la  tempéra- 
ture d’un  corps  situé  dans  l’enceinte  dépendrait 
de  la  place  qu’il  y occuperait  ; que  la  température 
de  l'eau  bouillante  ou  celle  du  fer  fondant , jrar 
exemple. , existerait  en  certain  point  d'une  enve- 
loppe creuse  de  glace!! 

Non  content  d’avoir  démontré,  avec  tant  de  bon- 
heur, la  loi  remarquable  qui  lie  les  intensités  com- 
paratives des  rayons  calorifiques  émanés,  sous  tou- 
tes sortes  d ’angles,  de  la  surface  des  corps  échauf- 
fés, il  a cherché,  de  plus,  la  cause  physique  de  cette 
loi;  il  l’a  trouvée  dans  une  circonstance  négligée 
jusqu’alors  par  ses  prédécesseurs.  Supposons, 
a-t-il  dit  que  les  corps  émettent  de  la  chaleur, 
non-seulement  par  leurs  molécules  superficielles, 
mais  encore  par  des  points  intérieurs.  Admettons 
de  plus  que  la  chaleur  de  ces  derniers  points  ne 
puisse  arriver  à la  surface,  en  traversant  une  cer- 
taine épaisseur  de  matière,  sans  éprouver  quel- 
que absorption.  Ces  deux  hypothèses,  Fourier  les 
traduit  en  calcul  et  il  en  fait  surgir  mathématique- 
ment la  loi  expérimentale  du  sinus,  par  laquelle 
les  intensités  des  rayons  sortant  sont  proportion- 
nelles aux  sinus  des  angles  que  forment  ces 
rayons  avec  la  surface  échauffée. 

Dans  la  seconde  question  traitée  par  Fourier, 
la  chaleur  se  présente  sous  une  nouvelle  forme. 

La  chaleur  excitée,  concentrée  en  un  certain 
point  d'un  corps  solide,  se  communique,  par  voie 


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164 


PREMIÈRE  PARTIE. 


dp  conductibilité,  d'abord  aux  particules  les  plus 
voisines  du  point  échauffé,  ensuite,  de  proche  en 
proche , à toutes  les  régions  du  corps.  De  là  le 
problème  dont  voici  l'énoncé  : 

Par  quelles  routes  et  avec  quelles  vitesses  s'ef- 
fectue la  propagation  de  la  chaleur,  dans  des  corps 
de  forme  et  de  nature  diverses,  soumis  à certaines 
conditions  initiales? 

L’Académie  des  sciences  lit  de  celle  question 
de  la  propagation  de  la  chaleur,  le  sujet  du  grand 
prix  de  mathématiques  qu’elle  devait  décerner  au 
commencement  de  1812.  Fouricr  concourut  et  sa 
pièce  fut  couronnée. 

Nous  engageons  ceux  de  nos  lecteurs  qui  vou- 
draient approfondir  ces  questions  et  les  mérites  de 
Fouricr,  à recourir  à l'éloge  historique  prononcé 
par  M.  Arago,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie, 
dans  la  séance  du  18  novembre  1833. 

Les  événements  de  1815  arrachèrent  Fouricr  à 
sa  préfecture  de  l’Isère;  il  passa  ensuite  à celle  du 


Rhône,  puis,  destitué  sous  la  restauration,  il  trouva 
dans  l'amitié  de  >1.  de  Chabrol,  un  asile  contre  la 
pauvreté  et  une  nouvelle  occasion  de  rendre  de 
nouveaux  services  à son  pays;  il  occupa  la  direc- 
tion du  bureau  de  statistique,  ce  qui  lui  donna  le 
moyen  de  publier  les  plus  importants  travaux  sur 
cette  matière. 

Une  constitution  robuste  semblait  promettre  à 
Fouricr  de  longs  jours,  mais  l’abus  de  la  chaleur, 
comme  préservatif  de  douletirs  rhumatismales 
dont  il  était  affecté,  détermina  de  fréquentes  suf- 
focations auxquelles  il  succomba  le  16  mai  1830. 

Il  fut  accompagné  à sou  dernier  asile  par  l'In- 
stitut. l’Ecole  polytechnique  en  masse  et  tout  ce 
que  Paris  comptait  de  savants,  jaloux  de  rendre 
un  dernier  hommage  au  profond  mathématicien, 
à l'écrivain  plein  de  goût,  à l’administrateur  intè- 
gre, au  bon  citoyen,  à l’ami  dévoué. 

M.  II. 


LATREILLE 


Le  8 février  1833,  les  membres  de  la  société 
cntomologique  de  France  portaient  silencieuse- 
ment au  dernier  asile  les  restes  inanimés  de  leur 
président  d’honneur;  ils  avaient  revendiqué  ce 
triste  privilège  pour  donner  une  dernière  marque 
de  vénération  pieuse  à celui  dont  l’esprit,  vrai- 


ment supérieur,  avait  éclairé  pendant  tant  d’an- 
nées de  scs  vives  lumières  l'enseignement  des 
sciences  zoologiques;  au  naturaliste  éminent , con- 
sulté et  vénéré  par  les  zoologistes  de  tous  les  pays 
comme  le  législateur  suprême  de  l'entomologie, 
à l’illustre  Latreille. 


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NOTICES  HISTORKQt ES. 


Le  chevalier  Geoffroy-Saint-Hilairc,  président 
de  l'Académie  des  sciences,  dans  une  allocution 
touchante,  résumait  ainsi  la  vie  et  Ips  travaux  de 
l'homme  modeste  et  laborieux  qui  s'était  élevé 
par  son  seul  mérite  au  rang  de  professeur  d'ento- 
mologie du  Muséum  d'histoire  naturelle,  et  au- 
quel toutes  les  académies  de  l’Europe  avaient 
ouvert  leur  porte,  comme  l’Académie  des  sciences 
de  Paris  l'avait  fait  elle-même  dés  1810. 

La  Providence  sembla , dés  les  premières  années 
du  jeune  Latreille,  le  couvrir  de  sa  protection 
tutélaire,  en  lui  ménageant  des  amis  dévoués 
et  d'utiles  protecteurs.  Deux  hommes  vertueux , 
M.  Laroche,  habile  médecin,  et  M.  Malepeyre, 
négociant  à Brives.  prirent  un  soin  religieux  de 
Latreille,  orphelin  ; ils  l'entourèrent  du  plus  tendre 
intérêt , et  s'empressèrent  d'encourager  et  de  se- 
conder lo  goût  naissant  que  leur  jeune  ami  mon- 
trait déjà  pour  la  science  qui  devait  l'illustrer  un 
jour. 

Honneur  à ces  hommes  de  bien  î Sans  leur  douce 
et  utile  bienveillance,  la  France  ifeûl  point  eu  à 
s'enorgueillir  du  premier  de  ses  entomologistes. 

Parvenu  à la  fin  de  ses  études  littéraires.  La- 
treille fut  destiné  à l’étal  ecclésiastique;  on  espé- 
rait lui  procurer  les  avantages  d’une  profession 
calme  et  paisible.  On  ne  lit  que  lelivrcratix  persé- 
cutions de  la  Terreur.  Arrêté  à Brives,  Latreille 
fut  dirigé  sur  les  prisons  de  Bordeaux  et  con- 
damné , avec  soixante-treize  ronqiagnons  de  son 
infortune , à la  déportation.  Chacun  sait  la  valeur 
de  ccs  terribles  mots.  La  Gironde  engloutissait 
les  victimes.  La  science  vint  verser  ses  consola- 
tions sur  le  prisonnier,  et  prépara  ses  voies  d? 
salut. 

Un  jour,  le  médecin  des  prisons  de  Bordeaux  vi- 
sitait les  cellules  où  gémissaient  les  condamnés 
auxquels  on  avait  notifié  leur  destinée.  Arrivé  au 
cachot  où  Latreille , oubliant  sa  captivité,  le  tri- 


165 

bunal  révolutionnaire  et  son  arrêt,  demeurait 
absorbé  dans  lu  contemplation  d’un  très- petit 
coléoptère,  le  Clairon  à corselet  roux,  espèce  rare 
et  nouvelle  pour  le  prisonnier;  il  s'arrête,  surpris 
d'une  telle  préoccupation , qui , dans  un  moment 
aussi  solennel,  sous  le  coup  d'une  condamnation 
qui  laissait  un  bien  triste  champ  à l'espérance,  lui 
semblait  dépasser  les  limites  de  la  raison.  11  s'ap- 
proche de  l’observateur,  le  questionne  et  obtient 
pour  toute  réponse  : « Cent  un  insecte  très-rare. 
Je  regrette  de  ne  pouvoir  le  confier  à des  mains 
dignes  de  l’apprécier.  « Le  médecin  s'empressa  de 
faire  part  de  cette  singulière  rencontre  à un  jeune 
homme  qui  cultivait  avec  succès  les  sciences  natu- 
relles . et  faisait  entrevoir  déjà  la  renommée  qui 
devait  entourer  son  nom,  Borv  Saint- Vincent.  A 
cette  nouvelle,  ce  dernier  supplie  le  docteur  d’ob- 
tenir du  prisonnier  le  don  de  l'inscctc,  qui  lui  per- 
mettait d’enrichir  sa  collection  d’une  rareté  à 
laquelle  il  attachait  d'autant  plus  de  prix,  qu’il 
connaissait  les  honorables  travaux  de  Latreille. 
L’insecte  vint  bientôt  prendre  son  rang  dans  les  car- 
tons du  jeune  Bory  Saint-Vincent . qui  n’avait  pas 
perdu  un  instant  pour  arracher  Latreille  au  danger 
qui  le  menaçait;  ses  démarches  et  celle  d’un  ami 
commun , d'Argélas , furent  couronnées  du  plus 
heureux  succès.  Latreille  fut  rendu  à la  liberté , à 
ses  travaux,  à lu  science.  Un  mois  plus  tard  , ses 
compagnons  d’infortune  périssaient  dans  les  flots 
de  la  Gironde. 

L'insecte  auquel  Latreille  a dû  la  vie  est  la  iVé- 
crobie  à collier  roux.  Necrobia  ruficollis.  et,  par 
un  singulier  hasard , il  appartient  à ce  genre 
qui  exprime  par  son  nom  que  ces  petits  coléoptères 
vivent  de  la  mort ; on  les  trouve . en  effet,  d’or- 
dinaire sur  les  cadavres.  Ce  petit  privilégié  avait 
démenti  sa  nature:  il  avait  rendu  la  vie  à celui  qui 
devait  devenir  un  jour  le  prince  de  l’entomologie 
française. 


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PREMIÈRE  PARTIE. 


166 

La  plupart  des  entomologistes  de  France  con- 
servent clans  une  place  honorée  de  leurs  collec- 
tions , on  souvenir  de  son  bienfait,  l’insecte  de  la 
prison  de  Bordeaux  . la  nkc.ro bik  Latreille,  et 
comme  si  cela  était  insuffisant  |>our  exprimer  leur 
reconnaissance  les  heureux  qui  ont  obtenu  des 
mains  de  leur  respectable  maître  l'indi\idu  con- 
sacré au  souvenir  d'un  si  miraculeux  événement-, 
ne  manquent  pas  de  signaler,  par  une  inscription , 
combien  ce  don  précieux  leur  est  cher. 

L’existence  de  Latreille  , longtemps  agitée  , 
trouva  une  retraite  paisible  et  heureuse  dans  s«*s 
travaux  littéraires.  Eu  1822.  leur  nombre  surpassait 
déjà  quatre-vingts,  sans  que  depuis  cette  époque 
Usaient  jamais  été  interrompus.  La  mort  le  trouva, 
au  milieu  de  cruelles  souffrances,  cherchant  à en 
upaiser  1a  rigueur  jwir  le  charme  de  l'étude.  Laï- 
ques jours  avant  sa  mort,  il  corrigeait  encore  les 
épreuv  es  de  sou  dernier  ouv  rage  : Description  d un 
nouveau  genre  de  crustacés , qu’il  a nommé  /‘ro- 
sopistôme.  Le  plus  important  de  ses  ouvrages  est 
son  Généra  crastaceorum  et  inscctonm 


Ses  manières  simples  et  toujours  bienvcdlantcs 
lui  gagnaient  les  nrurs  de  tous  ceux  qui  l'appro- 
chaient . et  c'était  sa  plus  douce  jouissance  que  de 
recevoir  des  témoignages  vrais  d'affection  et  de 
|K)uvoir  lui-même  donner  un  libre  cours  aux  émo- 
lious  vives  et  tendres  de  son  ûmo. 

Ces  heureuses  qualités  du  cœur  lui  concilièrent 
de  nombreuses  et  constantes  amitiés . et  lorsque 
la  mort  vint  frapper  Latreille,  tous  les  amis  do 
l'entomologie,  qui  étaient  les  siens,  Tirent  élever 
à leurs  frais , au  cimetière  de  l'Est . un  monument  à 
sa  mémoire.  Il  est  situé  dans  la  pièce  du  Protes- 
tant. 39»  division,  il®  90,  au  bord  du  chemin  : 
c’est  un  obélisque  tronqué  de  neuf  pieds  de  haut, 
composé  d'un  monolithe  en  pierre  de  LhÀteau- 
Landon,  poli,  reposant  sur  un  dé  |>arcil,  et  sur- 
monté du  buste  en  bronze  de  l’illustre  entomolo- 
giste. La  figure  de  la  A ecrobia  rufh:ollis . gravée 
sur  le  monument,  rappelle  l'heureux  événement 
que  nous  avons  raconté  plus  haut. 

C.  G. 


Frédéric  CUVIER 


S'il  sc  rencontre  dans  le  monde  savant  cl  dans 
les  arts  des  familles  priv  ilégiées  pour  lesquelles 
un  monopole  de  gloire  semble  acquis,  il  faut 
néanmoins  reconnaître  que  souvent  des  noms 
illustrés  par  plusieurs  générations  semblent  in- 


justement se  résumer  dans  un  seul  individu  qui 
éclipse  tous  les  autres. 

Il  en  est  ainsi  pour  les  Cuvier.  La  gloire  de 
Georges  a trop  effacé  les  incontestables  mérites 
de  Frédéric.  Observateur  attentif,  modeste  et 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


persévérant,  il  n'a  manqué  à la  célébrité  de  ce 
dernier  qu'une  seule  chose,  c’est  d'avoir  été  uni- 
que de  son  nom. 

Frédéric  Cuvier,  membre  de  1 Académie  des 
sciences  et  de  la  société  royale  de  Londres,  pro- 
fesseur au  Muséum  d’histoire  naturelle  et  inspec- 
teur des  études,  naquit  à Montbéliard  le  8 juin  1773. 

Il  lit  ses  premières  éludes  au  collège  de  cette 
ville,  mais  il  y renonça  bientôt  pour  entrer  en 
apprentissage  chez,  un  horloger. 

Les  succès  de  son  frère  l’appelèrent  à Paris  et 
il  se  livra  alors  complètement  à l’étude  des  scien- 
ces naturelles.  Il  s’aperçut  sans  se  décourager  de 
tout  le  temps  qu’il  avait  perdu;  après  quelques 
travaux  entrepris  pour  son  frère,  il  fut  chargé  avec 
M.  Duvernoy  de  dresser  le  catalogue  de  la  collec- 
tion d'anatomie  comparée,  et  spécialement  de 
faire  la  description  des  squelettes.  Telle  a été  la 
première  origine  de  son  grand  ouvrage  sur  tes 
dents  des  mammifères , ouvrage  qui  est  devenu 
fondamental  en  zoologie. 

En  1804,  il  fut  nommé  garde  à la  ménagerie  du 
Muséum,  il  a passé  trente  quatre  ans  dans  celle 
retraite  paisible  où  il  trouvait  les  deux  choses  qui 
engendrent  seules  les  travaux  profonds,  le  temps 
et  la  méditation. 

Il  put  continuer  l’hisloire  positive  des  espèces 
à l'exemple  de  G.  Cuvier,  de  Lacépède  et  de 
Gcoffroy-Sainl-Hilairc,  qui  avaient  publié,  sous  le 
litre  de  Ménagerie  du  Muséum  national,  le  premier 
ouvrage  où  des  naturalistes  français  se  montrèrent 
jaloux  de  maintenir  dans  l’histoire  naturelle,  cette 
grande  manière  de  BufTon  qui  jusque-là  n’avait  été 
imitée  que  par  un  naturaliste  étranger,  par  le  seul 
Pal  las. 

Pendant  plus  d'un  siècle,  depuis  Descartes  jus- 
qu’à BufTon,  la  question  de  l'intelligence  desaui- 
ihaux  n'avait  été  qu'une  question  de  pure  méta- 
physique; c’cs!  à BufTon,  c'est  à G.  Leroy  qu’elle 
commence  à devenir  une  question  positive  et 
d'expérience,  c’est  ce  quelle  est  surtout  dans 
F.  Cuvier.  Averti,  par  scs  premiers  travaux,  do 
son  talent  pour  l’observation,  F.  Cuvier  s’est  dé- 
voué à la  recherche  des  faits,  mais  il  a voulu  des 
faits  nets,  distincts,  des  faits  séparés  par  des  li- 
mites précises. 

Il  a cherché  les  limites  qui  séparent  l’intelli- 
gence des  différentes  espèces,  les  limites  qui 
séparent  l'instinct  de  l’intelligence,  les  limites  qui 
séparent  l'intelligence  de  l'homme  de  celle  des 
animaux.  El  ces  trois  limites  posées,  tout  dans  la 
question  si  longtemps  débattue  de  l'intelligence  des 
animaux  a pris  un  nouvel  aspect. 

Descartes  et  BufTon  refusent  aux  animaux  toute 
intelligence.  D’un  autre  côté,  Condillac  et  G. 
Leroy,  accordent  aux  animaux  jusqu'aux  opéra- 
tions intellectuelles  les  plus  élevées. 

Le  premier  résultat  des  observations  de  F.  Cu- 
vier, marque  les  limites  de  l'intelligence  dans  les 
différentes  espèces.  Dans  la  classe  des  mammi- 
fères, il  voit  rintclligeucc  s’élever  cl  croître 


107 

d'un  ordre  à l’autre  : des  rongeurs  aux  ruminants , 
des  ruminants  aux  pachydermes,  des  pachydermes 
aux  carnassiers  et  aux  quadrumanes. 

De  tous  les  animaux  celui  qui  montre  le  plus 
d'intelligence  est  l'orang-outang.  L'orang-outang, 
étudié  par  F.  Cuvier,  se  plaisait  à grimper  sur  les 
arbres.  Faisait-on  semblant  de  vouloir  monter  à 
l'arbre  sur  lequel  il  était  perché  pour  aller  l’y 
prendre,  il  secouait  aussitôt  cet  arbre  avec  force 
pour  effrayer  la  personne  qui  s'approchait.  L'en- 
fcrmail-on  dans  un  appartement,  il  en  ouvrait  la 
porte;  et  s’il  ne  pouvait  aller  jusqu’à  la  serrure, 
car  il  était  fort  jeune,  il  montait  sur  une  chaise 
pour  y atteindre;  enfin,  lorsqu'on  lui  refusait  ce 
qu'il  désirait  vivement,  il  se  frappait  la  tête  sur  la 
terre,  il  se  faisait  du  mal  pour  inspirer  plus  d'in- 
térêt et  de  compassion;  c’est  ce  que  fait  l'homme 
lui-même,  lorsqu’il  est  enfant,  et  ce  qu’aucun 
animal  ne  fait,  si  l'on  excepte  l’orang-outang , et 
l'orang-outang  seul  entre  tous  les  autres. 

Mais  voici  quelque  chose  de  plus  remarquable 
encore,  c’est  que  1 intelligence  de  l’orang-outang , 
cette  intelligence  si  développée,  et  de  si  bonne 
heure,  décroît  avec  l’âge.  L’orang-outang , lorsqu’il 
est  jeune,  nous  étonne  par  sa  pénétration,  par  sa 
ruse,  par  son  adresse;  l’orang-outang,  devenu 
adulte,  n’est  plus  qu’un  animal  grossier,  brutal, 
inimitable,  et  il  en  est  de  même  de  tous  les  singes 
comme  de  l'orang-outang.  Dans  tous,  l'intelligence 
décroît  à mesure  que  les  forces  s’accroissent. 
Ainsi  l'animal  qui  a le  plus  d’intelligence  n’a 
toute  cette  intelligence  que  dans  le  jeune  àgc. 

Ces  limites  posées,  F.  Cuvier  cherche  la  limite 
qui  sépare  l’instinct  de  l'intelligence. 

Le  castor  est  un  rongeur,  il  appartient  à l’ordre 
même  qui  a le  moins  d’intelligence,  mais  il  a un 
instinct  merveilleux,  celui  de  se  construire  une 
cabane,  de  la  bâtir  dans  l’eau,  de  faire  des  chaus- 
sées, d’établir  dis  digues,  et  tout  cela  avec  une 
industrie  qui  supposerait,  en  effet,  une  intelli- 
gence très-élevée  dans  cet  animal,  si  cette  indus- 
trie dépendait  de  l’intelligence. 

Le  point  essentiel  était  donc  de  prouver  qu’elle 
n’en  dépend  pas,  et  c’est  ce  qu'  a fait  F.  Cuvier;  il 
a pris  des  castors  très-jeunes,  et  ces  castors  élevés 
loin  île  leurs  parents  et  qui  par  conséquent  n’en 
ont  rien  appris,  ces  castors,  isolés,  solitaires;  ces 
castors  qu’on  avait  placés  dans  une  cage,  tout 
exprès  pour  qu’ils  n’eussent  pas  besoin  de  bâtir, 
ces  castors  ont  bâti,  poussés  par  une  force  machi- 
nale et  aveugle,  en  un  mol,  par  un  pur  instinct. 

L’opposition  la  plus  complète  sépare  l’instinct 
de  l’intelligence . 

Tout  dans  l’instinct  est  aveugle,  nécessaire  et 
invariable;  tout  dans  l’intelligence  est  électif, 
conditionne]  et  modifiable:  tout  dans  P instinct  est 
inné;  tout  dans  C intelligence  résulte  de  l’expé- 
rience eide  l'instruction:  tout  dans  l'instinct  est 
particulier;  tout  dans  f intelligence  est  général.  Il  y 
a donc  dans  les  animaux  deux  forces  distinctes  et 
primitives,  C instinct  et  V intelligence. 


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PREMIÈRE  PARTIE. 


t(i8 

Tout  dans  l'instinct  est  aveugle,  invariable.  Le 
castor  qui  so  bâtit  une  cabane,  l’oiseau  qui  se  con- 
struit un  nid,  n’agissent  que  par  instinct. 

Le  chien,  le  cheval,  qui  apprennent  jusqu’à  la 
signification  de  plusieurs  de  nos  mots,  et  qui  nous 
obéissent,  font  cela  par  intelligence. 

Tout  dans  l’instinct  est  inné;  le  castor  bâtit 
sans  l’avoir  appris;  tout  y est  fatal,  le  castor  bâtit, 
maîtrisé  par  une  force  constante  et  irrésistible. 

Tout  dans  l’intelligence  résulte  de  l'expérience 
et  «le  l’instruction;  le  chien  n’obéit  que  parce  qu’il 
a appris:  tout  y est  libre:  le  chien  n’obéit  que 
parce  qu’il  veut. 

Enfin  tout  «lans  l’instinct  est  particulier:  cette 
industrie  si  admirable  que  le  castor  met  à bâtir 
sa  cabane,  il  ne  peut  l’employer  qu’à  bâtir  sa 
cabane  : et  tout  «lans  l'intelligence  est  général, 
car  cette  même  flexibilité  d'attention  et  de  concep- 
tion que  le  chien  met  à obéir,  il  pourrait  s’en 
servir  pour  faire  autre  chose. 

Il  y a donc  dans  les  animaux  deux  forces  dis- 
tinctes et  primitives  : l’instinct  et  l'intelligence: 
tant  que  ces  deux  forces  rcstai«*nt  confondues, 
tout  dans  les  actions  «les  animaux  était  obscur  et 
contradictoire.  Parmi  ces  actions,  les  unes  mon- 
traient l’homme  partout  supérieur  à la  brute,  et 
les  autres  semblaient  faire  passer  la  supériorité 
«lu  côté  de  la  brute  : contradiction  aussi  déplora- 
ble qu'absurde.  Par  la  distinction  qui  sépare  les 
actions  aveugles  et  nécessaires  des  actions  électi- 
ves et  comlitionnelles,  ou.  en  un  seul  mot,  l’instinct 
de  l'intelligence,  toute  contradiction  cesse,  la 
clarté  naît  «le  la  confusion  : tout  ce  qui,  dans  les 
animaux,  «*sl  intelligence  n’v  approche  sous  aucun 
rapport  «le  l'intelligence  de  l'homme,  et  tout  ee 
qui,  passant  pour  «le  I intelligence,  y paraissait  su- 
périeur â l'intelligence  de  l’homme,  n’v  est  que 
l’effet  d’une  force  machinale  et  aveugle. 

Il  ne  reste  plus  à poser  que  la  limite  m«*me  qui 
sépare  l’intelligence  de  l’homme  de  celle  des 
animaux. 

Les  animaux  reçoivent  par  leurs  sens  «les  im- 
pressions semblables  à celles  que  nous  recevons 
par  les  nôtres;  ils  conservent  comme  nous  la 
trace  de  ces  impressions;  ces  impressions  conser- 
vées forment,  dans  leur  intelligence  comme  dans 
la  nôtre,  des  associations  nombreuses  et  variées; 
en  les  combinant,  ils  en  tirent  des  rapports,  ils  en 
déduisent  des  jugements;  ils  ont  donc  de  l’intel- 
ligence. 

Mais  toute  leur  intelligence  se  réduit  lâ;  celte 
intelligence  qu’ils  ont  ne  se  considère  pas  elle- 
mérne,  ne  se  voit  pas,  ne  se  connaît  pas.  Ils  n’ont 
jvns  la  réflexion,  cette  faculté  suprême  «le  l espril 
de  l'homme  de  sc  replier  sur  lui-même  et  d’étu- 
dier l’esprit. 

La  réflexion  ainsi  définie  est  donc  la  limite  qui 
sépare  l'intclligcncc  de  l’homme  de  celle  des 
animaux. 

Les  animaux  sentent,  connaissent,  pensent,  mais 
l'homme  est  le  seul  de  tous  les  êtres  cré«'s  à 


qui  ce  pouvoir  ail  été  donné  de  sentir  qu’il  sent, 
de  connaître  qu’il  «'onnait,  de  penser  qu’il  pense. 

On  avait  beaucoup  exagéré  I influence  d<*  sens 
sur  l'intelligence;  Helvétius  va  jusqu'à  dire  que 
l'homme  ne  doit  qu’à  s«?s  mains  sa  supériorité  sur 
les  bêtes.  F.  Cuvier  montre,  par  l'exemple  du 
phoque,  que  «lans  les  animaux  même  ce  n’«>st 
pus  des  sens  extérieurs,  mais  d'un  organe  beau- 
coup plus  profond,  beaucoup  plus  interne,  mais 
du  cerveau  que  dépend  le  développement  de  l’in- 
telligence. Le  phoque  n’a  que  des  sens  très-im- 
parfaits, ( la  vue,  le  goût,  l’odorat,  l’ouïe  ) , il  n’a 
que  des  nageoires  au  lieu  de  mains,  et  cependant 
il  a relalivcmcut  aux  autres  mammifèrcs,  une  in- 
telligence très-étendue. 

On  sait  tout  ce  que  Buiïon  a dit  de  la  magnani- 
mité du  lion  et  de  la  violence  du  tigre.  F.  Cuvier 
a toujours  vu  «lans  res  deux  animaux  le  mémo 
caractère;  tous  deux  également  susceptibles  d’af- 
fection et  de  reconnaissance,  et  tous  deux  égale- 
ment terribles  dans  leur  fureur. 

Jusqu’à  lui,  les  naturalistes  n'avaient  vu  dans 
la  domesticité  des  animaux  qu’un  résultat  très- 
général  de  la  puissante  «le  l’homme  sur  les  bêtes, 
il  a montré  que  la  domesticité  des  animaux,  ce 
fait  si  important  dans  l'histoire  même  de  l’homme, 
tient  â une  circoustance  très-spéciale,  à leur  so- 
ciabilité. 

Il  n’est  pas,  en  effet,  une  seule  espèce  devenue 
domestique  qui  naturellement  ne  vive  en  société 
et  par  troupes  ; et  de  tant  d'espèces  solitaires  que 
l’homme  n'aurait  pas  eu  moins  d’intérêt  sans 
«Ionie  à s'associer,  il  n’en  est  pas  une  seule  qui 
soit  devenue  domestique. 

L’homme,  en  forçant  les  animaux  à lui  obéir,  ne 
change  donc  point  leur  étal  naturel , comme  l’a  dit 
Buffon  : il  profite  au  contraire  de  cet  état  naturel. 
Il  avait  trouvé  les  animaux  sociables  et  les  a 
rendus  domestiques. 

II  faut  icmarqucr  ici  une  différence  profonde 
entre  l’animal  domestique  et  l'animal  que  l’on 
apprivoise. 

L’homme  peut  apprivoiser  jusqu'aux  espèces 
les  plus  solitaires  et  les  plus  farouches,  il  appri- 
voise l’ours,  le  lion,  le  tigre,  et  cependant  aucune 
de  ces  espèces  solitaires,  quelque  facile  qu'elle 
soit  à apprivoiser,  n’a  jamais  donné  de  race  do- 
mestique. 

La  domesticité  de  ranimai  n est  donc  qu’une 
conséquence  «le  sa  nature  même  cl  de  ce  qu'il  y a 
de  plus  intime  dans  sa  nature,  de  son  instinct. 

On  peut  apprécier,  par  ces  observations,  avec 
quelle  profondeur  de  vues  F.  Cuvier  étudiait  les 
phénomènes  qui  sc  passaient  sous  ses  yeux,  au 
sein  de  la  ménagerie  qui  devenait  pour  lui  un 
champ  fécond  d investigations  utiles. 

F.  Cuvier  portait  dans  la  société  une  humeur 
facile,  le  tact  le  plus  juste  «le  toutes  les  conve- 
nances, une  bonté  rare,  une  bienveillance  qui 
semblait  naître  de  la  sympathie  cl  qui  l'inspirait. 


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f 60 


NOTICES  HISTORIQUES. 


Sa  modestie  surtout  avait  un  charnu*  particulier, 
il  la  conserva  jusque  dans  les  dernières  paroles 
qu'il  prononça  en  mourant,  à Strasbourg,  le 
juillet  1838  : « Qhc  mon  fils  metl e sur  ma  tombe, 
Frédéric  Cuvier , frère  de  Georges  Cuvier , » asso- 
ciant. par  une  dernière  expression,  les  deux  sen- 


timent! les  plus  forts  de  son  âme,  sa  tendresse 
pour  son  lîls  et  son  admiration  pour  son  frère. 

M.  Flourcns  prononça  son  éloge  le  13  juillet 
1810,  en  séance  publique  de  l'Académie  des  scien- 
ces, et  c’est  à ce  beau  travail  que  nous  avons 
emprunté  les  traits  principaux  de  celle  notice. 


L.  DE  FREYCINET 


Louis^Claude  Desaelses  i>e  Freycinet,  navi- 
gateur français,  né  ù Monlélimarl  le  7 août  1779, 
était  le  second  fils  de  Louis  Dcsaulscs  de  Frey- 
cinet, négociant  recommandable,  qui  fil  élever 
Son  fils  sous  ses  yeux  par  d'habiles  professeurs, 
ainsi  que  Henri,  son  fils  aîné,  plus  Agé  d'un  au  et 
demi  environ.  A la  fin  de  1793.  les  événements 
politiques  déterminèrent  M.  de  Freycinet  â faire 
entrer  ses  deux  fils  dans  la  marine  militaire,  car- 
rière pour  laquelle  ils  témoignèrent  avoir  tous 
deux  une  égale  et  vraie  sympathie.  11  les  conduisit 
lui-même  à Toulon,  et.  le  27  janvier  1791,  il  les 
vil  embarquer  ensemble,  sur  le  vaisseau  V Heureux, 
en  qualité  d'aspirants  de  troisième  classe. 

Devenus,  dans  les  premiers  jours  de  l'année 
suivante  (31  janvier  1793) , aspirants  de  deuxième 
classe,  Louis  et  Henri  de  Freycinet  {tassèrent 
avec,  ce  grade  sur  le  Formidable , le  18  no- 
vembre 1796.  Déjà  ils  naviguaient  depuis  plus  de 


quarante  mois  et  avaient  pris  part  à trois  combats 
généraux  contre  les  escadres  anglaises,  lorsque  le 
contre-amiral  Nelly,  sous  les  ordres  duquel  ils  sc 
trouvaient,  demanda  pour  eux  au  ministre  de  la 
■narine  le  grade  d'enseigne  de  vaisseau.  C’était 
par  une  exception  honorable  que  cet  officier  gé- 
néral sollicitait  pour  les  deux  frères  celle  distinc- 
tion; leurs  services  ne  comptaient  pas  encore 
quarante-huit  mois,  temps  fixé  par  les  ordon- 
nances pour  l'avancement  proposé  Le  ministre 
approuva  sa  proposition  néanmoins , mais  la  mo- 
destie des  deux  frères  les  décida  à refuser.  Le  mi- 
nistre maintint  sa  décision,  cl  les  deux  frères 
s'embarquèrent,  en  qualité  d'enseigne  d'abord, 
sur  le  vaisseau  l'Occun.  et  successivement  sur 
d’autres  navires  de  la  marine  de  l’Étal.  Ils  firent 
l»artic  plus  tard  de  l’expédition  du  capitaine  Baudin 
aux  terres  australes.  Ce  fut  une  nouvelle  occasion 
pour  les  deux  frères  de  déployer  leur  activité 


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v 


170 


PREMIÈRE 

leur  zMe  pour  leurs  fonctions  et  leur  courage.  | 

Une  nomination  collective  récompensa  leurs 
mérites,  en  les  appelant  au  grade  de  lieutenant 
de  vaisseau,  le  5 mars  1803. 

Louis  de  Freycinet,  nommé  capitaine  de  fré- 
gate. après  avoir  travaillé  i\  la  publication  de  l'ou- 
vrage de  Baudin  et  à la  relation  du  voyage  de 
Péron  aux  terres  australes,  fut  chargé  d’une  im- 
portante mission,  ayant  pour  but  la déicnninaliou 
de  la  forme  du  globe  terrestre  dans  l’hémisphère 
sud,  l'observation  des  phénomènes  magnétiques 
et  météorologiques,  l’élude  des  trois  règnes  de 
la  nature,  et  des  mœurs,  des  usages,  des  lan- 
gues des  peuples  indigènes , enfin,  la  géographie 
proprement  dite.  On  lui  donna  le  commandement 
de  V Uranie,  frégate  de  vingt  canons.  11  composa 
son  équipage  avec  le  plus  grand  soin . lit  les  pré- 
paratifs les  plus  scrupuleux;  il  partit  le  U sep- 
tembre 18t7  du  port  de  Toulon,  et  se  dirigea  sur 
Ténériffe  par  (ribraltur,  cl,  le  G décembre,  jeta 
l’ancre  à Hio-Janeiro. 

Par  un  touchant  exemple  de  dévoùment  con- 
jugal. sa  femme,  malgré  les  sévères  ordonnance^ 
de  la  marine,  s'embarqua  â bord  de  Y Uranie  â la 
faveur  d'un  déguisement,  et  elle  partagea  les  fati- 
gues et  surtout  les  dangers  de  1’expédiiion. 

Le  cap  de  Bonne-Espérance.  Pile  de  France, 
Bourbon  furent  explorés,  et,  le  12  septembre  1818. 
on  mouilla  sur  la  côte  de  la  Nouvelle-Hollande, 
dans  la  baie  des  Chiens-Marins. 

Le  8 octobre,  la  corvette  avait  atteint  l'ilc 
Timor,  puis  elle  visita  successivement  les  lies  des 
Papous,  IcsMariannes,  la  Nouvelle-Galles  du  sud. 
L'expédition  s'apprêtait  à revenir  en  France,  lors- 


PARTIK. 

que  le  navire  frappa  tout  à coup  sur  une  roche 
sous-marine'  : de  larges  voies  d’eau  se  déclarèrent, 
j et  Freycinet  n’eut  que  le  temps  de  sauver  l’équi- 
page, les  journaux  du  voyage  et  les  collections. 

I Recueilli  par  le  Pingouin , qui  heureusement  se 
I trouvait  dans  ces  parages,  le  capitaine  rencontra 
un  bâtiment  américain , le  Mercury , qu’il  put 
fréter  jusqu'à  Rio-Janeiro  et  acquérir  au  nom  de 
son  gouvernement.  Ce  navire,  devenu  la  Physi- 
cienne, arriva  à Cherbourg,  le  13  septembre  1820. 

Traduit  devant  un  conseil  de  guerre  maritime, 
Freycinet  fut  non-seulement  acquitté . mais  comblé 
des  plus  grands  éloges.  Louis  XVIII  le  reçut  en 
audience  particulière  et  le  congédia,  en  lui  di- 
sant : « Vous  êtes  entré  ici  capitaine  de  frégate, 
vous  en  sortirez  capitaine  de  vaisseau:  mais  ne  me 
remerciez  point;  dite  s-moi  ce  que  J eau- Bar  t ré- 
pondit à Louis  XIV,  qui  venait  de  le  nommer  chef 
d'escadre  : Sire,  vous  avez  bien  fait.  » 

Freycinet  consacra  dès  lors  tous  ses  soins  à la 
rédaction  des  travaux  de  l’expédition , et  il  cessa 
tout  service  actif  dans  la  marine  pour  se  livrer  tout 
entier  aux  travaux  qu'exigeait  cette  importante 
publication. 

Il  mourut  le  18  août  1842,  commandeur  de  la 
j Légion  d’honneur. 

! Son  frère . nommé  baron . contre-amiral  et  gou- 
verneur de  nie  Bourbon,  préfet  maritime  à Ro- 
cliefort,  mourut  le  21  mars  1840. 

Le  nom  de  Freycinet  a été  donné  à une  contrée 
de  la  Nouvelle-Hollande  et  à une  Ile  de  l’archipel 
Dangereux,  découverte  en  1823  par  M.  le  Vice- 
Amiral  Dupcrrev. 

C.  1). 


P.-J.  REDOUTÉ 


Cet  heureux  peintre  des  roses,  qui  a eu  la  fortune 
de  passer  sa  vie  au  milieu  des  merveilles  florales 
de  la  nature,  de  les  étudier  et  de  les  reproduire 
avec  un  rare  talent , a compté  parmi  ses  admira- 
trices et  ses  élèves  les  augustes  souveraines  qui 
ont  successivement  occupé  le  trône  de  France,  et 
l’élite  des  femmes  de  notre  temps,  souveraines 
aussi  par  l’esprit,  par  la  grâce  et  par  la  beauté. 

Il  était  né  à Saint-Hubert,  près  de  Liège,  en 
1759.  11  appartenait  â une  famille  d’artistes  qui 
depuis  plusieurs  générations,  cultivait  la  peinture. 
Van  Huysum,  Seghcrs,  dont  les  tableaux  excitaient 
vivement  son  admiration,  élevèrent  son  esprit  et  le 
tirent  vraiment  peintre.  Il  parcourut  successive- 
ment la  Flandre  et  la  Hollande.  Léger  d’argent, 
l'artiste  voyageur  travaillait  pourvivre.  Après  avoir 
passé  plusieurs  années  à décorer  les  églises  et  les 
châteaux  des  productions  de  son  facile  et  gracieux 
pinceau,  il  revint  dans  sa  ville  natale,  précédé 
d une  réputation  qui  commençait  à s’étendre. 
Son  talent  s'était  fortifié  par  l’étude  des  chefs- 


d'œuvre  de  la  peinture  ; recherché  par  les  per- 
sonnages les  plus  marquants,  il  eut  un  grand 
nombre  de  portraits  à faire;  mais  cette  réputation, 
resserrée  dans  un  cercle  assez  étroit,  ne  pouvait 
suffire  au  jeune  peintre,  line  princesse,  amie  des 
arts,  lui  avait  donné  des  lettres  de  recomman- 
dation. L’artiste  insouciant  s’avançait  gaiement 
vers  Paris,  ne  songeant  qu’à  la  gloire  et  oublieux 
des  lettres  qu’il  portait;  il  les  perdit  en  route, 
et,  en  arrivant,  il  n’avait  plus  pour  se  recom- 
mander que  son  propre  talent  ; il  fallait  trouver 
l’occasion  de  le  produire.  Heureusement  elle  lui 
fut  offerte  par  son  frère  aîné,  qui  se  distinguait 
à Paris  dans  la  peinture  de  décors.  Les  scènes  de 
la  vie  pastorale  revenues  à la  mode  se  reprodui- 
saient partout  dans  les  ornements  des  apparte- 
ments comme  dans  les  décors  de  théâtre,  on  ne 
voyait  que  guirlandes  de  fleurs  et  corbeilles  de 
roses.  Le  jeune  Redouté  travailla  dans  ce  genre 
avec  son  frère.  Il  abandonna  bientôt  la  peinture 
de  décors  qui  lui  gâtait  la  main . cl  se  livra  en- 


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NOTICES  HISTORIQUES. 


171 


lièrement  à son  ('■Inde  de  prédilection,  et  bientôt 
la  richesse  de  sa  louche,  la  vérité  qui  vivait  dans 
les  fleurs  qui  sortaient  de  sa  brosse  éveillèrent  l’at- 
tention de  Gérard  Van  Spaondouck,  qui  l’appela  à 
l’aider  dans  l’exécution  des  vélins  du  Muséum. 

Un  concours  ouvert  pour  la  coopération  aux 
travaux  du  Muséum  le  lit  monter  au  rang  qui  lui 
appartenait.  Enfin,  en  1822.  il  succéda  A Gérard 
Van  Spaendonck  comme  professcurd’lconogrnphie 
au  Muséum,  et  fut  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d’honneur. 

Ses  ouvrages  sont  connus  de  l’Europe  entière: 
il  suffit  de  citer  : La  Flore  atlantique.  de 
Iksfonlaines f la  Flore  de  Navarre,  de  Rom- 
plaud;  les  Plantes  rares  du  jardin  de  Gels; 
les  Plantes  du  jardin  de  la  Mai.si vison;  la 
Botanique  de  J. -J.  Rousseau;  la  Famille  des 
liliackes,  et,  enfin,  la  Monügrai’HIE  des  roses. 

Dans  les  premiers  temps  de  son  arrivée  à Paris, 
Redouté  avait  été  admis  par  Marie-Antoinette  au 
Petit-Trianon.  La  jeune  et  infortunée  princesse 
avait  encouragé  Redouté  , qui  faisait  revivre  dans 
ses  dessins  les  belles  fleurs  que  voyait  éclore  ce 
séjour  enchanté  préparé  par  les  soins  de  Bernard 
de  Jussieu.  Il  eut  le  privilège  de  faire  sourire  ces 
lèvres  royales,  pour  lesquelles  se  préj>araicnt  déjà 
de  si  cruelles  destinées. 

Le  goût  prononcé  de  l’impératrice  Joséphine 
pour  les  fleurs  étrangères  appela  Redouté  à la 
Muhnaison.  Une  faveur  constante  accueillit  scs 
travaux , cl . la  veille  de  sa  mort , l’auguste  prin- 
i esse  trouva  encore , au  milieu  de  ses  chagrins . de 


douces  et  bienveillantes  paroles  pour  le  peintre  de 
ses  fleurs  bien  aimées. 

La  reine  des  Français  honora  Redouté  d’une 
protection  toute  spéciale;  elle  avait  reçu  de  lui . en 
compagnie  de  Mrae  Adélaïde,  sa  belle-sœur,  des 
leçons  d’aquarelle;  elle  lui  confia  l’enseignement, 
qui,  pour  les  princesses  ses  filles,  était  un  délas- 
sement cl  un  plaisir.  La  princesse  Marie  aimait  à 
se  reposer  des  travaux  de  sa  sculpture  par  la 
peinture  de  gracieuses  aquarelles , où  elle  excellait 
à perpétuer  ces  belles  fleurs,  qui  s’épanouissaient 
dans  les  serres  du  château  de  Neuilly. 

La  reine  des  Belges  appelait  Redouté  son  bon 
mnitre.  Cette  excellente  princesse,  qui  brillait  par 
des  qualités  si  éminentes,  ne  perdait  aucune  oc- 
casion de  laisser  à son  cœur  un  libre  champ  pour 
la  bienveillance.  Au  moment  de  quitter  la  France 
pour  monter  sur  un  trône  où  clic  a laissé  de  si 
profonds  et  de  si  touchants  regrets,  clic  consacra 
ses  meilleurs  loisirs  à peindre  un  bouquet  de  fleurs 
choisies  par  elle  et  disposées  de  manière  aï  former 
un  ingénieux  emblème,  où  le  professeur  trouvait 
un  reconnaissant  souvenir  de  son  auguste  élève. 

Redouté  cherchait  surtout  dans  ses  peintures 
la  reproduction  v raie  do  la  nature . et  il  y réussis- 
sait souvent  : la  finesse  des  tons,  la  transparence 
des  demi-teintes,  la  fermeté  et  la  vigueur  doses 
ombres,  jointes  A une  parfaite  harmonie  de  colo- 
ris, rappelaient  si  parfaitement  la  nature,  qu’on 
aurait  pu  être  souvent  agréablement  trompé,  si 
l’élégance  de  la  composition,  qui  ne  lui  faisait  ja- 
mais défaut . n’avait  trahi  l’imitateur. 


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PREMIÈRE  PARTIE. 


172 

Le  spirituel  auteur  des  Cutpes  raconte  en  ces 
termes  la  mort  de  l'illustre  peintre  des  roses  : 

« Redouté,  qui  n’avait  rien  perdu  de  son  ma- 
gnifique talent . avait  demandé  qu’un  dernier  ta- 
bleau lui  fut  commandé.  M.  de  Rémusat  le  lui 
avait  promis;  mais,  en  même  temps,  dans  les 


bureaux  du  ministère,  on  formulait  un  refus  sec 
et  brutal,  que  M.  de  Rémusat  signa  sans  s’en  aper- 
cevoir. A la  lecture  de  cette  réponse,  Redouté  fut  si 
frappé  de  surprise  et  d'indignation,  qu'il  se  trouva 
mal  et  mourut  deux  jours  après,  le  19  juin  1840.  > 
L.  G. 


DUMONT  D’UK VILLE 


I/affreuse  catastrophe  qui  vint  jeter  un  deuil 
général  sur  la  France  et  plonger  dans  la  désola- 
tion plus  de  deux  cents  familles,  le  8 mai  1842, 
enleva  à la  marine  de  l'Êlat  l’un  de  ses  meilleurs 
officiers  et  son  plus  glorieux  explorateur. 

Celui  qui  .avait  pendant  trente  ans  bravé  les 
tempêtes  des  mers  les  plus  dangereuses,  conquis 
les  mers  polaires  et  bien  mérité  de  la  patrie  par 
ses  services,  par  son  courage , fut  rayé  en  un  in- 
stant du  nombre  des  vivants,  et  la  mort,  qui  l’a- 
vait respecté  tant  de  fois,  laissa  à peine  à ses 
fidèles  compagnons  cl  à un  immense  cortège  de 
députations  savantes,  de  ministres,  d'amiraux, 
d’officiers  de  tous  grades,  accourus  à cette  dou- 
loureuse cérémonie , la  consolation  d’accompagner 
scs  restes  nu  dernier  asile. 

Julcs-Sébasticn-César  Dumont  d’Urvillr  était 
né  à Condé-sur-Noiroau  en  1790. 

Nourri  de  la  lecture  des  voyages  d'Anson , de 
Cook  cl  de  Bougainville  , sa  vocation  se  révéla  de 
bonne  heure.  En  1810,  il  se  rendit  à Toulon  avec 
le  grade  d’aspirant  de  première  classe,  obtenu  A 


la  suite  d'un  brillant  concours.  En  1812.  il  fui 
nommé  enseigne  de  vaisseau,  et  désigné  pour  ac- 
compagner le  capitaine  Gautier  dans  sa  quatrième 
exploration  de  l’archipel  du  Levant.  Durant  cc 
voyage,  la  gabarre  la  Chevrette , sur  laquelle 
avait  lieu  celle  expédition , lit  le  tour  entier  îles 
eûtes  du  Ponl-Euxin , promena  le  pavillon  français 
du  Bosphore  de  Thrace  au  Bosphore  cimtnérien, 
et  des  bouches  du  Phase  A celle  de  lister,  tra- 
versa plusieurs  fois  la  Propontide , et  termina  son 
exploration  au  fond  du  golfe  d’Argos. 

Pendant  une  relâche  sur  la  rade  de  Mil©,  un 
heureux  hasard  le  conduisit  vers  l'endroit  où  un 
pauvre  pâtre  venait  de  découvrir  la  belle  statue 
antique  qui  décore  une  des  salles  du  Louvre  de- 
puis une  trentaine  d’années.  Il  s'empressa  de  ré- 
diger une  notice  qu’il  adressa  A M.  le  marquis 
de  Rivière,  notre  ambassadeur  A Constantinople: 
cc  dernier  donna  l’ordre  à M.  De  Marcellus,  son 
secrétaire  d’ambassade,  de  se  transporter  sur  les 
lieux  pour  acquérir  A tout  prix  la  Vénus  de  .Milo, 
cl  cet  incomparable  chef-d'iruvre,  racheté  à un 


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NOTICES  HISTORIQUES.  ' 173 


marchand  arminien  «|ui  s'cn  était  emparé  , fut 
cédé  au  représentant  de  la  France. 

Le  lieutenant  Dumont  d’Urvillc  prit  une  part 
très-active  à l'expédition  de  la  Coquille,  com- 
mandée par  le  lieutenant  Duperrcy , plus  ancien 
en  grade. 

Promu  au  grade  de  capitaine  de  frégate  , il 
reçut  le  commandement  de  V Astrolabe,  qui  avait 
quitté  son  nom  de  la  Coquille  pour  prendre  celui 
d’un  des  vaisseaux  de  l'infortuné  La  Peyrouse.  La 
mission  de  rechercher  les  traces  de  ce  dernier 
fut  confiée  à cette  expédition. 

L 'Astrolabe  appareilla  de  Toulon  le  25 avril  1826. 
Le  14  juin,  elle  mouillait  à Ténériffe.  En  quittant 
les  Canaries , la  corvette  se  dirigea  sur  l’Australie, 
et  navigua  pendant  cinquante  jours  au  milieu 
d’une  mer  où  la  tempête  ne  cessait  que  pour  se 
reproduire  avec  plus  de  fureur.  « Il  faut  s* être 
trouvé  dans  de  pareilles  positions,  disait  le  com- 
mandant dans  son  rapport  A l'Institut,  pour  en 
sentir  toute  ramertume.  Je  ne  crains  pas  d’em- 
gérer  en  affirmant  que.  durant  cette  seule  traver- 
sée. nous  avions  déjà  essuyé  deux  fois  plus  de 
fatigues  et  de  mauvais  temps  que  la  Coquille1  dans 
fout  le  cours  de  sa  navigation.  » 

L'Astrolabe  | hissa  entre  les  Iles  d’Amsterdam  et 
Saint-Paul  au  milieu  de  la  tourmente,  et  par- 
courut plus  de  trois  mille  lieues  marines  sans 
toucher  nulle  part.  Le  port  «lu  roi  Georges,  sur 
le  continent  australien,  fut  sa  première  relâche. 
Après  en  avoir  levé  leplan,  ainsi  que  celui  de  deux 
havres  voisins,  d’Urville  remet  sous  voile,  traverse 
le  détroit  de  Bass,  fixe  la  position  des  écueils  re- 
doutés du  Crocodile,  double  le  cap  Horn,  et  pro- 
longe la  côte  de  l'Australie  jusqu’au  port  Jackson, 
d’où  il  se  dirige  vers  la  Nouvelle-Zélande. 

Deux  mois  sont  employés  au  relèvement  de  celle 
grande  terre  ; un  tracé  de  quatre  cents  lieues  de 
côtes,  la  position  rigoureuse  de  baies  , d’iles,  de 
canaux , qu'aucun  navigateur  n’avait  encore  visités 
en  détail,  furent  les  résultats  de  stations  géogra- 
phiques répétées  jusqu’à  trois  cl  quatre  fois  |>ar 
jour. 

En  quittant  la  Nouvelle-Zélande,  l'expédition 
fit  voile  pour  Tonga-Tabou,  et  faillit  périr  sur 
les  récifs  qni  bordent  le  canal  oriental  de  celte 
lie.  Puis,  traversant  les  Iles  Viti , le  groupe  des 
Loyally,  il  se  dirigea  sur  la  Nouvelle-Bretagne, 
et  parcourut  ensuite  la  côte  de  la  Nouvelle-Guinée 
sur  une  étendue  de  trois  cent  cinquante  lieues. 

Après  une  relâche  à Amboine,  il  remet  sous 
voile  pour  recommencer  une  autre  série  d'obser- 
vations sur  la  côte  de  la  Tasmanie.  Mais  les  ren- 
seignements qu'il  acquit  à Hobarl-Town  sur  le 
lieu  du  naufrage  de  La  Peyrouse  le  déterminèrent 
à reprendre  la  mer,  et  une  navigation  de  quaranlc- 
cinq  jours  à travers  des  archipels  qu’il  avait  déjà 
parcourus,  le  conduisit  à Vani-Koro.  C’était  sur 
des  rochers  de  coraux , à trois  ou  quatre  brasses 
de  profondeur,  que  gisaient  depuis  quarante  ans 
les  restes  du  grand  naufrage  : des  ancres,  des 


canons,  des  boulets  et  quelques  ustensiles  en 
cuivre  cl  en  fer,  corrodés  par  la  rouille  et  ««ou- 
verts du  ciment  calcaire  qui  les  pétrifie.  Ces  tristes 
débris.  d’Urvillc  les  recueillit  religieusement  pour 
les  rapporter  en  France;  il  éleva  un  modeste  mo- 
nument sur  les  récifs  de  Mangadéc,  et,  après  l'i- 
nauguration du  pieux  cénotaphe , Y Astrolabe  de 
d’Urville,  plus  heureuse  que  sa  devancière,  fran- 
chit les  dangereux  écueils  où  elle  s’était  engagée, 
et  gagna  la  haute  mer. 

Traversant  l’archipel  des  lies  Corolines,  il  ar- 
rive à Guani , puis  sur  la  côte  de  la  Nouvelle- 
Guinée,  et,  reprenant  sa  roule  par  la  mer  des 
Indes,  pour  se  rapprocher  du  cap  de  Bonne- 
Espérance,  il  opéra  son  retour  en  France  le 
25  mars  1828 , après  un  voyage  de  vingt-trois 
mois. 

M.  Hydc  de  Neuville,  ministre  de  la  marine, 
ordonna  la  publication  de  l’ouvrage  destiné  à faire 
connaître  les  détails  de  ce  beau  voyage;  et  ce 
travail  inqtorlant  fut  accompli  en  moins  de  quatre 
mois. 

D’Urville  fut  nommé  capitaine  de  vaisseau. 

Par  une  singulière  coïncidence,  ce  fut  lui,  qui. 
en  1811,  avait  été  cherchera  Païenne  les  membres 
de  la  branche  cadette  des  Bourbons,  qui  fut 
chargé,  en  1830.  de  conduire  en  Angleterre 
Cliarles  X et  sa  famille.  Il  sut.  dans  cette  circon- 
stance délicate,  remplir  sa  mission  de  la  manière 
la  plus  digne , en  conciliant  ses  devoirs  avec  les 
égards  dus  à une  grande  infortune. 

Un  nouveau  voyage  vint  fournir  à d'Urville  l'oc- 
casion de*  rendre  des  services  éminents  à la  science. 
Une  expédition  fut  préjwiréo  pour  explorer  les 
mors  antarctiques  et  se  rapprocher  du  pôle. 

Le  12  décembre  1837,  Y Astrolabe  et  la  Zélée , 
trois  mois  après  avoir  quitté  la  France . abordaient 
les  terres  magcllaniquos,  puis  s'avançaient  vers  la 
froide  région  du  pôle.  Des  parties  solides,  vague- 
ment indiquées  dans  ces  latitudes  australes,  furent 
reconnues  et  déterminées,  la  carte  en  fixa  la  posi- 
tion, et  le  pavillon  national  salua.  & plus  de  trois 
mille  lieues  de  la  France,  les  terres  de  Louis- 
Philippe  et  de  Joinville. 

Le  7 avril  1838,  les  deux  bâtiments  relâchent  au 
Chili , cl  reparteut  bientôt  de  Valparaiso  pour  vi- 
siter l’Océanie,  après  avoir  parcouru  les  divers 
archipels.  Ils  arrivent  à Ilobart-Town.  D’Urville 
sait  qu’entre  le  120*  et  le  160*  méridien  aucun 
navigateur  n’a  encore  pénétré  au  delà  du  59*  pa- 
rallèle. et  que  deux  expéditions  étrangères  sillon- 
nent les  mers  australes.  Déjà  il  a poupé  la  route? 
que  suivit  Cook  en  1773,  et  il  s'est  élancé  dans 
des  |>arag<*s  où  son  pavillon  brille  le  premier. 
Bientôt  il  touche  au  cercle  antarctique,  et  navigue 
en  vue  des  banquises.  D'étranges  perturbations 
dans  la  boussole  signalent  les  approches  du  pôle 
magnétique  : l'observation  solaire  marque  tifi"  30' 
de  latitude  sud;  tout  à coup  des  indices  de  terre 
frappent  tous  les  regards , des  rochers  solides  se 
décèlent soqs  l’cnvcloppc  déglacé  qui  les  couvre; 


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174 


PREMIÈRE  PARTIE. 


quelques  Ilots  bordent  res  promontoires  avancés . 
<*l  les  embarcations  qu'on  y envoie  en  rapportent 
des  échantillons  qui  constatent  la  nature  de  celle 
terre  granitique.  Cette  terre  est  nommée  AdSlif . 
pour  perpétuer  le  souvenir  de  la  compagne  dé- 
vouée qui  avait  su  par  trois  fois  consentir  à une 
longue  et  pénible  séparation  pour  laisser  accom- 
complir  par  son  mari  ces  glorieuses  entreprises. 

Le  6 novembre  txW),  les  deux  corvettes  ren- 
trent h Toulon  . après  une  absence  de  trente-huit 
mois. 

Le  brevet  «le  contre-amiral  fut  expédié  à Du- 
mont dTrville;  le  ministre  ordonna  la  publication 
du  voyage  au  pôle  sud,  et  les  Chambres,  en  votant 


sans  discussion  les  annuités  demandées,  donnèrent 
à cet  acte  tin  caractère  national.  Les  savants  se  por- 
tèrent eu  foule  à l’orangerie  du  Muséum  «lïiisloiri* 
naturelle,  envahie  par  deux  chargements  de  col- 
lections; ils  y admiraient  surtout  la  belle  série  des 
types  moulés  sur  le  vivant,  et  destinés  pour  le 
cabinet  anthropologique. 

Le  dépôt  de  la  marine  reçut  presque  le  com- 
plément de  l'hydrographie  du  globe  : soixante- 
treize  cartes  et  quarante-deux  plans  levés  pen- 
dant la  campagne,  <*1.  parmi  ces  précieux  matériaux 
figurait  l'intéressante  cartographie  de  l'Océanie, 
«le  cette  région  polynésienne,  où  flotte  aujour- 
d'hui le  drapeau  fmin/ais.  L.  C. 


RIBRON 


Gabriel  Birron  . dont  la  science  erpélologiquc 
déplore  encore  lu  perle,  était  fils  d'un  d«*s  plus 
anciens  employés  du  Muséum  d'histoire  naturelle. 
Sa  famille,  à défaut  de  fortune,  lui  donna  une 
éducation  libérale , dont  il  profita  dans  les  voyages 
successifs  qu'il  fit  eu  Italie,  en  Angleterre  et  en 
Hollande.  Il  s’exprimait  avec  facilité  cil  plusieurs 
langues,  et  puisait  dans  les  ouvrages  «ju’il  pou- 
vait traduire  une  solide  instruction. 

Di's  l’Age  «le  dix-lmit  ans,  étant  attaché  déjà 
comme  élève  aux  laboratoires  «le  la  zoologie,  les 
professeurs  «lu  Muséum . témoins  de  son  ardeur 
cl  de  sa  capacité  l'autorisèrent  à faire  un  voyage 
en  Italie.  Il  y resta  près  de  quinze  «mis . pendant 


lesquels  il  se  livra  avec  tant  de  zèle  à la  recherche 
et  ù l’observation  . qu'il  y recueillit  un  très-grand 
nombre  d'oiseaux , de  poissons  et  d'autres  ani- 
maux . qui  ont  pris  pince  dans  les  galeries  du 
Muséum,  dont  ils  font  l’ornement  par  leur  belle 
conservation,  et  surtout  par  des  notes  intéres- 
santes sur  les  mirurs  cl  les  habitudes  d«*s  espèces 
qu'il  a pu  observer.  Le  résultat  de  celle  précieuse 
excursion  fut  si  utile  à rétablissement,  qu’il  dé- 
termina les  professeurs  ù solliciter,  quelques  an- 
né«»s  après . une  autorisation  du  gouvernement 
pour  faire  retourner  Bihrnn  . comme  voyageur 
naturaliste,  dans  les  mêmes  contrées,  au  lieu  de 
le  faire  ndjoimlrc,  comme  on  le  demandait,  à 


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175 


NOTICES  HISTORIQUES. 


l'expédition  de  Moréc,  qui  se  projetait  alors,  et 
ce  second  voyage  ne  fut  pas  moins  utile  aux  pro- 
grès de  la  zoologie.  En  1832.  Bibron  fut  adjoint 
à M.  le  professeur  Duméril  comme  aide  natura- 
liste pour  la  chaire  de  l’histoire  naturelle  des 
reptiles  et  des  poissons.  Dès  l'année  suivante, 
l'illustre  et  vénérable  professeur  se  plaisait  à dé- 
clarer, dans  la  préface  de  son  grand  ouvrage  sur 
l'histoire  naturelle  «les  reptiles,  qu’avant  besoin 
d’être  aidé  dans  les  recherches  immenses  et  con- 
sciencieuses que  ce  travail  exigeait  pour  la  déter- 
mination et  le  classement  de  toutes  les  espèces , il 
avait  choisi  Bibron  pour  son  collaborateur. 

Le  talent  de  Bibron  pour  l'observation , son 
zèle,  sa  patience  et  son  érudition  étaient  telle- 
ment appréciés  des  naturalistes  ses  contempo- 
rains, que  les  membres  de  la  section  d'anatomie 
de  zoologie  de  l'Institut  de  France  placèrent  son 
nom  sur  la  liste  des  savants  qu’ils  proposaient  à 
l’Académie  des  sciences  pour  remplir  une  place 
vacante  dans  son  sein  peu  de  temps  avant  sa 
mort.  Les  mêmes  sentiments  avaient  appelé  Bi- 
bron au  sein  de  la  société  philomatique,  et  l’a- 
vaient afiilié  à plusieurs  Académies  nationales  et 
étrangères. 


Le  gouvernement,  s'associant  à ces  témoignages 
de  confiance,  l’avait  nommé  chevalier  de  la  Lé- 
gion d'honneur,  et  l’avait  appelé  A une  chaire 
d'histoire  naturelle,  dans  laquelle  il  professait, 
avec  un  grand  succès,  au  collège  municipal 
Turgot. 

Indépendamment  de  sa  collaboration  A l'erpé- 
tologie générale,  Bibron  aida  de  ses  savantes  ob- 
servations plusieurs  recueils  scientifiques  ; et 
parmi  les  différentes  relations  de  voyage  aux- 
quelles il  a prêté  son  habile  concours,  nulle  n’est 
plus  digne  d éloges  que  l'histoire  de  Cuba,  où  il 
a si  dignement  achevé  l'œuvre  de  son  ami  Coc- 
teau, frappé  par  une  mort  prématurée. 

Bibron  est  mort  à l’Age  de  quarante-deux  ans 
le  27  mars  18 18,  aux  eaux  de  Saint-Alban  (Loire), 
loin  des  amis  nombreux  que  sa  loyauté  et  son 
excellent  caractère  lui  avaient  acquis  et  conservés. 

Ses  dépouilles  mortelles  furent  rapportées  à 
Paris,  et  M.  le  professeur  Duméril , dans  une  al- 
locution simple  et  touchante,  rappela  tous  les 
litres  de  Bibron  A l’estime  des  savants,  et  tous  les 
regrets  qu'avait  excités  la  mort  si  malheureuse  de 
celui  qu'il  s'honorait  d'appeler  son  collaborateur 
et  son  ami  P.  D. 


Aunraox  est  le  héros  de  l’ornithologie;  Au- 
dit bon  est  le  peintre  et  l'historien  des  Oiseaux  ; 
jamais  vocation  de  naturaliste  ne  fut  plus  mani- 
feste et  mieux  remplie  que  la  sienne  : pas  même 
celle  de  François  Le  vaillant.  Parmi  tous  les  sa- 


vants, dont  nous  vous  avons  parlé  avec  adoration, 
en  traitant  de  la  botanique,  Sébastien  Vaillant  seul 
pourrait,  comme  homme  d'action , être  comparé 
A Audubon  : il  était  amoureux  des  plantes,  ex- 
plorateur infatigable  cl  professeur  éloquent;  mai^ 


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170 


PREMIÈRE  PARTIE. 


il  ignorait  l'art  du  dessin,  et  cette  lacune  dans  scs 
moyens  d'expression,  qui  le  rendit  tributaire  d'un 
crayon  étranger,  empoisonna  les  derniers  instants 
de  sa  vie,  en  l'inquiétant  sur  l’avenir  de  son  o»u- 
vrc.  Audubon,  naturaliste  complet,  se  suffit  à 
lui-mème:  observateur,  iconographe,  écrivain,  il 
étudia  toute  sa  vie  les  formes  et  les  munir*  des 
oiseaux.  Son  pinceau  fidèle  nous  a transmis  les 
unes,  et  sa  plume  a su  décrire  admirablement  les 
autres.  Ce  n'est  plus  M.  le  comte  de  BufTon , rasé, 
coiffé,  poudré,  lejabol  étalé  sur  la  poitrine  et  l’épée 
au  côté.  s'asseyant  À son  bureau,  s’indignant  de 
sang-froid  contre  le  tigre,  et,  de  sa  main  couronnée 
d’une  manchette  de  dentelle,  adressant  à la  postérité 
les  lignes  harmonieuses  que  voici  : «r  Le  tigre  n’a 
o pour  instinct  qu’une  rage  constante , une  fureur 
« aveugle  qui  ne  connaît,  qui  ne  distingue  rien , 
« et  qui  lui  fait  souvent  dévorer  ses  propres  en- 
« fants.  et  déchirer  leur  mère  lorsqu’elle  veut 
* le»  défendre.  Que  ne  l’eût-il  à l’excès  cette 
« soif  de  son  sang,  et  ne  pùt-il  l’éteindre  qu’en 
« détruisant , dès  leur  naissance , la  race  entière 
« des  monstres  qu’il  produit!!!  » — Tel  n’est 
pas  le  sauvage  Audubon.  C’est  l’homme  des  l»ois 
à la  chevelure  longue  et  flottante,  aux  traits  for- 
tement exprimés,  à l’œil  ardent  et  mobile,  por- 
tant en  sautoir  un  fusil  et  une  gibecière,  et  des- 
sinant debout,  en  plein  vent,  ses  oiseaux  chéris, 
dont  il  saisit  au  vol  les  évolutions  rapides  et  les 
altitudes  capricieuses.  Commensal  lidèlc  de  ceux 
dont  il  s’est  fait  l’historien;  il  les  étudie  le  soir, 
et  passe  la  nuit  au  pied  de  l’arbre  qui  les  abrite, 
pour  les  étudier  le  malin , en  attendant  qu'il 
puisse , sous  quelque  vaste  butte  hospitalière , 
tracer  leur  biographie  dans  un  style  qui  causerait 
à BufTon  des  déplaisirs  mortels.  En  voulez-vous 
un  échantillon?  Écoutez-le  raconter  les  premières 
impressions  de  son  enfance,  qui  décidèrent  sa 
vocation  d’ornithologiste. 

« J’ai  reçu , dit-il , la  vie  et  la  lumière  dans  le 
nouveau  monde , en  1780  ; mes  aïeux  étaient 
Français  et  protestants.  Avant  que  j'eusse  dos 
amis,  les  objets  de  la  nature  matérielle  frappèrent 
mon  attention  et  émurent  mon  cœur.  Avant  de 
connaître  et  de  sentir  les  rapports  de  l'homme 
avec  ses  semblables,  je  connus  et  je  sentis  les 
rapports  de  l'homme  avec  les  êtres  inanimés.  On 
me  montrait  la  fleur,  l’arbre,  le  gazon,  et  non- 
seulement  je  m’en  amusais  , comme  font  les  au- 
tres enfants,  mais  je  m’attachais  à eux.  Ce 
n'étaient  pas  mes  jouets;  c’étaient  mes  camarades. 
Dans  mon  ignorance,  je  leur  prêtais  une  vie  su- 
périeure à la  mienne,  et  mon  respect,  mon  amour 
pour  ces  objets  insensibles  datent  d’une  époque 
si  éloignée , que  je  ne  puis  me  la  rappeler.  C’est 
une  singularité  trop  curieuse  pour  être  passée 
sous  silence;  elle  a influé  sur  toutes  mes  idées  , 
sur  tous  mes  sentiments.  Je  répétais  à peine  les 
premiers  mots  qu’un  enfant  bégaye , et  qui  font 
tressaillir  le  cœur  de  sa  mère;  je  pouvais  à peine 
me  soutenir  sur  mes  pieds,  et  déjà,  les  teintes 


variées  du  feuillage,  la  nuance  profonde  du  ciel 
azuré,  me  pénétraient  d'une  joie  enfantine;  mon  in- 
timité commençait  à se  former  avec  celte  nature, 
que  j'ai  tant  aimée,  et  qui  in’a  payé  mon  culte 
par  de  si  vives  jouissances  : intimité  qui  ne  s'est 
jamais  interrompue  ni  affaiblie,  cl  qui  ne  cessera 
que  devant  mon  tombeau.  * 

En  passant  de  la  première  à la  seconde  enfance. 
Audubon  sentit  se  développer  dans  son  âme  le 
besoin  de  converser  avec  la  nature  physique,  qu’il 
avait  éprouvé  dès  le  berceau.  Quand  il  ne  pouvait 
s’enfoncer  dans  les  forêts , ou  grimj>er  sur  les 
rochers,  ou  parcourir  le»  rivages  de  la  mer,  il 
lui  semblait  qu'il  n'était  pas  chez  lui;  et,  pour 
transporter  la  campagne  dans  sa  maison , il  peu- 
plait sa  chambre  d'oiseaux.  Son  père,  homme  à 
l'Ame  poétique  et  religieuse , se  prêtait  complai- 
samment aux  goûts  de  son  unique  enfant,  four- 
nissait à toutes  les  dépenses  qu’ils  entraînaient, 
cl  dirigeait  lui-même  son  fils  dans  l’élude  des  oi- 
seaux. de  leurs  migrations , de  leurs  amours,  de 
leurs  gestes  et  de  leur  langage.  A dix  ans,  Audu- 
bon , qui  aurait  voulu  s'approprier  la  nature  en- 
tière , et  qui  voyait  avec  désespoir  que  les  oiseaux 
empaillés  ne  pouvaient  conserver  l’éclat  de  leurs 
couleurs  et  la  beauté  de  leurs  formes,  entreprit 
de  les  dessiner;  mais  ses  premiers  essais  furent 
malheureux  : son  crayon  donna  naissance  à des 
myriade»  de  monstres . qui  ressemblaient  à des 
quadrupèdes  et  des  poissons,  tout  aussi  bien  qu'à 
des  oiseaux  ; ce  premier  revers  ne  le  découragea 
pas  : plus  les  oiseaux  étaient  mal  dessinés,  plus 
les  originaux  lui  semblaient  admirables.  Cepen- 
dant . tout  en  traçant  ces  informes  ébauches , il 
étudiait  l'ornithologie  comparée  dans  ses  plus 
minutieux  détails.  Son  père,  loin  de  contrarier 
son  penchant  pour  la  peinture,  l'envoya  à Paris; 
il  y étudia  les  principes  du  dessin,  sous  la  direc- 
tion du  célèbre  David.  Bientôt  il  se  lassa  des  nez, 
des  bouches  et  des  têtes  de  chevaux  , et  retourna 
dans  ses  forêts , où  il  reprit  ses  études  favorites 
avec  plus  d’ardeur  qu'auparavant. 

Peu  après  son  arrivée  en  Amérique,  il  devint 
époux  et  père,  mais  il  fut  avant  tout  naturaliste  , 
malgré  les  représentations  de  scs  amis.  Sa  fortune 
subit  de  notables  diminutions  : son  enthousiasme 
ornithologique  s’accrut  d'autant  : il  rêvait  depuis 
longtemps  la  conquête  des  vieilles  forêts  du  con- 
tinent américain  ; il  entreprit  seul  de  longs  et 
périlleux  voyages,  visita,  dans  leurs  plus  secrets 
asiles , les  plages  de  l’Atlantique , les  rives  des 
lacs  et  des  fleuves,  et , après  plusieurs  années,  il 
vit  peu  à peu  se  compléter  la  collection  de  ses 
dessins  : alors,  pour  la  première  fois,  des  idées 
de  gloire  et  d'immortalité  vinrent  se  glisser  dans 
son  Ame , et  il  tressaillit  de  bonheur  et  de  cou- 
rage en  pensant  que  le  burin  d'un  graveur  euro- 
péen pouvait  rendre  impérissable  le  fruit  île  tant 
de  fatigues  et  de  labeurs.  Mais  une  épreuve  terrible 
l’attendait. 

« Après  avoir,  dit-il,  habité  pendant  plusieurs 


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177 


NOTICES  HISTORIQUES. 


années  les  rives  tic  l'Ohio,  dans  le  Kcnluky,  je 
partis  pour  Philadelphie.  Mes  dessins,  mon  tré- 
sor, mon  espoir,  étaient  soigneusement  emballés 
dans  une  malle,  que  je  fermai  et  que  je  confiai  à 
un  de  mes  parents,  non  sans  le  prier  de  veiller 
avec  le  plus  grand  soin  sur  ce  dépôt  si  précieux 
pour  moi  : mon  absence  dura  six  semaines.  Aus- 
sitôt après  mon  retour,  je  demandai  ce  qu'était 
devenu  ma  malle,  on  me  l’apporta,  je  l’ouvris  : 
jugez  de  mon  désespoir,  il  n’y  avait  plus  dans  la 
malle  que  des  lambeaux  de  papiers,  déchirés, 
morcelés,  presque  en  poussière;  lit  commode  et 
doux  sur  lequel  reposait  toute  une  couvée  de  rats 
du  nôrd.  Un  couple  de  ces  animaux  avait  rongé 
le  bois,  s’était  introduit  dans  la  boite,  et  y avait 
installé  sa  famille;  voilà  tout  ce  qui  me  restait  de 
mes  travaux  ; près  de  deux  mille  habitants  de  l'air 
dessinés  et  coloriés  de  ma  main,  étaient  anéantis. 
Une  ardeur  bridante  travers;!  mon  cerveau  comme 
une  flèche  de  feu,  tous  mes  nerfs  ébranlés  fré- 
mirent, j’eus  la  fièvre  pendant  plusieurs  semaines. 
Enfin  la  force  physique  et  la  force  morale  sc  ré- 
veillèrent en  moi,  je  repris  mon  fusil,  mon  album, 
ma  gibecière,  mes  crayons,  et  je  me  replongeai 
dans  mes  forêts,  comme  si  rien  ne  fût  arrivé.  Mc 
voilà  recommençant  tous  mes  dessins,  et  charmé 
de  voir  qu’ils  réussissaient  mieux  qu’axparavant. 
Il  me  fallut  trois  années  pour  réparer  le  dom- 
mage causé  par  les  rats  : ce  furent  trois  années  de 
bonheur.  » 

Mais  à mesure  que  la  collection  d’Audubon 
grossissait,  les  lacunes  qui  s’y  trouvaient  encore 
étaient  d’autant  plus  apparentes  et  plus  pénibles 
pour  lui,  qu’elles  devenaient  plus  rares  : supplice 
inévitable  d’une  ambition  qui  a déjà  tait  beaucoup 
de  chemin,  et  qui,  près  d'atteindre  son  but.  ne 
peut  plus  marcher  que  lentement.  Enfin,  par  un 
suprême  et  généreux  effort,  il  réunit  les  restes  de 
sa  fortune;  passa  dix-huit  mois  dans  les  solitudes 
les  plus  reculées  des  forêts  américaines,  et  son 
œuvre  fût  achevée.  « Alors,  dit-il,  j’allai  visiter 
ma  famille  qui  habitait  la  Louisiane,  et,  empor- 
tant avec  moi  les  oiseaux  du  nouveau  continent, 
je  fis  voile  pour  le  vieux  monde.  » 

Il  lui  fallait  un  graveur  et  des  souscripteurs 
pour  exécuter  et  défrayer  la  publication  la  plus 
téméraire  qu'ait  jamais  inspirée  l’histoire  natu- 
relle. Il  s’agissait  de  graver  quatre  cents  plan- 
ches gigantesques  et  deux  mille  figures  d’oiseaux 
coloriées,  tous  représentés  dans  leurs  dimensions 
naturelles,  depuis  l’Aigle  jusqu'au  plus  menu 
Passereau,  et  dont  chacun  est  placé  sur  l’arbre 
qu’il  affectionne,  avec  sa  femelle  et  ses  petits, 
poursuivant  sa  proie  favorite  ou  becquetant  un 
fruit  de  prédilection,  enfin,  combattant  ses  enne- 
mis ou  ses  rivaux.  En  approchant  de  l’Europe, 
Audubon  ne  pouvait  sc  défendre  d’une  terreur 


profonde  ; s’il  ne  trouvait  pas  à son  arrivée  de 
hauts  et  puissants  patrons  pour  le  soutenir  et  le 
protéger,  l’indigence  et  l’oubli  allaient  être  la 
récompense  de  ses  héroïques  travaux.  Ce  ne  fut 
pas  en  France  qu’il  vint  les  chercher  : il  savait 
bien  qu’une  entreprise  purement  scientifique, 
dont  le  succès  avait  pour  première  condition 
la  persévérance,  offrait  peu  de  chances  de  réussite 
dans  un  pays  tel  que  le  nôtre,  où  l’on  commence 
tant  de  choses,  et  où  si  peu  sont  achevées.  Ce 
fut  dans  lu  Grande-Bretagne  que  se  rendit  notre 
naturaliste  ; là,  Audubon,  Français  d origine  cl 
Américain  par  adoption  (double  titre  à la  ré- 
serve britannique},  se  vit  accueilli  avec  cor- 
dialité Pt  magnificence  par  les  notabilités  scienti- 
fiques. commerciales  et  politiques  de  l’Écosse  et 
de  l'Angleterre.  Les  encouragements  moraux  et 
matériels  ne  lui  firent  pas  défaut,  et  il  put  com- 
mencer et  finir  cet  immortel  ouvrage,  qui  nous 
donne  l'aspect  du  nouveau  monde  avec  sa  végé- 
tation, son  atmosphère,  et  jusqu’aux  teintes  du 
ciel  et  des  eaux.  Le  texte  est  digne  des  figures,  et 
vous  pourrez  admirer  l'un  cl  l’autre,  en  visitant  la 
bibliothèque  du  muséum,  où  est  placé  ce  magni- 
fique ouvrage  sous  le  titre  : ■ Ornithological  bio~ 
graphy  or  an  acconut  of  the  habits  of  the  birds 
of  the  United-Slales  of  America  accompagnated  by 
description  of  the  abjects  rcpresenled  in  the  wurk 
inlitled  The  birds  ofA  mcrica.  Edinburg  1831 , fi  vol. 

La  physionomie  de  John  James  Audubon,  dit  le 
Blackivood’s  magazine , était  franche  et  calme,  la 
coupe  de  son  visage  hardie,  son  œil  vif.  pénétrant 
et  fixe,  son  langage  remarquable  par  cet  accent 
étranger  et  par  des  expressions  neuves,  pittores- 
ques, colorées  et  spirituelles;  le  costume  euro- 
péen ne  pouvait  déguiser  cette  dignité  simple  et 
presque  sauvage  dont  le  génie  prend  le  caractère 
au  sein  de  la  solitude  ; le  front  haut,  l’œil  libre  et 
fier,  silencieux,  modeste,  il  écoulait  d’un  air 
quelquefois  dédaigneux  mais  jamais  caustique  et 
prenait  rarement  la  parole,  si  ce  n'est  pour  rele- 
ver une  erreur  ou  ramener  la  discussion  à son 
but  ; un  bon  sens  naïf  animait  son  discours  plein 
de  justesse,  de  modération  et  quelquefois  de  feu  ; 
de  longs  cheveux  noirs  et  ondulés  se  partageaient 
naturellement  sur  ses  tempes  lisses  et  blanches, 
sur  un  front  large  et  développé;  sa  toilette  était 
d'une  propreté  exquise  mais  singulière  ; à son  col 
découvert,  à l'indépendance  de  scs  manières,  à 
sa  longue  chevelure,  on  reconnaissait  l’homme  de 
la  solitude.  Notre  civilisation  ne  l'avait  point 
marqué  de  sop  empreinte  vulgaire,  l'alliage  delà 
société  ne  s’y  était  point  noté. 

Audubon,  mort  le  27  janvier  1851,  a poussé 
jusqu'à  un  assez  grand  âge  sa  digne  et  savante 
carrière. 


X 


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178 


PREMIÈRE  PARTIE 


DUPERREY 


La  corveltc  la  Coquille,  désignée  pour  accom- 
plir un  voyage  de  circumnavigation  sous  le  com- 
mandement du  lieutenant  de  vaisseau  Di'pkrrky, 
partit  de  Toulon  le  il  août  1822,  et,  le  24  mars 
1825,  elle  effectua  son  retour  après  avoir  traversé 
sept  lois  l’équateur  et  parcouru  plus  de  deux 
mille  quatre  cents  lieues  dans  ses  différentes 
circonvolutions,  sans  avoir  fait  d’avaries  majeures, 
sans  avoir  perdu  un  seul  homme.  Les  Iles  Ma- 
louincs,  les  côtes  du  Chili  et  du  Pérou,  l’archipel 
Dangereux  et  plusieurs  autres  groupes  disséminés 
sur  la  vaste  étendue  de  l’océan  Paciliquc,  la  nou- 
velle Irlande,  la  nouvelle  Guiuéc,  les  Moluqucs 
et  les  terres  de  P Australie  avaient  été  tour  à tour 
ses  points  de  relâche  ou  le  but  de  scs  reconnais- 
sances. 

Les  Iles  Clermoul -Tonnerre,  Lostangc  et 
Duperrey,  ses  découvertes  géographiques,  les 
grandes  collections  qu’elle  rapportait  pour  le 
Muséum  d’histoire  naturelle,  furent  l’objet  d’un 
rapport  particulier  des  membres  compétents  de 
l’académie  des  sciences,  et  ces  collections,  pour 
tout  ce  qui  concernait  l’entomologie  et  la  botani- 
que excitèrent  au  plus  haut  point  l'attention  des 
professeurs  du  Muséum  d'histoire  naturelle.  Les 


plages  désertes  de  la  baie  de  la  Salcdad  et  la  pit- 
toresque vallée  d’Olaïti  avaient  été  explorées  par 
de  laborieuses  herborisations,  l’archipel  des  Ca- 
rolines  avait  aussi  livré  ses  richesses,  et  dans  celle 
nouvelle  Hollande  où  la  végétation  se  montre 
sous  des  formes  si  étranges,  les  excursions 
britanniques  s’étaient  étendues  jusqu’au  delà  des 
montagnes  bleues,  dans  les  immenses  plaines  de 
Balhurst.  Au  milieu  de  ces  savantes  recherches, 
l'histoire  de  l'homme  eut  une  large  part,  et  les 
tribus  sauvages  de  l’Océanie,  l'étude  de  leurs 
mœurs  et  de  leur  langage,  vinrent  fournir  un 
nouvel  aliment  aux  hardis  explorateurs  qui  fai- 
saient partie  de  cette  importante  expédition. 

Un  certain  nombre  d’îles  nouvelles  furent  si- 
gnalées dans  la  mer  du  Sud  et  surtout  dans  les 
Carolines,  cl  quelques  reconnaissances  partielles 
firent  mieux  connaître  les  Iles  Mulgravc,  le  groupe 
d’Hogoleu,  et  les  lies  Schoulcn  sur  la  côte  de  la 
nouvelle  Guinée. 

M.  le  vice  amiral  Duperrey  est  membre  de 
de  l’Institut,  où  l’ont  appelé  scs  beaux  travaux 
sur  le  magnétisme  terrestre. 

E.  L. 


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Adanson..,.  37-136 

Aldrovand 148 

Allon 48 

André. .... 48 

Andromaque. . . 21 
Angitilliers  (D').  43* 
89-96 

Anne  d’Autriche.  8 

Aublet 33 

Aubriet..  9-12  33-61 

Audouin 137 

Andubon 175 

Banks..  50  à 53-142 

Barélier 13 

Baron 17 

Barra!  (De).  102 103 

Barthez 78 

Bassep>rte 61 

Baudin.  . 48  99-131 

Bauhin 54 

Beautemps -Beau- 
pré  50 

Beecher 26 

Belou 2 

Bentinck 136 

Berger 19-20 

Bcrgraann. . . . . 64 
Bernardin  de  St- 
Pierre.  88- 90-91-107 

Bernis 30 

Bertamboise.  . . 35 
Berlhollet.65-7 1-109 
126-138 
Bmelius.  . 127-139 

Beudant 127 

Bexon 85 

Bibron 174 

Bignon 12 

Biol 138 

Black 64-65 

Blainville.S4- 144-1 37 

Bonaparte 37 

Bœrhave.  13-19-27- 
54-63 

Bonnet 50 


Bonnet  (Ch.)...  151 

Uonptand 103 

Bordeu 30-78 

Bosc 141 

Bossuet 18 

Bola) 3 

Bougainville.  39  A 42- 
44-33 

Boulduc.  10-21-25-28 
Bourdelin....  23-26 

Bourdelot 3 

Bourdon  (Itid.).  117 
Bouvard  ..  4-G-7-44 
Bouvard  de  Four 

queux 8 

Orienne 44 

Brisson 107 

Broc  Le  ton 99 

Brongniarl.  25-62-73- 
94-123  à 127 
Broussonncl.  46-52- 
125-141 


Brueys 109 

Brugraann 134 

Bremser 134 

Brunswick 84 

Bucquet G5 


BufTon.  22  23-25- 30  à 
32-35-36-42  à 45- 
51-33-54-61-68-77- 
81-84  A 87-89-96- 
113 

Bnllion 6 

Cadet 26 

Calonne 46 

Camper 37 

Carnot 93 

Cassini 32 

('.avcndisli....  63-64 
Césalpin. . . . . . . 11 

Chabannet 81 

Chapelier 3 

Char»....  21-26-28 

Charles  Ie» 8 

Charles  11 21 


Châleaubriand. . 88 

Châtelain 3 

Chéradatne.  ...  133 

Chevalier 130 

Chevreul 133 

Chicoisneau. . 21-32 
Chirac.  15-21-22-32 

Choiseul 31 

Choiseul-Stain- 

ville 41 

ClifTorl 34 

Colbert. . . 8 à 10-25 


Commerson..  39-44- 
50  53 

Condorcet.  21-44-88 
Constant  Prévost.  127 


Cook 51  4 53 

Cordier  ...  109  128 

Courtois 139 

Cousinot 7 

Couturier 91 


Cuvier.  37-53*61-81- 
87-102-108-110- 
114  à 120-122-123 
A 125-127-137-178 
Cuvier  (Fréd.)..  166 

thmty-d’lsnard..  13 
Daquin.  ...  9-10-17 

Darcet 66-130 

Daubenton.  17*24-25- 
32-35  36-41-53  69- 
70-72  A 75-84-89- 
90-94-96-97-105  A 


107. 

Daodin 142 

D’Ayen 32 

De  Caisnc 146 

De  Candolle 154 

Declieux 13-14 

De  Freycinet  (L.). 

169 

Delalande 139 

Deleuze 95 

De  Saussure — 153 

Descemet 96 


Desfontaines.  44-49- 
55-58-59  70-74-07- 


99. 

Desmoulins.  . . . 95 

D’Héricy 108 

Diard 134 

Diest 65 

Dionis 17 


Dolomieu.  48-49-72- 
84-109 
Dombey.  44-5360-70 
Don  Pèdre  d’Aragon. 

21 

DOgny 142 

Drée 49 

Dru 99-109 

l>uc  d'Orléans. . 21 

Duchesne 3 

Dufay 22-23 

Dufresne 95 

Duhamel 30 

Duméril.. ...  84  119 
Dumont-d'Urville 

135472 

Dumoulin 26 

Duperrey 178 

Dussutmer-Fon- 

brune 133 

Duvaucel...  125-134 
Duverney  10-13-17  à 
20-22-45-75 

Duvernoy 119 

Entre-Casteanx.  50 
Fabricius.  . . 52-141 
Fagon.9  A 12-13-19-21 
Faujas  de  Saint- 
Fond...  68-94-128 

Fernel 3 

Ferrein 33-75 

Feuillée 10 

Flahautde  la  Bil- 

larderie 89 

Flourens.  21-51-86* 
113-124 
i Fontana 65 


Fontcnelle.  . r 10-12 

Fors  ter. ... 40 

Fourcroy.  25-62-64- 
66  67-71  94-129 

Fourier 82-162 

Frédéric  Cuvier.  104 

Caimard 135 

Gaston  d'Orléans.  8 
Gaudicbaud... . 135 
Gav  Lussac.  C8  137 
138-139-140 

Gazola 102 

Geoffroy.  3-10-19-4V 
27-28 

Geoffroy -Saint-Hi- 
laire 71-94  104  à 
107-110  à 113-137 

Gessner Il 

Glaser 21 

Gluck SI 

Godefroy 133 

Gœrtner 52 

Gœihe 113-114 

Goborry 3 

Goiffon 13 

Gouan 44-50 

Gueneau  de  Mont- 
béliard  85 

Gui-Patin 4-7-8 

Guise  (Mlle  de).  12 
Gundelsheimer . 12 
Guylon  de  Morveau. 

36-71 

Guy  de  la  Brosse.  4- 

5-6-10 

Haller..  33-37  39-54 

Halles 23 

Hamelin 102 

Harvey 10 

Hatty  ..  53-69  71-72 
91  96-105  A 107-115 

Havet 135 

Henry 133 

Henriette  d'Angle- 
terre  ® 


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180 


INDEX, 


Henri  IV 2-4  Lapérouse 30  Martin 103  Poivre.  33-38-39-44-  Serres 113 

llcrmann Il  Laplace.  66-71-82-138  Maugé 99  102  47  Sérullas.  133-140  141 

Héroard 46  La  Reveillère  - Maxarin 8 Poil 30  Simon 44 

Hisinger 139  Lepeaux.  142  Mayerne 3 Pontcharlrain.  . 12  Siinoneau 13 

llomberg.  ...  19-22  LaRochefoucault.  48-  Méchain 109  Portai...  78  4 81-94  Sloane 20 

Houél 2 49  ! Mersenne 19  Praslin 39  Smith 51 

Humboldt..  53-103  Larrey 109  Maurcpas 23  Priestley 64  Solander...  51  à 53 

134-139  Lassone 34-77  i Maury 79  Quoy 135  Sonnerat 47 

Humphry-Davy.  139  Latreille..  127  137  | Menou 110  Hamond 59  Stahl.  26-27  62-63- 

Hunauld.  18-19  22  143  164  Mcrlrud..  35-75-94  Ramposse 103  66 

25-32-34-78  Laubert 140  i 104  124  Ray 11-12-57  Sténon 34 

Hutciiinson  . . 110  Laugier.  68  128  131-  Michaux..  44  47  48  Réuumur 149  Stévrn 135 

Isidore  ('«eoffroy-  132  133-141  103  Redouté. . 46-95-170  Sydenham......  20 

Saint-Hilaire'.  92  Lavoisier.  26  63-65  i Milbert 134  Rendjet  Sin^b.  136  Sylvius 4 

Jscquemont.  ..  1.35  66  71  129  I Milius 135  137-163  Tallard 20 

136- 137  LaVrillière 43  Milne  Edwards.  127  Rev-on 13  Tessier 70 

Jansen 103  l^hnin 89  Mirbel 146  Kihil  de  la  Ri  Thénard.  68-135-139 

Jomard Ht9  Lefevre 26  Molinos 98-104  vière 3 Thirion 48 

Joncquet 8 10  Lehmann 30  Monge 109  130  Richard.  32  33-34-37-  Thouin.  3544-47-55 

Joubert 9 Lémery.  10  13  19^0  I Montagne 34  44  59-604»  1-94-97 

Juuol 111  25  i»  28  Monlazet 81  Richelieu 7-18  Toscan 97 

Jussieu  (De).  13-24  Lemonnier.  17  32  33-  Montcalm 41  Riedlev 99-100  Toumefort.  10  4 13- 

25-27  32  40-4461-  3-I- -37-49- 50  58-90  Montespan  (M™*  Riolan’. 4 15  35-43-54 

94-97-141  Lemonlev 8 ; De) 9 Rivarol 87  Treilhard 79 

Jussieu (Ant.  De).  10  Lescheoaull 134  . Montmort 3-19  Rivinus 11-57  Turgot .‘44-77 

13-14-33  Lesoeur 102  1 Mordant  de  Lau-  Robert 8-52  Vabl 52 

Jussieu  (A. -L.  Del. . Levaillanl.  ...  99  I nay 97  Robert  Brown..  103  Vaillant.  10-13-14-20- 

16-3741-55458  LeviKain.. ..  99-102  ! Morin 10-12  Robin  (Jean)...  34  24-35 

Jussieu  (Bern,  De)..  L'Héritier.  45-51-59!  Morison 11-57  Robin  Vespasien.  3-  Vaillant  (Séb.)  . 12 

14-22-33-35-54  Lhomond. 69-105-106  ' Napoléon...  111-139  6-8  Valenciennes...  95 

Jussieu  (Ad  De).  137-  Lieutaud 79  Necker  (M®*).  88  Robinet 130  Vallet.... 3 

145-146-147  Linné.  11-12  15-33-  Newton 23  Robiquct 33  Vallot.  .......  8-10 

Jostcl 3 37  4347-50-51-54-  i Nicandre 21  Rohan 48  Yandermonde. . 84 

Kérauran 106  55  [ Nicol 137  Roland....  141-142  Van  Hclmont. . 4-21 

Kunih  103  Lippi 10  Noguet 25  Roiné  de  Lisle.  85  Van  Horn 13 

l.a  Itillarderie..  90  Lobel 11  1 Olivier  de  Serres  Rossel  (De). . ..  50  Van  Royen 54 

Labillardière.  31-44-  Longuet 10  142  Roucber 115  Van  Spaendonk.  61- 

50-53-60-103  Louis  XIII 1-6  | Ortéga 45  Rouelle.  17-25-26-27-  62-94 

1. ahonc 65  Louis  XIV.  8 à 1 1-13  Pâli  sot  de  Beau-  29  4 32  62  Vauquelin.  68  128  à 

La  Bourdonnais.  3H  Louis  XV.  16  22-31-  I vais 70  Rousseau  (Einm.).  130 

La  Brosse 3 32-33-51-88  Palissy  (Bem.).  1 19  124  Vautier 7-8 

Lacaille 32  Louis XVI.  52-66-80  ; Pal  las M-121  Rousseau 47  Verniquet 98 

Lacépéde.  44-53-81-  92  Panckoucke. . . . 36  Rousseau  (J. -J.).  17-  Vestris 79 

84  91  97-104-107  Louis  XVII! ..  78-80  Paré 3 31-33  54-81  88  Vicq  d Axyr.  28  49 

110  Loureiro 44»  1 Pari  sel 79  Huix 45  63-76  4 78  81 

l.afonUine 31  Louvois 9-20  Parmentier.  ...  140  St-Hilaire  (A,e).  134  Villacert 9 

Lagrange 71  Lucas 94  Pavon 45  Saint  Yon 19  Villard 50 

Lnnire 17  Marquer..  26-30-62  Pelletier 27  Salisbury 8 Yolnev 161 

LaklMl.  . 91  92-93-  636  1 66  Péron 134-158  Salvador 13  Voltaire.  31-54-87-89 

94-107  Magnol....  11-13-57  Petit. ...  75-7081-90  Sandwich 51  Wailly 82 

Lalande 39-134  Malouin 26-30  Petun 39  Sauvage 78  Weiss 102 

Laraarck..  47  94-95  Malus 109  Philibert 135  Savigny 109  Wilke  65 

104  107-110  Marcel  de  Serres.  103  Plée ..135  Schah  : Mahara-  Winslow  . 10-17  4 20 

LarnéUirie 116  Maréchal ..... . 95  Plisson 133  ined 136  22-25-32-34-35-75 

I .amure 78  Marie deMédicis.  7 Plumier 10-12  Sénac 79  | Wurtemberg.  ..  116 


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ADMINISTRATION  — ENSEIGNEMENT 
BUDGET 


Avant  de  parcourir  avec  vous  le  Muséum  d’hlstoiro  naturelle  dans  toutes  ses  parties  et 
dans  tous  ses  détails,  avant  de  vous  décrire  toutes  les  merveilles  qu’il  contient,  il  nous  semble 
indispensable  de  vous  instruire  du  mode  d’administration  qui  pourvoit  à son  entretien,  à sa 
conservation  et  à son  développement  et  de  vous  indiquer  l'enseignement  que  l'on  jr  profosse 
sous  lo  patronage  de  l'État. 

Nous  compléterons  ces  préliminaires  par  le  budget  des  dépensos  allouées  par  le  Gouverne- 
ment et  la  répartition  qui  en  est  (aile. 

L'administration  est  confiée  & quinze  professeurs. 

Ils  tiennent  leurs  séances  au  moins  une  fois  par  semaine  et  sont  présidés  par  celui  d'entre 
eux  qu'ils  ont  élu  pour  directeur.  Ges  fonctions,  ainsi  que  celles  d'un  secrétaire  et  d'un  tréso- 
rier, sont  exercées  pendant  deux  ans. 

Les  professeurs  administrateurs  actuellement  en  exercice  sont,  par  ordre  d'ancienneté  : 


MM.  CORDIEII,  C.  », 

1)1  MK  11  IL,  O.  *, 

CIIEVRKIL,  C.  * , 

FLOURENS,  C.  », 
VALENCIENNES,  *, 


Professeur  de  Géologie. 

Directeur  en  exercice  du  Muséum,  Professeur 
de  Zoologie  ( Ucptilcs  et  Poissons). 
Professeur  de  Chimie  appliquée  aux  corps  or- 
ganiques. 

— de  Physiologie  comparée. 

— de  Zoologie  ( Mollusques  et  Zoo- 

phytes ). 


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1 


DEUXIÈME  PARTIE. 


M M. 


D R 0 N G N I A R T , 0.  * , Proféra 

BECQUEREL.  0.  *, 

SERRES,  C.  *, 

I.  CiE0FFR0Y-8T-HII. AIRE,  0.  #,  — 

M 1 LIA  F.-F.DVV  A RDS.  O.  *, 

IM  F R É N O Y , O.  #, 

DEC  AISNE,  » . 

I)  E Y E R N 0 Y , * , 

F R E M Y , * , — 

D’ORDIGN  Y (Alcide)  , # , — 


de  Botanique  el  de  Physique  végé- 
tait. 

de  Physique  appliquée, 
d' Anatomie  el  d’ Histoire  naturelle 
de  l'homme. 

de  Zoologie  (Mammifères  el  Oi- 
seaux) . 

de  Zoologie  ( Insectes  et  Crusta- 
cés). 

de  Minéralogie, 
de  Culture. 

d' Anatomie  comparée, 
de  Chimie  appliquée  aux  corps  in- 
organiques, 
de  Palœontologie. 


L’enseignement  est  réglé  chaque  année  et  les  cours  sont  indiqués  officiellement  au  public. 
Ceux  de  Pennée  1853  sont  ainsi  répartis  : 


Cours  de  rhuique  appliquée. 

M.  BECQUEREL,  Professeur. 

Le  professeur  traite,  relie  année,  «le  la  Physique  | 
terrestre,  de  la  Météorologie  cl  de  ses  rapports  avec 
1rs  Phénomène*  de  la  Vie  organique  et  l'Agriculture  j 
Ce  cours  commence  à la  fin  d'ortobre.  Il  a lieu  les  ' 
lundis  et  veudredis,  il  onze  heures  et  dem  e- 


Cours  de  Chimie  appliquée  aux  Corps  inorganiques. 

M.  FREMY,  Professeur. 

Ce  cours  commence  en  nrrs.  Il  a lieu  les  mardis, 
jeudis  et  samed  s,  à deux  heurt*. 


Coud,  i'  Chimie  a piqûre  au  Corj-4  organiques. 

M CHEVREVL,  Professeur. 

Le  professeur,  ayant  traité  dans  le  cours  de  18.12, 
des  Principes  immédiats  qui  constituent  les  Corps  t - 
vanls,  traitera,  celte.  année,  des  Liquides  et  des  Sol  des 
de  l'économie  organique;  il  envisagera  donc  les  or- 
gane» au  point  de  vue  de  eur  composition  chimique. 

Ce  cours  commence  au  mois  de  mai.  Il  a lieu  les 
mardis,  jeudis  et  samedis,  à (lu  heures  un  quart. 


Cocu  i!e  llinéralagie. 

M.  Dl'FRIÎNOY,  Professeur. 

I.e  professeur,  après  avoir  exposé  le*  propriétés  gé- 


nérales des  Minéraux  el  les  Princij^es  qui  servent  de 
base  à leur  classficat  on , traitera  plus  spécialement, 
cette  année,  des  espèces  nommées  Métaux  et  Coui  bus- 
libles. 

Ce  cours  commerce  le  I”  avril.  Il  a I eu  les  lundis, 
mercredis  et  vendredi,  à d x heures  du  mal.n- 


Cours  de  Géologie. 

M.  CORDIER,  Professeur. 

Cette  année,  le  professeur  traitera  priuc  paiement 
do  la  classification  el  de  la  description  des  Hoches, 
c'est-à-dire  des  matériaux  divers  (y  compris  les  débris 
organiques  fossiles)  qui  composent  les  parties  solides 
du  globe  terrestre. 

Ce  cours  commence  en  octobre.  Il  a lieu  les  mardis, 
jeudis  cl  samedi»,  a du  heure*  et  demie  du  malin. 


Cours  tic  Pafawnlolngic. 

M.  Alcide  D’ORBIGNY,  Professeur 

M.  Aie  de  d’Orb-gny  ayant  été  nommé  an  mois  de 
juillet  de  Cette  année,  son  fours  oc  figure  pas  dans 
létal  officiel.  C’était  le  cours  de  M.  Adrien  de  Jussieu 
qui  complétait  le  nombre  de  quinze,  égal  à celui  de* 
professeur*  en  Rétivité. 


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ADMINISTRATION.  - ENSEIGNEMENT.  — BUDGET. 


ô 


Cours  de  Bolaniqiic  el  de  Plnsiqtie  végétale. 

M.  Ad-  BRONGN1ART,  Professeur. 

Le  processeur  traitera,  cette  année.  1°  des  ramilles 
de  Gymnospermes  et  de  Cryptogames;  U"  de  la  distri- 
bution géographique  des  Végétaux;  3°  des  Plantes  fos- 
siles. 

Ce  rours  rommenre  en  avril.  Il  a lieu  les  lund  s, 
mercred  i et  vendred  i,  è bu  t heures  et  dem  e du 
matin. 


Cours  de  l'Histoire  tulurrllc  des  VamniCres  cl  de*  Oiseaux . 

M.  IsiD-  GEOFFROY-SAINT  - Il  1LÀI HE, 
Professeur. 

Le  professeur  traitera,  celte  année,  des  Mammi- 
fère*. 

Ce  cour*  commence  en  octobre.  Il  a lieu  les  mardis 
Ct  samedis,  à une  heure - 


C nu  de  Cullurc. 

M.  DECAISSE,  Professeur 

Ce  cours  comprend  la  reproducton  el  la  multiplica- 
tion des  Végétaux  dan*  leur  rapport  à la  culture,  ainsi 
que  l'histoire  des  Arbre*  qui  constituent  nos  essences 
forestières,  la  taille  des  Arbre*  fruitiers,  etc. 

Il  commence  en  avril,  et  a lieu  les  mardis  et  same- 
dis, à huit  heures  ct  demie  du  matin. 

C'irs  li'Aoalomic  el  dflisliirc  nanrcllc  de  l'Homme, 
ou  d'Anlliropologic. 

M.  SERRES,  Professeur. 

Le  professeur  exposera  la  théorie  de  la  Génération 
et  les  règles  de  l’Organogénie  cl  de  l’Embryogénie. 

Les  digressions  sur  l’Anatomie  comparée  auront  pour 
objet  d'éclairer  la  structure  de  l'homme  par  celle  des 
animaux,  alln  d'arriver  à la  détermination  méthodique 
des  diverses  races  humaines. 

Ce  cours  commence  dans  le  courant  d'octobre.  Il  a 
lieu  les  mardis,  jeudis  ct  saroed  s.  à quatre  heures  et 
demie 

Ctwrs  d'inaloaie  comparée. 

M.  DUVERNOY.  Professeur. 

Le  professeur  traitera  des  Organes  de  la  Nutrition- 
Il  décrira  en  détail,  dans  la  première  partie  de  ce  cours, 
les  dents  des  espèces  de  vertébrés  vivantes  el  fossiles, 
et  les  caractères  que  l’on  peut  en  tirer  pour  la  déter- 
mination de  ces  dernières  espèces. 

Ce  cours  commence  en  mai.  Il  a l eu  les  rnard  s, 
jeudis  et  samedis,  à trois  h.urcs  ct  demie. 

Coati  di*  Phyual'*iG  comparée. 

M FLOUHENS,  Professeur 

Ce  fours  commence  dans  le  mo.s  de  mars  II  a I eu 
les  mardi*,  jeudis  ct  samedis,  à onze  heures. 


Coors  de  Histoire  tialartlk  des  Reptiles  cl  des  Poissons. 

M C-  DUMÉRIL,  Professeur. 

L'his  oire  générale  de  ces  deux  classes  fera  le  sujet 
du  rours  de  cette  année- 

Le  professeur  fera  connaître  l’organisation  des  Ani- 
maux qui  les  composent,  en  la  comparant  à celle  de* 
autres  êtres  an  rocs-  Il  aura  ainsi  orras  on  d’exposer 
les  modifications  les  plus  remarquables  de  leur  struc- 
ture, de  leurs  fonci  ons  ct  de  leurs  habitude*. 

La  seconde  part  e du  cours  sera  consacrée  à l'étude 
de  la  dnssifteaton  des  Reptiles  ct  des  Poissons  vivants 
ct  fossiles  et  à leur  distribution  en  familles  natu- 
relle*. 

Ce  cours  commence  en  avril.  Il  a lieu  les  lundis, 
mercredis  et  vendredis,  à onze  heure*  el  demie  du 
matin,  dans  la  galerie  de  zoologie- 


Cour  de  l'Histoire  nalur  Ile  des  Crustacé*,  des  Arachnides  et 
des  inscflrs. 

X.  M l LN  E-E  D \V  A R DS , Professeur. 

Le  professeur  traitera,  cette  année,  de  l'histoire  des 
Insectes. 

Ce  cours  commence  en  avril.  Il  a lieu  Ica  lundis, 
mercredis  ct  vendredis,  à une  heure. 


Cours  de  l'Histoire  nalnn-llc  des  An&clidcs,  des  Mollusques 
el  des  ZuopbviCî. 

M.  VALENCIENNES,  Professeur 
Le  professeur  traitera  de  l'Anatomie  générale,  de 
la  Physiologie  et  de  la  Cia  s firation  de*  Annéltdes, 
des  Mollusques  et  des  Zoophytcs,  ct  il  exposera  le* 
caractères  généraux  des  pr-ncipnles  famille*  de  ces 
t.ois  embranchements,  en  comparant  les  espèce*  fos- 
sile* aux  espèces  vivantes. 

Ce  cours  commence  en  octobre  11  a lieu  le*  lundis, 
mercredi*  et  vendredis,  à une  heure. 


Pour  compléter  ce  qui  touche  à renseignement,  nous  devons  dire  que  deux  cours  de  dessin, 
l’un  pour  les  animaux,  l’outre  pour  les  plantes,  sont  professés  vers  le  mois  do  moi,  le  pre- 
mier par  M.  C11ÀZAL,  le  second  par  M.  LE  SOURD  DE  BEAU  REGARD. 


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C DEUXIÈME  PARTIE. 

MM.  les  professeurs  sont  secondés  dans  leurs  fonctions  par  des  aides-naturalistes  et  des 
préparateurs  dont  voici  les  noms. 


AIDES-NATURALISTES  ET  AIDES-PRÉPARATEURS. 


MM.  ROUSSEAU  (Emmanuel), 

Aide-Naturaliste  W Anatomie  comparée. 

PRÉVOST  (Florent), 

— 

de  Zoologie. 

SPACH, 

— 

de  Culture. 

DUMÉRIL  (Auguste) , 

— 

de  Zoologie. 

ROUSSEAU  (Louis), 

— 

ld. 

D’ORBIGNY, 

— 

de  Géologie. 

BLANCHARD, 

— 

de  Zoologie. 

RIVIÈRE, 

— 

de  Minéralogie. 

II U GARD, 

— 

supplémentaire  de  Minéralogie. 

TULASNK, 

— 

de  Botanique. 

WEDDELL, 

— 

ld. 

RECQUEREL  (Edmond), 

Aide-Préparateur  de  Physique. 

JACQUART, 

— 

d' Anatomie. 

PI1I U PEAUX, 

— 

de  Physiologie. 

CLOES, 

— 

de  Chimie. 

TERREIL, 

— 

ld. 

Le  service  des  Jardins  et  des  Serres  est  composé  do  la  manière  suivante. 


JARDINIERS. 


Pépin, 

Jardinier  en  chef  de  V École. 

Neumann, 

— des  Serres. 

Cappe, 

Jardinier  des  Arbres  fruitiers. 

Houllet, 

— aux  Serres. 

Champy, 

— du  Fleuriste. 

Rihoelle, 

— de  la  Serre  tempérée. 

Kouque, 

— de  la  Ménagerie. 

Helye, 

~ des  Labyrinthes. 

Rergé, 

Gouault, 

Carrière, 

| Jardiniers. 

Hezard, 

Chauffeur  aux  Serres. 

PRÉPARATEURS. 

Sous  le  litre  modeste  do  Préparateurs,  vingt-trois  jeunes  savants,  qui  consultent  plus 
souvent  leur  dévouement  à la  science  que  le  médiocre  profit  qu'ils  en  retirent,  rendent  au 
Muséum  d'éminents  services,  sans  avoir  à espérer  que  de  plus  importantes  fonctions  viennent 
couronner  leur  ado.  Ce  sont  : 

MM.  Pocheras,  MM.  Hupé,  MM.  Desmarest, 

Gratiolet,  Eocoliit,  Sénéchal, 

Lucas,  (îoichesot,  IIéhincq, 


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ADMINISTRATION.  — ENSEIGNEMENT.  — BUDGET. 


7 


PoxnTMAK, 

MM.  Stahl, 

Salomon, 

Robzet 

Vblpiar, 

Perrot 

Deramond, 

Hüet, 

Merliebx, 

Lantz, 

MM.  Braconnier, 

ItOUI.  AUD, 

Yobnc, 

POTTEAC. 


Lu  sarde  des  Galeries  psi  confiée  aux  soins  intelligents  de: 

MM.  k I f: s k R (Louis) , pour  In  Minéralogie  et  la  Zoologie. 
Gaudichaud,  pour  la  Botanique. 


l'ne  troisième  place  est  vacante  par  la  mort  de  M.  Laurillard  : c'est  celle  de  garde  des 
Galeries  d'anatomie. 

On  aurait  tort  de  juger  du  mérite  des  titulaires  par  l'humilité  de  1a  dénomination  do  leurs 
fonctions.  La  science,  nu  Muséum,  a,  dans  tous  les  rangs,  des  célébrités  légitimement 
acquises , et  souvent  un  titre , si  modeste  qu’il  soit , est  avidement  recherché  h cause  du  droit 
qu'il  confèro  de  consulter  de  plus  près  et  plus  assidûment  les  objets  qui  facilitent  les  études 
ardues  et  ingrates  auxquelles  se  livrent  les  Préparateurs. 

Il  en  est  parmi  eux  dont  le  nom  est  célèbre  dans  la  science  ; et  il  n'est  pas  sans  exemple 
que  l’Académie  ait  ouvert  ses  portes  è plusieurs  d’entre  eux. 

La  bibliothèque  est  confiée  aux  soins  éclairés  de  : 

MM.  Desnoïers,  Bibliothécaire. 

L E M E R c i F.  R , Sons-Bibliothécaire. 


La  science  bibliographique  de  ces  Messieurs,  leurs  soins  prévenants,  rendent  faciles  les 
études  que  l'on  demande  aux  trésors  bibliographiques  du  Muséum. 

Pour  entrer  enfin  dans  les  détails  de  cette  vaste  Administration,  il  est  nécessaire  d’ajouter 
qu'elle  compte  cent  trente-six  personnes  attachées  aux  services  de  tous  genres  qu’exigent  la 
Conservation,  la  Garde,  l’Entretien  des  Jardins,  des  Serres,  des  Galeries  et  de  la  Ménagerie. 

Le  Muséum  est  compris  nu  budget  de  l’État  pour  une  somme  de  469,780  francs,  dont 
voici  la  répartition  pour  l’année  1 853. 


§ l«.  — PERSONNEL. 


Traitement  de  15  Professeurs  à 5,000f 

— 2 Maîtres  de  dessin  à 2,000f 

— 1 Bibliothécaire  à 3, 000r j 

— I Sous-Bibliothécaire  à 2,406' 1 

— 15  Aides-Naturalistes  et  Aides-Préparateurs,  de 

1 ,500  à 3,000' 

— 20  Préparateurs,  de  800  i\  1 ,800r 

— 33  Employés,  de  750  è 3,500f 

Gages  des  gens  de  service 

Indemnité  aux  voyageurs  naturalistes 

§ 2.  — M VTÉRIEL. 


Galeries,  laboratoires  et  cours 

Jardins  et  serres 

Ménagerie. 

Ateliers  et  entretien 

Chauffage,  éclairage  et  frais  divers. 


75,000  ; 

4.000  . 

.5,400 1 

229,780 

31,6001 
20,050  \ 

49,200 

38,530 

25,000 


79.700 
48,100  I 

42.700  215,000 
23,500  \ 

21,000 

469,780 


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H 


DEUXIÈME  PARTIR. 

Nous  no  voulons  vous  attrister  par  aucune  critique  d’un  établissement  dont  la  France  a 
droit  d’être  flèrc  et  qui  rend  à la  science  les  plus  signalés  services.  Nous  appellerons  seule- 
ment votre  attention  sur  l’extrême  modicité  de  la  somme  attribuée  au  Muséum  par  l’État. 

L’administrutiou,  restreinte  dans  les  étroites  limites  qui  lui  sont  assignées,  est  trop  souvent 
forcée  de  renoncer  à rémunérer  des  travaux  qui  seraient  pavés  au  quintuple  par  l’industrie  et 
auxquels  le  Muséum  n’offre  aucun  avenir.  De  pareilles  entraves  se  font  sentir  à chaque  instant 
et  pour  chaque  partie  des  différents  services. 

Los  voyages  de  recherches  seraient  impossibles,  si  d’autres  administrations  ne  venaient  en 
aide  aux  courageux  explorateurs  que  l'amour  de  la  science  entraîne  vers  des  climats  lointains 
et  trop  souvent  meurtriers. 

Les  Galeries,  devenues  insuffisantes  pour  l'innombrable  quantité  d'échantillons  précieux  qui 
abondent  sans  cesse,  n’attendent  qu’une  allocation  indispensable  pour  étaler  dignement  leurs 
richesses  aux  yeux  du  public. 

Les  Ménageries  exigent  aussi  «les  constructions  plus  vastes,  des  hôtes  nombreux  et  plus 
variés , pour  que  le  Muséum  puisse  conserver  son  incontestable  supériorité. 

Le  désintéressement  «les  personnes  attachées  au  Muséum  est  l’une  do  ses  gloires;  mois  en 
France,  où  les  sentiments  généreux  font  battre  tant  de  nobles  cœurs  et  où  l’on  sait  supporter 
avec  orgueil  et  en  silenco  les  positions  les  plus  difficiles,  l'État  doit  veiller  à ce  que  ceux  qui 
lui  consacrent  leurs  travaux  et  leur  avenir  soient  rémunérés  honorablement  et  n’aient  pas  à 
redouter  pour  leurs  vieux  jours  un  abandon  qui  s’explique,  mais  qui  ne  se  justifie  pas  par  cet 
axiome  barbare  : Ingratitude  pour  les  vivants,  oxtb'i  pour  les  morts. 

Il  n’est  pas  douteux  que  lu  haute  pensée  <|ui  s’étend  avec  tant  de  sollicitude  sur  tout  ce  qui 
louche  aux  établissements  importants  de  la  capitale , ne  vienne  un  jour  accroître  la  splendeur 
du  Muséum,  encourager  les  services  présents  et  récompenser  les  services  acquis. 

L.  C. 


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PLAN  TOPOGRAPHIQUE  DU  .1 


Drpendamc  du  Masè 


Entrepôt 


lltrirr 


fh/urrr  tir  la,  Am  1/ s 
W Vt'Ufi'fU  ( MTMlV  > 
èfi  Brltrr.r  il  llyrs/rnt 
* Battua  t/r  Frartrt 

H .Uau/viu  </  .4/rttfur 
1*  Orfr  tf  Jttr/ùr 
tS  /rr/r  t/s  /rnts 

tt  ê 

t?  V,tu/f7tnut  a V /ttnrr 
*>  fft/rmu 

*9  Éjptmmrur  pAustr/rftfttar 
.»>  Brut.t  st  tAsr/r.r  . 
il  -Ifrttft  t/  fianur 
Si  Bat  rur  t/r  firsrr 
Si  Battus  ss  Aistfurrr 
St  AtsArr  a’  /lyrrtr  . 

J Irrû  st  BtsAat  tf  h-trtsfr 


LEGENDE 


/ forts  yntinpm/r  su  /arr  Uu  /ht/ 
a tu.i/rrlif» 

2 for/s  rur  frtrf/ray  .ff  Hiisurs 
J Ihte  placr  air  lu  Btfis 
t fort»  rur  (uns*- 
S Br  ru  futu  .T'  /frruurt/ 

S forts  r ts*  flu/fr’t  canJaUtntit  J 
? forts  rttf  Btt/fsn  su  fttsr  ,ùt  t*m/s  tir 
K Burra/t  st  Ja/lr  .1  at//utntjrtrm//ait 
* Br, tnd  atHjtlufhssisrr 
/#»  tralsrir,  rS  ilripAi/A/a/rs  t/s  ,/ts/sys 
tf  t/r  rurs/  aJoutr 
U ttm/sns  t/r  fisfurtyttr 
12  Btblirtkrtfttéi 

/J  B a/t rt, * ,/  kutrrr,  uaf/tsW/r 
It  bti/sstr»  S/  antyAt/Astt/rs  / amn/rmtr 
H Xrrtr  rsur/ttu  st  a t/su. r mstu.t  tf /wrt/Uuj 

16  Strr*r  /tu//irn  BsttU/,,  st  BhUÀtrt  . 

17  •timor  tttyitrt** 

Cn  'Ailler  iih 


!»  't/ryj  tint  rnU/t/ssu 

19  nrrtmotr\r 

20  /tfhsr.r  rf  re/rujuc 
il  Isytutsmr  t/r  f l Ira 


::  / 

ii  lirUnt/r  t/tu 
• * f'tt/jranr/rrtr 
iS  Fmitau/irrir 
3(  fort  aut  tartuar 
ST  St/uttrts 
Si . Inirmi/  t trrrrr.r 

39  Bçpftfor 
J0/tU:rra  ttu.r  t/urr 
J ! t'i/i/tyif  Bufiu/r 
JS  .Ht'u/fira  a m.iruAf/frj  stt. 
.farts 


Si  Cerf  sosAttn 
it  intt/rrr  fiuFtû 
Si  Bà/trrr  ony/utr 
Si  Am  tuf  lurs 
37  /frsôi.c  any/tturs  . 


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RDIN  DES  PLANTES  EN  1853 


Ceeuirr 


fhrfr  d.f/jerte 

in/e/ape  Bu  A a/e 
Bueueured 
*fr  de  fuyant 
trmea~ae  tè  Coma ff*r 
Leur  et  AtrAe.r 
*ff*  rt  BtfAae  du  Beetya/r 
l-n,t 

'"/Au  d/rure 
't’toyro 

"•/‘eue  de  CAtue 
•tAr  du  tûuadu  . 

'««*  rt  Am/mai- 

•¥*  f*uUt  Put  fa  de./ 

morde  Crv.rüee 

‘Uécrj  de  U uaur*'  HrUaad/ 


Atrtrurkes 
‘VU  ’l/.r  UCUS  . 

VÙSttMM  O/ft/elfe/fUetr  V Bu «*  n.r 
CAfO/-eu  du  . fret n tien 

Lama 

Aud/apr  rt  Caxe//e 
C6saraue/.e 

BemurAe  arme* 

Lama* 

! À erre.,  de  /a  Am*  Lyv/dr 

••airt/u  tarai /te 

ht  eu  fur  du  yrmud  LaJynuMe 


S7  tertre  du  / d'an 
U f>tu  I.uAyruitAs 
19  teueù/.r  rt  Jtmùt 

90  Ktm/ee  de  Artouufue 

9/  Au  /.art fia 

91  Carrer  CA/tySa/ 

9S  tarses  rjeurt.au  . 

9*  Carre 


9C  lierres  de*  p/aufu  ms. //renie Are 
97  .'suies  de  Ai  pspin/srr 
96  ferre  dm  art/  es  aesys  U,  mue  su* 
99  flesfurt  d aufaotne 
191  Basfuee  d rte 
101  .fusera  Atvyurt  du  rraueaytj 
Ht  ietrru  du  plante./  afua/ifuu 
tôt  Car  ru  d drAru  frue/iers 
m td/è 

Hi  Itaeu  douants 
I9P  Pept/uier.i 


’mp  Leo*rr:*r 


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Le  Jardin  des  Plantes,  c'est  le  résumé  de  la  création  : animaux  vivants  cl  morts,  minéraux, 
plantes  do  toute  nature  et  de  tout  pays,  tout  est  là.  La  capitale  du  monde  civilisé  lit  pas  do 
spectacle  plus  merveilleux  que  cet  admirable  abrégé  du  monde  matériel  ; en  vain  chercheriez- 
vous  à Paris  rien  de  plus  intéressant,  rien  île  plus  éternellement  beau.  Chose  rare,  et  cent 
fois  heureuse,  le  local  qui  renferme  tant  de  trésors  est,  rie  tous  points,  digne  de  sa  destination  : 
ce  serait  encore  la  plus  charmante  promenade,  si  ce  n’était  le  plus  magnifique  Musée.  Venez-y 
avec  confiance,  et  soyez  assuré  que  vous  y trouverez  toujours,  sans  avoir  jamais  à craindre 
la  saliélé,  do  quoi  fournir  aux  jouissances  des  yeux  et  satisfaire  les  curiosités  de  l’esprit.  Ne 
redoutez  point  la  confusion  qui  trouble  et  qui  fatigue;  l’ordre  régno  ici  dans  la  richesse;  tout 
est  à sa  place,  et  l’arrangement  double  le  prix  do  l'abondance. 

Avant  d’examiner  ce  que  contiennent  ces  Galeries,  ces  Serres,  ces  Jardins,  cos  Carrés,  ces 
Cages,  ces  Parcs,  ces  Collines,  jetons  un  coup  d’œil  rapide  sur  l’ensemble  de  ce  vaste  établis- 
sement; faisons-en  la  reconnaissance  : avant  de  prendre  possession,  dressons  sommairement 
l’état  des  lieux. 

Le  Jardin  des  Plantes,  successivement  agrandi , débarrassé  des  entraves  qui  te  gênaient, 
couvre  aujourd’hui  une  étendue  de  quatre-vingt-dix  arpents  environ.  Dégagé'  de  tous  les  côtés, 
il  a pour  limites,  à l’Est,  le  quai  Saint-Bernard;  au  Sud,  la  rue  de  Buffon;  à l’Ouest,  la  ruo 
Geoffroy-Saint  Hilaire,  qui  le  sépare  du  l’hôpital  de  la  Pillé;  nu  Nord,  la  rue  Cuvier. 

2 


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1 


10  DKlXlfcMK  PARTIR. 

Bien  îles  portes  donnent  accès  dans  le  Jardin;  entrez  de  préférence  par  la  porto  d’Austerlitz  : 
c'est  la  porte  principale,  l’entrée  d’honneur;  son  nom  est  moderne,  sa  date  ancienne.  De  la 
grille  qui  la  ferme,  vous  jouissez  d'un  coup  d’œil  imposant;  votre  regard  embrasse  toute  la 
profondeur  du  Jardin;  les  bâtiments  du  Cabinet  d’Ilisloire  naturelle  apparaissent  nu  loin, 
précédés  d'une  forêt  d’arbustes  et  de  plantes , que  bordent  et  dominent , de  chaque  enté , de 
superbes  allées  de  tilleuls;  vers  le  milieu  de  leur  développement,  ces  belles  allées  présentent 
plus  de  hauteur;  c’est  qu’à  partir  de  là,  elles  sont  l’œuvre  de  liuffon,  et  remontent  à 1740; 
le  reste  a été  planté  plus  lard. 

Voyez,  devant  vous,  l'immense  espace  compris  entre  les  allées  : il  est  occupé  par  une  suite 
de  Carrés  de  plantes  («"  96  du  plan),  tous  limités  par  des  treillages  en  bois  ou  des  grilles  en 
fer,  entourés  d'arbres  ou  d’arbustes,  consacrés  chacun  à une  destination  spéciale,  cl  ouverts 
généreusement  à l’étude.  Dés  votre  entrée  dans  le  Jardin,  vous  trouvez  la  bienfaisance  unie  à 
la  science  ; le  premier  Carré  qui  s'offre  à vous  est  celui  des  plantes  médicinales  : c’est  l’oflicine 
du  pauvre,  tout  s’y  délivre  gratuitement. 

Au  delà,  toujours  en  face,  sont  les  Carrés  du  Potager  et  des  Plaides  usuelles  (n°  95  du  plan)  ; 
puis  les  Carrés  Creux  fa”  94  du  plan),  qui  présentent  un  bassin  de  verdure  : autrefois,  ils 
étaient  remplis  d’eau  et  servaient  aux  plantes  aquatiques , que  nous  retrouverons  ailleurs. 
Viennent  ensuite  le  Carré  du  Fleuriste  («”  93  du  plan),  et  les  Carrés  Chaptul  (m°  92  du  plan), 
séparés  par  un  bassin  circulaire  ; on  y cultive  les  piaules  étrangères  herbacées  vivaces. 

En  suivant,  de  la  porte  d’Austerlitz,  où  nous  nous  sommes  tenus  en  entrant,  celle  longue 
série  d’enceintes  verdoyantes,  votre  œil  atteint  la  grille  qui  sépare  le  jardin  de  lu  cour  du 
Cabinet  d’IIisloiro  naturelle.  .Meltons-nous  en  marche  maintenant;  commentons  un  voyage 
qui  sera  triqi  varié  pour  devenir  ennuyeux,  et  où  l’intérêt  nous  soutiendra  contre  la  fatigue, 
si  elle  se  faisait  sentir. 

Dirigez-vous  à gauche,  et  entrez  sous  l’une  des  deux  allées  de  tilleuls  : en  la  parcourant 
ans  toute  sa  longueur,  vous  aurez,  à droite,  les  Carrés  du  milieu,  dont  je  vous  parlais  tout  à 
l’heure;  à gauche,  et  dans  des  enceintes  semblables,  le  long  de  la  grille  de  la  rue  de  liuffon, 
les  Carrés  du  Printemps  (n°  101  du  plan) , d’Été  (n*  tOO  du  plan ) , et  ceux  de  l'Automne 
(»•  99  du  plan),  les  Carrés  des  Arbres  verts  (Outquilu  d'Itiuer,  n°  98  du  plan) , puis  le  Carré 
des  Semis  de  la  pépinière  («°  97  du  plan)  : je  vous  les  montre  seulement  et  vous  les  nomme; 
eu  ce  moment,  nous  nous  promenons  partout  sans  nous  arrêter  nulle  part.  Nous  ne  profile- 
rons pas  encore  do  ces  sièges  et  de  ces  tables  rangés  au-devant  de  ce  Chalet  («“  101  du  plan) 
élevé  au  bout  du  Carré  des  Semis  de  la  pépinière , quelque  engageant  qu’en  soit  l’aspect  ; c’est 
un  Café  où  l’on  relève  ses  forces  éprouvées  par  une  longue  excursion  ; on  y jouit  d’une  vue 
charmante , du  calme  et  do  la  fraîcheur;  on  s’y  abrite  sous  le  premier  Sophora  du  Japon  qui  ait 
fleuri  en  Europe,  et  sous  le  premier  Acacia  venu  de  l’Amérique  septentrionale;  planté  par  Ves- 
pasien  Robin  en  1 635,  cet  arbre  vénérable  est  le  père  de  l’innombrable  postérité  qui  fait  l’orne- 
ment de  nos  parcs  et  de  nos  jardins. 

Passons.  Le  long  bâtiment  à deux  frontons  (n"1  10,  11,  12  du  plan),  qui  s’étend  parallèle- 
ment aux  Carrés  Chaptul , précédé  d’une  grille  cl  de  quatre  petits  carrés  de  fleurs , de  gazon  et 
d’arbustes,  contient,  sur  un  développement  de  cent  quatre-vingts  mètres,  les  galeries  de  Bota- 
nique, puis  celles  de  Minéralogie,  eufiu  la  Bibliothèque  et  les  Salles  pour  les  leçons  de 'dessin 
et  de  peinture  des  plantes. 

Traversons  la  grille  qui  nous  sépare  de  la  cour.  A gauche,  cette  maison  à deux  étages 
(«"  21  du  plan),  d'élégante  et  modeste  apparence,  c'est  celle  qu’habitait  liuffon;  c’est  là  qu'il 
recevait  les  hommages  de  l'Europe  savante,  qu’il  accomplissait  ses  immenses  travaux,  cl 
traçait  ses  immortels  écrits.  Les  appartements  du  grand  naturaliste  sont  dignement  occupés 
par  l'un  des  professeurs-administrateurs , homme  de  science  et  de  talent,  M.  Flourens. 

Dans  toute  la  longueur  des  galeries  de  la  cour  s'étend  le  bâtiment  des  Galeries  d’ilislnire 
naturelle  (n°  13  du  plan)  J vous  visiterez  à loisir  ces  trois  étages  de  salles  où  s'étalent,  dans 


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À 


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TOPOGRAPHIE.  11 

un  ordre1  parfait  et  une  admirable  conservation,  toutes  les  richesses  do  ce  qui  a vécu  jadis 
sous  le  nom  de  régne  animal. 

Montez  les  quelques  marches  d’un  escalier  facile  cl  orné  de  fleurs , et , sur  votre  gauche , 
vous  suivrez  une  terrasse  qui  horde  la  rue,  autrefois  du  Jardin  du  lloi,  aujourd'hui  rue 
Gcoffroy-Sainl-Hilairc  : c'est  mieux,  car  tout  ici  doit  rappeler  les  gloires  de  la  science. 

A travers  des  massifs  de  verdure,  vous  descendez  à un  joli  bassin  couvert  do  lierre,  qui 
reçoit  les  eaux  d'un  réservoir  (n°  19  du  plan).  En  face,  à l'angle  de  deux  rues,  est  une  |H>rle, 
et  au  delà  vous  voyez  une  fontaine  monumentale,  chargée  des  attributs  de  l'histoire  naturelle  ; 
elle  porte  le  nom  de  Cuvier,  légitime  hommage  rendu  à l'honnne  qui,  à quelques  [ms  de  là  , 
s'est  immortalisé  par  ses  découvertes.  Mais,  ne  sortons  pas  du  Jardin,  nous  avons  encore 
tant  à y voir! 

Pénétrez  par  le  premier  chemin  que  vous  verrez  s'ouvrir  entre  les  massifs;  il  vous  introduit 
dans  la  partie  haute  du  Jardin  ; des  allées  sinueuses , pratiquées  avec  art , peuplées  do  toutes 
les  variétés  d’arbres  verts , forment  le  grand  Labyrinthe , délicieuse  promenade  oh  votre  ail 
est  charmé , votre  intelligence  instruite , votre  coeur  ému.  Ici  vous  rencontrez  les  sveltes  pins 
d'Italie,  le  majestueux  Cèdre  du  Liban  (n°  87  du  plan) , ce  témoin  séculaire  du  passé,  qui  a 
couvert  de  son  ombre  des  générations  de  visiteurs.  Tout  près  de  cet  arbre  orgueilleux  se  cacho 
le  modeste  monument  élevé  à llauhenton  (n°  8t>  du  plan ) ; une  simple  colonne,  des  plantes, 
du  soleil , de  l’air  et  de  l'ombre , le  voisinage  des  collections , voilà  bien  la  tombe  de  l’homme 
qui  a voué  une  longue  et  paisible  vie  à l’étude  de  la  nature. 

Engagez-vous  dans  les  spirales  du  Labyrinthe,  elles  vous  mèneront  au  sommet  de  la  colline  : 
vous  y jouirez  du  panorama  de  Paris  (n“  85  du  plan);  vous  le  contemplerez  à votre  aise, 
assis  sur  les  lianes  du  kiosque  do  bronze,  belvédère  admirablement  placé,  dont  l’entrée  porte, 
on  ne  sait  trop  pourquoi , cette  inscription  aussi  ambitieuse  qu’obscure  ; Haras  non  numéro , 
nisi  scrcnas.  u Je  ne  compte  pas  los  heures , si  ce  n’est  les  sereines.  » Blâmons  en  passant  ce 
prétentieux  abus  do  sentences  vides  de  sens,  qui  nous  en  rappelle  une  autre,  gravée  par  une 
inspiration  contraire,  autour  d'un  cadran  dans  une  ville  d'Espagne  : Vulncrant  omnes,  ullima 
necal.  « Toutes  blessent,  la  dernière  tue.  » Ce  qui  prouve  qu’en  fuit  d’inscriptions  sententieuses, 
tous  les  goûts  peuvent  être  satisfaits. 

En  descendant , repassez  sous  le  Cèdre , et  un  chemin  qui  vous  donnera  l’illusion  d’un 
paysage  des  Alpes  vous  conduira  entre  deux  superbes  pavillons  vitrés  (n"  15  du  plan).  Ces 
palais  transparents  sont  les  serres  chaudes,. suivies,  d’un  côté,  d’une  longue  ligne  do  serres 
courbes,  au  devant  desquelles  s’élève  la  nouvelle  serre  à deux  pans,  qui  va  contenir,  à droite, 
les  Orchidées;  à gauche,  les  Fougères  ; au  centre,  un  Aquarium,  ou  Serre  aquatique;  enfin,  au 
bas  de  ces  trois  serres,  la  serre  à multiplication;  là  vivent,  réchauffées  par  une  hospitalité 
ingénieuse  et  savante,  des  milliers  de  plantes  auxquelles  notre  soleil  serait  glacial  et  mortel. 
Elles  sont  immenses  ces  serres  nouvelles,  elles  écrasent  de  leurs  larges  proportions  leurs 
devancières  et  leurs  voisines,  les  serres  Buffon,  Baudin  et  Philibert;  et,  pourtant,  elles  sont 
déjà  insuffisantes , comme  les  carrés  qu’elles  protègent  et  qu’elles  desservent;  les  bras  do 
l’homme  sont  si  petits  quand  ils  veulent  tenir  toute  la  nature  ! 

Revenez  un  peu  sur  vos  pas  : derrière  les  serres,  à droite,  vous  parcourrez,  sur  une  collino 
pou  élevée,  les  allées  pittoresques  du  petit  Labyrinthe  (»“  88  du  plan).  A son  extrémité  septen- 
trionale se  dessine,  comme  une  vaste  corbeille,  rafraîchie  par  un  jet  d’eau,  un  gazon  circu- 
laire oh  se  déposent  les  caisses  des  orangers  et  d’autres  arbustes  délicats.  D’élégants  Palmiers 
s’élancent  à la  porte  du  granil  Amphithéâtre  (n«  9 du  plan) , dont  cette  pelouse  semble  être  la 
gracieuse  salle  d'attente.  L'Amphithéâtre  a quelquiTchose  d'imposant  dans  scs  formes  compli- 
quées et  un  peu  lourdes;  il  inspire  lo  respect  pour  le  souvenir  des  grands  hommes  qui  y ont 
professé,  et  pour  la  présence  des  hommes  éminents  qui  y perpétuent  les  traditions  de  la  «cienco 
et  du  dévouement. 

A côté,  une  cour  s'ouvre  sur  la  rue  Cuvier;  elle  renferme  le  bâtiment  de  l'administration  et 


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12 


DEUXIÈME  PARTIE. 

des  laboratoires  (n«  8 du  plan).  Un  établissement  qui  possède  un  matériel  inappréciable,  et  qui 
correspond  avec  les  savants , avec  les  voyageurs  du  monde  entier,  a de  grandes  nécessités 
administratives,  et  les  préparations  de  toute  espèce  qui  s’y  font  sans  cesse  ont  besoin  de  tous 
les  secours  rie  la  chimie  et  de  la  physique , avec  leurs  instruments  les  plus  précis  et  les  plus 
ingénieux.  Dans  cette  cour,  et  de  distance  en  distance,  tout  le  long  rie  la  rue  Cuvier,  se  déro- 
bent, à travers  les  fleurs  et  les  arbres,  comme  dans  des  oasis,  de  modestes  habitations  (?<°*  21 
du  plan);  c'est  l'asile  de  l’observation  solitaire,  de  l'étude  silencieuse,  du  travail  retiré,  la 
demeure  des  professeurs  et  des  employés.’  Vous  pouvez  avec  confiance  saluer  de  vos  respects 
chacune  de  ces  fenêtres  : l'une  éclaire  l'appartement  des  Jussieu , ces  souverains  créateurs  de 
la  science  botanique , et  ou  vient  de  s’éteindre  Adrien  rie  Jussieu , qui  portait  avec  gloire 
le  poids  «le  ce  nom  illustre,  qu'il  avait  su  honorer  encore  par  les  plus  nobles  travaux; 
l’autre  est  celle  de  M.  Chevrcu),  dont  notre  industrie  bénit  les  précieuses  découvertes,  et  qui  a 
si  dignement  succédé  à l'illustre  Yauquclin.  Plus  loin,  c’est  à Geoffroy -Saint -Hilaire  «pie 
vos  hommages  s'adresseront , et  vous  honorerez  en  même;  temps  les  deux  générations  où  les 
vertus  du  cœur,  le  culte  de  la  science,  l’élévation  des  idées  brillent  «l'un  si  pur  éclat.  Loin  des 
bruits  du  inonde,  au  centre  «les  produits  oii  ils  cherchent  sans  cesse  de  nouvelles  découvertes, 
ces  hommes  laborieux  jouissent  du  bonheur  que  leur  donnent  la  j>enséc  satisfaite,  les  services 
rendus , l’estime  acquise.  Je  ne  suis  si  c’est  la  meilleure  des  républiques , mais , à coup  sûr, 
c’est  la  plus  heureuse  des  colonies. 

Derrière  le  grand  Amphithéâtre,  vous  apercevez  une  de  ces  maisons,  célèbre  entre  toutes, 
celle  oii  a vécu  Georges  Cuvier;  puis,  tout  près,  à la  portée  et  comme  sous  la  main  de  ce 
grand  naturaliste , les  instruments  ou  plutôt  le  témoignage  et  les  preuves  de  la  science  créée  ✓ 
par  son  génie,  les  innombrables  pièces  d’anatomie  comparée  qui  remplissent  tout  un  musée 
renfermé  dans  un  vaste  bâtiment  («°  14  du  plan)  ; plus  tard,  vous  admirerez  cette  immense 
collection  sans  pr«'*eédent  et  sans  égale.  Quant  à présent , jetez  seulement  un  coup  d’œil  sur  la 
cour,  ornée  d’ossements  trop  grands  pour  trouver  place  dans  les  galeries,  et  du  squelette 
monstrueux  d’un  Cachalot;  saluez  en  passant  le  petit  amphithéâtre  annexé  au  Musée,  et  d’où 
se  sont  répandues  les  lumières  de  la  science  inaugurée  par  Cuvier. 

Après  <|uclques  jolies  habitations  d’employés,  se  présente  un  petit  édifice  (n°  20  du  plan), 
que  l’on  prendrait  pour  une  serre;  approchez  de  son  vitrage  : vous  reconnaîtrez,  non  peut-être 
sans  quelque  frémissement,  le  Musée  erpétologique,  séjour  des  Hoplites  vivants,  où  les  soins 
les  plus  intelligents  et  les  plus  courageux  entretiennent  la  vie  et  permettent  d’observer  les 
mœurs  «lu  terrible  Crotale,  du  Trygonocéphalc,  du  Kaïuian,  «le  la  Vipère  et  d'une  foule  d’au- 
tres animaux , «pii  excitent  tout  l’intérêt  de  l'élude , tandis  qu’ils  n’inspirent  au  vulgaire  «pie  la 
frayeur  ou  le  dégoût. 

Passez  devant  les  grands  ateliers,  les  magasins  et  remises  [u°  20  du  plan),  que  nécessitent 
les  besoins  si  variés  de  l’établissement;  vous  trouverez  encore,  à gauche,  quelques  habitations 
de  modeste  apparence  noyées  dans  «les  massifs  de  luxuriante  verdure  : l’une  d'elle  abrite  le 
respectable  régénérateur  de  la  science  erpétologique , le  créateur  de  la  Ménagerie  des  Repti- 
les, dont  nous  parlerons  plus  tard,  avec*  tout  le  soin  qu’elle  mérite,  un  nom  «wnnu  par  toute 
la  terre,  M.  Duméril,  Directeur  en  exercice  «lu  Muséum.  I n beau  carré  d’arbres  fruitiers  (n°  103 
du  plan),  aboutit  a la  porte  du  quai  Saint- Remard ; la  grille  qui  longe  le  quai  vous  mènerait 
jusqu’à  la  grande  porte  «l’Austerlitz;  n’allez  pas  si  loin  : suivez  seulement  le  Carié  d’arbres 
fruitiers  qui  borde  le  «piai  et  qui  est  séparé  de  l’autre  par  un  beau  parc  («”*  51, 52,  53  du  plan), 
où  vous  verrez  courir  à la  fois  nos  Daims  de  France,  le  Daim  de  Grèce,  le  Kangurno  de  la 
Nouvelle-Hollande  et  l’Agouti  aux  formes  élégantes  et  au  joli  pelage.  Maintenant,  arrêtez-vous, 
et,  tournant  le  dos  a la  rivière,  regarder,  dans  la  profondeur  du  Jardin,  ces  enceintes  gazon- 
nées,  ces  touffes  d’arbres,  ces  treillages  élevés,  ces  huttes,  ces  chalets,  ces  constructions 
de  toutes  grandeurs  «*t  «le  tous  caractères,  ces  chemins  sablés  qui  s’enfoncent  dans  toutes  les 
directions;  cet  ensemble  si  pittoresque,  si  attrayant,  s’appelle,  sans  doute  à cause  de  sa  fral- 


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TOPOGRAPHIE.  U 

chcur  ot  de  sa  variété,  la  Vallée  Suisse;  il  est  bien  entendu  que  vous  n'y  verrez  ni  vallons,  ni 
montagnes , ni  lacs , ni  cascades , m glaciers. 

Voici  d'abord  la  Ménagerie  dos  animaux  féroces  («"  28  du  plan ) ; l'odorat , avant  la  vue , 
vous  avertit  de  la  présence  de  ces  redoutables  hôtes.  Leurs  loges,  fortement  grillées  du 
côté  du  public,  s’ouvrent  par  derrière  : toutes  les  précautions  de  sûreté  sont  prises.  La  Ména- 
gerie n'est  pas  un  objet  de  vaine  curiosité  ; un  vaste  terrain , qui  eu  dépend , est  consacré  aux 
expériences  physiologiques. 

A gauche , et  comme  pour  faire  contraste  aux  farouches  habitants  des  loges , do  gracieux 
parcs,  limités  par  des  claire-voies,  renferment  des  Moutons  d'Astracan,  «les  Cerfs  de  diverses 
espèces,  des  Zèbres,  le  Dauw  et  le  Cerf  cochon.  Prenez  ensuite  à droite,  uprès  avoir  tra- 
versé des  parcs  de  Moutons  d’Abyssinie,  vous  êtes  devant  l’immense  Rotonde  oti  les  Singes 
(n°  27  du  plan)  gambadent , jouent,  grimacent  et  mangent;  on  a apjtelé  cela  un  palais  : vous 
verrez  si  ce  n’est  pas  à la  fois  un  gymnase,  un  réfectoire,  un  dortoir,  un  théâtre;  après  tout, 
qu’importe  le  nom?  A côté  de  ces  remuants  quadrupèdes,  un  terrain  et  un  bâtiment  ont  été 
réservés  pour  los  expériences  physiologiques.  Plus  à droite  encore,  vous  avez  devant  vous 
la  Fauconnerie  (11"  25  du  plan),  oit,  derrière  des  grillages  , à l’air  et  au  soleil,  perchent  les 
Oiseaux  de  proie  de  nos  climats  et  des  pays  étrangers,  A droite  de  ce  parc,  se  trouve  («”  2ü 
du  plan)  le  faire  aux  Tortues. 

Retournez-vous  quelque  fieu,  un  plus  aimable  spectacle  vous  attire  : lu  Faisanderie  («"  24 
du  plan),  cet  hémicycle  de  III  do  fer,  cette  réunion  de  cages  spacieuses,  retient  prisonniers  de 
beaux  et  pacifiques  Oiseaux  : le  Faisan , la  Perdrix , la  C.oloinhe,  le  Rossignol , et  cent  autres  ; 
un  bassin,  qui  su  trouve  placé  derrière  ce  bâtiment  et  que  vous  pouvez  apercevoir  de  l'extré- 
mité septentrionale  de  la  volière,  donne  l’hospitalité  aux  Oiseaux  aquatiques  précieux,  tels  que 
le  Pélican,  l’Ihis  sacré.  Le  Phoque  profite  aussi  de  ce  bassin  pour  y donner  le  spectacle  do  ses 
jeux , de  son  agilité  et  de  son  attachement  â son  gardien. 

Los  captifs  emplumés  ne  sont  séparés  que  par  le  parc  aux  llémioncs  («°  62  du  plan),  do  la 
massive  Rotonde  (n°  23  du  plan),  flanquée  de  pavillons,  qui  reçoit  les  plus  grands,  ou  les 
plus  vigoureux,  nu  les  plus  délicats  des  Ruminants.  De  ce  square  à hôtes,  où  une  bonne 
police,  avec  de  larges  poutres  et  de  forts  barreaux  de  fer,  maintient  l’ordre  et  la  tranquillité, 
sortent , dans  les  parcs  affectés  A leur  promenade , la  Girafu  élancée , le  pesant  Éléphant , le 
Rhinocéros  farouche,  le  Chimpanzé  aux  mœurs  si  douces  et  d’une  agilité  si  charmante,  l’utile 
et  olmissant  Chameau;  d’autres  y figurent  encore  quand  l’âge  ou  le  climat  leur  permet  do  vivre 
pour  notre  plaisir  et  notre  instruction. 

Tout  autour  de  In  Rotonde  s’étendent  de  grands  parcs  ombragés,  divisés  en  nombreux  com- 
partiments, disposés  selon  les  mœurs  de  leurs  habitants;  ici  les  Rennes,  un  peu  plus  loin  les 
Cerfs  de  Virginie  cl  le  Bubale,  les  Couaggas;  là  les  Aulruchos  et  lus  Casoars,  et  leurs  voisins 
los  Axis,  et  l'armée  de  nos  oiseaux  aquatiques,  partageant  leur  mare  et  vivant  en  bonne  intel- 
ligence avec  de  gros  Buffles  pacifiques;  au  delà  les  Mouillons  et  les  Chamois,  puis  les  Alpacns 
et  les  Cerfs  du  Malabar.  Tous  cos  hôtes  du  Jardin , et  d’autres  que  je  ne  puis  seulement  pas 
vous  nommer,  tant  d’ailleurs  cette  population  est  mobile  : les  Lamas,  les  Gazelles,  etc.,  ont  de 
charmants  logis,  commodes  pour  eux,  pittoresques  pour  nous  : devant  les  cabanes,  les  murs, 
les  ruines,  les  huttes,  ils  peuvent  se  croire  dans  leur  pays,  et  nous  pouvons  nous  figurer  que 
nous  y sommes  avec  eux;  au  Jardin  îles  plantes,  on  devient  cosmopolite. 

Vous  devez,  c'est  une  tradition  constante  des  promeneurs,  une  station  aux  trois  fosses  à 
compartiments  où  l’on  retient  les  Ours  («”  30  du  plan).  Leur  posante  démarche  amuse,  on 
aime  leur  maladresse;  on  excite  leurs  lourdes  gentillesses  par  la  gourmandise,  mais  on  redoute 
la  férocité  de  leur  gloutonnerie;  ils  mangeraient  votre  tôle  tout  aussi  bien  que  le  morceau  de 
pain  qu'on  leur  jette.  Regardons  avec  précaution,  et  poursuivons  notre  chemin. 

Nous  voici  à l’Orangerio  ( n"  17  du  plan).  Elle  est  spacieuse , simple,  bien  disposée;  au 
devant,  tournées  vers  le  Midi,  sont  les  serres  tempérées  et  les  serres  des  Orchidées;  deux 


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H DEUXIÈME  P A H T I E . 

enclos  bien  abrités  renferment  des  couches  et  semis  (n°  80  du  plan).  Une  avenue,  parallèle  à 
l’allée  des  Tilleuls  du  cèlé  droit , longe  dans  toute  leur  étendue  les  écoles  de  botanique.  Deux 
immenses  rectangles,  formés  par  des  grilles  do  fer,  ouverts  h deux  extrémités,  entourés  d’ar- 
bres rafraîchis  par  des  bassins  circulaires,  contiennent  de  nombreux  carrés  où  sont  cultivées 
les  innombrables  plantes  nécessaires  à la  belle  science  des  Linné,  des  Jussieu. 

L’enseignement  y puise  comme  dans  un  réservoir  intarissable,  et  l’étude  y trouve  toujours  un 
libre  accès  (nM  00  du  plan).  Dans  une  de  ces  enceintes  s’élève  h*  pin  Laririo  («°  01  du  plan). 

A l’extrémité  des  écoles  do  botanique,  on  a logé  des  plantes  aquatiques  (n°  102  du  plan ), 
complément  des  richesses  végétales  du  Jardin. 

Nous  voici  revenus  près  de  la  porte  d'Austerlitz.  Avant  de  sortir,  permettoz-moi  de  vous 
demander  si  vos  yeux  ne  se  sont  portés  que  sur  les  objets  que  je  vous  ni  signalés?  S’il  en  est 
ainsi,  tant  pis  : vous  avez  beaucoup  perdu.  Partout  où  la  huile  a quelque  chose  à regarder,  le 
spectateur  lui-même  n’est-il  pas  un  curieux  spectacle?  Les  galeries,  les  parcs,  les  serres  du 
Jardin  des  Plantes  renferment  toutes  les  variétés  des  végétaux , des  minéraux  et  des  animaux  ; 
ses  allées  sont  peuplées  par  toutes  les  variétés  de  la  physionomie  humaine.  Habitués  indi- 
gènes , touristes  du  dehors,  Parisiens  de  tous  les  quartiers,  voyageurs  de  tous  les  pays,  c’est 
une  population  moitié  permanente,  moitié  renouvelée,  tableau  toujours  semblable  et  tou- 
jours changé,  amusement  toujours  nouveau  pour  l’observateur.  Jo  vous  ai  dit  que  le  Jardin 
des  Plantes  est  le  résumé  de  la  création;  je  puis  vous  dire  aussi  qu’il  est  l’abrégé*  de  la  société. 

Choisissez  un  jour  de  beau  soleil,  un  jour  de  fête  surtout,  une  heure  oii  tout  est  rangé  dans 
le  ménage,  où  tout  est  ouvert  au  Muséum  d'histoire  naturelle  : vous  verrez  passer  par  toutes 
les  portes  la  belle  dame  descendant  de  son  carrosse , le  bourgeois  amené  de  loin  par  une  voi- 
ture de  place,  l’artisan  qui  sort  de  l’omnibus,  l’ouvrier  en  blouse,  le  soldat  en  grande  tenue, 
la  cuisinière  en  bonnet  à rubans  roses , le  paysan  dans  ses  habits  du  dimanche , des  jeunes , 
des  vieux  , des  tournures  parisiennes , des  démarches  exotiques. 


Dans  celte  invasion , tout  le  monde  ne  va  pas  partout  : les  nouveaux  venus  seuls  explorent 
tout  ce  qui  attire  leur  curiosité;  les  habitués  suivent  leur  chemin  et  vont  à leur  place  de  tous 
les  jours,  les  visiteurs  d’occasion  cou  mil  aux  objets  de  leur  préférence.  Vous  reconnaîtrez 
sans  peine  les  individus  de  ces  différentes  espèces. 

Pour  un  certain  nombre  de  Parisiens,  et  pour  beaucoup  do  campagnards , le  Jardin  des 


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15 


ASPECT  GÉ.NÉll  AL  I)L  JARDIN 


Plantes,  c'est  la  Ménagerie.  Aussi,  quelle  nombreuse  société  s'assemble  toujours  devant  le 
Lion  et  lu  Panthère,  l’Hyèno,  lu  Tigre  et  lu  Chacal!  Là,  surtout  au  moment  où  les  gardiens 
distribuent  la  nourriture,  vous  rencontrerez  une  complète  collection  de  casquettes  et  de  shakos, 
de  vestes  et  de  bourgerons , de  tartans  et  de  cornettes.  La  même  affluence  des  mêmes  specta- 
teurs se  presse  autour  du  pnltiis  des  Singes,  et  les  cris  do  joie,  les  compliments,  les  applau- 
dissements ne  manquent  jamais  aux  tours  d'adresse , aux  espiègleries,  aux  gambades  bizarres 
et  au  bon  Appétit  de  ces  messieurs.  Les  liabitaus  de  lu  Itotondo  n'ont  pas  moins  de  succès , 
succès  plus  calme  et  plus 
sérieux  : la  (iirafe , l’Élé- 

le  besoin  de  causer  avec 

.Martin  : il  l'appelle,  il  le  flatte,  lui  commande  ses  exercices,  lui  promet  sa  récompense, 
le  fait  grimper  sur  son  arbre , lui  montrant  un  pain  ou  un-  gâteau , qu’il  lui  jette  souvent , 
qu'il  emporte  quelquefois  en  se  moquant.  Avec  quelle  attention  le  vétéran,  la  grisette,  la  bour" 
geoise  et  ses  enfants,  la  jeune  tille  et  son  père,  contemplent,  par  dessus  les  grilles  de  fer, 
l’intéressant  spectacle  des  évolutions  de  Martin  et  de  ses  compagnons! 

Si  vous  voulez  entendre  îles  observations  naïves,  des  paroles  niaises,  des  réflexions  amu- 
santes, suivez  les  contours  de  la  Vallée  Suisse.  Lu  enfant  se  récriera,  en  tondant  ses  petites  mains 
vers  le  treillage,  sur  la  gentillesse  des  Gazelles  ou  îles  Moulons,  sur  le  plumage  des  Oiseaux. 
Un  ouvrier,  bon  père  et  bon  époux,  bissant  son  fils  sur  son  épaule,  lui  expliquera  de  son 
mieux  les  animaux  qu'il 


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10 


|>Kl  MÊME  PARTIE. 


Si  la  solitude  h deux  est  le  bonheur, 
comme  on  l’a  dit , l’autre , la  vraie  soli- 
tude , peut  rendre  indépendant , mais  je 


L’enfant  ne  manquera  pas  de  profiler  d’une* 
science  si  bien  acquise  et  si  bien  J démon- 
trée. 

Cherchez-vous  les  poursuivants  de  la 
vraie  science?  Entrez  dans  les  galeries, 
dans  la  bibliothèque,  dans  les  laboratoires 
ou  l'on  scrute  les  secrets  de  la  nnture , où 
le  microscope  découvre  des  mondes  incon- 
nus , dans  les  carrés  oii  travaillent  avec 
amour  des  jardiniers,  qui  sont  à la  fois  des 
savants  et  des  artistes,  où  stationnent,  dans 
un  costume  qui  annonce  tantôt  le  laisser 
aller  des  mœurs  de  l’école,  tantôt  une  cer- 
taine élégance  étrange  et  sans  façon,  quel- 
ques étudiants  enlevés  à l’estaminet  par  la 
botanique.  Ce  n’est  pas  toujours  l’étude  qui 
amène  l’étudiant  au  Jardin  des  Plantes;  je 
vous  laisse  à penser  quelles  leçons  donne 
«ni  reçoit  celui  qui  gravit , en  compagnie 
d’une  femme  élégante  et  fraîche,  les  sentiers 
«lu  Labyrinthe;  ils  paraissent  tous  deux  très- 
affairés  do  ce  qui  les  occupe.  Ne  troublons 
pas  leur  promonade. 


doute  quelle  rende  longtemps  heureux.  Il  n'est  pas  bon  que  l’homme  soit  seul  : cette  parole 
date  du  commencement  du  momie;  elle  n'a  pas  cessé-  d’ftrc  vraie  : aussi  quels  stigmates  de 
tristesse  ou  d'ennui  sur  la  figure  de  la  plupart  de  ces  isolés,  volontaires  ou  forcés!  que  d’ef- 
forts pour  trouver  un  compagnon!  quel  besoin  d'un  secours,  d'une  affection,  d’un  b. as 


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/'>/■  Jt 


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ASPECT  OÉNÛIUL  1)1  JARDIN. 


17 


étranger,  du  cœur  d'autrui!  N'est-ce  pas  le  souvenir  d'une  société  perdue , nu  l'espérance 
d’uno  nouvelle  association,  qui  occupe  mélancoliquement,  sous  les  ombrages  des  Tilleuls, 
celte  femme  entre  deux  Ages,  couverte  d'un  reste 
d'élégance,  la  tête  cnveloppéo  d'un  voile  qui 
cache  son  visage  en  le  laissant  voir,  la  taille  en- 
veloppée d'un  cliAlo  ou  d'un  mautelet  qui  la 
couvre  en  la  faisant  deviner  ! 

\ quoi  rêve  ce  vieux 
promeneur,  qui  ne  regarde 
rien,  parce  qu’il  sait  tout 
par  coeur,  et  qui  ne  semble 
avoir  d’autre  ami  que  sa 
canne?  Cet  homme  n’aime 
que  lui,  ne  pense  qu'A  lui  ; 
cela  ne  le  rend  ni  beau, 
ni  aimable. 

Et  cet  autre,  pesam- 
ment appuyé  sur  son  pa- 
rapluie, l’oeil  fixé  sur  le 
sable,  comme  si  les  feuilles 
des  allées  et  les  fleurs  des 
carrés  n’existaient  pas  pour 
lui;  sa  mise  accuse  une 
- certaine  aisance,  mais  sa 
figure  est  tout  calcul;  s'il 
vient  ici,  c'est  parce  que  cela  ne  lui  coAte  rien,  et  qu'il  peut  repassa  gratis  le  compte  do 
ses  rentes  et  le  chiffre  de  ses  économies.  Celte  petite  l onue , A la  mise  coquette,  A l’œil 


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,8  DKIMKMK  PARTIR 

vif  et  quêteur,  croyez-vous  qu'elle  soit  satisfaite  de  la 
compagnie  du  mioche  que  ses  maîtres  lui  ont  donne  à 
garder  et  à promener?  Puisse  son  mauvais  destin  ne  lui 
faire  pas  rencontrer  le  galant  troupier , ou  l'etudiant 
roué,  qui  charmerait  trop  bien  son  isolement,  et  I en- 
traînerait peut-être  loin  île  l’innocent  Jardin  des  Plantes  ! 
Souhailez-lui  de  se  métier  des  hommes , dont  elle  aime 
tant  à fixer  les  regards;  espérons  même  qu'elle  ne  s'ar- 
rêtera pas  devant  ce  provincial,  qui  braque  sur  elle  sou 
binocle;  un  Invelaco  de  chef-lieu  d’arrondissement,  en 
congé  à Paris , est  un  être  souvent  ridicule , mais  dan- 
gereux pour  la  cuisine  et  pour  l'antichambre. 


Voyez  passer  celte  marchande  de  gàli  aux , 
portant  son  magasin  sous  son  liras  ; elle  va 
là  oit  l’appelle  l'enfance  généreuse , d’humeur 
donnante,  et  de  grand  appétit.  Il  faut  des  gâ- 
teaux à ees  petits  gardons  qui  veulent  voir  manger  l'Éléphant,  à ces  petites  filles  qui  partagent 
leurs  friandises  avec  les  Biches  et  les  Chevreaux,  et  qui  viennemt  ensuite  danser  en  rond,  à 
l'ombre  des  vieux  arbres,  sous  la  surveillance  maternelle. 

Il  faut  une  nourriture  plus  forte  à ces  familles  anglaises , que  vous  rencontrez  au  Muséum 
d’histoire  naturelle,  comme  vous  les  trouvez  dans  tous  les  monuments  de  Paris,  sur  toutes  les 
lignes  de  chemins  de  fer,  sur  tous  les  bateaux  à vapeur;  ils  sont  reconnaissables  à la  propreté 
et  à l'originalité  de  leur  mise,  à la  cadence  de  leur  marche,  et  à la  voracité  de  leur  faim  : 
leurs  enfants  mangent  toujours,  et  ils  fout  toujours  comme  leurs  enfants. 


Ce  qu’ils  consomment  en  un  jour  suffirait  pour  nourrir,  pendant  un  an,  le  caniche  de  la 


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aspect  général  di  jardin.  io 


boune  vieille  portière  retirée , qui  ne  manque  pas  Jo  conduire  chaque  après-midi  son  uzor  nu 
kiosque  du  Labyrinthe,  ou  près  des  animaux  apprivoisés. 

In  Jardin  si  grand,  où  tant  do  monde  marche,  serait  incomplet,  presque  inhumain,  s'il 
n’offrait  pas  au  public  des 
moyens  do  repos.  Les  vieil- 
lards, et  il  y en  a beaucoup 
parmi  scs  habitués , comp- 
tent sur  ses  boucs;  ils  s'y 
traînent  quelquefois  péni- 
blement , appuyés  sur  un 
bras  do  noveu , de  frère  ou 
de  domestique. 

I n banc , sous  un  bel  ar- 
bre, devient  pour  eux  un 
excellent  cabinet  de  lecture  ; 
colui  qui  a les  meilleurs 
yeux , ou  les  meilleures  lu- 
nettes , lit  à haute  voix  , 
consciencieusement,  et  sans 
se  permettre  ni  admettre  au- 
cune interruption,  le  journal 
de  la  veille;  ou  fait  ccrclo  autour  do  lui,  et  il  y a tant  d'espaeo  pour  les  promeneurs , que  ces 
paisibles  salons  sont  respectés , comme  le  sont  aussi  les  conversations  qui  s'établissent  partout 
où  il  y a deux  chaises  : si  vous  pouviez  entendre  ce  qui  s’y  dit , cela  vous  amuserait  ; mais  il 
faudrait  écouter,  et  ce  serait  indiscret. 


Vous  avez  aussi , et  en  bon  nombre,  les  lecteurs  solitaires;  ce  ne  sont  pas,  soyez-en  cer- 
tains, des  gens  cuiieux  d'histoire  naturelle  : ceux-là,  si  vous  voulez  les  voir  lire,  allez  à la 
bibliothèque , fréquentée  comme  le  jardin  et  les  galeries , ouverte  avec  générosité , servie  avec 
une  intelligente  obligeance.  Ces  liseurs , assis  ou  on  marche,  ce  sont  les  lectuiiers  qui  ne  sau- 
raient faire  un  pas  sans  un  livre;  les  petits  bourgeois,  qui  cherchent  sous  les  Tilleuls  l'air 
absent  do  leurs  chambres;  les  bas  bleus  descendus  de  leur  mansarde;  les  rentiers,  qui  finissent 
en  paix  la  lecture  de  leur  journal,  commencée  dans  le  tracas  du  nettoyage  matinal,  ou  au  bruit 
des  aigres  paroles  de  la  méuagère. 


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29  DEUXIÈME  PARTIE. 

No  vous  mêlez  pas  sut  entretiens  do  cet 
homme  à figure  ignoble  et  sinistre  avec  ce 
jeune  ouvrier;  n’approchez  pas  des  groupes 
qui  causent  dans  les  coins  obscurs  et  retirés  ; 
ceci  regarde  les  agents  de  police  : soyez  sûr 
qu'ils  no  sont  pas  loin. 

Chaque  jour  la  voix  et  les  pas  des  visiteurs 
se  mêlent  aux  cris  des  animaux , et  l'empres- 
sement de  la  curiosité  rivalise  avec  les  travaux 
do  la  science.  Chaque  jour,  les  grilles  du  Jardin 
se  ferment  sur  une  foule  composée  dos  mêmes 
éléments,  foule  qui  jous  montre,  ainsi  que 
dans  tous  les  lieux  où  se  déroulu  le  drame  de  la 
vio  sociale,  l’enfance  naivo  ou  déjà  prétentieuse, 
la  jeunesse  sérieuse  ou  folle,  la  fortune  blasée, 
la  médiocrité  mécontenta  ou  niaise,  l'intrigue 
sous  toutes  les  toilettes,  le  vice  sous  tous  les 
habits,  sans  exclure  les  représentants  des  qua- 
lités sérieuses,  les  adeptes  de  la  science,  les 
amoureux  du  bien-être  réfléchi.  Darnain  sera  comme  aujourd’hui  : on  peut  même  le  prédire, 
le  pèlerinage  du  Jardin  des  Plantes  sera  de  plus  en  plus  fréquenté , car  les  années  ajoutent  à 
son  étendue , à la  variété  de  ses  aspects , à la  richesse  de  ses  collections  ; il  est , et  sera  plus 
que  jamais  l’histoire  et  le  tableau  du  monde  où  uous  vivons  : c'est  sa  gloire,  ut  le  gage  du  sa 
prospérité. 


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Il  s'agit  maintenant  d'observer  le  Jardin  dus  Plantes  sous  le  point  do  vue  botanique;  nous 
allons  visiter  les  Carrés,  les  Serres,  les  Galeries,  et  vous  connaîtrez  les  glorieux  travaux  de 
Taurncfurl,  de  Linné,  des  Jussieu,  travaux  impérissables  commit  le  Règne  végétal  qu'ils  ont 
illustré. 

En  m’acceptant  pour  votre  guide,  vous  m’avez  formellement  déclaré  que  vous  êtes  exempt 
do  toule  ambition  scientifique,  qu’un  fauteuil  à l’Institut  ne  vous  lente  pas;  quo  le  bonnet  do 
docteur  en  médecine  n’a  rien  qui  vous  plaise;  que  vous  n’aspirez  même  pas  au  diplôme 
d’berboriste  : vous  consentez  à vivre  obscur  dans  cetto  foulo  immense,  que  les  savants 
appellent  modestement  le  vulgaire;  vous  voulez  posséder  quelipies  notions  simples  et  précises 
sur  la  vie  des  plantes,  sur  les  harmonies  nombreuses  et  providentielles  qui  les  unissent  aux 
animaux,  sur  les  mœurs  dos  plus  curieuses  d’entre  elles;  vous  voulez  enfin  savoir  quels 
moyens  la  pationlo  sagacité  des  législateurs  du  Régne  végétal  a employés  pour  los  classer  en 
tribus,  en  légions,  on  cohortes,  moyens  si  ingénieusement  combinés,  qu’un  observateur  peut, 
on  quelques  minutes,  trouver,  au  milieu  do  cent  mille  espèces  do  plantes,  le  nom  de  famille, 
le  nom  de  baptême  et  le  signalement  détaillé  de  la  Fleur  qu’il  vient  de  cueillir. 


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22 


DEUXIÈME  PARTIE. 

D'un  autre  côté,  vous  vous  effrayez  à juste  titre  de  celte  énorme  quantité  de  termes  tech- 
niques, grecs  et  latins,  dont  s’est  hérissée  une  science  qui  pouvait  rester  française;  enlin, 
pour  vous  mettre  à l'abri  du  soupçon  do  frivolité,  vous  m’avez  exprimé  tout  le  mépris  que 
vous  inspire  la  botanique  galante  de  certains  écrivains,  qui  n'ont  vu  dans  l'histoire  des  Fleurs 
qu'un  sujet  de  bouquets  à Clitoris. 

Bassurez-vous  sur  ce  dernier  point  : vous  n'aurez  pas  h craindro  ces  allusions  fades  et  celte 
poésie  musquée,  dont  l'arome  factice  masque  le  parfum  naturel  de  la  Fleur  dits  champs;  nous 
écarterons  de  la  Botanique  les  futiles  atours  dont  l'avaient  ornée,  croyant  l'embellir,  quel- 
ques faiseurs  de  madrigaux  ; nous  la  dépouillerons,  en  outre,  autant  qu'il  nous  sera  possible, 
de  sa  relie  scolastique  et  de  son  odeur  de  drogue.  Quant  à la  nomenclature,  je  conviens  que 
les  auteurs  ont  étrangement  abusé  du  privilège  de  créer  des  mots  nouveaux  (qui  n'oxprt- 
ment  pas  toujours  des  idées  nouvelles)  ; mais  l'abus  ne  doit  point  nuire  à l'usage  : toute 
science  a le  droit  d’avoir  sa  langue  spéciale;  l'essentiel  est  de  ne  pas  appauvrir  celte  langue 
par  des  synonymes  : or,  notre  dictionnaire,  à nous  gens  du  monde,  pouvant  se  borner  à une 
vingtaine  de  termes  techniques,  je  vous  promets  de  ne  pas  dépasser  ce  nombre,  et  de  faire  on 
sorte  qu'il  vous  suffise  pour  étudier  l'organisation  des  végétaux. 


S h'- 

L'ÉCOLE  PE  DOTAMQl  E. 


Entrons  donc  dans  l'un  de  ces  deux  carrés,  que  l'on  nomme  l 'École  («"  90  du  plan) , oh  les 
Plantes  sont  rangées  par  familles,  et  dont  je  vous  ferai  bientôt  l’histoire;  cueillez  une  Rose  à 

demi  épanouie , et  observez  successivement  les  parties 
qui  la  constituent. 

L’enveloppe  la  plus  extérieure  se  compose  de  cinq 
feuilles  vertes , disposées  en  cercle , et  se  réunissant 
inférieurement  pour  former  un  corps  ovule  ou  sphé- 
rique; cette  première  cnvclopiie  de  la 
Fleur  est  le  calice.  A l'endroit  oh  les 
feuilles  du  calice  , nommées  folioles  , 
commencent  à so  réunir,  naissent  cinq 
outres  feuilles  colorées  et  odorantes  : 
ce  sont  les  pétales  ; leur  ensemble  se 
nomme  la  corolle;  en  dedans  de  ces 
pétales  et  sur  le  calice,  sont  implantés  de  nombreux 
filaments  gracieusement  recourbés , et  portant  chacun 
nue  petite  tète  jaune  ; ces  baguettes  sont  appelées  éta- 
tnines. 


’ f't  I 


Maintenant  , ouvrez  dans  le  sens 
de  sa  longueur  cette  espèce  do 
boule  formée  par  la  soudure  des 
cinq  folioles  du  calice;  cela  fait, 
vous  voyez  une  cavité  assez  consi- 
dérable , s'ouvrant  en  haut  par  un  goulot  étroit , et  contenant  des  corps  qui  s’attachent  à ses 
parois  ; ces  corps  s'allongent  vers  le  haut  en  autant  de  cols  qui  se  dirigent  vers  l'embouchure 


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23 


L’ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

de  la  cavité , et  là  se  réunissent  en  un 
faisceau  qui  occupe  le  centre  do  la  Fleur  ; 
chacun  de  ces  corps  renferme  une  graine; 
leur  ensemble  constitue  le  pistil;  vous 
voyez  que  la  retraite  où  ils  sont  nichés 
est  remplie  d'une  bourre  soyeuse  et 
courte , qui  tapisse  la  cavité , et  couvre 
mémo  en  partie  les  corps  composant  le 
pistil. 

Calice,  corolle,  étamines,  pistil,  voilà 
Corr>  m i.  ini  les  quatre  parties  dont  se  composo  une 

Fleur  complète;  mais,  pour  bien  com- 
prendre la  physiologie  de  ces  divers  organes,  il  faut  choisir  une  Plante  où 
ils  offrent  des  proportions  plus  considérables. 

Prenez  un  Lis  blanc  ( Ulium  candidum)  ; au  premier  aspect,  vous  le  croiriez  dépourvu  de 
calice,  et  n’ayant  qu’une  corolle  de  six  pétales;  mais  observez  la  Fleur  quand  elle  est  peu 
ouverte  ; vous  voyez  un  premier  groupe  de  trois  feuilles  blanches , évidem- 
ment situées  en  dehors  des  trois  autres  feuilles  : les  premières  sont  étroites , 
un  peu  vertes  à leur  sommet,  et  représentent  le  calice;  les  intérieures  sont 
plus  larges;  leur  surface  diffère  de  celle  des  folioles  du  calice  en  co  qu'elle 
est  creusée  d’un  sillon  longitudinal  bien  marqué  : ces  trois  feuilles  inté- 
rieures forment  la  corolle.  Quant  aux  étamines,  il  y en  a moins  que  dans 
la  Rose,  mais  elles  sont  plus  grandes  et  plus  faciles  à observer  : leur  filet 
ost  blanc,  un  peu  élargi  à sa  base,  et  porte  un  long  bissac  jaune;  passez  la 
pointe  d'une  épingle  dans  chacune  des  deux  coutures  qui  bordent  les  côtés 
de  ce  long  bissac , vous  les  ouvrirez , et  vous  en  ferez  sortir  une  poussière 
jaune  très-abondante.  Quand  la  Fleur  est  épanouie , ces  bissacs  font  la  cul- 
bute, et  vous  voyez  qu’ils  ne  tiennent  au  sommet  pointu  du  filament  que 
par  un  point  situé  vers  leur  milieu  : les  deux  feuillets  dont  ils  so  composent 
se  décollent  d’eux-mémes , et  la  poussière  jaune  en  sort  : cette  poussière  a 
reçu  le  nom  de  pollen;  le  bissac  qui  la  renferme  se  nomme  anthère,  et  le 
pied  qui  porte  le  bissac  est  appelé  filet.  Ainsi,  l’étamine  est  composée  du  filet,  de  Y anthère 
et  du  pollen. 

Enlevez  maintenant  les  six  étamines  du  Lis;  vous  voyez  qu'elles  naissent,  non  pas  sur  le 
calice,  comme  dans  lu  Rose,  mais  sur  le  pied  même  de  la  Fleur.  Il  vous  reste,  sur  ce  pied,  lo 
pislil,  qui  diffère  beaucoup  do  colui  de  la  Rose  : dans  celto  dernière,  il  so  composait  d'une 
douzaine  do  corps,  attachés  sur  les  parois  do  la  boule  creuse  formée  par  lo  calice  et  séparés 
les  uns  des  autres;  le  pistil  du  Lis,  au  contraire,  est  d’une  seule  pièce;  il  offre  à son  sommet 
trois  crêtes  molles,  grenues,  disposées  en  triangle;  chaque  crête  ost  double,  et  peut  facile- 
ment se  décoller  en  deux  lames;  au-dessous  est  un  long  col,  lequel  pose  sur  un  corps  plus 
gros,  deux  fois  plus  court  que  le  col,  et  qui  présente  six  côtes  arrondies,  séparées  par  des 
sillons.  Coupez  ce  corps  en  travers,  taillez  une  petite  tranche  mince,  et  placez-la  entre  votre 
mil  et  la  lumière  ; vous  reconnaîtrez  sans  peine  une  cavité  divisée  en  trois  loges  par  trois 
petites  cloisonsg  au  point  oli  les  cloisons  viennent  se  réunir,  il  y a des  graines  attachées. 
Remarquez  la  position  des  crêtes,  vous  verrez  que  chacune  répond  à l’une  des  trois  loges. 

La  partie  du  pistil  qui  renferme  des  graines  a reçu  le  nom  d 'ovaire;  le  long  col  posé  sur 
lui  s'appelle  style,  et  les  crêtes  humides  qui  le  terminent  se  nomment  le  stigmate. 

Quant  nu  pied  de  la  Fleur,  on  le  nomme  le  pédoncule  ; et  son  extrémité,  toujours  plus  ou 
moins  élargie  pour  servir  de  support  au  calice,  à la  corolle,  aux  étamines  et  eu  pistil,  porto 
le  nom  do  réceptacle. 


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24 


DBlXlfcME  PARTIE. 


Maintenant  que  la  structure  dos  parties  do  la  Fleur  vous  est  connue,  ipte  vous  avez  accepté 
patiemment  les  quatorze  termes  scientifiques  servant  à les  désigner,  vous  méritez  de  connaître 
les  merveilleuses  [onctions  qu’exécutent  ces  divers  organes. 

I,e  calice  est  évidemment  un  organe  protoeteur  : voyez  un  bouton  île  Rose  ou  de  Lis  ; le 
calico  sert  d’enveloppe  à la  corolle,  aux  étamines  cl  au  pistil.  Quant  à ce  dernier,  il  n’est  pas 
nécessaire  de  vous  apprendre  que  les  petits  œufs  contenus  dans  l’ovaire  sont  des  graines,  qui 
doivent  reproduire  des  plantes  semblables  À celle  qui  leur  a donné  naissance.  Quelle  est 
maintenant  la  destination  des  baguettes  nommées  étamines,  qui  sont  si  lielles  dans  le  Lis,  et 
portent  une  anthère  si  longue  et  si  riche  en  pollen  f 

Pour  résoudre  cette  question,  examinez  d'abord  le  stigmate  qui  couronne  le  pistil;  si  la 
Fleur  est  bien  épanouie,  vous  devez  voir  quelques  grains  de  pollen  retenus  sur  les  crêtes 
spongieuses  dont  il  se  compose;  ces  crêtes  sont  devenues  humides  et  gluantes  à l'époque 
même  où  le  pollen  pouvait  sortir  de  son  anthère;  celte  coïncidence  vous  (icrmol  déjà  de  sup- 
poser quelque  relation  d’utilité  entre  le  pollen  et  lo  stigmate. 

Si,  comme  le  (U  Linné,  vous  coupez  sur  un  Lis  à peine  éclos  toutes  les  anthères,  la  Fleur 
s’épanouit;  mais  bientôt  l'ovaire,  au  lieu  de  grossir,  se  flétrit  et  tombe  : les  anthères  étaient 
donc  indispensables  au  pistil,  puisque  leur  soustraction  a empêché  celui-ci  de  mûrir. 

Si,  après  avoir  privé  votre  Lis  de  scs  anthères,  vous  allez  enlever  sur  un  second  Lis  des 
anthères  bien  ouvertes,  si  vous  les  secouez  sur  une  feuille  de  papier  pour  eu  recueillir  lo 
pollen,  si  ensuite  vous  déposez,  avec  un  petit  pinceau,  un  peu  de  ce  pollen  sur  le  stigmate  du 
premier,  l’ovaire  grossira,  restera  sur  son  pédoncule,  et  les  graines  se  développeront.  Que 
devez-vous  en  conclure?  Que  les  graines  contenues  dans  l’ovaire  no  peuvent  prospérer  sans 
l'intervention  des  étamines,  et  que,  dans  les  étamines,  c’est  le  pollen  qui  oxerce  sur  le  pistil 
celte  précieuse  influence. 

En  voulez-vous  une  dernière  prouve?  Avec  une  dissolution  de  gomme,  vernissez  adroite- 
ment deux  des  crêtes  du  stigmate,  puis  saupoudrez  la  troisième  de  pollen;  qu’arrivera-t-il? 
lu  loge  de  l'ovaire  à laquelle  répond  celte  crête  so  développera,  et  les  graines  grossiront;  les 
deux  autres  loges  resteront  stationnaires. 

Ces  expériences,  et  beaucoup  d’autres,  non  moins  ingénieuses,  ont  révélé  aux  naturalistes 
la  nature  physiologique  de  l'étamine. 

Il  vous  reste  maintenant  à savoir  quelle  est  la  destination  de  la  corolle.  Est-ce  pour 
l’homme  que  Dieu  a créé  cette  partie  de  la  plante?  Est-ce  pour  flatter  vos  yeux,  votre  odorat, 
votre  toucher,  que  la  nature  a prodigué  à ces  pétales  les  couleurs  brillantes,  les  formes  va- 
riées, le  parfum  pénétrant  et  le  tissu  velouté  que  vous  admirez  dans  les  Fleurs?  Tout  en 
admettant  cette  croyance,  fondée  sur  la  vanité  autant  que  sur  un  sentiment  religieux,  no 
pourriez-vous  pas  soupçonner  que  ccllo  parure  du  Lis  et  de  lo  Rose  leur  a été  donnée  pour 
leur  utilité  individuelle?  C’est  une  question  dont  l'examen  n’est  pas  sans  intérêt. 


Vous  savez  que  le  pollen  est  l'agent  nécessaire  de  la  fécondation  des 
graines;  mais  comment  le  pollen  est-il  transporté  dans  le  stigmate?  Venez 
voir  celte  touffe  de  Hue  ( lluta  graeeolens).  Vous  voyez  uuo  corolle  de  quatre 
a cinq  pétales  jaunes,  creusés  en  cuiller,  et  huit  à dix  étamines  : remarquez- 
vous  l'une  îles  étamines , qui , nu  lieu  d'être  étenduo  horizontalement  dans 
Un  pétale  ou  entre  deux  pétales,  comme  ses  sauirs,  est  debout  inclinée 
sur  le  pistil  contre  lequel  son  filet  est  appliqué?  Si  vous  avez  la  patience 
d’observer  cette  étamine  pondant  une  heure,  vous  verrez  l’anthère  s’ouvrir, 
vous  en  verrez  tomber  le  pollen,  et  vous  comprendrez  sans  peino  que  lo 
pistil  en  recevra  quelques  granules  ; bientôt  celle  étamine , dont  la  mission 
est  remplie,  se  couchera  dans  son  pétale,  une  autre  so  redressera  à son 
tour  pour  venir  la  remplacer,  et  ces  évolutions  se  succéderont  jusqu’à  ce 
que  toutes  les  anthères  aient  payé  leur  tribut  au  pistil.  Ici  vous  prenez  la 


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K C, 01, fi  l)K  IIOTAMQI  fi. 


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Nature  sur  le  fait,  sas  intentions  sont  évidentes , vous  avez  observé  l'organe  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions;  mais  cette  manoeuvre  est  rare  dans  le  llégne  végétal. 

Dans  beaucoup  de  plantes,  les  étamines  sont  aussi  hautes  que  le  pistil  ; elles  l’entourent  de 
près,  et  le  pollen,  en  sortant  de  l'anthère,  est  facilement  mis  en  contact  avec  le  stigmate; 
dans  beaucoup  d'autres,  les  étamines  sont  plus  courtes  que  1e  pistil,  ce  qui  ne  nuit  pas  à la 
fécondation,  parce  qu'alors  la  Fleur  est  inclinée,  de  sorte  que  le  stigmate  se  trouve  au- 
dessous  des  anthères  qu'il  dépasse,  et  reçoit  aisément  leur  pollen;  mais  il  arrive  souvent  que 
la  Fleur  reste  dressée,  et  alors  le  pollen  ne  peut  guère  atteindre  de  lui-mèmo  le  stigmate. 
Quelquefois  les  étamines  et  le  pislil  n'habitent  pas  la  même  Fleur;  c'est  ce  que  vous  pouvez 
voir  dans  le  Melon,  dans  le  Sapin  ; les  étamines  sont  dans  une  Fleur,  et  les  pistils  dans  une 
autre,  sur  le  même  pied,  il  est  vrai,  mais  sur  des  rameaux  différents;  quelquefois  enfin, 
comme  dans  le  Palmier,  le  Dattier,  le  Pistachier,  les  Fleurs  à étamines  sont  sur  un  arbre,  les 
Fleurs  h pistil  sur  un  autre,  et  ces  deux  arbres  sont  souvent  éloignés  de  plusieurs  lieues. 
Comment,  dans  ces  diverses  circonstances,  se  fera  le  transport  du  pollen  t Sera-ce  le  vent 
qui  s'en  chargera?  et  la  poussière  fécondante,  dispersée  par  lui,  ira-t-cllo  à travers  l’espace, 
comme  par  une  sorte  d'attraction,  trouver  le  stigmate  qui  a besoin  d'elle? 

tn  jour  (c'était  en  1758) , Bernard  de  Jussieu,  passant  en  revue  les  arbres  du  Jardin  des 
Plantes,  s’aperçut  que  le  Pistachier  à pistil,  qui  jusqu'alors  avait  fleuri  tous  les  ans  sans 
produire  de  fruit,  se  disposait  à donner  des  Pistaches;  le  fruit  s'était  noué;  le  stigmate  avait 
reçu  du  pollen,  mais  d'où  venait  ce  pollen?  il  n'y  avait  pas  dans  tout  le 
Jardin  des  Plantes  un  seul  Pistachier  à étamines;  on  fit  une  battue  dans 
les  jardins  environnants;  on  ne  trouva  rien.  In  fruit  formé  dos  graines 
développées  sans  pollen , c’était  un  rude  échec  pour  la  théorie  do  la  fécon- 
dation des  Fleurs,  qui  alors  n'était  pas  solidement  établie  comme  aujour- 
d'hui : le  grand  botaniste,  tout  en  s’affligeant  de  l’inutilité  des  recherches, 
affirmait  avec  persévérance  qu’il  existait  quelque  part  aux  environs  un 
Pistachier  à étamines,  et  que  c’était  lui  qui  avait  fait  nouer  relui  du  Jardin 
des  Plantes;  mais  encore  fallait-il  le  découvrir.  Bernard  de  Jussieu  prit 
alors  le  parti  de  s'adresser  à l'autorité;  la  police  aussitôt  mit  ses  agents  en 
campagne,  avec  le  nignalemcnt  exact  de  l'individu  qui  se  cachait  si  bien:  p,. 

les  agents  tournèrent  autour  du  Jardin  des  Plantes,  en  élargissant  peu  à peu 
la  spirale  do  leurs  perquisitions;  enfin,  ils  découvrirent  dans  un  coin  de  la  Pépinière  de» 
Chartreux  (aujourd'hui  le  Jardin  botanique  de  l'École  do  Médecine)  qui  longe  l'allée  de  l'Ob- 
servatoire , ils  découvriront , dis-je , un  petit  Pistachier  à étamines , qui  avait , cette  année , 
fléchi  eoen  la  pRF.Mit:RF.  fois  : le  pollen  avait  donc  dû  franchir,  à travers  les  airs,  la 
lisière  du  faubourg  Saint-Germain,  le  faubourg  Saint-Jacques  et  le  faubourg  Saint-Marceau, 
pour  arriver  sur  le  stigmate  du  Pistachier  à pistil , placé  au  milieu  du  Jardin  des  Plantes.  Or, 
il  est  bien  difficile  d'admettre  que  le  vent  ait  pu  transporter  si  loin  une  petite  quantité  de 
poussière  fécondante,  sans  la  disperser  partout  ailleurs  que  sur  l'étroite  surface  du  pistil  qui 
en  avait  besoin.  Il  faut  donc  chercher  un  autre  auxiliaire  à lu  fécondation. 

Vous  vous  êtes  sans  doute  bien  souvent  amusé  à sucer  le  fond  de  la  corolle  du  Chèvre- 
feuille, du  Jasmin,  du  Lilas,  de  la  Primevère,  pour  en  extraire  la  liqueur  sucrée  qui  s’y 
trouve  en  abondance;  cette  friandise  de  votre  part  est  un  larcin  que  vous  avez  fait  à des  ani- 
maux qui  n'ont  pas  d’autre  nourriture  : ces  animaux  sont  les  Papillons,  les  Mouches,  les 
Bourdons,  et  autres  Insectes  que  vous  pouvez  voir  blottis  au  fond  des  Fleurs  : c’est  précisé- 
ment à ce  neclar  que  nous  devons  le  miel  des  Abeilles.  Ce  nectar  est  fourni,  tantôt  par  lo 
calice,  tantôt  par  les  pétales,  tantôt  par  la  hase  des  étamines,  tantôt  par  l’ovaire;  quelquefois 
c’est  une  petite  écaille  spongieuse,  quelquefois  une  petite  fossette,  ou  un  sac,  ou  une  simple 
surface  fisse,  qui  distille  cette  liqueur  que  viennent  avidement  pomper  les  insectes. 

Voyez  dans  cette  Rose  ce  Scarabée  doré,  que  l’on  nomme  la  Cétoine,  et  dont  lo  dos,  do 

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20  DElXlfîMF,  PARTIR. 

couleur  émeraude,  so  détache  si  bien  «le  l'incarnat  des  pétales;  il  semble  dormir  en  paix  dans 
l'asile  délicieux  qu'il  a choisi  : croyez-vous  que  la  Fleur  lui  fournisse  gratis  le  vivre  et  le  cou- 
vert? Touclicz-le  légèrement,  il  va  so  réveiller,  ouvrir  scs  ailes,  et  s'envoler  en  froissant  les 
nombreuses  étamines  au  milieu  desquelles  il  était  couché;  ce  mouvement  seul  a secoué  les 
anthères,  et  le  pollen  a pu  se  disperser  sur  le  stigmate  placé  au  centre  do  la  Uose.  — Voyez 
l'Abeille  quand  elle  fait  sa  récolte  : elle  suce  le  nectar  des  Fleurs,  mais  son  corps,  hérissé  de 
poils,  se  charge  de  pollen;  elle  va  picorer  sur  d'autres  Plantes;  et,  tout  en  pénétrant  au  fond 
des  corolles,  elle  so  frotte  contre  los  pistils  : or,  c’est  & l'époque  oîi  les  étamines  ouvrent  leurs 
anthères,  que  le  stigmate  so  charge  d’uno  liqueur  gluante  ; c’est  aussi  à cette  époque  que  les 
glandes  de  la  Fleur  distillent  du  nectar,  et  qu'il  se  trouve  des  insectes  pour  s'en  repaître. 
Cetto  coïncidence  ne  vous  dit-elle  rien?  N'ètes-vous  pas  tenté  de  croire  que  les  Insectes,  con- 
temporains des  Fleurs,  sont  pour  elles  des  messagers  reconnaissants  qui,  pour  payer  l'hospi- 
talité qu’ils  ont  reçue,  distribuent,  dans  l'hôtellerie  oh  ils  arrivent,  le  pollen  recueilli  dans 
l’Iiétellerie  qu'ils  viennent  de  quitter? 

Approchons-nous  de  cet  arbrisseau,  au  port  élégant,  dont  les  feuilles,  d'un  vert  gai,  réunies 
en  touffes , sont  protégées  par  des  aiguillons.  I.es  fleurs  sont  jaunes  et  dis- 
posées en  grappes  : c'est  le  Berbéris , nommé  vulgairement  Épine-  Vinelle. 
Choisissez  une  Fleur  bien  ouverte,  et,  sans  la  détacher  do  sa  tige,  cha- 
touillez légèrement  avec  la  pointe  d’uno  longue  épingle  l'un  des  Blets  des 
étamines;  vous  voyez  celle-ci  se  contracter  avec  vélocité,  et  frapper  de  son 
anthère  lo  stigmato,  qu'elle  couvre  de  pollen.  Eh  bien!  cette  sensibilité  des 
étamines , il  n’est  pas  besoin  d’uno  épingle  pour  l’exciter  ; qu’un  Insecte , 
cherchant  lo  nectar  que  fournissent  deux  petites  écailles  d’un  jaune  orangé, 
situées  au  bas  do  chaque  pétale;  qu'un  Insecte,  dis-je,  effleure  de  ses  ailes, 
comme  vous  l’avez  fait  avec  votre  épingle,  les  fiiets  des  étamines,  & l'instant 
les  étamines  se  redressent  et  viennent  se  heurter  contre  le  pistil. 

A quoi  donc  sert  la  corolle?  C’est  maintenant  que  cette  question  est  oppor- 
tune. I.a  corolle  s’épanouit  quand  les  anthères  donnent  leur  pollen , quand 
le  stigmate  devient  humide , quand  le  nectar  est  distillé,  quand  les  Insectes  viennent  lo  boire: 
il  11e  faut  pas  une  grande  sagacité  pour  conclure , de  cetto  réunion  di'  circonstances , que  la 
corolle , par  ses  formes  , ses  nuances , son  odeur , est  destinée  & indiquer  aux  Insectes  le 
réservoir  oh  ils  pourront  puiser  du  sirop  : c’est  l'étiquette  du  vase  contenant  le  précieux 
nectar;  c'est  l’uniforme  invariable  de  toutes  les  Fleurs  d'une  même  espèce,  et  les  Insectes 
voyageurs  savent  bien  reconnaître , i sou  enseigne  éclatante , le  caravansérail  oh  ils  trouve- 
ront leur  pèture. 

Les  Insectes  sont  donc  de  précieux  auxiliaires  pour  la  fécondation  des  Fleurs,  soit  en  col- 
portant le  pollen  d'une  plante  sur  une  autre,  soit  en  favorisant  la  dispersion  du  pollen  parmi 
les  étamines  d'une  même  Fleur;  et  c’est  pour  cela  que,  dans  les  expériences  dont  nous  par- 
lions tout  & l’heure,  il  faut  entourer  la  plante  d'une  gaze  line  qui  ferme  lo  passage  aux 
Insectes  : sans  cette  précaution,  un  de  ces  animaux  pourrait,  à l'insu  de  l’observateur,  porter 
du  pollen  sur  un  stigmate  qu'on  voulait  en  priver,  et  rendrait  par  là  l’expérience  douteuse. 

(l'est  un  Allemand,  Conrad  Sprengcl,  qui  a fait  connaître,  parun  grand  nombre  d’obser- 
vations, le  rôle  physiologique  de  la  corolle  et  des  glandes  à nectar;  c’ost  lui  qui  a découvert 
cet  anneau  de  plus  dans  la  grande  chaîne  qui  lie  le  Règne  végétal  au  Règne  animal.  Il  allait, 
avec  une  patience  toute  germanique,  passer  des  jours  entiers  dans  la  campagne,  couché  au 
pied  d'une  plante;  il  attendait,  l'œil  constamment  fixé  sur  la  Fleur  dont  les  anthères  n’étaient 
pas  encore  ouvertes;  enfin,  après  une  surveillance  immobile  et  silencieuse,  qui  se  prolon- 
geait souvent  jusqu’au  soir,  il  voyait  arriver  le  messager  aérien  dont  il  avait  entrepris 
d’explorer  la  manœuvre;  l'Insecte,  après  quelques  évolutions  préliminaires,  pénétrait  dans  la 
corolle,  et  y faisait  son  repas;  puis,  quand  il  en  était  sorti,  Sprengel  voyait  des  grains  do 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

pollen  attachés  au  stigmate,  et  il  rentrait  chez  lui,  content  <io  sa  journée.  C’est  surtout  depuis 
la  venue  du  grand  Linné,  que  l’on  rencontre  de  ces  âmes  divines,  pour  qui  seize  heures  sous 
le  soleil  ne  soûl  qu’une  minute,  quand  il  s'agit  d’observer  les  merveilles  de  la  création. 

Il  ne  serait  pas  exact  de  dire  que  la  corolle  est  uniquement  destinée  h signaler  la  plaide  aux 
Insectes;  la  nature  sait  trop  bien  allier  l'économie  des  moyens  avec  la  magnificence  des 
résultats,  pour  que  fou  ne  doive  pas  présumer  qu'un  mémo  organe  sert  à plusieurs  lins;  il 
est  évident,  par  exemple,  que  la  corolle  est,  comme  le  calice,  une  enveloppe  de  protection, 
qui  abrite  les  parties  centrales  de  la  Fleur;  mais  si  nous  ue  connaissons  pas  toutes  les  fonc- 
tions de  la  corolle,  il  nous  est  permis  du  moins  d'en  constater  la  plus  importante  et  la  plus 
digne  do  vos  méditations. 

La  corolle,  dont  vous  venez  d'apprécier  futilité,  devient  pour  la  Fleur  une  parure  |«*rni- 
cieuse,  lorsque,  par  la  culture,  les  pétales  se  multiplient  aux  dépens  des  étamines.  Celte 
métamorphose  s’opère  facilement  clans  les  Fleurs  dont  les  étamines  sont  nombreuses,  telles 
que  les  Anémones,  les  Renoncules,  les  Pivoines,  les  Pavots,  les  Roses,  etc.  ; rien  de  plus  fré- 
quent dans  nos  jardins  que  ce  luxe  ruiueux  de  pétales,  qui  frappe  de  stérilité  le  pistil  de  la 
Fleur  : voyez  cette  Rose  double ; les  étamines  se  sont  nourries  outre  mesure,  leur  anthère 
s'est  élargie,  ainsi  que  leur  filet,  et  le  pollen  a disparu  : si  toutes  les  étamines  ont  subi  c ette 
transformation,  la  Fleur  alors  est  pleine,  les  ovaires  ne  se  développeront  pas,  et  cet  embon- 
point monstrueux,  qui  rend  la  Rose  si  belle  aux  yeux  du  fleuriste,  est  une  calamité  pour  la 
plante,  destinée  par  la  nature  à se  perpétuer  par  des  graines. 

Vous  connaissez  la  structure  et  les  fonctions  du  calice,  de  la  corolle,  des  étamines  et  du 
pistil  : nous  pouvons  maintenant  voyager  avec  fruit  dans  les  Carrés,  dans  les  Serres  et  dans 
la  Galerie  de  botanique  : vous  entendez  la  langue  du  pays. 

Revenons  à la  Iiose , qui  a été  notre  point  de  départ;  vous  avez  sous 
les  yeux  le  Rosier  églantier,  dont  les  pétales  sont  tautôt  d'un  jaune  vif, 
tantôt  d'un  rouge  orangé  à leur  face  supérieure;  le  Rosier  jaune , dont  les 
pétales  ont  la  couleur  du  soufre;  le  Rosier  de  Provins,  dont  la  fleur  est  d’un 
rouge  pourpre  Irès-foucé;  le  Rosier  rouillé,  dont  la  fleur  est  rouge,  petite, 
et  dont  les  feuilles , froissées  entre  les  doigts , exhalent  une  odeur  suave  qui 
rappelle  la  pomme  de  reinette.  Tous  ces  arbrisseaux , qui  ne  diffèrent  entre 
eux  que  par  la  consistance  et  la  courbure  des  aiguillons  dont  leur  tige  est 
armée,  par  la  forme  ovale  ou  sphérique  du  calice,  par  la  couleur  ou  l’odeur 
des  pétales,  sont  autant  éC espèces  appartenant  au  genre  Rosier:  leur  port 
élégant,  leurs  feuilles  composées  chacune  de  trois  ou  cinq  folioles,  leur 
calice  resserré  en  godet  pour  loger  les  ovaires,  toutes  ces  ressemblances 

* Komis  iciintub. 

établissent  entre  les  Rosiers  une  parente  manifeste. 

Nous  allons  voir  dans  leur  voisinage  d'autres  plantes  dont  le  port,  la  lige,  les  feuilles,  ne 
rappellent  pas  toujours  les  Rosiers,  mais  qui,  par  la  structure  de  leur  fleur,  ont  avec  vos 
derniers  un  rapport  facile  à saisir.  Jetez  un  coup  d'iril  sur  ce  Framboisier,  qui  est  Une  espèce 
de  /fonce  ; la  tige  est  aiguillonnée,  les  feuilles  sont  aussi  divisées  en  trois  ou  cinq  folioles,  et 
munies,  à la  base  de  leur  pied  (qu'on  nomme  pétiole),  de  deux  petites  feuilles  (nommées 
stipules),  beaucoup  moins  larges  et  plus  caduques  que  dans  les  Rosiers,  où  elles  forment 
deux  ailes  au-dessous  de  la  vraie  feuille;  comme  dans  les  Rosiers,  les  feuilles  sont  éparses 
sur  la  tige,  et  non  placées  vis-à-vis  l'une  de  l'autre;  conrmo  dans  les  Rosiers,  le  calice  est 
divisé  en  cinq  petites  folioles;  seulement  ces  folioles  ne  se  soutient  pas  inférieurement  pour 
former  un  godet  creux;  comme  dans  les  Rosiers,  le  calice  porte  un  grand  nombre  d'étamines; 
ou  milieu  se  trouve  lo  pistil,  composé  aussi  tic  plusieurs  ovaires;  mais  cos  ovaires,  au  lieu 
d’être  renfermés  dans  un  godet  croux  formé  par  le  calice,  sont  à découvert,  et  prennent  à In 
maturité  une  consistance  succulente.  Celle  dernière  différence  sépare  Je  Framboisier  îles  Ro- 
siers, et  forme  lo  caractère  du  genre  Fonce,  dont  tieux  espèces  vous  sont  bien  connues  : là 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

première  est  la  Ronce  des  buissous,  nommée  en  botanique  Douce  arbrisseau;  la  seconde  est 
le  Framboisier,  nommé  Douce  du  mont  Ida. 

Comparez  maintenant,  avec  les  plantes  que  vous  venez  d 'étudier,  le  Fraisier,  qui  étend  a 
vos  pieds  ses  tiges  rampantes  : de  même  que  dans  les  Rosiers  et  les  Ronces,  ses  feuilles  (com- 
posées de  trois  folioles)  sont  garnies,  à la  base  «lu  pétiole,  do  deux  stipules  bien  visibles  ; la 
corolle  est  de  cinq  pétales  disposés  régulièrement,  les  étamines  sont  nombreuses  et  naissent 
sur  le  calice  ; le  pistil  offre  seul  une  différence  notable  : observez  une  fleur  jeune,  vous  voyez 
un  grand  nombre  de  petits  ovaires  réunis  en  boule,  mais  distincts  les  uns  des  autres;  ils  sont 
secs,  au  lieu  d'être  pulpeux  comme  ceux  du  Framboisier;  mais  bientôt  le  réceptacle  qui  les 
supporte  se  gorge  de  sucs,  grossit,  déborde  les  petits  ovaires,  et  les  enchâsse  de  sa  chair, 
qui  prend  peu  à peu  une  couleur  pourprée  ; c'est  ce  que  vous  pouvez  voir  dans  la  Fraise, 
quand  elle  est  mûre.  Ce  que  vous  mangez  dans  la  Fraise  est  donc  le  réceptacle,  tandis  que, 
dans  la  Framboise,  ce  sont  les  ovaires.  Les  ovaires  de  la  Fraise  sont  insipides  et  craquent 
sous  la  dent;  et  ces  petits  fils  noirâtres,  qui  se  déposent  au  fond  du  vin  ou  de  l'eau  dans 
laquelle  vous  avez  plongé  les  Fraises,  ces  fils  sont  les  styles  desséchés,  qui  se  sont  détachés 
de  chaque  ovaire. 

l.o  genre  Fraisier  se  distingue  du  genre  Douce  par  son  réceptacle,  qui  devient  pulpeux  ; il 
en  différa  aussi  par  le  calice,  qui,  au  lieu  d'être  à cinq  découpures,  en  présente  dix,  dont  cinq 
plus  petites  cl  extérieures;  le  genre  Potentille,  riche  en  espèces  élégantes,  ne  s'éloigne  du 
Fraisier  que  par  son  réceptacle  qui  reste  toujours  sec. 

Passons  rapidement  en  revue  les  plates-bandes  voisines  de  celles  que  nous  venons  de 
visiter.  Vous  voyez  les  Cerisiers,  les  Pruniers,  les  Abricotiers,  les  Pêchers,  les  Amandiers; 
ces  arbres  ne  diffèrent  îles  plantes  précédentes  que  par  leur  taille  plus  élevée,  leurs  feuilles 
simples,  c'est-à-dire  non  divisées  en  folioles,  et  surtout  par  le  pistil  de  leur  Fleur;  ce  pistil 
ne  se  compose  que  d'un  seul  ovaire,  dont  la  paroi  interne  s’épaissit,  se  durcit,  et  forme  un 
noyau  qui  protège  la  graine,  tandis  que  le  tissu  qui  recouvre  ce  noyau  se  gonfle  de  sucs,  et 
forme  une  pulpe  savoureuse.  Les  arbres  qui  viennent  ensuite  sont  les  Poiriers,  les  Pommiers, 
les  Cognassiers,  les  Selliers,  les  Sorbiers,  qui  diffèrent  des  précédents  en  ce  que  les  ovaires, 
au  lieu  d'être  libres  comme  dans  lu  Framboise,  au  lieu  d'êtro  renfermés  dans  la  cavité  du 
calice,  mais  sans  se  confondre  avec  elle  comme  dans  la  Rose,  forment  dans  la  Pomme,  dans 
la  Poire,  etc.,  un  seul  et  même  corps,  composé  : 1°  au  centre,  de  cinq  ovaires  renfermant 
chacun  ordinairement  une  ou  deux  graines,  nommées  pépins;  2"  à la  circonférence,  d'un 
calice  qui  a pris  un  développement  énorme  et  a comprimé  les  ovaires,  au  point  de  se  souder 
et  de  se  confondre  avec  eux.  Ce  que  vous  mangez  dans  la  Pomme  est  donc  principalement  le 
calice  : quant  à ce  débris  noirâtre  qui  couronne  lu  Pomme,  et  qu'on  appelle  communément  la 
mouche,  c'était  autrefois  la  moitié  supérieure  du  calice,  qui  portait  les  étamines,  dont  vous 
pourrez  encore  reconnaître  les  vestiges;  celte  moitié  supérieure  est  resté»  stationnaire  ot 
a fini  par  se  flétrir,  tandis  que  la  moitié  inférieure  prenait  un  accroissement  considérable. 

Dans  l'examen  comparatif  que  vous  venez  de  faire,  vous  avez  pu  reniarqueF  que  les  Do- 
siers,  Dances,  Fraisiers,  Potentilles,  Cerisiers,  Pêchers,  Pommiers,  Poiriers,  etc.,  lie  différent 
essentiellement  que  par  leurs  fruits,  bien  que  d’ailleurs  la  graine  ait  dans  tous  uno  structure 
semblable,  comme  vous  le  verrez  biculût.  Le  calice  est  à cinq  découpures  qui  se  soudent  plus 
ou  moins  par  leur  base  ; la  corolle  se  compose  de  cinq  pétales  symétriques,  et  posés  sur  le 
calice;  les  étamines  sont  nombreuses,  et  naissent  comme  les  pétales  sur  le  calice;  en  outre, 
les  feuilles  sont  toujours  munies  de  deux  stipules  (qui  tombent  de  bonne  heure  dans  les  Ceri- 
siers et  les  Poiriers),  et  au  lieu  d’être  opposées  l'uuo  à l'autre,  elles  sont  alternes  sur  la  tige. 
Eh  bien  ! tous  ces  caractères,  joints  à une  certaine  physionomie  qu’il  est  plus  facile  de  com- 
prendre que  d'exprimer,  ont  servi  à former  un  groupe  naturel  que  l’on  a appelé  famille.  Ainsi 
le  groupe  que  vous  venez  d’observer  constitue  la  famille  des  Dosacées,  l'une  des  plus  élégantes 
du  Régné  végétal,  famille  qui  se  divise  en  groupes  secondaires,  nommés  genres,  et  fondés  sur 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

dos  différences  dans  la  forme,  la  proportion,  la  consistance  des  diverses  parties  de  la  Fleur. 
Chaque  genre,  à son  tour,  comme  vous  l'avez  vu  pour  les  Rosiers,  se  divise  en  espèces,  dont 
les  caractères  distinctifs  sont  tirés  des  feuilles,  de  la  tige,  de  la  couleur  et  de  l'odeur  des 
Fleurs,  etc....  Je  n'ai  pas  Besoin  de  vous  dire  qu’il  faut  entendre  par  espèce  la  réunion  d’indi- 
vidus assez  semblables  entre  eux  pour  être  supposés  issus  d’une  mémo  graine.  Plus  tard , je 
vous  parlerai  des  races  et  des  variétés. 

Cette  analyse  générale  des  Rosacées  vous  a paru  peut-être  un  |ieu  austère,  mais  je  no 
voulais  pas  vous  épargner  un  travail  d'esprit,  que  je  regarde  comme  indispensable,  et  qui, 
une  fois  fait,  va  vous  rendre  facile  l'élude  comparative  des  diverses  familles  du  Régne  vé- 
gétal. 

Auprès  des  Rosacées  se  range  la  famille  des  Myrtes,  qui  s'en  distingue  par  scs  feuilles 
toujours  opposées,  et  jamais  pourvues  de  stipules;  vous  voyez  d'abord  le  Myrte  commun, 
dont  les  feuilles  exhalent  un  parfum  délicieux;  puis  le  Seringat,  dont  les  fleurs  en  grappe 
possèdent  aussi  une  odeur  très-pénétrante;  enfin  le  Grenadier,  arbrisseau  originaire  d’Afri- 
que, dont  la  fleur  est  d'un  rougo  vif;  le  calice,  qui  est  épais,  imite  assez  bien  une  grenade 
faisant  explosion,  et  les  pétales  chiffonnés  qui  en  sortent  achèvent  la  comparaison  ; les  graines 
sont  nombreuses  cl  entourées  d'une  pulpe  acidulé  très-agréable.  C’est  aussi  à la  famille  des 
Myrtes  qu'appartient  le  Giroflier;  ce  qu’on  nomme  Ctou  de  Girofle  est  la  fleur  non  déve- 
loppée de  cet  élégant  arbuste. 

De  l’autre  côté  des  Rosacées , nous  allons  voir  se  développer  une  famille  nombreuse , dont 
le  port  et  les  caractères  sont  faciles  à saisir  : c’est  la  famille  des  Légumi- 
neuses. — Voici  la  Gesse  odorante,  nommée  vulgairement  l'ois  de  senteur. 

C’est  une  herbe  grimpante,  & tige  anguleuse;  les  feuilles  sont  alternes; 
chaque  feuille  se  compose  de  deux  folioles  ovales;  au  bas  du  pétiole  sont 
deux  stipules  qui  ressemblent  chacune  à un  demi-fer  de  flèche  ; à l'extré- 
mité do  ce  même  pétiole  sont  des  filaments  disposés  deux  par  deux , et 
terminés  par  un  filament  impair;  ces  filaments  s'entortillent  autour  des 
corps  voisins , et  soutiennent  la  plante.  Si  vous  réfléchissez  un  instant  sur 
la  nature  de  ces  filaments , vous  reconnaîtrez , par  leur  position , que  ce 
sont  des  folioles  réduites  à leur  côte  moyenne;  la  Nature  les  a empêchées 
de  s’élargir,  et  leur  a confié  des  fonctions  autres  que  les  fonctions  ordi-  \ 

naircs  des  feuilles,  dont  jo  vais  bientôt  vous  entretenir,  et  qui  no  sont  pas  , 
moins  merveilleuses  que  celles  de  la  corolle  et  des  étamines. 

tenons  à la  fleur  do  la  Cesse  odorante.  Vous  trouvez  d’abord  un  calice  de  cinq  folioles 
inégales,  soudées  par  le  bas;  déchirez  doucement  ces  folioles  dans  leur  partie  libre,  vous 
verrez  que  c’est  sur  la  partie  soudée  que  naît  la  corolle  : celte  corolle  est  irrégulière,  et  formée 
do  plusieurs  pétales  ; le  pétale  que  vous  enlevez  le  premier,  et  qui  recouvre  tous  les  autres , 
se  nomme  étendard;  au-dessous  de  lui  sont  deux  pétales  parallèles,  et  nommés  les  ailes  ; eu 
dedans,  et  au-dessous  de  celles-ci,  sont  les  deux  derniers  pétales,  légèrement  soudés  par  le 
bas,  et  imitant  une  nacelle.  Cette  espèce  de  corolle  est  appelée  papilionaccc.  Remarquez  que 
toutes  les  pièces  qui  la  composent  sont  solidement  cmmnrtaisécs  les  unes  dans  les  autres.  Si 
vous  abaissez  enfin  la  nacelle,  vous  voyez  qu’elle  logeait  dans  sou  sein  les  étamines  et  le  pistil  ; 
ces  étamines  forment  elles-mêmes  un  fourreau  qui  protège  le  pistil  ; leurs  filets  sont  soudés 
dans  la  moitié;  de  leur  longueur  : il  y en  a neuf  ainsi  réunies,  une  dixième  est  libre,  et  c’est 
précisément  celle  qui  répond  à la  série  des  graines,  do  sorte  que,  quand  elles  tendent  à so 
développer,  l'étamine  isolée  so  soulève , et  le  fourreau  s’ouvre  sans  résistauce.  Le  pistil  sc 
compose  d’un  seul  ovaire,  surmonté  d’un  style  recourbé,  le  long  duquel  vous  voyez  quelques 
poils  mous,  destinés  à happer  le  pollen.  Ouvrez  délicatement  cet  ovaire,  vous  y venez  des 
graines  attachées  lo  long  du  bord  qui  regarde  l'étendard.  Ce  fruit  s’appelle  Gvusse  ou  h'gurnc  ; 
de  là  le  nom  do  Légumineuses  qu’a  reçu  cette  famille. 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

Les  Légumineuses  méritent,  sous  plusieurs  rapports,  de  fixer  votre  attention  : elles  sont 
employées  comme  fourrages  ou  comme  plantes  potagères;  tels  sont  les  Pois , les  Fèves,  les 
Haricots,  les  Lentilles,  les  Trèfles,  les  Luzernes,  etc.;  elles  fournissent  à la  médecine  un 
grand  nombre  de  médicaments,  tels  que  la  Gomme  arabique,  la  Gomme  adraganlc , la  Casse, 
le  Séné,  le  Tamarin , le  Cachou , la  Béglisse , le  Baume  de  Tolu,  etc.  ; c’est  de  cette  famille 
que  les  teinturiers  tirent  le  bois  de  Campéchc  et  le  buis  de  Brésil,  si  usités  pour  teindre  eu 
noir  et  on  rouge;  c’est  à elle  qu’appurticul  V Indigotier , dont  on  «virait  cette  belle  matière 
colorante  bleue,  nommée  indigo;  nous  lui  devons,  en  outre,  beaucoup  de  plantes  d’orne- 
ment, telles  que  les  Genêts,  les  Cytises,  les  Acacias,  le  Baguenaudier,  etc.;  enfin,  c’est  sur- 
tout dans  les  Légumineuses  que  l’on  observe  des  mouvements  périodiques , exécutés  par  les 
feuilles , phénomène  quo  Linné , dans  son  langage  poétique , a nommé  veille  et  sommeil  des 
Plantes.  Ainsi  le  Bobitiier  faux  Acacia,  nommé  vulgairement  Acacia,  a ses  folioles  étendues 
presque  horizontalement  au  lever  du  soleil  ; les  folioles  se  redressent  à mesure  que  cet  aslro 
s’élève;  elles  baissent  on  mémo  temps  que  lui,  et  tant  qu’il  est  au-dessous  de  l’horizon,  elles 
sont  presque  pendantes , elles  dorment. 

La  lumière  artificielle  peut  quelquefois  produire  celte  veille  et  ce  sommeil  ; cl  dos  observa- 
teurs ont , pendant  la  nuit , éveillé  des  Piaules  eu  dirigeant  sur  elles  une  grande  quantité  do 
rayons  lumineux. 

La  Mimeuse  pudique,  que  tout  le  monde  connaît  sous  le  nom  de  Sensitive,  et  qui  est  une 
Légumineuso , dort  la  nuit  et  veille  le  jour  comme  l’Acacia. 

Nous  verrons  dans  les  Serres  une  autre  Légumineuso,  bien  plus  remarquable 
encore  : c’est  un  Sainfoin,  originaire  du  Bongaio,  que  l’on  nomme  Hedysarum 

Enfin , il  y a une  Plante,  nommée  Attrape-Mouche , qui  uous 
est  venue  de  l’Amérique  septentrionale,  et  dont  la  sensibilité  | 
est  funeste  pour  les  Insectes  qui  s’en  approchent  : c’est  le  Dio-  S 
ncea  musciputa , de  la  famille  des  Droseracoes.  Jr 

Ces  divers  mouvements  opérés  par  les  feuilles,  sont  des  phé-  v v • 
nomènes  exceptionnels  qui  ne  s’observent  que  dans  un  petit 
nombre  de  familles;  il  s’agit  maintenant  de  vous  expliquer  les  tvnm 
fonctions  ordinaires  de  la  feuille  dans  tous  les  végétaux. 

Les  feuillos  servent  principalement  à absorber  dans  l’at- 
mosphère , et  surtout  dans  l’atmosphère  humide , les  élé- 
ments nécessaires  à la  nutrition  de  la  Plante  qui  les  porte. 

I)e  mémo  que  les  racines,  elles  pompent  l’eau,  par  leur 
face  inférieure  surtout.  Abus  savoz  combien  l’eau  est  utile  aux  Plantes,  et 
combien  il  est  facile  de  leur  rendre  leur  fraîcheur  en  les  arrosant  : or,  il 
y a,  dans  l’Ile  de  Madagascar,  un  végétal,  le  Hepenthes  dislillatoria . 
que  la  nature  a singulièrement  favorisé  à cet  égard.  Outre  la  faculté  d’ab- 
sorber do  l’eau  par  les  feuilles  et  par  les  racines,  elle  lui  a fourni  les 
moyens  d’on  amasser  des  provisions  considérables;  c’est  dans  des  réser- 
voirs placés  à l’extrémité  des  feuillos  que  vient  s’accumuler,  par  infiltra- 
tion, l’eau  que  la  Plante  a pompée  dans  le  sol  et  dans  l'atmosphère. 

Chaque  feuille  porte  & son  sommet  un  long  filament  quo  termine  une  espèce  d’urne;  celte 
urne  est  close  à son  orifice  par  un  couvercle  mobile.  Pendant  la  nuit,  le  couvercle  est  baissé, 
et  l'urne  se  remplit  d’une  eau  limpide,  très-bonne  à boire.  Pendant  le  jour,  le  couvercle  se 
soulève  un  peu , et  l'eau  diminue  de  moitié,  tant  par  l’évaporation  que  par  l'absorption. 

Les  feuilles  ne  se  bornent  pas  à absorber  de  l’eau;  elles  hument  l’air,  en  un  mot,  elles 
respirent.  Or,  pour  que  vous  compreniez  bien  la  respiration  des  Plantes,  il  faut  que  vous  ayez 
une  idée  exacte  de  la  respiration  des  animaux.  Je  serai  court  et  je  tâcherai  d'étre  clair. 


ggrans. 


ftiosii 

Annm-MuicHi. 


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31 


ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

Le  sang,  que  renouvellent  sans  cesse  les  aliments  que  nous  prenons,  va  déposer  dans  tous 
nos  organes  les  matériaux  propres  à les  consolider,  et,  à son  retour,  il  emporte  avec  lui  les 
matériaux  qui  ont  déjà  vécu,  et  que  le  temps  a détériorés;  ces  molécules  vieillies  sont  com- 
posées essentiellement  de  carbone  (charbon)  ; elles  rendent  noir  et  boueux  le  sang  qui  les 
cbarie , et  il  faut  à tout  prix  qu'il  s’en  déharrnsso  : pour  y parvenir,  le  sang  se  rend  dans  deux 
sacs  celluleux  comme  une  éponge,  qui  remplissent  notre  poitrine,  et  communiquent  avec 
l'extérieur  par  le  nez  et  la  bouche.  Ces  deux  sacs,  nommés  poumons,  reçoivent  à chaque  res- 
piration l'air  atmosphérique  qui  s’y  engouffre,  et  en  remplit  toutes  les  cavités.  Or,  l’air 
atmosphérique  se  compose  en  partie  d’un  gaz  nommé  oxygène,  qui  a une  grande  affinité  pour 
le  carbone  : au  moment  oü  nous  respirons , l’oxygène  entre  dans  notre  poitrine , attire , à tra- 
vers les  pellicules  du  poumon,  le  carbone  qui  altérait  la  pureté  du  sang;  la  combinaison 
s'opère  à l’instant , et  de  cette  combinaison  résulte  un  gaz  nouveau , composé  d'oxygène  et  de 
carbone , et  nommé  gai  acide  carbonique.  Ce  gaz , une  fois  formé , est  chassé  de  la  poitrine, 
et  se  mêle  à l’air  extérieur;  le  sang,  débarrassé  de  ses  matières  charbonneuses,  redevient 
rouge  et  propre  à nourrir  les  organes. 

Do  ce  que  je  viens  de  vous  dire , vous  devez  conclure  que  l'air  sorti  de  notre  poitrine  diffère 
de  celui  qui  y est  entré;  en  d'autres  termes,  que  l’air  expiré  diffère  de  l’air  inspiré.  L’air 
inspiré  contenait  beaucoup  d’oxvgène , l’air  expiré  en  possède  Iieaucoup  moins , et  la  quantité 
perdue  est  remplacée  par  du  gaz  acide  carbonique.  Ce  gaz  est  impropre  à la  respiration  ; et  ce 
qui  le  prouve,  c'est  que  si  vous  restez  longtemps  renfermé  dans  un  lieu  bien  clos,  tout  l'oxy- 
gène de  l’air  que  contient  ce  lieu  devenant  acide  carbonique  au  moyen  du  carbone  de  votre 
sang,  cet  air  n’est  plus  respirable,  et  vous  mourrez  asphyxié,  comme  si  vous  aviez  allumé  du 
charbon  dans  votre  chambre  (seulement  l’asphyxie  est  moins  rapide  qu'avec  un  réchaud). 

De  là  découle  une  règle  d'hygiène  bien  importante  : c’est  qu’il  faut  aller  souvent  à la  pro- 
menade, hahiter  des  appartements  bien  aérés,  et  surtout  no  pas  s’emprisonner,  pendant  le 
sommeil , dans  des  rideaux  oh  l’on  respire  plusieurs  fois  le  même  air. 

o Mais,  dites-vous,  si  l'oxygène  est  constamment  changé  en  gaz  acide  carbonique  par  la 
« respiration  des  animaux , ce  n’est  pas  seulement  l’air  des  maisons  qui  est  dénaturé  ; l'air 
« extérieur  doit  aussi  peu  à peu  s'altérer,  et  il  viendra  un  moment,  éloigné,  mais  inévitable, 
« oh  l'atmosphèro  tout  entière  sera  viciée  ; dès  lors  l'air  n’étant  plus  respirable,  tous  les  ani- 
« maux  périront  par  asphyxie.  » 

Cette  conclusion  est  logique  ; mais  rassurez-vous  : la  Providence  a rendu  cette  catastrophe 
impossible;  elle  a placé  dans  le  voisinage  des  animaux  d'autres  êtres,  qui  se  font  un  aliment 
do  ce  qui  est  un  poison  pour  nous  : ces  êtres  sont  les  Végétaux.  L’air  chargé  d’acide  carbo- 
nique n’est  plus  propre  à notre  respiration;  il  va  l’être  pour  celle  des  Plantes  : leurs  feuilles 
absorbent  le  gaz  acide  carbonique  par  une  infinité  de  petites  bouches  dont  leur  épiderme  est 
criblé  et  qu’on  peut  voir  avec  une  loupe.  Elles  décomposent  rapidement  ce  gaz,  gardent  pour 
elles  le  carbone , qui  se  iiquétie , se  solidifie  et  s'ajoute  à leur  substance , puis  elles  rejettent 
dans  l’air  l’oxvgène , et  rétablissent  les  proportions  que  les  animaux  avaient  détruites  en  res- 
pirant. L'air  se  trouve  de  la  sorte  purifié  par  les  Végétaux , à mesure  qu'il  est  vicié  par  les 
animaux.  Cette  respiration  des  feuilles  s’effectue  à la  lumière.  De  là  le  plaisir  indéfinissable 
que  nous  fait  éprouvor  une  promenade  matinale  dans  les  bois  et  dans  les  prairies , oh  nous 
respirons  un  air  riche  en  oxygène. 

Ainsi  les  Plantes  nourrissent  les  Animaux  ; mais  ceux-ci  à leur  tour  alimentent  les  Végétaux, 
et  il  ne  serait  pas  absurde  de  -dire  à un  Pommier,  dont  vous  avez  autrefois  mangé  le  fruit  : 
En  respirant  sous  ton  feuillage , je  te  rends  l'aliment  que  tu  m'as  donné. 

Je  viens  de  vous  exposer  rapidement  la  respiration  diurne  des  feuilles;  elles  en  ont  une 
autre  qui  s’opère  pendant  la  nuit  : cette  respiration  nocturne  n’est  pas  utile  aux  animaux, 
comme  la  précédente.  On  s’est  assuré,  par  des  expériences  multipliées,  que,  dans  l’obscurité, 
les  feuilles  absorbent  l'oxygène  de  l’air,  et  le  changent  en  acide  carbonique  au  moyen  du  cnr- 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

bone  contenu  dans  la  sève  qu’elles  ont  reçue  de  la  racine  et  de  la  tige;  mais  ce  larcin  que 
nous  font  les  feuilles,  en  appauvrissant  notre  atmosphère,  n’est  qu’un  emprunt  qui  a pour 
but  de  rendre  le  carbone  de  la  sève  'plus  apte  à la  nutrition  de  la  plante,  en  d'autres  termes, 
plus  facile  à digérer.  Au  retour  do  la  lumière,  le  gaz  acide  carbonique  formé  pendant  la  nuit 
ost  rapidement  décomposé;  l’oxygène  est  restitué  à l’atmosphère,  et  le  carbone,  que  sa  com- 
binaison avait  purifié,  s’assimile  et  s'incorpore  à la  substance  du  végétal. 

Les  Fleurs  ont  aussi  une  respiration  ; mais  celle-là  ne  peut  être  que  nuisible  aux  animaux , 
car  elles  absorbent  l’oxygène  de  l’air,  le  changent  en  gaz  acide  carbonique  aux  dépens  de  leur 
propre  carbone,  et,  au  lieu  de  rendre  l’oxvgéne  à l’air,  en  conservant  leur  carbone,  elles 
rejettent  dans  l’atmosphère  le  gaz  acide  carbonique  qu’elles  ont  formé  : c’est  exactement  ce 
que  font  les  animaux.  De  là  vous  conclurez  sans  peine  que  la  respiration  des  Fleurs , contri- 
buant à vicier  l’air,  est  dangereuse  pour  nous,  et  qu’il  y a de  l’imprudence  à entasser  des 
Fleurs  dans  son  appartement,  lors  mêmes  qu’elles  sont  inodores. 

Les  feuilles  absorbent  donc  les  liquides , et  respirent  les  gaz  ; mais  elles  possèdent  une 
faculté  qui  n’est  pas  moins  importante  que  les  deux  premières  : c’est  d’exhaler  le  superflu  do 
l’eau  qu’elles  ont  puisée  dans  l’air,  ou  que  la  sève  leur  a transmise.  Cette  fonction  se  nomme 
transpiration.  C’est  en  général  sous  forme  de  vapeur  que  l’eau  est  rejetée  par  les  feuilles; 
mais  lorsque  la  température  est  froide,  comme  à la  fin  de  la  nuit,  cette  eau  se  condense,  et 
apparaît  sous  forme  de  gouttelettes,  à la  surface  et  sur  les  bords  des  feuilles;  et  ce  qui  prouve 
que  cette  eau  ne  vient  pas  de  la  rosée  atmosphérique,  c’est  que  les  feuilles  s’en  couvrent  éga- 
lement lorsque  la  plante  est  couverte  d’une  cloche  de  verre,  et  séparée  du  contact  de  la  terre 
humide  par  une  plaque  de  plomb. 

Si  les  feuilles  absorbent , respirent , transpirent , ce  n’est  pas  seulement  pour  elles  et  pour 
la  tige;  c’est  surtout  au  bénéfice  des  bourgeons  que  s’exécute  celte  triple  fonction.  Ces  bour- 
geons, qui  sont  autant  de  rameaux  futurs , naissent  à Vaisselle  des  feuilles , c’est-à-dire  entre 
leur  pétiole  et  la  tige.  Si  cette  tige  est  herbacée,  chaque  bourgeon  se  hâte  de  former  un 
rameau  ; sur  ce  rameau  naissent  des  feuilles , protégeant  d’autres  bourgeons  qui  ne  tardent 
pas  eux-mêmes  à s’allonger,  et  cette  végétation  continue  jusqu’à  l’automne.  Dans  les  végétaux 
ligneux , c’est-à-dire  dans  les  arbres,  les  bourgeons  ne  se  développent  que  lentement  : ils 
commencent  à poindre  au  milieu  de  l’été,  et  on  les  nomme  alors  yeux  ou  œilletons;  ils  gros-  « 
sissent  un  peu,  jusqu’à  la  fin  do  la  belle  saison,  et  reçoivent  alors  le  nom  de  boutons.  Pendant 
l’hiver,  la  végétation  reste  stationnaire,  et  ils  ne  prennent  aucun  accroissement;  au  retour  de 
la  belle  saison,  dés  que  la  végétation  recommence,  ils  grossissent  rapidement,  et  deviennent 
des  bourgeons.  Mais  quelque  faible  que  soit  le  développement  du  bouton  pendant  l’été , son 
volume  acquis  suffit  pour  comprimer  le  pétiole  de  la  feuille  ; cette  compression  continue  finit 
par  resserrer  les  fibres  du  pétiole,  et  s’oppose  au  passage  de  la  sève,  qui  d’ailleurs,  à cette 
époque,  ne  possède  plus  qu’une  force  d'ascension  peu  considérable.  Ainsi,  la  nourriture  de  la 
feuille  est  interceptée  par  le  bourgeon,  que  cette  même  feuille  avait  protégé  et  nourri;  bientôt 
sa  couleur  verte  s’altère , elle  prend  des  nuances  variées , et  ne  tarde  pas  à se  détacher  de  sa 
branche  : alors  a lieu  la  chute  des  feuilles.  Ce  phénomène  inspire  de  la  tristesse  à beaucoup 
do  personnes,  et  les  poètes  l’ont  appelé  le  deuil  de  la  nature;  mais,  en  réalité,  il  doit  être 
considéré  par  tout  esprit  observateur  comme  un  événement  heureux , puisqu'il  est  l’annonce 
certaine  d'une  végétation  prospère  pour  l’année  suivante. 

Revenons  à nos  familles  : vous  avez  vu  que  les  Légumineuses  ont,  comme  les  Rosacées,  les 
feuilles  alternes  et  munies  de  stipules.  Il  est  vrai  que  la  fleur  diffère  dans  les  deux  familles, 
si  vous  l’observez  comparativement  dans  la  liose  et  dans  le  Pois  de  senteur;  ce  dernier  a, 
comme  toutes  les  Légumineuses  d’Europe , une  corolle  papilionacéc  et  dix  étamines , dont 
neuf  sont  soudées  en  tube  par  leurs  filets,  tandis  que  la  Rose  offre  une  corolle  symétrique  et 
des  étamines  indéfinies.  Mais,  dans  les  Légumineuses  exotiques,  telles  que  les  Casses  et  les 
Mimcuscs,  la  corolle  devient  presque  régulière,  et  les  étamines  sont  libres  et  nombreuses,  de 


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ÉCOLE  DE  BOTAMQl  E.  3.1 

sorte  que  la  limite  entre  ces  deux  familles  serait  difficile  à déterminer,  si  l'on  ne  rétablissait 
sur  l'organe  principal  de  la  fleur,  qui  est  le  fruit  ; or,  te  fruit  des  Légumineuses  est  constam- 
ment une  gousse. 

Remontons  quelques  plates-bandes  ; nous  allons  visiter  une  famille  nombreuse , et  dont  la 
physionomie  est  très-facile  à saisir  ; c’est  la  famille  des  Crucifères  (ce  mot  signifie  Porte-Croix) , 
Cueillez  une  fleur  de  cette  Giroflée  , que  l'on  cultive  dans  tous  les  jardins  : 
vous  voyez  d’abord  un  calice  formé  de  quatro  folioles  bien  distinctes  les 
unes  des  autres,  et  non  soudées  par  la  bas , comme  dans  les  Ilosacées  et  les 
Légumineuses.  Détachez-lcs  du  réceptacle,  en  les  abaissant  avec  une  épingle, 
vous  avez  sous  les  yeux  la  corolle  tout  entière  : elle  sa  compose  de  quatre 
pétales , dont  la  moitié  inférieure  est  posée  verticalement  sur  le  réceptable , 
mais  dont  la  moitié  supérieure  se  déjette  horizontalement  en  dehors , do 
manière  à former  avec  les  autres  pétales  une  croix  â quatre  branches  arron- 
dies. Enlevez  ces  pétales , et  observez  les  étamines  : il  y en  a six , qui  nais- 
sent, comme  les  pétales,  sur  le  réceptacle  (et  non  sur  le  calice,  comme 
dons  les  Rosacées  et  les  Légumineuses,  remarquez  bien  celte  différence); 
de  ces  six  étamines  qui  entourent  le  pistil  deux  sont  plus  courtes,  placées 
vis-à-vis  l’une  de  l'autre,  et  répondent  chacune  à l’une  des  deux  faces  de  l’ovaire,  qui  est 
légèrement  aplati;  les  quatre  autres,  plus  grandes,  sont  rapprochées  deux  à deux,  et  chaque 
paire  embrasse  l'un  des  tranchants  ou  bords  saillants  do  l'ovaire.  Cet  ovaire  est  terminé  à son 
sommet  par  une  petite  fourche  humide  et  spongieuse  : c'est  lo  stigmate;  et  le  petit  col  d'un 
vert  foncé  qui  sépare  l'ovaire  du  stigmate,  est  le  style. 

Avant  d’aller  plus  loin,  je  veux  vous  proposer  un  petit  problème,  dont  l'examen  n'est  pas 
sans  intérêt.  Vous  avez  remarqué  que  les  follioles  du  calice  ne  sont  pas  égales  entre  elles  ; il 
y en  a deux  qui  sont  larges,  creusées  en  dedans  et  renflées  en  dehors,  comme  si  chacune 
d’elles  était  chargée  intérieurement  d’un  corps  dont  la  pression  permanente  tendit  à dilater 
son  fond  et  à faire  descendre  son  point  d’attache.  Or,  c’est  précisément  ce  qui  arrive  ici  : ces 
deux  folioles  concaves,  qui  ne  sont  réellement  pas  situées  sur  le  même  plan  que  les  deux 
autres,  mit  leur  fond  rempli  par  le  filet  d’une  étamine;  si  vous  examinez  cette  étamine , ainsi 
que  celle  du  côté  opposé,  vous  observerez  qu’elles  u'arrivent  pas  à la  même  hauteur  que  les 
quatre  autres.  Ce  n'est  pas  qu’elles  soient  plus  courtes,  mais  c’est  que,  le  filet  se  courbant 
inférieurement  pour  se  loger  dans  la  cavité  do  la  foliole,  la  hauteur  de  l'étamine,  sinon  sa 
langueur  réelle,  en  est  diminuée  d’autant.  Quelle  est  maintenant  la  cause  de  cette  courbure? 
Voilà  la  question  à résoudre. 

Abaissez  un  peu  les  deux  étamines  courtes,  et  vous  découvrirez  à la  base  interne  de  chacune 
d’elles  uue  petite  protubérance  arrondie  , d’un  vert  foncé  et  luisant  : c'est  cette  protubérance 
qui  pèse  constamment  sur  la  partie  inférieure  du  filet , le  force  à prendre  un  détour,  et  le  rac- 
courcit en  apparence.  Or,  la  courbure  imprimée  au  filet  se  communique  à la  pièce  correspon- 
dante dtl  calice  : d’oil  il  résulte  que  les  deux  folioles  qui  reçoivent  ces  deux  étamines 
contournées  descendent  plus  bas.  et  arrivent  aussi  moins  haut  que  les  deux  autres. 

Arrachez  délicatement  l'une  des  étamines  en  question , vous  verrez  que  le  petit  corps  vert 
occupe,  non-seulement  la  base  interne  du  filet,  mais  l’embrasse  complètement,  et  forme 
autour  d’elle  une  sorte  do  piédestal,  dans  lequel  ce  filet  était  comme  enchâssé. 

Vous  pourrez  eu  même  temps  remarquer,  au  bas  de  deux  étamines  raccourcies,  une  ou 
plusieurs  gouttelettes  de  liqueur  limpide,  d'une  saveur  sacrée.  Celle  liqueur  a suinté  des  petits 
corps  verts  : c’est  elle  qui  attire,  dans  l’intérieur  des  corolles,  les  Insectes  que  vous  voyez  s'y 
plonger  avidement.  Jo  vous  ai  fait  connaître  le  but  que  la  nature  s’est  proposé  en  plaçant 
ainsi  des  magasins  do  sucre  au  fond  des  Fleurs;  ce  n'est  pas,  vous  lo  savez,  an  bénéfice 
exclusif  des  Insectes,  mais  bien  dans  l'intérêt  réciproque  rie  la  plante  et  de  l'animal  que  ce 
nectar  est  élaboré. 


Cfiontt. 


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34 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Le  problème  que  vous  venez  d'examiner  fut  proposé,  il  y a bien  des  années,  par  Jean- 
Jacques  Rousseau  à M“*  Delessert,  qui  voulait  donner  à sa  RI  le  quelques  notions  do  botanique. 
Jean-Jacques,  vieux  et  infirme,  en  proie  à des  chagrins  de  toute  espèce,  avait  trouvé  dans 
l'étude  de  l'histoire  naturelle  une  puissante  consolation.  Il  écrivit  alors  à MBe  Delessert,  qu’il 
appelait  sa  bonne  cousine , quelques  lettres  sur  la  botanique,  et,  dans  l'une  de  ces  lettres,  il 
lui  soumit  la  question  relative  à l'inégalité  des  deux  folioles  renflées  et  des  deux  étamines 
raccourcies.  Mmw  Delessert  résolut  la  moitié  du  problème  : elle  comprit  bien  que  les  folioles 
du  calice  sont  renflées  parce  que  les  étamines  se  logent  dans  leur  cavité;  elle  comprit  que  les 
étamines  paraissent  plus  courtes  parce  qu'elles  sont  recourbées , mais  elle  ne  put  découvrir  la 
cause  première  do  leur  courbure,  car  elle  ne  remarqua  pas  les  deux  grosses  glandes  qui  pèsent 
sur  elles.  Si  vous  avez  pu  les  observer  dans  la  Giroflée,  vous  les  verrez  encore  mieux  dans  la 
fleur  du  Chou  que  voici,  et,  en  outre,  vous  allez  en  trouver  deux  autres,  moins  volumineuses, 
situées  au  pied  des  deux  paires  d’étamines  longues;  mais  comme  elles  sont  plantées  en  dehors 
des  filets,  ceux-ci  ne  subissent  aucune  déviation,  et,  montant  verticalement  en  droite  ligne, 
s’élèvent  plus  haut  que  les  deux  autres. 

Les  huit  lettres  de  Jean- Jacques  Rousseau  h Mmc  Delessert  contribuèrent  singulièrement  à 
répandre  en  France  le  goût  de  l’histoire  naturelle.  Les  gens  du  monde , qui  n’avaient  vu 
jusque-là  dans  la  botanique  qu’une  nomenclature  de  drogues  purgatives,  diaphoniques  ou 
alexipharmaques , accueillirent  avec  empressement  l’opuscule  de  Jean-Jacques , chef-d'œuvre 
d’élégance  et  de  simplicité.  Ces  lettres  ont  donc,  par  le  service  qu’elles  ont  rendu,  une  valeur 
scientifique  autant  que  littéraire;  mais  ce  qui  achève  de  les  rendre  précieuses,  c’est  que 
M.  Benjamin  Delessert,  fils  de  la  bonne  comine,  qui  est  resté  possesseur  de  l’original  des 
lettres , a groupé  autour  de  ce  manuscrit  tous  les  ouvrages  de  botanique  publiés  chez  les 
anciens  elles  modernes  jusqu’à  nos  jours.  Il  s’est  formé  de  la  sorte  la  plus  riche  bibliothèque 
botanique  qui  soit  au  monde.  Cette  bibliothèque  est  libéralement  ouverte  {sans  vacances  ! ) à 
tous  les  amis  de  la  science  des  Fleurs , qui  peuvent  y puiser  aux  meilleures  sources  les  docu- 
ments dont  ils  ont  besoin,  et  y trouvent  en  outre,  comme  pièces  justificatives,  un  immense 
herbier  où  les  Plantes  de  toutes  les  régions  du  globe  sont  classés  avec  soin  et  nettement 
déterminées. 

Il  vous  reste  maintenant  à étudier  le  pistil  de  votre  Giroflée.  Vous  avez  déjà  observé  la 
forme  allongée,  un  peu  aplatie,  de  l’ovaire,  son  stigmate  fourchu  et  le  style  très-court  qui 
sépare  l’un  de  l’autre;  remarquez  le  tissu  mou,  spongieux,  légèrement  gluant  de  ce  stigmate  : 
c’est  sur  ce  tissu  que  va  se  déposer  le  pollen  ou  poussière  fécondante,  c’est  entre  ses  mailles 
peu  serrées  que  le  pollen  se  fraye  un  passage  pour  descendre  jusqu’aux  graines.  Prenez 
maintenant  un  pistil  bien  développé , coupez-le  en  travers , et  par  le  milieu , vous  verrez 
qu’il  forme  deux  cavités  entre  lesquelles  est  posée  une  cloison.  Maintenant  cherchez  à ouvrir 
une  de  ces  cavités  on  soulevant,  de  bas  en  haut,  un  des  côtés  plats  du  pistil.  Il  y a,  sur  ce 
côté  plat,  une  couture  qui  vous  indiquera  la  place  où  vous  devez  appliquer  la  lame  de  votre 
canif  : cette  couture  cédera  sans  résistance  à l’instrument,  cl  vous  trouverez,  dans  l’intérieur, 
des  graines  aplaties,  suspendues  à de  petits  cordons.  L’écartement  que  vous  avez  opéré  par 
un  mécanisme  artificiel  s’exécute  naturellement,  quand  le  pistil  est  parvenu  à sa  maturité.  Les 
lames  se  voient  alors  décollées  et  suspendues  par  leur  extrémité  supérieure;  puis,  avec  l’Age, 
elles  se  détachent  tout  à fait,  et  tombent,  de  manière  qu’il  ne  reste  debout  que  la  cloison, 
couronnée  par  le  stigmate  que  vous  connaissez,  et  bordée  le  long  de  ses  côtés  par  deux  ourlets 
d’où  partent  des  cordons  tortueux , auxquels  sont  suspendues  les  graines. 

Comparez  avec  la  Giroflée  les  diverses  espèces  d7 lesperis,  nommées  vulgairement  Julien- 
nes, les  Choux , les  ft'avets,  les  Radis,  le  Cresson  de  fontaine , le  Cresson  alénois,  le  Thlaspi 
des  jardiniers  (Ibcris) , dont  les  corolles  ont  leurs  deux  pétales  extérieurs  plus  développés 
que  les  deux  intérieurs;  enfin  la  Bourse  à pasteur  {Thlaspi  bu  rsa  postons) , petite  plante  qui 
abonde  partout  et  fleurit  toute  l’année.  Vous  jugerez  saus  peine  que  tous  ces  Végétaux,  mal- 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE.  35 

gré  la  diversité  qui  les  distingue  entre  eux,  appartiennent,  comme  la  Giroflée,  à la  famille  des 
Crucifères. 

Vous  voulez  cueillir  uno  petite  brancho  de  cette  plante  dont  les  feuilles , d'un  vert  glauque , 
sont  divisées  eu  découpures  arrondies  ; prenez  garde  au  suc  jaune  qui  suinte  de  l’extrémité 
de  la  tige  que  vous  venez  de  briser  : ce  suc  est  très-àere  et  tache  fortement  la  peau.  — La 
plante  que  vous  avez  sous  les  yeux  est  la  Chélidoine  ( Chelidoniwn  mojus) , vulgairement 
nommée  grande  Éclaire.  — Vous  croyez  reconnaître  dans  ce  végétal  un  membre  do  la  grande 
famille  des  Crucifères  : vous  voyez  en  effet  une  corolle  de  quatre  pétales  disposés  en  croix , et 
le  pistil  se  sépare  en  deux  pièces  qui  tombent  et  laissent  eu  place  un  ourlet  chargé  de  graines. 
Mois  regardez  le  calice  : il  est  de  deux  folioles  très-caduques  ; comptez  les  étamines  : il  y en  a 
une  trentaine;  malgré  ces  différences,  la  Chélidoiue  est,  non  pas  une  Crucifère,  mais  du 
moins  une  alliée  de  la  famille. 

C'est  à la  famille  des  Parois  ou  Papavéraeées  qu'appartient  la  Chélidoine. 

— Voici  le  Paroi  Somnifère,  que  vous  pouvez  comparer  avec  elle  : calice 
de  deux  folioles , corolle  de  quatre  pétales , chiffonnés  dans  la  tleur  non 
épanouie;  étamines  nombreuses  naissant  sur  le  réceptacle.  Jusqu'ici,  l'ana- 
logie ost  évidente  ; mais  le  pistil  offre  une  différence  notable  : c'est  une 
capsule,  couronnés;  par  des  styles  en  forme  de  plaques  rayonnantes,  qui 
portent,  sur  leur  milieu,  des  stigmates  allongés  en  lignes  brunes;  cette 
capsule  est  ovale , et  renferme  un  nombre  infini  de  graines  blanches  qui 
tapissent  dos  lames  saillantes,  attachées  à ses  parois.  — Vous  voyez  un  suc 
laiteux  blanc  suinter  de  la  tige  et  de  lu  capsule  déchirées;  ce  suc  laiteux  est 
V opium . qui,  pris  en  petite  quantité,  est  le  plus  précieux  des  calmants , et 
devient  un  poison  lorsqu'on  l'administre  à haute  dose.  Cependant  les  Orien- 
taux on  font  un  usage  immodéré  ; ils  le  boivent , le  michent  ou  le  fument; 
mais  l'habitude  émousse  son  action  narcotique,  et  un  Turc  en  avale  impunément  des  doses, 
dont  la  deux  centième  partie  suffirait  pour  endormir  à jamais  un  Européen.  Toutefois,  l'abus 
de  l'opium  a cela  de  grave  pour  les  Orientaux,  qu’ils  sont  obligés  d’user  do  doses  successive- 
ment croissantes  pour  obtenir  cette  ivresse  délicieuse  qu'ils  regardent  comme  la  félicité 
suprême  ; aussi  tombent-ils  bientôt  dans  un  état  d'abrutissement  physique  cl  moral  dont  rien 
ne  peut  les  tirer. 

Ce  Pavot,  que  vous  voyez  auprès  du  Somnifère,  et  qui  ne  s'en  distingue  que  par  sa  cap- 
sulo  tout  à fait  sphérique  et  ses  graines  noires,  est  cultivé  en  grand  dans  le  nord  de  la  France, 
où  l'on  retire  de  ses  graines  une  huile  nommée  huile  d'œillette,  que  l'on  vend  communément 
à Paris  pour  de  l’huile  d'olive. 

Ces  diverses  espèces  de  Coquelicots  que  vous  voyez  ici  appartiennent  au  genre  Pavot, 
comme  vous  pouvez  vous  en  assurer  en  examinant  leur  fleur. 

Parmi  les  Végétaux  à semences  nombreuses,  le  Pavot  Somnifère  est  cité  comme  l’un  des 
plus  féconds:  un  seul  pied  produit  assez  de  capsules  pour  fournir  en  un  an  32,000  graines; 
notez  que  chaque  graine  contient  dans  son  sein  le  germe  d'une  nouvelle  plante;  supposez  que 
ces  32,000  graines  soient  toutes  semées  convenablement,  et  réussissent,  vous  en  aurez,  lu 
seconde  année,  1,024,000,000;  en  supposant  toujours  que  ces  graines  soient  toutes  semées, 
et  produisent  chacune  32,000  autres  graines,  vous  aurez  nu  bout  de  quatre  ans  le  chiffre 
1,048,576,000,000,000,000;  d'où  vous  pourrez  conclure  que,  si  aucune  graine  ne  périssait, 
la  postérité  d'une  seule  graine  de  Pavot  couvrirait,  dès  la  quatrième  année,  plus  que  la  sur- 
face entière  du  globe  terrestre. 

Non  loin  des  Pavots,  vous  voyez  la  famille  dos  llenonculacées.  Cueillez  cette  Fleur  (V Au- 
rait? ; son  nom  latin  Aquilegia,  signifie  réservoir  d'eau  : ce  nom  n'est-il  pas  justifié  par  la 
forme  des  cinq  pétales  creux,  et  figurant  assez  bien  une  urne  ou  une  corne  d’abondance?  Eu 
dehors  sont  les  cinq  folioles  du  calice,  dont  la  couleur  est  bleue  comme  celle  de  la  corolle,  cl 


Pavot  Sovsirtu. 


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30 


DEUXIÈME  PARTIE. 

qui  so  détachent  nettement  les  unes  des  autres;  en  dedans  sont  les  étamines,  qui  sont  nom- 
breuses, et  naissent  sur  le  réceptacle.  Le  pistil  se  compose  de  cinq  ovaires  bien  distincts,  qui 
s'ouvrent  à peu  prés  eommo  de  petites  gousses,  et  portent  une  série  de  graines  le  long  do 
leur  bord  intérieur.  Voilà  l'Ane  O lie,  telle  que  la  nature  Ta  faite.  Mais  dans  les  jardins  où  ou 
la  cultive,  la  nourriture  trop  succulente  qu’elle  reçoit  de  la  main  de  l'homme  altère  sa  sim- 
plicité primitive,  et  lui  fait  subir  des  métamorphoses  dont  la  plus  fréquente  est  eello  quo  vous 
vovoz  ici  : les  cinq  pétales  creux  en  renferment  de  semblables,  emboîtés  par  séries  les  uns 
dans  les  autres  comme  des  cornets,  et  diminuant  de  grandeur  à mesure  qu’ils  s'éloignent  du 
plus  extérieur.  Il  vous  est  facile  de  voir  que  cette  multiplication  de  iiétales  s’est  faite  aux  dé- 
pens des  étamines,  puisque  celles-ci  deviennent  d'autant  plus  rares  que  les  cornets  sont  plus 
nombreux. 

Cotte  tendance  à la  métamorphose,  qui  se  fait  remarquer  surtout  dans  les  Fleurs  dont  les 
étamines  sont  nombreuses,  peut  s'observer  surtout  dans  les  Renoncule»  modifiées  par  la  cul- 
ture, et  quo  les  fleuristes  nomment  Boulon»  d’or;  c'ost  ce  que  vous  voyez  également  dans  la 
Renoncule  asiatique,  dont  les  ovaires  eux-mêmes  se  sont  changés  en  pétales.  Quant  aux 
Renoncule»  simples,  leur  structure  est  facile  à étudier  : cinq  folioles  distinctes  formout  le 
calice;  la  corolle  se  compose  de  cinq  pétales  d'un  jaune  vernissé;  remarquez  au  bas  de  cha- 
que pétale  une  petite  écaille  qui  s'applique  contre  la  base  interne  do  celui-ci  : elle  forme  un 
petit  sac,  au  fond  duquel  est  une  glande  à nectar.  Eu  dedans  de  ces  pétales  s'élève  la  pha- 
lange des  étamines  : elles  sont  nombreuses  et  posées  sur  le  réceptacle;  le  pistil  est  formé  de 
petits  ovaires  nombreux,  qui,  au  lieu  d'être  groupés  sur  un  plan  horizontal,  comme  dans 
l'Ancolie,  s'échelonnent  en  spirale  autour  du  réceptacle,  et  peuvent  facilement  se  détacher 
les  uns  des  autres. 

Dans  les  Anémone»,  vous  ne  trouverez  pas  de  corolle,  mais  seulement  un  calice  de  cinq  à 
quinze  grandes  folioles  colorées  comme  des  pétales;  les  ovaires  offrent  la  même  disposition 
spirale,  et  ne  contiennent  qu’une  seule  graine,  comme  dans  les  Renoncules  ; chez  quelques 
espèces,  et  notamment  chez  l’Anémone  de»  prés,  nommée  vulgairement  la  l’ulsatille,  les 
styles  s'allongent  à la  maturité;  ils  forment  une  espèce  de  queue  plumeuse  qui  donne  prise 
au  vent,  et  favorise  la  dispersion  des  ovaires.  — Les  Clématite»  offrent  aussi 
cet  accroissement  singulier  des  styles,  mais  elles  diffèrent  de  toutes  les 
autres  Rcnonculacées,  en  ce  que  leur  tigo  est  grimpante,  et  leurs  feuilles 
opposées.  Cello-ci  ( Clemalis  Vitalba  ) porte  un  surnom  populaire  fort  peu 
élégant.  Les  mendiants  s’en  servent  pour  exciter  la  pitié  publique  : la  veillo 
des  fêtes  patronales , ils  s’appliquent  sur  les  bras,  sur  les  jambes  ou  sur 
le  dos,  les  feuilles  pilées  de  cette  plante;  le  suc  caustiquo  qu'elles  contien- 
nent enflamme  la  peau  comme  un  vésicatoire,  et  soulève  des  ampoules 
énormes;  les  mendiants  enlèvent  alors  l'épiderme  et  mettent  ainsi  à nu  une 
plaio  très-rouge  et  d'un  aspect  effrayant.  Les  passants  s'empressent  do  faire 
l’aumône  aux  porteurs  de  ces  ulcères  hideux , et  le  lendemain , un  peu  de 
beurre  frais  suffit  pour  les  guérir.  Voilà  pourquoi  la  Clématite  est  sumom- 
inéu  l’Herbe  aux  gueux. 

Toutes  los  Rcnonculacées  sont  des  plantes  âcres,  sans  oxceptor  les  espèces  du  genre 
Ranunculu»,  dont  los  tiges  fluettes  dominent  le  gazon  des  prairies,  et  sont  terminées  par  des 
Fleurs  qui  ressemblent  à de  petits  bassins  d'or.  Ce  sont  surtout  celles  ipii  croissent  dans  les 
lieux  humides  que  les  animaux  herbivores  refusent  de  paître  : telles  sont  la  Renoncule  ram- 
pante et  la  Renoncule  scélérate.  Mais  ces  plantes  perdent  leur  âcreté  par  la  dossiccation,  et 
donnent  do  bon  foin,  que  les  bestiaux  mangent  volontiers. 

Do  toutes  les  Rcnonculacées,  la  plus  vénéneuse  est  le  A ’apel,  qui  appartient  au  genre 
Acom'f,  et  qu’on  rencontre  dans  tous  les  jardins  : le  calico  est  très-irrégulier,  et  ressemble  à 
une  corolle;  la  foliole  supérieure  forme  un  casque;  sous  ce  casque  sont  logés  deux  pétales, 


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37 


ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

ayant  la  forme  de  capuchons  et  portés  sur  un  long  pied.  — Le  genre  Dauphinelte  [Delphi- 
nium) offre  aussi  un  calice  irrégulier,  coloré  comme  une  corolle;  la  foliole  supérieure  so 
relève  en  bonnet  pointu,  et  renferme  dans  sa  cavité  deux  pétales  soudés,  et  se  relevant  en 
queue.  Voici  l’espèce  la  plus  commune,  nommée  vulgairement  Pied  d' Alouette;  c'est  le  Del- 
phinium Ajacis. 

Vous  voyez  que  dans  la  famille  des  Itenonculacécs,  les  genres  diffèrent  beaucoup  entre  eux 
par  leur  calice  et  par  leur  corolle,  laquelle  manque  même  dans  quelques-uns  ; mais  dans  tous, 
les  folioles  du  calice  et  les  pétales  sont  distincts  les  uns  des  autres;  les  étamines  sout  nom» 
breuses,  et  posées  sur  lo  réceptacle;  les  graines  ont  la  même  structure;  dans  presque  tous, 
enfin,  les  feuilles  sont  découpées  en  lanières  profondes.  C'est  donc  une  famille  très-naturelle, 
malgré  la  diversité  que  présentent  les  organes  secondaires  de  la  Fleur. 

Descendons  quelques  plates-bandes;  nous  rencontrons  sur  notre  chemin  la  Vigne,  qui 
forme  & elle  seule  une  famille.  Son  origine  se  perd  dans  la  nuit  des  temps.  Lo  roi  Céryon  lu 
recueillit  dans  l’Arabie  Heureuse,  et  la  transporta  en  Espagne;  les  Phéniciens,  qui  exploitaient 
tout  lo  littoral  de  la  Méditerranée,  en  dotèrent  successivement  la  Sicile,  la  Grèce,  l'Italie  et 
Marseille.  La  Vigne  s’étendit  peu  à |ieu  dans  la  Gaule  méridionale,  et  elle  était  déjà  parvenue 
dans  les  provinces  du  centre,  lorsque  le  farouche  Domitien,  en  l’an  de  Jésus-Christ  i)2,  la  lit 
extirper  complètement  dans  les  Gaules,  sous  prétexte  que  sa  culture  nuisait  à celle  du  blé. 
La  Vigno  fut  exilée  pendant  deux  cents  ans,  et  ce  fut  l’empereur  Probus  qui  la  rendit  aux 
Gaulois.  Vous  savez  ie  parti  qu’ils  en  ont  tire.  Ils  en  ont  fait  non-seulement  du  vin,  mais  iis 
ont  su  séparer  de  ce  vin  l’élément  spiritueux  que  la  fermentation  y avait  développé  : c’est 
Arnaud  de  Villeneuve,  professeur  de  médecine  en  la  Faculté  de  Montpellier,  qui  a le  premier 
distillé  Veau-de-vie,  que  les  chimistes  nomment  alcool. 

Voici  la  famille  des  Malvacées,  qui  mérite  à plus  d’un  titre  de  fixer  notre  attention.  Prenez 
uno  de  ces  fleurs  do  Mauve,  vous  verrez  un  calice  à folioles  soudées,  pourvu  extérieurement 
d'un  autre  calice  semblable  & lui;  la  corolle  est  de  cinq  pétales;  les  étamines  sout  nom- 
breuses, leurs  filets  sont  soudés  en  tube  dans  leur  moitié  inférieure,  et  leurs  sommets  chargés 
d'anthères  forment  une  gerbe  élégante;  les  étamines  sont  posées,  ainsi  que  les  pétales,  sur  le 
réceptacle  du  la  Fleur;  le  pistil  se  compose  d’un  grand  nombre  de  petits  ovaires  qui  forment, 
par  leur  ensemble,  un  petit  tourteau  et  portent  chacun  un  style;  tous  ces  styles  réunis  mon- 
tent dans  lo  tube  formé  par  les  étamines.  Vous  trouverez  ces  caractères  avec  des  différences 
de  nombre,  do  grandour  et  de  forme,  dans  tous  les  genres  de  la  famille  des  Malvacées,  tels 
que  les  Mauves,  les  Guimauves,  les  Sida,  les  Abulilon,  les  Alcées  ou  Doses  Trémières,  etc, 

Lo  Cacaoyer,  petit  arbre  do  l’Amérique  méridionale,  dont  les  graines,  légè- 
rement torréfiées  et  broyées  ensuite,  fournissent  à l’homme  l’aliment  nommé 
chocolat,  appartient  aux  Malvacées.  C'est  à la  même  famille  quo  nous  devons 
ce  duvet  précieux  qui  est  l’objet  d'un  commerce  si  considérable  entre  l’ancien 
et  le  nouveau  monde.  Lo  Coton  est  une  sorte  de  chevelure  entourant  les  se- 
mences du  Cotonnier  herbacé  et  du  Cotonnier  arborescent  ; les  filaments  soyeux 
qui  lo  constituent  sont  garnis , sur  toute  leur  longueur , de  petites  dentelures 
visibles  à la  loupe  : c’est  ce  qui  explique  comment  ces  filaments , quoique  très- 
courts,  peuvent  s'ajuster  bout  à bout  les  uns  aux  autres,  et  former  ainsi  un 
fil  d'une  longueur  indéfinie.  Enfin,  c’est  dans  la  famille  des  Malvacées  que 
vient  se  ranger  cet  immense  Baobab , dont  nous  verrons  dans  les  serres  un  jeuno 
individu  : le  tronc  de  ce  géant  du  Règne  végétal  peut  acquérir  quatre-vingt-dix 
pieds  de  circonférence. 

Auprès  des  Malvacées,  nous  trouvons  les  Géraniécs,  dont  les  genres,  quoique  d'aspect 
bien  différent , se  rapprochent  par  des  caractères  communs.  Voici  d'abord  les  espèces  du 
genre  Géranium,  ainsi  nommé  parce  que  le  fruit  a la  forme  d'un  liée  de  grue.  Il  y en  a 
plusieurs  dont  les  fleuristes  font  grand  cas.  Voici  la  Capucine , originaire  du  Pérou , et 


COTOKïU». 


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38 


DEL  MÊME  P ARTIE. 

cultivée  aujourd'hui  dans  touto  l'Europe , comme  plante  potagère  et 
comme  plante  d'ornement.  Toutes  ses  parties  ont  une  saveur  Acre  et 
piquante,  assez  agréable.  La  tille  de  Linné  a observé  la  première,  sur  la 
Capucine,  un  phénomène  très-curieux  : dans  les  beaux  jours  d'été,  vers 
le  crépuscule  du  soir,  il  sort  de  la  Heur  une  lumière  vive  comme  l'éclair, 
qui  ressemble  à une  étincelle  électrique  ; quelques  chimistes  attribuent  ces 
petits  éclairs  à une  production  de  phosphore  exhalé  par  la  fleur  et  s'en- 
flammant à l’air.  Voici  la  Baltaminc,  originaire  du  l'Inde , qui  est  cultivée 
dans  tous  les  jardins,  oit  elle  double  facilement;  près  d'elle  est  la  Balsa- 
mine jaune , nommée  aussi  Mali  Tanyere  (No  mo  louchez  pas).  Ces  deux 
espèces  forment  le  genre  Impatiente;  vous  comprendrez  la  signification  do 
ce  nom  , si  vous  touel.cz  le  pistil  mûr  de  l'une  rte  ces  Plantes  ; les  ovaires 
s<>  roulent  eu  dodaus  avec  élasticité  , et  lancent  au  loin  les  graines  qui  y 
sont  renfermées.  Le  genre  le  plus  intéressant  ( pour  l’homme)  de  la  famille 
des  (îéraniées,  est  le  Lin,  dont  une  espèce,  originaire  du  plateau  do  la  haute  Asie,  est  devenue 
indigène  en  Europe;  les  fibres  de  son  écorce,  préparées  par  le  rouissage, 
se  séparent  facilement,  et  servent  à faire  les  tissus  de  01  les  plus  fins,  et 
même  les  dentelles.  Les  graines  sont  employées  en  médecine , et  on  en 
extrait  une  huile  grasse,  très-employée  pour  la  peinture. 

Nous  passons  devant  la  Une , sur  laquelle  nous  avons  observé  les  ma- 
nœuvres îles  étamines;  prés  d'elle  est  le  Dictante  Fraxinelte , qui  est  de  la 
même  famille  que  sa  voisine.  Sentez- vous  l'odeur  pénétrante  que  répand 
cette  plante?  Elle  est  loin  d'ètro  aussi  désagréable  que  celle  de  la  Hue,  La 
vapeur  qu'elle  exhale  est  une  huile  volatile,  réduite  en  gaz;  si,  à la  tin 
d'une  chaude  journée  d’été,  vous  vous  approchez  d’elle  avec  une  bougie 
allumée,  l'atmosphère  qui  l’enveloppe  s’enflamme  sans  endommager  la 
plante.  Vous  pourrez  aussi  observer  sur  la  Fraxinelte  le  mouvement 
des  étamines  que  vous  a présenté  la  Hue. 

Nous  voici  devant  la  famille  des  Cariophyllées,  l’une  des  plus  naturelles  du  Règne  végétal  ; 
une  lige  herbacée,  noueuse,  avec  des  feuilles  opposées,  naissant  par  paire  de  chaque  nœud, 
un  calice  à cinq  folioles  ordinairement  soudées  en  tube;  une  corolle  de  cinq  pétales  libres, 
dix  étamines  posées  sur  le  réceptacle,  un  pistil  formé  d’un  ovaire  A graines  nombreuses,  et 
couronné  par  deux,  trois  ou  cinq  styles:  voilà  les  caractères  de  cette  famille.  Ses  goures 
principaux  sont  les  Ot'illets,  les  Saponairet,  les  Lychnis,  les  Cérastes,  les  Stellaire3,  dont  une 
espèce  fournit  lu  Morgeline  ou  Mouron  des  petits  oiseaux.  — Parmi  les  Lychnis,  il  y a une 
espèce  très-commune  dans  les  campagnes  ; c’est  le  Lyclmis  btanc  (Lychnis  divica),  dont  les 
Fleurs,  iuodores  pendant  lo  jour,  répandent  uu  parfum  suave  à rentrée  de  la  nuit,  (les  Fleurs 
présentent  une  particularité  dont  je  vous  ai  déjà  parlé  : les  unes  sont  pourvues  d’étamines 
seulement;  les  autres  n’ont  qu’un  pistil;  les  Fleurs  à pistil  et  les  Fleurs  à étamines  se  trou- 
vent sur  dos  pieds  séparés. 

La  famille  des  Crnssulées  va  vous  offrir  do  nouveau  les  étamines  posées  sur  le  calice, 
comme  vous  l'avez  vu  déjà  chez  les  Légumineuses,  et  surtout  chez  les  Rosacées;  ce  carac- 
tère est  très-important,  «t  vous  saurez  hientét  pourquoi  j’appelle  sur  lui  votre  attention.  — 
La  tige  est  ordinairement  herbacée;  les  feuilles  sont  épaisses,  charnues.  Le  calice  est  pro- 
fondément divisé,  c'est-à-dire  que  ses  folioles  ne  sont  soudées  ensemble  que  par  leur  base;  la 
corolle  n ses  pédales  en  nombre  égal  à celui  des  folioles  du  calice  ; ces  pétales  sont  tantôt 
libres,  tantôt  légèrement  soudés;  les  étamines  sont  tantôt  en  nombre  égal  à celui  des  pétales, 
tantôt  en  nombre  double;  et,  dans  ce  dernier  cas,  elles  sont  alternativement  attachées  à la 
base  du  pétale  et  à la  base  du  calice.  C’est  ce  que  vous  voyez  très-bien  dans  lo  Scdum 
brûlant  ( Scdum  acre)  ; les  ovaires  sont  en  nombre  égal  à celui  des  pétales,  disposés  en 


r*ixinttc. 


Giaxsim 


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30 


ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

cercle , distincts  les  uns  des  autres,  terminés  par  un  style  court  et  pointu; 
à la  hase  externe  de  chaque  ovaire  est  une  écaille  ou  glande  nectarée  ; à 
la  maturité,  les  ovaires  s’ouvrent  par  une  fente  longitudinale  placée  à l’angle 
intérieur,  les  graines  sont  nombreuses  et  attachées  au  bord  interne  des 
ovaires.  Les  Sedum , les  Crassules , les  Joubarbes  sont  les  principaux 
genres  de  cette  fumille , qui  fournit  à nos  parterres  quelques  jolies  plantes 
d’ornement. 

Les  Aopalées , qui  sont  des  Plantes  grasses , comme  les  Crassuldes,  ont 
des  tiges  charnues , épineuses , des  feuilles  petites,  caduques,  peu  appa- 
rentes, dont  les  fonctions  sont  évidemment  remplies  par  la  tige.  Les  Fleurs 
sont  ordinairement  solitaires  et  sessiles  sur  la  tige.  Le  calice  est  adhérent  à 
l’ovaire;  les  pétales  sont  en  nombre  indéfini,  insérés  vers  le  haut  du  calice, 
soudés  par  la  base,  et  disposés  sur  plusieurs  rangs;  les  étamines  sont  nom- 
breuses, et  naissent  sur  le  haut  du  calice  comme  les  pétales;  le  pistil  se  compose  d’un  ovaire 
surmonté  d’un  seul  style. 

Le  Cierge  raquette  (Cactus  opuntia)  a sa  tige  composée  d’articles  aplatis,  ovales;  ces  arti- 
cles sont  traversés  par  un  axe  ligneux,  et  leur  apparence  foliacée  provient  du  grand  dévelop- 
pement qu’a  pris  le  parenchyme;  en  vieillissant,  ils  deviennent  ligneux  et  cylindriques.  Cet 
arbrisseau,  originaire  de  l’Amérique,  est  maintenant  naturalisé  dans  le  midi  de  la  France. 
C’est  sur  lui  et  sur  le  Nopal  (Cactus  coccinili fer)  que  vit  la  Cochenille,  petit  insecte  très- 
employé  dans  la  teinture  pour  la  fabrication  du  carmin  et  de  la  laque  carminée.  La  femelle  se 
fixe  sur  la  tige  du  Nopal,  fait  sa  ponte  et  meurt;  mais,  utile  encore  à sa  famille,  son  corps 
desséché  et  changé  en  coque  lui  sert  de  rempart  contre  toute  cause  extérieure  de  destruction. 
Bientôt,  les  oeufs  étant  éclos,  les  petits  se  répandent  par  milliers  sur  la  plant»*,  s’y  attachent, 
et  y subissent  toutes  leurs  métamorphoses.  A la  dernière,  les  femelles  prennent 
l’état  d'immobilité  de  leur  mère;  c’est  alors  qu’on  les  recueille;  on  les  dessèche 
au  soleil,  et  on  les  envoie  en  Europe. 

Le  Cierge  du  Pérou  (Cactus  Peruviamts)  est  une  des  plus  helles  espèces  de 
la  famille.  On  en  apporta,  en  1700,  un  individu  au  Jardin;  il  y fut  planté, 
n’ayant  que  quatre  pouces  de  hauteur  et  deux  pouces  de  diamètre;  il  devint 
bientôt  si  grand,  qu’en  1713,  sa  tige  s’élevant  au-dessus  de  la  serre  dans 
laquelle  il  était  placé , on  fut  obligé  d’en  brûler  le  sommet  avec  un  fer  rouge , 
pour  arrêter  son  accroissement.  Cela  ne  l'empêcha  pas  de  pouss»*r  dns  jets  laté- 
raux; en  1717,  il  avait  vingt-trois  pieds  de  hauteur  et  sept  pouces  de  diamètre. 

On  prit  ensuite  le  parti  de  construire  autour  de  lui  une  cage  vitrée  qu’on  ex- 
haussa à mesure  qu’il  grandissait,  et  qui  bientôt  s’éleva  à quarante  pieds  do  Cjcüi »c p«or. 
hauteur.  Enfin,  on  fut  forcé  de  le  détruire,  parce  que  les  serres  ne  pouvaient 
le  suivre  dans  son  ascension,  et  vous  verrez  l’un  de  ses  rejetons,  qui  occupe  un  coin  de  la 
serre  carrée  de  l’Ouest.  Ce  Cierge , dont  l'histoire  fera  époque  dans  les  annales  du  Jardin , 
avait  des  racines  peu  étendues;  on  n’arrosait  jamais  la  terre  qui  le  soutenait,  il  pompait  sa 
nourriture  dans  l’air  atmosphérique,  par  la  seule  succion  de  son  écorce.  II  se  couvrait  toutes 
les  années  de  fleurs  qui  sc  fanaient  en  vingt-quatre  heures , mais  qui  se  succédaient  pendant 
un  mois. 

Je  ne  veux  pas  repasser  devant  le  Pistachier,  dont  nous  ovops  déjà  parlé,  sans  vous  dire 
un  mot  de  la  famille  à laquelle  il  appartient  : la  famille  des  Térébinthes  est  très-nombreuse  en 
arbres  et  en  arbustes;  nous  y trouvons  d’abord  le  Pistachier  commun  (Pista  ci  a vera );  puis 
le  Pistachier  à mastic  ( Pistacia  lent icus)  ; de  son  écorce  exsude  une  résine  balsamique  que 
les  Orientaux  mâchent  pour  sc  parfumer  l’haleine  et  fortifier  les  gencives.  Le  mastic  fourni 
par  les  Térébinthes  de  l’tle  de  Scio  est  exclusivement  réservé  pour  les  odalisques  du  Grand 
Seigneur.  N’approchez  pas  de  cet  arbrisseau  grimpant  : c’est  le  Sumac  vénéneux  (fihus  toxi- 


Süfn  Wf-nT. 


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lo 


DEL  MÊME  P V B T I K . 

codendmm) , dont  la  lige  produit  des  racines  aériennes,  et  dont  le  suc  est  si  caustique,  qu'une 
seule  goutte,  tombée  sur  la  peau,  suffit  pour  causer  une  inflammation  qui  s’étend  bientôt  à 
toute  la  surface  du  corps.  L'attouchement  des  feuilles  produit  des  démangeaisons  cuisantes 
et  des  ampoules;  la  vapeur  même  qui  s’exhale  de  toute  la  plante  peut  occasionner,  la  nuit 
surtout,  de  graves  accidents.  C’est  aussi  à la  famille  des  TérébinUies  qu’appartient  ce  bel 
arbre  de  la  Chine,  VAilanlus,  qui  s'est  naturalisé  en  France.  Enfin  l 'Encens  et  la  Myrrhe, 
dont  l'origine  est  encore  peu  connue,  sont  probablement  fournis  par  des  arbres  de  la  même 
famille. 

Nous  voici  près  de  la  cabane  du  jardinier,  derrière  laquelle  s'étond  la  famille  des  Ombelli- 
fires;  c'est  un  des  groupes  les  plus  naturels  du  Régne  végétal.  Les  feuilles  sont  ordinaire- 
ment très-découpées;  leur  pétiole  est  creux  à sa  base,  et  enveloppe  la  tige,  qui  est  presque 
toujours  herbacée.  Los  pédoncules  des  fleurs  divergent  comme  les  branches  d’un  parasol; 
chaque  pédoncule  se  subdivise  en  pédoncules  secondaires,  qui  divergent  à leur  tour,  et  dont 
chacun  porte  une  fleur.  Examiner,  lu  fleur  do  cet  Heracieum  : vous  verrez  cinq  pétales  blancs 
posés  sur  le  haut  du  calice, qui  est  tout  à fait  soudé  avec  le  pistil;  entre  ces  cinq  pétales  vous 
compter,  cinq  étamines  posées,  comme  les  pétales,  sur  une  espèce  de  petit  disque  qui  cou- 
ronne le  pistil,  et  que  traversent  deux  styles;  quand  le  fruit  est  mûr,  il  se  divisp  en  deux 
ovaires  qui  ne  contiennent  chacun  qu’une  seule  graine. 

L’espèce  la  plus  historique  de  l'.eitc  famille  est  la  Grande  Ciguë  ( Cunium  mmulatum) , dont 
vous  voyez  la  lige  inarquée  de  taches  vineuses,  et  qui  exhale  une  odeur  de 
souris  très-prononcée  ; ce  fut  le  poison  de  Socrate  et  de  Phocion , les  deux 
plus  vertueux  citoyens  d’Athènes.  La  Ciguë  de  nos  pays  n’est  pas  aussi 
vénéneuse  que  celle  de  la  Grèce,  c’est  néanmoins  une  piaule  narcotique  que 
l’on  emploie  en  médecine  avec  beaucoup  de  prudenre.  L'Axis , le  Fenouil, 

V Angélique , la  Coriandre,  la  Carotte,  le  Cerfeuil,  \e  fanais,  le  Persil , 

V OEnanthe , le  Phellandrium , la  Ciculaire,  I ’Elliuse,  appartiennent  à cette 
famille  : les  premiers  sont  aromatiques , les  autres  ont  une  odeur  suspecte 
el  sont  très- vénéneux.  Il  est  surtout  une  espèce,  nommée  vulgairement  Petite 
Ciguë  [Ælliusa  Cynapium) , qui  est  facile  à confondre  avec  le  Persil  ; ce 
qui  la  rend  encore  plus  dangereuse , c’est  qu’elle  croit  dans  tous  les  lieux 
cultivés,  mêlée  avec  le  Persil , et  donne  lieu  fréquemment  à des  méprises 
funestes.  Comment  distinguerez -vous  le  poison  de  la  plante  utile?  Nous 
avons  sous  les  yeux  le  Persil  et  la  Petite  Ciguë  : comparez  d’abord  leur  fleur  : le  Persil  a des 
fleurs  jaunes;  la  Petite  Ciguë  a des  fleurs  blanches.  — Le  Persil  porte  à la  base  de  son  pa- 
rasol général  une  collerette  formée  de  quelques  petites  folioles;  la  Petite  Ciguë  n’en  a pas  du 
tout.  — Le  Persil  porte  à la  base  de  chacun  de  ses  petits  parasols  secondaires  Une  collerette 
de  plusieurs  folioles  arrondies  et  rangées  circulairement  ; la  Petite  Ciguë  porte  aussi  une 
collerette  à la  hase  do  ses  petits  parasols,  mais  celte  collerette,  au  lieu  d’être  circulaire,  se 
compose  de  trois  folioles  longues  et  effilées , qui  sont  situées  à l’extérieur  du  petit  parasol , et 
dirigent  leur  pointe  en  lias.  Ces  caractères  distinctifs  sont  très-faciles  à saisir  et  à comparer, 
quand  la  plante  est  en  fleur;  mais  ce  n’est  pas  le  Persil  monté  que  l’on  va  cueillir  pour  la 
cuisine;  c’est  l'herbe  encore  jeune,  et  n’ayant  que  sa  tige  et  ses  feuilles  : comment  donc  la 
distinguerons-nous  de  la  Petite  Ciguë , quand  toutes  les  deux  sont  peu  développées?  Remar- 
quez que  dans  le  Persil,  les  feuilles  sont  d’un  vert  clair  et  gai;  dans  la  Petite  Ciguë,  d'un  vert 
sombre  et  triste.  — Dans  le  Persil,  les  découpures  de  la  feuille  sont  assez  larges;  dans  la 
Petite  Ciguë,  la  feuille  est  très-finement  découpée.  — Dans  le  Persil,  les  feuilles,  froissées 
entre  les  doigts,  ont  une  odeur  franchement  aromatique;  dans  la  Petite  Ciguë,  cette  odeur  est 
désagréable  et  suspecte.  — Enfin,  si  vous  examinez  ie  bas  de  la  tige  dans  la  Petite  Ciguë, 
vous  le  verrez  marqué  en  long  de  lignes  rougeâtres,  qui  n’existent  jamais  dans  le  Persil. 

Ceci  n’est  pas  une  leçon  de  médecine , c'est  au  contraire  un  document  qui  vous  dispensera 


Giun&ï  Cio  ci. 


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4 


ÉCOLE  RK  BOTANIQUE. 

d’v  avoir  recours;  et  si  je  suis  entré  dans  quelques  détails  sur  le  signalement  du  Persil  et  de 
la  Petite  Ciguë,  c'est  qu'il  ne  faut  pas,  pour  l'honneur  do  la  botanique,  que  votre  cuisinière  en 
sache  là-dessus  plus  que  vous. 

Ne  confondez  pas  avec  les  Ombelliféres  ce  l iorne  et  ce  Sureau  qui  les  avoisinent.  La  dis- 
position des  Fleurs  est  la  même  en  apparence;  mais  le  plus  léger  examen  vous  fera  voir  que 
les  pédoncules,  quoique  partaid  d’un  même  point,  et  divergeant  d'abord  régulièrement  comme 
les  brandies  d’un  parasol , se  subdivisent  ensuite  plusieurs  fois  avec  une  grande  irrégularité, 
— D’ailleurs,  la  corolle  a ses  pétales  soudés  en  une  seule  pièce;  le  fruit  est  une  baie  succu- 
lente, el  les  feuilles  sont  opposées;  malgré  ces  différences,  la  famille  des  Chèvrefeuilles  n'est 
pas  éloignée  de  celle  des  Ombelliféres. 

Voici  la  famille  des  Rubiacces , famille  à laquelle  nous  devons  quelques  espèces  exotiques 
bien  précieuses  dont  je  vais  vous  entretenir.  Cueillez  une  branche  de  Caille-Lait  (Gallium), 
observez  d’abord  la  disposition  des  feuilles  qui  forment  autour  de  la  tige  des  groupes  circu- 
laires; la  corolle  est  petite,  do  quatre  pétales  soudés  en  un  seul,  et  formant  une  petite  croix 
étalée.  — Entre  chaque  division  de  la  croix  est  une  étamine;  les  quatre  étamines  sont,  ainsi 
que  la  corolle,  posées  sur  le  haut  du  calice,  qui  est  ici  complètement  soudé  avec  lu  pistil, 
comme  dans  les  Ombelliféres  ; le  fruit  est  aussi  composé  do  deux  ovaires  soudés. 

Vous  observerez  cette  structure  de  la  Heur  dans  la  plupart  des  /tubiarées  européennes,  telles 
que  les  Caille-Laits , les  Aspérulet  et  les  Garances  ; c'est  une  espèce  do  ce  dernier  genre,  le 
Itubia  Tinctoria,  dont  la  racine  fournit  un  principe  colorant  rouge,  que  l'on  emploie  pour  la 
teinture  des  laines,  — Parlons  maintenant  des  Ruhiacées  étrangères. 

Le  Quinquina,  que  les  médecins  regardent  comme  le  plus  héroïque  des  Fébri- 
fuges fournis  par  le  Règne  végétal , est  l’écorce  d’une  Rubiacée  américaine.  — 

Les  espèces  de  Quinquina  sont  nombreuses,  ce  sont  de  grands  arbres  dont  les 
fleurs  sont  disposées  en  grappes  comme  celles  du  Lilas.  Leur  port  est  très-  -'  \ , ;c 

élégant;  les  feuilles  sont  opposées  par  paires,  et  la  base  de  leur  pétiole  est  ^ 'h 
garnie  de  deux  stipules  caduques.  Le  Quinquina  vient  du  Pérou , et  la  décou-  "V»,  ' 
verte  de  ses  propriétés  médicales  est  enveloppée  d une  obscurité  qui  a donné  t I* 
lieu  aux  versions  les  plus  contradictoires.  On  raconte  qu’un  naturel  du  pays , 
s’étant  désaltéré,  pendant  un  accès  do  fièvre,  à une  fontaine  dans  laquelle  pion-  {„,m, 
geaient  des  brandies  d’arbre  à quinquina , fut  guéri  île  sa  fièvre,  et  découvrit 
ainsi  la  vertu  de  ce  végétal.  Mais  comment  cette  découverte  fut-elle  communiquée  aux  Euro- 
péens? Quelques-uns  disent  qu’un  indigène  guérit,  avec  la  poudre  de  l’écorce  du  Quinquina, 
un  Espagnol  logé  Chez  lui , et  que  l’homme  rendu  à la  santé  publia  1'hisloire  rie  sa  guérison. 
Si  l'on  on  croit  quelques  autres , les  sanguinaires  dominateurs  du  Pérou , étant  moissonnés 
par  une  fièvre  intermittente  d’un  caractère  pernicieux , les  naturels  , qui  connaissaient  les 
propriétés  du  Quinquina , voyaient  mourir  les  Espagnols’,  sans  leur  indiquer  le  remède  spé- 
cifique , et  laissaient  à la  fièvre  le  soin  de  les  délivrer  de  leurs  oppresseurs  ; mais  un  jeune 
Péruvien , qui  aimait  la  fille  du  gouverneur,  et  qui  la  voyait  dépérir,  sacrifia  son  patriotisme 
à son  amour,  et  fit  preudre  secrètement  plusieurs  doses  do  Quinquina  à sa  maîtresse;  on 
épia  ses  démarches , et  son  secret  fut  découvert.  Ceci  est  plus  poétique  encore  que  l’hospi- 
talité généreuse  dont  je  vous  parlais  tout  à l’heure  : mais  ce  qui  décolore  un  peu  toutes  ces 
traditions,  c’est  le  témoignage  positif  de  l'illustre  voyageur,  M.  de  Humboldt,  qui  a long- 
temps résidé  dans  la  patrie  des  Quinquinas , et  qui  assure  que  les  naturels  du  pays  en 
ignorent  complètement  les  propriétés.  Au  reste,  il  est  certain  qu’en  1638,  la  femme  du  eomlo 
de l Cinchon,  vice-roi  du  Pérou,  que  tourmentait  depuis  longtemps  une  fièvre  intermittent!) 
rebelle , fut  guérie  par  un  corrégidor  de  Loxa , qui  lui  fit  prendre  du  Quinquina.  A son  retour 
en  Espagne,  en  1640,  la  comtesse  y rapporta  une  provision  de  l'écorco  salutaire,  el  en  distribua 
de  la  poudre  à plusieurs  personnes  ; de  là  la  nom  de  Poudre  de  la  Comtesse,  qui  lui  fut  d'abord 
donné.  Vers  t619,  les  jésuites  de  Rome,  en  ayant  reçu  d'Amérique  une  grande  quantité,  le 

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DEUXIÈME  PAIITIK. 
mirent  ca  vogue , Pt  il  fut  nommé  Poudre  des  Jésuites , car  ils  la  distribuaient  toujours  en 
poudre,  afin  d'en  tenir  l'origine  cachée.  Enfin,  dans  l’année  1770,  Louis  XIV  en  acheta  le 
secret  d'un  Anglais,  nommé  Talbot,  <|ui  avilit  guéri  avec  cette  poudre  le  Dauphin,  fils  du  roi; 
c'est  depuis  cette  époque  seulement  qu'on  a reçu  en  France  du  Quinquina  en  écorces.  Vous 
avez  souvent  entendu  parler  de  la  Quinine  : c’est  le  principe  fébrifuge  du  Quinquina.  La  pré- 
paration de  cette  substance  est  une  des  plus  belles  découvertes  de  la  chimie  moderne,  et  le 
service  lo  plus  important  qu'elle  ait  rendu  à la  médecine  depuis  le  commencement  du  dix- 
neuvième  siècle,  puisque  sons  un  petit  volume,  et  sans  fatiguer  le  malade,  on  peut  administrer 
des  doses  énormes  do  Quinquina , et  opérer  les  guérisons  les  plus  difficiles. 

Si  je  no  craignais  d’arrêter  trop  longtemps  vos  idées  sur  la  médecine,  je  vous  parlerais  de 
l' Ipécacuanha , racine  précieuse  que  nous  donne  la  famille  des  Rubiaeées.  J'aime  mieux  vous 
conduire  devant  cet  arbrisseau , à la  taille  svelte,  aux  rameaux  élégants,  urués  d'un  feuillage 
lisse  et  toujours  vert;  ses  fleurs  sont  blanches,  groupées  à l'aisselle  des  feuilles  supérieures, 
el  elles  exhalent  une  odeur  suave.  Le  fruit  est  une  baie  rouge , grosso  comme  une  cerise , et 
contenant,  au  centre  d'une  pulpe  douceitlro  peu  abondante,  deux  semences  cartilagineuses; 
ces  semences  no  sont  autre  chose  que  le  Cnfé. 

L’histoire  de  la  découverte  des  vertus  du  Café  n'est  pas  moins  obscure  que  celle  du  Quin- 
quina; selon  les  uns,  des  chèvres  ayant  brouté  de  jeunes  pousses  de  Caféier,  passèrent  la  nuit 
à cabrioler,  et  révélèrent  ainsi  le  Café  au  berger  qui  les  gardait.  Selon  quelques  autres , la 
prieur  d'un  couvent  do  Maronites,  ayant  par  hasard  mangé  un  grain  de  Café,  et  n'ayant  pu 
dormir  la  nuit  suivante,  eut  l'idée  d'en  faire  prendre  à ses  religieux,  pour  leur  faciliter  les 
moyens  do  lutter  contre  le  sommeil  pendant  les  matines.  — Les  sectateurs  do  .Mahomet  reven- 
diquent , pour  les  i rais  croyants , l'honneur  de  la  priorité  : ce  fut , disent-ils , le  mollah 
Chadelly  qui  usa  le  premier  de  cette  boisson  afin  de  prolonger  scs  prières  nocturnes;  les  der- 
viches arabes  l’imitèrent;  leur  exemple  entraîna  les  gens  de  la  loi;  bientôt  ceux  même  qui 
n’avaient  pas  besoin  de  se  tenir  éveillés  adoptèrent  le  nouveau  breuvage.  Il  était  déjà  en  crédit 
à Constantinople  en  1550,  et  Prosper  Albin,  célèbre  botaniste  du  seizième  siècle,  rapporte  que 
les  Arabes  en  vendaient  au  Caire  sous  le  nom  île  Caorit. 

Raynal,  dans  son  Histoire  philosophique , nous  apprend  que  le  Caféier  est  originaire  de  la 
haute  Éthiopie,  d'où  il  a été  transporté  dans  l’Arabie  heureuse,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle. 
Si  l’Arabie  n'est  point  la  première  patrie  du  Caféier,  elle  est  du  moins  sa  patrie  adoptive,  son 
séjour  do  prédilection;  nulle  part  il  ne  prospère  mieux,  nulle  part  sa  graino  no  possède  do 
qualités  plus  généreuses  que  dans  la  province  d'ïemen,  aux  environs  de  Moka.  C’est  delàquo 
le  Hollandais  Van  llorn  fit  transporter,  en  ICitlO,  à Batavia,  des  plants,  qui  réussirent  à mer- 
veille ; un  de  ces  plants  fut  adressé , en  1710,  à Witsen , consul  d’Amsterdam , et  déposé  par 
ce  magistrat  dans  le  Jardin  botanique  de  celte  capitale.  Lejeune  arbrisseau  fleurit,  et  donna 
des  fruits  féconds;  un  des  individus  qui  en  provinrent,  fut  offert  à Louis  XIV;  ce  prince  le  fit 
placer  dans  les  serres  du  Jardin  des  Plantes.  On  en  forma  des  boutures  qui  réussirent  parfai- 
tement , et  ce  fut  alors  que  le  Gouvernement  français  entreprit  d'acclimater  le  Café  dans  nos 
possessions  des  Antilles. 

Lo  torréfaction  développe , dans  la  graine  de  Caféier,  un  principe  aromatique , qui  excite  les 
fonctions  des  organes  digestifs  , et  surtout  celles  du  cerveau  ; cette  influence  spéciale  du  Café 
sur  les  facultés  intellectuelles  est  connue  de  tout  le  monde,  mais  on  l’a  beaucoup  exagérée  : 
le  bon  versificateur  Jacques  Delille,  qui  n'était  pas  un  grand  poêle,  a prodigué  au  Café  des 
éloges  emphatiques , dont  il  s’applique  une  bonno  part  avec  un  enthousiasme  fort  peu 
modeste  : 


A peine  j'ai  senti  ta  vapeur  odorante. 

Soudain  de  ton  climat  la  chaleur  pénétrante 
Réveille  tou*  mes  sens;  sans  trouble,  sans  chaos, 
Mes  penser»  plus  nombreux  arrivent  à grands  nuis- 


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« 


ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

Mon  idée  était  triste,  aride  dépouillée  : 

Elle  rit,  elle  sort  richement  habillée. 

Et  je  crois,  du  génie  éprouvant  le  réveil. 
Boire  dans  chaque  goutte  un  rayon  du  sole;l- 


Au-dessus  des  Rubiacécs  s'étend  l'immense  famille  des  Composées,  dont  on  connaît  neuf 
mille  espèces,  et  qui  forme  la  dixième  partie  du  Règne  végétal.  Cueillez  cette  fleur  de  Chicorée  : 
au  premier  aspect,  vous  croyez  voir  une  fleur  à [létales  nombreux,  entourée  d'un  calice  à plu- 
sieurs folioles  disposées  sur  deux  rangs;  observez  avec  plus  d’attention,  cherchez  au  centre 
les  étamines  et  le  pistil , vous  ne  trouverez  que  des  lames  bleues , semblables  à celles  do  la 
•circonférence,  mais  moins  épanouies  que  ces  dernières.  Si  enfin  vous  enlevez  une  de  ces  lames 
bleues,  en  avant  soin  de  la  détacher,  par  sa  base,  du  réceptacle  qui  la  supporte , vous  vous 
convaincrez  que  c’est  une  fleur  complète,  qui  a sou  calice,  sa  corolle,  scs  étamines  et  son 
pistil,  et  que  ce  qui  vous  avait  semblé  tout  à l'heure  une  fleur  unique,  est  réellement  1 assem- 
blage d’une  centaine  de  fleurs  distinctes. 

Vous  voyez  en  effet  une  corolle  irrégulière,  d’une  seule  pièce,  ayant  la  forme  d’une  languette 
roulée  à sa  buse  en  petit  cornet  ; ce  cornet  est  posé  sur  le  haut  du  calice , qui  est 
soudé  avec  l’ovaire , et  n’a  de  libre  qu’un  petit  rebord  frangé  ; sur  la  corolle  sont 
attachés  les  cinq  filets  des  étamines;  leurs  anthères,  qui  sont  longues  et  effilées, 
se  soudent  ensemble  et  forment  un  tube  ; ce  tube  est  traversé  par  le  style , qui  so 
sépare  en  deux  stigmates.  Sur  les  fleurs  les  plus  extérieures,  vous  pouvez  voir 
très-bien  les  deux  stigmates  qui  dominent  le  tube  formé  par  les  anthères  ; dans 
les  fleurs  voisines  du  centre,  lo  style  est  encore  trop  court,  et  ne  dépasse  pas  les 
étamines  ; mais  quand  son  tour  sera  venu , il  s’allongera  rapidement , montera  lo 
long  du  tube  formé  par  les  anthères , et , chemin  faisant , il  se  chargera  de  leur 
pollen  ; enfin  il  se  dégagera  du  fourreau  qu’il  vient  de  traverser,  et  paraîtra  à la 
lumière  avec  lo  pollen  qu'il  a enlevé  dans  son  passage  ; bientôt  les  doux  branches 
qu'il  forme  à son  sommet  s'écarteront  pour  recevoir  sur  leur  surface  intérieure 
le  pollen  qui  doit  féconder  l'ovaire,  tous  pouvez  facilement  distinguer,  môme  à 
l’œil  nu , et  encore  mieux  avec  une  loupe , de  petits  poils  qui  hérissent  le  dehors 
des  branches  du  style;  ce  sont  ces  poils  qui  ont  brossé,  en  passant,  lo  fourreau 
formé  par  les  anthères;  ce  sont  eux  qui  ont  enlevé  le  pollen,  cl  c’est  pour  cela 
que  les  botanistes  leur  ont  donné  le  nom  de  poils  balayeurs.  Remarquez  main- 
tenant la  surface  intérieure  des  branches , vous  y verrez  do  petites  saillies 
humides  ; ce  sont  les  papilles  du  stigmate , chargées  de  happer  le  pollen.  Mais  lo 
pollen  enlevé  par  les  poils  balayeurs  du  stylo,  est-co  aux  stigmates  do  ce  mémo 
stylo  qu'il  est  destiné!  Il  suffit,  pour  résoudre  cotte  question,  de  jeter  un  coup  cmcout 
d’oeil  sur  les  fleurs  voisines  : évidemment  le  pollen  de  l’une  servira  au  pistil  do 
l’autre,  et  il  leur  sera  bien  plus  facile  de  se  féconder  mutuellement,  qu'il  no  le  sera  au 
pollen  de  so  transporter  des  poils  balayeurs  aux  papilles  stigmaliques  d'un  mémo  style. 
Cetto  disposition  merveilleuse  explique  l'intention  qu'avait  la  Nature  en  groupant  ensemble 
un  nombre  aussi  considérable  de  fleurs. 

Toutes  les  graines  de  ces  fleurs,  une  fois  fécondées  et  mûries,  que  vont-elles  devenir!  Les 
unes  tomberont  à terre  et  germeront  ; les  autres  seront  la  pâture  des  Insectes  et  des  Oiseaux, 
Les  Oiseaux  surtout  en  avaleront  une  grande  quantité  .dont  une  partie  sera  digérée  par  eux , 
et  le  reste  rejeté  avec  leur  fiente  , qui  deviendra  pour  les  graines  un  fumier  précieux  : c’est  ce 
qui  arrive  à beaucoup  d’espèces  de  la  famille  des  Composées.  Mais  si  par  leur  petitesse,  par 
leur  nombre,  par  leur  consistance,  par  leur  saveur  ou  par  toute  autre  cause,  ces  graines 
échappent  aux  animaux , tomberont-elles  toutes  sur  le  sol , où  l'entassement  et  le  manque 
d'espaco  les  feraient  bientôt  périr!  Voici  une.  Fleur  do  Pissenlit,  qui  va  répondre  A celle  ques- 


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H 


DEUXIÈME  PARTIE, 
tion  : voyez-vous,  sur  le  sommet  du  pédoncule,  cette  sphère  transparente , dont  la  surface  est 
formée  par  des  (Ils  de  soie  disposés  en  soleils  avec  une  admirable  symétrie!  Chacun  de  cos 
petits  soleils  est  soutenu  par  un  long  col,  et  ce  col  repose  à son  tour  sur  un  ovaire  renfermant 
une  graine  : le  réceptacle  qui  porte  tous  ces  ovaires,  dans  les  petites  fossettes  dont  il  est 
crousé , ost  bombé  pour  leur  permettre  de  s’espacer  et  de  mûrir.  Il  faut  maintenant  qu'ils 
abandonnent  la  plante-mère , et  qu'ils  se  dispersent  pour  aller  au  loin  chercher  une  nouvelle 
patrie.  Les  voiles  sont  tendues,  ils  sont  prêts  à partir,  et  c'est  l'atmosphère  qui  sera  leur 
océan  : le  moindre  vent  va  les  lancer  ; Y aigrette  rayonnante  qui  leur  sert  de  parachute  les 
soustraira  presque  complètement  aux  lois  de  la  (icsanleur,  et  ils  ne  toucheront  terre  qu’après 
avoir  vogué  longtemps , et  franchi  des  distances  considérables.  Il  vous  est  arrivé  bien  des  fois 
à vous-même  d'être,  à votre  insu,  l’instrument  do  la  Providence,  lorsque , 
cueillant  par  badinage  une  tige  de  Pissenlit , vous  vous  êtes  évertuée  à chasser 
d’un  seul  souffle  tous  les  ovaires  dont  son  réceptacle  était  chargé. 

Cueillez  maintenant  ce  Bluet  : ce  que  vous  aviez  pris  tout  à l’heure  pour  un 
calice  dans  la  Chicorée  n'en  est  pas  un  non  plus  daus  le  Blucl.  Qu'est-ce  donc 
que  ces  petites  feuilles  qui  sont  imbriquées  les  unes  sur  les  autres  comme  les 
tuiles  d’un  toit,  et  qui  accompagnent  les  fleurs!  On  adonné  à ces  feuilles  le 
nom  de  bractées , quels  quo  soient  d’ailleurs  leur  forme , leur  nombre  et  leur 
couleur;  rappelez-vous  les  collerettes  qui  entourent  la  base  des  parasols  dans 
les  OmbeUifires ; ce  sont  aussi  des  bractées;  vous  en  verrez  encore  dans  nos 
autres  familles , et  vous  les  reconnaîtrez  sans  peine , malgré  leur  diversité , en 
ce  qu'elles  accompagnent  les  fleurs  sans  en-faire  partie,  et  sont  différentes  des 
euilles  ordinaires. 

Écartez  les  bractées  coriaces  qui  protègent  les  fleurs  du  Bluet;  vous  verrez,  comme  dans  la 
Chicorée,  un  grand  nombre  de  fleurs  posées  sur  le  réceptacle,  et  séparées,  les  unes  des  autres, 
par  des  soies  courtes  qui  tiennent  solidement  à ce  réceptacle.  Celui  du  Pissenlit  ne  portait  pas 
cotte  bourro  soyeuse , mais  ce  n’est  là  qu’une  différence  pou  importante  ; observez  la  forme 
régulière  des  fleurs , et  rappelez-vous  celle  de  la  Chicorée.  Dans  cette  dernière,  la  corolle,  loin 
d’être  symétrique , était  déjetée  en  languette  et  ne  formait  qu’à  sa  base  un  cornet  très-court  ; 
dans  le  Bluet,  la  corolle  est  régulière , et  se  compose  de  cinq  pétales  soudés  daus  leurs  deux 
tiers  inférieurs.  Sur  cette  corolle  sont  attachés  les  cinq  filets  dos  étamines , qui  portent  leurs 
anthères  soudées  en  tube.  Ici,  vous  pouvez  voir  le  style  qui  vient  de  traverser  ce  tube,  et  dont 
les  deux  branches  sont  à peine  écartées  l’une  de  l'autre;  les  poils  balayeurs,  au  lieu  d’élro 
dispersés  sur  la  face  externe  de  ces  branches , sont  ramassés  en  petit  bouquet , et  forment  un 
petit  anneau  au-dessous  d’elles.  Vous  pouvez  voir  quo  chaque  fleur  est  pourvue  d'un  ovaire , 
et  que  cet  ovaire  porte  à son  sommet  une  couronno  de  poils;  ici  Yaigrctte  est  beaucoup  plus 
courte  que  dans  le  Pissenlit , mais  dans  tous  les  deux , ce  n'est  autre  chose  que  la  partie  libre 
du  calice,  laquelle  forme , dans  la  Chicorée , une  espèce  de  rebord  frangé. 

Quant  aux  fleurs  les  plus  extérieures  du  Bluet , dont  la  couleur  azurée  et  la  forme  élégante 
charmonl  vos  yeux,  ces  fleurs  sont  stériles;  regardez  à leur  base,  vous  n’y  verrez  pas  d'ovaire; 
examinez  leur  comot,  vous  y chercherez  en  vain  des  étamines  et  un  style;  c’est  le  luxe  qui 
las  ruino  : tout  le  suc  qu'elles  ont  reçu  de  la  tige  a été  dépensé  pour  leur  parure  ; elles  sont 
brillantes  au  dehors , mais  dans  leur  intérieur  on  ne  trouve  que  misère  et  stérilité. 

Si  vous  coupez  verticalement  le  réceptacle  du  Bluet,  vous  verrez  qu’il  est  épais  et  charnu, 
et  quo  les  bractées  qui  s'y  attachent  y sout  fixées  par  une  base  également  charnue  ; rappelez- 
vous  maintenant  Y Artichaut  : qu'est-co  quo  le  légume  qui  porto  ce  nom!  C’est  tout  simple- 
ment le  bouton  d'un  énorme  Bluet.  Que  mangez-vous  dans  l’Artichaut!  D’abord  les  bractées, 
quo  vous  détachez  pièce  à pièce  du  récoplablo,  et  ensuite  ce  réceptacle  lui-même,  sur 
lequel  vous  pouvez  voir  les  fleurs  à peine  formées,  et  le  foin  qui  les  sépare. 

Voici  une  troisième  Composée,  qui  va  nous  offrir  la  combinaison  des  formes  que  nous 


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PL.  9 


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ÉCOLE  DE  BOTAMQl'E. 


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PL.  9 


\m  Ki.i^ari- 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE.  « 

avons  vues  séparées  dans  le  Bluct  el  dans  la  Chicorée  : c'est  une  Camo- 
mille ( Anthémis );  à la  circonférence  rayonnent  les  Heurs  analogues  à 
celles  de  la  Chicorée;  au  cenlro,  sont  les  fleurs  qui  vous  rappellent  en 
petit  celles  du  Bluet.  Les  fleurs  de  la  circonférence  diffèrent  un  peu  cepen- 
dant de  celles  de  la  Chicorée  : examinez  le  petit  cornet  que  forment  les 
languettes  à leur  hase  : il  n’y  a là  qu’un  système  court , qui  est  posé  sur 
un  ovaire  ; les  étamines  manquent , et  ces  fleurs  en  languette  auront 
besoin , pour  porter  graine , de  recevoir  le  pollen  des  fleurs  régulières  du 
centre.  Ces  dernières  sont  posées  sur  un  ovaire  sans  aigrette. 

La  famille  des  Composées  est  divisée  en  trois  tribus , d'après  la  forme 
des  fleurs  : la  première  renferme  les  Plantes  dont  toutes  les  fleurs  sont 
irrégulières  et  en  languette  ; on  la  nomme  la  tribu  des  demi-  Fleuron  - 
nées,  la  Chicorée  en  est  le  type;  la  seconde  renferme  les  Plantes  dont 
les  fleurs  sont  régulières,  et  en  tube  à cinq  divisions;  le  Bluet  appartient  à cette  tribu,  que 
l’on  nomme  la  tribu  des  Fleuronnécs ; enfin  la  troisième  tribu  comprend  les  Plantes,  qui, 
dans  une  même  tète  de  fleurs , présentent  des  fleurons  au  centre  et  des  demi-fleurons  à la 
circonférence  : c’est  la  tribu  des  Radiées.  La  plupart  des  demi-Flosculeuses  ont  des  fleurs 
jaunes , vous  en  voyez  peu  qui  portent  des  fleurs  bleues  ; beaucoup  d’entre  elles  ont  un  suc 
laiteux  amer  : voici  les  Laitues,  dont  une  espèce  est  narcotique  (Laceulla  virosa) , les  Scorso- 
nères, les  Salsifis,  les  Crépides,  les  Laitrons,  les  Êpervières,  etc.  Parmi  les  Flosculeuses , 
remarquez  les  Chardons,  les  Carlines , les  Bardanes,  les  Centaurées  (le  Bluet  est  une  espèce 
de  Centaurée).  Les  Badiées  so  distinguent  des  deux  autres  tribus,  non-seulement  par  leurs 
caractères  botaniques , mais  encore  par  leurs  propriété-s  physiques , telles  que  la  saveur,  el 
surtout  l’arome  pénétrant  que  possèdent  la  plupart  de  leurs  espèces  : c’est  ce  que  vous  pouvez 
vérifier  sur  les  Absinthes  ou  Armoises,  les  Camomilles , les  Matricaires , les  Chrysanthèmes , 
les  Tanaisies,  les  Soucis,  les  Aunées , les  Hélianthes  ou  Soleils,  les  Asters,  etc. 

Les  fleurs  d’un  grand  nombre  d'espèces  de  cette  famille  (et  surtout  les  demi-Flosculousos) 
offrent  les  phénomènes  de  veille  et  sommeil  que  je  vous  ai  signalés  dans  les  feuilles  de  quelques 
Légumineuses  : ainsi  le  Pissenlit  s'éveille,  c'est-à-dire  ouvre  ses  fleurs  à six  heures  du  matin, 
et  s’endort,  c’est-à-dire  ferme  ses  fleurs,  à neuf  heures  du  matin;  la  Crépide  des  toits  s’éveille 
à cinq  heures  du  matin,  et  s'endort  à midi;  la  Laitue  cultivée  s'éveille  à sept  heures  du  matin, 
et  s’endort  à dix  heures;  VÉpcrvière piloselle  s’éveille  à huit  heures  du  matin,  et  s'endort  à 
deux  heures  de  l'après-midi;  le  Souci  des  champs  s’éveillo  à neuf  heures  du  matin,  et  s’endort 
à trois  heures  de  l’après-midi.  C’est  sur  cette  régularité  des  fleurs  à s’épanouir  el  à sc  fermer 
que  Linné  a fondé  son  horloge  de  Flore. 

Chez  quelques  autres  Plantes  de  la  famille  des  Composées , la  veille  et  le  sommeil , au  lieu 
de  sc  régler  sur  le  soleil,  dépondent  des  vicissitudes  atmosphériques,  et  les  annoncent  même 
plusieurs  heures  d’avance , de  sorte  qu'on  pourrait  établir  sur  les  habitudes  de  ces  végétaux 
un  baromètre  de  Flore.  Ainsi  le  Souci  pluvial , fermé  le  matin , annonce  un  jour  pluvieux  ; le 
Lailrou  de  Sibérie,  fermé  la  nuit,  présage  une  journée  sereine;  et  si  scs  fleurs  sont  ouvertes, 
il  pleuvra  le  lendemain. 

Ne  confondez  pas  avoc  la  famille  des  Composées  ce  groupe  peu  nombreux  qui  l’avoisine, 
et  qui  so  compose  des  Scabicuses  et  des  Cardères,  c’est  la  famille  des  Dipsacées;  les  fleurs 
sont  réunies  en  têto , et  entourées  par  des  bractées  ; mais  les  étamines  ont  leurs  anthères 
libres.  Voici  le  Chardon  à foulon  (Dipsacus  fullonum),  qui  n’est  pas  un  vrai  Chardon;  les 
bractées  qui  séparent  ses  fleurs  sont  longues  et  recourbées  en  crochet  ; les  bonnetiers  et  les 
fabricants  d'étoffes  de  laine  ont  tiré  parti  do  cette  structure  des  têtes  de  fleurs  pour  peigner 
leurs  tissus  et  en  tirer  las  poils. 

Les  dernières  familles  que  vous  venez  do  passer  en  revue  vous  ont  offert  une  corolle  dont 
los  pétales  sont  soudés  ensemble;  quand  la  corolle  semble  ainsi  formée  d’un  pétale  unique, 


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DEIXIÉME  PARTIE. 


on  la  dit  monopétale.  Vous  avez  ru  que,  dans  toutes  les  Plantes  à corolle  monopétale,  les 
étamines  étaient  insérées  sur  la  corolle  mémo,  de  sorte  qu'en  enlevant  la  corolle,  on  enlève 
aussi  les  étamines.  Cette  union  des  étamines  et  de  la  corolle  monopétale  est 
une  règle  générale  presque  sans  exception  en  botanique.  Voici  pourtant  une 
petite  famille  où  nous  verrons  la  corolle  être  d’uno  seule  pièce , sans  que  les 
étamines  soient  soudées  avec  elle;  ce  sont  les  Campanule » : la  corolle  est  en 
forme  de  cloche  plus  ou  moins  évasée,  de  là  le  nom  de  Campanule,  qui  en  latin 
vent  dire  Clochette.  I.es  étamines  sont  au  nombre  de  cinq  ; leurs  filets  sont 
élargis  à la  base,  et  naissent  sur  le  calice  qui  est  soudé , par  sa  moitié  infé- 
rieure, avec  l’ovaire;  si  vous  coiqiez  celui-ci  en  travers,  il  vous  présentera 
trois  ou  cinq  loges  qui  renferment  des  graines  nombreuses.  Il  y a autant  do 
stigmates  que  de  loges.  Les  Campanules  sont,  pour  la  plupart,  des  Plantes 
d'ornement  ; leurs  corolles  bleues , disposées  ordinairement  en  longs  épis  à 
l'extrémité  îles  tiges,  sont  d'un  très-bel  effet  dans  les  jardins. 

Il  ne  faut  pas  quitter  ces  plates-bandes  sans  jeter  un  coup  d'oeil  sur  celles  où 
sont  rangées  les  Êricinées,  famille  élégante,  dont  beaucoup  d'espèces  seraiunl  avidement 
recherchées  par  les  amateurs,  si  elles  n'ubondaienl  dans  nos  bois.  La  corolle  est  monopétale, 
insérée  sur  le  fond  du  calice,  et  persiste  ordinairement  après  la  fleurnison  ; les  anthères  sont 
fourchues  à leur  base;  l'ovaire  présente  plusieurs  loges  remplies  de  graines  très-menues. 

Voici  VArbmuier  ou  Bi  isserole,  les  A Z aléas , le  Bhododendrum  qui  croît  sur  le  sommet  des 
Alpes , à la  limite  des  neiges  éternelles  ; voici  la  série  des  espèces  du  genre  Bruyère  ( F.riea ), 
qui  a donné  son  nom  à la  famille. 

Vous  allez  maint  liant  connaître  un  groupe  de  familles  qui  ont  entre  elles  des  liens  do 
parenté,  et  se  reconnaissent  cependant  à des  caractères  faciles  à distinguer.  On  a donné  à ces 
familles  le  nom  de  Corollifiores  : leur  corolle  est  toujours  monopétale,  et  s'insère,  non  pas 
sur  le  calice,  comme  dans  les  fumilles  que  vous  venez  de  quitter,  mais  bien  sur  le  réceptable. 
Quant  aux  étamines,  comme  elles  sont  soudées  avec  la  corolle,  leur  intention  est  nécessaire- 
ment lu  même,  c’est-à-dire  que,  comme  la  corolle,  elles  naissent  sur  le  réceptacle. 

La  première  famille  que  nous  rencontrons  est  celle  des  Jasminées , qui  se  compose  d'arbres 
ou  d'arbrisseaux  à feuilles  opposées.  La  corolle  est  régulière , et  ne  renferme  que  deux  étami- 
nes; le  pistil  se  compose  d’un  style,  de  deux  stigmates  et  d'un  ovaire  à deux  loges.  Voici  lo 
Jasmin  commun  (Jatminum  officinale),  qui  nous  est  venu  do  Ta  Wlte  de  Malabar , et  qui  s'est 
facilement  naturalisé  en  Franco;  le  Jasmin  cytise  [Jatminum  fruticans)  ; le  Jasmin  modeste 
( Jatminum  humile) , etc.  Voici  le  Troène  ( Ligustrum  vulgare),  dont  on  fait  des  palissades; 
le  Lilas  ( Syringa  vulgaris),  originaire  d'Orient,  ainsi  que  son  frère  lo  Lilas  de  Perse,  qui  no 
s’élève  guère  au  delà  d'un  mètre  de  hauteur.  Cet  arbre , au  feuillage  blanchâtre  et  monotone , 
est  l'Olivier  ( Olea  europœa),  l'un  des  végétaux  les  plus  précieux  que  nous  ait  donnés  l'Asie, 
et  qui  fut  apporté  en  Franco  par  les  Phocéens,  fondateurs  de  Marseille.  L'huile  que  fournit 
son  fruit  vous  est  connue;  ce  n'est  pas  de  la  graine  que  provient  cette  huile , comme  cela  a lieu 
pour  toutes  les  autres  plantes  : elle  est  exprimée  du  tissu  même  de  l’ovaire;  exception  unique 
dans  tout  le  Règne  végétal.  Le  Frêne  appartient  aussi  aux  Jasminées;  vous  en  avez  devant 
vous  deux  espèces  : l'une  est  le  Frêne  élevé  ( Frarinus  excelsior ) , qui  se  trouve  abondamment 
répandu  dans  nos  forêts,  et  sert  pour  les  constructions;  l'autre  est  le  Frêne  à /leurs  ( Frajcinut 
ornus) , de  l'écorce  duquel  exsude  une  matière  sucrée  solide,  connue  en  médecine  sous  le  nom 
de  Manne. 

La  famille  des  Apocynées  aies  feuilles  opposées,  comme  la  précédente;  la  corolle  est  divisée 
en  cinq  lobes  ; les  étamines  sont  au  nombre  de  cinq , et  le  pistil  se  compose  de  deux  ovaires , 
ordinairement  libres,  et  s’ouvrant  par  leur  bord  intérieur,  comme  ceux  que  vous  avez  observés 
daus  l 'Ancolie;  les  graines  sont  ordinairement  chargées  d'un  duvet  cotonneux.  Les  Pervenches 
font  seules  exception  à ce  dernier  caractère.  Voici  la  petite  Pervenche  ( Vinca  minor),  dont  on 


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47 


ÉCOLE  UE  BOTANIQUE. 

couronnait  judis  la  tète  des  jeunes  tilles  mortes  avant  l’hyménéo;  la  grande  Perrenche  [Y  inc  a 
major)  n’a  pas  une  tige  rampante  comme  sa  sœur , elle  n’en  diffère  du  reste  que  par  ses 
proportions;  la  Pervenche  roue  ( Vinca  rosca),  originaire  de  Madagascar,  dont  la  corolle  est 
quelquefois  blanclio,  est  une  plante  d'ornement , très-commune  chez  les  fleuristes,  \oici  les 
Asclepias,  dont  In  fleur  présente  une  structure  qui  sera  toute  nouvelle  pour  vous  : les  divisions 
de  la  corolle  sont  repliées  et  légèrement  obliques,  les  cinq  étamines  sont  réunies  par  leur  fdet 
en  un  tube  anguleux,  qui  se  pose  sur  la  base  de  la  corolle;  ce  tube  porte  à son  sommet  une 
couronne  de  cinq  écailles,  au  milieu  desquelles  sont  les  cinq  anthères,  qui  sont  elles-mêmes 
terminées  par  une  membrane;  les  loges  de  ces  anthères  contiennent  un  pollen  qui,  au  lieu 
d’être  poudreux,  comme  vous  l’avez  vu  dans  toutes  les  autres  familles,  est  aggloméré  en 
masses  compactes;  ces  masses  pendent,  par  leur  sommet  aminci,  aux  loges  de  leur  anthère; 
le  stigmate  forme  un  petit  bouclier  à cinq  lobes  arrondis.  L’espèce  la  plus  commune  de  co 
genre  si  curieux  est  le  Dompte-venin  {Asclépios  vincetoxicum) , dont  les  tiges  sont  grêles  et 
très-flexibles;  son  titre  pompeux  de  I)oinple-venin  u’a  pas  été  confirmé  par  l'expérience. 
VÀ8clépiade  de  Syrie  {Asclepias  syriaca) , qui  vous  montre  ses  fleurs  penchées,  a reçu  le  nom 
d ’Apocyn  à la  ouate , à cause  de  la  finesse,  du  moelleux  et  de  l’éclat  de  ce  coton  qui  recouvre 
ses  graines.  C’est  aussi  aux  Apocynécs  qu’appartient  lo  Laurier  rose  {Nerium  oleander) , 
arbrisseau  toujours  vert,  dont  les  feuilles  sont  opposées  trois  par  trois,  et  qui  fait  le  plus  bel 
ornement  de  nos  jardins  pendant  l'automne.  Enfin  les  Apocynées  exotiques  renferment  lo 
genre  Strychnos,  dont  deux  espèces  fournissent  les  graines  connues  sous  le  nom  do  Fève 
Saint-Ignace  et  de  Noix  vomique.  La  chimie  a extrait  de  ces  graines  la  Strychnine,  l'un  des 
plus  redoutables  poisons  du  Règne  végétal. 

La  famille  des  Genlianées,  qui  se  compose  presque  exclusivement  du 
genre  qui  lui  a donné  son  nom,  présente  toujours  une  tige  herbacée  et  lisse; 
les  feuilles  sont  ordinairement  opposées.  La  corolle  est  à cinq  divisions, 
quelquefois  è quatre,  quelquefois  à huit;  mais,  dans  tous  les  cas,  il  y a 
autant  d’étamines  que  de  divisions  à la  corolle;  l’ovaire  offre  une  ou  deux 
loges  qui  renferment  des  graines  nombreuses.  Los  principales  (ientianées 
sont  d’abord  la  Gentiane  jaune  ( Gentiana  lutea),  qui  croît  dans  les  Alpes, 
et  dont  un  roi  d'Illyrie,  nommé  (îentius,  découvrit  jadis  les  propriétés;  la 
Gentiane  fleur-des-vents  {Gentiana  pneumonanthe) , dont  les  corolles  res- 
semblent à de  grandes  cloches  d’un  beau  bleu;  la  petite  Centaurée  { Gentiana 
Centaurium) , dont  le  centaure  Chirou,  précepteur  d’Esculapc,  se  servait 
pour  guérir  les  fièvres  intermittentes  (notez  que  ceci  u’esl  pas  do  la  méde- 
cine, c’est  tout  simplement  une  tradition  mythologique)  ; enfin  le  Ményanthe 
ou  Trèfle  d’eau  (Mcnyanthes  tri  foliota) , plante  de  marécage,  dont  les  fleurs  forment  un  épi 
court  au  sommet  de  leur  pédoncule,  et  dont  les  corolles  blanches,  un  peu  rosées,  sont  cou- 
vertes , à leur  face  externe , de  longs  poils  glanduleux. 


L»uo«. 


Dans  la  famille  des  Conwlvuhis , vous  trouvez  une  lige  qui , lo  plus  fré- 
quemment, est  grimpante  et  s’enroule  autour  des  corps  voisins.  Les  feuilles 
sont  alternes,  la  corolle  est  en  cloche;  il  y a cinq  étamines,  et  le  fruit  est  un 
ovaire  à deux  loges.  Voici  le  Liseron  des  haies  ( Convolvulus  sepium) , dont 
la  corolle  grande  et  blanche  se  détache  du  vert  gai  des  feuilles.  Lo  Liseron 
des  champs  est  plus  faible  et  plus  petit;  ses  corolles,  d’un  blanc  rosé, 
exhalent  une  odeur  délicieuse  d’amande  amère.  Lo  Liseron  tricolore  (Con- 
volvulus  tricolor ),  originaire  de  Barbarie,  n’est  pas  grimpant;  ses  corolles 
sont  bleues  dans  leur  milieu,  blanches  sur  le  bord,  et  jaunes  dans  le  fond. 

Vous  pouvez  ranger  dans  cette  famillo  la  Polémoine  ou  Valériane  grecque 
( Polemonium  cœruleum  et  le  Cobœa  scandens , arbrisseau  du  Mexique  , qui 
grimpe  avec  une  si  prodigiouso  rapidité,  et  forme,  dans  beaucoup  de 


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4ft 


DF.l  XlfeME  PARTIE. 

quartiers  de  Paris , des  guirlandes , des  arcades , des  ponts  suspendus 
d’une  admirable  élégance. 

Voici  la  famille  des  Buraginées , qui  nous  présente  une  tige  herbacée, 
des  feuilles  alternes,  hérissées  de  poils  rudes  au  loucher,  et  des  (leurs  dis- 
posées en  épis  ou  en  grappes,  qui,  avant  l’épanouissement,  sont  roulées 
en  queue  de  scorpion  ; la  corolle,  ainsi  que  le  calice,  est  à cinq  divisions , 
et  porte  souvent  des  écailles  variées;  il  y a cinq  étamines,  et  le  pistil  se 
compose  de  quatre  ovaires  à une  graine,  du  milieu  desquels  s’élève  un 
style.  Voici  d’abord  le  genre  Héliotrope , dont  une  espèce,  X Héliotrope 
du  Pérou  (Heliutrupium  peruvianum)  y est  cultivée  partout  comme  plante 
d'ornement.  Les  Vipérines , les  Grémils,  les  Pulmonaires,  les  Or  canettes , 
les  Ly copsi  s , les  Bug  fusses , les  Bourraches , les  Cynoglosses , sont  les 
principaux  genres  de  cette  famille;  ne  passez  pas  outre,  sans  donner  un 
regard  au  Myosotis , dont  la  plus  jolie  espèce  vous  est  connue  sous  ce  nom  populaire  : Se 
m’oubliez  pas. 

La  nombreuse  famille  des  Labiées  fait  suite  à la  précédente  ; le  pistil  offre  la  mémo  struc- 
ture dans  les  deux  familles , et  ce  rapport  établit  entre  elles  une  affinité  qu’aug- 
mente encore  la  forme  irrégulière  de  la  corolle  chez  les  Lycopsis  et  les  Vipé- 
rines. Les  Labiées  ont  en  effet  une  corolle  irrégulière,  figurant  deux  lèvres  : 
la  lèvre  supérieure  porte  le  nom  de  casque , et  présente  ordinairement  deux 
divisions;  la  lèvre  inférieure  en  présente  trois.  11  y a quatre  étamines,  dont 
deux  plus  courtes  quo  les  autres;  en  outre,  la  tige  est  carrée,  les  feuilles 
sont  opposées,  et  presque  toutes  les  plantes  de  cette  famille  ont  une  odour 
pénétrante.  Celle  réunion  de  caractères  constitue  l’un  des  groupes  les  mieux 
circonscrits  que  la  Nature  nous  présente  dans  les  végétaux.  Les  Labiées  se 
ressemblent  tellement  que  leurs  genres  sont  peu  tranchés,  et,  par  conséquent, 
difficiles  à distinguer  tes  uns  des  autres  : ce  sont  les  Romarins,  les  Sauges,  les 
Bugles , les  Germandrées , les  Hyssopes , les  Marrubes , les  Lavandes , les 
Thyms,  les  Sarriettes,  les  Menthes , les  Mélisses,  les  Origans,  les  Basilics,  les 
Brunei  le  s,  etc. 

Il  y a deux  genres  qui,  par  exception  à la  règle  générale,  n’ont  que  deux 
étamines,  au  lieu  d’on  avoir  quatre;  ce  sont  les  goures  Romarin  et  Sauge. 

Ouvrez  la  corolle  de  cetto  Sauge,  vous  verrez  distinctement,  à côté  des  grandes 
étamines,  deux  petits  filets  renflés  à leur  extrémité  : ce  sont  les  deux  autres 
étamines  qui  ne  se  sont  pas  développées.  Remarquez  en  même  temps,  sur  la 
fleur  comme  sur  les  feuilles , ces  petits  globules  d’un  jaune  doré  transparent  : 
ce  sont  de  petites  outres , pleines  «l’une  huile  volatile  odorante,  que  vous  brisez 
par  la  moindre  pression , et  qui  imprègnent  vos  doigts  du  liquide  qu’elles  con- 
tenaient. 

Vous  connaissez  le  Basilic  ( Ocgmum  Basilicum)  : c’est  une  petite  plante  annuelle,  native 
des  Indes  orientales  de  la  Chine,  qui  réussit  parfaitement  dans  nos  jardins  , et  à laquelle  les 
médecins  d’autrefois  attribuaient  de  merveilleuses  propriétés  : de  là  son  nom  de  Basilic  , qui 
signifie  royal. 

Voici  une  Brwwlle  ( Brunella  vulgari$)\  tâchez  de  découvrir  dans  sa  (leur  une  espèce 
d 'anomalie,  dont  l’observation  causa  jadis  à Jean-Jacques  Rousseau  les  émotions  flatteuses 
d'une  véritable  découverte  : chaque  filet  d’étamine  est  fourchu  ; l’une  des  dents  de  la  petite 
fourche  est  uue,  l’autre  porte  une  anthère.  Jean-Jacques  était  si  conteut  d’avoir  bien  vu  ce 
petit  détail  de  structure,  qu’il  s'en  allait,  demandant  à tous  ses  amis  : « Avez-vous  vu  les 
cornes  de  la  Brunelle?  » Ce  fut  par  cette  question  bizarre  qu’il  aborda,  pendant  plusieurs 
jours,  toutes  les  personnes  de  sa  connaissance;  « à peu  près,  raconlc-t-il  lui-même  dans  ses 


S*C6E. 


BonuutHi. 


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cà*j.  oïitva«s  TÀ’iVJXies. 


W»T«*-ê  *!..»« 

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ÉCOLE  DE  BOTANIQI  K.  49 

Lettres,  comme  La  Fontaine,  qui  disait  à tout  venant  : « Avez-vous  lu  Baruch?  c’était  un  beau 
génie  que  Baruch  ! » 

Vous  avez  vu  que  la  nombreuse  famille  des  Labiées  tient  à celle  des  Borragiuées  par  la 
structure  de  son  pistil  ; vous  allez  voir  maintenant  sa  parenté  avec  une  autre  famille , fondée 
sur  une  ressemblance  frappante  dans  la  corolle,  et  surtout  dans  les  étamines  : cette  famille 
est  celle  des  Personécs.  Vous  pouvez  prendre  pour  type  le  Muflier  ( Anthirrhinum  ma  jus) , 
que  l’on  appelle  vulgairement  Gueule  de  lion  ; la  corolle  est  très-irrégulière  et  partagée  en 
deux  lèvres  bien  distinctes , qui  figurent  une  gueule  béante  quand  on  presse  ses  côtés  entre 
deux  doigts;  cette  gueule  est  même  pourvue  d’une  langue  hérissée  de  poils  et  un  peu  four- 
chue à son  sommet.  La  forme  de  la  corolle  imite  assez  bien  celle  des  masques  de  théâtre  dont 
se  servaient  les  anciens;  de  là  le  nom  de  Personêes,  car  le  mot  latin  persona  signifie  masque, 
« nom  très-convenable  assurément  à la  plupart  des  gens  qui  portent  parmi  nous  le  nom  «le 
personnes,  » disait  avec  amertume  le  pauvre  Rousseau,  dans  ses  Lettres  sur  ta  Botanique. 
Ouvrez  maintenant  la  corolle  ; elle  renferme  quatre  belles  étamines , dont  deux  plus  courtes 
que  les  autres  ; les  anthères  forment  un  bissac  volumineux , rempli  de 
pollen;  le  pistil  se  compose  d’un  long  stylo,  terminé  par  un  stigmate,  et 
posé  sur  un  ovaire  simple  ; ouvrez-le  transversalement , vous  y verrez  deux 
loges,  séparées  l’une  de  l’autre  par  une  cloison,  et,  sur  chaque  côté  de  celte 
cloison , une  espèce  de  bouclier  ou  d’écusson  arrondi , qui  porte  des  graines 
nombreuses.  Cette  différence  notable  dans  le  pistil  est  le  caractère  qui  sépare 
les  Personécs  des  Labiées;  en  outre,  les  Labiées  ont  toujours  les  feuilles 
opposées,  tandis  que  les  feuilles  des  Personécs  sont  ordinairement  alternes. 

Auprès  des  Mufliers,  vous  voyez  les  Linaircs , qui  no  diffèrent  de  leurs 
voisins  que  parla  baso  de  leur  corolle;  celle-ci,  au  lieu  de  s’arrondir  en 
sac,  comme  dans  les  Mufliers,  se  prolonge  en  un  long  cornet,  creux  et 
pointu.  Voici  les  Digitales,  dont  l'espèce  la  plus  commune  est  la  Digitale 
pourprée  [Digilalis  purpurea)  ; la  corolle  ne  figure  pas  mal  un  dé  à coudre , 
de  là  son  nom  de  Digitalis.  Vous  pouvez  vérifier  la  justesse  de  cette  compa- 
raison; toutefois,  avant  de  loger  votre  doigt  dans  la  corolle,  faites-en  sortir 
ce  gros  Bourdon  qui  y fait  son  repas,  et  punirait  votre  imprudence  par  une 
cruelle  piqûre.  La  Digitale  est  une  plante  vénéneuse  ; mais  la  poudre  de  ses 
feuilles,  administrée  à petites  doses,  est  un  précieux  médicament,  et,  dussiez- 
vous  me  reprocher  de  manquer  à ma  parole  eu  vous  parlant  «le  médecine, 
je  ne  puis  me  dispenser  de  vous  apprendre  que  la  Digitale  est  efficace  pour 
calmer  les  palpitations  de  cœur. 

Je  n’ai  rien  à vous  dire  des  Bhinanlhes,  des  Pédiculaires,  des  Scrofulaires,  des  Mélampijres, 
des  Kuphraises,  des  Grassettes,  des  Utriculaires,  qui  constituent  les  principaux  genres  «le  cette 
famille.  Voici  une  espèce  intéressante,  la  Graliole  ( Gratiola  offkinalis) , qui,  comme  la  Sauge 
dans  les  Labiées,  se  distingue  du  reste  de  la  famille  par  le  nombre  de  scs  étamines;  il  y en  a 
deux  qui  sont  r«;duites  à l’état  de  filets  stériles.  La  Véronique , dont  les  espèces  sont  nom- 
breuses, offre  la  même  exception,  elle  n’a  jamais  que  deux  étamines,  et  sa  corolle  est  pou 
irrégulière;  mais  ces  variations  de  nombre  et  de  forme  sont  compensées  par  la  structure  du 
pistil  et  de  la  graine , qui  légitime  pour  les  Véroniques  lo  titre  de  Personêes. 

Les  Orobanches  pourraient  aussi  réclamer  contre  l’exclusion  qui  les  a repoussas  de  cette 
famille.  Ce  sont  des  plantes  d’un  aspect  triste,  dont  la  tige  semble  flétrie  et  desséchée;  elles 
ont,  au  liou  de  feuilles,  des  écailles  jaunâtres  ou  violettes,  et  leurs  fleurs  sont  de  la  même 
couleur.  Les  Orobanches  croissent  sur  des  végétaux  vivants , et  se  nourrissent  de  leurs  sucs. 
Le  fruit,  il  est  vrai,  est  à une  seule  loge,  et  la  position  de  sa  graine,  ainsi  que  sa  structure, 
diffère  un  peu  de  ce  qu’on  trouve  dans  les  Personêes;  mais  il  y a beaucoup  de  plantes,  les 
Gentianées,  par  exemple,  dont  le  fruit  est  tantôt  à une,  tantôt  à «leux  log«>s,  sans  que  l’unité 

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DEUXIEME  PARTIE. 

de  la  famille  en  soit  détruite.  Quant  à l’absence  des  feuilles , vous  concevrez  sans  peine  que 
les  Orobanches  n’avaient  pas  besoin  de  ces  organes.  Quelles  sont , en  effet , les  fonctions  des 
feuilles  ? Elles  absorbent , respirent , transpirent , pour  modifier  la  sève  qui  a monté  dans  leur 
tissu,  et  celte  sève  devient  propro  à nourrir  la  planto.  Or,  la  parasite  Orobanche  a enfoncé  ses 
racines  dans  celles  d’un  autre  végétal  : elle  pompe , par  ses  suçoirs , la  sève  tout  élaborée  de 
ce  même  végétal;  dès  lors  les  feuilles  vertes  lui  deviennent  inutiles,  et  voilà  pourquoi  la 
Nature,  qui  ne  fait  rien  en  vain , ne  lui  en  a pas  donné. 

Si  les  Personées  tiennent  aux  Labiées  par  leur  corolle  et  leurs  étamines , la  structure  de 
leur  fruit  les  rapproche  de  la  famille  des  Salariées,  dont  l'histoire  n’est  pas  sans  intérêt.  Dans 
les  Solanées,  en  effet,  l'ovaire  est  à deux  loges , séparées  par  une  cloison  portant  sur  chacun 
de  ses  côtés  un  écusson  arrondi  chargé  de  graines;  mais  la  corolle  est  régulière  dans  la  plu- 
part des  genres , et  il  y a cinq  étamines  qui  alternent  avec  los  cinq  divisions  de  la  corolle. 

La  plupart  des  Solanées  ont  un  aspect  sombre  et  une  odeur  désagréable;  leur  fruit  est 
presque  toujours  vénéneux  et  narcotique  : ce  fruit  est  tantôt  succulent , et  il  forme  alors  une 
haie  ; tantôt  sec , et  il  porte  alors  le  nom  de  capsule . 

La  Belladone  ( Atropa  Belladona ),  dont  la  physionomie  est  suspecte,  malgré  l’élégance  de 
son  port,  produit  des  fruits  nombreux  qui,  à leur  maturité,  ressemblent  à des  cerises  uoires; 
les  enfants  s’y  trompent  quelquefois;  et  les  vieux  employés  du  Jardin  des  Plantes  vous  racon- 
teront que,  pendant  la  révolution,  de  petits  orphelins,  qu’on  élevait  à l’hospice  de  la  Pitié,  et 
que  l’administration  employait  à sarcler  les  mauvaises  herbes,  remarquèrent  dans  le  carré 
des  Plantes  médicinales  les  fruits  de  la  Belladone,  leur  trouvèrent  une  saveur  douceâtre,  et 
en  mangèrent  une  assez  grande  quantité;  quatorze  de  ces  petits  malheureux  moururent  quel- 
ques heures  après.  Le  nom  générique  de  la  plante  (Atropa)  est  donc  justifié  par  cette  lamen- 
table catastrophe,  car  Atropa  vient  d ’Atropos,  la  Parque  au  fatal  ciseau.  Le  nom  spécifique 
offre  des  images  plus  riantes  : il  signifie  belle  dame,  et  fait  allusion  à la  grande  renommée 
dont  jouit  cette  plante  en  Italie,  où  l’on  emploie  Tenu  distillée  do  Belladone  comme  un  cosmé- 
tique p*récieux  pour  entretenir  la  fraîcheur  de  la  peau. 

lia  Mandragore , qui  est  une  espèce  du  mémo  genre , croît  dans  les  lieux  sombres , comme 
l'indique  l’étymologie  de  son  nom  ( ornement  des  cavernes).  Cette  plante,  connue  et  célébrée 
depuis  un  temps  immémorial , était  employée  par  les  magiciens  et  les  sorciers  pour  donner 
des  hallucinations  bizarres  et  troubler  la  raison.  Les  fouilles  sortent  du  collet  de  la  racine,  et 
forment  un  large  faisceau;  entre  ces  feuilles  naissent  plusieurs  pédoncules,  portant  chacun 
une  fieur,  dont  la  corolle  est  velue  en  dehors,  et  d’une  couleur  blanchâtre  teintée  de  violet. 

Voici  les  nombreuses  espèces  du  genre  Morelle  (Solanum)  : il  y en  a quelques-unes  qui 
n’ont  pas  l'extérieur  repoussant  des  autres  membres  de  leur  famille;  leurs  feuilles  sont  d’un 
vert  gai,  Pt  leurs  fleurs  exhalent  un  parfum  très-agréable.  Cet  arbrisseau  sarmeuteux,  dont  la 
tige  est  grêle,  ligneuse  à sa  base  et  herbacée  dans  le  reste  de  son  étendue,  est  la  Douce- 
Amère  ( Solanum  dulcamarn)  ; ses  fleurs  9ont  violettes  et  disposées  en  grappes  pendantes;  le 
Trait  est  une  baie  rouge.  Cette  Morelle,  dont  l'ovaire  prend  un  développement  énorme,  est  la 
Mélongène  ; son  nom  vulgaire  d' Aubergine  lui  a été  donné  à cause  de  la  ressemblance  de  son 
fruit  avec  un  œuf;  ce  fruit  est  tantôt  d’un  blanc  de  lait,  et  alors  on  le  prendrait  pour  un  oeuf 
cuit,  dépouillé  de  sa  coque;  tantôt  il  est  do  couleur  violette;  lorsqu’il  est  parvenu  â sa  matu- 
rité, il  sert  do  nourriture  à l’homme  dans  les  provinces  méridionales  de  la  France.  La  Tomate 
ou  Pomme  d'amour  ( Solanum  tgcopcrsicon)  est  originaire  du  Brésil;  on  la  cultive  partout  à 
cause  de  ses  baies  rouges , aplaties , partagées  en  côtes  arrondies  et  irrégulières , que  l’on 
emploie  dans  les  sauces  et  les  ragoûts.  La  Morelle  noire  (Solanum  nigrum)  est  une  petite 
planto  qui  croît  abondamment  le  long  des  murs  des  villages  et  dan9  les  lieux  cultivés;  elle 
vaut  mieux  que  sa  réputation,  car  on  l’emploie  impunément,  a la  manière  dos  épinards,  dans 
les  Antilles,  aux  îles  de  France  ot  de  Bourbon,  el  tous  les  consommateurs  lui  trouvent  un 
goût  délicieux, 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQIE. 


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Mais  do  toutes  les  espèces  du  genre  Solamun,  la  plus  utile,  sans 
comparaison,  c'est  la  Morelle  tubéreuse  ( Solanum  tuberosum),  connue 
du  monde  entier  sous  le  nom  de  Pomme  de  terre. 

Parmi  les  Solanées  qui  ont  pour  fruit  une  bain , nous  ne  devons  pas 
oublier  celte  herbe  annuelle,  originaire  de  l’Amérique  méridionale,  dont 
l’ovaire,  oblong  et  d’un  rouge  vif,  possède  une  saveur  poivrée,  qui  le 
fait  rechercher  comme  assaisonnement  : c'est  le  Piment  ( Capsicum 
annuum). 

Passons  maintenant  en  revue  les  Solauécs  dont  l’ovaire  est  une  cap- 
sule : voici  la  Jusquiamc  ( Hyoscyamus  niger) , dont  la  tige  est  recou- 
verte d'un  coton  visqueux , et  exhale  une  odeur  riqioussantc  ; ses 
corolles  sont  d'un  jauue  pâle,  veiné  de  pourpre; 
sa  capsule  s'ouvre  par  le  soulèvement  d'uue 
petite  calotte  qui  forme  son  tiers  supérieur  : 
c'osl  ce  que  vous  pouvez  vérifier  vous-mémo  eu 
enlevant  ce  couvercle , dont  le  bord  est  saillant. 

Voici  la  Pomme  épineuse  (Datura  Stramonium) , 
dont  la  capsule,  hérissée  de  piquants,  offre  quatre 
loges  au  lieu  de  deux.  Ses  semences  sont  trés- 
narcoliques;  et  vous  pourrez  lire  à ce  sujet,  dans 
les  Causes  Célèbres , le  procès  d’une  compagnie 
de  voleurs,  connus  sous  le  uom  à'endormeurs  ; 

Pci,  ils  mêlaient  du  latmc  à de  la  poudre  de  Datura-,  puis,  dans  les  lieux 

publics , dans  les  diligences , ils  se  plaçaient  à côté  de  gens  auxquels 
ils  offraient  fréquemment  du  tabac,  cl,  dès  qu’ils  les  voyaient  endormis 
ou  délirants , ils  les  dépouillaient  sans  obstacle. 

Au  genre  Datura  appartiennent  le  Oatura  ferox . ainsi  nommé,  à causo 
des  épines  qui  arment  sou  fruit,  et  le  Datura  fastuosa,  dont  la  corolle 
double  et  triple  quelquefois  ; la  forme  et  la  magniticoncc  de  cette  corolle 
lui  ont  fait  donner  le  surnom  de  Trompette  du  jugement  dernier. 

Celte  plante , dont  vous  admirez  les  larges  feuilles  et  les  fleurs  roses , 
disposées  eu  épi  rairësùx  au  sommet  des  branches,  est  le  Tabac  [Sicotiana 
Tabacum). 

Nous  ne  quitterons  pas  la  section  des  Corolliflores , sans  jeter  un  coup 
d'œil  sur  une  famille  très-voisine  des  Persouées  ; c'est  celle  qui  a pour 
type  le  genre  Dignonia,  dédié  à l'ahbé  Biguon,  protecteur  des  savants 
dans  le  dix-septieme  siècle. 

Voici  d'abord  le  Bignonia  catalpa,  cultivé  dans  quelques  jardins  comme 
plaide  d’ornement;  et  le  Bignonia  radicans,  arbrisseau  grimpant,  aux 
fleurs  graudes  et  éelulantes;  sa  tige  offre,  d'espace  en  espace,  des  nœuds  1,1  >*• 
d’où  partent  des  racines  aériennes. 

Dans  les  familles  Corolliflores  que  vous  venez  do  passer  en  revue,  vous  avez  pu  remarquer 
que  toujours  les  étamines  sont  alternes  avec  les  divisions  de  la  corolle , e’est-à-dire  placées 
entre  ces  divisions.  La  famille  des  Primulacées  présente  une  exception  à celle  règlo  générale  : 
examinez  un  instant  dette  fleur  de  Lysimaquie,  vous  verrez  sans  peine  que  les  cinq  étamines 
qu'elle  porte  sont  exactement  vis-à-vis  des  pétales  soudés  de  la  corolle.  Il  suffit,  pour  s'eu 
assurer,  d'enlever  un  de  ces  pétales , vous  enlevez  eu  même  temps  une  étamine  qui  se  pose 
précisément  sur  sa  base,  et  lui  est  par  conséquent  opposée.  C’est  à la  famille  des  Primulacées 
qu'appartient  le  joli  genre  Anagallis,  dont  une  espèce  à fleur  tantôt  bleue,  tantôt  d’un  rouge 
vif  (Anagallis  errensis),  abonde  dans  les  lieux  cultivés,  et  présente  un  ovaire  qui  s’ouyrc  en 


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52  DEUXIÈME  PARTIE. 

doux  moitiés  hémisphériques , comme  une  boite  à savonnette  ; c'est  ce  que  vous  avez  vu  tout 
à l'heure  dans  la  Jusquiame.  Le  Cyclamen,  dont  les  corolles  ont  leurs  divisions  longues,  tor- 
dues et  déjetées  en  arrière,  comme  une  chevelure  qui  flotte  au  vent,  est  aussi  une  Priinulacée; 
enfin  le  type  de  la  famille  est  le  genre  Primevère  ( Primula ),  dont  toutes  les  espèces  fleuris- 
sent au  commencement  du  printemps , et  dont  vous  ne  voyez  ici  que  les  calices  et  les  ovaires 
desséchés. 

La  série  des  familles  que  nous  allons  visiter  maintenant  ne  nous  offrira  pas  l'éclat  que  vous 
avez  admiré  dans  les  Corolliflores.  Ce  sont  des  plantes  dans  lesquelles  il  n’y  a qu'une  enve- 
loppe florale,  c’est-à-dire  un  calice;  quelquefois,  il  est  vrai,  les  folioles  de  ce  calice  sont 
disposées  sur  deux  rangs;  mais  leur  couleur  est  presque  toujours  verte,  si  ce  n’est  dans  deux 
ou  trois  familles.  Voici,  par  exemple,  les  Syctages,  qui  doivent  leur  nom  à leur  vie  nocturne; 
c’est*,  en  effet,  vers  le  crépuscule  du  soir  que  s’éveille  leur  fleur,  qui  reste  épanouie  jusqu'au 
jour,  et  se  ferme  alors  pour  ne  plus  se  rouvrir.  L'espèce  la  plus  répandue  dans  les  jardins  est 
le  Syclage  faux  Jalap  (.Mirabilis  Jalapa ),  connu  sous  le  nom  de  Belle-de-Suil , et  dont  le 
calice,  ordinairement  rouge,  est  quelquefois  jauue,  blanc  ou  panaché.  Cette  plante  est  annuelle 
dans  nos  climats  froids;  mais  elle  est  vivace  dans  le  Pérou,  sa  patrie  primitive.  Le  Syctagc  A 
longue  fleur  ( Mirabilis  longiflora ) est  originaire  des  hautes  montagnes  du  Mexique;  ses  calices 
sont  remarquables  par  la  longueur  de  leur  tul>e,  et  lorsqu’ils  s'ouvrent,  vers  la  nuit,  ils 
répandent  une  odeur  suave.  Remarquez  bien  que  le  calice  des  Nyctages  forme  à sa  partie 
inférieure  un  petit  étranglement  au-dessus  de  l’ovaire,  et  l'enveloppe  sans  y adhérer;  si  vous 
ouvrez  adroitement  cotte  partie  du  calice  qui  entoure  l’ovaire,  vous  verrez  qu’elle  n’v  est 
qu’appliquée  et  non  pas  soudée;  vous  verrez  en  même  temps  le  point  où  naissent  les  étamines, 
c’est  un  disque  écailleux  posé  sur  le  réceptacle. 

Les  Amaranthes  ont  aussi,  pour  la  plupart,  leur  calice  coloré;  les  Plantains  ont  deux 
enveloppes  florales,  dont  la  plus  intérieure  peut  être  considérée  comme  une  véritablo  corolle. 
Il  en  est  de  même  des  Dentelaires  ou  Plombaginées , dont  une  espèce,  le  Gazon  d' Olympe 
( Siatice  armeria ),  est  cultivée  pour  bordure  dans  les  jardins. 

Les  Arroches  formeraient  peut-être  la  moins  brillante  des  familles  du  règne  végétal,  si  elles 
n'avaient  à leur  tête  lu  Phytolacca , herbe  de  trois  à quatre  mètres  de  hauteur,  dont  la  tige 
rougeâtre  et  rameuse  porte  de  belles  feuilles  et  d’élégantes  grappes  de  fleurs.  Les  autres 
membres  de  la  famille  compensent  leur  peu  d’éclat  par  des  qualités  utiles  : ce  sont  Y Épinard 
commun  ( Spinacia  o/eracea ),  dont  vous  connaissez  l’usage;  les  diverses  espèces  du  genre 
Salsola , plantes  qui  croissent  sur  les  bords  de  la  mer,  et  dont  la  cendre  fournit  lu  Soude , qui 
sert  de  base  aux  savons  et  aux  lessives;  enfin  la  Bette  ( Deta  vulgaris),  cultivée  dans  tous  les 
jardins.  Cette  espèce  présente  deux  variétés  principales  : l’une , nommée  Poirée , a sa  racine 
dure  et  cylindrique;  ses  feuilles  sont  larges,  et  leur  céto  longitudinale  est  employée  comme 
aliment  sous  le  nom  de  carde;  l’autre  a sa  racine  grosse,  charnue  et  pleine  de  suc  : c’est  la 
Betterave  ou  Racine  de  disette , dont  la  culture  rivalise  maintenant  avec  celle  de  la  Canne  d 
sucre. 

La  famille  des  Polygonées  ou  Remuées  renferme,  coimno  vous  le  voyez,  des  Plantes  herba- 
cées, dont  l'ovaire,  dans  quelques  espèces,  contient  une  fécule  uutritive  très-abondante  : voici 
le  Sarrasin  (Polygonum  fagopyrum) , végétal  précieux,  originaire  d’Asie,  qui  prospère  dans 
les  terres  les  plus  maigres,  et  alimente  les  habitants  de  la  Bretagne  et  de  la  ISormaudie;  voici 
les  Humox,  dont  deux  surtout  contiennent  un  sel  acido  qui  les  fait  employer  comme  plante 
potagère  : ce  sont  la  grande  et  la  petite  Oseille  ; voici  enfin  les  Bhevm , dont  la  racine  est 
connuo  sous  le  nom  de  Rhubarbe . La  Rhubarlve  par  excellence  nous  vient  de  la  Chine,  mais 
nous  ne  savons  pas  encore  quelle  espèce  de  Bheum  la  produit;  on  en  a cultivé  eu  France  plu- 
sieurs espèces,  et  aucune  n’a  donné  uue  racine  semblable  à celle  dont  les  Chinois  nous  cachent 
soigneusement  l’origine. 

Les  Lauriers  sont  des  arbres  élégants,  ornés  en  tout  temps  de  feuilles  lisses  et  luisautos; 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

de  même  que  les  Polygouées  et  les  Arroches,  ils  n’ont  qu’un  calice  sur  lequel  sont  posées  les 
étamines.  Le  Laurier  franc  ( Laurus  nobilis)  est  originaire  des  contrées  méridionales  de  l’Eu- 
rope et  de  l’Asie  Mineure.  Je  n’ai  pas  besoin  de  vous  rappeler  que  cet  arbre  fut  jadis  la  bellu 
Daphné  : depuis  le  jour  où,  poursuivie  par  Apollon,  elle  fut  changée  en  Laurier,  le  Laurier 
est  consacré  au  dieu  du  génie,  et  son  feuillage,  orné  de  ses  fruits,  sert  à couronner  les  héros, 
les  poètes  et  les  bacheliers  {baccalaureali) . Toutes  ces  fictions  avaient  leur  mérite  au  temps 
où  les  guerriers  ne  cherchaient  que  la  gloire,  où  les  poètes  faisaient  difficilement  des  vers 
faciles,  où  les  bacheliers  savaient  le  latin  ; mais,  hélas ( de  nos  jours,  il  y a des  esprits  positifs 

Qni  ne  trouvent  le  laurier  bon 
Que  i»our  la  sauce  et  le  jambon. 

A quoi  les  apothicaires  ajoutent  que  l 'onguent  de  Laurier  est  souverain  pour  les  douleurs 
rhumatismales. 

Au  resto , l’origine  mythologique  du  Laurier  lui  faisait  attribuer,  cher  les  anciens , des  pro- 
priétés merveilleuses  : Pline  rapporte  que  lo  Laurier  avait  le  privilège  d’écarter  la  foudre,  et 
de  servir  d’ornement  et  de  sentinelle  au  palais  des  Césars.  L'empereur  Tibère,  dans  les  temps 
d’orage,  y cherchait  un  abri.  Celte  superstition  des  Romains  devient  sublimo  dans  la  bouche 
du  vieil  Horace,  défendant  son  fils  vainqueur  : 

Laurier*  *aeré*,  rameaux  qu'on  veut  réduire  en  poudre, 

Voua  qui  mettez  sa  téle  à couvert  de  la  foudre  ... 


Les  autres  espèces  de  la  famille  que  vous  avez  à connaître  nous  rejettent  dans  l'épicerie  et 
dans  la  droguerie  : c’est  un  Laurier  ( Laurus  cinnamomum ),  qui  nous  donne  la  Cannelle ; 
c'est  un  Laurier  ( Laurut  camphora ),  qui  fournit  le  Camphre ; c'est  un  Laurier  ( H y ri  s tic  a 
motchata ),  qui  produit  la  Muscade  et  le  Macis  ; jo  vous  fais  grâce  «lu  Malabathrum,  du  Cassia 
lignea , du  Sassafras , du  Pichurim  et  du  Culilawan. 

Descendons  maintenant  vers  l’autre  extrémité  du  carré  que  nous  venons  de  parcourir;  nous 
allons  y trouver  des  familles  dans  lesquelles  les  fleurs  sont  diclines , c’est-à-dire  que  les  éta- 
mines et  les  pistils  occupent  des  fleurs  différentes. 

La  première  famille  qui  s’offre  à nos  regards  est  celle  des  Euphorlnacées , qui  varient  beau- 
coup par  leur  port.  Voici  les  espèces  du  genre  Euphorbia , type  de  la  famille  : à leur  této  est 
V Euphorbe  officinale,  qui  ressemble  singulièrement,  pour  le  port,  à un  cierge;  les  Euphorbes  ou 
Tilhyrnales , renferment  un  suc  laiteux  très-àcre.  Les  Buis  et  les  Mercuriales  appartiennent 
aussi  à cette  famille.  Voici  les  Ricins,  dont  l’espèce  la  plus  commune  est  le  Palma-Christi , 
plante  horbacée  dans  nos  climats  rigoureux , mais  formant  un  arbre  «Je  quarante  pieds  dans 
l'Afrique,  sa  patrie.  Son  nom  de  Palma-Christi  ( Main  du  Christ)  lui  vient  de  la  forme  de  ses 
feuillos.  Nous  verrons  dans  les  Serres  quelques  Euphorbiacées  exotiques , «jui  pourront  vous 
• intéresser. 

Les  Lrticées,  voisine  des  Euphorbes,  sont  plus  utiles  à l’homme  que  cos  dernières;  ce  n’est 
pas  aux  espèces  du  genre  Ortie  ( Urtica ) que  s’applique  cette  observation.  Leurs  feuilles  et 
leur  tige  sont  hérissées  de  poils,  dont  la  piqûre  est  suivie  d’une  cuisson  douloureuse;  cette 
douleur  n’ost  pas  causée  par  le  poil  lui-même;  elle  provient  d’une  liqueur  irritante  qui  est 
entrée  en  même  temps  que  lui  dans  la  plaie.  Pour  bien  comprendre  la  piqûre  «le  l’ortie,  il 
faut,  non  pas  se  faire  piquer  par  elle,  mais  observer  avec  une  loupe  les  poils  qui  couvrent  sa 
tige  : vous  verrez  que  ces  poils  sont  creusés  en  gouttière  sur  toute  leur  longueur,  et  se  posent, 
par  leur  base,  sur  uno  glande  en  forme  de  sac,  pleine  d’un  suc  caustique;  quand  on  touche  la 
plante,  les  poils,  <]ui  sont  roides  et  acérés,  se  glissent  sous  la  peau,  mais  en  même  temps,  la 
glande  qui  est  au  bas  du  poil  est  pressée,  et  laisse  suinter  sa  litpicur  âcre;  cette  liqueur  coule 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

le  long  do  la  rainure  du  poil,  pénétre  avec  lui  dans  la  peau,  et,  par  son  coulact,  détermine  la 
douleur  que  vous  connaissez.  Ce  mécanisme  est  tout  à fait  analogue  à celui  de  la  morsure  des 
Serpents  venimeux.  La  dent  du  Serpent  est  creusée  d'un  canal  ; à ce  canal  aboutit  le  conduit 
oxcrétour  do  la  glande  qui  fournit  le  poison  ; figurez-vous  une  bouteille  de  gomme  élastique  A 
long  goulot,  et  pleine  de  liquide,  vous  aurez  l'idée  du  réservoir  à venin.  Au  moment  où 
l’animal  mord,  les  muscles  de  ses  mâchoires,  en  se  contractant,  compriment  la  glande,  et  le 
venin  qui  coule  le  long  du  canal  de  la  dent  entre  avec  elle  dans  la  plaie  de  la  victime. 

Quand  les  Orties  sont  sèches,  elles  no  produisent  aucune  douleur  : c'est  qu’alors  les  glandes 
du  suc  âcro  soûl  desséchées;  les  poils  existent  toujours,  ils  peuvent  même  pénétrer  sous  la 
peau , mais  cette  blessure  est  sans  cuisson. 

Laissons  là  ces  vipères  végétales,  qu’il  est  dangereux  d’aborder  : le  jeu  de  leurs  étamines 
vous  aurait  intéressé,  si  vous  aviez  pu  l’étudier  sans  accident,  mais  vous  pourrez  observer  un 
phénomène  semblable  sur  la  Pariétaire,  petite  plaute  inoffensive,  que  l'on  rencontre  dans  lus 
fentes  dus  vieux  murs  et  quelquefois  le  long  des  haies.  Les  fieurs  sont  ramassées  par  petits 
pelotons;  vous  en  trouverez  qui  renferment  un  pistil  seulement  au  milieu  d’un  calice  à quatre 
folioles;  d'autres  n'ont  que  des  étamines,  qui  sont  au  nombre  do  quatre,  et  opposées  aux 
foliolos  du  calice;  d’autres  enfin  sont  complètes  et  possèdent  étamines  et  pistil  dans  le  même 
calice.  Prenez  une  fleur  à étamines,  qui  ne  soit  pas  encore  épanouie,  ouvrez-la  doucement 
avec  uno  épingle,  vous  verrez  tout  à coup  uno  ou  deux  des  étamines,  dont  les  filets  étaient 
enroulés  comme  dos  ressorts  de  montre,  vous  les  verrez,  dis-je,  se  dérouler  avec  une  élasti- 
cité singulière,  et  rester  ensuite  dressées  ; vous  vemiz  en  même  temps  s'élever  un  petit  nuage 
do  poussière  ; c'est  lu  pollen,  que  cette  secousse  a chassé  de  l'anthère,  et  qui  se  disperse  sur 
les  fleurs  à pistil  environnantes.  Vous  pourrez  provoquer  successivement  cette  explosion  sur 
chacune  des  quatre  étamines,  en  avant  soin  de  ne  les  visiter  que  l'une  après  l'autre,  avec  la 
pointe  de  votre  épingle. 

Lo  Chanvre  ( Cannabis  saliva)  est  originaire  de  la  Perse,  mais  il  s'est  parfaitement  natu- 
ralisé dans  toutes  lus  contrées  de  l'Europe.  Les  fibres  de  cette  plante  ont  beaucoup  de  ténacité  : 
c'est  avec  elles  que  l'on  prépare  cette  filasse  si  précieuse  pour  la  fabrication  des  toiles  et  des 
cordages.  Lu  Houblon  ( Humulits  lupulus)  ressemble  au  Chanvre,  mais  sa  tige  est  grimpante; 
ce  sont  ses  fleurs  à pistil,  réunies  eu  petites  tètes,  que  les  brasseurs  emploient  dans  la  prépa- 
ration de  la  bière,  pour  lui  donner  de  l’amertume. 

Ne  vous  récriez  pas  un  voyant  le  Mûrier  et  le  Figuier  dans  la  famille  des  Orties.  La  consis- 
tance ligneuse  et  la  hauteur  des  tiges  distinguent,  il  est  vrai,  ces  arbres  de  l’humble  Parié- 
taire; mais  la  structure  de  la  fleur  et  de  la  graine  est  identique  daus  toutes  ces  plantes; 
d'ailleurs,  les  feuillus  du  Figuier  et  du  Mûrier  ne  sont  pas  sans  analogie  avec  celles  du  Hou- 
blon. Et  si  vous  aviez  sous  les  yeux  tous  les  membres  de  la  famille  répandus  sur  la  surface 
du  globe,  vous  vorriez  qu’entre  la  Pariétaire  et  le  Mûrier,  il  y a dos  espèces  intermédiaires 
qui  établissent  le  passage  de  l’une  à l'autre  par  des  nuances  presque  insensibles. 

Le  Mûrier  a ses  fleurs  à pistil  réuuics  eu  têtes  orales  comme  le  Houblon  ; chaque  fleur  a 
un  calice  de  quatre  folioles  qui  entourent  un  petit  ovaire  renfermant  uno  seule  graine  : ces 
folioles,  en  mûrissant,  se  gonflent  de  sucs,  et  leur  ensemble  forme  le  fruit  qu’on  nomme  la 
Mûre.  Ainsi,  dans  la  Mûre,  ce  sont  les  calices  de  plusieurs  fleurs  réunies  que  vous  mangez. 
— Le  Mûrier  noir  ( Morus  nigra),  qui  s’est  naturalisé  eu  Europe,  est  originaire  de  la  Perse; 
le  Mûrier  blanc  (Morue  alba)  est  plus  petit  que  le  précédent;  il  est  originaire  de  la  Chine,  où 
on  le  cultive  pour  l'éducation  des  Vers  à soie  ; le  Mûrier  blanc  est  en  effet  le  seul  arbre  dont 
les  feuilles  puissent  nourrir  la  Cheuillc  de  ce  précieux  llombix.  Deux  missionnaires  grecs  l'in- 
troduisirent en  Europe  dans  le  sixième  siècle  ; ils  apportèrent  à Constantinople  des  graines  de 
Mûrier  et  des  œufs  do  Vers  à soie  : la  culture  du  Mûrier  se  répandit  bientét  dans  le  Pélopo- 
nèso,  et  fit  donner  à cette  partiu  de  la  Grèce  son  nom  moderne  de  Morée  (Morus).  De  là,  les 
Mûriers  et  les  Vers  à soio  passèrent  en  Sicile  et  en  Italie,  et  prirent  daus  la  Calabre  une 


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ÉCOLE  DR  BOTANIQUE.  55 

extension  rapide.  Quelques  gentilshommes  français,  qui  avaient  fait  la  guerre  en  1494,  sous 
Charles  Vlil,  ayant  compris  tous  les  avantages  que  l'Italie  retirait  de  cette  branche  d'agricul- 
ture, voulurent  en  doter  leur  patrie,  et  firent  apporter  de  Naples  des  Mûriers  qu'on  planta 
dans  la  Provence  et  dans  le  Dauphiné.  Charles  VIH  encouragea  les  soieries  qui  s'étaient  éta- 
blies à Lyon  et  à Tours;  Henri  IV,  malgré  la  résistance  de  Sully,  établit  de  nombreuses 
plantations  de  Mûriers,  et  convertit  en  pépinière  son  jardip  des  Tuileries;  le  graud  ministre 
Colbert  alla  plus  loin  : il  fit  planter  des  Mûriers,  aux  frais  de  l'Etat,  dans  des  propriétés  par- 
ticulières, mais  les  particuliers  acceptèrent  avec  répugnance  une  richesse  que  leur  imposait 
l'arbitraire;  les  plantations  furent  négligées;  alors  Colbert  fit  annoncer  qu'il  paierait  une 
prime  de  vingt-quatre  sols  pour  tout  arbre  qui  aurait  atteint  l’âge  de  trois  ans;  la  prime  fut 
exactement  payée,  et  dès  lors  la  culture  du  Mûrier  se  répandit  rapidement  dans  les  provinces 
du  midi  et  du  centre  de  la  France. 

Le  Mûrier  A papier  ( Broustonetia  papyrifera)  croit  en  Chine  et  dans  les  îles  de  la  mer  du 
Sud  ; son  écorce  sert  à fabriquer  du  papier  de  Chine , qui  est  très-recherché  pour  l'impression 
en  taille-douce;  c’est  aussi  avec  cette  écorce  que  les  insulaires  préparent  une  toile  non  lissue, 
dont  ils  se  font  des  vêtements.  Le  Mûrier  à papier  me  rappelle  l'histoire  de  Potaveri,  ce  jeune 
Otahitien  que  Bougainville  avait  amené  en  France.  Le  pauvre  insulaire,  étranger  à nos 
mœurs,  à notre  langage,  à nos  plaisirs,  languissait  loin  de  sa  chère  Otahiti  : toutes  les  ca- 
resses qu'on  lui  prodiguait  glissaient  sur  son  âme,  et  il  restait  silencieux  et  solitaire  au  milieu 
des  fêtes  brillantes  dont  il  était  l'objet.  Un  jour,  on  l’avait  conduit  dans  les  jardins  de  Ver- 
sailles, dont  on  lui  montrait  avec  empressement  les  richesses  et  les  beautés  : tandis  qu'il 
promène  ses  regards  distraits  sur  cette  foule  de  Végétaux  rassemblés  à grands  frais  de  toutes 
les  parties  du  monde,  il  aperçoit  tout  à coup  un  Mûrier  à papier.  A cette  vue,  son  œil  éteint 
se  ranime;  il  s’élance  d’un  bond  vers  l’arbre  do  son  pays,  il  l’entoure  de  ses  étreintes  convul- 
sives, et  s’écrie  en  sanglottant  : Otahiti I Otahiti!  Ce  mot  fut  le  seul  qu’il  fit  entendre  ; il  le 
répéta  bien  des  fois,  et  chaque  fois  ce  mot  prenait  dans  sa  bouche  un  accent  nouveau,  qui 
révélait  aux  spectateurs  les  émotions  variées  et  rapides  dont  son  cœur  était  agité.  Connaissez- 
vous  un  discours  sur  l'amour  de  la  patrie,  plus  éloquent,  plus  complet,  plus  sublime  que 
celui-là?  Tous  les  assistants  fondaient  en  larmes  : il  fallut  l’arracher  de  ce  lieu  qu’il  ne  vou- 
lait pas  quitter,  et  quand  l’infortuné  se  vit  entraîner  loin  de  l’arbre  d’Otahili,  on  eût  dit,  à son 
désespoir,  qu’il  venait  de  quitter  sa  patrie  une  seconde  fois. 

Le  Figuier  est  originaire  do  l'Orient;  il  fut  apporté  à Marseille  par  les  Phéniciens,  six  cents  - 
ans  avant  l’ère  chrétienne.  Los  fleurs  sont  renfermées  dans  un  réceptacle  creux,  dont  la  forme 
est  celle  d’une  poire;  son  extrémité  élargie  est  percée  d’un  trou  bouché  par  des  écailles;  les 
fleurs  à étamines  occupent  la  partie  supérieure,  les  fleurs  à pistil,  plus  nombreuses,  sont  pla- 
cées au-dessous  d’elles  cl  tapissent  la  paroi  du  réceptacle,  à laquelle  elles  tiennent  par  un 
petit  pied.  — Quo  mangez-vous  donc  dans  le  fruit  du  Figuier?  en  un  mot,  qu’est-cc  que  la 
Figue?  C’ost  un  réceptacle  charnu,  dans  l’intérieur  duquel  sont  logés  les  ovaires,  qui  vous 
craquent  sous  la  dent.  Il  y a dans  les  serres  une  Vrticée  voisine  du  Figuier,  chez  laquelle  ce 
réceptacle,  au  lieu  de  se  redresser  et  de  former  un  corps  creux,  reste  étalé  presque  horizon- 
talement et  porte  à sa  surface  les  fleurs  à étamines  et  à pistil,  mélangées  : c’est  le  Dorslenia 
contrayerva,  dont  la  racine  est  employée  au  Brésil  contre  la  morsure  des  serpents  venimeux. 

( Contrayerva  signiflo  contre-poison.) 

Dans  nos  Figuiers  cultivés , le  parenchyme  du  réceptacle  se  développe  outre  mesure,  et  les 
étamines  avortent,  mais  dans  le  Figuier  sauvage,  ou  Caprifiguier  de  la  Grèce  et  de  l’Asie 
Mineure,  l’organisation  ries  fleurs  est  complète  : or,  il  y a un  insecte,  appartenant  au  genre 
Cynipt,  qui  dépose  ses  œufs  dans  le  réceptacle  des  Caprifiguiers  les  plus  précoces;  les  Orien- 
taux, qui  connaissent  cette  manœuvre,  enfilent  ces  jeunes  Figues  en  chapelets,  qu’ils  sus- 
pendent aux  branches  des  Figuiers  cultivés.  Bientôt  les  jeunes  Cynips,  que  la  Figue  sauvage 
rerélait,  sortent  de  leur  prison,  chargés  de  poussière  fécondante  ; ils  s’introduisent  par  l'œil 


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àC  DEUXIÈME  PARTIE. 

de  la  Figue  cultivée  dans  le  réceptacle  où  sont  nichés  les  pistils,  portent  ce  pollen  sur  les 
stigmates,  et  provoquent  ainsi  la  maturité  du  fruit.  Cette  fécondation  artificielle  so  nomme 
caprification. 

A la  famille  des  L'rticées  appartient  encore  le  Jaquier,  que  l’on  cultive  dans  les  régions 
tropicales,  et  dont  le  fruit,  du  volume  de  la  tête  d’un  homme,  renferme  une  pulpe  blanche 
et  farineuse,  qui  a la  saveur  de  la  mie  de  pain  frais,  et  fournit  à l’homme  un  aliment  sain 
et  agréable  : c’est  ce  qui  a valu  au  Jaquier  ( Artocarpus)  son  nom  populaire  à' Arbre  A 
Pain. 

Les  Cucurbitacées  sont  des  herbes  dont  la  tige  flexueuse  est  souvent  grimpante , soit  par  sa 
propre  torsion,  soit  par  le  moyen  des  vrilles  que  vous  pouvez  observer  à l'aisselle  des  feuilles 
de  beaucoup  d’entre  elles.  — La  corolle  est  posée  sur  un  calice  à cinq  divisions,  qui  se  soude 
par  touto  sa  partie  inférieure  avec  le  pistil.  Dans  les  fleurs  à étamines, 
les  anthères  sont  flexueuses  et  soudées  ensemble,  de  manière  à former  trois 
groupes.  Le  fruit,  qui  se  compose  du  calice  soudé  avec  l'ovaire,  devient 
très-gros  et  contient  des  graines  nombreuses  : voici  la  plus  commune  des 
Cucurbitacées , la  Bryone  (Bryonia  diofea),  dont  la  tige  grimpante  et  les 
feuilles  découpées  cnmmo  celles  do  la  Vigne,  lui  ont  valu  les  noms  popu- 
laires de  Coulettvréc  et  de  Vigne  blanche  ; la  racine  de  cette  faible  plante  est 
d’un  volume  énorme.  — Voici  la  Coloquinte , les  Melons , avec  toutes  leurs 
variétés,  le  Concombre,  dont  les  fruits  jeunes,  confits  au  vinaigre,  portent  le 
nom  de  Cornichons  ; la  Calebasse , le  Pastèque  ou  Melon  d'eau , le  Potiron 
ou  Citrouille;  tous  ces  Végétaux  sont  originaires  d’Asie,  et  se  sont  faci- 
lement naturalisés  dans  nos  climats.  Le  Melon  a passé  d’Afrique  en  Espagne, 
puis  en  Italie,  d'où  le  Roi  Charles  VIII  l’a  transporté  en  France. 

Les  deux  familles  qu’il  vous  reste  à connaître,  avant  do  quitter  ce  Carré, 
se  composent  d’arbres  dont  les  espèces  constituent  presque  à elles  seules  nos  forêts  d’Eu- 
rope : ce  sont  les  Amentacées  et  les  Conifères. 

Les  Amentacées , que  l’on  nomme  aussi  Ar- 
bres  d chatons , ont  des  feuilles  qui  tombent 
tous  les  ans  et  sont  garnies  à leur  naissance  de 
deux  stipules  : les  fleurs  à étamines  sont  dis- 
posées en  épis,  où  le  calice  manque  ordinaire- 
ment et  est  remplacé  par  des  bractées  ; les 
fleurs  à nislil  varient  beaucoup  : tantôt  elles 
forment  Mes  épis  nommés  Chatons , tantôt  elles 
sont  solitaires  et  entourées  de  bractées  dont  la 
forme  est  diverse.  — A la  tête  de  la  famille  est 
le  Chêne , dont  le  fruit  est  un  Gland,  c’est-à- 
dire  un  ovaire  entouré  de  bractées  serrées  qui 
forment  à sa  base  un  godet.  Le  Chêne  rouvre, 
ou  Chêne  commun,  fournit  son  bois  pour  les 
constructions  qui  demandent  surtout  do  1a  so- 
lidité; son  écorce,  nommée  tan , sert  aux'/nn- 
ncurs  pour  durcir  le  cuir.  Le  Chêne  liège  croît 
dans  les  provinces  méridionales  de  la  France; 
c’est  la  partie  extérieure  de  son  écorce  qui 
fournit  cette  substance  spongieuse  et  élastique 
que  l’on  nomme  le  liège.  Le  Chêne  A galles  est 
un  arbrisseau  qui  croit  dans  l'Asie  Mineuro  ; 
un  Cynips,  peu  différont  de  celui  du  Figuier, 


Baiou 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE.  57 

piquo  le  pétiole  de  sa  feuille  pour  y déposer  ses  œufs;  les  sues  végétaux  s’épanchent  à l’en- 
droit qui  a été  piqué,  et  y forment  une  excroissance  ou  tumeur  qu’on  nomme  Noix  de  galle. 
Les  œufs  renfermés  dans  ces  excroissances  acquièrent  du  volume  et  de  la  consistance;  il 
eu  nuit  de  petits  vers  sans  pattes,  qui  rongent  l'intérieur  de  la  tumeur  sans  nuire  à son  déve- 
loppement , et  y restent  cinq  ou  six  mois  dans  cet  état.  Quand  l’époque  de  leur  métamor- 
phose est  arrivée,  ils  percent  la  coque  qui  leur  a fourni  à la  fois  le  vivre  et  le  couvert,  et  l’on 
peut  voir  à la  surface  des  galles  des  trous  ronds  qui  annoncent  que  l’animal  en  est  sorti.  — 
Les  Noix  de  galle,  infusées  dans  de  l’eau  qui  tient  du  fer  en  dissolution,  forment  la  liqueur 
nommée  encre.  Vous  pouvez  remarquer  des  excroissances  semblables  sur  les  feuilles  du 
Chêne  commun  ; elles  sont  molles  et  de  couleur  rose;  il  s’en  forme  aussi  sur  le  Rosier  églan- 
tier, que  l'on  nomme  Mousse  chevelue.  Coupez  ces  productions  en  deux  moitiés,  vous  verrez 
les  petites  cellules  où  sont  logés  les  vers. 

Le  Noisetier  ou  Coudrier  ( Corylus  avellana)  a un  fruit  que  vous  connaissez  et  qui  diffère 
du  gland  de  Chêne,  en  ce  que  les  bractées  qui  environnent  l’ovaire  sont  grandes  et  foliacées. 
Dans  le  Châtaignier  (Ca&tanea) , le  fruit  est  aussi  protégé  par  des  bractées,  mais  celles-ci 
sont  épineuses,  et  enveloppent  en  entier  les  ovaires,  qui  sont  ordinairement  au  nombre  de 
trois  à quatre;  chaque  ovaire,  dans  sa  jeunesse,  est  à six  loges  et  porte  six  styles;  chacune 
des  loges  renferme  deux  graines;  mais  bientôt  ces  loges  avortent,  et  se  réduisent  à une  seule, 
qui  renferme  trois  graines;  quand  la  nourriture  destinée  h ces  trois  graines  se  jette  sur  l’une 
d’elles,  celle-là  prospère  aux  dépens  des  autres  et  forme  le  Marron.  Ainsi,  sur  douze  graines 
que  contenait  le  jeune  ovaire,  il  arrive  souvent  qu’une  seule  réussisse.  — Cette  enveloppe 
épineuse,  qui  protège  les  ovaires,  est  le  seul  point  de  ressemblance  du  Châtaignier  avec  le 
Marronnier  d'Inde,  bel  arbre,  qui  fait  l’ornement  de  nos  jardins  publics  : encore  cette  res- 
semblance n’est-elle  qu’apparente,  car,  dans  le  Châtaignier,  l’enveloppe  épineuse  est  formée 
par  des  bractées,  et  ne  tient  en  rien  aux  ovaires,  tandis  que  dans  le  Marronnier  d’Inde,  au 
contraire,  c’est  l’ovaire  lui-même  qui  la  constitue. 

Le  Hêtre  ( Fagus ) se  rapproche  beaucoup  du  Châtaignier  pour  la  structure  des  fleurs;  son 
fruit  est  aussi  enveloppé  par  une  coque,  mais  les  bractées  qui  la  forment  sont  des  épines 
moins  dures  et  moins  piquantes  que  celles  du  Châtaignier;  il  y a deux  fleurs  dans  chaque 
enveloppe;  chaque  ovaire  est  triangulaire,  et  présente  trois  loges  renfermant  deux  graines; 
bientôt  deux  de  ces  loges  avortent,  et  le  fruit  ne  contient  plus  qu’une  ou  deux  graines  angu- 
leuses qui  portent  le  nom  de  Faines,  et  qui  donnent,  par  expression,  une  huile  douce  propre  à 
entrer  dans  nos  aliments.  Quand  vous  cueillez  de  ces  faines,  en  vous  promenaut  dans  les 
bois,  vous  pouvez  vous  assurer  qu’elles  ont  un  goût  très-agréable,  mais  n’en  mangez  pas 
une  grande  quantité,  car  elles  produisent  l’ivresse  et  tous  les  phénomènes  qui  l’accompa- 
gnent. 

Les  Saules  sont  nombreux  en  espèces,  qui  toutes  se  plaisent  dans  les  lieux  humides,  sur  le 
bord  des  ruisseaux  et  des  rivières;  la  plus  belle  espèce  est  le  Saule  pleureur,  originaire  du 
Levant,  que  Linné  a nommé  Saule  babylonien  ( Salix  babylonien) , parce  qu’il  a supposé  quo 
c’était  l’arbre  aux  branches  duquel  les  Israélites,  dispersés  et  captifs,  avaient  suspendu  leurs 
harpes.  Vous  rappelez  vous  les  strophes  touchantes  de  l’Écriture? 

A ii  bord  du  fleure  de  Rabylone, 

Nous  nous  assîmes  et  nous  pleurâmes, 

Car  nous  nous  soutenions  de  Jérusalem,  etc. 

L’espèce  la  plus  élégante  du  genre  Peuplier  est  sans  contredit  le  Peuplier  d'Italie  ( Populus 
fastigiata ),  dont  les  rameaux  effilés,  droits  et  serrés  contre  la  tige,  donnent  à l’arbre  l’aspect 
d’une  longue  pyramide.  Il  est  originaire  de  l’Asie  Mineure,  d’oii  il  passa  en  Italie;  il  n’est 
cultivé  en  France  que  depuis  quatre-vingts  ans,  et  déjà  il  forme  des  rideaux  autour  de  la 
plupart  de  nos  prairies. 

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HF.I  \l  feM  E P \ HT  IF.. 


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Los  autres  Amenlaoéos  sont  les  llouleaux,  les  Aime»,  le  Charme,  dont  nn  fait  des  haies 
nommées  charmilles  ; les  Platanes , grands  et 
beaux  arbres , remarquables  par  leur  écorce 
qui  tombe  chaque  année  en  lambeaux  ligneux . 
et  par  leurs  feuilles  grandes,  coriaces  et  décou- 
pées : le  Platane  d'Orienl . originaire  de  l’ar- 
chipel grec,  orne  nos  jardins  et  nos  bosquets; 
le  Platane  d’Occident  nous  vient  de  l'Amérique 
septentrionale , et  ne  diffère  de  son  frère  que 
par  les  découpures  moins  nombreuses  de  ses 
feuilles.  Les  Ormes,  qui  se  rapprochent  des 
L rticdrs,  et  le  Micocoulier  (Celtis) , arbre  du 
midi  de  la  France,  dont  le  bois,  presque  incor- 
ruptible, est  très-recherché  par  les  ébénistes, 
appartiennent  également  à la  famille  des  Amen- 
tacées. 

Les  Conifères  sont  des  arbres  ou  des  arbris- 
seaux , dont  la  plupart  conservent  leurs  feuilles 
pendant  l'hiver;  de  IA  le  nom  A' Arbres  verts 
qu'ils  ont  reçu.  Leur  tige  renferme  souvent  une 
résine  liquide  qui  suinte  naturellement  de  l'é- 
corce, et  porte  le  nom  de  térébenthine. 

Le  premier  genre  de  la  famille  est  celui  des 
Pins.  Daus  toutes  les  espèces,  les  feuilles  sont 
longues  et  acérées,  et  naissent  deux  ou  plusieurs  ensemble,  d'un  petit  fourreau  arrondi  et 


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ÉCOLE  UE  BOTAMQIE. 
membraneux;  les  fleurs  à étamines  sont  disposées  en  grappes;  chaque  fleur  est  une  bractée 
qui  porte  à sa  base  deux  anthères  à une  loge.  Les  fleurs  femelles  sont  réunies  en  chaton.  Co 
chaton  se  compose  de  bractées  coriaces  : chaque  bractée  ou  écaille  porte  à sa  base  deux 
fruits,  recouverts  chacun  d'une  membrane  qui  se  prolonge  en  lame  sur  la  bractée.  Le  fruit, 
dans  les  Pins,  est  réduit  à la  structure  la  plus  simple  : non-seulement  le  calice 
et  la  corolle  lui  manquent,  mais  il  n’a  mémo  pas  d'ovaire;  une  bractée  seule 
lui  tient  lieu  de  ces  trois  enveloppes;  la  graine  est  nue,  et  la  peau  membraneuse 
dont  je  vous  parluis  tout  à l'heure  lui  appartient  en  propre.  De  ce  qu’il  n'a  pas 
d’ovaire,  vous  devez  conclure  qu’il  n’y  a pas  non  plus  de  stylo  ni  de  stigmate, 
puisque  ces  deux  organes  sont  une  continuation  de  l’ovaire.  Comment  donc, 
allez-vous  dire,  s’opère  la  fécondation  de  lu  graine?  Par  un  orifice  existant  sur 
la  graine  mémo;  et  cela  est  d'autant  plus  facile,  que,  dans  la  jeunesse  des 
fleurs , les  bractées  qui  les  protègent  sout  écartées  les  unes  des  autres , et  que , 
d’une  autre  part,  il  pleut  des  branches  supérieures,  où  sont  les  fleurs  à éta- 
mines, une  énorme  quantité  de  polleu;  quand  la  fécondation  est  assurée,  les 
bractées  s’épaississent  et  s’allongent  de  manière  à former  une  massue  anguleuse  à sou  extré- 
mité; elles  se  refoulent  ainsi  les  unes  les  autres,  et  ferment  exactement  les  intervalles  qui  les 
séparaient  dans  leur  jeunesse  ; c'est  alors  que  leur  ensemble  forme  une  espèce  de  cône;  de  là 
le  nom  de  Conifères,  donné  à la  famille  qui  a pour  type  le  Pin. 

Les  Sapins  présentent  la  mémo  organisation  dans  leur  fleur,  mais  les  écailles  de  leur  côue 
sont  minces,  arrondies  au  sommet,  nullement  épaissies  ni  anguleuses.  En  outre,  leurs  feuilles 
sont  solitaires  et  ne  sortent  pas  d’une  gaine  commune. 

Les  Mélèzes  diffèrent  des  deux  genres  précédents,  en  ce  que  leurs  feuilles  sont  réunies  en 
touffe  à leur  naissance,  puis  solitaires  après  l’allongement  des  jeunes  pousses  ; c’est  à ce 
genre  qu’appartient  le  Cèdre,  originaire  du  mont  Liban,  dont  le  bois,  célébré  dans  les  livres 
saints,  est  supérieur  aux  autres  par  sa  légèreté  et  son  incorruptibilité. 

Les  Cyprès  ont  leurs  fleurs  à étamines  disposées  sur  quatre  rangs;  chaque  rang  se  com- 
pose de  quatro  à cinq  écailles;  chaque  écuiilo  ou  bractée  porte  quatre  anthères.  Les  fleurs  à 
pistil  sont  de  petits  chatons  arrondis,  composés  de  bractées  peu  nombreuses  qui  sout  portées 
sur  un  pied  et  ont  la  forme  d’un  bouclier;  à leur  base  est  posée  la  graine,  qui,  au  lieu  d’étre 
suspendue  comme  dans  les  genres  précédents,  est  dressée,  c'est-à-dire  que  son  extrémité  libre 
est  dirigée  -en  haut.  Ces  écailles,  après  la  floraison,  se  soudent  et  forment  par  leur  réunion  un 
cône  presque  sphérique,  qu’on  nomme  improprement  Noix  de  cyprès  : à la  maturité,  les 
écailles  se  dessèchent,  se  séparent  par  des  fentes  d’une  élégante  symétrie,  et  laissent  sortir 
les  graines.  Les  deux  espèces  de  ce  genre,  le  Cyprès  pyramidal  et  le  Cyprès  horizontal,  ne 
différent  l’une  de  l’autre  que  par  la  direction  do  leurs  rameaux;  ces  rameaux  sont  carrés, 
entièrement  couverts  de  petites  feuilles  imbriquées,  disposées  sur  quatre  rangs.  — Les  Cyprès 
sont  originaires  d’Orient;  les  ancieus  les  avaient  consacrés  aux  dieux  infernaux,  et  en  ornaient 
le  champ  des  morts. 

Dans  les  Genévriers,  le  cône  no  so  compose  que  de  trois  bractées  concaves  et  rapprochées 
les  unes  des  autres  : à la  base  de  chacune  d’elles  est  une  graine  dressée  ; ces  bractées  devien- 
nent succulentes  à leur  maturité,  et  se  soudent  ensemble,  «le  manière  à imiter  une  baie.  Les 
espèces  de  ce  genre  sont  dos  arbrisseaux;  tel  est  le  Genévrier  commun  ( Juniperus  communia) , 
dont  les  feuilles  sont  opposées  trois  par  trois,  aiguës  et  piquantes;  ses  fruits,  improprement 
nommés  Paies  de  Genièvre,  donnent,  par  la  fermentation,  une  espèce  d’oau-de-vie  que  recher- 
chent les  habitants  du  Nord. 

Enfin,  lo  genre*  //  vous  présente  un  finit  encore  plus  simple  que  dans  toutes  les  autres 
Conifères,  puisqu’il  se  compose  «l’une  graine  unique,  dont  l’orifice  est  béant  pour  recevoir  le 
pdllon  des  fleurs  à étamines,  et  qui  n'est  protégée  (pic  par  les  écailles  mémos  du  bourgeon 
dont  elle  est  sortie;  bientôt,  entre  elle  et  ces  écailles,  se  développe  un  petit  godet,  qui  croit 


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CO 


DEUXIÈME  PARTIE. 

peu  à peu,  devient  rouge  et  succulent,  et  finit  pnr  enchâsser  la  graine  presque  on  entier.  Ci) 
godet  n’est  autre  chose  que  le  pied  même  par  lequel  la  graine  tenait  à la  lige,  et  qui  s’est 
énormément  dilaté  pour  fournir  au  fruit  une  espèce  de  manteau  protecteur;  c'est  ce  que  les 
botanistes  nomment  une  arille.  I ,'lf  commun  (Tajrus  baccata)  croit  dans  les  pays  montueux  ; 
son  feuillage  est  d’un  vert  presque  noir,  excepté  à l'extrémité  des  jeunes  pousses  ; les  feuilles 
sont  rangées  comme  les  dents  d’un  peigne  sur  les  deux  côtés  opposés  de  la  tige.  Cet  arbre  a 
toujours  été  regardé  comme  très-vénéneux  : les  Grecs  prétendaient  qu’il  donnait  1a  mort  à 
ceux  qui  s'endormaient  sous  ses  rameaux.  Quelle  que  soit  l’exagération  de  cette  croyance,  il 
est  certain  que  l'ombre  de  l'If  est  funeste  aux  Plantes,  et  que  son  voisinage  peut  causer  de 
violents  maux  de  tète,  soit  à ceux  qui  se  reposent  sous  son  ombrage,  soit  aux  jardiniers  qui 
taillent  ses  branches. 

Remontons  maintenant  le  Carré  pour  en  sortir,  et  donnez,  en  passant  près  des  bassins,  un 
coup  d’œil  aux  plantes  aquatiquos  qui  les  décorent  : les  plus  éclatantes  de  toutes  sont  les 
Ninufars,  plantes  voisines  des  Pavots  et  des  Renoncules.  Le  Nénufar  blanc  (Nymphwa  alba) 
et  lo  Nénufar  jaune  ( Nymphtra  lulea) , sont  les  deux  espèces  qui  croissent  en  France.  Nulle 
Plante  ne  montre  aussi  clairement  que  les  IVéuufors  l’analogie  qui  existe  entre  les  étamines  et 
les  pièces  de  la  corolle  : vous  voyez  en  dedans  du  calice  du  Nénufar  blanc  les  premiers  pétales 
largos  et  uniformes  dans  leur  couleur  ; ceux  qui  les  avoisinent  sont  un  peu  plus  allongés  ; 
puis,  à mesure  qu'ils  se  rapprochent  dos  étamines,  ils  se  rétrécissent,  et  prennent  une  couleur 
jaune  vers  leur  extrémité;  bientôt  les  loges  de  l’anthère  se  dessinent  au  sommet  du  pétale 
aminci,  et,  par  des  transitions  insensibles,  vous  arrivez  à des  étamines  parfaitement  con- 
formées. 

Le  Carré  que  nous  allons  visiter  fait  partie  do  l 'École  de  Botanique,  comme  celui  que  nous 
venons  de  quitter;  mais  il  renferme  beaucoup  moins  du  familles,  et  ne  nous  arrêtera  pas 
longtemps.  Toutefois,  avant  de  commencer  la  revue  de  ces  familles,  je  dois  vous  dire  quel- 
ques mots  sur  l'organisation  des  Graines  : ceci  complétera  les  notions  dont  vous  avez  besoin 
sur  la  structure  îles  diverses  parties  de  la  (leur,  et  vous  facilitera  l'intelligence  des  principes 
qui  ont  guidé  dans  la  classification  du  Règne  végétal  les  botanistes  philosophes  dont  je  vous 
parlerai  bientôt. 

Si  vous  enlevez  la  pellicule  qui  recouvre  une  graine,  lorsque  cette  graine  est  fraîche  ou  lors- 
qu’elle va  germer,  il  vous  sera  facile  de  vous  convaincre  que  cette  pellicule  cache  une  vérita- 
ble plante  en  miniature.  Prenez  un  Haricot  ; si  vous  n’en  trouvez  pas  de  frais,  faites  tremper 
un  Haricot  sec  dans  de  l'eau  tiède  pendant  quelques  heurus.  Cela  fait,  enlevez  la  peau  ramollio 
qui  recouvre  la  graine,  vous  avez  sous  les  yeux  deux  plaques  ovales,  échancrées  sur  un  bord, 
convexes  sur  l’autre,  et  juxtaposées  par  leur  surface  plane.  Avant  de  les  séparer,  remarquez 
que  du  milieu  de  leur  échancrure  il  part  un  («dit  corps  ayant  à peu  près  1a  formo  d’un  fuseau, 
c'est-à-dire  renflé  à son  milieu  cl  aminci  à son  extrémité  libre.  Ouvrez  maintenant  la  graine, 
cil  passant  une  épingle  dans  la  fente  que  forment  les  deux  plaques  le  long  de  leur  bord  con- 
vexe; elles  vont  s'écarter  sans  résistance,  et  vous  laisser  voir  les  organes  délicats  qu’elles 
protégeaient.  Ce  sont  d’abord  deux  petites  lames  blanches,  presque  transparentes,  ayant  la 
forme  d’un  demi-a*  dépiqué,  et  s'emboîtant  l'uno  dans  l'autre;  elles  tiennent,  par  leur  base, 
à ce  petit  corps  arrondi  en  fuseau,  que  vous  avez  vu  tout  à l’heure  en  dehors  des  plaques;  il 
est  facile  de  voir  que  chacune  de  ces  petites  lames  est  pliée  en  deux,  de  sorte  que  si  vous  les 
déployez  doucement  avec  votre  épingle,  au  lieu  d'une  moitié  d'as  de  pique,  vous  aurez  un  as 
entier;  vous  pouvez  distinguer,  même  sans  loupe,  dans  l’épaisseur  de  cette  lame,  de  grosses 
fibres,  presque  transparentes  comme  elle;  vous  pouvez  voir  aussi,  dans  chacune  ries  plaques, 
un  petit  enfoncement  qui  formait  une  niche  pour  les  lames  en  forme  d'as  de  pique.  Si  votls 
poussez  votre  examen  plus  loin,  vous  apercevrez  entre  ces  deux  lames,  et  à leur  base,  deux 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE, 
petites  saillies  qui,  feuillettes  par  votre  épingle,  vous  montreront  plusieurs  autres  petites 
lames  emboîtées  les  unes  dans  les  autres.  Arrêtez-vous  là  : vous  connaissez  maintenant  la 
structure  des  graines  de  toutes  les  familles  que  vous  avez  vues  dans  le  premier  Carré  de 
l 'École.  Vous  dirai-je  les  noms  qu’on  a donnés  à l’enveloppe  de  lu  graine  et  au*  divers 
organes  ipio  vous  venez  de  voir!  Je  m’en  garderai  bien  : il  suffit  que  vous  sachiez  ce  que 
deviendront  ces  organes,  quand  la  graine  germera  pour  devenir  semblable  à la  plante-mère. 
D’abord , l'extrémité  amincie  du  («dit  fuseau  poussera  des  fibres  qui  s’enfonceront  dans  le 
sol  : celte  extrémité  est  donc  la  racine  ; ensuite,  l’extrémité  opposée,  qui  s’attache  aux  deux 
plaqua  ovales,  s’allongera  en  montant  vers  la  surface  du  sol,  soulèvera  les  plaques,  et  sor- 
tira rte  terre  avec  elles  ; bientôt  les  petites  lames  en  as  de  pique  s'écarte- 
ront l'une  de  l’autre,  étaleront  leurs  moitiés  pliés»,  prendront  une  couleur 
verte , et  grandiront  rapidement  ; les  petites  lames  étroites  qui  étaient 
placées  à leur  base  s’allongeront  à leur  tour,  Verdiront,  et  formeront  du 
véritables  rameaux;  ce  sout  donc  des  bourgeon s;  les  lames  à l’aisselle 
desquelles  sont  nés  ces  bourgeons  sont  donc  des  feuilles  ; et  l'extrémité  du 
petit  fil  seau  qui  porte  ces  feuilles  et  l'attache  aux  deux  plaques  ovales  est 
donc  une  fige.  Racine,  lige,  feuilles,  bourgeons,  n'est-ce  pas  un  Végétal 
complet?  Allez  voir  maintenant,  dans  le  premier  Carré  potager,  des  Hari- 
cots en  germination  , et  il  vous  sera  facile  de  vérifier  en  grand  l’analvso  que  vous  venez  do 
faire  en  petit. 

Vous  pouvez  aussi  donner  le  titre  de  feuilles  à ces  deux  plaques  ovales  qui  constituent 
presque  le  volume  total  de  la  graine  : en  effet,  elles  sortiront  de  terre,  avec  la  jeune  tige,  s’é- 
carteront et  verdiront  comme  les  feuilles  ordinaires;  mais,  leurs  fonctions  étant  accomplies, 
elles  ne  tanieront  pas  à so  flétrir  et  à tomber.  Quelles  étaient  ces  fonctions?  Les  mêmes  que 
celles  des  feuilles  à l'égurd  du  bourgeon.  Ces  plaques  ont  protégé  la  jeune  plante,  laul  que 
celte  jeune  plante  est  restée  sans  germer;  quand  les  circonstances  favorables  A la  germination 
ont  été  réunies,  le  suc,  qui  formait  la  substance  des  deux  plaques,  s'est  modifié  dans  ses  élé- 
ments; l'humidité  du  sol  l’a  délayé,  il  est  devenu  liquide  et  facile  à absorber;  il  a passé  dans 
lu  jeune  tige,  il  l'a  nourrie,  fortifiée,  augmentée,  ainsi  que  la  jeune  racine;  toutes  deux  alors, 
pouvant  se  suffire  à elles-mêmes,  et  puiser  dans  le  sol  cl  dans  l'air  les  matériaux  nécessaires 
A leur  développement , s’allongent  en  sens  inverse  l’une  de  l'autre,  la  tige  vers  le  ciel,  la  ra- 
cine vers  le  centre  de  la  terre,  et  la  germination  est  achevée. 

Malgré  ma  répugnance  A charger  votre  mémoire  de  termes  techniques,  il  faut  absolument 
que  je  vous  fasse  connaître  le  nom  que  la  science  a donné  à ces  plaques,  protectrices  et  nour- 
rices de  la  jeune  Plante.  On  les  appelle  cotylédons  ; voilà  encore  un  mot  grec  que  vous  êtes 
condamné  A retenir;  mais.  Dieu  merci,  ce  sera  le  dernier. 

Dans  toutes  les  familles  que  renferme  le  Carré  dont  vous  venez  de  sortir,  la  graine  est 
conformée  comme  dans  le  Haricot,  c'est-à-dire  que  1a  jeune  tige,  la  jeune  racine,  le  jeune 
bourgeon  (eu  un  mot  la  jeune  Plante) , sont  pourvus  do  deux  cotylédons.  Quand 
A ces  cotylédons  sont  peu  volumineux , la  Nature  place  auprès  d’eux  une  matière 

u ordinairement  farineuse;  c’est  un  dépôt  de  nourriture  qui  suppléera  à leur  insuf- 

1 fisanee  et  sera  absorbé  par  la  jeune  plante  à l’époque  de  la  germination. 

Les  familles  que  nous  allons  voir  dans  le  second  Carré  de  l'École  ont  toutes 
A des  graines  oh  la  jeune  plante,  au  lieu  d'être  pourvue  de  deux  cotylédons,  n'est 

V,  protégée  que  par  un  seul;  mais,  comme  compensation,  dans  lu  plu|iart  de  ces 

ji  familles,  la  graine  renferme,  A côté  du  cotylédon  unique,  un  dépôt  considérable  de 

r j cet  aliment  supplémentaire  que  je  signalais  tout  A l'heure  A votre  attention. 

\*v  La  première  famille  que  Vous  avez  à observer  dans  lo  Carré  oü  nous  entrons , 
/ \ est  celle  des  Liliacées , à laquelle  nous  comparerons  ensuite  toutes  les  autres. 

Vous  connaissez  déjà  la  fleur  du  Lis:  un  culico  de  trois  folioles,  une  corolle  do 


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DEUXIÈME  PUITIE. 

trois  («Halos,  six  étamines,  un  style,  uu  ovaire  à trois  lopes  et  à graiues  nombreuses,  voilà 
le  caractère  que  nous  trouverons  dans  toute  la  famille.  Dans  la  plupart  des  genres,  le  bas  de 
la  tige  forme  un  oignon , c’est-à-dire  uu  pluteau  entouré  de  feuilles  nombreuses  dont  la  base, 
plongée  dans  le  sol  humide  et  à l'abri  de  la  lumière,  reste  décolorée,  et  se  gorge  de  sucs; 
c’est  la  réunion  de  ces  bases  de  feuilles  qui  forme  les  tuniques  de  l’oignon;  au-dessous  du 
plateau,  naissent  des  fibres  blanches,  qui  sont  les  racines. 

Linné  qui,  dans  sou  imagination  poétique,  considérait  les  Végétaux  comme  une  grande 
nation  répandue  sur  la  surface  de  la  terre,  les  avait  classés  en  plusieurs  ordres,  à l’instar  du 
peuple  romain.  Les  Liliacées  occupaient  uii  rang  élevé  dans  l 'État.  « Les  Lis,  disait-il,  sont 
les  patriciens  de  l’empire  ; ils  portent  les  étendards,  et  sont  tiers  de  leur  toge  éclatante  ; ils 
éblouissent  les  yeux,  et  décorent  le  royaume  par  la  splendeur  de  leurs  draperies.  » Le  Us 
{ Li/ium  candidum) , dont  la  robe  est  d’un  blanc  si  pur,  mérite  d’être  placé  a la  tète  de  cette 
aristocratie.  Le  Martagon,  dont  les  fieurs  peudautes  sont  parsemées  de  tacbes  purpurines, 
vieut  après  lui. 

Le  genre  Tulipe  préseute  quelques  espèces  qui  ne  sont  pas  moins  élégantes  : d’abord  la 
Tulipe  des  jardins  ( Tulipa  Gessneriana) , dont  la  culture  a ruiné  des  millionnaires  en  Hol- 
laude;  elle  est  originaire  d’Orieut,  et  nous  est  venue  de  Constantinople  en  1557;  les  Orientaux 
en  fout  l’emblème  des  parfaits  amants  ; u J’offris  en  tremblant,  dit  le  Paria  de  la  Chaumière 
indienne,  une  Tulipe  dont  les  feuilles  rouges  et  le  cœur  noir  exprimaient  les  feux  dont  j’étais 
brûlé.  » La  Tulipe  œil  de  soleil  ( Tulipa  oculus  solia ),  qui  croit  dans  les  champs  de  la  Pro- 
vence, est  plus  belle  encore  que  celle  des  jardins  : sa  fleur  est  rouge,  et  à la  base  des  pétales 
est  une  longue  tache  d’un  bleu  noir,  bordé  do  jaune.  La  Frilillaire  impériale  est  originaire 
d’Orieul;  sa  tige,  nue  dans  le  milieu,  porte  à son  sommet  une  houppe  de  feuilles,  au-dessous 
de  laquelle  naît  une  rangée  de  grandes  fieurs  orangées  pendantes.  Au  fond  de  ces  fleurs  sout 
six  gouttelettes  d’une  liqueur  limpide,  produite  par  les  glandes  à nectar.  La  Frilillaire  pin- 
tade ( Fritillaria  meleagris)  a sa  Heur  marquetée  comme  un  damier;  vieuueut  ensuite  les 
Jacinthes  (liyacinthus) , dont  la  principale  espèce,  cultivée  dans  nos  jardins  {//yacinlhus 
orientalis) , a été  apportée  d’Asie  pur  les  Croisés;  les  l/émérocalles , dont  le  nom  signifie 
beauté  d'un  jour  ; les  Scilles , dont  l'espèce  la  plus  commune  ( Scilla  nuta  ns)  orne  les  bois  de 
ses  fleurs  bleues  au  commencement  du  printemps.  Les  Aloès,  que  nous  verrons  dans  les 
serres,  et  YOrnithogale  en  ombelle , vulgairement  nommée  Dame  d'onze  heures , parce  qu’elle 
ne  s'épanouit  qu’une  heure  avant  midi. 

Les  autres  Liliacées  ont  l’ovaire  adhérent  au  calice,  c’est-à-dire  que  la  base  du  calice  so 
soude  et  se  confond  avec  l’ovaire,  de  sorte  que  l’ovaire  parait  situé  au-dessous  du  calice, 
bien  qu’en  réalité  il  ne  soit  inférieur  qu’à  la  partie  libre  et  colorée  de  celui-ci.  Ce  sont  les 
Amaryllis,  dont  une  espèce,  le  Lis  Saint-Jacques  {Amaryllis  funnosissima },  nous  a été  en- 
voyée du  Mexique  en  1593.  Sa  fleur  est  grande,  d’un  rouge  velouté  et  sablé  d’or  au  soleil; 
les  Narcisses , qui  ont  leur  corolle  couronnée  par  un  godet  accessoire,  dont  la  couleur  tranche 
souvent  sur  celle  de  la  fleur;  les  Perce-neige  (Leucoium  et  GaJanthus),  qui  fleurissent  en 
février;  la  Tubéreuse  (Polyanthes  Tuberosa) , originaire  de  Plie  de  Ceylan,  et  dont  les  fleurs 
exhalent  une  odeur  suave,  surtout  à l’entrée  de  la  nuit;  enfin  VA  gavé,  originaire  de  l’Amé- 
rique méridionale,  naturalisée  maintenant  dans  le  midi  de  la  France;  scs  feuilles  longues, 
épaisses  et  pointues,  forment  des  haies  impénétrables,  et  son  pédoncule  floral  croît  d’un  pied 
en  uu  jour. 

Le  Muguet,  le  Sceau  de  Salomon,  V Asperge  aux  fleurs  petites  et  peu  brillantes,  font  aussi 
partie  de  cette  famille,  et  leur  ovaire  est  libre,  il  eu  est  de  même  des  nombreuses  espèces  du 
genre  Ail,  telles  que  V Oignon  de  cuisine,  le  Poireau,  VAU,  VÉchalotle,  la  Civette,  la  llocam- 
bole,  etc.  Toutes  ces  Plantes  exhalent,  lorsqu’on  les  froisse,  une  odeur  désagréable;  mais  de 
tous  les  Aulx,  le  plus  fétide  est  sans  contredit  VAU  cultivé. 

Alphonse,  roi  de  Castille,  fonda  dans  le  quatorzième  sièelo  un  ordre  de  chevalerie,  dont  les 


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genre  Ail,  telles  que  Tül^pwn  rtc 

bote,  etc.  Toutes  ces  Plantes  exhalent,  lorsqu’on  les  froisse,  u»c 
tous  les  Aulx,  le  plus  fétide  est  sans  contredit  VAU  cultivé. 

Alphonse,  roi  de  Castille,  fonda  dans  le  quatorzième  siècle  un  ordre  do  chevalerie,  dont  les 


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A1MAUXL  Cï  Ü £î  rajUK  Sü . 


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lie  ni.  K n F.  rotvnmii  R. 

statuts  interdisaient  l’Ail  à mil  qui  en  faisaient  partie;  les  délinquants  étaient  exiles  de  la 
cour  pour  un  mois.  Notez  que  ceci  se  passait  en  Espagne,  sur  In  terre  classique  de  l’Ail.  Il 
fallait  que  l'abus  en  fût  devenu  intolérable  parmi  les  seigneurs  castillans,  pour  que  la  pauvre 
Uliacéo  se  vit  ainsi  frappée  d’anatlièine  ; et  je  ne  suis  pas  éloigné  de  croire  que  ce  fut  l’in- 
fante île  Castille  qui  fit  insérer  cet  article  dans  les  règlements  de  l'ordre  institué  par  son 
père. 

Je  ne  dois  pas  quitter  les  Liliacées  sans  vous  faire  connaître  le  Un  de  la  Nouvelle-Zélande 
(Phormium  tenus),  dont  les  fibres  constituent 
un  fil , le  plus  tenace  de  tous , après  In  soie. 

Ainsi,  on  s’est  assuré,  par  l'expérience,  que  si 
un  fil  de  I.in  supporte  un  poids  comme  onze, 
un  fil  de  Chanvre  soutiendra  un  poids  comme 
seize,  le  Phormium  Unis  comme  vingt -trois, 
et  la  .Voie  comme  tronle-six. 

La  section  des  Liliacées  ri  ovaire  soude1  avec 
le  calice  nous  conduit  à la  famille  des  Iridées  : 
ici  vous  trouverez  aussi  un  ovaire  qui  paraît 
inférieur  h la  partie  colorée  de  la  fleur;  le  ca- 
lice et  la  corolle  forment  ensemble  six  pièces , 
comme  dans  les  Liliacées;  mais  il  n'y  a que 
trois  étamines;  l’ovaire  est  également  à trois 
loges,  mais  il  y a trois  styles  distincts. 

Prenez  cette  fleur  d'iris  ; enlevez  suc- 
cessivement les  deux  enveloppes  et 
les  trois  étamines,  dont  les  anthères 
magnifiques  s'ouvrent  du  cûlé  exté- 
rieur de  la  fleur;  il  vous  reste  au 
centre  un  assemblage  de  trois  lames , 

non  moins  brillantes  que  colles  que  tI  , , VorfIl,f.2<l,,„ 

vous  venez  d’enlever  : ces  lames  se 

recourbaient  sur  les  famines  et  les  cachaient  sous  leur  face  extérieure;  elles  sont  légère- 
ment échancrées  à leur  sbrif’met.  Remarquez  au-dessous  de  celte  échancrure,  du  cûté  exté- 
rieur. une  petite  ouverture  pratiquée,  comme  une  incision  en  travers , dans  le  tissu  de  chaque 
lame  ; c'est  par  celte  bouche  béante  que  s’opère  la  fécondation  ; elle  est  l’orifice  d’un  petit 
tuyau  qui  passe  dans  le  centre  de  la  lame,  et  conduit  jusqu’à  l’ovaire  oh  sont  renfermées  les 
graines  : c’est  ce  que  vous  pourrez  vérifier  en  y introduisant  avec  précaution  une  soie  de  san- 
glier. Le  genre  Iris  est  peut-être  le  plus  naturel,  c'est-à-dire  le  mieux  caractérisé  du  Régne 
végétal,  et  ses  nombreuses  espèces,  quelle  que  soit  leur  diversité  de  grandeur  et  de  couleur, 
peuvent  être  toutes  ramenées  à un  même  type,  dont  le  trait  principal  est  la  structure  singu- 
lière des  styles  et  des  stigmates. 

Le  genre  Safran  , qui  avoisine  celui  des  Iris,  présente  aussi  trois  styles  larges  et  colorés  ; 
mais  leur  stigmate , au  lieu  d'être  une  petite  fente , figure  une  crête  oblique  et  dentelés'.  (In 
sont  ces  stigmates  que  l’on  recueille  pour  le  commerce,  et  qu’emploient  les  confiseurs  et  les 
teinturiers.  C.ommc  la  corolle  ne  dure  qu’un  jour  ou  deux  après  son  épanouissement , il  faut 
que  dans  co  court  intervalle  le  Safran  soit  cueilli  et  épluché;  aussi  voit-on,  en  septembre, 
dans  les  campagnes  du  (iàlinais,  un  grand  nombre  de  femmes  et  d’enfants  occupés  sans  re- 
lâche à celte  récolte  de  trente-six  heures.  Les  pharmaciens  ont  aussi  du  Safran  dans  leurs  of- 
ficines, et  je  crois  que  ce  produit  végétal,  riche  en  couleur,  en  odeur,  en  saveur,  est  trop 
souvent  négligé  par  les  médecins  modernes.  Les  médecins  d’autrefois  vénéraient  le  Safran,  et 
je  me  souviens  d’avoir  entendu  un  vieux  docteur  me  dire  gravement  que  le  Safran  avait  pour 


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OA  DRI  XlfcMF.  PARTIE. 

vertu  spéciale  relie  d’exciter  à la  gaieté,  en  tonnes  techniques,  d'être  un  ea ‘hilarant  (ceci  ne 
vous  apprend  rien  en  médecine,  je  ne  manque  donc  pas  à mes  engagements).  C’est  aussi  aux 
1 ridées  qu'appartiennent  le  Glaïeul  des  jardins  {Gladiolus  commuais)  et  cette  superbe  Tigridie, 
dont  l’épanouissement  ne  dure  que  quelques  heures. 

Les  plantes  de  la  famille  des  Orchidéès  constituent , par  les  formes  bizarres  de  leur  fleur  , 
un  des  groupes  les  plus  tranchés  du  Règne  végétal  ; leur  tige  est  herbacée  et  peu  élevée  dans 
nos  climats  ; mais  elle  grimpe  souvent  à des  hauteurs  considérables  dans  les  régions  tropi- 
cales. Vous  verrez  dans  les  serres  plusieurs  Orchidées  grimpantes , dont  la  plus  connue  est 
celle  qui  nous  donne  la  Vanille.  Les  fleurs  sont  disposées  en  épis  ou  en  grappes  ; le  calice  a 
trois  folioles  colorées , soudées  inférieurement  avec  l’ovaire  ; la  corolle  est  aussi  composée  de 
trois  pétales  ; l’un  d’eux,  qui  a reçu  le  nom  de  tablier , est  plus  grand  que  les  autres,  et  il 
offre  quelquefois  les  ressemblances  les  plus  singulières.  Il  y a dos  Orchidées  dont  la  fleur  imite 
un  sahot,  une  mouche,  une  araignée,  un  bourdon,  un  singe  à longue  queue,  un  homme 
pendu  par  la  tète.  I*es  étamines  sont  le  plus  souvent  réduites  à une  seule,  par  l’avortement 
des  deux  autres;  leur  pollen  est  solide,  comme  dans  les  Asclépiades,  et  non  pulvérulent 
comme  dans  tous  les  autres  végétaux.  Prenez  cet  Orchis,  passez  une  épingle  dans  les  deux 
petites  fenh»s  de  son  anthère  qui  est  adossée  au  style,  vous  en  ferez  sortir  un  petit  corps  vert, 
en  forme  de  massue,  tenant,  par  son  extrémité  amincie,  à un  petit  écusson  : c’est  le  pollen  ; 
quand  les  loges  de  l’anthère  s’ouvrent , cette  petite  massue  de  pollen  tombe  d’elle-même  sur 
une  cavité  luisante  et  visqueuse  que  vous  voyez  au-dessous  de  Panthère  ; cette  cavité  est  le 
stigmate  : dès  lors,  la  fécondation  est  assurée.  Ouvrez  maintenant  l’ovaire,  il  est  à une  seule 
loge,  et  renferme  des  graines  menues  comme  de  la  sciure  de  bois. 

En  continuant  notre  revue,  nous  allons  voir  dans  les  familles  la  structure  de  la  fleur  se 
simplifier  de  plus  en  plus,  et  en  quelque  sorte  s’appauvrir.  Ainsi  les  Joncs  nous  offrent  encore 
deux  enveloppes  de  trois  pièces,  qui  protègent  la  fleur;  mais  ces  enveloppes  sont  sèches  et 
écailleuses  ; et  vous  les  prendriez  pour  des  bractées  si  elles  n’étaient  pas  groupées  circulaire- 
ment  comme  un  calice  double. 

Les  Joncs  nous  conduisent  h la  nombreuse  famille  des  Graminées , où  l’on  ne  trouve  ni 
corolle  ni  calice  ; les  fleurs  sont  disposées  en  épis,  serrés  comme  dans  le  froment,  ou  lâches 
comme  dans  l’avoine.  Chaque  fleur  se  compose  d’un  ovaire  à une  graine , surmonté  de  deux 
stigmates  plumeux  ; sur  le  réceptacle  qui  porte  cet  ovaire  sont  trois  étamines,  à filets  déliés 
et  à longues  anthères  qui  ont  la  forme  d’un  fer  de  flèche.  Rien  de  plus  élégant  que  ces  fleurs 
sveltes  de  nos  prairies , d’où  pendent  ces  étamines  et  ces  stigmates  que  le  moindre  contact 
peut  briser.  Chaque  fleur , ainsi  conformée , est  protégée  à sa  base  par  deux  bractées , situées 
un  peu  au-dessous  l'une  de  l’autre , et  dont  la  plus  grande  emboîte  la  plus  petite  ; en  dehors 
de  ces  bractées , il  y en  a deux  autres  qui  forment  une  seconde  enveloppe , soit  pour  une  fleur 
unique , soit  pour  plusieurs  fleurs  groupées  en  épillet  : ce  sont  ces  bractées  qu’on  nomme  la 
bâte,  et  c’est  la  bùle  fournie  par  V Avoine  que  les  gens  de  la  campagne  emploient  pour  la  gar- 
niture de  leur  lit. 

La  tige  qui  porte  le  nom  de  chaume,  est  fortifiée  d’espace  en  espace  par  des  nœuds  d’où 
parlent  des  feuilles  qui  s’enroulent  d’abord  autour  de  la  tige,  de  manière  à former  un  fourreau 
fendu  dans  sa  longueur , puis  se  déroulent  en  lame  allongée  et  pointue.  Il  y a souvent , à la 
limile  du  fourreau  et  de  la  feuille  proprement  dite,  de  petites  écailles,  ou  des  poils,  ou  des 
tachos,  qui  forment  de  bons  caractères  distinctifs  pour  la  description  des  espèces. 

Je  ne  vous  décrirai  pas  les  genres  nombreux  qui  composent  cette  famille,  et  dont  vous  avez 
sous  les  yeux  les  principales  espèces  : je  me  contenterai  de  vous  citer  celles  qui  sont  le  plus 
utiles  à l’homme  : à leur  tête,  il  faut  placer,  sur  une  meme  ligne,  le  Froment  et  le  Biz  ; la 
patrie  du  premier  est  inconnue,  l’autre  est  originaire  de  l’Inde.  Le  Mais,  le  Seigle,  l 'Orge  et 
la  Canne  A sucre  viennent  ensuite;  le  Maïs  nous  est  venu  de  l’Amérique  méridionale,  l’Orge 
de  la  Sicile,  In  Canne  à sucre  a pour  berceau  les  Indes  orientales;  les  anciens  n’en  em- 


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ÉCOLE  DE  BOTANIQUE. 

ployaient  que  le  sue  qu'ils  appelaient  Miel  de 
rotenu.  Les  Chinois  connaissaient  cependant 
depuis  deux  raille  ans  l’art  do  le  faire  cristalli- 
ser, lorsqu'à  la  fin  du  treizième  siècle,  la  Canne 
à sucre  fut  portée,  par  des  marchands,  de  l'Inde 
en  Arabie;  puis  en  Égypte,  où  elle  réussit; 
puis  dans  l’Asie  Mineure  et  les  Étals  Barba- 
resques;  ce  fut  en  1506  qu  elle  fut  inlroduile 
à Saint-Domingue,  d'où  elle  s’est  répandue 
dans  l'Amérique.  C'est  la  tige  qui  fournit  le 
Sucre  : la  sève  abondante  qu'elle  renferme  est 
exprimée  au  moyen  de  presses,  épaissie  ensuite 
sur  le  feu  jusqu’à  consistance  de  sirop  épais  ; 
ce  sirop,  abandonné  à lui-même,  cristallise 
confusément  cl  forme  ce  qu’on  nomme  la  Cas- 
sonade. C'est  dans  cet  état  qu’on  le  transporte 
en  Kurope.  Là,  on  redissout  celle  Cassonade 
dans  de  l'eau , on  y mêle  du  sang  de  bœuf  et 
des  ns  de  cheval  réduits  en  charbon;  on  fait 
bouillir  cet  horrible  mélange,  cl  voici  ce  qui 
arrive  ; le  sang  se  coagule  par  la  chaleur,  et 
enveloppe,  dans  l'écume  insoluble  qu'il  forme, 
toutes  les  matières  terreuses  do  la  Cassonade  ; 

Su  . i .«».  r v . 1 1 . • . le  charbon  d’os,  qui  possède  la  faculté  inex- 

plicable de  détruire  la  couleur  des  liquides  sans 
altérer  leur  goût,  décolore  le  sirop  en  même  temps  que  le  sang  de  bœuf  le  purifie;  on  sépare 
enfin  le  liquide,  purifié  et  incolore,  de  toutes  ses  écumes;  on  le  fait  évaporer,  on  lo  verse 
dans  des  vases  coniques , où  il  se  refroidit , puis  se  cristallise , et  l’on  a le  Sucre  en  pain. 

Je  ne  dois  pas  quitter  la  famille  des  Graminées  sans  vous  faire  comprendre  comment  les 
Céréales  sont  utiles  à l'homme  : si  vous  pressez  entre  les  doigts  une  graine  do  Froment 
presque  tnûre,  ou  si  vous  l'ouvrez  en  long,  par  le  petit  sillon  qu'elle  présente,  vous  en  ferez 
sortir  un  très-petit  corps  vert  qui  en  occupe  la  base  ; ce  petit  corps  est  la  jeune  plante  : coty- 
lédon , jeune  racine , jeune  tige , jeune  bourgeon , tout  est  là.  Quelle  est  donc  cette  matière 
blanche  qui  constitue  la  presque  totalité  de  la  graine?  C’est  ce  dépôt  de  nourriture,  cet  ali- 
ment supplémentaire , dont  je  vous  ai  déjà  parlé.  Or,  cette  matière  blanche,  qui  abonde  dans 
les  Graminées,  est  de  nature  farineuse;  c’est  elle  qui  doit  suppléer  à l’insuffisance  du  coty- 
lédon pour  alimenter  la  jeune  plante,  quand  il  faudra  qu’elle  germe  ; et  c'est  elle  précisément 
que  l'homme  confisque  à son  profit  pour  en  faire  sa  nourriture. 

Il  y a , près  des  Graminées,  une  famille  qui  leur  ressemble  beaucoup  par  son  port  et  par  sa 
fleur  : c’est  la  famille  des  Souchets  ou  Cypéracées  ; mais  celte  ressemblance  n’est  pas  com- 
plète : passez  la  main  sur  ce  Carcx,  ne  sentez-vous  pas  sa  tige  triangulaire?  trouvez-vous  les 
nœuds  quo  vous  avez  vus  dans  le  chaume  des  Graminées?  Tâchez  d'ouvrir  la  gaine  que  forme 
la  feuille  autour  de  la  tige  : vous  ne  le  pourrez  sans  la  déchirer,  car  elle  n'est  pas  fendue  sur 
toute  sa  longueur.  En  outre,  les  fleurs,  au  lieu  d’étro  pourvues  chacune  de  dcui  bractées, 
n'en  ont  qu’une , et  la  bàle  extérieure  manque  toujours.  Quant  à la  séparation  des  fleurs  en 
fleurs  à étamines  et  fleurs  à pistil  sur  des  épis  différents , ce  caractère  oxiste  dans  quelques 
Graminées , telles  que  le  Mais.  La  famille  des  Souchets  présente  peu  d'intérêt  sous  le  rapport 
des  services  qu’elle  rend  à l'homme,  mais  nous  lui  devons  le  Papyrus,  que  nous  verrons  dans 
les  Serres. 

Enfin  nous  arrivons  à des  plantes  dont  les  fleurs  non-seulement  sont  dépourvues  de  corolle 

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DEUXIÈME  PARTIE, 
et  do  calice,  mais  encore  manquent  de  bradées.  Ce  sont  les  Arums.  Descendons  au  bas  du 
Carré  où  nous  en  trouverons  plusieurs  espèces  : remarquez  d’abord  ces  feuilles  larges,  taillées 
en  flèche,  vertes,  luisantes  en  dessus,  et  dont  plusieurs  sont  tachetées  de  noir  : observez 
maintenant  cette  autre  feuille,  d’un  vert  jaunâtre  roulée  en  cornet.  A l’orifice  de  ce  cornet, 
vous  apercevrez  une  espèce  de  pompon  d’un  rouge  vineux  ; si  maintenant  vous  ouvrez  ce 
cornet,  vers  sa  base,  il  va  laisser  à découvert  un  appareil  très-compliqué.  Tout  à fait  en  bas 
sont  les  pistils , formant  plusieurs  rangées  autour  de  la  tige  ; au-dessus  d’eux  sont  les  éta- 
mines, dont  les  anthères  manquent  de  filets  et  sont  posées  immédiatement  sur  la  tige,  comme 
les  pistils,  mais  offrent  des  séries  beaucoup  plus  nombreuses.  Au-dessus  d’elles,  vous  voyez 
deux  ou  trois  rangées  do  corps  pointus  dont  les  pointes  so  roulent  sur  elles-ruèmes  : ce  sont 
des  étamines  non  développées;  enfin,  tout  à fait  en  haut,  le  pompon  que  vous  avez  remarqué 
d’abord.  En  résumé,  dans  les  Arums,  le  calice  et  la  corolle  manquent,  les  bractées  particu- 
lières à choque  fleur  manquent  aussi,  et  les  fleurs  seraient  complètement  nues,  si  elles 
n’étaient  protégées  par  une  grande  bractée,  qui  forme  autour  d’elles  une  enveloppe  commune. 

Los  Arums  offrent  une  particularité  bien  curieuse,  que  vous  allez  peut-être  vérifier  : à une 
certaine  époque  de  la  floraison,  le  pompon  acquiert  une  chaleur  considérable,  sensible  à la 
main  ; cette  chaleur  commence  d'ordinaire  entre  trois  et  quatre  heures  de  l’après-midi  ; son 
plus  haut  degré  se  fait  sentir  entre  six  et  huit  heures  du  soir,  et  elle  cesse  vers  dix  heures.  Le 
pompon  noircit  pendant  ce  phénomène  qui  ne  dure  que  quelques  jours. 

Outre  les  familles  que  nous  venons  de  passer  en  revue  dans  ce  Carré,  et  dont  la  graine  est  à 
un  seul  cotylédon , vous  avez  encore  à connaître  les  Palmiers  et  les  Bananiers.  Nous  en  par- 
lerons bientôt  quand  nous  visiterons  les  serres. 

Passons  maintenant  à une  classe  de  plantes  d’une  organisation  inférieure  : ce  sont  les  Fou- 
gères , les  Mousses,  les  Lichens , les  Champignons  et  les  Algues.  Ici  ce  ne  sont  plus  seulement 
le  calice , la  corolle  et  les  bractées  protectrices  qui  manquent  : on  ne  trouve  plus  d’étanùnes 
(si  ce  n’est  peut-être  dans  les  Fougères  et  dans  les  Mousses)  ; on  ne  trouve  plus  ni  stigmates 
ni  ovaire  ; les  graines  mêmes  sont  dépourvues  de  cotylédons  et  de  tuniques  propres , et  vous 
ne  pourrez  y distinguer  ni  une  jeune  racine,  ni  une  jeune  tige , ni  un  jeune  bourgeon,  comme 
dans  les  familles  précédentes.  Les  corps  reprotluc leurs  (car  ou  no  peut  leur  donner  le  nom  do 
graines)  sont  des  espèces  de  sacs  qui  se  gonflent  par  l’humidité;  ce  sac,  qui  ne  formait 
d’abord  qu’une  seule  cavité  ou  cellule , s’allonge  et  se  cloisonne , c’est-à-dire  que,  dans  la 
cellule  allongée,  il  s’établit  des  cloisons  qui  la  subdivisent  en  plusieurs  cellules,  dont  le 
nombre  augmente  à mesure  que  la  plante  se  développe  et  sc  ramifie. 

Vous  concevrez  sans  peine  que  ces  plantes,  vu  la  petitesse  ou  l’invisibilité  de  leurs  organes 
reproducteurs,  doivent  échapper  à la  culture  : aussi  ne  trouverons-nous  dans  ce  Carré  que  les 
Fougères.  Les  autres  familles  no  se  laissent  pas  expatrier  par  l’homme,  et  nous  no  pouvons 
les  étudier  que  dans  la  localité  qui  leur  a été  assignée  par  la  Nature. 

Un  mot  seulement  sur  les  Fougères  : ces  plantes,  que  vous  voyez  ici  herbacées,  deviennent 
arborescentes  sous  les  tropiques  ; leur  souche  est  ordinairement  souterraine  ; elle  produit  des 
feuilles  roulées  en  crosse  dans  leur  jeunesse  ; les  organes  de  la  fructification  occupent  la  face 
inférieure  de  ces  feuilles  (que  l’on  peut  considérer  comme  des  rameaux  foliacés)  ; et  ils  y for- 
ment de  petits  groupes  circulaires  ou  allongés.  Ces  groupes  sont  ordinairement  recouverts 
d'une  pellicule  provenant  do  l’épiderme  soulevé  par  eux , et  se  déchirant  après  leur  dévelop- 
pement. Chaque  groupe  est  composé  d’une  multitude  de  petites  copies  ; chacune  de  ces  co- 
ques s’ouvre  à la  maturité,  par  le  déroulenifnt  élastique  d’un  anneau  qui  l’entoure  comme 
un  bourrelet,  et  il  on  sort  de  petits  corps  reproducteurs.  Un  botaniste  de  Prague  vient  tout 
récemment  de  découvrir  dans  les  groupes,  de  petits  filaments  surmontés  d’un  globule  : sont-ce 
des  étamines  ? on  ne  peut  l’affirmer,  car  on  n’a  rien  vu  sortir  du  globule. 

A l’extrémité  du  Carré,  vous  voyez  des  plantes  que  l’on  regardait  autrefois  comme  des  Fou- 
gères, et  qui  forment  aujourd’hui  la  famille  des  Prèles.  Leur  tige  est  dépourvue  de  feuilles,  et 


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ÉCOLE  DE  BOTAMQl  E.  67 

porte  des  rameaux  groupés  circulairement , sillonnés  et  composés , ainsi  que  la  tige , d'article* 
s’emboîtant  l’un  dans  l'autre  ; ces  articles  sont  munis , à leur  point  de  jonction , d’une  gaine 
dentée  : ces  dentelures  représentent  peut-être  des  feuilles  ; la  fructification  est  un  épi  conique 
terminant  la  plante  ; cet  épi  se  compose  d'écailles  en  forme  de  têtes  de  clous , qui  protègent 
les  organes  reproducteurs.  Cette  famille,  dont  le  rang  est  si  modeste  aujourd'hui  dans  le 
Règne  végétal , y a rempli  jadis  un  rôle  important , comme  vous  le  saurez  quand  nous  visite- 
rons les  Galerie*  de  Botanique. 

La  famille  des  Mousses,  quoique  moins  favorisée  quo  les  Fougères,  sous  le  rapport  de  la 
végétation , semble  l’être  davantage  eu  ce  qui  eoncemo  les  organes  de  la  fructification.  Vous 
trouverez  au  pied  de  tous  les  grands  arbres  une  belle  espèce  qu’on  nomme  le  Pohjlric  ou 
Mousse  dorée  [Polgtrichum  commune)  ; elle  peut  servir  de  type  pour  toute  la  famille  ; elle 
présente  de  petites  tiges  herbacées,  vertes,  chargées  de  feuilles  nombreuses  et  menues  ; parmi 
ces  tiges,  il  y en  a qui  sont  terminées  par  des  rosettes  composées  do  bractées,  entre  lesquelles 
sont  de  petits  sacs  d’oü  sortent  des  cellules  hexaédriques , quo  l’on  regarde  comme  des  grains 
do  pollen.  Les  autres  tiges  sont  terminées  par  un  pédoncule  long  et  mince,  au  sommet  duquel 
est  une  capsule  nommée  urne,  dans  laquelle  sont  contenus  les  organos  reproducteurs;  cette 
urne  était  d’abord  au  niveau  des  rosettes  contenant  les  anthères , mais , avec  l’Âge , elle  a été 
soulevée  par  l’allongement  du  pédoncule  ; elle  a emporté  avec  elle  une  enveloppe  nommée 
coiffe , qui  tenait  à une  pellicule  entourant  l’urne , et  qui  a été  déchirée  par  le  soulèvement  de 
celle-ci  ; celte  coifTe  recouvre  un  couvercle  conique,  qui  est  posé  immédiatement  sur  l’urne; 
si , après  avoir  enlevé  la  coiffe , vous  détachez  aussi  co  couvercle , vous  voyez  la  cavité  de 
l’urne,  au  centre  de  laquelle  est  un  axe,  qui  sert  do  support  aux  semences  remplissant  l’unie. 
Ces  caractères  s’appliquent  à toutes  les  Mousses , et  ne  sont  pas  difficiles  à vérifier. 

Dans  les  Lichens,  l'organisation  se  simplifie  encore  davantage.  Ces  végétaux  vivent  sur  la 
terre , sur  les  rochers , sur  l’écorce  des  arbres , dont  ils  absorbout  l’humidité  superficielle  sans 
èÿe  véritablement  parasites.  Leur  consistance  est  coriace  ; ils  se  présentent  sous  l’apparence 
de  feuilles,  ou  de  tiges,  ou  d'écailles,  ou  d'une  simple  croûte  pulvérulente.  Les  organes  de  la 
reproduction  sont  des  réceptacles  ayant  la  forme  de  petites  soucoupes  plus  ou  moins  concaves 
qui  portent  les  organes  reproducteurs  ; ces  organes  sont  des  sacs  posés  debout  les  uns  contre 
les  autres,  à peu  prés  comme  du  velours;  ils  contiennent  ordinairement  quatre  petites  cellules 
cloisunnées , qui  sont  considérées  par  les  uns  comme  des  graines , par  les  autres  comme  des 
ovaires. 

Cette  famillo  fournit  le  Lichen  d'Islande,  qui  sert  de  nourriture  aux  habitants  des  régions 
polaires  ; ils  le  dépouillont  de  son  amertume  en  le  faisant  macérer  dans  l’eau , puis  ils  le  ré- 
duisent en  farine.  Un  autre  Lichen , nommé  Orscille  ( Boccella  tincloria) , donne  une  couleur 
violotle  ou  purpurine,  employée  par  les  teinturiers. 

La  famille  des  Chainpiguons  va  nous  conduire  prés  de  la  limite  du  Régne  végétal.  Ces  vé- 
gétaux vivent  sur  le  bois  pourri,  les  feuilles  mortes,  le  fumier  ; leur  tige  est  souterraine,  et  se 
compose  de  filaments  entre-croisés , quo  l’on  nomme  vulgairement  blanc  de  Champignon  : 
sur  divers  points  do  ces  filaments  naissent  de  petits  tubercules  qui,  en  se  développant,  sortent 
de  terre  et  forment  des  réceptacles  figurant,  soit  une  boule,  soit  un  godet , soit  uno  massue , 
soit  un  chapeau  : prenez  pour  type  de  la  famille  le  Champignon  de  couche  ( Agaricus  campes- 
tris) . Le  réceptacle  est  ordinairement  porté  sur  une  espèce  do  pédoncule , qu’on  nomme  le 
pied  du  Champignon  ; souvent  le  pédoncule  et  le  chapeau  sont  enveloppés  dans  leur  jeunesso 
d'un  voile  complet  ; souvent  aussi , du  pourtour  du  chapeau  au  milieu  du  pédoncule,  il  y a un 
voile  partiel  qui  sert  i protéger  les  organes  de  la  fructification  ; cos  organes  sont  ordinaire- 
ment situés  sous  le  chapeau.  — Ce  dernier  présente  en  dessous  des  lames  attachées  à la  voûte 
qu’il  forme  ; ces  lames  ne  sont  que  des  cloisons  qui  appartiennent  au  chapeau.  Elles  sont  ta- 
pissées par  une  pellicule  qui  porte  los  organes  de  la  reproduction  ; ces  organes  sont  des  sacs 
chargés  chacun  do  quatre  cellules,  qu’on  regarde  comme  les  corps  reproducteurs.  Ces  cellules 


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08  DElXlfcME  PARTIE. 

sont  si  serrées  sur  les  laines  du  chapeau  qu’elles  constituent  la  couleur  des  lames.  C’est  ce 
qu’on  voit  en  laissant  pendant  quelques  heures  des  Champignons  sur  du  papier  blanc  : bientôt 
les  cellules  se  détachent  de  leur  support,  et  leur  couleur  les  rend  très-visibles. 

Du  genre  Agaric,  qui  renferme  plus  de  mille  espèces,  il  y a encore  loin  au  genre  moisis- 
sire.  Quand  une  substance  végétale  ou  animale  s’altère,  elle  devient  propre  à recevoir  les 
germes  des  moisissures  qui  flottent  imperceptibles  dans  l’atmosphère.  Le  germe , déposé  sur 
le  terrain  qui  lui  convient,  forme  bientôt  un  filament  qui  ne  tarde  pas  à se  ramifier  ; ces  ra- 
mifications s’entre-croisent  et  forment  une  espèce  de  réseau,  ordinairement  blanc  ; sur  ce  ré- 
seau naissent  les  filaments  reproducteurs,  cloisonnés,  terminés  par  une  petite  boule  pleine 
d'un  liquide  où  nagent  des  granules  qui , plus  tard , rompent  leur  prison  et  se  répandent  au 
dehors  pour  reproduire  la  plante.  Tous  ces  détails  ne  peuvent  s’observer  qu’au  microscope  ; 
on  croyait  autrefois  que  les  Moisissures  se  formaient  spontanément  ; mais  depuis  que  les 
moyens  d’observation  se  sont  perfectionnés,  l’origine  de  ces  végétaux  n’est  plus  douteuse. 

Il  y a des  Moisissures  qui  végètent  dans  des  corps  vivants  qu’elles  finissent  par  faire  périr. 
Les  Vers  à soie,  par  exemple,  sont  souvent  victimes  d’une  espèce  particulière,  qui  pénètre  par 
les  stigmates  respiratoires  do  l’animal  ; se  développe  dans  ses  trachées , et  refoule  ses  vis- 
cères ; puis  , quand  le  moment  de  la  reproduction  est  arrivé , les  filets  reproducteurs  percent 
la  peau  de  la  chenille,  et  présentent  bientôt  la  petite  boule  qui  renferme  les  granules.  Cette 
maladie,  nommée  muscardine , est  redoutée  des  fabricants  de  soie,  parce  qu’elle  est  éminem- 
ment contagieuse. 

C’est  à la  famille  des  Champignons  que  nous  devons  plusieurs  substances  alimentaires  très- 
recherchées,  telles  que  les  Truffes,  les  Morilles,  certains  Bolets,  certains  Agarics  ; mais, 
dans  les  Agarics,  on  rencontre  des  espèces  vénéneuses  qui  ressemblent  beaucoup  aux  espèces 
comestibles.  Il  y a peu  de  moyens  de  les  distinguer  au  premier  coup  d'œil  ; il  faut  avoir  re- 
cours à des  caractères  botaniques,  souveut  fort  difficiles  à observer.  Cej>cndant  on  a remarqué 
en  général  qu’il  faut  rejeter  les  Champignons  dont  l'odeur  et  le  goût  sont  désagréables,  ceux 
dont  la  chair  est  mollasse  et  aqueuse,  ceux  qui  croissent  dans  les  lieux  ombragés  et  humides, 
ceux  qui  se  gâtent  avec  facilité , ceux  qui  changent  subitement  do  couleur  quand  on  déchire 
leur  tissu.  Autre  précaution  importante  à prendre  quand  il  y a incertitude  : le  vinaigre  ayant 
la  propriété  de  s’emparer  du  principe  vénéneux  des  Champignons,  il  faut  les  faire  macérer  dans 
do  l’eau  vinaigrée,  après  los  avoir  coupés  par  tranches  minces , et  rejeter  ensuite  cette  eau. 

Vous  avez  souvent  remarqué  après  la  pluie,  sur  la  torro  ou  sur  les  pierres  humides,  au 
pied  des  murailles,  de  petites  croûtes  de  couleur  verte  ou  rougeâtre  : ces  croûtes  sont  les  plus 
simples  do  toutes  les  organisations  végétales  : les  unes  consistent  on  une  masse  irrégulière  et 
gélatineuse , recouverte  d’une  pellicule  ; on  y distingue  des  cellules  qui  s’arrangent  en  chape- 
let ; bientôt  ces  cellules  s’ouvrent  et  donnent  issue  à des  cellules  nouvelles,  engendrées  dans 
leur  cavité , qui  so  disséminent  et  reproduisent  la  plante  : ces  végétaux  portent  le  nom  de  Nos- 
lochs . Les  autres  sont  des  filaments  enveloppés  d’une  sorte  de  mucosité,  et  feutrés  ensemble 
par  leurs  bases  ; ces  filaments,  qui  se  composent  de  deux  tubes  emboîtés  l’un  dans  l’autre,  et 
dont  l’intérieur  renferme  des  corpuscules  colorés,  jouissent  d’une  propriété  bien  remarquable  : 
ils  sc  meuvent  circulairement , ou  so  balancent  d’avant  en  arrière , ou  décrivent  des  ondula- 
tions variées  ; leur  mouvement  est  tantôt  lent , tantôt  brusque  , mais  chaque  espèce  en  a un 
qui  lui  est  propre.  Ces  êtres  singuliers  sont  nommés  Oscillaires.  — .Nous  voilà  sur  la  frontière 
du  royaume  : les  Oscillaires  sont-elles  des  plantes  ou  des  animaux?  l‘n  pas  de  plus,  nous 
tombons  dans  le  Règne  animal,  et  nous  rencontrons  le  Polype  et  V Eponge,  qui  appartiennent 
aux  Zoophytes  ou  Animaux-Plantes. 

Les  Nostochs  et  les  Oscillaires,  qu’on  rencontre  partout,  mais  qu’on  ne  peut  étudier  qu’avec 
le  microscope,  n’occupent  pas  cependant  le  plus  bas  degré  de  l’échelle  végétale.  Il  est  une 
plante  dont  l’organisation  est  encore  inférieure  à celle  que  je  viens  de  vous  décrire  : allez  au 
pôle  , et  vous  y verrez  do  la  neige  ronge  ; celte  coloration  est  due  à de  petits  corps  qui  ne  sont 


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ÉCOLE  DE  BOTAMQLE.  fi» 

autre  chose  que  des  cellules  isolées , pleines  de  suc.  Ici , Pôtre  végéta!  est  réduit  à l’état  de 
simplicité  absolue  ; cette  singulière*  production  est  nommée  Protococcus  nivalis. 

Les  Nostochs,  les  Oscillaires  et  le  Protococcus  appartiennent  à l'immense  famille  des  Ai- 
gues , la  plus  ancienne  du  Règne  végétal,  comme  vous  le  saurez  bientôt.  — Les  Algues  sont 
des  plantes  aquatiques , et  habitent  surtout  la  mer  ; elles  ont  la  forme  tantôt  d’un  fil , tantôt 
d’une  lame,  tantôt  d'une  membrane,  et  quelquefois  elles  présentent  ces  trois  états  réunis; 
leur  consistance  est  gélatineuse , ou  membraneuse , ou  coriace  ; leur  tissu  est  cloisonné  ou 
continu.  Quelquefois  elles  so  ramifient  indéfiniment,  et  atteignent  des  proportions  gigantes- 
ques. Tel  est,  par  exemple,  le  Varech  que  l'amiral  d’Urville  a rencontré  dans  les  mers  du 
Sud , et  qui  entravait  la  marche  de  ses  navires  ; celte  Algue  est  comestible,  de  là  son  nom  de 
Durvillea  ut i iis.  — La  fructification  des  Algues  marines  n’a  été  jusqu’ici  que  très-imparfaite- 
ment connue:  mais  les  beaux  travaux  de  Al.  Deeaisne,  l’un  des  naturalistes  de  ce  Jardin, 
vont  jeter  une  vivo  lumière  sur  la  structure  intime  de  leurs  organes  reproducteurs. 

Si  le  Jardin  des  Plantes  ne  nous  offre  pas,  rangés  on  ordre  et  à leur  place  convenable,  les 
Mousses , les  Lichens  et  les  Champignons , ces  plantes  se  trouvent  dans  tous  les  bois , et  vous 
pouvez  facilement  les  observer  ; mais  il  n’en  est  pas  de  même  des  Algues  marines  ; c’est  dans 
leur  patrie  qu’il  faut  les  étudier.  N’allez  pas  sur  le  quai  d’un  port  de  mer,  voir  quelques  Va- 
rechs fangeux  et  mutilés , que  le  reflux  a laissés  sur  la  vase  ; poussez  hardiment  votre  excur- 
sion jusqu’aux  récifs  les  plus  avancés  de  la  côte,  que  la  mer  ne  quitte  jamais  : c'est  là  que 
sont  fixés  les  crampons  vigoureux  des  Algues  ; c’est  au  pied  de  ces  granits  primitifs,  battus 
d’un  flot  éternel , que  se  sont  succédé  leurs  générations  depuis  les  premiers  âges  du  Globe. 
Allez  donc  eu  Bretagne,  allez  visiter  cette  terre,  si  longtemps  ignorée  des  artistes , et  qu’ils 
ont  aimée  dés  qu’ils  l’ont  connue.  Si  votre  âme  s’élève  à la  vue  des  grandes  scènes  de  la  Na- 
ture, préférez  pour  quelques  instants  à votre  rivière  toujours  tranquille,  à vos  plaines  sans 
accident,  à vos  monotones  rideaux  de  peupliers,  préférez  la  tempête  sonore,  les  âpres  rochers 
et  les  aspects  sauvages  de  l’Océan  breton.  Du  haut  des  promontoires  escarpés  de  nos  Côtes- 
du-Nord , vous  pourrez  contempler  au-dessous  de  vous  le  précipice  effrayant,  dont  le  fond  est 
un  lit  de  galets,  que  la  mer  vient  battre  deux  fois  par  jour.  Si  vous  y arrivez  à l’heure  du 
/lux,  vous  verrez  au  loin  s’avancer  vers  vous  d’immenses  nappes  d'eau,  qui  se  développeront 
paisiblement  sur  la  plage  déserte , comme  l’avant-garde  d’une  année  envahit  sans  résistance 
un  pays  abandonné  pur  ses  habitants  ; mais  bientôt  la  mer,  rencontrant  la  pointe  roide  de  la 
falaise,  s’irritera  contre  l’obstacle  qui  l’arrête  ; le  bruit  de  sa  colère  mugissante  remplira  votre 
cœur  de  trouble  et  de  plaisir  ; vous  la  verrez,  à chaque  flot,  gagner  du  terrain,  puis  reculer 
en  ramenant  avec  elle  des  milliers  de  cailloux  qu’elle  rejettera  ensuite  plus  loin  avec  fureur. 
Alors  les  froides  théories  des  savants  disparaîtront  devant  la  poésie  de  ce  tableau  ; et  les  lois 
de  V attraction , qui  agit  en  raison  inverse  du  carré  des  distances , s’effaceront  de  votre  mé- 
moire; alors  la  mer  ne  sera  plus  pour  vous  une  masse  d'eau  salée,  que  le  soleil  et  la  lune 
attirent  : ce  sera  l’Océan,  animé  et  intelligent,  qui  exécute  avec  fidélité  le  pacte  d’obéis- 
sance arrêté  par  le  Créateur  entre  les  sphères  célestes  et  lui;  alors,  satisfait  d’avoir  im- 
posé silence  à votre  raison  , qui  se  plaît  dans  le  doute,  pour  n’écouler  que  votre  âme , dont 
le  bonheur  est  de  croire,  vous  resterez  devant  ce  beau  spectacle,  enveloppé  de  vos  illusions, 
qui  valent  mieux  quo  la  vérité. 

Puis , quand  vous  vous  serez  familiarisé  avec  les  émotions  régulières  du  drame  sublime  qui 
s’exécute  sous  vos  yeux , un  vif  désir  d’y  prendre  part  viendra  peut-être  s’emparer  de  votre 
âme  ; vous  voudrez  voir  de  près  cet  élément  terrible,  et  mettre  en  rapport  votre  petitesse  avec 
son  immensité  ; vous  descendrez  le  promontoire , en  suivant  les  détours  de  l’étroit  sentier  qui 
conduit  à la  grève;  là,  vous  vous  ferez  un  jeu  de  poursuivre  la  vague  qui  recule,  et  do  fuir  à 
votre  tour  quand  elle  revient  plus  menaçante  ; vous  serez  fier  d’être  placé  entre  une  montagne 
à pic  et  l’Océan  qui  gronde  ; et,  comme  le  grand  prêtre  d’Homère,  vous  marcherez  silencieux 
le  long  du  rivage  retentissant. 


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Il  KL  MEME  PARTIE. 

Mais,  pour  cueillir  des  Algues,  c'est  ITieure  du  reflux  qu’il  faut  choisir  : la  scène  alors  est 
liion  différente , et  quand  vous  arrivez  sur  la  côte , vous  voyez  devant  vous  une  vaste  étenduo 
de  grèves  solitaires.  A l'horizon  se  déroule  un  large  ruban  d'azur  : c’est  la  profonde  mer  qui 
vous  permet  de  vous  promeuer  sur  son  domaine  pondant  son  absence , mais  qui  bientôt  re- 
viendra , haute  et  puissante,  pour  en  reprendre  possession.  Allez  donc  au-devant  d'elle,  et  à 
mesure  que  vous  approcherez  de  son  lit,  celle  uature  marine,  qui  do  loin  vous  paraissait 
froide  et  inanimée,  va  vous  montrer  partout  la  vie  et  le  mouvement.  Votre  passage  jettera 
l’effroi  parmi  des  myriades  de  Crevettes , qui  se  cachent  dans  les  Zostera , dont  la  grève  est 
jonchée , et  de  petits  Crabes , d’un  beau  vert , fuiront  à reculons  devant  vous.  Les  récifs  voi- 
sins de  la  liante  mer  sont  hérissés  de  Mollusques  ; les  uns  rampent  lentement  en  traînant  sur 
leur  dos  l'enveloppe  calcaire  qui  les  protège  ; les  autres , appliquant  avec  ténacité  leurs  co- 
quilles tranchantes  contre  la  surface  des  roches,  en  reudeul  plus  inaccessibles  encore  les 
crêtes  aigues  et  les  âpres  sommets.  Vous  pourrez  recueillir  de  nombreuses  espèces  de  Mollus- 
ques , qui  ont  été  désignés  d’après  la  forme  de  leur  coquille  ; les  uns  ressemblent  à une  trom- 
pette , de  là  leur  nom  de  Buccin  ; les  autres  vous  offriront  la  miniature  richement  enluminée 
d’une  tour  en  spirale,  d’un  cierge,  d’un  bonnet  phrygien , d’un  turban  oriental  ; il  y en  a que 
vous  prendriez  pour  des  manches  de  couteau  ; il  y en  a qui  représentent  l’ébauche  d’un  peigne 
courbe , à dents  d’ivoire  teintes  en  pourpre.  Vous  rencontrerez  aussi  dans  les  cavités  qui  re- 
tiennent les  eaux  marines  mie  Astérie,  zoophyto  rougeâtre,  que  les  habitants  du  pays  nom- 
ment Étoile  de  mer;  et  l’Oursin  comestible,  dont  le  test  est  armé  d’épines  mobiles,  qui  lui 
servent  pour  marcher  et  pour  saisir  sa  proie.  Mais  le  plus  bel  ornement  de  ces  noirs  rochers 
est  V Actinie  pourprée , polype  charnu,  dont  les  tentacules  nombreux,  disposés  autour  de  sa 
bouche,  comme  les  pétales  d’une  fleur  double,  semblent  couronner  les  écueils  do  touffes 
d’ Anémones  purpurines , taclielécs  de  vert. 

Le  sable  doux  et  fin  de  la  grève  est  émaillé  de  millions  de  coquilles  à deux  valves,  privées 
do  leurs  animaux  et  dont  les  couleurs  éclatantes , passant  pur  toutes  les  nuances , du  violet  au 
rose  vif,  donnent  à la  plage  le  plus  riant  aspect.  Vous  trouverez  aussi  beaucoup  do  coquilles 
d’une  seule  pièce,  le  long  de  la  limite  de  la  grève  : la  plus  volumineuse  est  le  Buccin  onde, 
grande  trompette,  dont  la  spire  est  relevée  de  côtes  sinueuses  comme  les  ondulations  dus 
vagues.  Elle  sert  souvent  d’asile  à un  petit  cruslacé,  nommé  Bernard  l’Iiermile,  qui  en  chasse  lo 
propriétaire  naturel,  et  s’empare  de  sou  domicile.  Ces  coquillages,  d’une  seule  valve,  reposent 
sur  un  lit  qui  provient  dos  détritus  do  coquilles  plus  anciennes,  roulées  et  brisées  par  les  flots. 
Au  milieu  do  ees  débris , vous  pourrez  découvrir,  avec  vos  bons  yeux , de  charmants  petits 
sabots , à taches  purpurines  (Turbo  purpureus) , des  Bissoaires,  des  Céritlies- Limes , que  l’on 
prendrait  d’abord  pour  du  sablo,  et  dont  chacune  est  la  maison  commode  et  sûre  d’un  Mol- 
lusque qui  a ses  organes  digestifs,  son  système  nerveux,  son  cœur,  son  industrie  et  scs  amours. 

Sur  cos  rives  sauvages,  devant  cette  nature  primitive,  que  l’homme  visite  rarement,  vous 
éprouverez  un  sentiment  délicieux  de  solitude  et  de  liberté;  là  se  déploiera  devant  vous  le 
tableau  de  l’enfance  du  monde  ; là  vous  croirez  voir,  dans  sa  beauté  siiencieuso , l’un  des 
premiers  jours  de  la  grande  s eu  ai  se  qui  fut  employée  à la  création;  jour  immense,  dont 
chaque  minute  durait  un  siècle;  jour  tranquille,  pendant  lequel  les  familles  muettes  des  Zoo- 
phytes  et  des  Mollusques  régnèrent  paisiblement  et  sans  partage  sur  toute  la  surface  du  globe. 
Leur  existence  fut  troublée  par  les  révolutions  des  jours  suivants,  dont  chaque  aurore  était  le 
signal  d'un  déluge  qui  passait  sur  leurs  cités  populeuses , et  les  ensevelissait  dans  lo  sépulcre 
de  marbre  oü  nous  les  trouvons  encore  aujourd’hui.  Ces  derniers  jours  virent  successivement 
paraître  les  Poissons , les  Reptiles , les  Oiseaux  et  les  Quadrupèdes , qui  usurpèrent  insensi- 
blement le  domaine  des  Mollusques , et  ceux-ci , confinés  sur  le  rivage  et  dans  le  lit  rétréci  de 
l’Océan , décimés  sans  cesse  par  les  nouveaux  dominateurs  du  globo , no  furent  plus  qu’une 
race  disgraciée  devant  l’Ouvrier  suprême,  qui  détourna  d’elle  sa  face,  pour  regarder  avec 
complaisance  les  créatures  plus  parfaites , récemment  sorties  do  ses  mains. 


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ÉnOl.F.  DES  ARBRES  FRUITIERS. 

Les  végétaux  de  la  classe  immense  des  Algues,  ces  aînés  de  la  grande  famille,  créés  le 
môme  jour  que  les  animaux  inférieurs,  et  mêlés  avec  eux  par  de  nombreuses  alliances,  ont 
partagé  les  prospérités  et  la  disgrâce  de  leurs  contemporains;  ils  avaient  jadis,  comme  eux, 
le  monde  entier  pour  patrie  ; ils  sont  maintenant  relégués  sur  la  même  terre  d’exil.  Les  uns 
vivent  le  long  des  confins  de  l'Océan,  les  autres  forment,  sous  la  haute  mer,  d’humbles  forêts, 
que  la  tempête  arrache  quelquefois  du  fond  des  abîmes , pour  les  jeter  sur  nos  rivages.  Dans 
leurs  formes  variées  à l’infini , on  croirait  reconnaître  les  coups  d'essai  d’une  puissance  créa- 
trice, qui  cherche,  de  jour  en  jour,  à perfectionner  sou  œuvre  : ainsi,  vous  trouverez  des 
Céramium  et  des  Plocamium  ramifiés  comme  des  arbrisseaux , portant  des  bourgeons , des 
feuilles  et  des  fruits,  véritables  ébauches,  qui  promettaient,  pour  les  jours  suivants,  des  végé- 
taux d’une  organisation  plus  compliquée.  Il  y a une  Ulve~Laminaire  d’une  immense  longueur, 
surnommée  le  Baudrier  de  Neptune  • lorsqu’on  la  fait  tremper  dans  l’eau  douce , et  qu’on 
l’expose  à l’air  sec,  elle  se  couvre  bientôt  d’une  efilorescencc  de  cristaux  blancs  et  sucrés , qui 
annoncent  le  Sucre  parfait , que  Dieu  donna  plus  tard  aux  végétaux  supérieurs.  La  plus  jolie 
des  Ulves  est  une  Padine,  dont  la  feuille,  imitant  fidèlement,  par  ses  zones  tachetées,  les  yeux 
de  la  queue  du  paon,  s’élargit  dès  sa  base,  et  forme  un  élégant  éventail  que  Dieu  perfectionna, 
vers  la  fin  do  la  semaine,  en  faveur  du  roi  des  Gallinacés,  de  môme  qu’il  avait  d’abord 
essayé,  sur  lu  vivante  palette  de  ses  Coquilles,  le  coloris  nuancé  du  plumage  des  Oiseaux,  les 
bigarrures  do  la  robe  des  Quadrupèdes,  et  l’incarnat  de  la  peau  humaine. 


§ H. 

L’ÉCOLE  DES  ARBRES  FRUITIERS. 

Nous  allons  visiter  maintenant  Y École  des  arbres  fruitiers , qu’on  appelle  aussi  les  Carrés 
fruitiers , et  qui  se  trouvent  à l’extrémité  nord  du  Jardin,  près  de  la  porte  d’entrée  donnant  sur 
le  quai,  au  coin  de  la  rue  Cuvier  (»°  103  du  plan).  Les  végétaux  qu’on  y cultive  occupent  des 
planches  différentes,  selon  la  nature  de  leur  fruit.  Les  arbres  ou  arbrisseaux  dont  le  fruit  est 
une  baie , tels  que  les  Groseilliers,  les  Framboisiers , les  Vignes , les  Mûriers,  sont  rangés 
dans  la  première  division;  dans  lu  seconde,  vous  voyez  les  arbres  dont  le  fruit  est  à noyau, 
comme  les  Cerisiers,  les  Pruniers,  les  Pêchers  ; dans  la  troisième,  sont  les  fruits  à osselets, 
comme  les  Néfliers,  les  Azeroliers,  les  Plaqueminiers ; dans  la  quatrième,  les  fruits  à pépins, 
tels  que  les  Pommiers,  les  Sorbiers;  cl  les  fruits  juteux,  tels  que  la  Figue ; dans  la  cinquième, 
les  fruits  dont  on  mange  seulement  l’amande , qui  est  renfermée  dans  une  coque  : ce  sont  les 
Pins,  les  Noisetiers,  les  Noyers,  les  Châtaigniers , etc.  La  plupart  do  ces  arbres  sont  taillés 
en  quenouille  ; mais  nous  trouverons  au  bas  de  la  plantation  quelques  Pêchers  et  autres  arbres 
disposés  en  espaliers.  En  adoptant  la  taille  en  quenouille  dans  l’Écolo  des  arbres  fruitiers , on 
n’a  pas  eu  pour  but  d’indiquer  la  manière  de  conduire  les  arbres  pour  leur  faim  produirn 
beaucoup  de  fruits  et  pour  les  faire  durer  longtemps  ; on  a préféré  cette  taille  parc»*,  qu’elle 
économise  le  terrain,  et  met  à portée  de  1’obsorvateur  les  bourgeons,  les  feuilles  et  les  fruits 
de  l’arbre , et  fait  pousser  des  scions  plus  longs  et  plus  vigoureux , ce  qui  donne  le  moyen 
d’avoir  un  plus  grand  nombre  de  greffes. 

Vous  voyez  dans  cette  plantation  toutes  les  variétés  d’arbres  fruitiers  rapprochées  les  unes 
des  autres  selon  leurs  affinités , et  vous  pouvez  facilement  les  comparer  : les  fruits  des  diffé- 
rentes saisons  s’y  succèdent  depuis  le  mois  de  mai  jusqu’au  mois  de  novembre;  ils  y ont 
disparu  dans  certaines  variétés,  tandis  qu’ils  ne  sont  pas  encore  mûrs  dans  d’autres.  On  peut, 
en  hiver,  y étudier  les  caractères  qui  font  distinguer  les  variétés  par  la  couleur  du  bois  et  la 
forme  des  boutons  : connaissance  précieuse  pour  les  cultivateurs,  puisque  c’est  après  la  chute 
des  feuilles  que  se  font  les  plantations. 


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Il  El  MÊME  IMIITIK. 

Je  viens  «le  vous  parler  de  variétés,  de  scions,  de  greffes , et  je  ne  sais  trop  si  vous  m’avez 
compris  : je  vais  donc,  pour  avoir  le  droit  de  vous  en  parler  encore,  vous  donner  d’abord 
quelques  notions  générales  sur  ln  mode  d’accroissement  des  végétaux , et  ensuite  vous  entre- 
tenir des  modifications  que  la  main  de  l'homme  a su  apporter  à leur  nature  primitive.  Ce  sera 
pour  vous  une  leçon  élémentaire  d 'horticulture , qui  vous  fera  aimer  davantage  les  fleurs  ul 
les  fruits  de  votre  jardin. 

Quand  une  graine  est  jeune  encore  dans  l’ovaire , son  tissu  ne  se  compose  que  de  petites 
cellules  placées  les  unes  contre  les  autres  (figurez-vous  l’écumo  de  la  bière  ou  de  l’eau  de 
savon)  ; ce  tissu,  qu’on  nomme  tissu  cellulaire , se  voit  parfaitement  dans  une  tranche  fine  de 
pomme.  Quand  la  graine  commence  à germer  (et  même  avant  sa  germination),  ces  cellules 
se  modifient  : les  unes  s’allongent  en  tubes  cylindriques  nommés  vaisseaux,  qui  servent  à 
charrier  la  sève,  et  dont  les  parois  offrent  des  épaississements  divers;  les  autres  s'allongent 
aussi,  et  prennent  la  forme  de  petits  fuseaux,  à parois  épaisses,  s’ajustant  les  uns  avec  les 
autres,  et  formant  les  fibres  destinées  à solidifier  la  plante  : ce  sont  ces  mêmes  fibres  qui 
constituent  les  côtes  ou  nervures  des  feuilles;  les  autres  enfin  restent  à l’état  do  simples 
cellules,  et  s'imbibent  des  sucs  qui  leur  sont  fournis  par  les  vaisseaux  voisins,  sucs  destinés  à 
nourrir  et  à multiplier  les  cellules.  Ces  cellules  contiennent  de  la  fécule,  du  sucre,  des  acides, 
des  matières  colorantes,  de  la  résine,  de  l’huile,  etc.  On  nomme  parenchyme  l’enscinblo  des 
cellules;  ce  que  vous  mangez  dans  les  fruits  et  les  légumes,  c’est  le  parenchyme  ; les  carottes, 
les  navets,  les  asperges,  etc.,  no  vous  plaisent  qu’à  cause  de  leur  parenchyme;  mais  quand 
ces  légumes  sont  boisés,  e’est-à-dire  quand,  avec  l’âge,  les  cellules  se  sont  épaissies  et  refou- 
lées les  unes  contre  les  autres  de  manière  a former  des  faisceaux  fibreux , ces  mêmes  légumes 
sont  rejetés  par  vous.  Voilà  pourquoi , par  exemple , les  carottes  de  la  seconde  année  ne  sont 
plus  comestibles;  voilà  pourquoi  les  jeunes  pousses  d’asperge,  que  l’on  recherche  au  prin- 
temps, ne  peuvent  nous  servir  quand  elles  se  sont  allongées  en  rameaux  et  en  feuilles. 

Il  v a des  plantes,  telles  que  les  Lichens  et  les  Champignons , qui  sont 
uniquement  formées  de  tissu  cellulaire;  il  y en  a d’autres,  beaucoup  plus 
rares,  chez  lesquelles  il  n’y  a que  des  fibres  : telle  est  par  exemple  la  petite 
Jlenonculc  aquatique  à fleur  blanche,  dont  les  rameaux,  sans  cesse  lavés 
par  l’eau , se  réduisent  à de  longs  filaments  verts  que  l’on  voit  ondoyer  dans 
le  courant  dos  ruisseaux;  telle  est  17 lydrogeton  feneslrate , autre  plante 
aquatique,  dont  les  feuilles  sont  percées  dn  trous,  et  forment  un  réseau  très- 
élégant  de  mailles  parallélogrammes,  qui  11e  sont  autre  chose  que  des  fibres 
sans  parenchyme. 

Kntrc  les  cellules,  sont  des  espaces  tortueux  qui  tous  aboutissent  à la 
surface  des  feuilles  et  des  parties  vertes  de  la  plante.  Je  vous  ai  dit  que  la 
pellicule,  ou  épiderme  des  végétaux,  est  criblée  d’une  infinité  de  petits  trous, 
par  lesquels  l’air  pénètre  dans  l’intérieur  de  la  plante.  C’est  précisément  à 
ces  orifices , qui  ont  la  forme  d’une  bouche  béante , que  répondent  les 
espaces  intercellulaircs ; l'air  pénètre  dans  ces  espaces  qui  contiennent  de  la  sève,  et  c’est  là 
que  s’opère  cetle  merveilleuse  élaboration,  dont  le  résultat  est  de  nourrir  la  plante  et  de  puri- 
fier l’atmosphère  viciée  par  les  animaux. 

L’accroissement  de  la  tige,  dans  les  végétaux  à deux  cotylédons  ( dicotylédones ),  a lieu  en 
hauteur  et  en  épaisseur.  Quand  \s  jeune  tige  et  la  jeune  racine  s'allongent,  l’une  en  montant 
vers  le  ciel,  l'autre  en  s’enfonçant  dans  le  sol,  le  tissu  cellulaire,  qui  occupe  le  centre  do  ces 
parties,  reste  lâche  et  diaphane,  c’est  ce  qu’on  nomme  la  moelle ; les  cellules  qui  entourent 
cette  moelle  centrale  s’organisent  bientôt,  et  s’endurcissent  de  manière  à former  autour  d’elle 
une  sorte  d'étui ; cet  étui  ne  larde  pas  à se  dédoubler  en  deux  couches  distinctes,  dont  l’exté- 
rieure est  Y écorce , et  l’intérieure  le  bois.  (Je  ne  parle  ici  que  des  tiges  ligneuses , bien  que  la 
tige  herbacée  offre  la  même  conformation  ; mais  comme  elle  est  abreuvée  de  sucs  aqueux , et 


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ÉCOLE  DES  ARBRES  FRUITIERS.  73 

qu'elle  prend  uo  moindre  développement , son  tissu  mou  est  incapable  de  résister  aux  agents 
extérieurs  de  destruction , et  elle  n'a  que  peu  d'années  nu  peu  île  mois  d’existence.  ) 

L'écorce  est  ta  pis  sis-  extérieurement  par  une  pellicule  transparente  très-fine  nommée  épi- 
derme; sous  cet  épiderme  est  uno  couche  verte  de  tissu  cellulaire,  qu'on  nomme  moelle 
externe,  pour  la  distinguer  de  la  moelle  centrale.  Celle  moelle  externe  est  revêtue  intérieure- 
ment par  les  libres  de  l’écorce  ; ces  fibres  s'appliquent  contre  celles  du  bois.  La  communication 
entre  les  deux  moelles  est  établie  par  des  prolongements  de  tissu  cellulaire , qui , lorsqu’on 
observe  une  tranche  horizontale  de  la  tige , ont  l'aspect  des  rayons  d’une  roue , ou  des  lignes 
horaires  d'un  cadran.  Chacun  île  ces  prolongements  provient  en  partie  de  la  moelle  interne, 
en  partie  de  la  moelle  externe,  et  passe  entre  les  fibres  du  bois  et  de  l'écorce. 

Voici  maintenant  comment  s'accroît  la  tige  : les  fibres  longitudinales  do  l'écorce  sont  sépa- 
rées les  unes  des  autres,  comme  je  vous  l’ai  dit,  par  le  tissu  cellulaire,  qui  est  divisé  par  elles 
en  lignes  rayonnantes , qu'on  a nommées  les  rayon»  médullaire».  Le  tissu  cellulaire  .qui  se 
trouve  entre  les  vaisseaux  de  chaque  libre,  se  développe  à son  tour  dans  le  centre  de  ces 
fibres,  et  forme  un  nouveau  rayon  médullaire  qui  aboutit  à la  surface  interne  do  l'écorce;  co 
nouveau  rayon , et  les  rayons  primitifs  qui  se  trouvent  entre  les  premières  fibres , produisent 
dans  leur  intérieur  un  nouveau  faisceau  fibreux  qui,  en  grossissant,  divise  et  dédouble  le 
rayon  médullaire  au  milieu  duquel  il  est  né.  Dans  le  centre  de  chacune  des  divisions  du  fais- 
ceau primitif  et  du  nouveau  faisceau  central  s’engendre  ensuite  un  autre  rayon  médullaire , et 
dans  ceux-ci  se  créent  successivement  de  nouvelles  fibres  : de  cotte  manière,  leur  nombre 
s'accroît  sans  cesse  ; elles  deviennent  très-rapprochées , et  forment  une  couche  continue.  Le 
bois  s'accroît  de  la  même,  manière  que  l’écorce;  il  est  d'abord  composé  de  la  moelle  centrale 
qni  engendre  des  fibres  autour  d’elle;  dans  l'épaisseur  des  rayons  médullaires  se  développent 
de  nouvelles  fibres,  et  les  fibres  primitives  sont  bientôt  séparées,  parce  que  le  tissu  cellulaire 
de  leur  intérieur  se  développe  et  forme  un  rayon  médullaire,  lequel  est  bientôt  divisé  lui-même 
par  une  fibre  engendrée  à son  centre.  Ainsi  s’opère  l'accroissement  en  largeur. 

L’accroissement  en  hauteur  a lieu  d'une  manière  tout  à fait  semblable  : la  moelle  du  bois 
s’allonge  à son  extrémité  (laquelle  extrémité  fait  nécessairement  partie  de  la  surface  exté- 
rieure) : à mesure  qu'elfe  s’accroît,  elle  se  recouvre  de  fibres  qui  se  continuent  avec  celles  de 
la  surfare  externe , puisque  c’est  une  même  couche  qui  so  développe  sur  touto  la  superficie. 
LYcôrcc  doit  son  augmentation  à un  procédé  analogue;  mais  sa  partie  vivante  étant  interne, 
c’est  sur  sa  face  interne  que  se  forment  les  fibres.  — D’après  cette  théorie,  que  nous  devons 
à M.  Dutrochct,  vous  voyez  1°  que  l'accroissement  se  fait  par  couches  à l'extérieur  du  bois  et 
à la  surface  interne  de  l’écorce  ; 2°  que  c'est  le  tissu  cellulaire  qui  engendre  tous  les  autres. 
— En  voutez-vous  deux  preuves  convaincantes  ! Tracez  des  caractères  sur  un  arbre,  en  entail- 
lant l’écorce  dans  touto  son  épaisseur,  et  en  entamant  même  le  bois;  ces  caractères  seront 
bientôt  séparés  en  deux  parties  : la  partie  creusée  dans  le  bois  est  recouverte  par  les  nouvelles 
couches,  et  se  trouve  ainsi  renfermée;  celle  qui  occupait  l’épaisseur  de  l’écorce  est  repoussée 
au  dehors  par  les  fibres  de  nouvelle  formation  ; ainsi  les  deux  portions  de  caractères  sont 
séparées  par  les  couches  de  bois  et  d'écorce  tout  à la  fois  ; donc  ces  parties  croissent  en  sens 
inverse.  — Si  maintenant  vous  voulez  vous  assurer  que  c'est  le  tissu  cellulaire  qui  engendre 
toutes  ces  parties,  coupez  par  tranches  menues,  au  printemps,  une  tige  charnue  : vous  voxez 
au  point  da  jonction  de  i’écorce  et  de  la  tige  une  couche  transparente , qui  est  la  partie  nou- 
vellement développée  ; si  vous  enlevez  l’écorce,  vous  enlevez  avec  elle  la  moitié  de  celte 
couche  transparente  ; l'autre  moitié  reste  adhérente  au  bois.  Cette  séparation  s’opère  sans 
déchirure  ; le  bois  et  l'écorce  ne  sont  donc  que  juxtaposés,  tous  deux  se  séparent  d’eux-mêmes 
en  proiluisant  une  couche  au  point  de  contact.  Cette  couche , d'abord  entièrement  cellulaire, 
se  continue  avec  les  deux  moelles,  n’en  est  par  conséquent  qu’une  émanation,  et,  puisqu'elle 
forme  les  fibres , il  faut  conclure  que  c’est  le  tissu  cellulaire  qui  est  la  source  primitive  de 
toutes  les  productions. 

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74 


Coin  i*ni  tig* 



DEUXIEME  PARTIE. 

Mais  quoi  est  l’aliment  qui,  en  nourrissant  les  cellules,  leur  donne  cette  faculté  créatrice? 
c’est  la  sève.  Ce  liquide,  que  les  racines  ont  pompé  dans  le  sol,  monte  dans  la  tige  par  les 
vaisseaux  qui  entourent  la  moelle  centrale,  et  se  répand  en  mémo  temps  du  centre  à la  circon- 
férence; il  en  arrive  ainsi  dans  les  parties  vertes  des  végétaux,  principalement  dans  les  feuilles: 
celles-ci  étant  le  siège  de  la  transpiration,  et  faisant  offleo  de  poumons , mettent  la  sève  en 
communication  avec  l’atmosphère;  la  sève  se  dépouille  alors  de  la  plus  grande  partie  de  son 
eau,  s’enrichit  du  carbone  que  lui  apporte  l’acide  carbonique  de  l’air,  s’assimile  on  même 
temps  le  carbone  qu’elle  avait  puisé  dans  le  terreau,  acquiert  ainsi  de  nouvelles  propriétés,  se 
transforme  en  suc  nourricier,  et  redescend  des  feuilles  vers  la  racine  entre  le  bois  et  l’écorce  : 
c’est  celte  sève  descendante  qui  abreuve  le  tissu  cellulaire,  et  produit  chaque  année  une  couche 
d’écorce  et  une  couche  de  bois. 

Le  bois  d’un  arbre  dicotylédone  se  trouve  donc  formé  do  cônes  très-allongés,  dont  le 
sommet  est  en  haut,  et  qui  s’emboîtent  les  uns  dans  les  autres,  de  manière  que  le  plus  récent 
est  aussi  le  plus  extérieur.  Si  vous  coupez  transversalement  lo  tronc  do  cet 
arbre , vous  verrez  sur  la  tranche  des  cercles  concentriques  qui  sont  la  limite 
des  couches  formées  chaque  année,  et  dont  le  nombre  peut  par  conséquent 
indiquer  l’âge  de  la  tige  : si  vous  observez  la  tranche  d’un  rameau , les  zones 
no  vous  apprendront  que  l’âge  de  ce  rameau  : pour  savoir  celui  de  l’arbre,  il 
faut  le  couper  au  collet  de  la  racine. 

Les  tiges  des  végétaux  à un  seul  cotylédon  ( monocotylédoncs ) s'accroissent  d’une  manière 
toute  différente.  Si  vous  observez  la  germination  d’une  graine  do  palmier,  vous  verrez  qu’il  ne 
s’élève  plus  de  jeune  tige  : c’est  le  jeune  bourgeon  qui  forme  une  gerbe  de  feuilles;  du  contre 
de  cette  gerbe  s’en  élève  une  autre,  qui  rejette  les  premières  en  dehors;  celle-ci  persiste  par 
sa  base  seulement,  et  forme  sur  le  collet  de  la  racine  un  anneau  qui  devient  la  base  de  la  tige  : 
ce  ne  sont  donc  plus  des  cônes  creux  emboîtés , ce  sont  des  anneaux  superposés,  et  la  tige  ne 
croît  qu’en  hauteur.  — Le  tronc  d’un  arbre  monocotylédone,  coupé  en  travers,  n’offre  ni 
zones  concentriques,  ni  rayons  médullaires,  ni  moelle  centrale  : le  bois  est 
divisé  en  filets  nombreux , tantôt  épars , tantôt  disposés  par  faisceaux  ; chacun 
de  ces  faisceaux  est  entouré  de  moelle  ou  tissu  cellulaire  ; les  parties  les  plus 
centrales  sont  les  plus  jeunes  et  les  moins  dures;  c’est  ce  qui  a fait  dire  à quel- 
ques botanistes  que  le  tronc  d’un  arbre  monocotylédone  est  comparable  à une 
tige  dicotylédone  privée  do  sou  bois , et  dont  l’écorce  s’est  développée  à l’inté- 
rieur, do  manière  à confondre  enscmblo  tous  les  faisceaux  fibreux. 

Parlons  maintenant  des  divers  modes  de  reproduction  que  la  nature  a accordés  aux  végé  - 
taux  : vous  connaissez  la  reproduction  par  fécondation  : elle  est  opérée  par  le  pollen  jeté  sur 
le  stigmate,  qui  a ensuite  passé  dans  l’ovaire  entre  les  cellules  du  style;  — mais  les  plantes 
se  multiplient  par  plusieurs  autres  moyens,  dont  les  principaux  sont  : les  boutures,  les  mar- 
cottes , les  drageons , les  stolons,  les  tubercules  et  les  bulbilles . 

La  bouture  est  une  jeune  branche  que  l’on  sépare  d’un  végétal , et  que  l’on  met  on  terre 
pour  produire  un  nouvel  individu.  On  choisit,  dans  le  temps  de  la  sève,  une  branche  saine, 
vigoureuse,  garnie  de  boutons,  et  verticale  plutôt  qu'horizontale;  on  enlève  avec  l’ongle  les 
boutons  situés  sur  la  partie  qu’on  doit  enterrer,  mais  on  respecte  les  bourrelets  *(ui  leur  ser- 
vent de  support , car  co  sont  eux  qui  doivent  produire  les  racines  : ce  moyen  de  reproduction 
s’applique  surtout  aux  Saules,  aux  Peupliers,  etc. 

La  marcotte  est  une  branche  tenant  au  tronc , dont  on  environne  la  base  de  terre  humide 
pour  y provoquer  la  formation  de  racines  ; quand  les  racines  sont  développées , on  sépare  les 
branches  de  la  plante  mère , et  on  les  met  en  terre  comme  une  bouture. 

Les  drageons  sont  des  branches  qui  naissent  au  pied  do  plantes  ligneuses  et  herbacées , et 
qui,  séparées  avec  un  fragment  de  la  racine,  puis  mises  en  terre,  peuvent  former  de  nouveaux 
individus;  c’est  ce  qu’on  peut  expérimenter  sur  les  Violettes,  la  Vigne , Y Olivier,  etc. 


V'#ri 

’W 

Corn  e'rm  nu 

MO*PCOnL&D0*iS . 


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PL.  *. 


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ÉCOLE  DES  ARBRES  FRUITIERS. 


75 


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ÉCOLE  DES  ARBRES  FRUITIERS.  75 

Les  stolons  ou  coulants  sont  des  branches  poussant  du  collet  des  racines , tombantes , et 
produisant,  d’espace  en  espace,  supérieurement  des  racines,  inférieurement  des  feuilles  : c’est 
ce  que  vous  observez  dans  le  Fraisier. 

Les  tubercules  sont  des  masses  épaisses,  contenant  du  tissu  cellulaire  dont  les  mailles  sont 
remplies  de  fécule,  et  entre-croisées  par  quelques  vaisseaux  qui  se  rendent  i la  surface.  Celto 
surface  offre  de  petites  cicatrices  ou  yeux,  qui  ne  sont  autre  chose  que  de  véritables  bour- 
geons souterrains,  aptes  A produire  de  nouveaux  individus  : c’est  ainsi  que  la  Pomme  de  terre 
peut  se  reproduire  ; la  Pomme  do  terre  est  un  véritable  rameau  souterrain , gonflé  de  paren- 
chyme , d'où  naissent  des  racines  et  des  feuilles. 

Les  bulbilles  sont  des  corpuscules  écailleux  ou  charnus  qui  naissent  sur  diverses  parties  de 
certains  végétaux , so  détachent  do  la  plante  mère,  s’enfoncent  en  terre,  et  produisent  de  nou- 
veaux individus  : c’est  ce  qu’on  observe  dans  une  espèce  i'Ail  et  une  espèce  de  lis. 

La  greffe  est  un  mode  de  reproduction  des  végétaux  ligneux , qui  consiste  A implanter  sur 
un  individu  une  branche  ou  un  bouton  d’un  autro  individu.  Pour  que  la  greffe  réussisse , il 
faut  que  les  deux  individus  appartiennent  au  même  genre  et  à la  même  famille;  que  leurs 
vaisseaux  soient  conformes,  pour  pouvoir  s’aboucher;  que  leurs  sucs  soient  identiques;  qu’ils 
absorbent  la  même  quantité  do  sève,  et  entrent  en  sève  à la  même  époquo  : lorsque  ces  con- 
ditions sont  remplies,  ot  que  l’on  met  en  contact  les  fibres  intérieures  do  leur  écorce,  la 
branche  ou  le  bouton  greffé  se  développe  comme  i sa  place  naturelle.  L’individu  sur  lequel 
on  pratique  la  greffe  s’appelle  sujet,  cl  l'individu  qu’on  lui  fait  adopter  s’appelle  greffe. 


§ 111. 

l.F.  PA  HTER  It  F DES  l’LAMES  MÉDICINALES,  LE  CARRÉ  POTACEIl  ET  DES 
PLANTES  l SCELLES  , 1.E  CARRÉ  CRELX,  LE  CARRÉ  ELEIRISTE,  LE 
PARTERRE  CIIAPTAL. 


Descendons  maintenant  vers  la  terrasse  qui 


Y tt  »i-  Jarpis  rut*  L»  rw»  » 


conduit  b la  porte  d’entrée  du  coté  de  la 
rivière  (n°  06  du  plan)  : en  face  de  cette 
porte  sont  quatre  carrés  consacrés  à la 
culture  des  plantes  médicinales,  dont  on 
fait  des  distributions  gratuites  aux  pau- 
vres. Elles  y sont  déposées  par  bandes  et 
toutes  étiquetées,  pour  que  les  herboristes 
et  les  étudiants  en  pharmacie  puissent  les 
examiner  dans  tout  leur  développement. 

Le  Carré  qui  vient  à la  suite  du  Parterre 
médicinal  porte  le  nom  de  Carre"  potager 
(n«  95  du  plan ) , dont  nous  parlerons  plus 
en  détail  tout  à l’heure  ; on  y cultive  los 
plantes  potagères  et  usuelles. 

Le  Carré  creux  (n°  94  du  plan ) , au 
fond  duquel  il  y avait  autrefois  un  bassin 
destiné  à la  culture  des  plantes  aquatiques 
qui  devaient  recevoir  par  infiltration  les 
eaux  île  la  Seine , est  maintenant  consacré 
à la  culture  des  plantes  à fleur,  dont  on 
veut  étudier  l’effet  pour  l’ornementation 
des  jardins. 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

Après  le  Carré  creux,  viennent  le  Carré  fleuriste  (n°  93  du  plan),  les  Carré » Ch'aptal  («°92 
du  plan),  où  l'on  cultive  les  piaules  d'ornement  vivaces.  Le  Parterre  Cheptel  doit  son  nom 
au  ministre  qui  accorda  les  fonds  nécessaires  pour  l’établir.  Vous  y pourrez  admirer  do  lon- 
gues ligues  ti’ Iris,  des  Pivoines,  des  Marlagons,  des  Asters,  des  Dahlias,  des  Géraniums,  et 
de  charmantes  fleurs  propres  aux  bordures. 

Dans  le  Carré  potager  et  des  plantes  usuelles  (n”  93  du  plan),  qui  suit  immédiatement  le 
Parterre  des  plantes  médicinales , les  plantes  ne  sont  point  rangées  selon  une  méthode  bota- 
nique, mais  par  ordre  de  propriétés.  Il  y a des  carrés  pour  les  plantes  qui  nourrissent  l'homme, 
pour  les  plantes  propres  à servir  de  fourrages,  et  pour  les  plantes  employées  dans  les  arts.  Là 
sont  les  Céréales  (Froment,  Avoine,  Orge,  Seigle,  Mais)-,  les  Légumes  farineux  ( Haricots , 
Fèves,  Puis,  Utilities,  clc.l  ; les  piaules  potagères  ( Patates , Topinambour,  Scorsonère,  Choux, 
Ipinards,  Oseille,  Artichauts,  Choux-Fleurs,  Capucines,  Courges,  Melons);  les  Semences 
ou  les  feuilles  aromatiques  ( Coriandre , Anis,  Fenouil,  Persil);  les  plantes  mangées  on  salade 
( Laitue , Chicorée,  Miches).  Là  sont  aussi  les  plantes  textiles  (Lin,  Chanvre,  Phormium 
lenax)  ; les  plantes  tinctoriales  (Garance,  Pastel)  ; les  Herbes  à fourrages  (Graminées,  Trè- 
fles, Lu  lentes.  Sainfoin);  enfin,  le  Houblon,  le  Tabac,  le  Chardon  ü foulon,  qui  onl  un 
usage  particulier. 

L'École  des  plantes  usuelles  est  une  véritable  ferme-modèle  en  raccourci.  Chaque  massif 
représente  un  champ  destiné  à chacun  des  Végétaux  herbacés  qui  sont  utiles  à l’homme,  et 
qui  peuvent  croître  dans  nos  climats.  Ou  a soin  d'alterner  les  cultures,  pour  ne  pas  mettre 
plusieurs  années  do  suite  les  mêmes  piaules  dans  le  même  terrain  ; cette  alternance  est  fondée 
sur  la  propriété  spéciale,  apparteuant  à chaque  plante,  de  ne  puiser  dans  le  sol  que  les  maté- 
riaux qui  lui  conviennent,  et  de  laisser  ceux  qui  ne  peuvent  la  nourrir,  mais  qui  pourraient 
nourrir  une  espèce  différente. 

Ceci  me  fournit  l'occasion  de  vous  dire  quelques  mots  sur  les  variétés.  Vous  savez  que  le 
mot  Espèce,  en  botanique,  exprime  la  réunion  d’individus  assez  semblables  entre  eux  pour 
être  supposés  issus  d’une  même  graine;  vous  savez  qu'un  Genre  est  la  réunion  des  espèces 
analogues  par  les  organes  de  la  fructification;  vous  savez  enfin  qu'une  Famille  est  la  réunion 
de  tous  les  genres  gui,  malgré  des  différences  dans  la  forme  extérieure  du  calice,  de  la  corolle, 
<iu  pistil,  dans  le  nombre  des  étamines  et  dans  le  port  de  la  plante,  onl  entre  eux  une  affinité 
réelle,  fondée  sur  le  calice  libre  ou  adhérent,  l'ensemble  des  pétales,  le  point  de  départ  des 
étamines,  l'agencement  du  pistil  et  l'organisation  de  la  graine.  Ainsi,  la  Famille  se  divise  en 
Genres,  et  le  Genre  en  Espèces;  mais  l'Espèce  elle-même  peut  se  subdiviser  : plusieurs  indi- 
vidus provenant  dos  graines  d’un  même  ovaire  peuvent  être  placés  dans  de  certaines  condi- 
tions, différentes  pour  chacun  d’eux.  L’un  végétera  sur  un  rocher  aride,  l’autre  dans  un  sol 
marécageux;  celui-ci  sera  abrité,  celui-là  sera  battu  des  vents;  l’homme  lui-même  pourra 
faire  naître  volontairement  ces  circonstances  extérieures,  et  les  combiner  selon  ses  besoins. 
Le  Végétal,  soumis  à ces  diverses  influences,  finira  par  éprouver  des  changements  dans  ses 
qualités  sensibles,  telles  que  le  volume  du  la  racine,  les  dimensions,  la  consistance  et  la  durée 
de  sa  tige,  lus  nuances  ot  le  parfum  de  sa  fleur,  la  saveur  ut  les  dimensions  de  son  fruit,  etc. 
— Mais  eus  changements,  quelque  grands  qu’ils  puissent  être,  n'effaceront  pas  le  caractère 
primitif  de  l'espèce,  que  l'on  reconnaîtra  toujours  au  milieu  de  ses  modifications.  L'ensemble 
des  individus  d'une  même  espèce  qtû  ont  subi  une  modification  semblable,  porte  le  nom  de 
VARIÉTÉ. 

Les  caractères  d’une  Variété,  tenant  à des  causes  accidenlellcs,  no  sont  jamais  constants  : 
dès  que  la  cause  altérante  s’arrête,  l'altération  cesse,  et  l’espèce  primitive  reparaît  avec  son 
type  originel.  La  plupart  des  Variétés  sont  l'ouvrage  de  l'homme  : il  a observé  attentivement, 
il  a continué  avec  persévérance,  il  a même  exagéré  les  circonstances  accidentelles  qui  avaient 
donné  lieu  à une  modification  quelconque  dans  les  qualités  de  l'espèce;  et  la  plante  sauvage 


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PL . 5 . 


CLüanrafls. 


Ii*  p H a»  g .u  d -Maître 

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77 


PARTERRES  ET  CARRÉS, 
a reçu  entre  ses  mains  dos  porfeetiomieiueuts  prodigieux,  au  bénéfice  du  cultivateur.  « Sans 
la  culture,  dit  Linné,  le  doux  Raisin  serait  acide;  la  suave  Pomme,  acerbe;  la  délicieuse 
Poire,  austère;  la  succulente  Pèche,  aride;  la  grasse  et  lisse  Laitue,  maigre  et  épineuse;  la 
pulpeuse  Asperge,  fibreuse;  les  sapidcs  Cerises,  aigres;  les  Céréales  seraient  sans  fécule  ; les 
Légumes  et  les  Fruits  s'aviliraient.  » L’horticulteur  a changé  la  fleur  de  l'Églantier  en  Roses 
doubles  et  pleines  ; il  a rendu  vivaces  les  plantes  annuelles  ; il  a supprimé  les  pédoncules  à 
fleurs  du  Réséda,  et  la  tige  do  cette  plante  (qui  chez  nous  est  uno  herbe) , fortifiée  de  la  sève 
destinée  aux  fleurs,  est  devenue  un  arbrisseau,  comme  dans  sa  patrie  primitive.  Les  Ranksia, 
les  Casuarina,  les  Eucalyptus  de  Van-Diémen,  la  Bclte-de-Nuil  et  les  Dahlias  du  Pérou, 
fleurissent  dans  leur  hémisphère  pendant  l’été,  qui  coïncide  avec  l’hiver  du  nôtre;  apportés 
en  France,  ils  conservaient  les  mêmes  habitudes,  suivaient  les  mêmes  périodes  do  végétation, 
et  le  froid  les  faisait  périr;  le  jardinier  les  a cultivés  en  serres,  en  a obtenu  des  graines,  et  a 
semé  ces  graines  à une  époque  favorable;  la  plante,  forcée  d’entrer  en  sève  au  printemps,  a 
fleuri  pendant  l'été,  fructifié  en  automne,  et  s’est  naturalisée  dans  nos  jardins. 

La  variété,  une  fois  obtenue,  peut  se  reproduire  identique  par  boutures,  marcottes,  tuber- 
cules, drageons,  greffes,  etc.;  mais  la  graine  ne  conserve  pas  la  variété;  elle  tend  toujours  à 
reproduire  le  type  primitif  de  l'espèce,  il  y a cependant  des  plantes  dont  les  variétés  se  multi- 
plient par  graines,  pourvu  que  l'on  couscrve  les  conditions  do  culture  qui  ont  modifié  l’es- 
pèce; telles  sont  les  Céréales,  qui  forment  non  pas  des  variétés,  mais  des  races,  dont  le  type 
originel  est  perdu. 

Le  Chou  potager  va  vous  fournir  un  exemple  frappant  de  cette  perfectibilité,  ou,  si  l’on 
veut,  de  cette  propension  i dégénérer,  que  nous  venons  do  signaler  dans  l’espèce  végétale. 
Vous  avez  ici,  sous  les  yeux,  cinq  variétés  principales  du  Chou  potager  : 1°  la  variété  nom- 
mée Chou  sauvage  est  le  type  primitif  de  l'espèce  : la  racine  est  cylindrique  et  élevée  hors  de 
terre;  les  feuilles  sont  d’une  couleur  vert  do  mer,  les  inférieures  sont  très-larges,  pétiolées, 
presque  charnues  et  à bords  sinueux;  les  supérieures  sont  sossiles,  embrassent  lu  lige,  et 
leurs  bords  sont  très-entiers;  2°  la  variété  nommée  Chou  frisé  ou  Chou  de  Milan  a mie  tige 
cylindrique,  un  peu  allongée  ; les  feuilles  sont  presque  en  tête  dans  leur  jeunesse,  puis  éta- 
lées et  crispées  ; 3°  la  variété  nommée  Chou  cabus  ou  Chou  pommé  a une  tige  cylindrique, 
courte;  les  feuilles  sont  vertes  ou  rouges,  concaves,  non  frisées,  ramassées  en  tête  avant  la 
fleuraison;  4”  la  variété  nommée  Chou-Bave  a sa  tige  renlléo  et  globuleuse  h l’origine  des 
feuilles  ; 5"  la  variété  nommée  Chou-Fleur  a ses  pédoncules  ramassés  et  serrés  avant  l'époque 
de  la  fleuraison  ; la  sève  se  jette  sur  ces  pédoncules , et  les  transforme  en  une  masse  épaisse, 
charnue,  tendre,  mauielounée  ou  grenue  : c’est  en  cet  état  qu’on  sert  le  légume  sur  nos 
tables.  Si  on  laisse  vivre  la  plante,  cette  tige  informe  et  rabougrie  s'allonge,  se  divise  et  porto 
des  fleurs.  — Telles  sont  les  modifications  que  la  culture  fait  subir  au  Chou  potager,  et  qui 
altèrent  si  profondément  en  lui  la  physionomie  de  l'état  sauvage.  Elles  sont  dues  uniquement, 
comme  vous  le  voyez,  au  développement  exagéré  du  parenchyme,  qui  s’accumule  tantôt 
dans  les  feuilles  (Chou  cabus),  tantôt  au  bord  seulement  do  ces  feuilles  (Chou  frisé),  tantôt 
en  bas  de  la  tige  (Chou-Rave),  tantôt  enfin  dans  les  pédoncules  (Chou-Fleur). 


S IV. 

LES  PÉPINIÈRES  ET  BOSQLETS. 

Sortons  maintenant  du  Jardin  pour  visiter  la  Pépinière  centrale,  située  dans  les  terrains 
dépendants  du  Jardin  et  se  trouvant  au  delà  de  lu  rue  de  Buffon  (n°  100  du  plan).  C'est  là 
qu’on  élève  les  arbres,  arbrisseaux  et  arbustes  nécessaires  pour  garnir  les  différentes  parties 
du  Jardin.  On  y propage  toutes  les  espèces  intéressantes  qui  sont  nouvellement  introduites, 


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78 


DEUXIÈME  PARTIE, 
ou  qui  no  sont  pas  encore  répandues  dans  le  commerce,  et  l’on  en  donne  de  jeunes  pieds  aux 
correspondants  du  Muséum.  Je  vais  vous  indiquer  les  espèces  les  plus  remarquables. 

Voici  d'abord  le  Cognassier  de  la  Chine,  à grandes  et  belles  (leurs  roses,  et  A calice  non 
cotonneux.  On  le  greffe  sur  notre  Cognassier  de  France  ; il  a fleuri  au  Jardin  pour  la  pre- 
mière foison  181t.  Voici  une  Ronce  à fleur  double;  c'est  notre  Ronce  sauvago  que  l’horti- 
culteur a civilisée,  aux  dépens  de  sa  fructification.  Voici  IMcncin  tortueux  et  le  Myrica  de 
Pensylcanie;  il  y a une  espèce  do  ce  genre  (Myrica  cerifera),  dont  les  fruits  donnent,  par 
leur  ébullition  dans  l'eau,  uno  cire  avec  laquelle  on  fait  des  bougies  d’une  odeur  agréable.  Co 
joli  arbrisseau,  toujours  vert,  appartient  à la  famille  des  Jasminées  : c’est  le  Fontanesia 
phyllyreoides,  originaire  do  Syrie,  que  M.  de  la  Billardiére  a décrit  le  premier,  et  auquel  il  a 
donné  le  nom  du  professeur  Desfontaines.  Cet  Orme  pyramidal  n'est  autre  chose  qu’une 
variété  de  l’Orme  champêtre.  Voici  un  Aralia  épineux,  de  l’Amérique  septentrionale.  Voici  un 
joli  Marronnier  à fleurs  rouges.  Voici  le  Pêcher  d’Ispahan,  dont  Olivier  apporta  des  noyaux 
à son  retour  do  Perse,  en  1780;  ce  noyau  est  peu  ridé,  et  a l'aspect  de  celui  de  l'Amandier. 
l,e  Jujubier,  que  vous  avez  sous  les  yeux,  appartient  au  genre  des  1 \erpruns;  il  est  originaire 
de  Syrie,  ce  fut  Papirius  qui  le  transporta  en  Italie;  vous  connaissez  le  goût  On  de  ses  fruits, 
nommés  Jujubes.  Cet  Aune  à feuilles  découpées  est  une  variété  de  l'Aune  commun.  Voici 
V Aralia  du  Japon,  dont  la  feuille  est  énorme,  et  découpée  en  folioles  si  nombreuses,  qu’on 
croirait  voir  autant  de  feuilles  distinctes;  mais  vous  savez  que  la  fcuillo  abrite  un  bourgeon  à 
son  aisselle  : ici  les  folioles  n’eu  ont  pas,  et  c'est  seulement  à lu  base  du  pétiole  principal  que 
vous  voyez  le  bourgeon;  toutes  ces  folioles  forment  donc  une  feuille  unique. 

Nous  allons  visiter  les  succursales  de  la  Pépinière  en  rentrant  dans  le  Jardin  par  la  grando 
porte  de  la  rue  do  Buffon.  Nous  trouvons  d’abord  un  carré  clos  (n°  98  du  plan),  primitive- 
ment consacré  aux  arbres  qui  conservent  leur  verdure  toute  l’année  : do  là  son  nom  de  Bos- 
guet  d'hiver;  mais  les  arbres  verts  n’y  ont  pas  prospéré,  et  il  n’en  reste  qu’un  petit  nombre. 
Ce  carré  sert  maintenant  |>our  la  propagation,  par  boutures,  dos  arbres  et  des  arbustes,  t ous 
y pouvez  voir  le  Houx  des  Iles  Baléares  ( Houx  de  Mahon ) greffé  sur  le  Houx  de  notre  pays, 
et  le  Pin  de  Caramanie,  variété  du  Laricio,  dout  les  pousses  sont  jaunes  à leur  extré- 
mité. 

Le  carré  clos,  qui  fait  suite  A celui  d'où  nous  sortons,  contenait  d’abord  exclusivement 
uue  collection  dos  arbres  dont  les  feuilles  et  les  fruits  se  colorent  pendant  l'automne  ; de  là 
son  nom  de  Rosguel  d'automne  ; on  y trouvait  autrefois  des  Aliziers,  des  Néfliers,  des  Sor- 
biers , des  Poiriers , etc.  ; maintenant  c’est  une  école  des  arbres  à fruits  à noyau , tels  que 
Pruniers,  Cerisiers  et  Abricotiers  (n"  99  du  plan).  Là  nous  voyons  le  Frêne  d'Amérique  ou 
Frêne  blanc,  le  Plagueminier  de  Virginie  ( Diosphyros  Virginiana),  le  Bouleau  noir  d' Amé- 
rique ( Detula  papy  ri  fera) , que  l'on  a greffé  sur  le  Bouleau  de  France  ; son  écorce  se  détache 
par  larges  plaques  dont  les  sauvages  font  des  canots.  Voici  le  Tilleul  argenté,  greffé  sur  le 
Tilleul  d'Europe,  et  le  Cincko  A feuilles  bilobécs,  le  plus  beau  des  individus  cultivés  dans  le 
Jardin;  c’est  un  arbre  du  Japon,  appartenant  à la  famille  des  Conifères;  son  feuillago  singu- 
lier ne  vous  l’aurait  pas  fait  soupçonner,  mais  son  fruit  est  tout  à fait  analogue  à celui  de 
l’If;  il  est  gros  comme  uue  Pomme,  et  contient  une  amande  qu'on  sert  sur  les  tables;  il  fut 
introduit  en  Angleterre,  au  milieu  du  siècle  dernier,  cl,  peu  après,  M.  Petiguy  l'apporta  eu 
France. 

Nous  arrivons  maintenant  dans  un  bosquet  sans  déluré,  qui  formait  autrefois  le  Bosquet 
d’été  (n°  1 00  du  plan)  et  le  Bosquet  de  printemps  (n*  101  du  plan);  vous  y remarquerez  le 
Frêne  d feuilles  simples  ( Fraxinus  monophylla);  diverses  espèces  de  Celtis  ou  Micocoulier  ; 
le  Chicot  (Gymnocludus  canadensis);  cet  arbre,  de  la  famille  des  Légumineuses,  porte  des 
feuilles  divisées  eu  folioles  nombreuses;  ces  feuilles  ont  jusqu'à  trois  pieds  de  longueur;  en 
hiver,  lorsqu'elles  sont  tombées,  les  branches,  qui  sont  on  petit  nombre,  donnent  à l’arbre 
l'aspect  d’un  arbre  mort  : de  là  son  nom  de  Chicot.  Nous  y trouvons  aussi  un  très-beau  Aeyer 


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PÉPINIÈRES  ET  ROSQl  ETS.  *9 

noir  de  Virginie,  dont  le  bois,  d'un  violet  foncé,  noircit  avec  l'âge,  op  travaille  pas , n'est 
jamais  attaqué  par  les  vers,  et  donne  de  très-beaux  meubles;  on  pourrait  le  greffer  sur  le 
Noyer  commun,  il  pousse  plus  vite  que  ce  dernier,  et  son  bois  est  supérieur.  Voici  le  Férier 
d trois  épines  ( Glediteia  triacantlios) , arbre  nu  feuillage  fin  et  au  port  élégant.  Tous  ces  Vé- 
gétaux sont  exotiques,  et,  pour  la  plupart,  originaires  de  l'Amérique  septentrionale. 

Remarquer  sur  leur  tronc,  du  cèle  qui  regarde  le  midi,  la  trace  du  terrible  hiver  de  1789; 
ce  fut  l’action  du  soleil,  succédant  brusquement  à celle  du  froid,  qui  endommagea  le  tissu  de 
la  tige. 

Le  Bosquet  du  printemps  avait  autrefois  une  étendue  double  : quand  on  construisit  le  pont 
d’Austerlitz,  on  en  retrancha  une  partie  pour  agrandir  le  quai;  les  arbres  qu'on  enleva  furent 
transportés  do  l'autre  côté  du  Jardin,  à la  suite  do  V École  de  culture;  ce  Bosquet,  défendu  de 
la  poussière  par  un  rideau  de  Thuyas, est  presque  complètement  détruit;  nous  n'y  trouverons 
plus  que  le  Poirier  à feuille  de  Saule,  le  Pommier  d baie,  le  Néflier  à feuille  de  Prunier  et 
le  Cornouiller  mûle. 


S V. 

JARDIN  DES  SEMIS.  — JARDIN  DE  NATURALISATION. 

Remontons  maintenant  l'allée  des  Marronniers;  après  avoir  longé  la  limite  méridionale  de 
la  Vallée  Suisse  el  les  fosses  des  Ours,  nous  arrivons  vis-à-vis  de  deux  jardins  enfoncés  d’en- 
viron dix  pieds  au-dessous  du  sol;  ce  sont  : 1°  le  Jardin  de  Naturalisation  ; 2°  le  Jardin  des 
Semis  (n°  89  du  plan).  Commençons  par  ce  dernier. 

Le  jardin  des  Semis,  destiné  à entretenir  et  augmenter  les  richesses  végétales  du  Muséum, 
n’existe  que  depuis  1786;  Ruffon  en  confia  l'ordonnance  à André  Thouin,  jardinier  en  chef. 
Dans  cet  endos,  abrité  par  sa  position  contre  les  vents  et  le  soleil,  on  sème,  on  fait  lever,  ou 
conduit  jusqu’à  l’époquo  de  la  transplantation,  les  Végétaux  de  tous  les  climats.  La  porto 
d’entrée  est  au  bout  de  la  terrasse  de  deux  cents  pieds  de  long,  qui  occupe  le  devant  de  la 
serre  tempérée.  Pendant  la  belle  saison,  cette  terrasse  est  garnie  des  arbres  et  arbrisseaux 
qui  ont  passé  l’hiver  dans  la  serre  : vous  pouvez,  de  l'allée  des  Marronniers,  jouir  du  coup 
d'œil  magnifique  de  cette  exposition. 

Dans  ce  jardin  garni  do  châssis  et  de  couches,  les  plantes  sont  distribuées  d'après  la  nature 
du  climat  qui  leur  convient  : les  unes  sont  constamment  protégées  par  des  châssis,  et  trou- 
vent, dans  des  couches  chaudes,  la  température  de  leur  patrie;  ce  sont  les  plantes  tropicales. 
Les  autres , qui  appartiennent  à des  régions  tempérées , sont  abritées 
également  contre  les  vents  du  nord  et  les  ardeurs  du  soleil.  D'autres , 
enfin,  sont  placées  de  manière  à ne  recevoir  que  quelques  rayons  le  matin 
et  le  soir  : ce  sont  les  Végétaux  des  régions  polaires  et  des  montagnes 
couvertes  de  neiges  éternelles.  Vous  verrez  parmi  ces  plantes  de  jolies 
Fougères  du  nord,  des  Daplmés,  des  Gentianes,  des  Géraniums  alpins, 
la  Violette  d fleur  jaune,  les  Androsaces,  les  Primevères  et  Saxifrages  des 
Pyrénées,  la  Soldanelle  des  Alpes,  V Absinthe  des  Glaciers,  les  Renoncules, 
les  Saules  nains,  etc. 

La  plate-bande  adossée  à l’allée  des  Marronniers  est  partagée  dans  son 
milieu  par  un  passage  souterrain  et  voûté,  qui  conduit  à l’École  de  botanique. 

Le  jardin  de  Naturalisation  est  à l’est  de  celui  que  nous  venons  de  visiter  ; il  en  est  séparé 
par  une  plantation  de  hauts  Thuyas,  et  un  mur  de  clôture,  au  milieu  duquel  est  la  porte 
d'entrée  : sa  largeur  est  d'abord  la  même  que  celle  du  jardin  dns  Semis,  mais  il  se  rétrécit  en 


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80 


DEUXIÈME  PARTIE. 

allant  vers  l’est,  ce  qui  rend  sa  forme  irrégulière.  La  face  qui  se  présente  au  levant  est  des- 
tinée à recevoir  pendant  l’été  la  plupart  des  arbres  et  arbustes  de  la  Nouvelle-Hollande,  qui 
ont  passé  l’hiver  dons  la  serre  tempérée  : ce  sont  les  Melrosideros,  Embolhrium , Melaleuca, 
Eucalyptus,  etc.  Le  long  des  murs  qui  entourent  le  jardin  des  trois  autres  côtés,  on  voit,  au 
midi,  des  Pistachiers,  des  Jujubiers,  des  Grenadiers,  des  Câpriers,  etc.  Au  nord,  des  arbris- 
seaux et  des  plantes  vivaces  des  pays  froids,  tels  que  des  Spirëes  de  Sibérie,  des  Orchidées , 
des  Fougères,  etc.  Ce  jardin  est  coupé  transversalement  par  doux  allées  de  Thuyas,  qui  sont 
rapprochés  les  uns  des  autres,  et  sous  lesquels  on  élève  eu  pots  les  plantes  qui  croissent  dans 
les  forêts  les  plus  épaisses,  et  ont  besoin  d’être  cultivées  à l’ombre.  Le  reste  du  jardin  est 
divisé  en  plates-bandes  destinées  à la  culture  des  plantes  vivaces  de  pleine  terre  les  plus 
intéressantes  et  les  plus  rares. 


S VI. 

LES  ALLÉES  ET  LES  COLLINES. 

Nous  n'avons  vu  jusqu’ici  que  les  Carrés  considérés  isolément  : il  faut  maintenant  les 
examiner  dans  leur  ensemble  avec  les  diverses  allées  qui  les  séparent.  Nous  terminerons 
cette  revue  générale  par  une  promenade  sur  les  deux  collines  situées  au  nord-ouest  du 
Jardin. 

Prenons  pour  point  île  départ  ta  cour  du  Cabinet  d’histoire  naturelle;  devant  cette  cour 
s’étendent,  jusqu’au  quai,  deux  magnifiques  allées  de  Tilleuls,  plantées  par  Buffon  en  1740. 
— Passons  à l’angle  sud  do  la  cour,  et 
entrons  dans  l’allée  qui  borde  la  lisière 
méridionale  du  Jardin;  suivons- la  dans 
toute  sa  longueur  : nous  avons  à notre 
gauche  le  Parterre  Chaptal , à notre  droite, 
les  galeries  de  Botanique  et  de  Minéra- 
logie ; devant  les  galeries  sont  quelques 
arbres  plantés  jadis  par  Toumefort  et  Ber- 
nard de  Jussieu  : voici  d’abord  un  Sophora 
du  Japon,  le  premier  qui  ait  été  cultivé  en  Europe;  ce  fut  le  P.  d’hiearville  qui  eu  envoya  des 
racines  en  1747  à Bernard  de  Jussieu;  il  fleurit  pour  la  première  fois  en  1779;  jusqu’alors 
on  l’avait  nommé  l'arbre  inconnu  des  Chinois  (arbor  incognito  Sinarum)  : sa  fleur  fit  voir 
qu’il  appartenait  à la  famille  des  Légumineuses;  c’est  un  arbre  dont  le  bois  est  très-dur,  et 
qui  pousse  avec  beaucoup  de  vigueur  dans  les  terrains  pierreux  ; un  Genévrier  élevé 
perus  cjrcelsa) , qui  a quarante  pieds  de  haut,  et  seize  pieds  jusqu’à  la  naissance  des  bran- 
ches; il  fut  apporté  du  Levant  par  Toumefort;  c’est  presque  le  seul  qui  existe  en  France  ; 
nous  n’avons  que  l’individu  à étamines;  le  Chêne  Yeuse  (Qucrcus  /lex),  le  Micocoulier  d'Amé- 
rique ( Celtis  occidenlalis ),  grand  arbre  de  la  famille  des  Amen  lacées,  dont  le  bois  est  dur  et 
propre  à faire  des  meubles;  eufin  le  premier  Acacia  venu  de  l’Amérique  septentrionale,  que 
Vespasien  Robin,  qui  en  était  possesseur,  planta,  quand  il  fut  nommé  sous-démonstrateur  de 
botanique,  lors  de  la  fondation  du  Jardin,  en  163’».  De  lui  sont  venues  les  graines  qui  ont 
servi  à naturaliser  en  France  l’un  des  arbres  les  plus  élégants  et  les  plus  utiles  «le  notre  pa- 
trie; c’est  en  mémoire  de  ce  service,  rendu  par  Kobin,  que  Linné  a donné  au  genre  le  nom 
de  Bobinin  ; le  nom  d’espèce  de  celui-ci  est  Pseudo-Acacia  (car  ce  n’est  pas  l’Acacia  véri- 
table). Ce  palriarehe  du  Jardin  a subi  l’injure  des  temps.  Il  avait  autrefois  plus  de  soixante 
pieds  d’élévation,  mais  les  branches  supérieures  s'élant  successivement  desséchées,  on  a été 
obligé  de  le  receper  pour  le  faire  repousser  du  tronc. 


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81 


ALLÉES  HT  COLLINES. 

Nous  sommes  à la  limite  «lu  Parterre  Chu  pial  ; nous  avons  à droite  le  petit  pavillon-café, 
«tue  le  vieux  B obi  nia  protège  de  ses  rameaux  vénérables;  à notre  gauche  s'étend  une  allée 
qui  sépare  d’abord  le  Parterre  Chaptal  «lu  Carré  Fleuriste.  Cette  allée  est  ornée,  dans  la  belle 
saison,  par  des  arbres  en  caisse  qu’on  a retirés  de  la  serre  tempérée.  En  longeant  le  Carré 
Fleuriste,  h gauche,  nous  longeons  à droite  le  Carré  des  Semis  de  pépinière  (n°  97  du  plan). 
Nous  arrivons  ainsi  vis-à-vis  de  la  porte  qui  ouvre  le  Jardin  sur  la  rue  de  Buffon  : à droite 
est  l’allée  dite  des  Tulipiers  ; il  n’y  en  a plus  qu’un;  les  autres  sont  morts,  et  on  les  a rem- 
placés par  des  Noyers  d’Amérique  {le  Noyer-Olivier  et  le  Noyer  cendré );  à gauche  est  une 
allée  séparant  le  Fleuriste  du  Carré  Creux;  cette  allée  est  garnie  de  deux  rangées  d’arbres;  la 
ligne  adossée  au  Fleuriste  se  compose  de  Néfliers  à feuilles  étroites  (Mcspilus  lin  caris) , dont 
les  branches  horizontales  sont  d’un  effet  pittoresque.  La  ligne  a«lossée  au  Carré  Creux  est 
formée  par  le  Kœlreuteria  paniculata,  jolie  espèce  d’arbre,  originaire  de  la  Chine,  qui  a été 
introduite  en  France  en  1789. 

Après  avoir  «loublé  le  Carré  Creux  et  1«‘  Bosquet  d' Hiver,  nous  arrivons  entre  «leux  allées 
latérales,  dont  l’une,  à gauche,  est  garnie  de  deux  rangées  d 'Acacias  parasols;  cet  arbre  n’est 
autre  chose  qu'une  variété  sans  épines  du  Bobinia  Pseudo- Acacia,  dout  nous  parlions  tout  à 
l’heure:  le  feuillage  s’est  développé  aux  dépens  des  fleurs;  l'allée  de  droite  porte  encore  le 
nom  «l 'Allée des  Mélèzes,  mais  les  Mélèzes  n’y  ont  pas  réussi.  Vous  voyez  à leur  place  diverses 
espèces  d’arbres  : ce  sont  le  Noyer  noir,  que  vous  avez  déjà  vu  ; Y Erable  sucré,  dont  la  sève 
fournit  un  sucre  abondant  aux  habitants  du  Canada;  YUlmus  americana,  le  Févier  d longues 
épines  ( Gleditzia  macracanlha) , arbre  exotique  très-élégant,  comme  toutes  les  espèces  du 
mémo  genre,  et  VAllouchier  (Cratægus  aria),  qui  appartient  à la  Flore  française.  Remarquez, 
au  nord  du  Bos«|uet  d’Automne,  ce  beau  Planera  crenala,  genre  voisin  des  Ormes,  et  un  lw?l 
individu  do  Gincko  bilobé. 

Après  avoir  passé  le  Carré  des  plantes  usuelles  et  potagères  (i»°  9.»  du  plan),  «l’une  part,  et 
le  Bosquet  d’Automne,  de  l’autre,  nous  trouvons  à droite  Y Allée  des  Erables  : elle  est  formée 
par  Y Erable  à fruits  cotonneux  (Acer  Eriocarpon);  h gauche,  l’allée  qui  sépare  le  Carré  dos 
plantes  usuelles  et  potagères  «les  Parterres  Médicinaux,  et  qui  n’est  pas  garnie  d’arbres.  Nous 
continuons  notre  marche  jusqu’à  l’extrémité  «le  l’Avenuo  des  Tilkuls,  et  nous  arrivons  à 
l’Allée  des  Allantes,  qui  sépare  à droite  le  Bosquet  d'Été  («°  100  du  plan)  du  Bosquet  de  Prin- 
temps («°  101  du  plan).  Les  graines  de  co  bel  arbre  furent  envoyées  «le  la  Chine  par  le  P. 
d’Incarville,  en  1751.  Desfoutaines,  l’ayant  vu  fructifier  pour  la  première  fois  chez  Lemon- 
nier,  à Versailles,  le  reconnut  pour  un  nouveau  genre  de  la  famille  des  Térébinthcs  ; il  lui 
donna  le‘  nom  <Y Atlante,  qu’il  porte  à Amboinc,  et  qui  signifie  Arbre  du  Ciel ; on  l’avait  d’a- 
bord désigné  sous  le  nnin  de  Fera/#  du  Japon,  parce  qu’on  avait  cru  à tort  que  les  Japonais 
en  tiraient  leur  beau  vernis. 

Nous  voilà  à la  fin  de  la  grand»?  Allée  des  Tilleuls  : vous  avez  pu  remarquer  qu’à  partir  do 
la  porte  qui  ouvre  sur  la  rue  de  Buffon,  les  Tilleuls  sont  moins  élevés;  cette  différence  vient 
de  co  qu’ils  sont  do  quarante-trois  ans  plus  jeunes  que  les  préc«îdents. 

Passons  maintenant  entre  les  Parterres  Médicinaux  et  la  porte  d’entrée  qui  donne  sur  le 
quai;  laissons  à notre  gauche  la  gran«le  Allée  des  Tilleuls,  parallèle  à celle  que  nous  venons 
do  quitter,  et  entrons  dans  Y Allée  de  Marronniers.  Cette  allée  fut  planti'e  par  Buffon,  lors<]u’il 
eut  fait  l’acquisition,  en  1782,  des  terrains  appartenant  aux  religieux  de  l’abbaye  de  Saint- 
Victor.  Le  Marronnier  d’Inde  n’est  venu  en  Europe  que  dans  le  dix-septième  siècle  : il  arriva 
du  nord  de  l’Asie  à Constantinople,  d'oh  il  passa  à Vienne,  puis  en  1665,  à Paris,  oü  l’on 
n’en  poss«?da  longtemps  «iuo  trois  individus,  l’un  à l’hôtel  de  Soubise,  le  second  au  Luxem- 
bourg, le  troisième  au  Jardin  «lu  Roi. 

Cet  arbre,  dont  les  bourgeons  sont  entourés  d’écailles  laineuses,  qui  h*s  proh'gont  contre 
les  rigueurs  de  l’hiver,  se  naturalisa  rapidement  dans  toute  l’Europe,  et  il  forme  aujourd'hui, 
par  la  hauteur  de  sa  taille,  la  disposition  élégante  de  son  feuillage,  la  symétrie  et  la  richesse 

il 


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82 


DElXlfcME  PARTIE. 

«les  thyrsos  «le  ses  fleurs,  le  plus  bel  omomeni  de  nos  jardins  publics.  Parcourons  cette  ma- 
gnifique avenue,  qui  se  prolonge  entre  la  Vallée  Suisse  et  les  Carrés  que  vous  connaissez. 
Nous  trouvons  d’abord  à gauche  l’Allée  des  Arbres  de  Judée , qui  offre  un  aspect  délicieux  au 
commencement  du  printemps,  lorsque  les  feuilles  ne  sont  pas  encore  développées  et  que 
toutes  les  branches  sont  couvertes  d’une  innombrable  quantité  de  fleurs  roses;  l’Arbre  de 
Judée,  ou  Gatnier  ( Ccrcis  siliquastnnn ),  appartient  h la  famille  des  Légumineuses.  Après 
avoir  passé  le  Carré  des  plaides  aquatiques  (n°  102  du  plan) , le  premier  carré  «le  Y École  de 
botanique  (n*  90  du  plan) , nous  arrivons  à une  allée  latérale  garnie  de  Yirgilias,  dont  les 
bourgeons  offrent  un  caractère  singulier  : ils  sont  placés,  non  pas  à l'aisselle  de  la  feuille, 
mais  dans  l’intérieur  mémo  du  pétiole,  «jui  les  coiffe  pendant  tout  l’été,  et  les  laisse  à nu 
après  sa  chute.  — Enfin  nous  long«»ons  le  second  carré  «le  Y École  de  botanique  (n°  90  du 
plan  ) , nous  laissons  à droite  les  fosses  des  Ours  (»•  30  du  plan)  et  le  jardin  des  Semis 
(w°  89  du  plan)  et  nous  arrivons  à l’extrémité  «le  l’Allée  des  .Marronniers,  «jui  se  termine  au 
pied  des  collines  nommées  vulgairement  les  Buttes  (n°  88  du  plan). 

Avant  do  gravir  leurs  pentes  douces,  détournons  à droite,  et  entrons  dans  ce  grand  rond 
ou  ovale,  qui  forme  un  beau  tapis  «le  verdure  entre  l'Amphithéâtre  «*t  la  Petite  Butte.  On  y 

transporte , pendant  la  belle  saison , les 
plus  beaux  arbres  en  caisse  de  la  grande 
serre  tempérée  ; mais  nous  y trouverons 
aussi , en  pleine  terri* , plusieurs  plantes 
très-intéressantes.  Commençons  par  ces 
dernières  : nous  avons  à droite  l’Amphi- 
théélre,  à gauche  la  Petite  Butte;  le  long 
«lu  treillage  s’étend  un  massif  de  terre  do 
bruyère,  qui  va  nous  offrir  do  charmants 
arbustes.  Ce  sont  des  Azaléas,  sous-ar- 
hrisseaux  dont  les  fleurs  sont  solitaires,  à 
l’aisselle  do  feuilles  alternes  ; diverses  es- 
pèces de  Bhododendron,  Y Airelle  agréable 
( Yaccinium  amœnum  ) ; Y Andromède  A 
feuille  de  Cassine  ( Andromeda  Cassine  - 
folia)  y Y Andromède  axillaire  (Andromeda  axiflaris ),  le  Clethra  à feuille  d'Aunc  ( Clethra 
A lui  folia)  y dont  les  fleurs  blanches  sont  «lispos«'*es  en  épi;  le  Clethra  acuminé  (Clethra  acumi - 
nota)  y la  Kalmie  à larges  feuilles,  arbrisseau  de  six  pieds,  «lont  les  fleurs  forment  des  grappes 
d’un  rose  pâle,  etc.;  toutes  ces  plantes  sont  des  Bruyères,  dont  la  plupart  viennent  de  l’ Amé- 
rique septentrionale;  les  Alczia  diptera  et  tetraptera , qui  appartiennent  à la  famille  des 
tëbénactîos,  et  dont  la  première  est  «l’une  extrême  rareté;  lo  Céphalanthe  occidental,  Rubiac«*e 
du  Canada;  lo  Céanothc  occidental,  «le  la  famille  des  Nerpruns;  le  Ca/yranthe  précoce,  ar- 
brisseau du  Japon,  voisin  «les  Rosacées,  à feuilles  opposées,  sans  stipules,  à fleurs  odorantes 
«jui  s’épanouissent  en  hiver;  lo  ISé/lier  Yulang  et  les  Magnolia  Thompsoniana  et  cordata , 
arbrisseaux  dont  le  calice  est  h trois  folioles , la  corolle  à neuf  pétales , les  étamines  et  les 
ovaires  nombreux. 

Tournons  à gauche,  entre  lo  massif  et  le  treillage,  nous  verrons  Yltéa  de  Virginie,  saxifrage 
étègante  de  l’AnuTique  bor«'*ale,  dont  les  fleurs  sont  petites,  blanches  et  disposées  en  grappes 
«jui  terminent  la  tige;  le  Fothergilla  à feuille  d'Aunc,  dont  les  étamines  sont  nombreuses  et 
les  feuilles  alternes  : sa  famille  est  inconnue;  la  Glycine  de  Chine,  Légumineusc  «jui  grimpe 
le  long  d’un  Sapin  picea  ; le  Comptonia  d feuilles  de  Capillaire,  arbrisseau  do  la  famille  des 
Amentacces,  dont  les  feuilles  sont  profomlément  crénelées  et  velues  en  «lessous;  le  Magnolia 
grandi /tara  ou  Laurier-Tulipier,  arbre  magnifique  de  l’Amérique  boréale,  qui  s’élève  souvent 
à une  hauteur  «le  quatre-vingts  pieds. 


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ALLEES  ET  COLLINES. 


83 


Sur  ces  ruines  artificielles , vous 
voyez  le  Bignonia  grimpant , que 
vous  connaissez  déjà , et  la  /tuner 
remarquable  ( Itubus  spectabi/is  ) ; 
enfin , vers  l'extrémité  du  rocher , 
en  nous  rapprochant  du  point  de 
départ,  nous  trouverons  des  touffes 
d 'Alysson  deltoïde,  petite  Crucifère 
à fleurs  bleues,  de  Saxifrage  Jou- 
barbe , et  de  Sedum  ù feuilles  oppo- 
sées. 

Les  arbres  en  caisse  qu’on  a trans- 
portés dans  le  Grand  Bond , pour  y 
passer  le  temps  de  la  belle  saison , 
sont  : Y Araucaria  du  Brésil,  Y Arau- 
caria de  Cunningham , Y Araucaria 
des  tics  Norfolk  (Araucaria  exctlta)  , 

Conifères  d'une  admirable  élégance, 
à rameaux  groujiés  circulaircmcut , 
et  formant  dans  leur  patrie  d'im- 
menses forêts;  le  Dragonnier  aus- 
tral, Liliacée  qui  a le  port  des 
Palmiers,  et  dont  la  lige  simple, 
souvent  énorme,  ost  couronnée  par 
une  touffe  do  feuilles,  d’où  sortent 
des  grappes  de  fleurs;  un  Eucalyp- 
tus, arbre  de  la  famille  des  Myrtes, 
venu  de  la  Nouvelle-Hollande,  et  dont  les  feuilles  coriaces,  entières,  sont  marquées  do  points 
transparents;  des  Banksia,  venus  aussi  de  l’Australasie,  et  dont  les  feuilles  sont  persistantes; 
des  Casuarina  ou  Filao,  qui  ont  le  port  d’une  Prèle  arborescente,  et  dont  les  rameaux  pen- 
dants, grêles  et  cannelés,  offrent  de  petites  gatnes,  terminées  par  des  dents  analogues  à des 
feuilles;  Y Olivier  fer  de  lance,  de  l'Ile  Bourbon;  le  Citronnier  à feuilles  de  Myrte,  lo  premier 
individu  qu’on  uil  cultivé  en  France;  le  Sterctdia  à feuilles  de  Platane,  Malvacée  des  Indes; 
lo  Thuya  articulé  ou  Ca/litris,  qui  fournit  la  résine  nommée  Sandaraque  ; Y Acacia  Julibnzin, 
nommé  vulgairement  Arbre  de  soie,  à cause  de  la  finesse  de  ses  folioles,  etc.,  etc. 

Sortons  maintenant  du  Grand  Rond,  et  passons  devant  la  limite  do  la  Vallée  suisse,  qui 
fait  suite  à l’entrée  de  la  serro  tempérée.  Si  nous  voulions  parcourir  les  allées  de  la  V'alléo 
suisse,  nous  y trouverions  do  beaux  individus  do  tous  les  arbres  qui  peuvent  passer  l’hiver  en 
pleine  terre;  mais,  comrno  vous  les  avez  déjà  observés  dans  les  carrés,  nous  nous  contente- 
rons de  remarquer  ceux  qui  font  suite  à la  façado  de  l’Orangerie.  Voici  d’abord  un  Sophora 
du  Japon,  un  Érable  à feuilles  de  Frêne  (Acer  negundo) , un  Bobinia  visqueux  ou  Acacia  à 
fleurs  roses,  un  beau  Marier  d papier  ( Broussonetia  papyrifera)  d’Othaïti,  un  Sycomore  ( Acer 
Pseudoplatanus) , un  Coudrier  de  Byzance  (Corylus  colurna) , dont  la  noisette  est  garnie  do 
deux  enveloppes  do  bractées:  l’extérieure  très-découpée,  et  l’intérieure  à trois  divisions. 

Remarquez,  en  passant  devant  l’Amphithéâtre,  ces  deux  beaux  Palmiers  d éventail  (Cha- 
mœrops  humilie).  En  Sicile  et  en  Espagne,  on  n’en  rencontre  jamais  qui  soient  aussi  élevés. 
Ils  furent  envoyés,  il  y a cent  cinquante  ans,  à Louis  XIV  par  le  margrave  de  Bado-Rourlach  ; 
ils  avaient  alors  douze  pieds  de  tige.  Je  vous  ai  expliqué  l'accroissement  des  Palmiers;  il  a 
lieu  par  lo  sommet , et  non  par  des  bourgeons  latéraux  ; il  ne  se  forme  pas  de  nouvelles  cou- 
chos  sur  le  tronc,  et  il  pousse,  chaque  année,  de  nouvelles  feuilles,  tandis  que  les  plus 


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DEUXIÈME  l'ARTIE. 

ancieuuos  tombent  ; le  nombre  d'anneaux  <|ui  se  voient  sur  la  tige  indique  son  âge  , comme 
les  zones  concentriques  du  bois  indiquent  celui  des  arbres  dicotylédones.  Observez  que,  dans 
ces  doux  Palmiers,  la  base  su  soulève  de  mémo  que  le  sommet,  de  sorte  que  l'impression  du 
premier  anneau  de  feuilles,  qui  était  primitivement  au  niveau  de  lu  terre,  en  est  aujourd'hui 
à plus  de  deux  pieds;  cela  vient  do  en  quo  lo  pivot  de  la  racine,  étant  repoussé  hors  do  lerro 
par  les  racines  inférieures  qui  ne  pouvaient  s’eufoncer  ou  delà  du  fond  de  la  caisse,  a monté, 
faute  do  pouvoir  descendre. 

Nous  allons  maintenant  purcourir  les  doux  collines  ou  bulles,  que  l’on  nomme  aussi 
Labyrinthes,  à cause  des  sinuosités  do  leurs  sentiers.  Ces  labyrinthes  nous  offrent  beaucoup 
d'intérêt  à cause  île  la  riche  collection  d'arbres  et  d'arbrisseaux  toujours  verts,  quo  l’on  y 
cultive  : nous  y trouvons  environ  trente  espèces  de  Conifères,  quinze  d’Ameulacées,  et  cin- 
quante de  familles  diverses. 

Commençons  par  la  (inutile  Bulle , 
nommée  communément  le  Labyrinthe , 
et,  pour  ne  pas  nous  y égarer,  attachons 
notre  lt!  au  Cèdre  du  Liban.  Cet  arbre 
magniliquc,  dont  vous  connaissez  l'his- 
toire, est  au  centre  d'un  carrefour  d’où 
partent  quatre  allées:  l'une  monte,  vers 
l’ouest , jusqu'à  l 'allée  des  Ifs  ; la  seconde 
monte  vers  le  sud , et  conduit  au  Coli- 
maçon ; la  troisième  descend  au  snd-est , 
et  conduit  à la  rampe  des  deux  grondes 
serres  ou  pavillons ; la  quatrième  descend, 
nu  nord,  jusqu’à  l'allée  qui  conduit  à la 
porte  ouvrant  sur  la  place  de  la  Pitié. 

En  vous  acheminant  vers  le  grand  Cèdre, 
qui  sera  notre  point  de  départ,  vous  avez 
vu  les  espèces  d’arbres  que  nous  rencon- 
trerons le  plus  fréquemment  dans  notre 
promenade.  Je  vais  vous  les  mentionner 
ici  une  fois  pour  toutes , ce  sont  : le  JVer- 
prun  toujours  vert  ( lihainnus  semper 
virent),  arbrisseau  peu  brillant  pur  lui-même,  mais  qui  tient  bien  sa  place  dans  l’ensemble 
d’un  paysage  d'arbres  verts;  l 'Alisier  lisse  ( Cratreyus  glabra).  Rosacée  qui  a des  feuilles 
larges , luisantes , et  d’un  vert  gai  ; le  Thuya  de  la  Chine  ( Thuya  orientait s ) , nommé  aussi 
Arbre  de  lie,  élégante  Conifère  dont  les  rameaux  dressés  sont  menus,  un  peu  aplatis,  et 
chargés  de  feuilles  très-petites,  qui  sp  recouvrent  comme  les  tuiles  d’un  toit;  17/ commun 
{Taxas  baccata),  dont  vous  avez  étudié  le  fruit,  analogue  à une  baie;  les  deux  Cyprès  horizon- 
tal et  pyramidal;  le  Tamaris , dont  l’écorce  rougeâtre,  les  rameaux  déliés,  les  feuilles  courtes 
et  menues  forment  uu  contraste  harmonieux  avec  la  verdure  sombre  des  Ifs  et  des  Cyprès;  le 
Buis  commun  (Bujus  semper  vire  ns),  arbre  de  la  famille  des  Euphorbiacées  ; le  Sapin  épicéa 
( Abies  cxcclsa),  h feuillus  courtes,  carrées,  pointues,  d'un  vert  foncé,  éparses  en  tous  sens 
autour  des  branches  : ce  qui  le  distingue  du  Sapin  ordinaire  ( Abics  peclinata) , i\ ui  a ses 
feuilles  plates,  blanches  en  dessous,  et  disposées  sur  deux  rangées  le  long  des  rameaux;  lo 
Pin  sylvestre  ( Pians  sylvesltis  ) , dont  les  jeunes  pousses  sont  verdâtres , les  fouilles  d'un  vert 
un  peu  bleuâtre,  et  de  deux  pouces  de  longueur;  le  Pin  d' Écosse  ( Pians  ruina);  dont  les 
pousses  et  le  bois  sont  rouges,  et  les  feuilles  plus  courtes  et  plus  glauques  quo  colles  du  pré- 
cédent; le  Pin  maritime  {Pians  maritime) , qui  a dos  feuilles  d'un  vert  foncé,  droites  et 
longues,  de  six  à dix  pouces;  le  Pin  de  Corse  ( Pinus  Laricio),  dont  les  feuilles  sont  aussi 


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ALLÉ US  KT  C0LLINK8.  «5 

longues  que  celles  du  procèdent,  mais  un  peu  chiffonnées.  Dans  tous  cos  Pins,  les  feuilles 
naissent  deux  à deux. 

Partons  donc  do  notre  Cèdre  du  Liban,  et  prenons  l’allée  qui  monte,  à l'ouest , vers  celle 

des  Ifs;  outre  plusieurs  des  arbres  que  jo 
viens  de  vous  citer,  et  sur  lesquels  je  uo 
reviendrai  plus,  nous  trouvons,  à gauche, 
le  Thuya  d’Amérique  ( Thuya  occidental  is) , 
dont  les  ramouux  sont  étalés , et  dont  les 
feuilles  , froissées  entre  les  doigts  , ont 
l’odeur  do  la  Thériaque,  médicament  cé- 
lèbre, inventé  par  Mithridate,  et  composé 
de  plus  de  cent  substances  différentes  ; 
un  petit  groupe  do  jeunes  Pins  cembro, 
dont  les  fouilles , disposées  par  cinq , sont 
d’un  vert  glauque  ; À droite , lo  héflier 
buisson  ardent  ( Mespiluspyracantha ) , dont 
les  fruits  nombreux,  et  d’un  rouge  écarlate, 
font  souvent  paraître  cet  arbrisseau  comme 
en  feu;  le  Chèvrefeuille  à baies  blanches 
( Symphoricarpos  leucocarpa  );  \o‘ Sapin 
baumier  ( Abies  balsamea) , arbre  de  l’Amé- 
rique boréale,  qui  a lo  port  et  les  feuilles 
de  notro  Sapin  commun,  et  fournit  uno 
Térébentbinu  nommée  Baume  du  Canada, 
Nous  voilà  au  milieu  de  l 'atlcj  des  J fs;  elle  conduit  du  Peser  voir  au  Colimaçon,  qui  cou- 
ronne lo  Labyrinthe  de  ses  sentiers  en  spirale  , et  est  surmonté  lui-même  d’un  belvédère. 
Montons  celle  allée  : parvenus  au  Colimaçon,  faisons  le  lourde  sa  base  : en  prenant  lo  sentier 
à gauche,  nous  voyous,  à droite,  les  massifs  de  Lilus  ( Syringa ),  de  Jasminoïdo  ( Lyciujn ), 
et  do  Seringat  {Philadelphus) , qui  composent  exclusivement  la  Flore  du  colimaçon  ; à gauche, 
un  Laurier-Cerise  {Prunus  Lauro-Cerasus) , aux  feuilles  épaisses  et  luisantes,  un  Chêne  pyra- 
midal [Quercus  faligiata ),  un  Houx  des  Iles  Baléares  ( Hex  balearica) , un  Chêne  Yeuse 
( Quercus  Hex),  et  le  tombeau  deJ)aubonton  , entouré  d’un  Cyprès , d’un  Pin  Laricio  et  d’un 
If.  Nous  arrivons  au  petit  escalier  qui  con- 
duit au  belvédère;  passons  outre,  et  ache- 
vons notre  circuit  autour  du  Colimaçon. 

Nous  voilà  de  nouveau  dans  l’allée  des  Ifc, 
descendons- la  jusqu’au  Réservoir  : c’est 
dans  ce  bassin  qu’arrive,  du  canal  «le 
l’Ourcq , l’eau  destinée  à alimenter  tout  le 
Jardin;  d’ici  partent  de  nombreux  tuyaux 
qui  se  distribuent  dans  tous  les  carrés. 

Tournons  à gauche,  et  laissons  à notre 
droite  le  petit  sentier  qui  descend  vers  la 
porte  du  Jardin  : nous  voilà  dans  Y Allée 
des  Soupirs , presque  parallèle  à celle  que 
nous  venons  de  quitter;  nous  y trouvons 
à gauche  (outre  les  arbres  déjà  cités)  un 
jeune  Houx,  un  petit  Cerisier  du  Portugal 
[Prunus  lusitanica)  et  uue  variété  de  Chêne 
\uu>e;  ces  arbres  sont  au  bout  de  l’allée. 


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DEl  MEME  PARTIE. 


et  de  ce  point  vous  voyez  une  plantation,  en  pente,  de  jeunes  Pins  et  Sapins,  faisant  face  à 
la  cour  du  Cabinet  d'histoire  naturelle. 

Ici,  laissons  le  petit  sentier  qui  monte  à gauche,  tournons  à droite,  et  nous  descendrons  sur 
la  teri'nase  qui  borde  lu  rue  du  Jardin  : cette  terrasse  est  à peu  près  parallèle  à l'allée  des 
Soupirs.  Elle  offre  à gauche  un  rideau  de  Tilleuls;  à droite,  vous  trouverez  deux  variétés  de 
Houx  : le  7/oitr  ordinaire  et  le  Houx  panaché,  puis  un  Genévrier  de  Virginie  (Junipems  Vir- 
ginia n a)  , arbre  moyen,  nommé  Cèdre  rouge  à cause  de  la  couleur  de  sou  bois. 

A l’extrémité  de  la  terrasse,  nous  trouvons  un  sentier  qui  descend  vers  la  porte  du  Jardin, 
et  monte  vers  le  Réservoir;  laissons- le  è notre  droite;  en  descendant,  nous  trouverons  dans 
le  massif  adossé  au  mur  de  la  rue  un  joli  Buis  à feuilles  étroites  ( Buxus  anguslifolius) , le 
Chèvrefeuille  de  Ledebour  ( Lonicera  Ledvbourii ),  venu  de  l'Asie  septentrionale  ; le  Groseillier 
sanguin  ( Hibvs  sanguînvum) , dont  les  belles  fleurs  rouges  paraissent  nu  commencement  du 
printemps;  un  jeune  Chêne  à gros  glands  ( Quercus  macrocarpa ),  et  le  Paulownia  impérial , 
magnifique  Bignouiacée  aux  larges  feuilles,  récemment  naturalisée  dans  noire  climat.  I^e  long 
du  mur  s’étendent  lo  Bignonia  grimpant  et  VÉrythine  créte-de-coq , arbre  sarmonteux  delà 
famille  des  Légumineuses , dont  les  fleurs  sont  grandes  et  d'un  rouge  éclatant. 

Nous  sommes  à la  porte  ouvrant  sur  la  place  de  la  Pitié;  suivons  l’allée  qui  s'étend  devant 
nous  : uous  avons  à gauche  un  massif,  et  à droite  le  hassiu  inférieur  du  Réservoir.  Daus  le 
massif,  vous  voyez  le  Berberis  aristata , le  Chèvrefeuille  du  Mexique  [Symphoricarpos  mexi- 
vana ),  le  Chêne  pyramidal  que  vous  connaissez  déjà,  une  Aubépine  à fleurs  roses;  le  Néflier 
du  Japon , h feuilles  larges,  dentées  au  sommet  et  cotonneuses  en  dessous;  lo  Néflier  coton- 
nier à petites  feuilles  (Cotoneaster  Microphylla) , petit  arbrisseau  étalé,  dont  les  feuilles  sont 
laineuses  en  dessous  ; un  jeuue  Pin  élevé  {P inus  exeelsa ) , lout  récemment  naturalisé , et  qui 
atteint  dans  sa  patrie  une  hauteur  considérable  ; deux  variétés  de  Pin  Sabin  [P inus  Sabiniana ), 
espèces  nouvelles  très-intéressantes,  et  enfin  un  Erable  à grandes  feuilles  [Acer.  Macrophyl- 
lum  ) , le  seul  pied  qui  existe  en  France. 

A droite,  en  partuut  du  hassiu,  dont  les  murailles  sont  garnies  de  Lierre  et  d’ Ampélopsis  à 
cinq  feuilles  ou  vigne-vierge,  vous  voyez,  un  jeune  Saule  pleureur,  un  Peuplier  pyramidal,  un 
beau  Platane  d’Amérique , une  jolie  plantation  de  Sapins  du  Canada  ( Abics  canadcnsis) , vul- 
gairement nommés  Hentlock-Sprace  ; le  Mahonia  rampant  et  le  Mahonia  fasciculé,  arbrisseaux 
voisins  du  genre  Berberis  ; uu  pied  femelle  du  Gincko  bilubé , le  seul  qu’on  possède  au  Jardin, 
tous  les  autres  étant  des  individus  à étamines;  uu  beau  Pin  de  Corse  (Pinus  Laricio)  ; quatre 
jeunes  Tulipiers  [Liriodendron  tulipifera ),  espèce  appartenant  à la  famille  des  Magnoliacées , 
remarquable  par  la  beauté  de  ses  feuilles  et  de  ses  fleurs  ; une  variété  curieuse  du  Sophora 
japonica,  dont  les  rameaux  sont  pendants  comme  ceux  du  Saule  pleureur;  le  Liquidambar 
d'Amérique  ( Liquidambar  imberbe ),  Amcntacée  aux  feuilles  élégamment  découpées;  le  Maho- 
nia à feuilles  de  Houx,  Berbéridée  de  l’Amérique  du  Nord;  le  Cyprès  faux-Thuya  (Cupreesus 
thuyoides ),  nommé  vulgairement  Cèdre  blanc , qui  çrott  dans  les  marécages  du  Canada,  et 
dont  le  bois  blanc,  mais  serré,  so  travaille  facilement;  un  beau  Buis  des  lies  Baléares  [Buxus 
balearica)  ; et  enfin  plusieurs  Cyprès  Chauves  (Cupressus  disticha).  Cet  arbre  atteint  dans  sa 
patrie  une  hauteur  et  une  grosseur  prodigieuses  ; il  y on  a un  individu , au  Mexique , dans  le 
cimetière  de  Sainte- Marie  de  Testa,  à deux  lieues  ouest  d'Oaxaca,  qui  a cent  pieds  de  haut, 
el  cent  dix-huit  pieds  de  circonférence ; il  est  mentionné  par  Fernand  Cortez , qui  abrita  sous 
son  ombre  toute  sa  petite  armée,  quand  il  vint  faire  la  conquête  du  Mexique.  Ce  colosse  du 
Bègue  végétal  est  un  objet  de  haute  véuération  pour  les  Mexicains  indigènes. 

Nous  sommes  maintenant  au  milieu  d'un  carrefour  qui  sépare  les  deux  Buttes,  el  où  vien- 
nent aboutir  six  allées;  prenons  celle  qui  conduit  aux  bureaux  de  P Administration  : nous  trou- 
verons, auprès  de  lu  maison,  un  élégant  Araucaria  d feuilles  imbriquées  ; des  Pins,  des  Thuyas, 
et  un  beau  Genévrier  de  Virginie, 

Revenons  à notre  carrefour;  uous  ullons  monter  l'allée  qui  conduit  au  Réservoir.  A vaut  do 


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ALLEES  ET  COLLINES. 

nous  mettre  en  marche,  voyons  les  végétaux  qui  garnissent  le  massif  que  nous  avons  à notro 
gauche;  ce  sont  : le  Pin  élevé  (Pinut  excella),  ilont  je  vous  ai  parlé  tout  à l’heure,  le  Sapin 
morinda  (Abies  morindn) , le  Houx-Fragon  « grappe  [Buscus  racemosus) , genre  voisin  do 
celui  des  Asperges,  dont  les  (>édoncules  sont  élargis  comme  des  feuilles,  et  portent  les  fleurs 
sur  le  milieu  de  leur  surface;  ici,  comme  dans  les  Asperges,  les  feuilles  se  réduisent  à do 
potitos  écailles;  la  Pivoine  en  arbre  ( Pæonin  moulan),  que  les  jésuites  de  la  Chine  ont  fait 
connattre  en  1778;  les  Chinois  cultivent  celte  espèce  depuis  quinze  cents  ans,  et  ils  en  ont 
obtenu  plus  de  deux  cents  variétés,  dont  ils  raffolent,  comme  les  Hollandais  des  Tulipes;  lo 
Néflier  cotonnier  à feuilles  de  Buis  ( Coloneaster  buxi  folia),  petit  arbrisseau  dont  les  branches 
sont  inclinées  vers  le  sol  ; l' Yucca  gloriusa,  belle  Liliacée  île  l’Amérique  septentrionale,  voisine 
du  genre  Alors  ; enfin  un  jeune  Cèdre  déodora,  plus  beau  que  celui  du  Liban,  qui  nous  a été 
snvoyé  des  monts  Himalaya,  et  qu’on  a parfaitement  réussi  à naturaliser. 

Montons  maintenant  l’allée  conduisant  au  Réservoir  : vous  voyez,  à droite,  deux  beaux 
ficnévriors  de  Virginie,  des  Sapins  à feuilles  d'If  ( Allies  taxi  folia)  ; à gauche,  de  beaux  Sapins 
épicéas,  une  variété  à larges  feuilles  du  Cglise [aux-Ébénier  ( Cglisus  laburnwn)  et  un  très-bel 
Érable  de  Montpellier,  planté  par  Tournefort.  Après  avoir  passé  devant  les  roseaux  qui  bordent 
lo  bassin,  et  laissé  à notre  gauche  Y Allée  des  Ifs,  descendons  le  petit  sentier  que  nous  avions 
négligé  en  quittant  la  terrasse  qui  longe  la  rue  du  Jardin , et  regagnons  celte  terrasse  pour  la 
parcourir  de  nouveau,  mais  en  sens  inverse.  Arrivés  à son  extrémité  méridionale,  nous  avons 
devant  nous  In  porte  de  l'étage  supérieur  du  Cabinet  d’histoire  naturelle,  et,  & notre  gauche, 
le  petit  sentier  devant  lequel  nous  avions  passé  en  quittant  l'allée  des  Soupirs.  Montons  par 
ce  sentier  vers  le  Colimaçon.  Nous  trouverons  à droite  deux  Erables  de  Montpellier,  et  diverses 
espèces  de  llcrbéris  ; laissons  à gauche  l'escalier  du  Limaçon , le  sentier  qui  conduit  au  tom- 
beau de  Hauheulnn,  et  entrons  dans  l'allée  qui  descend  au  grand  Cèdre;  remarquez,  dans  le 
massif  même  do  Daubcnlon,  deux  Pins  maritimes  et  trois  H râbles  à fruits  cotonneux  {Acer 
Eriocarpon) . 

Nous  voilà  revenus  à notre  point  de 
départ  : nous  avons  devant  nous  une  allé»' 
qui  descend  au  nord  jusqu'à  l’allée  de  la 
Pitié,  et  au  milieu  de  laquelle  s'élève  un 
Sapin  ; comme  elle  ne  nous  offrirait  rien 
de  nouveau  à observer,  faisons  un  demi- 
tour  et  descendons  l'allée  qui  conduit  aux 
lieux  grandes  serres  neuves , nommées 
communément  les  Pavillons.  Nous  trou- 
vons à droite  un  beau  Pin  d pignons  (Pinus 
pinea).  Cet  arbre  est  droit,  élevé,  et  se 
divise  en  branches  étalées  qui  forment  un 
vaste  parasol  homtié  ; son  écorce  est  rou- 
geâtre et  raboteuse  ; on  le  rencontre  à 
chaque  pas  dans  la  campagne  de  Rome , 
où  il  atteint  plus  de  cent  pieds  do  hau- 
teur; ses  cènes  sont  gros  et  rougeâtres, 
et  ses  graines  sont  blunches  et  douces  au 
goèt.  A gauche,  au  bas  de  l'allée,  nous 
voyons  un  petit  Cèdre  du  Liban,  occupant 
lo  cap  du  massif,  qui  répond  à la  rampe 
des  pavillons. 

Nous  allons  maintenant  visiter  la  Petite  Bulle  : celle-ci  mérite  mieux  que  la  grande  le  nom 
do  Labgrinthe,  car  scs  sentiers  sont  beaucoup  plus  entrelacés;  les  carrefours  y sont  nombreux, 


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DKlAlfcviK  I»  \ H T I K . 

et  le>  allées  très-courtes.  Aliu  do  nous  y reconnaîtra,  permettez-moi  (remprunter  à la  langue 
des  l^alius , bien  plus  riche  que  la  nôtre,  les  mots  de  trivium  et  de  quadrivium,  qu’ils  em- 
ployaient pour  désigner  les  carrefours  à trois  ou  « quatre  aboutissants. 

Prenons  pour  point  de  départ  la  rampe  des  pavillons,  et  montons  la  première  allée  à droite, 
derrière  les  Serres  : nous  trouvons,  à gauche,  de  beaux  Phil  arias  ( Phylhjrea  media)  de  la 
famille  des  J a s minées,  arbres  très-rameux , à écorce  cendrée,  dont  les  feuilles  so  conservent 
pendant  l'hiver;  l ivrable  de  Montpellier,  et  le  Chêne  Yeuse,  que  vous  connaissez  déjà,  puis  le 
Clame  à glands  doux  ( Que  reus  balluta ),  dont  on  mange  les  fruits  comme  des  châtaignes  en 
Espagne  et  en  Barbarie;  à droite,  le  Cerisier  de  Portugal  (Prunus  lusitanien) , qui  a des  fleurs 

en  grappes  et  des  feuilles  toujours  vertes, 
puis  un  quadrivium.  Prenons  l'allée  à 
droite,  et  nous  descendons  à la  Place  du 
petit  Cèdre,  garnie  en  avant  d’une  balus- 
trade de  fer,  et  ayant  vue  sur  V Allée  des 
Marronniers  ; au-dessous  de  nous  s'étend 
une  délicieuse  petite  colline,  ornée  de  Chê- 
nes , de  Pivoines  mouton  , de  Néfliers  co- 
tonniers , à'Uucca  gloriosa , de  Pins  de 
Crimée , et  de  Tamarix.  Ces  Tamarix,  qui 
appartiennent  aux  espèces  Gallica  et  In- 
dien , sont  très-voisins  du  Tamarix  man- 
nifern , qui  produit  la  fameuse  manne  des 
Hébreux.  On  avait  pensé  que  cnlto  subs- 
anec  nutritive  était  fournie  par  Y Alhagi,  espèce  de  Sainfoin  épineux  de  la  Mésopotamie, 
mais  il  est  aujourd'hui  reconnu  que  c'est  une  erreur  : MM.  Bové  et  lliippel  ont  vu  recueillir 
nu  mont  Sinaï  la  manne  sur  le  Tamarix , des  branches  duquel  elle  découle  et  tombe  sous 
firme  de  petites  larmes.  Les  femmes  arabes  chargées  de  cette  minutieuse  récolte  jettent  la 
manne  dans  de  l’eau  chaude,  afin  de  la  débarrasser  des  molécules  de  sable  qui  y adhéront. 
Ce  suc  est  aussi  agréable  que  le  meilleur  miel.  Nous  ignorons  si  les  Arabes  conservent 
aujourd’hui  cette  précieuse  substance,  mais  il  est  probable  qu’après  l’opération  à laquelle 
on  la  soumet,  la  fermentation  s'y  développe,  de  sorte  qu’il  faut  se  hâter  de  la  manger,  comme 
au  temps  de  Moïse. 

À partir  du  petit  Cèdre,  en  tournant  à gauche,  nous  laissons  du  même  côté  un  beau  massif 
d\4ucH&fl  du  Japon,  arbrisseaux  à feuilles  épaisses  et  panachées;  nous  suivons  une  allée 
courte  qui  nous  conduit  à un  trivium , nous  prenons  l’allée  à gauche  : nous  rencontrons  un 
petit  Cèdre,  et  un  grand  If,  et  nous  revenons  au  quadrivium  que  nous  avons  traversé  tout  à 
l’heure.  Nous  descendons  à droite,  nous  laissons  à notre  gauche  un  If , et  nous  arrivons  à un 
nouveau  trivium;  là  nous  ne  prenons  pas  la  petite  allée  à droite,  nous  descendons  devant 
nous  jusqu'à  un  autre  trivium  ; nous  négligeons  l’allée  de  gauche,  qui  nous  ramènerait  à notre 
point  de  départ,  cl  nous  descendons  à droite.  Nous  trouvons,  du  même  côté,  vis-à-vis  le  tri- 
vium, le  Houx  ( Ilex  aqui folium) , deux  J uni  pénis  excclsa , jeunes,  et  le  Sapin  de  Douglas, 
originaire  de  Californie,  qui  s’y  élève  à une  hauteur  de  deux  cents  pieds.  Au  trivium  suivant, 
nous  continuons,  sans  descendre  à gauche,  et  nous  trouvons,  dans  le  massif  du  même  côté, 
le  Pin  de  Sabin , le  Pin  pesant  (Pinus  ponderosa ),  dont  on  a soutenu  les  rameaux  longs  et 
grêles;  le  Néflier  cotonnier  d feuilles  de  buis , que  vous  avez  déjà  vu  ; le  Sapin  du  Canada,  et 
deux  variétés  do  Pin  Laricio.  — Au  trivium  suivant,  nous  contiuuons  l’allée,  sans  descendre, 
et  nous  remarquons,  à gauche,  le  Néflier  luisant  ( Mespilus  lucida ),  un  Cèdre,  un  Buis  des 
Baléares,  un  Pin  mugho , lin  Sureau  et  un  Tamarix  occupant  le  cap  oriental  de  la  Butte;  à 
droite,  nous  trouvons  le  Chêne  pyramidal,  le  Chêne  d gros  glands,  le  Chêne  cerris,  YAucuba 
du  Japon,  le  Groseillier  sanguin,  et  nous  arrivons  dans  l’Allée  des  Marronniers.  Le  Pin  mugho 


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LES  SERRES. 


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{Pinus  mugho)  a des  branches  très-étalées  de  couleur  cannelle,  qui,  plus  tard,  deviennent 
d’un  pourpre  noirâtre;  les  feuilles  sont  d’un  beau  vert,  le  bois  est  roussàtre  et  très-résineux, 
et  l’on  en  fait,  dans  les  montagnes  du  Dauphiné,  des  torches  qui  brûlent  très-bien;  de  là  son 
nom  populaire  de  Torche-Pin.  Le  Chêne  ccrris  a ses  feuilles  découpées  en  forme  de  lyre,  ordi- 
nairement cotonneuses  à leur  face  inférieure;  son  gland  est  protégé  par  un  godet  de  bradées 
qui , au  lieu  d'ètre  appliquées  les  unes  contre  les  autres,  comme  dans  le  Chêne  ordinaire,  sont 
redressées  à leur  sommet , et  forment  une  coupe  hérissée. 

Maintenant  tournons  à gauche  vers  la  grande  serre  tempérée , nous  longerons  une  petite 
colline  qui  porte  le  Genévrier  de  la  Chine  ( Juuiperus  sinensis) , le  Pin  pumilio,  arbrisseau 
rabougri  de  six  à huit  pieds,  dont  les  rameaux  sont  étalés  et  rampants  ; le  Pin  de  Caramanie, 
un  massif  d'Aucuba,  le  fié  (lier  du  Japon,  et  le  Chionnnthus  de  Virginie  ( Chionanthus  virgi - 
mtvi),  petit  arbrisseau  de  la  famille  des  Jasminées,  qui  se  couvre  au  printemps  de  fleurs 
blanches  très-nombreuses  : ce  qui  lui  a valu  le  nom  populaire  d' Arbre  de  neige. 

Arrivés  à la  hauteur  de  l’angle  de  la  serre  tempérée,  nous  négligeons  le  premier  sentier  à 
gauche,  et  nous  suivons  entre  le  Grand  Pond  et  la  Colline  : nous  trouvons  le  Dcrberis  aris - 
lata , la  Spirée  lancéolée,  le  Néflier  buisson  ardent , le  Houx  hérissé , un  massif  de  Cognassier 
du  Japon  ( Cydonia  japonica) , arbrisseau  épineux,  à fleurs  écarlates  agglomérées  et  à jeunes 
pousses  cotonneuses;  le  Chai êf  réfléchi  ( Hleagnus  reflexa) , arbrisseau  du  Japon,  et  les 
Magnolias  purpurea , glauca , soulangiana , tripetala  et  macrophylla.  Tous  ces  arbrisseaux 
sont  dans  leur  patrie  de  grands  et  beaux  arbres. 

Arrivés  au  carrefour  qui  sépare  les  deux  Buttes,  nous  négligeons  le  petit  chemin  à gauche, 
et  nous  avons,  au  cap  ouest  de  la  colline,  le  Mahonia  rampant,  les  Rhododendron  hybridum, 
ponlicum,  maximum , le  Hoteia  japonica , le  Magnolia  à grandes  feuilles , et  le  Calycanthus 
præcox  que  vous  connaissez  déjà.  En  continuant  à longer  la  colline,  nous  rencontrons  quatre 
Lauriers-Cerises , et  enfin  nous  revenons  au  sentier  qui  a été  notre  point  de  départ.  Derrière 
les  pavillons  sont  abrités  deux  magnifiques  Magnolias  à grandes  fleurs,  de  la  Caroline. 


§ IX. 


I®  SERRES  TEMPEREES. 

La  grande  serre  tempérée,  communément  nommée  Orangerie  (»°  17  du  plan) , n’existe  que 
depuis  quarante  ans;  elle  a deux  cents  pieds  de  longueur,  vingt-quatre  pieds  de  largeur, 
vingt-sept  pieds  de  hauteur.  La  porte  est  large  do  dix  pieds  et  haute  do  vingt-quatre,  pour 
qu’on  puisse  aisément  faire  entrer  et  sortir  les  arbres.  Il  y a,  sur  le  mur  du  fond,  des  poêles 
avec  des  tuyaux  de  chaleur,  mais  on  n’y  fait  du  feu  que  quand  la  température  du  dehors 
descend  à quatre  degrés  au-dessous  de  zéro;  les  croisées  s’ouvrant  au  midi,  il  suffit  du 
moindre  rayon  de  soleil  pour  entretenir  une  douce  chaleur  ( Figure  de  la  tête  de  page  21). 

Les  arbres  qu’on  abrite  dans  la  serre  tempérée  sont  originaires,  les  uns  de  l’Asie  Mineure, 
de  la  (irèce  et  des  autres  contrées  de  notre  hémisphère,  dont  lo  climat  est  semblable  à celui 
de  l’Espagne;  les  autres  viennent  de  climats  aussi  froids  que  celui  de  la  France;  mais  comme 
leur  été  correspond  à notre  hiver,  et  qu’ils  fleurissent  pour  la  plupart  pendant  cette  saison,  on 
ne  peut  les  laisser  en  pleine  terre;  il  en  est  cependant  plusieurs  dont  on  finira  par  retarder  la 
floraison,  de  manière  qu'ils  puissent  fleurir  pendant  l’été,  et  passer  ensuite  impunément  l’hiver 
en  pleine  terre. 

On  loge  les  caisses  dans  cette  serre  au  mois  d’octobre;  on  les  en  retire  au  mois  de  mai  : on 

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00 


DEUXIÈME  PAIITIK. 
place  les  unes  dans  le  Grand  Rond,  les  autres  dans  la  grande  allée  transversale,  qui  coupe 
V École  de  botanique  et  sépare  la  Pépinière  du  Carré  Chaptal  ; les  plus  petites  sont  disposées 
en  amphithéâtre  sur  lu  torrasse  qui  est  au-devant  de  la  serre. 

2“  SERRES  CU Al’DF.S. 

Nous  venons  de  voir  la  grande  serre  tempérée,  nous  allons  visiter  successivement  les  serres 
chaudes,  dont  chacune  a une  destination  particulière;  commençons  par  celles  qui  sont  ados- 
sées à la  partie  orientale  do  la  Petite  Butte.  Nous  y entrons  par  une  porte  qui  est  vis-à-vis 
de  Y Allée  des  Marronniers.  On  trouve  d'abord  une  petite  cour  oii  sont  rangées,  dans  la  belle 
saison,  les  plantes  les  plus  curieuses  de  la  serre;  et  nous  devons  vous  faire  remarquer  une 
magnifique  Glycine  de  la  Chine,  dont  les  guirlandes,  couvertes  au  printemps  d’une  multitude 
de  grappes  bleues , vont  se  perdre  à une  grande  élévation  dans  les  arbres  voisins  ; à gauche , 
une  autre  cour  plus  petite  et  fermée,  où  sont  des  couches  et  des  châssis  pour  quelques 
plantes  précieuses,  et  un  cabinet  où  se  font  les  rempotages. 

Il  y a ici  trois  serres  disposées  en  amphithéâtre,  adossées  les  unes  aux  autres,  et  commu- 
niquant entre  elles;  leurs  toits  sont  obliques  et  vitrés;  on  les  couvre  do  paillassons  pendant  les 
grands  froids,  ou  aux  approches  d’un  orage,  ou  lorsque  le  soleil  est  trop  ardent. 

Entrons  d’abord  dans  lu  serre  Philibert,  qui  est  la  plus  inférieure  des  trois;  elle  a été  con- 
struite, en  1 82 1 , pour  renfermer  la  riche  collection  qui  venait  d’arriver  de  l’Inde  et  de  Cavenno. 
On  lui  a donné  le  nom  du  capitaine  de  vaisseau  qui  a transporté  ces  plantes  en  France  : il 
serait  plus  juste  de  la  nommer  serre  Perrotet , car  c’est  ce  dernier  voyageur,  remarquable  par 
son  activité  et  son  intelligence,  qui,  après  avoir  recueilli  lui-mème  la  plupart  des  plantes  dont 
elle  est  garnie,  les  a toutes  soignées  pendant  la  traversée,  et  apportées  au  Muséum  dans  le 
plus  bel  état  de  végétation. 

Cette  serre  a soixante-quinze  pieds  de  long  sur  douze  de  large  et  dix  de  hauteur.  Elle  est 
chauffée  par  quatre  fourneaux,  dont  les  tuyaux  y entretiennent  une  chaleur  de  quinze  degrés; 
c’est  la  plus  chaude  des  trois  : là  sont  déposées  les  plantes  récemment  arrivées  des  régions 
tropicales,  et  auxquelles  on  veut  conserver  lu  température  de  leur  climat  naturel.  Parmi  les 
espèces  qui  s’y  trouvent,  remarquez  le  Sloanœa,  belle  plante  de  la  famille  des  Tilleuls,  que 
MM.  (iuillemin  et  Houllet  ont  rapportée  des  forets  vierges  du  Brésil;  voici 
le  Cannellier,  qui  est  une  espèce  de  Laurier;  lo  Cacaoyer,  qui  appartient  à 
lu  famille  des  Malvacées,  et  dont  la  graine  sert  à fabriquer  le  chocolat;  le 
Giroflier,  de  la  famille  des  Myrtes;  le  Cafter  d’Arabie  ( Coffea  arabica ),  dont 
vous  connaissez  l’histoire;  le  Café  des  Savanes , qui  nous  est  venu  de  l’Amé- 
rique septentrionale;  voici  diverses  espèces  d’Arum  ou  Gouet  aux  feuilles 
larges  et  en  fer  de  flèche,  dont  les  plus  remarquables  sont  l'Arum  discolor, 
Y Arum  de  Séguin  et  l’Arum  palmé ; le  Lecythis  ollaria , arbre  de  la  famille 
des  Myrtes,  dont  le  fruit  énorme  s’ouvre  en  travers,  comme  vous  l’avez  vu 
dans  la  Jusquiame  et  dans  le  Mouron,  et  figure  un  vase  épais,  fermé  par  un 
couvercle , de  là  son  nom  de  Marmite  de  Singe.  Cet  arbrisseau , de  la 
famille  des  Apoeynées,  est  le  Théophraste  de  Jussieu  ( Theophrasta  Jussiœï)  : 
il  réunit  les  noms  de  celui  qui  créa  la  Botanique  chez  les  anciens,  et  de  celui  qui  découvrit 
la  Méthode  chez  les  modernes  : cet  arbre,  très -rare  dans  les  serres,  porte  au  sommet  do 
sa  tige  une  touffe  de  feuilles  circulaires , figurant  un  vase.  Voici  le  Brésiltet  ou  Bois  de  Fer - 
nambouc  (Cœsalpinia  echinata) , qui  doit  son  nom  générique  à un  botaniste  célèbre  du  sei- 
zième siècle  : cet  arbre,  de  la  famille  des  Légumineuses,  sert  à faire  des  meubles,  et  fournit 
une  belle  couleur  rouge,  très-connue  des  teinturiers;  voici  enfin  le  Carolinea  princeps 
( Pachira  aquatica) , qu’on  nomme  à la  Guyane  Cacao  sauvage ; il  appartient  en  effet  à la 
famille  des  Malvacées;  c’est  un  arbre  remarquable  par  ses  belles  feuilles  découpées  en  grandes 


rnumiip. 


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LES  SERRES.  01 

digitations , et  surtout  par  ses  fleurs  à étamines  nombreuses , dont  l'ensemble  offre  souvent 
dix  pouces  de  diamètre,  et  jusqu'à  quinze  pouces  de  longueur. 

Passons  dans  la  serre  Baudin,  qui  est  au-dessus  de  celle-ci,  et  qui  fut  construite  en  1798, 
pour  loger  les  plantes  apportées  par  le  jardinier  du  Muséum,  Ricdlé , voyageur  infatigable, 
qui  avait  accompagné  le  capitaine  Baudin  dans  son  expédition  botanique  à Porto-Ricco,  Saint- 
Thomas,  etc.  On  y fait  des  boutures  sous  châssis,  on  y cultive  les  plantes  herbacées  les  plus 
carieuses,  et  l'on  y élève  de  jeunes  arbrisseaux  pour  les  transporter  dans  la  serre  supérieure. 
Cette  serre  a cent  quarante  pieds  de  long  sur  neuf  de  large  ; elle  est  chauffée  par  deux  poêles  ; 
la  température  y est  entretenue  à dix  ou  douze  degrés.  Voici  Y Aristoloche  à grandes  lèvres 
( Aristolochia  labiosa ),  dont  les  fleurs  exhalent  une  odeur  fétide;  Y Aristoloche  rechignéc  ( Aris- 
tolochia ringens ),  le  Figuier-Cerisier  (Ficus  cerasiformis) , le  Laurier  à glands  ( Ochotea ) du 
Brésil  ; la  Passiflore  palmée  ( Passiflora  palmata).  Ce  genre,  dont  nous  verrons  de  nombreuses 
espèces  tapisser  les  murs  et  les  grottes  des  serres , doit  son  nom  de  Passiflore  à la  structure 
bizarre  de  sa  fleur,  où  rhistoricn  espagnol  Pierro  de  Cieza  a cru  voir  représentés  tous  les 
instruments  du  supplice  de  iNotre-Soigneur  Jésus-Christ  : do  là  le  nom  de  Fleurs  de  la  Pas- 
sion , qui  a été  donné  aux  espèces  de  ce  genre  singulier.  La  corolle  est  do  cinq  pétales , et 
présente  entre  eux  et  les  cinq  étamines  trois  rangées  de  filaments  pointus,  dont  les  plus  exté- 
rieurs sont  plus  longs,  c’est  ce  qui  figure  la  couronne  d'épines;  le  pistil  est  terminé  par  trois 
styles  divergents , à stigmates  élargis , ce  sont  les  clous  qui  servirent  à Axer  le  corps  sur  la 
croix;  les  étamines  ont  des  anthères  à loges  séparées,  et  ont  l’apparence  de  marteaux ; quant 
aux  cordes,  on  peut  les  voir  dans  les  vrilles  qui  accompagnent  les  feuilles,  et  au  moyen 
desquelles  la  plante  s'attache  aux  arbres  qui  la  soutiennent. 

.Nous  trouvons  aussi  le  Poivrier,  plante  sarmenteuse  de  la  famillo  des  trlicécs,  dont  les 
graines  fournissent  la  poudre  nommée  Poivre;  la  Dionée  Attrape-mouche  ( Üionæa  musci- 
pula)  y dont  je  vous  ai  parlé  dans  l’École  de  botanique;  le  Cccropia 
palmata,  arbre  brésilien  de  la  famille  «les  Lrticées,  dont  les  feuilles 
sont  partagées  en  neuf  longues  digitations , blanches  et  cotonneuses  en 
dessous,  et  dont  la  tige  creuse  lui  a valu  aux  colonies  le  nom  de  Bois 
T rompetle  ; le  Calebassier  (Crescenlta  cujete) , Bignoniacéc  dont  l’ovaire 
énorme  et  de  consistance  ligueuse  sert  à fabriquer  des  vases;  le  Tama- 
rin ( Tamarindus  indien  ) , Légumincuse  dont  la  gousse 
brune-rougeâtre  est  remplie  d’une  pulpe  aigrelette  au  mi- 
lieu de  laquelle  sont  nichées  les  graines;  le  Hura  crépitons , 
petit  arbre  de  la  famille  des  Euphorbes , dont  les  ovaires, 
en  se  décollant  à la  maturité,  éclatent  avec  bruit  et  lancent 
au  loin  les  graines;  dans  la  capsule  desséchée  et  criblée 
d’ouvertures , on  place  du  sable.  Enfin  le  Mancenillier 
(Hippomane  mancinella) , de  lu  famille  des  Euphorbia- 
cées  ; cet  arbre,  dont  le  suc  laiteux  est  le  plus  redoutable  cieiom. 

des  poisons  du  Règne  végétal , habite  les  bords  de  la  mer 
sous  les  tropiques;  cependant,  quelles  que  soient  ses  propriétés  vénéneuses , il 
vaut  encore  mieux  que  sa  réputation  : on  croit  que  celui  qui  s’endort  sous  son 
ombrage  ne  se  réveille  plus  ; mais  le  contraire  a été  expérimenté  par  plusieurs  personnes.  Ce 
qu’il  y a de  vrai , c'est  que , dans  certaines  contrées , on  ne  le  fait  abattre  que  par  les  crimi- 
nels ; la  pluie  qui  tombe  sur  la  peau , après  avoir  coulé  sur  ses  feuilles , y produit  l’effet  d’un 
vésicatoire  ; les  Indiens  empoisonnent  leurs  flèches  en  les  trempant  dans  le  suc  qui  coule  de 
son  écorce,  et  si  le  voyageur  inexpérimenté  se  laisse  séduire  par  les  vives  couleurs  et  le  par- 
fum suave  de  son  fruit,  il  ne  tarde  pas  à périr  au  milieu  des  plus  affreuses  douleurs. 

Montons  dans  la  serre  supérieure  ou  serre  Buffon , qui  fut  construite  en  1788  ; elle  a cent 
vingt-«leux  pieds  et  demi  de  long , douze  pieds  et  demi  «le  large,  et  quinze  de  hauteur.  C’est  la 


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02 


DEUXIÈME  PARTIE. 

moins  chaude  des  trois  ; on  n’y  entretient  qu’une  chaleur  do  dix  degrés.  Nous  y trouvons  une 
magnifique  collection  de  Fougères  équatoriales , telles  que  le  Gymnogramma  Chrysophylla , 
dont  les  feuilles  sont  dorées  en  dessous  ; le  Gymnogramma  dealbata , dont  la  face  inférieure 
est  argentée  ; le  Platycerium  alcicome  ou  Acrostic 
à corne  de  cerf , dont  le  feuillage  est  irrégulièrement 
découpé  à son  extrémité,  ce  qui  offre  une  exception 
à la  symétrie  ordinaire  des  Fougères.  Voici  VAstra- 
pcea  Wallichii,  superbe  Malvacée  originaire  de  l'Inde, 
à feuilles  en  cœur  très -grandes,  et  à fleurs  d’un 
rouge  éclulant,  disposées  en  ombelles  serrées.  Re- 
marquez co  Pin  dammara , c’est  le  seul  qui  existe 
on  Europe  ; ce  Figuier  élastique  ( Fiais  elastica  ) 
dont  la  stipule  est  située  à J'aisselle  de  la  feuille,  et 
forme  un  cornet  clos  qui  recouvre  tout  le  bourgeon 
comme  une  sorte  de  coiffe  ; si  l’on  enlève  la  pellicule  interne  et  la  pellicule 
externe  de  cette  stipule,  il  reste  une  membrane  qui,  humectée  d’eau,  et  placée  sur  un  mi- 
croscope, offre  les  vaisseaux  ramifiés  de  la  sève  descendante,  dans  lesquels  on  peut  voir  cette 
sève  circuler.  La  sève  descendante  du  Figuier  élastique  est  laiteuse  ; lorsqu’elle  a été  épaissie 
pur  l’évaporation,  elle  fournit  une  espèce  de  cuiriuodore,  insipide,  mou,  flexible,  très-élasti- 
que, connu  dans  le  commerce  sous  le  nom  de  Caoutchouc  ; ce  produit,  blanc  d’abord,  devient 
brun  par  l’action  de  la  fumée  à laquelle  il  est  exposé  par  les  iudieus  ; d’autres  L'rlicées  et  Eu- 
phorbiacées  exotiques  fournissent  aussi  du  Caoutchouc. 

Dans  la  serre  Buffon , nous  trouvons  encore  le  Bougainvillia  spectabilis , magnifique  Nyç- 
taginée  grimpante,  découverte  au  Brésil  par  Commcrson  pendant ‘Son  voyage  autour  du  monde 
avec  Bougainville.  Les  feuilles  sont  luisantes,  la  lige  est  mince,  flexueuse,  et  porte  les  épines 
recourbées  au-dessus  de  l’insertion  des  feuilles  ; les  fleurs , peu  apparentes , sont  roses  et  ve- 
lues en  dehors,  jaunes  en  dedans;  elles  ont  un  tube  long  et  rétréei.  Ce  qui  justifie  le  no*n 
spécifique  de  cette  plante , c’est  la  beauté  de  ses  bractées  ovales , longues  et  de  couleur  rose , 
réunies  trois  par  trois  sur  un  pédoncule  à trois  divisions  ; une  fleur  est 
insérée  sur  chaque  bractée,  un  peu  plus  bas  quo  le  milieu  de  sa  face  supé- 
rieure. Le  Globba  penché  { Globba  nutans ) est  une  Mouocotylédone  île  la 
famille  des  Amomées  ; ses  feuilles  sont  grandes  et  ses  fleurs  nombreuses , 
disposées  en  épi  pendant  ; elles  contiennent  deux  étamines  et  un  ovaire  à 
trois  loges.  Voici  le  Musa  rosacea,  qui  appartient  à la  belle  famille  des 
Bananiers  ; la  tige  des  plantes  de  cette  famille  est  simple , et  formée  par 
les  gaines  des  pétioles  des  feuilles  qui  se  recouvrent  et  s’enveloppent  ; le 
sommet  de  cette  tige  est  couronné  par  un  faisceau  de  huit  à douze  feuilles 
qui  acquièrent  souvent  dix  pieds  de  longueur  sur  un  do  largeur  ; du  centre 
de  cette  couronne  de  feuilles  sort  un  gros  et  long  pédoncule,  qui  sert 
d’axe  à de  nombreuses  fleurs  cachées  sous  des  bractées,  et  formant  un 
long  épi  nommé  régime  ; ces  fleurs  ont  un  calice  soudé  avec  le  pistil , et  divisé  dans  sa  partie 
supérieure  en  deux  lobes  inégaux;  il  y a six  étamines,  dont  plusieurs  avortent  ordinairement; 
l’ovaire  est  triangulaire  et  à trois  loges;  è sa  maturité,  il  forme  un  fruit  de  cinq  à huit 
pouces , qui  devient  jaunâtre  on  mûrissant  ; chaque  régime  porte  communément  de  quatre- 
vingts  à cent  bananes. 

En  quittant  la  serre  Buffon , nous  trouvons  une  petite  serre  faisant  suite  à la  serre  Philibert  ; 
elle  sert  aux  multiplications,  ainsi  qu’aux  plantes  exigeant  de  l'humidité,  telles  que  le  flépen- 
thes , dont  jo  vous  ai  déjà  parlé,  lo  Poivre  Bétel , les  Eupatoires  Ouago  et  Ayapana , etc. 

Passons  maintenant  aux  deux  Pavillons  do  fer  qui  ont  été  construits  depuis  1830  : cos  ma- 
gnifiques palais  de  cristal  sont  chauffés  à la  vapeur  ; une  grande  chaudière  est  disposée  der- 


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LES  SERRES. 


93 


rière  les  Pavillons,  et  l’oau  réduite  en  vapeur  par  l’ébullition  vient  se  répandre  dans  de  gros 
tuyaux  do  fer  qui  régnent  le  long  de  l’intérieur  des  serres.  Celte  vapeur  brûlante  cède  sa  cha- 
leur au  métal , se  condense  par  le  refroi- 
dissement et  va  couler  dans  un  réservoir, 
où  on  la  reprend  pour  la  placer  do  nouveau 
dans  la  chaudière  ; les  tuyaux  échauffés 
communiquent  leur  température  aux  rou- 
elles d’air  environnantes  : celles-ci , deve- 
nues plus  légères , s’élèvent  vers  la  région 
supérieure  de  l’édifice , et  sont  remplacées 
par  des  couches  d’air  plus  froides  qui  se 
succèdent  continuellement.  Ce  mode  de 
chauffage  est  aride,  malgré  sa  régularité , 
et  l’atmosphère  des  Pavillons  n'imite  pas 
exactement  celle  des  tropiques , où  les  vé- 
gétaux sont  rarement  arrosés  par  de  l’eau 
liquide,  mais  constamment  baignés  duus  une  vapeur  tiède  qui  les  humecte,  en  même  temps 
qu’elle  les  échauffe. 

Commençons  par  le  Pavillon  oriental , dont  la  température  est  moins  élevée  que  celle  de 
son  voisin.  Le  végétal  qui  domine  tous  les  autres  est  Y Eucalyptus  glanca,  arbro  de  la  famille 
des  Myrtes,  qui  croît  dans  la  Nouvelle-Hollande.  Voici  le  DragOnnier  des  terres  australes 
{Dracœna  austraiis ) superbe  Liliaeée,  dont  nous  verrons  bientôt  l’espèce  principale  ; le  /ffto- 
dodendron  des  Indes  et  le  Dahlia  arborescent  du  Mexique  ; le  Phormium 
tenax , dont  je  vous  ai  déjà  parlé;  Y Acacia  habillé  ( Acacia  vestita),  dont  les 
folioles  sont  velues;  le  Mimosa  dealbala , charmant  arbrisseau  à feuilles 
argentées  ; Y Acacia  à feuilles  variables  ( Acacia  helerophyfla)  , dont  les  pér 

fioles  aplatis  ressemblent  à 
des  feuilles,  surtout  lorsque 
les  folioles  ne  s’y  sont  pas 
développées.  Ce  petit  arbris- 
seau est  un  Thé  de  la  Chine 
( Thea  v iridis  ) ; scs  feuilles 
sont  toujours  vertes , et  por- 
tent à leur  aisselle  des  fleurs 
élégantes  ; ces  deux  Chênes 
sont  le  Chêne  du  Népaul  (Quer- 
eus  uepaulcmis  ) et  le.  Chêne 
lisse  ( Qucrcus  glabra)  ; le  La- 
gerslræmia  des  Indes  est  de 
la  famille  des  Rosacées,  et  ses 
fleurs  sont  d’une  belle  couleur 
rose.  — Ce  gracieux  souchct 
est  le  Papyrus  des  anciens 
{C y per  us  papyrus).  Il  croit  dans  les  marais  de 
l’Égypte  et  même  de  la  Sicile  ; c’est  avec  les 
libres  parallèles,  composant  su  tige,  que  les 
anciens  fabriquaient  leur  papier  ; ils  en  cou- 
paient des  tranches  longitudinales , qu’ils  pla- 
çaient en  croix  les  unes  sur  les  autres  ; ens 
tiges , soumises  à la  pression  ou  à la  percus- 


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04  DEUXIÈME  PARTIE. 

sion,  s'aplatissaient  et  formaient  bientôt  un  feuillet,  que  l’ouvrier  lissait  ensuite  avec  un 
instrument  d’ivoire. 

Cet  arbrisseau , dont  les  feuilles  ressemblent  & celles  des  Fougères , dont  le  port  imite  celui 
des  Palmiers,  et  dont  la  fructillcation  rappelle  celle  des  Conifères,  appartient  aux  Cycadées, 
famille  |ieu  nombreuse  en  espèces,  mais  qui  n’en  est  pas  moios  digne  d’intérêt.  C’est  le 
Cycas  revohtta  ; la  graine  est  ntic,  comme  dans  les  Conifères;  il  n’y  a ni  calice,  ni  corolle, 
ni  ovaire  pour  la  protéger  ; les  fleurs  femelles  forment  un  chaton , où  chaque  graine  est  placée 
b l’aisselle  d’une  espèce  de  pétiole  avorté,  dont  les  bords  dentelés  se  replient  pour  envelopper 
complètement  le  fruit.  Les  Japonais  mangent  le  fruit  du  Cycas  revoluta,  et  font  si  grand  cas 
de  la  fécule  que  leur  fournit  la  moelle  de  son  tronc , qu’il  est  défendu , sous  peine  de  mort , do 
transporter  cet  arbre  hors  du  Japon. 

Le  Pavillon  est  tapissé  par  dus  Passiflores  ut  autres  plantes  grimpantes  appartenant  aux 
genres  Plumbago , Clématite , Tbunbergia  et  Livèchc . 

Passons  dans  le  Pavillon  occidental , nommé  le  Pavillon  des  Palmiers  ; ici  la  température 
est  plus  élevée.  Nous  trouvons  d’abord  le  Bambou,  Craminéc  gigantesque,  rivale  des  Palmiers 
dans  les  Indes,  oh  leur  tige  s’élève  à plus  de  soixante  pieds.  Vous  avez  vu  souvent  dans  nos 
campagnes  les  ondulations  des  blés  agités  pur  le  vent  ; vous  figurez-vous  un  ouragan  dans 
l’Inde,  où  croissent  des  forêts  de  Bambous?  Ecoutez  un  grand  poète,  il  va  vous  transporter 
sur  les  bords  du  (lange  : « la1  vent  s'engouffrait  dans  l'allée  des  Bambous,  et  quoique  ces 
Roseaux  indiens  fussent  aussi  élevés  que  les  plus  grands  arbres , il  les  agitait  comme  l’herbe 
des  prairies;  on  voyait,  A travers  des  tourbillons  de  |mussière  et  do  feuilles,  leur  longue  ave- 
nue tout  ondoyante,  dont  une  partie  se  renversait  à droite  et  à gauche  jusqu'à  terre,  tandis 
que  l’autre  se  relevait  eu  gémissant,  u La  pellicule  qui  recouvre  la  lige  du  Bambou  est  em- 
ployée par  les  Chinois,  qui  en  font  un  papier  sur  lequel  sont  imprimés  la  plupart  de  leurs 
livres.  Le  long  du  mur,  en  entrant  à gauche,  vous  voyez  la  Canne  à sucre,  autre  Craminéc 
moins  majestueuse,  mais  bien  plus  utile  que  le  Bambou.  La  tapisserie  de  cette 
serre  est  formée  par  le  Figuier  grimpant , le  Patrie  noir , et  surtout  par  plusieurs 
espèces  de  Vanilles.  La  Vanille  est  uno  Orchidée  sarmenteuse , comme  je  vous 
l’ai  dit;  elle  croit  dans  l’Amérique  méridionale,  et  fournit  des  fruits  allongés,  de 
l'aromo  le  plus  délicieux  ; ses  graines  sont  nombreuses . très-menues,  et  l'on  voit 
nu  milieu  d'elles  de  petites  aiguilles  blanches  : ce  sont  les  cristaux  d’un  acido 
végétal , nommé  acide  benzoïque.  La  Vanille  givrée  est  celle  qui  en  contient,  et 
qu’on  estime  le  plus  pour  cette  raison.  — On  a réussi  à obtenir  des  fruits  de 
Vanille  dans  cette  serre  ; il  a fallu  pour  cela  féconder  artificiellement  le  pistil  de 
chaque  fleur , en  appliquant  sur  le  stigmate  le  pollen  solide  qui  caractérise  cette 
singulière  famille. 

Le  long  du  mur , vous  voyez  aussi  le  Carolinca  insignis , dont  les  pétales  ont 
treize  pouces  de  longueur;  le  Songe  épinars  (Caladium  violaccum) , magnifique  plante  de  la 
famille  dos  Arums,  et  le  Cierge  du  Pérou,  rejeton  de  l’ancien,  dont  je  vous  ai  parlé. 

Au  centre,  sont  des  Palmiers  entourés  A' Arums  grimpants,  et  plusieurs  beaux  Bananiers  : 
voici  d'abord  le  Slrelitzia  régime,  dont  le  calice,  de  couleur  safran,  con- 
traste avec  la  corolle  qui  est  du  bleu  le  plus  pur.  Le  Bananier  de  la 
Chine  (Musa  sinensis ),  que  vous  voyez,  donne  des  fruits  meilleurs  que 
ceux  du  Bananier  de  l'Édcn  (Musa  puradisiaca).  Linné  a donné  le  nom 
de  paradisiaca  à ce  Bananier,  parce  que,  suivant  la  tradition,  ce  fut  cet 
arbre  dont  lo  fruit  tenta  nos  premiers  parents,  et  dont  ils  employèrent  la 
feuille,  après  leur  chute,  pour  cacher  leur  nudité.  La  feuille  du  Bananier, 
en  effet,  sert  de  vêtement  aux  habitants  de  l'Afrique  et  des  Indes , qui  en 
couvrent  aussi  leurs  rases,  et  tirent  du  fil  de  sa  tige  ; le  fruit  est  très- 
snmiiut  uiui  nourrissant  ; il  a. le  goût  d’une  pàtodc  beurre  frais,  légèrement  sucrée. 


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LES  SERRES. 


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L©  Dattier  ( Phoenix  dactylifera ) est  le  plus  utile  des  arbres  de  la  famille  des  Palmiers; 
dans  celte  famille  de  Monocotylédones , les  étamines  et  les  pistils  habitent  ordinairement  des 
fleurs  différentes;  le  calice  est  à trois  folioles,  la  corolle  a trois  pétales  ; il  y a six  étamines  ; 
le  fruit  est  d'abord  à trois  loges,  qui  se  réduisent  par  avortement  à une  seule,  contenant  aussi 
le  plus  souvent  une  graine  unique. 

Le  Dattier  se  cultive  particulièrement  dans  cette  partie  de  la  Barbario 
connue  sous  le  nom  de  Bilidulgerid  ou  pays  des  Dattes.  Les  naturels  fécon- 
dent artificiellement  leurs  Dattiers,  en  secouant  sur  les  arbres  à pistil  les 
branches  d’un  autre  arbre  chargé  d’étamines.  Le  Cocotier  ( Cocos  nucifera), 
dont  vous  avez  pu  voir  un  jeune  individu  dans  la  serre  Philibert , est  un 
Palmier  qui  croît  en  Asie  et  en  Amérique.  Ses  fruits  ont  le  volume  de  la  tète 
de  l’homme  ; ils  sont  enveloppés  par  un  brou  filandreux  ; sous  ce  brou  est 
une  noix  dure,  percée  à son  sommet  de  trois  trous;  l'amande  est  creuse, 
et  se  compose  d’une  chair  sucrée,  au  milieu  de  laquelle  est  un  lait  du  même 
goût;  cette  matière,  dont  une  moitié  est  liquide,  et  l’autre  solide,  n’est 
autre  chose  que  cet  aliment  supplémentaire  dont  je  vous  ai  déjà  souvent 
entretenu , et  qui  doit  nourrir  la  jeune  plante , dont  les  proportions  sont  très- 
exiguës  dans  la  graine  du  Cocotier.  Les  autres  Palmiers  sont  le  Sabal  um- 
braculifera,  ou  arbre  à parasol;  le  Latanier  de  Bourbon  ; Y Arec  cachou,  qui 
croît  aux  Indes  et  à Cevlan , et  dont  l’amande  a une  saveur  âpro  et  astrin- 
gente: elle  entre  dans  la  composition  du  Bétel,  pâte  formée  de  chaux  vive,  piLll,,B 
de  feuilles  de  Poivre  et  de  graines  d’Arec,  que  les  Indiens  mâchent  conti- 
nuellement pour  exciter  la  salivation;  ils  se  présentent  mutuellement  de  cette  pâle  dans  leurs 
visites , comme  en  Europe  nous  offrons  du  tabac  aux  personnes  de  notre  compagnie. 

Enfin,  lo  plus  élevé  et  le  plus  élégant  des  arbres  de  l’Amérique,  est  Y Arec  légume  {Arera 
oleracca) , qui  fournit  au  centre  du  bouquet  de  feuilles  terminant  sa  tige,  un  bourgeon  tendre 
et  succulent  : ce  bourgeon  a la  saveur  de  l’Artichaut , et  on  le  mange  aux 
Antilles  sous  le  nom  de  Chou-Palmiste. 

Ces  fougères  arborescentes  sont  VAneimia  laciniata,  dont  la  frucliflea- 
'tion  est  disposée  en  grappe,  comme  dans  les  Ostnondes  ; et  le  P ol y podium 
corcovaden8e , rapporté  tout  récemment  du  Brésil  par  MM.  Guillemin  et 
• Houllet. 

Le  Caïnito  ( Chysophyllum  macrophyllum ) est  un  grand  et  bel  arbre  des 
Antilles,  dont  le  fruit  renferme  une  bulbe  agréable;  le  Dragonnier  ( Dra - 
cæna  draco)  est  un  arbro  gigantesque  des  îles  Canaries,  dont  le  tronc  a 
souvent  plus  de  quatre-vingts  pieds  do  circonférence. 

4>Kiim  lUMUTi  Nous  voici  au  bord  d’un  petit  bassin  que  protège  une  élégante  naïade  de 
marbre  ; daus  ses  eaux  liùdes  vivent  lo  Pontederia  crassipes , do  la  famille 
des  Narcisses,  le  Limnocharis,  le  Nymphœa  lotos,  et  le  Symphæa 
azuré  ; mais  la  plus  intéressante,  sinon  la  plus  belle  du  toutes 
ces  plantes  aquatiques,  est  le  Vailisneria  spiralis  : les  étamines 
et  le  pistil  ne  sont  pas  réunis  dans  uno  même  fleur  ; la  fleur 
femelle  a une  longue  tige  roulée  en  spirale,  qui  naît  d’une  touffe 
de  racines  attachées  au  fond  do  l’eau , et  est  entourée  de  feuilles 
allongées,  d’un  beau  vert  presque  transparent;  les  fleurs  à éta- 
mines ont  un  pédoncule  très-court,  et  sont  groupées  autour  d'un 
axe  enveloppé  d’une  bractée;  à l’époque  de  la  floraison,  le  pédon- 
cule de  la  fleur  femelle  allonge  sa  spirale,  et  la  fleur  v ient  flotter 
à la  surface  de  l’eau,  oü  vous  pouvez  voir  les  six  pièces  très- 
petites  que  forment,  sur  deux  rangs,  son  calice  et  sa  corolle; 


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l)F.l\lfc\1E  PAMTIF.. 

alors  les  fleurs  mûles  se  détachent  de  leur  axe,  ouvrent  la  hraclée  qui  les  enveloppe,  et 
viennent  voguer  autour  de  la  fleur  à pistil , qu'ils  ne  tardent  pas  à saupoudrer  de  leur  pollen  ; 
après  cette  fécondation  merveilleuse,  la  fleur  femelle  resserre  sa  spirale,  et  descend  au  fond  de 
l'eau,  pour  y mûrir  ses  graines. 


a»  ess  séants  coi  nats 


Ces  Serres,  qui  existont  depuis  1830,  occupent  l’emplacement  des  anciennes  Serres,  con- 
struites successivement  par  Fagon,  Buffon 
et  Bernardin  de  Saint-Pierre,  qui  fut, 
comme  vous  le  savez,  le  dernier  intendant 
du  Jardin.  Kilos  sont  à deux  étages,  et 
chaque  étage  so  divise  en  trois  comparti- 
ments. L’étage  inférieur  est  entretenu  à 
une  température  plus  élevée  que  le  supé- 
rieur. Visitons  d’aliord  l'étage  inférieur  : 
itans  le  premier  compartiment,  nous  trou- 
vons le  Slephanolis  floribunda,  Apocynéeà 
fleurs  blanches  et  odo- 
rantes ; le  CUToden  - 
drum  squamatum , Ver- 
veine de  la  Nouvelle- 

llnllando,  dont  les  fleurs  blanches  ou  roses  naissent,  trois  par  trois,  à 

l'aisselle  des  feuilles  ; la 
Passiflore  quadrangulaire , 
dont  le  fruit  est  très-volu- 
mineux ; le  Jatropha  ma- 
nihot,  Euphorbiacée  amé- 
ricaine , dont  toutes  les 
parties  sont  Acres , excepIS  la  racine , qui 
fournit  abondamment  une  fécule  que  vous 
connaissez  sous  le  nom  de  Tapioka.  Ensuite 
viennent  le  Figuier  A stipules , qui  garnit  les 
grottes  et  les  murailles  ; la  Poincillade  (Poin- 
cintia  pulcherrima ) arbrisseau  de  la  famille 
des  Légumineuses,  qui  croit  aux  Antilles,  et 
dont  les  feuilles  et  les  fleurs  sont  employées 
parles  indigènes  dans  leurs  maladies;  le  flou- 
cmiyer  ( llixa  oreUana  ) , belle  Liliacée  de 
l'Amérique  méridionale , dont  les  semences 
sont  entourées  d'une  pellicule  rougeAtre,  très- 
répandue  dans  le  commerce  sous  le  nom  de 
flocon,  et  fort  usitée  dans  la  teinture  en  rouge; 
le  flavenala  de  Madagascar  ( Vrania  madagas- 
cariensis),  qui  a les  feuilles  du  Bananier  avec 
le  tronc  d'un  Palmier,  et  croit  dans  les  marais 
à Madagascar,  oh  ses  feuilles  servent  A cou- 
vrir les  maisons,  les  pellicules  de  ses  semences 
A faire  de  l'huile,  et  ses  semences  elles-mêmes 
A préparer  une  bouillie  féculente  ; le  Colonier  arborescent  ( Gossgpium  arboreum ) ; le  Pitanga 


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»0  DF.l’XlfcME  PARTIE. 

«lors  les  fleurs  mêles  se  détachent  de  leur  axe . ourrent  la  bradée  nui  les  enveinnn» 


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LES  SERRES.  97 

(Eugrnia  Michel  ii) , de  la  fnmillo  des  Myrtes , dont  le  fruit  est  très-agréable  au  goût;  le  Goya- 
vier, de  la  ini'me  famille,  dont  le  fruit  renferme  une  pulpe  succulente,  à saveur 
douce  cl  parfumée  ; le  Ithipsalis  salicomoides , plante  de 
la  famille  des  Cactées  ; et  enfin  le  Tamnus  d pied  d'élé- 
phant, remarquable  par  la  souche  rabougrio  et  ciselés', 
d'où  partent  les  tiges. 

Dans  le  second  compartiment,  dont  les  grottes  et  les 
murailles  sont  tapissées  de  Passiflora  alata,  do  Bégonia 
et  de  Poivriers,  on  élève  de  jeunes  Palmiers.  Voici  lo 
Manguier  ( Mangifera  indien),  arbre  de  la  famille  dis 
Térébinthes , que  l’on  cultive  aux  Indes  et  au  Brésil.  Ses 
fruits  verdâtres,  jaunes,  rouges  ou  noirs  sur  le  mémo 
arbre,  sont  aromatiques  et  savoureux  ; on  en  prépare  des  tium. 

gelées  délicieuses.  Celle  Rutacéc , & fleurs  bleues , le 
Gayac  officinal , grand  arbre  des  Antilles,  A bois  dur,  pesant  et  résineux  ; il  est  employé  en 
médecine  et  dans  les  arts.  Voici  des  Bégonia , dont  les  feuilles  sont  d’un  velouté  admirable. 
Voici  lo  Dorslenia  conlrnyerva,  qui  étale  sous  nos  yeux  ses  réceptacles  carrés,  sinueux  et 
chargés  do  fleurs , dont  jo  vous  ai  expliqué  la  structure  en  vous  parlant  de  la  famille  des 
Urticécs. 


Le  troisième  compartiment  renferme,  entre  autres  végétaux  précieux,  le  Caladium  esculen- 
lum,  Arum  aux  feuilles  énormes,  dont  la  racine  torréfiée  fournit  une  fécule  nutritive  ; lo  Pa- 
payer, arbre  des  deux  Indes,  dont  le  fruit  volumineux  et  odoriférant  se  mange 
confit  au  sucre  ou  au  vinaigre.  Le  Baisinier  ( Coccoloba  uvifera)  appartient  aux 
Polvgonées  ; son  fruit  est  rougo  et  très-agréable  à manger.  L ’Alpinie  penchée 
( Alpinia  milans)  est  une  Amoméo  de  l'Amérique  méridionale  ; le  Bois  de  Cam- 
péche  ( llcematoxylon  campecianum  ) est  un  grand  arbre  de  la  famille  des  légu- 
mineuses, dont  lo  bois  fournil  une  belle  teinture  rouge.  Le  Plaquemitiier  Ébénier 
( Diospyros  Ebcnus) , très-renommé  en  menuiserie,  présente  dans  son  bois  une 
singularité  remanptable  : les  couches  centrales  sont  d’un  beau  noir  et  très- 
dures  ; les  couches  plus  jeunes  dn  la  circonférence , nommées  aubier , sont 
molles  et  d’une  couleur  blanche. 

Mordons  dans  l'étage  supérieur,  où  l’on  entretient  une  cha- 
leur tempérée.  Dans  le  premier  compartiment,  nous  trouvons 
surtout  des  plantes  grasses  ou  crassu/ées.  Tels  sont  les  Cierges 
proprement  dits  ( Cerrns) , dont  voici  une  variété  monstrueuse 
( ternis  monslrasus)  ; les  Mamillaria  ou  Cierges  laiteux  ; les 
Echinocactus  nu  Cierges  épineux  ; les  Me/ocactu»  ou  Cierges 
rabougris  et  arrondis  comme  des  melons  ; les  Opuntia  ou  Cierges 

13 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

en  raquette.  Dons  les  grottes,  nous  voyons  diverses  espèces  d’ Euphorbes , des  Mois  féroces 
[Aloe  ferox)  \ le  Poinscttia , magnifique  Euphorbiacée , dont  les  bractées 
énormes  sont  d’un  rou^o  vif; 
et  des  Cierges  grimpants  qui 
tapissent  les  murailles.  Avant 
de  quitter  ce  compartiment , 
jetez  un  coup  d’œil  sur  ce  2a- 
mia  horrida , à la  tige  courte , 
aux  feuilles  coriaces  et  grandes  ; 
il  appartient  à la  famille  du 
Cycas  que  vous  avez  vu  tout 
à l'heure.  Voici  YAselépiade 
Attrape-Mouche  ( Asclepias  cu- 
rassiiica),  Àpocvnée  de  l'Aîné- 

„ /»  r * _ Ana<ru»r. 

rique  mèridionalo , dont  lus  fleurs,  disposées  en  ombelle, 
et  d’un  boau  rouge  aurore , attirent  les  pauvres  mouches  qui  vionnont  s'y  engluer,  jusqu’à  ce 
que  mort  s'ensuive. 

Dans  le  second  compartiment,  nous  rencontrons  des  aloès,  des  Opuntias , lo  Ropal  à Co- 
chenille, et  plusieurs  autres  Nopals  recouverts  de  Cochenille.  Voici  le  Cereus  senilis,  du 
Mexique , couvert  do  longs  poils  blancs , qui  le  font  ressembler  à la  tète  chenue  d’un  vieillard. 

Dans  le  troisième  compartiment,  sont  cultivées  des  plantes  du  Cap  et  do  la  Nouvelle- 
Hollande;  les  grottes  sont  tapissées  de  guirlandes  do  Ceropegia  clegans,  appar- 
tenant à la  famille  des  Apocvnées,  et  de  Passiflores  comestibles 
IPnssiflora  edulis) , dont  le  fruit  est  d’une  saveur  acidulé  très- 
agréablo  ; on  y voit  aussi  quelques  belles  Protées,  telles  que 
le  Protea  argentea , le  Protea  speciosa  et  le  fiusselia  à (leurs 
rouges.  Le  Protea  argentea  forme,  au  Cap,  îles  forêts  entières, 
et  ses  feuillos  argentées  en  dessous  jettent  un  éclat  éblouissant 
quand  la  brise  les  agite. 

Il  ne  nous  reste  plus  à visiter  que  la  serre  des  Orchidées, 
qui  est  située  dans  le  jardin  des  Semis ; la  température  y est 
maintenue  à un  haut  degré  ; nous  trouverons  là  dos  l.œlia , des 
Catlleia,  dos  Oncidium,  des  Zygopetalum , des  Catasetum,  des 
Huulletia,  des  Cypripedium , etc. 

Tous  ces  trésors,  que  vous  venez  de  visiter  en  deux  heures,  ont  été  amassés  lentement  et 
péniblement  dopuis  deux  siècles.  Il  a fallu  bien  des  dépenses,  bien  des  soins,  bien  du  dévoue- 
ment pour  les  réunir.  Les  plantes  vivantes  que  le  nouveau  momie  envoyait  à noire  Jardin 
n'arrivaient  pas  toujours  à bon  port;  il  fallait  un  jardinier  spécial  pour  les  soigner;  il  fallait 
des  provisions  d'eau  pour  les  arroser  pendant  la  traversée;  il  fallait  quo  lus  matelots  les  res- 
pectassent , et  souffrissent  sur  le  pont  des  caisses  qui  embarrassaient  souvent  la  manœuvre , 
et  dont  l’arrosement  pouvait  même  diminuer  leur  ration  quotidienne  d’eau.  Aujourd’hui , l'in- 
vention du  doclour  Nalli.  Word  remédie  à tous  ces  inconvénients,  et  lo  dévouement  de  l)é- 
clieux,  qui  sauva  son  plant  do  Café  en  lui  sacrifiant  son  eau,  devient  complètement  superflu. 

Figurez-vous  une  solide  maisonnette  en  bois  de  chêne,  longue  de  trois  pieds  quatre  pouces, 
large  de  dix-huit  pouces , et  haute  de  trente-deux.  Les  deux  côtés  du  toit  sont  des  panneaux 
vitrés,  protégés  par  un  grillngo  de  fil  de  fer.  Sur  un  lit  de  terre,  qui  occupe  lo  plancher  de 
cette  caisse,  on  place  les  pots  pleins  de  terro  cux-mêines,  et  contenant  chacun  une  plante;  on 
arrose  bien  tout  cela , on  pose  la  toiture  sur  la  caisse , et  l’on  mastique  toutes  les  jointures , 
de  manière  que  la  maisonnette  soit  hermétiquement  close,  et  n’ait  aucuno  communication 
avec  l’air  extérieur  ; on  amarre  ensuite  cette  caisse  sur  le  pont  du  navire  ; là , les  plantes 


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GALERIES  UE  BOTANIQUE. 

reçoivent , per  leur  toit  de  verre , lu  lumière  et  la  chaleur  dont  elles  ont  besoin.  Ne  pouvant 
rien  perdre  au  dehors  par  évaporation , elles  conservent  constamment  leur  atmosphère  chaude 
et  humide , et  les  végétaux  les  plus  délicats , même  ceux  qui  sont  herbacés , arrivent  ainsi 
sains  et  saufs  à Paris  après  six  mois  de  traversée. 

A cet  ingénieux  procédé,  M.  Neumann,  directeur  des  serres  du  Jardin,  vient  d'ajouter  une 
amélioration  importante  : le  transport  par  terre  de  ces  caisses  faisait  souvent  sortir  les  pots 
do  leurs  trous;  ceux-ci  roulaieut  pêle-mêle  les  uns  sur  les  autres,  et  les  plantos  étaient 
bouleversées.  U.  Neumann  recommande  aux  expéditeurs  de  fixer  un  lit  de  paille  sur  la  terro 
qui  remplit  les  pots  ; cette  paille , bien  nette  et  bien  droite . est  disposée  entre  les  rangs  des 
plantes,  et  on  l’assujettit  par  le  moyen  de  traverses  clouées  en  dehors  de  la  caisse. 

Pour  achever  complètement  la  statistiquo  du  Jardin  , il  ne  nous  reste  plus  à visiter  que  les 
Galeries  de  botanique. 


§ X. 

LES  GALERIES  DE  BOTANIQUE. 

Nous  voici  devant  les  Galeries  de  botanique.  Ici,  vous  allez  mesurer  d’un  coup  d’œil  les 
services  rendus  à la  science  par  ceux  qui  récoltent  des  plantes,  ceux  qui  les  décrivent,  ceux 
qui  les  classent,  ceux  qui  étudicut  la  structure  intime  et  les  fonctions  do  leurs  organes.  Cette 
passion  pour  les  végétaux,  qui  élève  à lu  fois  l'Ame  et  l'intelligence,  et  que  ne  refroidit  pas  lu 
vieillesse,  se  répand  de  plus  en  plus  dans  nos  Sociétés  modernes,  et  est  devenue  une  sorte  de 
religion,  unissaut  pur  les  liens  d’une  fraternité  commune  tous  les  Botanistes  du  globe. 

Au  sein  du  monde  policé 
Se  propage  un  culte  paisible  ; 

Sectaires  tolérants,  dont  le  dogme  est  sensé, 

Ils  ont  un  Christ,  des  Saints,  des  Martyrs,  une  Bible. 

De  ce  Livre  divin,  dans  les  champs  dispersé. 

Chaque  fleur  est  pour  eux  une  page  lisible. 

Le  dôme  des  forêts  est  l’antique  et  haut  lieu 
Où  brille  à leurs  regards  la  majesté  de  Dieu; 

Leur  messie  est  Linné;  leurs  quatre  évangélistes, 

Tournefort,  Robert-Brown,  Dccandolle,  Jussieu  : 

C’est  la  secte  des  Botanistes. 

Montons  d’abord,  par  eut  escalier  particulier,  dans  la  galerie  dos  Herbiers,  où  l’on  n’entro 
pas  sans  une  permission  spéciale,  et  dont  les  savants  conservateurs,  MM.  Gaudichaud,  Guil- 
lemin  et  Décaissé,  répondront  à toutes  vos  questions  avec  une  indulgente  aménité.  Celte 
galerie  est  la  Nécropole  du  royaume  végétal;  vous  allez  y voir  les  plus  belles  plantes  réduites 
à l'état  de  momie ; mais,  quoique  aplaties  sur  du  papier,  vous  pourrez  encore  reconnaître 
leurs  formes  extérieures,  et  même  le  port  qu'elles  avaient  pendant  leur  vie.  Un  Herbier  est  un 
Jardin  sec,  inaltérable,  qui  permet  au  botaniste  d’observer  dans  toutes  les  saisons  les  carac- 
tères de  la  végétation,  tels  que  la  consistance  de  la  tige,  la  forme  et  la  dispositiou  des  feuilles, 
l’arrangement  des  fleurs,  etc.;  quand  il  veut  étudier  les  caractères  de  la  fructification,  il  fait 
macérer  dans  de  l’eau  tiède  la  fleur  qui  les  renferme  ; tous  les  organes  se  gonflent,  se  ramol- 
lissent, et,  en  les  plaçant  sur  le  porte-objet  d’un  microscope,  l’observateur  peut  les  décrire, 
comme  s’ils  étaient  encore  vivants.  C’est  ainsi  qu’ont  été  composées  beaucoup  do  Flores 
exotiques,  dont  les  auteurs  n’ont  pu  recevoir  les  plantes  qu’à  l’état  do  siccilé  : c’est  pour  eux 
qu’ont  travaillé  les  herborisateurs  que  je  vais  tout  à l’heure  vous  nommer.  Vous  comprenez 


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DEUXIÈME  PAHTIE. 
que  ces  naturalistes , qui  passaient  leur  journée  à sillonner  en  tous  sens  la  contrée  dont  ils 
avaient  entrepris  l’exploitation , n'avaient  pas  le  temps  de  faire  la  description  des  espèces 
recueillies  ; ils  récoltaient  les  végétaux  pendant  le  jour,  les  étalaient  sur  du  papier  pendant  la 
nuit,  et  lorsque,  par  lu  pression,  la  plante  avait  cédé  son  humidité  au  papier,  ils  en  faisaient 
des  ballots,  qu'ils  plaçaient  dans  des  caisses  soigneusement  goudronnées;  le  tout  était  expé- 
dié aux  botanistes  du  Muséum,  qui  classaient,  à tète  reposée,  les  richesses  du  pays  que  la 
science  venait  de  conquérir.  Ainsi  s’est  formé,  par  des  tributs  envoyés  de  toutes  les  régions 
do  la  terre,  le  trésor  inestimable  que  vous  avez  sous  les  yeux  ; toutes  les  espèces  connues  du 
Règne  végétal  ont  trouvé  à se  caser  dans  cette  galerie:  il  y a encore  plus  d'une  place  vide; 
mais  il  n’est  pas  aujourd'hui,  sur  la  surface  du  globe,  une  seule  contrée  qui  ne  soit  parcourue 
par  d’habiles  et  infatigables  voyageurs,  consacrant  leur  vio  tout  entière  à grossir  le  dépôt 
précieux  où  la  science  doit  puiser  un  jour  les  matériaux  d’une  Flore  universelle. 

Sur  les  côtés  de  la  galerie  est  Y Herbier  général,  renfermant  un  échantillon  de  chacune  des 
espèces  contenues  dans  les  Herbiers  particuliers;  ceux-ci  occupent  les  dix  cabinets  latéraux 
où  nous  allons  tout  à l’heure  entrer.  Le  fond  de  cet  Herbier  général  est  composé  de  l'ancien 
Herbier  de  Vaillant,  dont  toutes  les  plantes  étaient  étiquetées  de  sa  main,  avec  la  synonymie 
des  auteurs  connus  do  son  temps,  et  l’indication  du  lieu  où  la  plante  avait  été  recueillie.  Il  y 
avait  aussi  dans  cet  Herbier  plusieurs  plantes  envoyées  à Vaillant  par  des  botanistes,  et  éti- 
quetées de  leur  main.  Les  écritures  étant  connues,  lorsque  ceux  qui  ont  envoyé  des  piaules 
les  ont  publiées  dans  leurs  écrits,  on  a un  synonyme  incontestable.  Desfontaines  a joint  à cha- 
cune de  ces  plantes,  sur  une  étiquette  particulière,  le  nom  systématique  moderne  le  plus  sûr 
et  le  plus  connu;  les  échantillons  out  été  comparés  avec  ceux  des  Herbiers  de  Lamarek  et  de 
Jussieu.  On  a tenu  séparé  de  cet  Herbier  classique  celui  de  Toumefort,  qui  occupe  à droite 
et  à gauche  l’entrée  de  la  salle,  et  où  l’on  trouve  étiquetées  de  sa  main  toutes  les  plantes 
qu’il  avait  recueillies  dans  son  voyage  au  Levant. 

Visitons  maintenant  les  dix  cabinets  latéraux  qui  s’ouvrent  sur  la  galerie,  et  où  les  Herbiers 
sont  disposés  dans  un  ordre  géographique. 

Dans  le  premier  cabinet  est  l'Herbier  de  France,  lormé  par  les  botanistes  pou  nombreux 
do  nos  départements,  et  surtout  par  l’illustre  de  Candolle,  dont  le  monde  savunt  pleure  la 
perte  toute  récente.  Ce  cabinet  renferme  aussi  les  plantes  des  autres  contrées  de  V Europe , 
envoyées  par  MM.  Tenore,  Boissier,  Boue,  Bobert,  Bory  de  Saint- Vincent,  Martins,  Heichen- 
bach,  etc.  Dans  le  second  cabinet,  est  l’Herbier  de  V Afrique  septentrionale  et  des  i les  Cana- 
ries : il  est  dû  à MM.  Bové,  Steinheil,  Biedlé,  Ledru,  Webb.  Dans  le  troisième  cabinet,  nous 
trouvons  l’Herbier  de  Y Afrique  tropicale  : MM.  Perrotet,  Leprieur,  Heudelot,  ont  fait  celui  de 
la  Séuégambie;  MM.  Dillon  et  Schimper,  celui  de  P Abyssinie.  Le  quatrième  cabinet  renfermo 
les  plantes  do  Y Afrique  australe  : celles  du  cap  de  Bonne-Espérance  ont  été  récoltées  par 
MM.  Delalande,  Ecklon,  Drège;  celles  do  Me  Bourbon,  de  Me  de  France,  par  MM.  Dupetit- 
Tbouars,  Commerson,  Richard;  celles  do  Madagascar,  par  MM.  Coinmerson,  Du  petit  - 
Thouars,  Chapelier.  Le  cinquième  cabinet  contient  l’Herbier  de  Y Australasie,  que  nous 
devons  k MM.  Riedlé,  Lescheuault,  Guichenot,  Blume,  Perrotet,  Robert  Brown.  Dans  le 
sixième  cabinet,  sont  les  plantes  des  Indes -Orientales,  recueillies  par  MM.  Lescheuault, 
Macé,  Jacquemont,  Wallich,  Wight.  Le  septième  cabinet  contient  les  Herbiers  de  Y Asie  Mi- 
neure, do  Y Arabie,  do  Y Égypte,  de  la  Perse  et  de  Y empire  russe  : Olivier  et  Bruguière  ont 
exploité  l’Asie  Mineure,  la  Perse  et  l’Égypte;  MM.  Bové,  Schimper,  Boita,  l’Arabie;  MM.  Fis- 
cher, Bunge,  Ledebour,  l’empire  russe.  Le  huitième  cabinet  renferme  les  plantes  du  Chili, 
recueillies  par  MM.  Cl.  Gav,  Bertero,  Dombey.  Dans  le  neuvième  cabinet  sont  les  Herbiers 
du  Pérou,  du  Brésil  et  de  la  Guyane:  MM.  Dombey,  d’Orbigny,  Humboldt  et  Bonpland  ont 
recueilli  les  plantes  du  Pérou;  MM.  Poiteau,  Leprieur,  Perrotet,  celles  de  la  Guyane; 
MM.  Commerson,  A.  do  Saint-Hilaire,  Gaudichuud,  Guillemin,  Claussen,  celles  du  Brésil. 
Enfin,  le  dixième  cabinet  contient  les  plantes  du  Mexique  et  do  Y Amérique  septentrionale  : 


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GALERIES  DE  BOTANIQUE.  101 

nous  .levons  l’Herbier  .lu  Mexique  à MM.  L’Herminier,  Poiteau,  Plée,  Perrotol,  et  celui  .le 
l’Amérique  .tu  Nord,  à MM.  Michaux,  Leconle,  Castelnau,  Lapilaye. 

Je  viens  de  vous  citer  les  noms  des  naturalistes  qui  ont  affronté  des  privations  et  des  dan- 
gers de  toute  espèce  pour  enrichir  le  Muséum  de  plantes  sèches  et  de  plantes  vivantes  : ceux- 
là  sont  les  saints  de  la  botanique,  dont  je  vous  parlais  tout  à l'heure;  mais  à ce  titre  de  saint, 
on  peut  ajouter  celui  de  martyr,  pour  un  grand  nombre  d’entre  eux.  Je  ne  parle  pas  ici  de 
ceux  qui  ont  sacrifié,  dans  ces  pérégrinations  lointaines,  leur  jeunesse,  leur  santé,  leur  talent, 
leur  positiou  sociale  ; je  ne  veux  faire  mention  que  des  braves  qui  sont  morts  au  champ  d'hon- 
neur par  le  typhus,  la  misère,  la  faim,  la  captivité,  l'assassinat,  le  poison  et  la  nostalgie  (ce 
besoin  maladif  de  la  patrio  absente,  desiderium  patriœ  énorme,  que  ne  pouvait  guérir  l’énergio 
de  leur  dévouement  volontaire)  : voilà  les  martyrs  dont  les  noms  doivent  être,  non  pas  lati- 
nisés, mais  religieusement  conservés  en  toutes  lettres  daus  les  livres  de  botanique;  je  vais 
vous  en  citer  quelques-uns,  en  attendant  qu’une  mémoire  plus  sûre  que  la  mienne  les  réu- 
nisse et  les  signalo  à la  reconnaissance  des  amis  de  l’histoire  naturelle. 

Dombey,  mort  dans  les  fers  en  Catalogne,  aux  portes  de  la  France,  comme  ce  citoyen  ro- 
main, qui  fut  crucifié  sur  le  promontoire  de  Messine,  et  qui,  du  haut  do  sa  croix,  pouvait 
voir,  en  expirant,  la  terre  sacrée  do  l’Italie.  — Chapelier,  mort  do  lu  fièvre  à Madagascar.  — 
Kiedlé,  qui  mourut  à Tiinor,  et  dont  les  paroles  dernières  furent  une  prière  à ses  compagnons 
pour  la  conservation  du  Figuier  à longues  feuilles  [Ficus  macrophylta) , qu’il  avait  découvert 
dans  l’Ile  de  Java  ; l’arbre  précieux  donné  par  le  mourant  à sa  patrie  arriva  sain  et  sauf  au 
Muséum  : vous  avez  pu  le  voir  dans  la  serre  Buffon.  — Godefroy,  assassiné  par  les  naturels 
de  Manille.  — Plée,  son  compagnon,  empoisonné  à Maracaïbo.  — Havet,  mort  de  fatigue  à 
Madagascar.  — Commerson,  mort  à l’Ile  de  Frauce,  herborisatcur  admirable,  qui  avait,  pour 
découvrir  les  plantes,  lu  sagacité  instinctive  d’un  Mohican.  — Auchcr-Éloy,  mort  de  misère 
à Ispaban.  — Jacquemont,  qui  le  premier  nous  fit  connaître  les  productions  végétales  du  Ca- 
chemire et  do  l’Himalaya;  sa  sauté  s'épuisa  sous  le  ciel  dévorant  de  l'Inde,  et  les  miasmes 
empestés  de  file  de  Salsette  lui  portèrent  le  dernier  coup  : il  mourut  à Bombay,  le  7 décem- 
bre 1832;  cinq  jours  avant  sa  mort,  il  adressa  à son  frère  une  lettre  déchirante  pour  lui  dire 
adieu  et  le  consoler  : forcé  par  la  douleur  de  rester  sur  le  dos,  il  écrivit  su  lettre  au  crayon,  et 
mit  deux  jours  entiers  à l’écrire;  son  généreux  hâte,  M.  Nïcol,  passa  de  l’encre  sur  tous 
les  traits  du  crayon  avec  une  attention  religieuse  qui  conserva  exactement  le  caractère  do 
l'écriture  du  mourant  : sainte  hospitalité  I Les  richesses  scientifiques  que  Jacquemont  a 
léguées  au  Muséum  ont  doublé  de  valeur  en  passant  par  les  moins  de  M.  Decaisne,  sou 
exécuteur  testamentaire.  — Bertero,  qui  avait  frété  lui-mèmo  un  navire  pour  transporter 
sa  cargaison  botanique,  et  qui  sombra  sous  voile  au  milieu  de  i’archipel  des  Amis,  — Bové, 
mort  en  Algérie.  — Hcudelot,  collecteur  intrépide  et  jardinier  intelligent,  qui  fut  vaincu  par 
le  climat  brûlant  du  Sénégal.  — Lefèvre,  mort  eu  Nubie.  — A.  Steinheil,  jeune  médecin- 
botaniste,  plein  d'avenir,  qui  avait  déjà  pris  placo  dans  lo  monde  savant  par  des  mémoires 
du  plus  haut  intérêt;  il  so  rendait  au  Brésil  pour  y étudier  les  nombreuses  espèces  de  Quin- 
quinas; mais  un  passant  à la  Martinique,  il  avait  herborisé  avec  ardeur  au  milieu  des  mornes, 
sous  le  soleil  dos  Antilles,  il  y prit  le  germe  de  la  (lèvre  jaune,  et  mourut  dans  la  traversée. — 
Le  docteur  Dillon,  mort  après  un  très-court  séjour  en  Abyssinie,  termine  ce  froid  cl  incomplet 
martyrologe  : nous  le  vîmes  partir,  et  nous  étions  loin  de  penser  que  son  apostolat  botanique 
serait  do  si  courte  durée.  Ce  jeune  médecin , hommo  do  haute  piété  et  de  moeurs  austères , 
âpre  à l’étude,  tenace  dans  l’observation,  doué  d'une  vaste  mémoire , dessinateur  excellent, 
réunissait  au  plus  haut  degré  toutes  les  qualités  du  naturaliste  voyageur.  Son  talent  pour  la 
peinture  et  ses  sentiments  religieux  l’avaient  rendu  cher  aux  chrétiens  do  l’Abyssinie;  il  faisait 
des  tableaux  pour  les  églises  de  leurs  villages,  et  les  Abyssiniens  lui  servaient  de  guides  et 
do  protecteurs  dans  ses  herborisations.  Sa  santé  robuste  n’ayant  pu  suffire  à son  zèle , une 
dyssenlerie  meurtrière  est  venue  interrompre  la  mission  que  le  Muséum  lui  avait  confiée. 


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102 


DEL  MÊME  PARTIE. 

Nous  allons  maintenant  descendre  dans  la  Galerie  du  rez-de-rhausséo  qui  est  ouverte  au 
publie.  Le  vestibule  est  magnifique  : au-dessus  de  ces  portes  opposées  sont  deux  immenses 
feuilles  de  Palmier  parasol.  Le  long  des  murailles  sont  quelques  échan- 
tillons desséchés  do  Fougères  arborescentes;  en  voici  une  qui  est  bifur- 
quée,  disposition  tout  à fait  exceptionnelle  dans  le  tronc  des  plantes  de 
cette  famille.  Cetto  autre  Fougère  gigantesque  a été  partagée  en  deux 
moitiés  longitudinales.  Voici  un  Ilavenala  mort,  espèce  dont  vous  avez 
vu  dans  les  Serres  un  individu  vivant  : on  le  nomme  à Madagascar 
V arbre  du  voyageur;  ce  nom  est  justifié  par  la  disposition  de  scs  fouilles 
qui  offrent  au  voyageur  altéré  uu  réservoir  plein  d’une  eau  claire  et 
limpide,  tous  voyez  aussi  quelques  Palmiers,  dont  un  est  rameux, 
anomalie  non  moins  rare  que  dans  les  Fougères;  parmi  eux  se  trouve 
le  Dattier,  que  vous  connaissez  déjà.  Remarquez  celte  tigo  de  Palmier 
qu’entourent  de  millo  bandelettes  entrelacées  les  racines  aériennes  d'un 
arbre  que  l’on  suppose  être  un  Figuier.  Vous  voyez  que  ces  bandelettes 
n'ont  proiluit  aucune  impression  sur  lo  tronc  du  Palmier,  qui  ne  croit 
pas  en  grosseur.  Si  c’eût  été  un  arbre  dicotylédone,  dont  l’accroisse- 
ment se  fait  en  hauteur  et  en  diamètro , lo  pression  de  ces  racines  eût 
donné  lieu  à des  bourrelets  considérables.  Voici  un  Orme  des  environs 
de  Palis,  qui  a été  foudroyé,  et  dont  la  foudre  a divisé  les  faisceaux 
fibreux, 

Au  centre  do  ce  vestibule 
s'élève  1a  statue  d'Auloinc- 
Laurent  de  Jussieu,  due  au 
ciseau  de  M.  Legendre  Hé- 
ral.  L'illustre  professeur  est 
représenté  dans  son  costume  officiel,  méditant  sur 
les  caractères  d'une  plante  qu’il  vient  d’examiner 
à la  loupe. 

Entrons  dans  la  Galerio  de  botanique  : nous 
trouvons  devant  lo  meuble  du  milieu  un  bloc  de 
bois  pétrifié , recueilli  dans  la  Vallée  de  la  Désola- 
tion, qui  s'étend  du  Caire  à la  mer  Rouge.  Sur  la 
table  de  ce  meuble  est  la  collection  do  champi- 
gnons imités  en  cire,  dont  uno  partie  a été  donnée 
par  l'empereur  d’Autriche.  A gauche,  dans  les 
cabinets , sont  des  bois  vivants  de  tous  les  pays , 
dont  plusieurs  offrent  des  coupes  différentes,  qui 
montrent  l’organisation  des  tigos.  Voici  un  mor- 
ceau de  bois,  dans  l’intérieur  duquel  on  trouvo 
l’impression  do  co  qui  avait  été  écrit  sur  l’écorce 
on  1750;  les  lettres  et  les  chiffres  se  voient  encore 
sur  l’écorce,  mais  il  n’y  en  a pas  la  moindre  trace 
sur  les  couches  intermédiaires  qui  se  sont  formées 
entre  l’écorce  et  le  bois.  Nous  trouvons  aussi  dans 
ces  cabinets  les  tiges  dont  la  partie  fibreuse  forme  un  tissu  naturel  ; tel  est  le  Lagetlo  ou  Bois- 
denlelle,  arbrisseau  de  la  famille  des  Daphnées,  dont  l’écorce  se  dédouble  en  lames  filan- 
dreuses qui  imitent  la  gaze  ou  la  dentelle  ; tel  est  encore  V H ydrogelon  fencstrale,  dont  je  vous 
ai  iléjà  parlé. 

Les  travées  séparant  les  cabinets  à droite  et  à gauche  renferment  la  collection  des  fruits 


U 


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103 


GALERIES  DE  BOTANIQUE. 

indigènes  et  exotiques,  desséchés  ou  conservés  dons  do  l'esprit-de-vin.  Voici  de  beaux  Corna 
ira  Maldives,  dont  un  est  à quatre  lobes;  ces  fruits  appartiennent  à un  Palmier  (Istdoicea 
Secliellarum ) , découvert  aux  tles  Séchelles  par  Commerson.  On  les  a appelés  Cocos  des  Mal- 
dives, parce  que  les  marins  les  trouvaient  flottants  aux  environs  des  Iles  de  ce  nom;  on  en  a 
trouvé  depuis  dans  divers  parages  de  l'Océan,  ot  jusque  sur  les  rives  de  l’Islande.  Le  Boum 
ou  Palmier  de  la  Thébaïde,  dont  vous  voyez  les  fruits  volumineux,  est  un  bel  arbre  naturel  à 
l’Égypte;  son  tronc,  qui  fournit  des  planches;  ses  feuilles,  avec  lesquelles  on  fabrique  des 
tapis  et  îles  paniers;  son  fruit,  dont  la  pulpe  est  sucrée,  en  font  un  des  végétaux  les  plus 
utiles  de  l'Égypte.  Voici  le  fruit  du  Lecylhis,  que  vous  connaissez  déjà,  et  dont  lu  forme 
bizarre  explique  le  nom  populaire  do  Marmite  de  Singe.  Je  ne  passerai  pas  outre,  sans  vous 
dire  un  mot  du  Haf/lesia,  dont  on  conserve  la  fleur  dans  des  bocaux  d'esprit-de-vin.  Cette 
Cylinéc  parasite  produit  une  fleur  qui  a plus  de  huit  pieds  de  circonférence,  et  ne  pèse  pas 
moins  de  quinze  livres;  la  corolle  est  à cinq  pétales,  réunis  par  un  tube  ou  nectaire,  qui  peut 
contenir  au  moins  douze  pintes  de  liquide;  ce  nectaire  est  plein  de  mouches,  attirées  par 
l’odeur  de  viande  qu’il  exhale.  Celle  fleur  gigantesque  croit  et  s’épanouit  sans  tige  ni  feuilles, 
et  constitue  presque  toute  la  plante  ; une  petite  racine  traçante,  longue  à peine  de  deux  doigts, 
la  fixe  à celles  du  tissus  anyustifolius,  aux  dépens  duquel  elle  se  nourrit. 

Nous  allons  maintenant  visiter  les  cabinets  qui  occupent  le  côté  droit  de  la  Calorie  : là  sont 
rangés  les  végétaux  fossiles,  dont  M.  Ad.  Brongniart  a publié  l’histoire. 

Vous  avez  souvent  entendu  dire  que  le  globe  terrestre  n'a  pas  toujours  été  ce  qu’il  est 
actuellement;  cette  vérité,  devonuo  aujourd'hui  vulgaire,  nous  a été  révélée  par  les  couches 
de  terrains  différents,  superposées  les  unes  aux  autres  dans  un  ordre  de  succession  qui  est 
partout  le  même,  et  renfermant  des  débris  d’animaux. 

Cos  débris  attestent  que  les  animaux  des  couches  inférieures  vivaient  à ciel  ouvert  sur  le 
sol  de  ces  couches;  qu’ils  y ont  été  engloutis  dans  des  liquides,  qui  se  sont  ensuite  durcis 
par  évaporation;  quo  sur  cette  croûte  sont  venus  vivre  d’autres  animaux,  lesquels  ont  été 
envahis  à leur  tour  par  de  nouveaux  liquides,  qui  se  sont  également  épaissis  et  solidifiés, 
(mur  être  habités  par  do  nouveaux  êtres  qu'a  détruits  la  formation  de  la  croûte  superficielle 
sur  laquelle  vit  aujourd'hui  l’homme,  sorti  le  dernier  des  mains  du  Créateur.  La  date  relative 
de  toutes  ces  révolutions  nous  est  donnée  par  les  ossements  et  les  coquilles  d’animaux  ter- 
restres, marins  et  d’eau  douce,  qui  occupent,  toujours  dans  lo  même  ordre,  les  couches 
successivement  formées.  On  en  doit  conclure  que  la  mer,  l’eau  douce,  la  terre  ferme  ont 
tour  à tour  occupé  le  même  bassin;  c'est  co  qu’on  voit,  par  exemple,  à Paris,  oh  l'on  trouve 
des  Ifutlres  marines,  des  Moules  d’eau  douce,  des  Quadrupèdes  terrestres,  et  d’énormes 
Amphibies,  tels  que  le  Crocodile  de  Meudon,  etc. 

Celui  qui  a jeté  le  plus  de  lumière  sur  l’histoire  de  ces  révolutions,  est  Cuvier.  L’n  seul  os, 
trouvé  dans  les  carrières  de  Montmartre,  lui  a suffi  pour  construire,  par  induction,  un  animal 
complet  dont  l’espèce  avait  disparu;  et  quelque  temps  après,  on  a trouvé  dans  le  plâtre  le 
squelette  presque  entier  de  l'animal  inconnu,  conforme  au  dessin  qu'il  en  avait  tracé.  En 
poursuivant  ses  études  sur  les  fossiles,  Cuvier  est  arrivé  à reconnaître  qu’un  grand  nombre 
d'espèces  animales  n’existaient  plus  à la  surfaco  du  globe;  il  en  a donné  la  description  sur 
les  ossements  qu'on  a trouvés,  et  nous  avons  eu  ainsi  la  Faune  fossile  de  notre  planète. 

Vous  admettrez  sans  peine  que  les  premiers  animaux  qui  peuplèrent  les  anciennes  couches 
de  la  terre  durent  se  nourrir  de  végétaux  ; le  Règne  végétal  a donc  précédé  le  Règne  animal  ; 
mais  quels  étaient  ces  végétaux?  C’est  ce  que  M.  Ad.  Brongniart  a entrepris  de  nous  faire 
connaître:  géologue  et  botaniste  profond,  il  s’est  livre  à de  longues  et  minutieuses  recher- 
ches; les  matériaux,  d’abord  peu  nombreux,  qu’il  avait  à sa  disposition,  lui  ont  suffi  pour 
établir  les  familles  et  les  genres  de  la  Flore  fossile;  et  ceux  qui  sont  venus  s'ajouter  aux 
premiers  ont  confirmé  la  justesse  de  ses  aperçus.  Je  vais  en  peu  de  mots  vous  faire  com- 
prendre quelles  difficultés  il  y avait  à vaincre  pour  que  la  botaniquo  eûl  son  Cuvier. 


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101  DEUXIÈME  PARTIE. 

On  peut,  en  zoologie,  déterminer,  d'après  la  structure  d'un  seul  organe,  celle  de  tout  l'in- 
dividu : ainsi  un  os,  avant,  grâce  à la  nature  de  son  tissu  serré  et  calcaire,  résisté  au*  causes 
de  décomposition,  et  conservé  sa  forme  extérieure,  peut  révéler  à un  observateur  exercé  la 
proportion  des  autres  os  avec  lesquels  il  s'agençait,  et  la  structure  des  parties  molles  aux- 
quelles il  servait  d'axe  : ainsi,  uno  dent,  une  griffe,  un  sabot,  un  bec,  une  mâchoire,  en  nous 
indiquant  le  régime  alimentaire  et  les  mœurs  d'un  animal,  peuvent  nous  conduire  à doviuer 
sa  structure  complète,  on  du  moins  & le  classer  dans  le  genre  ou  la  famille  à laquelle  il 
appartient.  Mais  il  n’en  ost  pas  de  même  en  botanique;  la  connexion  qui  lie  les  organes  de  la 
plante  (bien  qu’on  ne  puisse  la  révoquer  en  doute)  est  loin  d’ètre  aussi  évidente  que  chez  les 
animaux.  C’est  seulement  dans  les  végétaux  inférieurs,  comme  dans  les  Algues,  où  la  liaison 
est  intime  entre  la  végétation  et  la  fructification,  que  l’on  peut  reconnaître  la  seconde  par  la 
première,  et  déterminer  la  famille,  le  genre  et  même  l’es|>èce  ; dans  les  Fougères,  les  Prèles, 
les  Mousses,  la  végétation  suffit  pour  indiquer  la  famille;  mais  la  fructification  est  indispen- 
sable pour  arriver  â reconnaître  le  genre  : ici  déjà  la  fructification  et  la  végétation  sont  moins 
dépendantes  l’une  de  l’autre;  dans  les  monocotylédones,  et  surtout  dans  les  dicotylédones, 
celte  dépendance  mutuelle  des  organes  végétants  et  reproducteurs  est  encore  moins  marquée. 
Or,  les  végétaux  fossiles  présentant  très-rarement  réunis  les  deux  systèmes  d’organes,  et 
n'ayant  guère  conservé  que  ceux  do  la  végétation,  c’est-à-dire  les  tiges  et  les  feuilles,  il  a 
fallu  s’en  contenter  pour  recomposer  la  plante  dont  les  parties  étaient  dispersées. 

M.  Ad.  Brongniart  a accordé  A chaque  organe  une  valeur  fondée  sur  son  importance;  il  a 
mis  en  première  ligne  les  caractères  anatomiques  de  la  tige,  qui  tiennent  à l'organisation 
intime  de  1a  plante;  et  lorsqu'il  n'a  pu  les  observer,  il  a cherché  à découvrir  dans  les  formes 
extérieures  quelques  modifications  qui  fussent,  pour  ainsi  dire,  l’expression  du  caractère 
interne.  Après  le  mode  de  distribution  des  vaisseaux  dans  la  tige,  il  a placé  l'insertion  des 
feuilles  et  la  distribution  des  vaisseaux  qui  se  rendent  dans  le  pétiole;  enfin,  l'arrangement 
des  nervures  dans  les  feuilles  lui  a fourni  les  signes  les  plus  essentiels  pour  les  distinguer 
entre  elles,  et  pour  déterminer  les  familles  auxquelles  elles  appartiennent. 

Quant  aux  organes  reproducteurs,  ils  n’ont  fourni  à M.  Brongniart  qu’un  bien  petit  nom- 
bre d’indications  : la  fleur  ne  se  rencontre  presque  jamais  ; le  fruit  pourrait,  par  sa  structure, 
son  adhérence  avec  le  calice,  le  nombre  et  l'insertion  de  ses  graines,  etc. , fournir  des  carac- 
tères précieux  : mais  il  est  ordinairement  impossible  de  le  distinguer  : cependant  on  a pu 
présumer  le  nombre  des  loges  de  l’ovaire  d'après  celui  de  ses  eûtes  ou  de  ses  sillons  longitu- 
dinaux, ou  bien  encore  par  les  traces  de  la  base  des  styles. 

Mais  ce  qui  complique  surtout  l’étude  de  la  Botanique  fossile,  co  sont  les  déformations  va- 
riées que  la  chaleur,  la  pression  en  sens  divers,  etc.,  ont  fait  subir  aux  organes  des  végétaux  : 
« Ces  modifications,  dit  M.  Brongniart,  exigent  une  attention  extrême  pour  remonter,  lorsque 
cela  est  possible,  de  l’échantillon  ainsi  transformé,  à son  lypo  primitif,  c'est-à-dire  à la  forme 
que  l'organe  devait  avoir  durant  la  vie;  cependant  cette  opération  est  celle  qui  doit  précéder 
toute  autre  recherche,  et  sans  laquelle  on  est  conduit  aux  erreurs  les  plus  grossières.  Ainsi  il 
faut,  avant  tout,  s’assurer  si  l’échantillon  représente  la  plante  ou  sa  contre-épreuve  dans  la 
roche  environnante;  dans  le  premier  cas,  on  doit  déterminer  si  la  plante  est  entière  ou 
incomplète;  si,  par  exemple,  l’écorce  y est  encore,  représentant  la  surface  extérieure  delà 
plante,  ou  si  cette  surface  est  dépourvue  d’écorce  et  n’est  qu'un  moule  intérieur.  Dans  le 
second  cas,  il  faut  examiner  si  la  contre-épreuve  représente  la  surface  extérieure  de  l’écorce 
ou  le  noyau  intérieur  sans  écorce.  Faute  de  toutes  ces  précautions,  on  est  exposé  à des 
erreurs,  à des  multiplications  d’espèces,  etc.  » 

C’est  en  marchant  avec  prudeuce  et  circonspection  dans  ces  routes  obscures,  éclairé  par  le 
flambeau  de  l’anatomie  comparée,  que  SI.  Ad.  Brongniart  est  parvenu  à dresser  l'inventaire 
des  richesses  végétales  du  monde  antédiluvien.  Dans  les  terrains  de  transition  et  dans  les 
bassins  de  houille  ( Charbon  de  ferre) , dont  l’origine  est  due  à des  végétaux  accumulés,  que 


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105 


C ALF.RI  ES  DK  BOT  A NI  Ql  E. 


sont  venues  recouvrir  et  comprimer  sous  leur  poids  brûlant  des  masses  de  substances  miné- 
rales, la  science  n’a  rencontré  qu'un  petit  nombre  de  familles  : les  Algues  constituent  presque 
exclusivement  la  Flore  des  terrains  tic  transition  (qui  se  composent  de  sel  listes-ardoises 
noirs,  calcaires,  etc.,  lentement  déposés  sur  le  granit  primitif).  Dans  les  terrains  houillers 
qui  succédèrent  aux  précédents,  on  ne  retrouve  plus  les  Algues  (qui, 
sans  doute,  vu  le  peu  de  solidité  de  leur  tissu,  ont  été  détruites),  mais 
les  Prèles , les  Lycopodes  et  les  Fougères  y dominent.  Les  F ougères  de 
ces  temps  primitifs  «'étaient  pas  les  mêmes  que  celles  qui  vivent  aujour- 
d'hui dans  nos  climats  tempérés  : on  ne  retrouve  leurs  analogues  que 
dans  les  Fougères  arborescentes  des  régions  équatoriales.  « Les  autres 
arbres  de  cette  antique  végétation,  dit  M.  Ad.  Brongniart,  sont  repré- 
sentés aujourd’hui  par  les  végétaux  les  plus  humbles  de  notre  Flore. 

Ainsi  les  Calamites,  qui  avaient  jusqu’à  seize  pieds  d'élévation,  onl  une  Tlk,  „ M,„u 
ressemblance  presque  complète  avec  les  Prèles  dont  les  tiges,  moins 
grosses  que  le  doigt , dépassent  rarement  trois  pieds  de  hauteur  : les  Calamites  étaient  donc 
des  Prèles  arborescentes.  Les  Lepidodendrons , qui  ont  contribué,  plus  que  tous  les  autres 
végétaux,  à la  formation  de  la  houille,  différent  peu  de  nos  Lycopodes ; mais  taudis  que  les 
Lycopodes  actuels  sont  de  petites  plantes,  ordinairement  rampantes  et  semblables  à de 
grandes  mousses,  atteignant  rarement  trois  pieds  de  haut  et  couvertes  de  très-petites  feuilles, 
les  Lepidodendrons,  tout  en  conservant  la  même  forme  et  le  même  aspect,  s’élevaient  jusqu'à 
soixante-quinze  pieds,  avaient  à leur  base  près  de  neuf  pieds  de  circonférence,  et  portaient 
des  feuilles  d’un  pied  et  demi  de  longueur  : c’étaient  par  conséquent  des  Lycopodes  arbores- 
cents, comparables  par  leur  taille  aux  plus  grands  sapins. 

« Après  la  destruction  de  cette  puissante  végétation  primitive,  qui  fut  ensevelie  sous  les 
dernières  couehes  des  terrains  humiliera , le  Régne  végétal  parait  pendant  longtemps  n’avoir 
pas  atteint  ce  même  degré  de  développement  : cependant  la  période  qui  sépare  la  formation 
houillère  de  nos  terrains  modernes  est  remarquable  par  la  prépondérance  de  deux  familles  qui 
se  perdent,  pour  ainsi  dire,  au  milieu  de  l’immense  variété  des  végétaux  dont  est  couverte 
aujourd'hui  la  surface  de  la  terre,  mais  qui  alors  dominaient  toutes  les  autres  par  leur  nombre 
et  leur  grandeur  : ce  sont  les  Conifères  et  les  Cycadées.  L'existence  de  ces  deux  familles  pen- 
dant cette  période  est  d’autant  plus  importante  à signaler,  qu’intimemenl  liées  eirtro  elles  par 
leur  organisation  (vous  vous  rappelez  que  leur  fleur  n'a  ni  calice,  ni  corolle,  ni  ovaire,  et  se 
réduit  à nue  graine  nue,  protégée  uniquement  par  une  écaille),  elles  forment  le  chaînon  inter 
médiaire  entre  les  plantes  sans  cotylédons  à fructification  inconnue,  qui  composaient  presque 
seules  la  végétation  primitive , et  les  monocotylédones  et  dicotylédones  qui , de  nos  jours,  for- 
ment la  majorité  du  Régne  végétal.  » 

C'est  au-dessus  des  terrains  crétacés , entre  la  craie  et  le  calcaire  grossier. 


tque  change  tout  à coup  la  nature  de  la  végétation  terrestre.  1 

disparu  ; on  ne  trouve  presque  au- 
' MtÊVhi  cuü0  F°uB®te  » •*  végétation  est 
^k\  jMB  composée  'le  Conifères  très-diffé- 
renies  dos  anciennes  on  voit  en 
outre  apparaître  des  Palmiers,  des 

liles . et  une  foule  de  dicotylédones , 
dont  on  no.  peut  déterminer  la  fa- 
mille. Le  calcaire  grossier , d’origino  marine , contient  de  nouvelles  Algues, 
des  Naïades  ; et  enfin  les  terrains  d’eau  douce , qui  forment  les  couches 
supérieures  du  soi  que  nous  habitons  aujourd'hui,  présentent  à l’état  fossile 
des  Chara,  des  Liliacées , des  Nymphéas,  etc. 


.es  Cycadées  ont 


Tict  toertumt 

m NtarHtA. 


1 4 


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10C 


DEUXIÈME  PARTIE. 

ii  Ainsi,  aux  Prîtes,  aux  Fougères,  aux  Lycopodes,  premier  degré  de  l'organisation  ligneuse 
(qu'avaient  précédées  les  Algues),  succédèrent  les  Conifères  ol  les  Cycaddes , qui  tiennent  un 
rang  plus  élevé  dans  l'échelle  des  végétaux;  et  à celles-ci  succèdent  les  plantes  dicotylédones 
qui  en  oecupenl  le  sommet. 

n Dans  le  Règne  végétal,  comme  dans  le  Régne  animal,  il  y a donc  eu  un  perfectionnement 
graduel  dans  l'organisation  des  êtres  qui  ont  successivement  vécu  sur  notre  glolie,  depuis 
ceux  qui , les  premiers , ont  apparu  à sa  surface , jusqu’à  ceux  qui  l'habitent  actuellement.  » 


HISTOIRE  BOTANIQUE  DU  JARDIN 


Nous  avons  terminé  la  revue  botanique  du  Jardin;  vous  a ver  admiré  la  splendeur  do  ce 
royal  établissement,  vous  avez  dénombré  toutes  les  richesses  végétales  qu'il  renferme;  mais 
ces  richesses  vont  augmenter  de  valeur  à vos  yeux , quand  vous  saurez  ce  qu’il  en  a coûté  do 
travaux,  de  patience  et  de  génie  pour  les  acquérir,  et  les  ranger  dans  l'ordre  oh  nous  les 
voyons  aujourd'hui. 

Ou  vous  n dit  que  bonis  XIII  créa  le  Jardin  du  Roi;  mais  il  n’est  pas  sans  intérêt  do 
remonter  aux  causes  premières  qui  amenèrent  cette  création.  A'ous  saurez  donc  que  les  dames 
do  la  cour  de  Henri  IV  avaient  un  goût  très-vif  pour  la  broderie  des  fleurs  : après  avoir  exercé 
leur  talent  sur  les  plantes  de  nos  bois  et  de  nos  prairies,  elles  se  lassèrent  do  VÉglnnlint,  de 
la  Marguerite,  du  Mouton  d'or,  et  firent  partout  chercher  des  fleurs  étrangères.  Or,  il  y avait 
à la  pointe  occidentale  de  la  Cité,  sur  l’emplacement  actuellement  occupé  par  la  place  Dau- 
phine, un  jardin  appartenant  à Jean  Robin , simpliciste  du  Roi.  Ce  Jean  Robin  avait  fait  venir 
à grands  frais  de  la  Hollande  des  Crames  et  des  Oignons  de  Plantes  exotiques , cl  son  cata- 
logue s'élevait  à treize  cents  espèces  ; il  vendait  des  fleurs  aux  dames , mais  il  refusait  obsti- 
nément d'en  donner  les  graines,  et  détruisait  ses  cageu.r  plulût  que  de  les  communiquer.  Guy 
Patin  (le  célèbre  adversaire  de  l'émétique),  grand  amateur  d'horticulture,  n’avait  rien  pu 
obtenir  de  Jean  Robin  : aussi  l'appelait-il  dans  ses  lettres  le  dragon  des  llespérides.  On  raconte 
même  que,  désespérant  de  l'endormir,  il  se  présenta  un  matin  chez  lui,  en  grande  robe,  sui- 
vant l'usage  des  médecins  de  ce  temps-là;  il  le  trouve  dans  son  grenier,  occupé  à ranger  les 
semences  et  les  fruits  de  sa  collection  ; il  regarde  tout , admire  tout,  et  ne  demande  rien  ; il  lui 
explique  les  propriétés  médicinales  et,  comme  on  disait  alors,  l'intérieur  de  toutes  ces  plan- 
tes. I.'avare  jardinier  était  enchanté  de  celte  visite,  et  toutefois  ne  perdait  pas  de  vue  les  mains 
agiles  de  Guy  Patin;  mais  le  rusé  docteur,  allant  et  venant  par  la  chambre,  balayait  avec  la 
longue  queue  de  sa  robe  le  parquet  tout  jonché  de  graines  : il  s’en  accrocha  plus  d’une  à 
l’étoffe  doctorale,  comme  vous  pouvre  croire.  Cependant  cette  récolte  d'un  nouveau  genre  ne 
fut  pas  assez  abondante  pour  enrichir  les  amateurs,  et  la  réputation  exclusive  do  Jean  Robin 
alla  toujours  en  croissant. 

Ce  fut  alors  que  Guy  de  La  Drosse,  médecin  ordinaire  du  roi  Louis  XIII,  eut  l'idée  de  sus- 
citer au  simpliciste  une  concurrence  royale.  Il  stimula  son  collègue  Hérouard,  premier  méde- 
cin, et  tons  deux  représentèrent  au  roi  qu'il  était  honteux  pour  la  couronne  et  affligeant  pour 
l'humanité , qu'un  simple  particulier  fût  seul  possesseur  en  France  dos  plantes  exotiques  les 
plus  belles  et  les  plus  précieuses;  que,  dans  une  capitale  comme  Paris,  où  florissail  la  méde- 
cine, il  était  indispensable  d’avoir  un  établissement  spécial  pour  la  démonstration  de  l'exU- 
n'etirol  de  V intérieur  des  plantes,  ainsi  que  pour  la  manipulation  des  drogues.  Louis  XIII 
accueillit  les  observations  de  ses  médecins , et  le  Jardin  royal  des  Plantes  médicinales  ftit 
institué.  L’édit  créait  trois  professeurs  pour  la  démonstration  de  l'intérieur  des  plantes,  de  la 
chimie-pharmacie  et  de  la  llotanique  : Guy  de  La  Brosse  fut  nommé  intendant  du  Jardin  ; il 
fut  chargé  de  diriger  les  cultures  et  d'enseigner  Vejrlérieur  des  plantes,  c'est-à-dire  leurs  carac- 


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107 


HISTOIRE  BOT A N IQ LE  Dl  JARDIN. 

téros  physiques  ; sur  sa  demande,  on  lui  adjoignit,  comme  sous-dé monslraléur,  Vespasien 
Robin , fils  de  Jean , qui  avait  succédé , du  vivant  do  son  père , i la  charge  d 'arboriste  nu  sim- 
plicité du  Roi.  Cutto  adjonction  était  un  habile  calcul  de  La  Brosse  : la  vanité  paternelle  parla 
plus  haut  que  l'avarice  dans  lu  Cœur  du  vieux  jardinier,  et  pour  payer  la  bienvenue  de  son 
fils.il  donna  au  Jardin  plus  de  douze  cents  espèces,  qui  formèrent  le  fond  de  V École  de 
Botanique. 

Vous  devez  penser  que , dans  un  établissement  qui  portait  le  nom  de  Jardin  des  Herbes 
médicinales , les  plantes  durent  être  classées,  non  d’après  leurs  rapports  d’organisation,  que 
l’on  no  connaissait  pas,  mais  d’après  leurs  vertus,  que  l’on  croyait  connaître  : ainsi  l'on  réunit 
Comme  espèces  émollientes,  la  Guimauve,  lu  Mvlène,  le  Séneçon  et  la  pariétaire,  qui  appar- 
tiennent à (Jualre  familles  très-éloignées  les  unes  des  autres;  le  Pied-de-Cliat , le  Coquelicot, 
la  Mauve,  furent  mis  ensemble  sous  le  nom  de  plantes  béchiques  ; l'Hgsope , le  Capillaire  et  la 
Véronique  occupèrent  une  même  plate-bande  ou  qualité  d'espèces  pectorales , etc. 

Le  Jardin  était  loin  d'offrir  alors  le  magnifique  développement  qu'il  a reçu  sous  Ruffon.  Les 
deux  grands  carrés,  séparés  par  uu  bassin,  que  l'on  iiommo  aujourd'hui  le  Parterre  Cliaptal, 
et  qui  s’étendont  vis-à-vis  des  deux  Buttes,  formaient  quatre  carrés  où  l'on  cultivait  les  Plantes 
médicinales  les  plus  usitées.  (Vous  avez  vu  des  carrés  analogues,  à l'entrée  du  Jardin,  du 
côté  do  la  rivière.)  Entre  ce  grand  parterre  et  la  petite  Butte  était  V École  de  Botanique , qui 
s'étendait  par  conséquent  depuis  la  rampe  qui  monte  entre  les  deux  grandes  Serres  neuves, 
jusqu'à  l’allée  qui  sépare  l'École  actuelle  en  deux  parties  iuégalcs.  Plus  à l’ouest,  c'est-à-dire 
Vis-à-vis  la  grande  Butte,  étaieut  d'abord  des  banquettes  pour  les  Plantes  du  midi  de  la 
France  ; puis  tout  à fait  à l’ouest  (jusqu'à  la  cour  qui  est  située  devant  le  Cabinet)  V Orangerie 
et  son  jardin.  Ce  qu'on  appelle  maintenant  le  Cabinet  ou  la  Galerie  d’histoire  naturelle  n'exis- 
tait pas  encore;  il  y avait  là  uu  château  à uu  étage,  occupé  par  l'intendant  ; la  porte  d'entrée, 
qui  était  unique  pour  tout  l’établissement,  répondait  à l’allée  séparant  le  Parterre  médicinal 
de  l’École  ; à gauche  de  cette  porte,  était  un  amphithéâtre  pour  les  leçons  ; à droite  le  château  ; 
et  à l'angle  méridional , une  galerie  contenant  six  cents  bocaux  de  substances  desséchées , 
désignées  sous  le  nom  de  matière  médicale.  Sur  l'emplacement  actuel  dos  Galeries  de  Miné- 
ralogie et  de  Botanique,  s'étendait  un  Jardin  légumier,  qui  devint  plus  tard  l'École  des  arbres, 
sous  Tournefort , et  où  existent  encore  le  vieil  Acacia  de  Vespasien  Robin , l'Érable  de  Mont- 
pellier, lo  Soplwra  du  Japon , le  Genévrier  élevé  et  le  Micocoulier  austral. 

La  rue  de  Buffon  n’était  pas  percée  ; l’espace  qu'elle  traverse  aujourd'hui  était  occupé  par 
des  jardins  particuliers.  A l'est  du  Parterre  médicinal  et  de  l'École  , étuient  d’abord  un  petit 
bois  percé  en  étoile,  et  planté  d’arbres  rustiques  ; puis  un  terrain  vague,  dont  on  tira  plus  tard 
du  sable  pour  les  allées;  puis  un  Jardin  des  couches  et  des  légumes  délicats;  puis  enfin  un 
Verger  agreste  en  quinconce , continuant  au  nord-est  l'École  do  Botanique.  Cette  limite  orien- 
tale du  Jardin  commençait  à la  porte  qui  ouvre  sur  la  rue  de  Buffon , coupait  l'angle  nord  des 
deux  terraùis  faisant  suite  au  Parterre  médicinal,  et  occupés  actuellement  par  la  grande  Pépi- 
nière; puis  elle  bordait  lo  Verger  agreste  en  quincouce,  qui  depuis  est  devenu  le  commencement 
du  grand  carré  de  l’École  actuelle.  Arrivée  à l'allée  où  l’on  a depuis  planté  des  Marronniers, 
elle  se  terminait  à l'angle  de  marais  dormant  sur  la  rue  do  Scùie,  et  où  se  trouvent  mainte- 
nant le  Jardin  des  Serres  et  la  grande  Serre  tempérée.  Le  long  de  toute  cette  limite  coulait  la 
rivière  de  Bièvre,  dont  le  cours  a été  détourné  plus  lard.  Entre  la  Bièvre  et  la  Seine  étaient 
des  marais  légumiers  et  des  chantiers  do  bois. 

La  limite  septentrionale  du  Jardin , faisant  suite  à celle  que  je  viens  de  vous  décrire , lon- 
geait le  Jardin  actuel  des  Semis , et  so  brisait  pour  contourner  la  petite  Butte  ; laissant  à sa 
droite  le  jardin  de  l'hôtel  do  Magny,  où  l’on  a plus  tard  établi  le  grand  Rond,  et  construit 
V Amphilliéütre ; puis  elle  suivait  le  contour  de  la  grande  Butte,  jusqu’à  la  rue  du  Jardin  du 
Roi , en  longeant  à droite,  dos  maisons  et  des  terrains  qui  aujourd'hui  appartiennent  à l’éta- 
blissement. 


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108  DEUXIÈME  PARTIE. 

Toi  était  le  Jardin  dont  Guy  de  La  Brosse  fut  le  véritable  fondateur,  et  où  le  premier  il  pro- 
fessa la  Botanique.  Il  mourut  trois  ans  après  l’ouverture  de  rétablissement , et  sa  mort  eût 
été  un  malheur  irréparable,  s'il  n’avait  laissé  un  petit-neveu  qui  devait  plus  tard  restaurer 
glorieusement  sou  œuvre  ; eu  attendant , on  s’occupa  de  donner  uu  successeur  à Guy  de  La 
Brosse  : il  fallait  un  botaniste  pour  remplir  sa  place,  et  ce  fut  un  magistrat  qui  l’obtint  : 
Bouvart  de  Fourqueus,  premier  médecin  du  roi,  et  en  cette  qualité  surintendant  de  son  Jardin 
des  Herbes  médicinales,  nomma  intendant  et  professeur  de  botanique  son  propre  (ils,  conseiller 
nu  parlement.  Nous  ne  savons  si  ce  cumul  fut  aussi  préjudiciable  à la  Justice  qu’à  la  Science; 
ce  qu’il  y a de  vrai , c’est  que  Vespasien  Robin  demeura  seul  chargé  de  démontrer  l’extérieur 
des  plantes.  Bientüt  le  premier  médecin  Bouvart  fut  remplacé  par  Vautier,  qui  voulut  évincer 
le  lits  de  son  prédécesseur,  et  nommer  un  intendant  à son  choix  ; n’ayant  pu  y réussir,  il  se 
dégoûta  de  la  surintendance,  et  ne  prit  plus  aucun  intérêt  au  Jardin.  Dès  lors  tout  tomba  en 
décadence,  les  Plantes  périrent,  les  leçons  furent  négligées,  et  le  pauvre  Robin  n’osa  pas  réagir 
contre  l’incurie  do  Vautier.  Toutefois , celui-ci  opéra  une  reforme  utile  dans  l’enseignement  : 
il  substitua  un  cours  d’Aualomio  à celui  qu’on  faisait  sur  l’intérieur  des  Plantes;  cette  mesure 
prépara  la  chaire  querCuvier  devait  remplir  un  jour. 

Vallot , qui  succéda  & Vautier  en  1652,  ne  montra  pas  d’abord  plus  de  xèlo  que  celui-ci  ; 
mais  une  circonstance  fortuite  vint  lo  tirer  de  son  apathie  : il  vil  k Blois  le  jardin  de  botanique 
établi  par  Gaston  d’Orléans,  frère  de  Louis  XIII.  Ce  jardin  renfermait  non-seulement  une  riche 
collection  de  Plantes  de  tous  les  pays , que  lo  prince  avait  fait  décrire  par  de  savants  botanis- 
tes; mais  on  y admirait  encore  do  magnifiques  vélins  qui  représentaient  les  csjièccs  les  plus 
remarquables,  peintes  par  le  fameux  Robert.  Vallot  fut  alors  saisi  d’une  généreuse  émulation  : 
Vespasien  Robin  venait  de  mourir,  il  nomma  pour  le  remplacer  Denis  Jonquet,  médecin,  qui 
cultivait  des  plantes  à Saint-Germain-des-Prés;  Jonquet  s’adjoignit  GuyFagon,  petit-neveu 
de  Guy  de  La  Brosse,  et  dès  lors  commença  la  prospérité  du  Jardin. 

Fagon  venait  de  terminer  ses  études  à Sainte-Barbe;  le  Jardin  du  Roi  était  sa  patrie,  il  y 
était  né  en  même  temps  que  les  carrés  de  l’École;  les  premiers  mots  qu’il  avait  bégayés 
étaient  les  noms  latins  des  plantes.  A peine  nommé  sous-démonstrateur,  il  se  met  en  roule 
pour  enrichir  sa  terre  natale  : il  parcourt  la  France  à ses  frais  (et  sa  fortune  était  mince), 
ramassant,  demandant,  achetant  des  graines,  des  oignons,  des  boutures,  et  fait  passor  au 
Jardin  tout  ce  qu’il  peut  recueillir.  Jonquet,  en  même  temps,  fait  venir  des  plantes  des  pays 
étrangers  ; enfin , après  dix  ans  de  travaux , de  pérégrinations  et  de  sacrifices , nos  deux  bota- 
nistes publièrent  leur  Catalogue  : il  était  de  quatre  mille  espèces;  en  tète  du  Catalogue,  dédié 
au  roi,  on  lisait  une  pièce  de  vers  latins,  composée  par  Fagon,  où  monsieur  le  surintendant 
Vallot  était  loué  avec  finesse.  Vallot  nomma  sur-le-champ  Fagon  professeur  de  chimie;  et  à la 
mort  de  Jonquet,  qui  arriva  six  ans  après,  il  lui  donna  la  chaire  de  botanique. 

Mais  Fagon  savait  faire  autre  chose  «pie  dos  vers  latins  ; il  avait  obtenu  le  bonnet  do  doc- 
teur en  médecine;  il  avait  défendu  en  pleine  Faculté  la  théorie  de  la  circulation  du  sang,  et 
les  vieux,  quoique  non  préparés  il  cet  excès  d’audace , trouvèrent  que  le  jeune  homme  avait 
défendu  avec  esprit  cet  estrange  paradoxe.  Fagon,  devenu  professeur  de  botanique,  repeupla 
d’étudiants  le  Jardin  du  Roi, comme  il  l’avait  repeuplé  de  végétaux  ; il  professait  avec  chaleur; 
son  érudition  était  immense,  sa  mémoire  prodigieuse;  il  nommait  imperturbablement  les 
quatre  mille  espèces  de  son  Catalogue  ; et  alors  chaque  espèce  no  portait  pas  seulement  deux 
noms  comme  & présent,  il  y avait  deux  phrases  pour  chacune,  et  souvent  des  synonymes  à la 
suite  : ainsi , par  exemple , la  Bette  vulgaire  ( Beta  vulgaris)  s’appelait  en  latin  Bette  blanche 
ou  pâle,  qui  est  la  Poin'e  des  boutiques;  la  Spirée  filipendule  ( Spirira  filipendula)  se  nommait 
Filipendulc  vulgaire,  peut-être  le  molon  de  Pline;  le  Frêne  à manne  ( Fraxinus  ornus ) était 
le  Frêne  plus  humble,  on  l'autre  de  Théophraste  A feuille  plus  courte  et  plus  étroite  ; lo  Varech 
tésiculeux  { Fucus  vesiculosus)  était  le  Varech  maritime , ou  Chêne  de  mer,  portant  des  vési- 
cules, etc. , etc.  Celto  science  de  mots  était  la  seule  «pi’on  possédât  dans  ce  temps-là,  et  c’était 


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109 


HISTOIRE  BOTANIQUE  Dl  JARDIN. 

la  science  qui  convenait  â l'époque  : il  fallait,  avant  tout,  posséder  un  grand  nombre  d'espèces, 
les  distinguer  les  unes  des  autres  par  les  traits  les  plus  saillants  de  leur  physionomie,  tels  que 
la  consistance  et  le  port  de  la  plante,  la  couleur,  l'odeur,  la  forme  de  la  fleur  et  des  feuilles; 
en  un  mot , il  fallait  commencer  par  le  commencement.  De  celte  réunion  de  végétaux  décou- 
lait nécessairement  l’étude  comparée  de  leurs  caractères  les  plus  délicats,  tels  que  la  structure 
de  la  corolle  et  du  fruit  Des  ouvriers  infatigables  amassaient  les  matériaux  do  l’édifice  ; l'ar- 
chitecte qui  les  mettrait  en  ordre  devait  arriver  tôt  ou  tard. 

Au  reste , le  poète-botaniste  Fagon  était , plus  que  personne , capable  d'orner  cette  aride 
nomenclature  et  de  la  mnémoniser  pour  les  étudiants.  Quand  il  nommait  une  Planta,  il  assai- 
sonnait la  lourde  phrase  de  Bauliin  d’un  vers  de  Virgile  ou  d’Ovide,  et  la  phrase  était  digérée 
par  ses  auditeurs.  Les  démonstrations  do  botanique  se  faisaient  dans  l’École  mémo  : il  pré- 
sentait A ses  élèves  une  branche  de  Sauge  officinale , et  leur  citait  le  distique  léonin  do  Y École 
de  Saleme  : 


Car  monalur  homo  cui  tolvia  erescit  in  horlo! 

— Contra  vira  mords  non  est  mcdicamen  in  borde. 

« Pourquoi  mourait  l’homme,  qui  a de  la  Sauge  dans  son  jardin!  — C’est  qu’il  n’y  a pas 
dans  les  jardins  de  remède  contre  la  mort.  » 

Fagon  n’était  pas  seulement  professeur,  il  exerçait  la  médecine , et  il  l’exerçait  avec  un 
désintéressement  complet  ; il  n’acceptait  ni  l’argent  de  scs  malades , ni  les  présents , qui  sont 
un  salaire  déguisé;  il  fut  bientôt  nommé  médecin  ordinaire,  puis  premier  médecin  du  roi,  et 
porta  à la  cour  l’insouciance  du  gain , qui  l’avait  fait  remarquer  à la  ville  ; ce  mépris  des 
richesses  fut  taxé  de  bizarrerie  et  d’orgueil  par  les  courtisans  du  grand  roi , et  ils  cherchèrent 
à tourner  en  ridicule  un  homme  qui  leur  donnait  un  exemple  si  sévère'  : Fagon  ne  s’en  inquiéta 
point , et  se  réduisit  strictement  aux  appointements  de  sa  placo  ; il  renonça  A tous  les  bénéfices 
accessoires  qui  rendaient  énormément  lucrative  la  charge  de  premier  médecin  du  roi  : c'étaient 
des  rétributions  qu'avaient  A payer  les  médecins  ordinaires , pour  leur  prestation  de  serment, 
les  intendants  des  eaux  minérales  du  royaume , les  professeurs  qui  obtenaient  une  chaire  A la 
faculté,  etc.  Le  roi,  en  faisant  la  maison  du  dauphin , avait  donné  à Fagon  la  eliargo  de  pre- 
mier médecin  pour  la  vendre  A qui  il  voudrait  (pauvro  dauphin  I),  et  ce  n'était  pas  une  somme 
A mépriser;  mais  Fagon  ne  souffrit  pas  qu’une  place  aussi  importante  fût  vénale,  et  il  la  Ut 
tomber  sur  La  Carliére,  qu'il  on  jugea  lo  plus  digne. 

Dès  qu’il  sentit  que  ses  devoirs  de  médecin  pouvaient  nuire  A ses  fonctions  do  professeur, 
il  songea  A se  démettre  des  deux  places-qu'il  occupait  au  Jardin  ; il  se  fit  suppléer  dans  la 
chaire  de  chimie  par  Lémery,  puis  par  Geoffroy  (A  qui  il  céda  définitivement  sa  place  en  1 7 1 2)  ; 
et,  pour  la  botanique,  il  fit  venir  de  Provence  le  jeune  Touniefort  dont  le  nom  était  déjA  célè- 
bre. Toumefort  était  né  A Aix , où  il  avait  fait  de  brillantes  études  chez  les  jésuites  ; son  père 
voulait  en  conséquence  lo  faire  d'église,  le  (ils  aimait  mieux  être  de  science;  mais  il  fallut 
obéir,  entrer  au  séminaire,  suivre  un  cours  do  théologie,  et  le  pauvre  abbé  Tournefort  dut 
craindre,  comme  le  cardinal  Duperron,  de  gâter  sa  belle  latinité.  Libre  enlin,  A la  mort  de  son 
père , de  suivre  sa  vocation  pour  l'histoire  naturelle  , Tournefort  avait  parcouru  les  Alpes  en 
tous  sens , et  fait  un  magnifique  herbier  ; puis  il  avait  exploité  les  Pyrénées  et  la  Catalogne, 
avait  été  pris  et  dépouillé  par  les  miguelels  ; il  avait  caché  son  argent  dans  un  pain  noir,  qui 
ne  tenta  pas  la  cupidité  des  brigands;  il  avait  souffert,  pendant  ses  longues  herborisations,  lo 
froid,  le  chaud,  la  faim  et  la  soif,  et  son  ardeur  ne  s'était  pas  ralentie;  enfin,  rentré -en  France, 
il  avait  refusé  la  chaire  de  Botanique  de  Leyde,  dont  les  appointements  étaient  de  4,000  francs 
(15,000  francs  d'aujourd’hui). 

Tel  était  l’homme  que  Fagon  jugea  digne  de  le  remplacer.  Vous  avez  vu  dans  Fagon  lo 
médocin  désintéressé,  ce  qui  est  beau;  le  fonctionnaire  ennemi  du  cumul,  co  qui  est  rare; 


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MO 


DEUXIÈME  PARTIE. 

mais  voici  le  sublime  ! c est  le  professeur  cédant  sa  place  à un  homme  qu’il  sait  être  plus 
capable  que  lui...  Hélas!  hélas!  que  ces  temps  héroïques  sont  loin  île  nous! 

Tournefort  arrive  à Paris,  en  1683,  et  bientôt  ses  leçons,  ses  voyages  nombreux  et  produc- 
tifs, la  réorganisation  do  l'École  d'après  une  nouvelle  méthode,  rendent  le  Jardin  plus  llorissant 
que  jamais.  Fagon , nommé  premier  médeciu  du  roi  et  eu  mémo  temps  surintendant , vient 
encore  augmenter  de  sou  crédit  et  do  sou  zèle  la  prospérité  do  sa  chère  pairie.  L'année  1693 
est  mémorable  par  la  nomination  do  Fagon  à la  surintendance  du  Jardin,  et  la  publication 
des  Éléments  île  Botanique  do  Tournefort.  Dans  cet  ouvrage,  l’auteur  expose  les  princi[>es  de 
sa  Méthode , dont  les  divisions  sont  tirées  de  la  durée  et  de  la  consistance  des  végétaux , de 
V absence  ou  <So  la  présence  des  pétales,  do  leur  soudure  ou  de  leur  indépendance  réciproque, 
du  la  disposition  et  de  la  forme  des  fleurs  et  de  la  nature  du  fruit.  Il  range  dans  cette  méthode 
dix  mille  cent  quarante-six  espèces , qu'il  distribue  eu  six  cent  quatre-vingt-dix-huit  genres  ; 
chaque  es|iècc  est  indiquée  par  une  phrase  caractéristique. 

La  méthode  de  Tournefort , fondée  sur  la  partie  la  plus  brillante  du  règuo  végétal , facile  à 
comprendre  et  h pratiquer,  obtint  un  succès  universel  ; mais  ce  qui  recommande  surtout  Tour- 
nofort  à la  postérité , c'est  la  création  des  genres  et  des  espèces , qu’il  caractérisa  lo  premier 
d'une  mauièro  rigoureuse  et  précise. 

De  tous  les  voyages  de  Tournefort,  le  plus  remarquable  est  celui  qu’il  (U , en  1700,  dans  le 
Levant,  accompagné  du  peintre  Aubriet,  attaché  au  Jardin,  qui  devait  dessiner  les  espèces 
nouvelles.  Pendant  son  absence,  sa  chaire  fut  remplie  par  Morin,  membre  de  l’Académie  des 
sciences,  et  médecin  de  l’Ilôtcl-Dieu  : ce  Morin  mettait  tous  les  mois  ses  ap|>ointcmenls  dans 
le  tronc  de  l'hôpital,  d'où  vous  pouvez  conclure,  d'abord,  qu'il  était  désintéressé,  ensuite  qu'il 
soignait  ses  malades. 

Tournefort  nous  a laissé  une  relation  de  son  Voyage  au  levant,  qui  suffirait  pour  immorta- 
liser son  nom , si  nous  n'avions  pas  ses  Institutions  de  la  Chose  végétale  ( Instituliones  rei 
herbariis),  qu’il  écrivit  en  latin  et  qui  sont  une  traduction,  augmentée,  de  ses  Éléments  de 
Botanique.  11  mourut  dans  toute  la  force  de  son  talent,  dus  suites  d'un  coup  qu’it  avait  reçu 
de  l'essieu  d'uue  voiture.  Il  laissa  au  Jardin  sa  collection  d'histoire  naturelle  et  sou  herbier. 

C'était  en  1708;  d’isnard,  nommé  professeur  de  botanique,  n’avait  pu,  à cause  de  sa  santé, 
faire  qu'un  seul  cours,  et  Tournefort  n'était  pas  remplacé;  mais  le  plus  fervent  des  élèves  de 
ce  grand  homme  dirigeait  les  cultures  du  Jardin  : il  se  nommait  Sebastien  Vaillant. 

Vaillant  naquit  a Vigny,  près  Pontoise,  en  1669;  dès  l'Age  de  cinq  ans,  il  était  botaniste, 
sans  connaître  le  nom  d’un  seule  plante  ; il  avait  rassemblé  dans  le  jardin  de  son  père  tous  les 
végétaux  qu'il  avait  pu  trouver  dans  les  bois  et  les  prairies  du  pays  ; le  pèro , qui  voyait  son 
petit  parc  encombré  par  les  plantations  de  l'enfant  „ fut  forcé  d’arrêter  ces  envahissements, 
mais  il  lui  laissa  en  toute  propriété  un  côté  du  jardin  pour  qu’il  y pût  cultiver  ses  délices. 
Sébastien  eut  bientôt  épuisé  toute  la  campagne  des  environs  ; alors  il  se  glissait  dans  les  jar- 
dins du  voisinage  et  trouvait  toujours  moyen  d'eu  rapporter  quelque  graine,  ou  quelque  oignon, 
dont  il  enrichissait  sa  collcctiou.  Bientôt  il  fallut  que  le  petit  savant  apprit  À lire  et  à écrire  ; 
on  l’envoya  chez  un  frère  qui  tenait  une  écolo;  il  y avait  des  leçons  à apprendre  par  rieur, 
et  Sébasticu  passait  avec  ses  fleurs  plus  de  temps  qu’avec  son  catéchisme  : il  fut  puni , et 
résolut  de  ne  plus  l’étre  ; pour  accorder  scs  devoirs  avec  ses  plaisirs,  il  plaça  au  chevet  de  sun 
lit  un  soufflet  garni  d'un  gros  clou  de  cuivre,  et  s'on  servit  comme  d'un  oreiller;  la  gène  que 
lui  causait  ce  corps  dur,  sur  lequel  posait  sa  tête,  rendait  sou  sommeil  léger;  il  s'éveillait  de 
grand  matin,  étudiait  ses  leçons,  et  gagnait  ainsi  du  temps  pour  ses  plantes  chéries.  Le  trotlo- 
ment  continuel  du  clou  contre  la  nuque  du  pauvre  enfant  détermina  la  formation  d'une  loupe, 
qu’il  conserva  toute  sa  vie. 

Vaillant  devint  bientôt  lo  meilleur  écolier  do  sa  classe,  et,  pour  récompenser  ses  progrès, 
on  lui  lit  apprendre  la  musique  ; à onze  ans,  il  devint  l’organiste  des  bénédictins,  puis  des 
religieuses  de  Pontoise,  qui  lui  fournirent,  outre  ses  gages,  la  nourriture  et  le  logement.  Notre 


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lit 


HISTOIRE  BOTANIQUE  Dl  JARDIN, 
botaniste  musicien,  ayant  vu  les  bonnes  sœurs  faire  des  pansements,  voulut  en  faire  aussi, 
prit  goût  8 la  médecine,  et  fit  une  campagne  avec  je  ne  sais  quel  capitaine  de  cavalerie,  comme 
chirurgien  militaire. 

En  1001 , Vaillant,  8gé  de  vingt  ans , vient  8 Paris , et  se  fait  recevoir  externe  à l'HAtel-Dieu  ; 
18  il  apprend  qu’au  Jardin  du  Roi  il  y a un  professeur  qui  démontre  les  plantes  aux  élèves;  il 
y court , et  bientôt  il  sait  les  noms  de  toutes  les  plantes  qu'il  connaissait  depuis  quinze  ans. 
Cet  enseignement,  qui  lisait  dans  son  esprit  par  des  formules  précises  les  observations  innom- 
brables qu’il  avait  faites  depuis  sa  plus  tendre  enfance,  l’enflamma  d’une  nouvelle  ardeur  pour 
la  botanique  ; il  ne  tarda  pas  8 être  remarqué  do  Tourncfort,  qui  le  signalait  8 tous  les  étudiants 
comme  son  premier  élève.  L'année  suivante , Vaillant  va  s’établir  8 Neuilly,  où  il  exerce  la 
chirurgie;  mais  chaque  matin,  comme  un  héros  d'Homère,  il  supprime,  à pial,  l’espace  qui 
sépare  Neuilly  du  Jardin  des  Plantes,  et,  chemin  faisant,  il  herborise,  ce  qui  veut  dire  qu’au 
lieu  de  faire  trois  lioues,  il  en  fait  six;  puis,  après  avoir  fait  scs  stations  au  Jardin  du  Roi, 
il  retourne  8 ses  pansements.  Tous  les  mercredis , jour  d’herborisation  de  Toumefort,  Vaillant 
est  le  premier  au  rendez-vous , et  c'est  toujours  lui  qui  présente  au  professeur  les  plantes  les 
plus  rares.  Il  abandonne  bientôt  la  clientèle  de  Neuilly,  trop  peu  productive  pour  un  médecin 
qui  ne  sait  pas  demander  son  salaire  ; et  comme  il  faut  qu’il  vive,  il  accepte  la  place  de  secré- 
taire du  père  Valois,  confesseur  du  duc  île  Bourgogne. 

C'est  tà  qu’il  fut  rencontré  par  Fagon;  celui-ci  le  vit  occupé  8 son  herbier  de  mousses; 
frappé  de  l’ordre  admirable  qui  régnait  dans  sa  collection  et  de  la  beauté  de  son  écriture,  il 
lui  proposa  d'ètro  son  secrétaire  : secrétaire  d’un  surintendant  du  Jardin  des  Plantes  ! vous 
jugez  si  Vaillant  accepta.  Quelque  temps  après,  Fagon,  qui  avait  apprécié  le  trésor  qu’il  pos- 
sédait , confia  8 son  secrétaire  la  direction  des  cultures  du  Jardin , puis  il  le  nomma  sous- 
démonstrateur,  pour  suppléer  le  professeur  en  cas  d'absence,  et  conduire  les  élèves  8 la 
campagne. 

Mais  Toumefort  n'était  pas  remplacé  : d'Isnard  avait  donné  sa  démission,  et  Fagon  cher- 
chait un  successeur  digne  de  remplir  la  chaire  occupée  si  glorieusement  pendant  vingt-cinq 
ans.  Un  jour,  il  reçoit  8 Versailles  la  visite  d’un  jeune  Lyonnais , médecin  de  la  Faculté  do 
Montpellier  ; « ce  jeune  homme,  élève  du  fameux  Magnol , et  passionné  pour  la  hotaniipie, 
« est  venu  à Paris,  au  commencement  de  cette  année,  pour  assister  aux  leçons  de  Toumefort, 
« dont  il  admire  les  ouvrages  ; il  l’a  trouvé  mourant , et  n'a  pu  jouir  que  de  quelques  instants 
« d'entretien.  Pour  utiliser  son  voyage , avant  de  retourner  8 Lyon , il  est  allé  herboriser  dans 
n la  Bretagne  et  la  Normandie,  et  en  revenant  par  A'ersailles,  il  a voulu  saluer  M.  Fagon.  » 
Fagon  accueille  avec  bienveillance  l’élève  de  Magnol,  veut  voir  ses  plantes,  le  questionne, 
l’écoute  avec  attention,  et  notre  voyageur  se  disposant  8 prendre  congé,  Fagon  lui  dit  : « Vous 
a ne  partirez  pas,  je  vous  nomme  professeur  au  Jardin  du  Roi,  pour  remplacer  Toumefort.  n 
Co  successeur  de  Toumefort,  figé  do  vingt-trois  ans,  était  Antoine  de  Jussieu,  frère  do  Bernard , 
de  Jose)>li,  et  oncle  d’ Antoine-Laurent, 

Ainsi  fut  fondée  la  dynastie  des  Jussieu,  par  un  coup  d'œil  et  une  parole  du  surintendant 
Fagon.  N'y  a-t-il  pas  18  de  quoi  nous  faire  aimer  le  despotisme  Jclairdt  (Je  ne  parle  que  dos 
établissements  scientifiques.)  La  république  des  lettres  soit!  mais  la  monarchie,  pour  los 
sciences,  sera  toujours  le  meilleur  des  régimes.  Ce  n'est  pas  ici  qu’il  convient  de  développer 
celte  proposition  : l’établissement  que  nous  visitons , malgré  son  nom  do  Jardin  du  /toi.  se 
régit  d'après  la  constitution  toute  républicaine  qui  lui  fut  donnée  en  93;  mais  l'histoire  du 
passé  et  colle  du  présent  me  suffiraient  pour  prouver  que,  quand  le  poids  do  la  responsabilité 
d’une  administration  est  également  dispersé  sur  un  grand  nombre  de  têtes,  l'opinion  publique 
est  une  reine  sans  autorité. 

Antoine  justifia  bienlôl  le  choix  do  Fagon  (choix  qui  avait  fait  murmurer  bien  des  concur- 
rents) par  ses  belles  leçons  et  ses  mémoires  scientifiques  ; en  1 7 1 2,  il  était  membre  de  l'Académie 
des  sciences;  en  1716,  il  alla  parcourir  l'Espagne  et  le  Portugal;  son  frère  Bernard,  qui  venait 


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112 


DEUXIÈME  PARTIE, 
d’arriver  à Paris,  raccompagna  dans  son  voyage,  et  su  passionna  pour  lu  botanique,  aux 
dépens  de  la  médecine  qu'il  avait  étudiée;  néanmoins  il  se  rendit  à Montpellier,  où  it  se  lit 
recevoir  docteur  ; mais  sa  profonde  sensibilité  le  força  de  renoncer  à une  professiou  qui  lui 
faisait  éprouver  toutes  les  souffrances  de  ses  malades.  Dès  lors  il  se  livra  tout  entier  à la  bota- 
nique, et  Vaillant,  qui  d'abord  avait  vu  avoc  déplaisir  la  nomination  d’Antoine,  mais  qui 
bientôt  s’était  attaché  à lui  par  une  amitié  fondre  sur  l'estime , t aillant  conseilla  lui-mème  au 
frère  aîné  de  préparer  Bernard  à le  remplacer  dans  sa  charge  do  sous-démonstrateur  et  de  chef 
des  cultures. 

Antnino  de  Jussieu  n'étant  pas  encore  revenu  d'Espagne  à l'époque  où  devait  commencer 
son  cours  de  botanique,  ce  fut  Vaillant  qui  en  fil  l'ouverture,  en  1718,  par  un  discours  que  la 
postérité  regardera  comme  son  plus  beau  titre  de  gloire.  Dans  ce  discours  mémorable,  Vaillant 
démontre  la  nature  des  étamines  et  le  phénomène  de  la  fécondation  dans  les  végétaux  ; grâce 
à ce  monument  littéraire,  dont  la  dato  est  certaine,  c’est  â la  France  que  revient  l'honneur  de 
la  découverte  la  plus  importante  qui  eût  été  faite  jusqu'alors  en  botanique  : et  ce  fuit  physio- 
logique, soupçonné  seulement  par  quelques-uns,  et  nié  par  la  plupart  des  autres,  fut,  pour  la 
première  fois , exposé  d'une  manière  positive  et  appuyé  de  preuves  incontestables  au  Jardin 
des  Plaides  do  Paris. 

Fagon  voyait  avec  bonheur  grandir  et  prospérer  le  Jardin  restauré  par  lui.  Les  trois  profes- 
seurs d'anatomie,  de  chimie  et  de  botanique,  qu'il  avait  choisis  lui-mème,  étaient  des  hommes 
supérieurs;  les  démonstrateurs  qui  les  secondaient  étaient  des  savants  du  premier  mérite  : 
leurs  leçons  étaient  reçues  avec  enthousiasme , et  l’amphithéâtre , qui  pouvait  contenir  six 
cents  auditeurs , était  presque  toujours  plein  : la  mission  du  petit-neveu  do  Guy  de  La  Brosse 
était  accomplie  : il  était  vieux  et  inlimie , il  se  démit  de  sa  place  de  premier  médecin , et  vint 
mourir  paisiblement  au  lieu  où  il  avait  pris  naissance. 

Vaillant  ne  lui  survécut  que  de  quatre  ans  : il  mourut  presque  à l’âge  de  Tournefort;  il 
avait  composé  la  Flore  des  environs  de  Paris  ( llotanicon  parisicuse );  cet  ouvrage,  le  meilleur 
de  tous  les  livres  publiés  jusqu'à  nos  jours  sur  la  Flore  Parisienne,  était  enrichi  de  magnifiques 
dessins  du  peintre  Aubriet  ; mais  il  fallait  payer  ces  dessins  : Vaillant,  qui  n’avait  jamais  songé 
à ramasser  un  peu  d’argent,  ne  pouvait  les  retirer,  et  Fagon  n était  plus  là!  Se  sentant  mourir, 
il  écrit  au  grand  Boerhaave,  et  lui  recommande  son  Bolanicon  Parisiense...  Cette  lettre  devait 
être  bien  touchante,  et  les  larmes  du  mourant  durent  tomber  plus  d’une  fois  sur  le  papier  où 
il  traçait,  d'une  main  défaillante,  son  dernier  vœu  de  botaniste.  Boerhaave,  le  plus  fameux 
médecin  de  son  temps,  qui  vivait  à Leyde,  et  à qui,  de  toutes  les  parties  du  monde,  on  écri- 
vait des  lettres,  portant  pour  unique  adresse  : A Boerhaave,  en  Europe,  Boerhaave  adopta 
sur-le-champ  l’ouvrage  du  pauvre  savant  : il  retira  les  dessins , les  fit  graver  avec  le  plus 
grand  soin,  et  se  chargea  de  l'impression  du  manuscrit  : Vaillant,  tranquillisé  sur  les  objets 
de  ses  affections  terrestres , n'avait  plus  qu'à  réciter  le  cantique  de  saint  Siméon  ; il  défendit 
qu’on  lui  parlât  de  botanique,  ne  voulut  s'occuper  désormais  que  de  la  Vie  nouvelle  qui  allait 
bientôt  commencer  pour  lui , et  mourut  en  remerciant  le  ciel  d’avoir  pour  successeur  Bernard 
de  Jussieu. 

Ici  vous  allez  voir  surgir  la  hideuse  figure  de  ce  Chirac,  qui  avait  su  tromper  le  pénétrant 
Saint-Simon,  et  obtenir,  par  sa  recommandation,  la  surintendance  du  Jardin.  C'était  ce  mémo 
Chirac  qui  soutenait  que  la  petite  vérole  n'est  pas  contagieuse , et  qui  l'apostrophait  ainsi , la 
lancette  à la  main  : Tu  as  beau  faire , petite  vérole , je  t’accoutumerai  à la  saignée  ! Dieu  sait 
combien  de  funérailles  furent  1a  conséquence  de  cot  entêtement  dogmatique  ! Il  voulut  appli- 
quer le  même  traitement  au  Jardin,  dont  l'existence  lui  était  confiée;  il  pensa,  le  misérable! 
que  le  Jardin,  aussi,  s'accoutumerait  à la  saignée;  en  conséquence  il  lui  enleva  jour  par  jour, 
et  enserra  dons  son  coffre  l'argent  qui  devait  l'alimenter.  Mais  le  Jardin  n'eut  pas  le  même 
sort  que  ses  malades  ; il  était  soigné  par  les  frères  Jussieu,  qui  réparaient,  aux  dépens  de  leur 
propre  substance,  les  coups  do  lancette  de  l’infâme  Chirac.  Ianir  dévouement  fut  plus  tenace 


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III STOMIE  BOTANIQUE  DT  JARDIN.  113 

que  la  cupidité  du  surintendant.  Antoine  de  Jussieu  pratiquait  la  médecine,  et  s’était  fait  uno 
clientèle  considérable  (clientèle  qui , du  reste,  ne  lui  fit  jamais  négliger  une  seule  leçon)  ; pau- 
vres et  riches  le  consultaient , il  no  recevait  d’honoraires  que  des  riches , et  le  petit  peuple  du 
faubourg  Saint-Victor,  qui  le  révérait  comme  un  itère , ne  croyait  pas  le  moins  du  monde 
altérer  son  nom  en  l’appelant  monsieur  Judicieux.  Antoine  sacrifia  toutes  ses  économies  pour 
soutenir  le  Jardin  dont  son  frère  et  lui  étaient  les  seuls  protecteurs;  il  payait  les  engrais,  les 
instruments  de  culture,  entretenait  les  serres,  défrichait  les  terrains  incultes,  relevait  les  murs 
de  clôture , faisait  des  voyages  & ses  frais , et  le  transport  des  plantes  recueillies  était  à sa 
charge  ; son  frère  et  lui  payaient  de  leur  personne  comme  do  leur  bourse  ; et  bien  que,  malgré 
tous  leurs  sacrifices,  le  Jardin  fût  devenu  languissant  sous  la  thérapeutique  meurtrière  de 
Chirac,  jamais  les  cours,  les  démonstrations  et  les  herborisations  n'avaient  marché  plus  régu- 
lièrement. 

Chirac  s'irritait  de  ces  généreux  efforts  ; il  retira  i Bernard  la  garde  du  Droguier , qu'on 
avait  ajoutée  aux  attributions  de  démonstrateur  et  de  chef  des  cultures;  c’est  ce  Droguier  qui 
devint , sous  Buffon,  le  Cabinet  d'histoire  naturelle.  Il  aurait  bien  voulu  destituer  les  deux 
frères  pour  les  remplacer  par  ses  créatures , et  alors  c’en  était  fait  du  Jardin  ; mais  ils  avaient 
des  brevets  qui  rendaient  leur  place  fixe.  C’était  une  prévoyance  du  grand  Colbert  : Colbert 
avait  eu  pendant  quelques  mois  la  surintendance,  et  il  avait  fait  rendre,  en  décembre  1671, 
une  déclaration  du  roi  qui  réglait  définitivement  la  constitution  du  Jardin. 

Détournons  nos  regards  de  cette  ignoble  tyrannio,  qui  dura  quatorze  ans,  et  rcposons-les 
sur  l’administration  paternelle  de  du  Fay  : elle  commença  la  convalescence  du  Jardin,  et  le 
prépara  sans  secousse  à la  santé  robuste  qu’il  acquit  sous  Buffon.  Charles-François  de  Cisternay 
du  Fay,  fils , petit-fils  de  militaires,  militaire  lui-méme,  avait  toujours  cultivé  les  sciences,  et, 
depuis  neuf  ans,  était  membre  de  l’Académie;  helléniste,  botaniste,  physicien,  chimiste  et 
même  alchimiste , il  possédait  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  donner  de  l’impulsion  à un 
établissement  scientifique,  Nommé  intendant,  à l'ègo  de  trente-cinq  ans,  il  résolut  de  consa- 
crer sa  vie  entière  à l’établissement  dont  il  était  le  chef.  Ardent  et  infatigable  solliciteur,  ayant 
accès  auprès  des  ministres , il  préparait  do  loin  scs  demandes , obtenait  souvent  des  fonds 
extraordinaires , dépassait  toujours  les  sommes  accordées , et  ne  craignait  pas  de  s'engager 
dans  des  avances  considérables.  Il  porta  sa  principalo  attention  sur  la  botanique , rendit  à 
"Bernard  la  place  de  garde  du  Cabinet,  fit  dos  voyages  en  Hollande  et  en  Angleterre  pour  éta- 
blir des  correspondances  et  enrichir  le  Jardin , et  donna  au  cabinet  sa  collection  de  pierres 
précieuses.  I,a  septième  année  de  son  intendance,  il  fut  atteint  d’une  maladie  mortelle,  et 
songea  à se  choisir  un  successeur  : il  était  en  mésintelligence  avec  Buffon , son  collègue  h 
l’Académie  des  sciences;  mais  Hellot,  leur  ami  commun , voulut  réconcilier,  dans  ce  moment 
suprême,  deux  rivaux  faits  pour  s’aimer  : il  conseilla  à du  Fay  do  le  demander  pour  son  suc- 
cesseur; du  Fay  suivit  généreusement  ce  conseil,  écrivit  au  ministre  sur  son  lit  do  mort,  et 
Buffon  fut  nommé  intendant  du  Jardin. 

Je  n'ai  pas  à vous  entretenir  de  la  splendeur  matérielle  que  le  Jardin  doit  à Buffon  : une 
dictature  d'un  demi-siècle,  exercée  par  un  homme  de  génie,  qui  ne  relève  que  de  l'autorité 
royale  et  de  l’opinion  publique , devait  produire  d’immenses  résultats.  Comme  je  vous  dois 
seulement  l'histoire  botanique  du  Jardin,  je  ne  ferai  mention  de  Buffon  qu’au  sujet  du  renou- 
vellement do  l’Écolo,  qui  eut  lieu  en  1774.  Mais  avant  d'arriver  à cet  événement,  qui  tient 
une  grando  place  dans  les  fastes  du  Jardin,  j'ai  à vous  faire  connaître  quelques  détails  qui 
pourront  vous  intéresser. 

Jo  ne  vous  ai  parlé  jusqu’ici  que  de  deux  Jussiou  ; leur  famille,  originaire  de  Montrolier, 
dans  les  montagnes  du  Lyonnais,  était  fort  nombreuse;  son  chef,  nommé  Laurent  de  Jussieu, 
exerçait  la  pharmacie  à Lyon.  Il  eut  seize  enfants  ; trois  de  ses  fils  vinrent  & Paris  : c'éta’e  it 
Antoine,  Bernard  et  Joseph  son  fils  aîné  Christophe  fut  père  d’Antoine-Laurent , dont  le  (ils 
Adrien  est  mort  récemment  professeur  au  Jardin. 

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lit 


DKl  MÊME  P \ RTI E. 

Antoino  avait  fait  n<ljoin«lrc , en  1735,  son  plus  jeune  frère  Joseph  («rabord  ingénieur, 
ensuite  médecin)  aux  académiciens  qui  ailaient  en  Amérique  mesurer  un  degré  du  méridien 
sous  l'équateur.  Joseph  avait  pour  mission  d'étudier  l'histoire  naturelle  «lu  pays,  et  d’envoyer 
des  plantes  au  Jardin.  Il  fit,  en  effet,  des  envois  considérables  de  graines  et  d’oignons,  et 
c’est  h lui  que  nous  devons  une  quantité  «le  (leurs  qui  ornent  aujouni’hui  nos  parterres,  telles 
que,  par  exemple,  V Héliotrope  et  la  Capucine.  Il  fut  nommé,  en  1743,  membre  de  l’Acadé- 
mie des  sciences,  pendant  qu’il  était  dans  les  Cordillères.  Il  revint  fort  tard  en  France;  mais 
les  fatigues  avaient  épuisé  sa  santé,  et  il  ne  put  rien  publier. 

Antoine  mourut  en  1758,  après  quarante-neuf  ans  de  professorat.  Sa  place  fut  donnée  À 
Louis-Gui! 'tourne  Lcmonnier,  médecin  en  chef  de  l'armée  d’  Allemagne.  Ce  Lemonnier  était  fils 
et  frère  d'académiciens;  il  n'avait  guère  que  22  ans,  quand  il  fut  lui-mème  reçu  à l’Aca- 
démie des  sciences,  à la  suite  d'un  voyage  fait  avec  Cassini  dons  le  midi  «le  la  France,  pour 
y prolonger  la  méridienne  de  Paris.  Le  père  et  les  deux  fils  suggèrent  ensemble  pen«lant  qua- 
torze ans.  Lemonnier  était  bon  physicien;  il  travailla  à la  première  Encyclopédie,  et  publia 
divers  mémoires  sur  les  Aimanta.  Il  aimait  la  botanique  par-dessus  toutes  choses  ; il  était 
l’élève  assi«lu  «l«*  Bernard , et  avait  exploité  avec  lui  la  riche  forêt  de  Fontainebleau,  en  com- 
pagnie «le  Linné.  Plus  tar«l , il  fit  de  nombreuses  herborisations  avec  Jean-Jacques  Bousseau 
dans  la  forêt  de  Montmorency.  Quelque  temps  après  son  a«lmission  à l’Académie,  il  alla  s’éta- 
blir à Saint-Germain-en-Laye  pour  y exercer  la  médecinp  ; il  y fit  la  connaissance  d’un  fleu- 
riste, et  entreprit  «le  disposer  les  plantes  de  son  jar«lin  d’après  le  système  de  Linné.  C’est  là 
qu’il  fut  remarqué  par  le  duc  d’Ayen  (qui  fut  depuis  le  maréchal  de  Noailles)  ; Lemonnwr 
plut  au  duc  par  la  vivacité  «le  son  esprit , et  lui  d«>nna  le  goût  de  la  culture  des  arbres  étran- 
gers. Bientôt  le  duc  d’Ayen  eut  de  belles  plantations  exotiques , et  Louis  XV  étant  venu  les 
voir,  d’Ayen  voulut  lui  prés«*nter  son  ami  : Lemonnier,  conduit  à l’improviste  devant  le  roi, 
se  troubla  et  s’évanouit.  Louis  XV  fut  flatté  «le  l’effet  «jue  sa  présence  avait  pro«luit  sur  le 
jeune  homme,  et  il  le  nomma  directeur  de  son  jardin  de  Trianon.  Lemonnier  jouit  bientôt  do 
la  faveur  du  monarque;  il  parlait  avec  éléganro , et  son  enthousiasme  pour  la  botanique  so 
communiquait  à ses  auditeurs.  Louis  XV  venait  souvent  à Trianon  se  délasser,  en  l'écoutant, 
des  ennuis  et  «les  plaisirs  «le  la  royauté  ; leurs  conversations  étaient  longues,  et  le  bonheur  do 
Lemonnier  excitait  au  plus  haut  degré  l’envie  des  courtisans  «jui , de  loin , voyaient  le  mo- 
narque s’entretenir  familièrement  avec  lui  pendant  des  heures  entières.  Mais  Lemonnier  ne 
songeait  pas  à l’immense  parti  qu’il  aurait  pu  tirer  «le  ces  augustes  conférences , et  il  ne  parla 
jamais  au  roi  que  de  fleurs,  d’oignons  et  «le  boutures. 

Il  avait  38  ans,  quand  il  fut  nommé  médecin  en  chef  «le  l’arméo  d’Allemagne;  avant  do 
quitter  Trianon,  il  présenta  à Louis  XV  Bornard  de  Jussieu,  son  maître,  pour  prendre  soin 
du  Jardin  en  son  absence.  Bernard,  alors  âgé  do  59  ans,  le  remplaça  en  effet,  et  classa 
l'École  de  Trianon  d'après  les  rapports  naturels  des  plantes;  bientôt  il  plut  au  roi  «jui  avait, 
en  botanique,  des  idées  saines  et  étendues;  mais  Bernard  ne  se  souciait  pas  plus  que  Lemon- 
nier  dos  avantages  matériels  attachés  à la  faveur  royale.  Son  ambition  s’élevait  bien  plus 
haut  : il  rêvait  la  coordination  de  tous  les  êtres  du  Bègue  végétal.  Linné  avait  dit  ; « La  Na- 
ture no  fait  point  «le  sauts:  toutes  les  planUvs  sont  liées  par  des  affinités,  comme  les  territoires 
se  touchent  sur  une  mappemomle  ; les  botanistes  doivent  suer  sans  cesse  pour  parvenir  à un 
ordre  naturel.  L’ordre  naturel  est  le  but  final  de  la  Science;  ce  qui  rend  défectueuse  la  mé- 
thode naturelle , c’est  le  défaut  des  plantes  qu’on  n’a  pas  encore  trouvées  ; quand  on  les  con- 
naîtra toutes,  l'Ordre  naturel  sera  achevé,  caria  nature  ne  fait  point  de  sauts  ( Natura  non 
facit  sa! tus).  » Linné  avait  lui-même  ébauché  le  tuhleau  d’un  ordre  naturel , et  il  avait  écrit 
au-dessous  de  la  liste  des  genres  qu’il  n’avait  pu  classer  : « Celui  «jui  rangera  ces  genres  d'un 
siège  incertain  h leur  véritable  place,  celui-là  sera  pour  moi  un  grand  Apollon  {et  eris  mihi 
magnus  Apollo).  » Bernard  de  Jussieu  avait  entrepris  de  rendre  à leur  famille  légitime  les 
plantes  dont  Linné  n’avait  pas  su  débrouiller  lu  généalogie  ; il  avait  découvert  avec  une  saga- 


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115 


HISTOIRE  BOTANIQUE  DI  JARDIN. 

cité  merveilleuse  les  liens  île  parenté  unissant,  par  exemple,  le  Lilas,  qui  possède  une  co- 
rolle, au  Frêne  qui  n'en  a pas;  il  avait  placé  le  Chain  auprès  du  Carex,  YAlocs  auprès  de 
Y Hyacinthe , la  Pimpreneltl  auprès  de  la  Sanguisurbe , Yllydrophylle  à lu  suite  des  Itoragi- 
nées,  etc.  Ces  observations,  qui  feraient  aujourd'hui  la  fortune  d’un  mémoire  à l'Institut, 
Bernard  ne  cherchait  pas  le  moins  du  monde  & s’en  faire  honneur,  il  n’était  pas  plus  ambi- 
tieux de  gloire  que  de  richesses.  .Membre  de  l’Académie  des  sciences  depuis  l’âge  de  26  ans, 
il  n’inséra  dans  lu  recueil  de  celte  compagnie  qu'un  petit  nombre  de  mémoires  ; modesto 
jusqu'à  l’excès,  et  ignorant  de  lui-mème  comme  un  enfant,  il  ne  publia  jamais  rien  de  gé- 
néral , mais  toutes  ses  observations  particulières  sont  des  modèles  ; il  disait  souvent  : La 
temps  quon  passe  ri  écrire  n'est  pas  employé  ri  observer  ; au  reste , s’il  ne  publiait  pas  ses 
découvertes , elles  n'étaient  pas  perdues  pour  les  sciences , car  il  les  communiquait  sans  ré- 
serve aux  élèves  qui  i’eutouraiont.  Ses  rapports  avec  eux  étaient  multipliés  et  incessants. 
Garde  du  Cabinet , chef  des  cultures,  démonstrateur  de  botanique,  il  leur  était  utile  pour  la 
matière  médicale , l’horticulture  pratique,  et  surtout  pour  les  herborisations.  Les  étudiants , 
qui  l'adoraient,  inventaient  quelquefois  d'innocentes  malices  pour  mettre  à l’épreuve  lu  saga- 
cité de  leur  maître  : ils  falsiUaient  des  plantes , plaçaient  nrtislement  dans  le  calice  do  l'une 
la  corolle  d’une  autre,  adaptaient  à la  tige  les  feuilles  d'une  troisième , et  venaient  lui  pré- 
senter le  végétal  factice  comme  une  trouvaille  merveilleuse  ; le  bon  Bernard  souriait,  et  fai- 
sait, on  trois  mots,  l'analyse  de  cette  combinaison  hétérogène  : Tige  de  A,  Feuilles  de  B,  ca- 
lice de  C , corolle  de  I).  L’attachement  qu'il  portait  à ses  élèves  était  plus  fort  que  sa  répu- 
gnance pour  la  médecine,  et  lorsqu’il  s'en  trouvait  quelques-uns  d'incommodés  pendant  les 
longues  herborisations,  Bernard  quittait  tout  pour  les  soigner.  C’est  à lui  que  nous  devons  la 
connaissance  des  vertus  héroïques  de  Y Alcali  volatil  contre  la  morsure  des  Serpents  veni- 
meux. Il  lit,  sur  les  propriétés  de  ce  médicament,  line  série  d’expériences  qui  constatèrent 
l’utilité  de  sa  découverte.  Aussi  portait-il  toujours  sur  lui , à la  campagne , un  flacon  lYEau  de 
Luce  ; et  il  lui  arriva  souvent  d'en  faire  usage  au  prolit  do  scs  élèves , lorsqu'il  herborisait 
dans  la  forêt  de  Fontainebleau,  où  la  Vipère  est  fort  commune. 

Jean-Jacques  Rousseau  fit  plus  d'uue  fois  partie  du  cortège  de  Bernard.  Il  lui  demanda  un 
jour  quelle  méthode  il  fallait  suivro  pour  apprendre  la  botanique  : « Aucune , lui  répoudil 
Bernard , observez  et  comparez , vous  avez  assez  d’intelligence  pour  cela  ; la  botanique  est 
une  science  de  combinaison  et  non  de  nomenclature.  » Cette  répouso  résume  complètement 
les  travaux  do  Bernard  de  Jussieu  : c'était  en  effet  par  la  comparaison  des  caractères  qu’il 
avait  été  conduit  à pressentir  le  grand  principe  de  leur  inégale  valeur,  c’est-à-dire  de  leur 
subordination,  principe  qui  fut  si  habilement  développé  dans  la  suite  par  sou  neveu  Antoine- 
Laurent. 

Revenons  à Lemonnier  : pendant  qu’il  remplissait  les  fondions  de  médecin  en  chef,  en  Al- 
lemagne, Antoine  de  Jussieu  mourut,  et  Lemonnier  fut  nommé  pour  occuper  sa  chaire  do 
Botanique  au  Jardin.  Lemonnier  revint  à Paris,  et  voulut  permuter  avec  Bernard,  en  lui  cé- 
dant la  place  de  son  frère  ; Bernard  s'y  refusa , et  demeura  simple  démonstrateur.  Douze  ans 
après , Lemonnier , devenu  médecin  ordinaire  du  roi , et  forcé , par  les  devoirs  do  sa  charge , 
do  résider  à Versailles,  se  fil  suppléer  au  Jardin  par  lo  jeune  Antoine-Laurent  de  Jussieu, 
neveu  de  Bernard,  qui  venait  d'arriver  à Paris.  En  1788,  nommé  premier  médecin,  il  se 
démit  de  sa  place  en  faveur  de  Desfontaines , dont  nous  parlerons  bientôt.  Comblé  des  faveurs 
de  la  cour , Lemonnier  no  fit  usage  de  son  crédit  que  pour  encourager  les  savants  ; il  em- 
ployait ses  loisirs  à cultiver  des  plantes  et  des  arbres,  qu'il  faisait  venir  à grands  frais  des 
pays  étrangers  ; riche  et  charitable , il  était  adoré  des  indigents , dont  il  était  le  médecin  et  le 
bienfaiteur.  Cette  existence , calme  et  sereine  depuis  soixante-quinze  ans,  fut  bouleversée  par 
le  tourbillon  révolutionnaire  : il  était  aux  Tuileries,  dans  la  journée  du  10  août,  en  sa  qua- 
lité de  premier  médecin  du  roi  ; la  foule  victorieuse  envahit  le  château,  et  pénètre  dans  le  pa- 
villon de  Flore  : Lemonnier  se  présente  aux  assaillants  ; sa  physionomie  pleine  de  douceur  et 


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116 


DE1  MÊME  PARTIE. 

«le  dignité  ne  désarme  pas  ces  furieux,  qui  l’accablent  d'injures.  Un  de  leurs  chefs  saisi!  le 
vieillard  au  collet,  et  l'entraîne  dans  le  Jardin  avec  tous  les  signes  de  la  violence.  Arrivés  au 
Pont-Royal , la  scène  change  : le  vainqueur  féroce  devient  doux  et  poli , il  offre  affectueuse- 
ment son  bras  à Lemonnier , lui  demande  où  il  demeure , le  conduit  à son  domicile , et  lui  dit 
en  le  quittant  : «J’ai  les  rois  en  horreur,  et  j’ai  fait  serment  de  les  combattre  jusqu’à  la  mort; 
mais  un  vieillard  vénérable , tel  «pie  vous , sera  toujours  une  majesté  pour  moi.  » 

La  révolution  avait  respecté  la  tête  de  Lemonnier,  mais  elle  le  condamnait  A l’indigence  ; il 
n'avait  rien  conservé  des  émoluments  de  scs  places;  sa  bibliothèque,  son  jardin  et  les  pauvres 
avaient  tout  absorbé  : il  fallait  vendre  ses  livres , couper  ses  arbres  ou  mourir  de  faim.  Le- 
monnier serait  mort  de  douleur  avant  un  mois , s'il  se  fût  séparé  do  ce  qui  avait  fait  son 
bonheur  pendant  soixante  ans.  Pour  conserver  son  trésor,  il  se  fil  herboriste,  et  le  premier 
médecin  du  roi  vendit  pour  un  sou  de  réglisse  au  pauvre  peuple  sur  lequel  naguère  il  versait 
l’or  à pleines  mains.  Ce  commerce  ne  lui  fit  gagner  qu’un  fieu  de  pain  ; mais  il  put,  pendant 
quelques  années  encore,  ranger,  déranger  ses  livres,  et  voir  bourgeonner  ses  arbres.  De 
douces  clartés  vinrent  dissiper  les  ténèbres  qui  avaient  obscurci  le  soir  d’une  si  belle  vie  : 
l’une  des  nièces  do  Lemonnier,  jeune,  belle,  pleine  de  talents  et  de  grâces,  éprouvait  pour 
son  oncle  un  amour  filial,  qui  était  devenu  dans  l’adversité  une  adoration  religieuse  : le  vieil- 
lard , plus  qu'octogénaire,  était  en  proie  à des  souffrances  qui  exigeaient  des  soins  minutieux 
et  continuels  ; sa  nièce  le  supplia  de  l’épouser,  pour  avoir  le  droit  d'étre  son  infirmière.  Le- 
monnier s'en  défendit  longtemps  ; mais  enfin , vaincu  par  les  prières  de  la  créature  céleste  que 
Dieu  avait  placée  sur  sa  route  pour  soutenir  scs  derniers  pas,  il  accepta  sa  main,  et  mourut  en 
la  bénissant. 

Parmi  les  événements  «pii  précédèrent  le  renouvellement  de  l 'École,  en  1774,  je  ne  dois  pas 
omettre  la  visite  do  Linné  au  Jardin  des  Plantes,  Cet  homme,  dont  l’histoire  offre  tout  l'intérêt 
d’un  roman,  était  né  en  Suède,  d’un  pauvre  ministre  luthérien , qui  occupait  une  petite  cure 
de  village.  Vous  avez  vu  que  Vaillant  était  botaniste  dès  l’âge  de  5 ans  ; on  peut  dire  que 
Linné  le  devint  dans  le  sein  de  sa  mère  : celle-ci,  pendant  sa  grossesse,  passait  des  heures 
entières  à contempler  son  mari  qui  cultivait  avec  amour  quelques  fleurs  rares  dans  son  mo- 
deste jardin  : aussi  ne  fut-elle  pas  étonnée,  après  la  naissance  rie  son  enfant , de  le  voir  cesser 
subitement  ses  cris  dés  (pi’on  lui  mettait  une  fleur  à la  main.  Ce  goût  ne  fit  que  s’accroître 
avec  l'âge,  et  devint  une  passion  qui  s'étendit  à toute  l’Histoire  naturelle.  On  trouve  dans  un 
froid  poème  de  Castel,  qui  parut  il  y a cinquante  ans,  un  vers  très-heureux,  qui  pourrait  être 
mis  au  bas  du  portrait  de  Linné  : 

Tu  vis,  lu  connus  tout,  et  tu  lis  tout  connaître! 

En  effet,  son  regard  embrassa  le  globe  terrestre  tout  entier  : Animaux,  Végétaux,  Minéraux, 
tout  fut  observé , classé , décrit  ; tout  reçut  un  signalement  spécial , une  noie  caractéristique. 
Toumefort  et  Vaillant  contribuèrent  pour  une  bonne  part  à la  gloire  botanique  de  Linné  : ce 
fut  on  lisant  le  fameux  discours  prononce  par  Vaillant,  en  1716,  qu'il  conçut  l'idée  d'un 
système  fondé  sur  les  sexes  des  Plantes  ; il  corrobora  par  dos  expériences  ingénieuses  et  mul- 
tipliées la  thé«jrie  do  Vaillant  sur  le  rôle  physiologique  des  étamines  et  du  pistil.  Quand  il  pu- 
blia , à 27  ans , la  description  de  tout  le  Règne  végétal , sous  le  nom  de  Spccies  Planlarum , 
il  profita  habilement  des  ouvrages  de  Toumefort,  conserva  les  genres  et  les  espèces  établis  par 
ce  dernier  ; mais,  avec  un  bonheur  singulier,  il  simplifia  les  phrases  que  Toumefort  avait  em- 
ployées pour  les  désigner  ; il  donna  à chaque  genre  un  nom  substantif,  et  à chaque  espèce  un 
nom  adjectif  qu’il  plaça  à côté  du  nom  de  genre  ; chaque  Plante  eut  alors  son  nom  générique 
et  son  nom  spécifique,  à peu  près  comme,  dans  nos  sociétés  modernes,  un  individu  porte  deux 
noms  : le  nom  do  son  père  et  son  nom  de  baptême.  — En  outre , Linné  fit  subir  aux  genres 
do  Toumefort  des  réductions  d'une  justesse  éminemment  philosophique,  l’n  exemple  familier 
va  vous  les  faire  comprendre.  Toumefort  faisait  du  Prunier,  du  Cerisier,  du  Laurier-Cerise, 


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HISTOIRE  BOTANIQUE  DU  JARDIN.  117 

de  V Abricotier , quatre  genres  différents  : Linné  les  réduisit  au  seul  genre  Prunier,  et  il  dit  : 
Prunier  domotique,  Prunier-Cerisier,  Prunier  Laurier-Cerise,  Prunier-Abricotier  ; c'est 
ainsi  que  les  genres  Pommier,  Poirier , Cognassier , Sorbier,  Alisier,  de  Tournefurt,  furent 
réunis  par  Linné  en  un  seul,  cl  l’on  eut  alors  le  Poirier  commun,  I c Poirier-Pommier , le 
Poirier-Cognassier,  le  Poirier-Sorbier,  le  Poirier- Alisier. 

Dans  sa  Philosophie  botanique,  trésor  inépuisable  d’érudition,  do  didactique  et  de  poésie,  il 
affecta  à chaque  organe  un  nom  propre , et  à chaque  modification  d'organe  une  épithète  par- 
ticulière. Tous  les  noms  et  tous  les  termes  qu'il  proposa  furent  consacrés  par  le  suffrage  uni- 
versel. Ce  livre,  enrichi  d’aphorismes  dictés  par  le  génie  et  l'expérience,  n’est  pas  seulement 
aujourd'hui  le  Code  des  botanistes  : les  principes  généraux  qu’il  renferme  ont  été  appliqués 
avec  do  grands  avantages  à toutes  les  parties  de  l'Histoire  naturelle. 

Je  viens  de  vous  parler  de  la  poésie  do  Linné  : il  y en  a dans  tous  ses  ouvrages,  bien  qu’ils 
soient  écrits  en  prose.  Son  style , qui  n’est  qu’à  lui , se  distingue , non  par  l’harmonio , mais 
par  la  concision  ; et  certes,  do  tous  les  éléments  de  la  poésie,  la  concision  était  presque  le 
seul  qui  convint  à un  livre  renfermant  la  description  de  tous  les  êtres.  C’est  surtout  dans  ses 
Introductions  ci  ses  Généralités  que  se  montre  le  poète  : les  hautes  pensées,  les  images  su- 
blimes y abondent  en  foule,  mais  cette  foule  est  si  compacte,  qu’il  est  impossible  de  traverser 
rapidement  une  page  de  Linné.  Lorsqu'on  a passé  une  heure  avec  lui,  et  qu’on  rencontre 
ensuite  la  phrase  nombreuse  et  sonore  de  Buffon,  on  conçoit  le  peu  de  sympathie  qu’éprouvait 
l’écrivain  français  pour  le  naturaliste  suédois. 

Je  vais  vous  donner  une  traduction  libre  des  premières  lignes  qui  servent  d’exorde  à son 
grand  ouvrage  du  Système  de  la  Sature;  je  dis  libre,  car  il  m'a  été  impossible  d'être  fidèle  au 
texte  ; je  vous  avertis  donc  avec  chagrin  que  la  concision  (note  caractéristique  du  style  de 
Linné)  manquera  tout  à fait  ici;  il  faut  en  accuser  surtout  le  traducteur,  cl  un  peu  le  génie 
de  notre  langue. 

Dans  la  nuit  de  l'erreur,  une  soudaine  voix 

Me  dit  : « Mortel  aveugle,  ouvre  les  yeux  et  vois!  » 

Je  m'éveillai  : je  vis  l'Être  éternel,  immense 
Sourre  de  tout  savoir  et  de  toute  puissance; 

Il  se  montra  sans  vo  le  à mes  yeux  stupéfaits; 

Je  compris  sa  beauté,  sa  gloire,  ses  henfails. 

Il  passa  i et  semait  les  mondes  dans  l'espace  : 

Je  le  suivis  de  loin,  en  adorant  sa  trace. 

Et  l'empreinte  divine  à mon  esprit  grossier 
Révéla  les  secrets  du  céleste  Ouvrier; 

Je  vis  dans  le  Ciron,  qui  pour  lui  vaut  un  monde, 

Raison,  force,  grandeur,  perfection  profonde. 

Vous  avez  entendu  tant  de  mots  latins,  depuis  votre  entrée  au  Jardin  des  Plantes,  que  je  ne 
puis  résister  à l'envie  de  vous  réciter  le  texte,  dont  ces  vers  sont  la  froide  paraphrase  : je  suis 
sûr  que  vous  allez  le  comprendre , en  vous  aidant  de  la  traduction. 

DEVM  sempitemum,  immensum,  omniscium , omnipotentem,  expergefactus 
transeuntem  vidi,  et  obstupui.  Legi  aliquot  ejus  vestigia  per  ereata  rttrum,  in 
quibus,  etiarn  in  minimis,  ac  ferè  nttllis  quoi  ratio!  quanta  vis!  quàm  inextri - 
cabilis  per/ectio! 

Linné  était  âgé  de  31  ans,  et  avait  déjà  publié  son  Système  de  la  nature,  et  ses  principaux 
ouvrages  de  Botanique  (excepté  la  Philosophie) , quand  il  vint  à Paris.  Il  arrivait  de  Levde, 
oit  il  avait  vu  Boèrhoavo  mourant.  Boêrhaave  avait  porté  à ses  lèvres  la  main  du  jeune 
hommo,  en  lui  disant  : n J'ai  rempli  ma  carrière;  que  Dieu  te  conserve,  toi  qui  n’as  pas  fourni 
la  tienne.  Tout  ce  que  le  monde  savant  voulait  de  moi,  il  l’a  obtenu,  mais  il  attend  bien  plus 
encore  de  toi , mon  cher  fils.  Adieu , mon  Linneeus.  » 


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DEUXIÈME  PARTIE. 

Linné,  à peine  débarqué , court  au  Janliu  des  Plantes;  on  raconte  i|u'il  y arriva  au  moment 
où  Homard  de  Jussieu  faisait  une  démonstration  botanique  : Linné  se  mêle  parmi  les  assis- 
tants. Bernard  leur  parlait  dos  différences  d'asfiecl  que  présentent  les  Végétaux  de  telle  ou  telle 
région  : il  montrait  à l'un  des  élèves  une  piaule  originaire  d'Amérique,  et  lui  demandait  s'il 
pourrait  bien  sur  son  extérieur  reconnaître  sa  patrie  : l'élève  garda  le  silence , une  voix  sort 
de  la  foule,  et  fait  entendre  ces  mots  en  latin  : Physionomie  américaine  !...  ( faciès  ameri- 
cana)  ; Bernard  se  retourne  précipitamment  vers  l'interlocuteur,  et  lui  dit  dans  la  même 
langue  : u Vous  êtes  Linné!  — Oui,  » répondit  celui-ci  : cil  même  tomps  il  lui  présenta  la 
lettre  de  recommandation  que  Van  Moyen  lui  avait  donnée  pour  les  Jussieu.  Van  Moyen,  dans 
cette  lettre , appelait  Linné  le  prince  de  la  Botanique  ; mais  le  prince  était  sans  argent  et  loin 
de  sa  patrie.  Bernard  l'accueillit  en  frère,  et  (|>our  parler  le  langage  des  anciens)  il  l’aug- 
menta de  sa  monnaie,  et  le  réchauffa  de  son  hospitalité.  Les  deux  amis  exploitèrent  ensemble 
la  forêt  de  Fontainebleau;  Bernard  présenta  son  hôte  à l'Académie,  qui  le  nomma  l'un  de  scs 
membres  correspondants,  et  Linné  quitta  Paris,  emportant  pour  les  Jussieu  une  reconnais- 
sance qu'il  conserva  toute  sa  vie. 

Vers  1740,  Bernard,  ne  pouvant  suffire  aux  travaux  que  nécessitait  la  direction  de  toutes 
les  cultures,  forma  un  jardinier  nommé  Bcrlamboise,  qui  bientôt  fut  digne  d'un  lui  maître;  en 
1745,  Bcrlamboise  étant  mort,  Buffou  mil  h sa  place  Jean-André  Thouin,  jardinier  & Stord, 
près  Plie- Adam.  Tliouiu  se  distingua  pendant  vingt-trois  ans  par  son  zèle  et  ses  connaissances. 
Lorsqu'il  mourut,  Bernard  proposa,  pour  lui  succéder,  son  (Ils  André,  à peine  âgé  de  vingt 
ans;  Buffon  se  déliait  de  l'extrême  jeunesse  du  candidat,  mais  Bcrnord  répondit  pour  lui,  et 
Audré  fut  nommé  jardinier  en  chef.  C’est  encore  une  belle  et  longue  vie  que  celle  d’André 
Thouin  : ce  jeuno  homme,  laissé  par  la  mort  de  son  père  à la  tête  d'une  nombreuse  famille, 
so  voua  au  célibat,  et  travailla  pondant  soixante  ans  à justifier  la  confiance  des  Jussieu.  Doué 
d'une  activité  et  d'un  esprit  d'ordre  admirables,  il  trouvait  du  temps  pour  tout;  il  faisait  face 
aux  travaux  multipliés  de  l’intérieur  et  à toutes  les  correspondances  du  dehors  : c’était  lui  seul 
qui  surveillait  la  préparation  des  terres  artilicielles , lui  seul  qui  faisait  les  semis,  lui  seul  qui 
les  inspectait,  en  visitaul  jour  par  jour  des  millier»  de  pots.  Il  euvoyait  des  jardiniers  dans  les 
colonies  pour  y établir  des  jardins  de  naturalisation , et  leur  donnait  des  instructions  immen- 
sément détaillées.  Il  réussit,  eu  peu  d'années,  à tripler  les  richesses  végétales  du  jardin.  — 
Reçu  à l'Académie  dos  sciences  en  1786,  il  fut  élu,  quatre  ans  après,  membre  du  conseil 
général  de  la  Seine  ; on  le  chargea  de  la  section  d'agriculture , et  il  donna  une  impulsion  nou- 
velle & celte  partie  de  l'administration.  En  1793,  à lu  réorganisation  du  Muséum,  il  fut  nommé 
professeur  de  culture,  fonda  V École  que  vous  avez  vue  au  bas  du  Jardin,  et  y fil  un  cours 
spécial  sur  les  diverses  parties  de  l'art  agricole.  Ses  leçons  avaient  lieu  à six  heures  du  matin, 
et  n’étaient  destinées  qu'aux  jardiniers , mais  le  public  y accourait  en  foule  ; on  admirait  ses 
leçons  substantielles  et  son  éloquence  simple,  que  rehaussait  encore  un  physique  plein  de 
noblesse.  Il  conseillait  les  semis  pour  raviver  les  races,  prêchait  les  plantations  comme  un 
acte  de  vertu,  et  la  naturalisation  des  plantes  utiles  comme  un  devoir  envers  la  patrie.  — 
Vous  ne  serez  pas  étonné  qu'un  tel  jardinier  ait  été  estimé  par  Linné,  Jean-Jacques  Rousseau 
et  Malesherbes.  Lorsque  Napoléon  créa  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur,  il  fit  André  chevalier, 
mais  celui-ci  refusa  de  porter  la  décoration.  « J'accepte  avec  reconnaissance,  dit-il  à l'empe- 
reur, cet  emblème  des  vertus  civiques,  qui  m'est  offert  par  les  mains  de  l'héroïsme;  mais  jo 
ne  le  porterai  pas;  un  ruban  irait  mal  à mon  habit  de  jardinier,  et  l'orgueil , inséparable  de 
toute  distinction,  pourrait  me  faire  oublier  la  bêche  et  la  serpe  : comme  elles  ont  fait  ma  con- 
solation et  ma  fortune , elles  doivent  suffire  à mon  ambition , c'est  d'elles  seules  que  j’attends 
le  bonheur  et  la  gloire.  » Il  mourut  à soixante-dix-sept  ans;  il  avait  renoncé  au  mariage  pour 
soutenir  ses  frères,  dont  il  était  l’alné  : mais,  sans  avoir  eu  d'enfants,  il  éprouva  dans  ses 
pépinières  toutes  les  jouissances  de  la  paternité  : ses  semis,  ses  plantations,  ses  greffes  étaient 
pour  lui  une  innombrable  famille,  dont  l’éducation  lui  coûta  soixante  ans  de  travail,  de 


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HISTOIRE  BOTANIQUE  DU  JARDIN.  119 

patience  et  de  dévouement  : la  postérité  d'André  Thouin  ne  vaut-elle  pas  bien  les  deux  sau- 
glantes  victoires  qu’Êpammondas  appelait  ses  deux  Allés? 

Bernard  de  Jussieu,  qui,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  s’était  reposé  entièrement  sur 
André  Thouin  des  détails  de  la  culture,  fut  contraint,  par  l'Age,  de  confier  ses  autres  fonctions 
à son  neveu;  depuis  1715,  il  avait  cédé  à Daubenton  sa  place  de  garde  et  démonstrateur  du 
Cabinet  d’histoire  naturelle,  place  devenue  importante  sous  Buffon,  et  qui  demandait  un 
homme  tout  entier.  Antoine-Laurent,  que  Lemonnier,  professeur  titulaire,  avait  nommé  son 
suppléant , se  vit  de  la  sorte  chargé  de  faire  les  leçons  dans  le  jardin  et  les  herborisations  à la 
campagne.  Lorsqu’on  1772,  Buffon,  guéri  d’une  grave  maladie,  résolut  de  donner  à l’établis- 
sement, dont  il  était  le  chef,  toute  l'étendue  et  toute  la  régularité  possible,  les  sollicitations 
d’Antoine-Laurent  le  déterminèrent  è porter  d'abord  ses  vues  sur  lu  botanique,  et  ce  fut  par 
l’École  «le  botanique  qu’il  commença  l’exécution  de  son  plan.  Cette  École  était  encore  la  même 
que  du  temps  de  Tournefort  : les  arbres  étaient  séparés  des  herbes,  et  plantés  à une  grande 
distance,  près  de  l'endroit  où  est  maintenant  un  café.  L'espace  qui  se  terminait  à l’extrémité 
des  serres  actuelles  était  tellement  insuffisant,  qu’il  fallait  cultiver  une  partie  des  plantes,  soit 
hors  de  l’École,  soit  dans  les  endroits  où  l’on  trouvait  une  place  vide,  sans  aucun  égard  à leur 
classification , et  que  le  professeur  était  souvent  obligé  d’aller  faire  la  démonstration  daus  uno 
autre  partie  du  jardin.  Le  terrain  était  d’ailleurs  épuisé , et  les  plantes  délicates  ne  pouvaient 
s’y  conserver  qu’à  force  de  soins.  Buffon,  cédant  aux  instances  réitérées  d’Antoine-Laurent, 
exposa  au  ministre,  duc  de  la  Vrillièrc,  les  besoins  du  Jardin,  et  il  en  obtint,  en  1773,  une 
somme  de  36,000  livres,  qui  fut  destinée  au  renouvellement  de  l’École  de  botanique.  On  traça 
des  plates-bandes,  on  fit  défoncer  les  terrains,  et  les  plantes,  levées  en  automne  avec  les  pré- 
cautions convenables , furent , à la  fin  de  l'hiver,  transplantées  dans  le  lieu  qu’elles  devaient 
occuper.  Ce  fut  alors  qu’ Antoine-Laurent  disposa  les  familles  et  les  genres  suivant  leurs  rap- 
ports naturels,  en  conservant  une  partie  des  groupes  établis  par  son  oncle  Bernard  dans  le 
jardin  do  Trianon;  sur  l’étiquette  «les  plantes,  il  substitua  aux  longues  phrases  de  Tournefort, 
la  nomenclature  laconique  de  Linné  : il  dut  vaincre  à ce  sujet  les  résistances  de  Buffon,  qui 
avait  en  horreur  les  classifications,  et  pour  qui  Linné  était  la  classification  personnifiée. 

Alors,  de  même  qu’à  présent,  la  famille  des  Conifères  terminait  l'École;  mais  celle-ci  avait 
bien  moins  d’étendue  que  de  nos  jours , comme  vous  pourrez  en  juger  par  la  position  presque 
centrale  du  grand  Pin  Laricio , qui  fut  planté  par  Antoine-Laurent,  et  indiquait  la  limite  de 
l’École  nouvellement  établie.  L'École  fut  agrandie  d’un  quart  en  1788;  en  1802,  Desfontaines 
la  replanta  de  nouveau;  en  1821,  elle  fut  mise  dans  l’état  où  nous  la  voyons  aujourd’hui; 
mais  on  s’occupe  en  ce  moment  de  l’agrandir  encore;  elle  va  se  prolonger  jusqu’à  l’extrémité 
du  Jardin,  et  envahir  l’emplacement  des  Écoles  d'arbres  fruitiers  et  do  culture;  ces  derniers 
occuperont  le  terrain  qui  fait  suite  à la  Ménagerie  du  côté  de  la  Seine. 

Bernard  de  Jussieu  vécut  encore  trois  ans  après  la  création  de  la  nouvelle  École  : il  venait 
quelquefois  s’y  promener  malgré  son  grand  Age  : vous  jugez  si  son  Ame  silencieuse  et  modeste 
dut  tressaillir  de  bonheur  en  voyant  son  neveu,  son  fils,  son  disciple  bien-aimé,  l’imiter  et 
faire  mieux  que  lui.  Quand  il  paraissait  au  Jardin,  sa  présence  était  une  solennité  : ses  anciens 
élèves  accouraient  en  foule,  ils  l’entouraient  uvec  respect,  et  recueillaient  précieusement  les 
moindres  paroles  du  vénérable  vieillard.  Il  s’éteignit  en  1777  , et  alla  rendre  compte  à Dieu 
d’une  vie  qu’avaient  exclusivement  occupée  l’amour  de  l’humanité,  l’observation  de  la  nature, 
et  le  culte  de  son  Auteur. 

Je  viens  de  vous  dire  qu’ Antoine-Laurent  était  le  disciple  de  Bernard  ; il  est  important  de 
savoir  au  juste  ce  que  le  neveu  doit  à l’oncle,  et  «l’évaluer  la  part  de  gloire  «|ui  revient  à chacun 
dans  l'établissement  de  la  méthode  naturelle.  Disons  d’abord  qu’en  1758,  époque  où  Linné 
publia  ses  ordres  naturels,  Bernard  do  Jussieu  n’avait  pas  encore  commencé  les  siens;  on  en 
trouve  lu  preuve  dans  un  petit  cahier  écrit  de  sa  main , que  possède  aujourd’hui  son  petit- 
neveu  Adrien;  les  ordres  de  Linné  y sont  transcrits,  et  à la  suite  ont  été  rangés  alphabéti«|ue- 


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120 


DEUXIÈME  PARTIE. 

ment  les  genres  d'un  siégé  incertain , pour  le  classement  desquels  Linné  faisait  un  appel  à la 
sagacité  «les  autres  botanistes.  On  y voit  quelques-uns  de  ces  genres  intercalés  par  Bernard 
dans  les  ordres  proposés;  quelques  genres  classés  par  Linné  sont  transportés  ailleurs,  ou 
groupés  d'une  manière  différente.  L’antériorité  de  Linné  no  diminue  en  rien  le  mérite  de 
Bernard , pas  plus  que  celui  de  Linné  n'est  amoindri  par  les  travaux  de  ses  prédécesseurs  : 
l’idée  d’une  méthode  n'était  pas  nouvelle;  dès  1689,  Magnol,  de  Montpellier,  maître  d’Antoine 
de  Jussieu,  avait  déjà  introduit  en  botanique  des  familles  dont  l’arrangement  était  fondé  sur 
la  structure  du  calice  et  de  la  corolle  : en  1690,  Rivin  avait  publié  une  classification  sur  la 
figure  de  la  corolle , sur  le  nombre  des  graines , sur  la  forme , les  loges  et  la  consistance  du 
fruit;  le  problème  des  affinités  naturelles  était  posé  depuis  longtemps;  il  s’agissait  de  le 
résoudre  mieux  que  les  autres  : c’est  ce  que  tenta  Bernard  de  Jussieu;  mais  il  u’entreprit  pas 
de  motiver  les  préférences  qu’il  avait  accordées  à telles  ou  telles  analogies  : elles  étaient  pour 
lui  des  vérités  de  sentiment  qu’il  ne  chercha  pas  à raisonner,  et  dont  il  consigna  l’expression 
matérielle  dans  les  plates-bandes  de  Trianon. 

Il  y avait  peu  do  temps  qu’Anloine-I^urent  était  arrivé  à Paris,  lorsque  Lemonnier,  profes- 
seur titulaire,  le  nomma  son  suppléant.  Il  avait  alors  vingt-un  ans,  et  son  expérience  botanique 
était  si  jeune  encore , qu’il  était  souvent  obligé  d’apprendre  la  veille  ce  qu'il  devait  enseigner 
le  lendemain  ; son  oncle , plus  que  septuagénaire , était  affaibli  par  l’àge , et  consacrait  une 
grande  partie  de  son  temps  à des  exercices  de  piété.  Le  jeune  professeur  suivit  d’abord  la 
méthode  de  Toumefort , et  cette  circonstance  nous  autorise  à croire  quo  les  communications 
verbales  entre  l’onde  et  le  neveu  se  réduisaient  à bien  peu  de  chose  ; au  reste,  un  esprit  aussi 
philosophiquo  que  celui  d’Antoine-Laurent  ne  pouvait  sc  contenter  longtemps  du  système 
imparfait  de  Toumefort  : ce  fut  alors  qu’il  dut  prendre  connaissance  du  catalogue  manuscrit 
de  Trianon , leçon  muette  pour  une  intelligence  vulgaire,  mais  que  la  sagacité  du  jeune  com- 
mentateur sut  trouver  éloquente,  et  qu'il  voulut  compléter.  Trois  ans  après,  son  travail  sur 
les  Retionculacées  lui  ouvrit  les  yeux  , et  il  put  s’écrier  : « Moi  aussi,  je  suis  botaniste I » 

Le  choix  de  cette  famille  était  déjà  un  trait  de  génie  : en  effet,  les  anomalies  multipliées  que 
présentent  dans  les  parties  secondaires  de  leur  fleur  (calice  et  corolle)  les  Ancolies,  les  .4co- 
nit8,  les  Dauphinelles,  les  Hellébores,  les  Ni  gel  les,  les  Renoncules,  les  Anémones,  et  en  mémo 
temps  l’analogie  invariable  qui  associe  tous  ces  genres,  lorsqu’on  observe  la  non-soudure  des 
pétales  et  des  folioles  du  calice,  la  position  et  le  nombre  des  étamines,  la  direction  des  anthè- 
res, la  forme  des  ovaires,  et  surtout  la  structure  de  la  graine,  ces  diverses  considérations 
durent  conduire  le  botaniste-philosophe  à découvrir  le  grand  principe  de  la  valeur  relative  des 
caractères. 

Dès  lors , Antoine-Laurent  put  raisonner  et  formuler  l’axiomo  fécond  que  son  oncle  avait 
pressenti  : il  vit  qu’il  fallait,  non  pas  compter,  mais  évaluer  les  caractères,  et  que  ce  calcul 
pouvait  seul  résoudre  le  problème  de  la  méthode.  C’est  dans  ce  mémoire  sur  les  Renoncules , 
lu  à l’Académie,  on  1773,  que  sc  trouve  énoncée  et  développée  l'importance  relative  et 
subordonnée  des  divers  organes  de  la  plante,  importance  que  Linué  et  tous  les  autres  avaient 
méconnue  avant  les  Jussieu.  L’année  suivante,  comme  il  s’agissait  de  replanter  l’École, 
Antoine-Laurent  proposa  et  lut  à l'Académie  le  plan  d’une  nouvelle  méthode,  auquel  Bernard 
resta  complètement  étranger.  Ce  plan  fut  proposé  et  exécuté  par  le  neveu,  qui  fut  seul  ainsi, 
selon  l’expression  de  son  fils,  législateur  et  ministre  de  la  méthode  ( legis  simul  lator  et  minister) . 

A dater  de  cette  époque  mémorable  Jussieu  prépara  son  grand  ouvrage  sur  les  familles  et 
les  genres  du  Règne  végétal.  Il  y travailla  sans  relâche  pendant  quinze  ans,  analysa  tous  les 
genres,  vit  germer  toutes  les  graines  sur  les  couches  du  Jardin,  et  pas  un  élève  ne  l’aida  dans 
cette  immense  opération.  Quand  ses  observations  furent  terminées,  il  rédigea  son  ouvrage 
qui  parut  en  1789.  La  préface  de  ce  beau  livre,  écrit  en  latin,  est  un  modèle  de  style  et  do 
philosophie  : ce  n’est  plus  l’aphorisme  nerveux  et  concis  de  Linné,  c’est  la  phrase  académique 
de  Cicéron,  colorée  par  des  réminiscences  virgilionnes.  L’auteur  y expose  le  principe  luminoux 


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IIISTOIIIK  IIOTWIQIK  IM  J \ tt  I)  I \ . 1-21 

•|ui  l'a  guidé  ilans  scs  travaux,  cl  les  applications  <|u’il  eu  a faites  à sa  méthode;  il  compare 
entre  eux  les  caractères , et  évalue  leur  importance  relative;  il  établit  celte  importance  sur  les 
fonctions  et  sur  la  constance  de  chaque  organe  : ainsi,  par  exemple,  la  graine  étant  destinés! 
à reproduire  la  plante,  cette  fonction  de  premier  ordre  lui  donne  aussi  une  valeur  de  premier 
ordre:  viennent  onsuito  les  caractères  secondaires,  c'est-à-dire  l'insertion  des  étamines  au- 
dessous  du  pistil,  ou  autour  du  pistil,  ou  au-dessus  du  pistil  ; la  présence  nu  l'absence  de  la 
corolle,  la  soudure  ou  l'indépendance  des  pétales,  la  forme  du  pislil  et  de  la  corolle,  le 
nombre  des  étamines,  etc.  Dans  sa  coordination  des  familles,  il  corrige  par  des  notes  profon- 
dément judicieuses  ce  qu'une  série  linéaire  peut  avoir  d'artificiel  ; il  iudique  les  rapports 
multiples  des  familles;  cl  les  doutes  même  qu'il  exprime,  révèlent  le  sentiment  exquis  des 
affinités  qu’il  avait  reçu  do  la  nature.  Il  n’ignorait  pas  que  les  grandes  divisions  de  sa  méthode 
sont  défectueuses  dans  quelques  cas,  et  qu'il  avait  rompu  dos  rapports  en  séparant,  dans  des 
classes  différentes,  les  Monopétales , les  Polype  laies  et  les  Apétales;  mais  colle  irrégularité 
était  une  concession  qui  axait  pour  luit  de  rendre  son  ouvrage  d'une  application  plus  facile. 

Si  maintenant  vous  mettez  en  parallèle  Aiilnine-Lauruiit  et  Bernard , vous  ue  serez  pas 
embarrassé  do  décider  lequel  des  deux  a le  plus  fait  pour  la  méthode  naturelle.  Bernard 
médita  pendant  vingt  ans,  et  obtint  des  résultats  supérieurs  à ceux  de  ses  devanciers;  trois 
années  suffirent  à Antoine-Laurent  pour  découvrir  un  principe  qui  l’éleva  subitement  à une 
hauteur  d'où  il  put  considérer  la  philosophie  botanique  sous  un  point  de  vue  tout  nouveau  ; 
et  cela  seul,  à mon  avis,  le  place  bien  au-dessus  de  son  oncle,  indépendamment  du  talent 
qu'il  a montré  dans  l’exposition  et  la  mise  en  pratique  do  co  principe  fondamental.  Ce  principe 
s'appliqua  Montât  à toutes  les  parties  de  l'histoire  naturelle,  et  la  scionoo  dut  remercier  Jussieu 
d'avoir  préparé  la  réforme  zoologique,  qui,  à elle  seule,  suffirait  pour  immortaliser  Cuvier. 

Il  y a des  livres  où  on  lit  que  « Bernard  découvrit  la  méthode,  et  que  son  nexeu  la  publia,  s 
Cette  erreur  m'a  toujours  révolté,  moi,  l'adorateur  de  Bernard!  Antoine -Laurent  fut  le 
disciple  et  non  Y éditeur  de  sou  oncle  : il  partit  d'uu  |H>inl  plus  élevé,  cela  est  vrai,  et  il  devait 
monter  licaucoup  plus  haut;  mais  tout  fait  penser  que  s'il  eût  été  son  contemporain,  il  l'eût 
laissé  bien  loin  derrière  lui.  A ceux  donc  qui  seraient  tentés  de  nier  la  supériorité  du  neveu 
sur  l'oncle,  et  qui  diront  que  Bernard  a fait  Antoine -Laurent,  parce  qu'il  lui  a servi  de 
modèle,  on  peut  répéter  ce  qu’on  a dit  au  sujet  d'Homère  et  de  Corneille,  venus  axant  Virgile 
cl  Racine  : « Si  Bernard  a fait  Aiiloinc-Laurenl , c’est  assurément  son  plus  bel  ouvrage.  » 

Comme  il  ne  m’est  permis  de  louer  que  les  morts,  je  xais  terminer  mon  récit  par  l'histoire 
de  Desfontaines,  qui  succéda,  en  1788,  à I.emonnier.  Ré  né  Desfonlaincs  naquit  en  1752,  à 
Tremblay,  village  du  département  d'Ille-et-Vilaine.  Son  enfance  fut  malheureuse;  il  avait 
pnur  maître  d'école  un  brutal  qui  le  battait  sans  cesse,  et  accompagnait  ses  corrections  du 
refrain  suivant  : o Tu  no  seras  jamais  rien.  » Lïi  jour,  après  avoir  dérobé  quelques  pommes, 
l’enfant,  voyant  arriver  la  xcngcancc  du  cinglant  Breton,  sauta  par  la  fenêtre,  et  se  sauva 
chez  son  père,  bien  résolu  à ne  plus  retourner  sous  la  férule  de  son  persécuteur,  Le  père, 
malgré  la  sinistre  prédiction  du  pédagogue,  ne  regardant  pas  son  fils  comme  tout  à fait 
perdu,  l'envoya  au  collège  de  Rennes.  L'enfant  arriva  à Rennes,  frappé  do  l'anathémc  lauré 
par  son  premier  mptlre;  et,  convaincu  qu’il  était  un  mauvais  sujet,  ii  se  dégoûta  du  trax-ail. 
Lu  beau  jour,  ii  est  nommé  le  premier  en  théine,  et  ne  peut  revenir  do  sa  surprise;  son 
professeur  l'encourage,  lui  rend  le  sentiment  de  sa  propre  estime,  si  précieux  pour  les  enfants, 
et  Desfonlaincs  dexint  bientôt  le  meilleur  écolier  de  sa  classe.  Toutes  les  fois  qu'il  écrix-ait  à 
son  (1ère  pour  lui  faire  pari  d’un  nouveau  succès,  il  ajoutait  eu  apostille  : « doubliez  pas  de 
dire  à JL  N.,  mon  maître,  que  Je  ne  serai  jamais  rien.  » Cette  petite  xeugeauce  fut  répétée, 
même  après  qu'il  fut  sorti  du  collège,  et  le  dernier  de  sc$  post-scriptum  railleurs  fut  celui  où 
il  annonça  à son  père  qu’il  venait  d'entrer  à l'Académie  des  sciences. 

Desfontaines  était  xenu  à Paris  pour  étudier  In  médecine  : l'élude  accessoire  do  la  bota- 
nique lui  révéla  sa.  x-ocation,  et  il  se  mit  bientôt  en  rapport  avec  Antoine- Laurent,  qui  le 

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DEL  \ l K M K l'VHTIE. 


122 

présenta  à Lemonnier,  dont  vous  connaissez  l'histoire.  Lemonuier  accueillit  Desfontaines,  lu 
lit  travailler  sous  sa  direction , et  jugea  bientôt  <|ii'il  lie  pouvait  choisir  un  plus  digne  succes- 
seur pour  lui,  et  un  meilleur  collègue  pour  Antoine-Laurent.  Il  songea  donc  à lui  transmettre 
sa  place;  mais  Desfontaines,  n'ayant  pas  encore  un  nom  connu,  travailla  avec  ardeur,  publia 
d'excellents  Mémoires,  et  fut  nommé,  en  1785,  membre  de  l'Académie  des  sciences.  Il  lit 
alors  en  llarbario  un  voyage  <|ui  acheva  d'établir  sa  réputation.  A sou  retour,  Lemonnier  su 
disposa  à lui  céder  sa  chairo  du  botanique  au  Jardin;  mais  avant  île  se  démettre,  il  voulut 
s’assurer  du  consentement  de  Buffon , lequel , en  sa  qualité  d'iotendant , avait  seul  le  droit  de 
nommer  les  professeurs.  Buffou , qui  tenait  à ses  prérogatives , ne  voulut  s'engager  à rien  : 
n Que  M.  Lemonnier  donne  sa  dé-mission , dit-il , ensuite  j'userai  des  droits  de  ma  charge.  « 
Lemonnier  se  démit  de  sa  place;  Buffou  lit  attendre  lu  réponse  deux  jours  entiers,  et  le 
troisième,  il  nomma  gracieusement  ücsfoulaincs.  Celui-ci  voulait  occuper  seulement  la  place 
do  démonstrateur,  et  laisser  celle  de  professeur  à Jussieu  ; mais  Jussieu  préféra  conserver  des 
fonctions  que  sou  oncle  avait  exercées  pendant  quarante-cinq  ans. 

Desfontaines  lut,  en  1796,  & l’Académie,  un  Mémoire  sur  lorga- 
• nisalion  comparée  des  Monocolylédones  et  des  Dicotylédones,  qui  fut 
reçu  avec  acclamations;  su  division  des  végétaux  en  deux  classes,  éta- 
blies sur  lu  structure  de  la  tige,  s'adapta  parfaitement  à celle  que 
Jussieu  avait  fondée  sur  la  structure  de  la  graine,  et  facilita  l'applica- 
tion  de  la  méthode  de  ce  dernier.  En  effet,  avant  Desfontaines,  une 
plante  étant  donnée,  il  fallait,  pour  première  notion  , savoir  si  la  graine 
était  à deux  cotylédons  ou  à un  seul;  or,  la  plante  étant  en  (leurs  et 
l’ovaire  à peine  formé,  celto  question  était  difficile  à résoudre,  et  l'élève 
était  arrêté  dès  le  premier  pas.  Les  observations  de  Desfontaines  remé- 
dièrent à cet  inconvénient  : il  ne  fut  plus  nécessaire  d'analyser  la  graine  ; 
il  suffit  de  regarder  la  cou|>e  de  la  tige,  ou  même  les  nervures  des 
fouilles  ; si  la  ligo  offre  des  zones  concentriques,  coupées  par  des  rayons 
médullaire-, , si  les  feuilles  ont  des  nervures  ramiliées  , dont  les  der- 
nières veines  s’entre-croisenl,  la  plante  est  une  Dientylédoiie  ; si  la 
lige  offre  des  fibres  éparses  sans  ordre  dans  le  tissu  cellulaire,  et  si 
les  feuilles  ont  des  nervures  simples  et  parallèles  entre  elles,  comme 
dans  l«  Maïs,  par  exemple,  la  plante  est  une  Monocotylédone ; ces  (V.wxsvoiotM 
deux  régies  sont  presque  sans  exception. 

Vous  savez  qu’en  1793,  après  le  31  mai,  le  Jardin  des  Plantes  fut  sur  le  point  d'être  détruit 
un  qualité  d'établissement  royal.  Quelques  membres  de  la  Convention  résolurent  de  s'opposer 
à ce  vandalisme;  l'un  d’eux,  M.  Lakanal,  président  du  comité  d'instruction  publique,  se 
rendit  secrètement  au  Jardin;  il  s’entretint  avec.  Desfontaines,  Tliouin  et  Daubeutou,  sur  les 
moyens  de  prévenir  le  danger  qui  les  menaçait,  se  fit  remettre  par  eux  le  projet  de  règlement 
qu'ils  avaient  présenté  à l'Assemblée  constituante,  et,  dés  le  lendemain,  il  lit  rendre  lin  décret 
■pu  constituait  et  organisait  rétablissement,  eu  lui  donnant  le  litre  de  Muséum  d’histoire  natu- 
relle. Il  y avait  au  Jardin  trois  professeurs,  trois  démonstrateurs,  trois  gardes  du  Cabinet, 
un  sous-garde  du  Cabinet,  un  peintre  du  Cabinet,  un  jardinier  en  chef,  en  tout  douze  fonc- 
tionnaires; le  décret  de  la  Convention  porta  que  les  dôme  officiers  du  Muséum  seraient  tous 
professeurs , et  jouiraient  des  mêmes  droits.  Ils  étaient  chargés  de  distribuer  entre  eux  les 
fonctions  et  de  se  nommer  eux-mêmes  des  collègues,  quand  une  place  deviendrait  vacante. 

Les  six  chaires  de  botanique,  chimie  et  anatomie  se  trouvaient  remplies;  André  Tliouin 
devint  professeur  de  culture , et  la  plpce  de  jardiuier  en  chef  fut  donnée  à Jean , son  frère  j 
Daubenton  fut  professeur  de  minéralogie  ; Vanspaendonck , professeur  d 'iconographie  ; Geoffroy- 
Saint-Hilaire  professeur  de  zoologie.  Hcstoient  deux  chaires  à occuper  : cele  de  géologie  et 
celle  des  animaux  invertébrés.  La  Convention,  eu  décrétant  douze  chaires  de  professeurs, 


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■a 


HISTOIRE  BOTAMQl  K IX  J V RDI  N . 

avait  apparemment  prétendu  que  les  douze  officiers  du  Muséum  seraient  aptes  à les  remplir  ; 
le  hasard  justifia  merveilleusement  celte  prétention  révolutionnaire  : il  se  trouva  que  Faujas 
île  Saint-Fond,  qui  était  chargé  de  la  correspondance,  avait  fait  un  bel  ouvrage  sur  les 
volcans  du  Vivarais  : on  lui  donna  la  chaire  de  géologie  ; il  se  trouva  que  I.amark , qui  n'était 
employé  au  Cabinet  qu’à  soigner  les  herbiers,  connaissait  les  coquilles  mieux  que  personne 
en  Franco  : on  le  chargea  d'enseigner  l’histoire  des  animaux  invertébrés,  et  cette  nouvelle 
direction  donnée  à ses  travaux  nous  valut  bientôt  d’excellents  ouvrages. 

Revenons  à Desfontaines,  dont  le  long  professorat  fut  marqué  par  d'heureuses  innovations. 
Des  travaux  de  ses  devanciers , les  richesses  do  l’École , et  la  classification  méthodique  que 
Jussieu  y avait  établie,  lui  permirent  de  donner  à son  enseignement  une  marche  philosophique. 
Il  divisa  son  cours  en  deux  parties  : la  première , consacrée  à la  description  dos  organes  dans 
les  végétaux,  et  à l’histoire  des  fonctions  de  ces  organes  (anatomie  et  physiologie)-,  la  seconde, 
à lu  classification  et  à la  description  des  familles,  des  genres  et  des  espèces.  Celte  division 
produisit  d’excellents  résultats;  elle  facilitait  aux  élèvos  non  pas  seulement  la  connaissance 
îles  formes  extérieures  des  plantes , mais  encore  celle  de  leurs  rapports  réciproques , de  leurs 
usages  dans  les  arts  et  l’économie  domestique , et  les  diverses  modifications  que  la  culture 
pouvait  leur  faire  subir.  Desfoutaines  continua  pendant  quelques  années  à démontrer  les 
plantes  daus  l'École  ; mais  sa  manière  d’enseigner  attira  un  si  grand  nombre  d'élèves,  qu’il 
devint  impossible  que  tous  pussent  entendre  le  professeur  en  se  plaçant  sur  une  ligne  droite 
le  long  des  plates-bandes.  Le  professeur  prit  alors  le  parti  do  faire  ses  leçons  dans  l'amphi- 
théâtre, où  l’on  porta  des  échantillons  que  tout  le  monde  pouvait  voir,  et  que  chacun  put, 
après  la  leçon,  aller  étudier  à l’École. 

Jussieu,  de  son  côté,  faisait  chaque  semaine  une  herborisation  à la  campagne  pour  compléter 
et  mettre  en  pratique  les  notions  que  les  étudiants  avaient  reçues  de  Desfonlaines.  Dans  ces 
promenades , qui  duraient  quelquefois  plusieurs  jours , il  ne  se  bornait  pas  à leur  donner  les 
deux  noms  latins  de  la  plante  présentée;  il  profitait  de  toutes  les  occasions  pour  leur  faire 
sentir,  comparer,  évaluer  les  caractères  qui  réunissent  et  séparent  les  familles  et  les  genres. 
Les  élèves , rencontrant  des  végétaux  indigènes  dispersés  sans  ordre , s’exerçaient  ainsi  à les 
grouper  et  à les  ramener  à des  types  connus , et  ce  travail  de  synthèse , fait  joyeusement  en 
parcourant  les  bois  et  les  prairies,  leur  rendait  plus  faciles  et  plus  agréables  les  études  analy- 
tiques du  Jardin. 

Il  nous  faut  dire  adieu  à ces  deux  hommes,  si  éminents  dans  lu  science  et  l’Enseignement, 
qui  traversèrent  plus  d’une  époque  difficile,  sans  que  leurs  travaux  en  souffrissent  un  seul 
instant.  Pendant  que  la  tempête  révolutionnaire  grondait  autour  des  établissements  religieux, 
Antoine- Laurent,  calme  et  studieux  comme  un  bénédictin,  ramassait  dans  les  cloîtres  les 
livres  dispersés  qui  devaient  former  la  bibliothèque  du  Muséum.  Desfonlaines,  nommé  secré- 
taire do  l'assemblée  des  professeurs,  travaillait  avec  ses  collègues  à rédiger  le  réglement 
demandé  par  la  Convention,  et  à obtenir  la  création  de  plusieurs  emplois  que  la  nouvelle 
organisation  rendait  nécessaires.  Toute  fonction  administrative  était  alors  pénible , et  souvent 
périlleuse  ; le  zèle  de  Desfontaines  ne  s’effraya  pas  des  obstacles  qu'il  dut  rencontrer  dans  ses 
rapports  avec  ceux  de  qui  dépendait  la  destinée  du  Jardin.  Cet  homme,  d'un  naturel  doux  ot 
timide,  osa , dans  un  temps  où  la  pitié  était  un  crime  capital , visiter  les  botanistes  L’Héritier 
et  Ramnnd,  (pii  étaient  détenus,  et  dont  la  tête  était  menacée  ; il  obtint  même,  pour  le  premior, 
un  sursis  qui  lui  sauva  la  vie. 

Quand  les  alliés  entrèrent  à Paris,  en  1814 , un  corps  de  troupes  prussiennes  se  présenta 
à la  porte  du  Muséum  pour  bivouaquer  dans  l'établissement;  le  danger  était  imminent  : il 
n’y  avait  dans  Paris  d'autre  autorité  que  celle  des  vainqueurs,  et  ce  fut  à l’un  de  leurs  com- 
patriotes que  s’adressèrent  les  professeurs.  Le  commandant  prussien  avait  consenti  à attendre 
deux  heures  avant  de  preudre  possession  du  Jardin  ; ce  délai  suffit  pour  obtenir  une  sauve- 
garde : l'illustre  savant,  M.  de  Humboldt,  prévenu  par  les  professeurs,  parvint  rapidement 


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121 


DEUXIÈME  PA1IT1E. 

jusqu’au  général  prussien.  et  le  Muséum  fut  exempté  de  tout  logement  militaire.  Ce  fut  à 
peu  prés  vers  cette  époque  que  Desfontaines  et  Jussieu  furent  avertis,  par  des  infirmités 
successives,  du  tribut  qu’ils  devaient  bientôt  paver  à la  nature  : leur  vue  s’altéra  peu  à peu. 
Desfontaines  la  perdit  même  tout  à fait  ; mais  l’activité  de  leur  esprit  ne  déclina  pas  comme 
leurs  facultés  physiques,  et  ils  cultivèrent  la  science  jusqu’à  leur  dernier  jour.  Desfontaines 
se  fuisait  donner  des  plantes,  qu'il  lie  pouvait  voir,  mais  qu'il  cherchait  à reconnaître  par 
le  tact;  il  était  souvent  heureux  dans  ses  déterminations,  et  scs  succès  lui  causaient  une  joie 
inexprimable.  Jussieu  ne  sortait  que  très-rarement,  sa  taille  s’était  courbée.  La  dernière  année 
do  sa  vie,  il  vint  visiter  l'École  fondée  par  lui;  il  entra  dnus  le  pavillon  du  jardinier,  et 
s’entretint  pendant  quelque  temps  avec  lui  sur  les  moyens  de  changer  les  piaules  annuelles 
en  plantes  vivaces.  Eu  sortant  du  pavillon,  il  avisa  de  ses  yeux  presque  éteints  le  Pin  Ixiricio, 
qu’il  avait  planté  soixante-trois  ans  auparavant,  et  dont  la  pyramide  domine  toute  l’École;  il 
s'approcha  de  lui , appuya  une  main  sur  le  tronc , et  sa  tète , inclÿtéo  sous  le  poids  de  quatre- 
vingt-neuf  ans,  se  redressa  en  tremblant  pour  admirer  la  taille  élancée  et  l’adolescence  vigou- 
reuse de  son  nourrisson.  Cette  visite  était  un  adieu,  car  elle  fut  la  dernière.  Il  mourut  en  1837. 
et  son  fils  Adrien,  qui  depuis  longtemps  lu  remplaçait  dans  le  cours  de  botnuique  rurale,  fut 
nommé  son  successeur.  Desfontaines  était  mort  eu  1833,  âgé  de  soixante-dix-neuf  ans,  et  sa 
chain?  fut  donnée  à son  suppléant,  M.  \dolphe  Hnmgniurt, 


Ici  se  termine  la  liste  mortuaire  des  Professeurs  et  des  Démonstrateurs  de  Botanique  du 
Jardin;  liste  peu  nombreuse,  il  est  vrai  (bien  qu’il  ait  fallu  deux  siècles  pour  la  remplir),  mais 
qui,  par  un  hasard  fortuné,  ne  présente  que  des  noms  sans  tache.  On  se  sont  meilleur  après 
avoir  loué  ces  hommes  savants  et  probes,  qui  nous  rappcllcut  les  âmes  blanches  de  \arius  et 
de  Virgile,  adorées  par  le  bon  Horace.  Voltaire  voulait  écrire  pour  toute  critiquo  au  lias  do 
chaque  page  de  Racine  : beau,  harmonieux,  sublime  ; ou  pourrait  également  résumer  ru  trois 
mots  l’histoire  botanique  du  Jardin  : dévouement , génie  et  simplicité. 

KM.  I.K  MXOI  T. 

\iincn  t]>-  it  I b nV  tf1-  Milwlar 


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l*os  Ménageries  sont  uue  institution  moderne  : ce  n'est  que  depuis  uii  assez  petit  nombre 
d'années  que  les  nations  éclairées  entretiennent,  à leurs  frais,  îles  animait*  vivants,  afin  d'en 
mieux  connaître  les  mœurs,  d'en  étudier  plus  attentivement  les  formes  cl  les  allures,  et 
d’observer  avec  plus  de  soin  les  changements  physiques  que  l'âge  ou  les  saisons  leur  font 
éprouver.  L’homme , placé  au  premier  rang  de  la  création , ne  doit  rien  négliger  pour  con- 
naître toutes  les  espèces  utiles  ou  nuisibles  qui  habitent  avec  lui  le  globe  terrestre. 

Les  Humains  faisaient  venir  à grands  frais  de  l'Afrique  les  animaux  féroces  qu'elle  produit. 
Les  généraux  qui  s'étaient  illustrés  sur  cette  terro  lointaine  traînaient  à la  suite  de  leur  pompe 
tiiomphaln  des  lions,  des  panthères,  dns  éléphants,  et  souvent  en  grand  nombre.  Ces  animaux, 
cl  beaucoup  d'autres,  originaires  des  mêmes  pays,  ou  même  de  l’Asie  occidentale,  étaient 
destinés  aux  jeux  du  cirque,  et  les  Itmnains  aimaient  à les  voir  s'entr'égorger  nu  à les  faire 


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20 


DEUXIÈME  PARTIE. 

lutter  coutro  lus  gladiateurs  les  plus  hardis.  Ils  dépensaient  aussi  des  sommes  immenses  pour 
réunir  dans  leurs  viviers  les  poissons  les  plus  beaux  et  les  plus  succulents. 

Mais  ces  caprices  bizarres  ont  |>eu  profité  à la  science  ; et  si  l'histoire  en  a conservé  le 
souvenir,  c'est  seulement  pour  nous  apprendre  le  nombre  des  victimes  immolées  sous  chaque 
empereur,  et  les  folles  dépenses  dos  Ucinius  Mu  rama,  des  Hortensius  (1  des  Lucullus. 

L'abbé  Montrez  a fait  un  relevé  fort  curieux  des  Mammifères  amenés , & Home , d' Vfrique , 
d'Asie  nu  du  nord  de  l'Europe.  Voici  comment  (I.  Cuvier  a résumé  ce  travail  : • 

o liés  i'an  do  Home  479  (273  ans  avant  Jésus-Christ),  Curius  Dentatus,  vainqueur  do 
Pyrrhus,  lui  prit  quatre  éléphants  que  Pyrrhus  lui-méme  avait  pris  sur  Démétrius  Poliorcète; 
ils  furent  les  premiers  que  virent  les  Romains.  F.n  252  avant  Jésus-Christ , Vlétellus  en  lit 
transporter  à Borne,  sur  des  radeaux,  cent  quarante-deux  qu’il  avait  pris  sur  les  Carthaginois, 
et  que  l'on  fil  tuer  à coups  do  flèches  dans  le  cirque,  parce  qu'on  ne  voulait  pas  les  donner  et 
que  l'on  ne  savait  comment  les  employer.  En  IB9,  aux  jeux  de  Scipion  Nasica  et  de  Puhlius 
Lentulus,  on  montra  soixante-trois  panthères  et  quarante  ours.  En  93,  Sylla,  lors  de  sa 
préture,  fit  combattre  cent  lions  mâles.  Emilius  Scaurus,  dans  les  jeux  célèbres  qu'il  donna 
lors  de  son  édilité,  en  58,  fit  voir  l'hippopotame  pour  lu  première  fois,  accompagné  de  cinq 
crocodiles  et  de  cent  cinquante  panthères.  Pompée,  pour  l'inauguration  de  son  théâtre, 
montra  le  lynx,  le  céplius  ou  guenon  d'Éthiopie  (probablement  le  griret),  le  caracal,  le  rhino- 
céros unicome.  On  y vil  six  cents  lions  dont  trois  cent  quinze  mêles,  cl  avec  eux  quatre  cenl 
dix  panthères  : vingt  éléphants  y combattaient  contre  des  hommes  armés.  César,  48  ans 
avant  Jésus-Christ,  fit  voir  une  girafe  et  quatre  cents  lions  A la  fois,  tous  mêles,  tous  à 
crinière.  Cos  profusions  ne  firent  qu’augmenter  sous  les  empereurs.  Une  inscription  d’Aneyre 
loue  Auguste  d'avoir  fait  tuer  trois  mille  cinq  cents  hèles  fauves  devant  le  [icuple  romain. 
A la  dédicace  du  temple  de  Marcellus,  ou  fil  périr  six  cents  panthères  : lin  tigre  royal  y parut; 
un  serpent  de  cinquante  coudées  fut  montré  au  peuple  dans  le  Forum;  ayant  fait  entrer  l'eau 
dans  lo  cirque  do  Flaminius,  on  y introduisit  trente-six  crocodiles  qui  furent  mis  en  pièces. 
I n rhinocéros  et  un  hippopotame  furent  tués  lors  du  triomphe  d'Auguste  sur  Cléopâtre.  Les 
animaux  étaient  exercés  à des  travaux  extraordinaires.  Culigula,  38  ans  avant  Jésus-Christ, 
fil  disputer  le  prix  de  la  course  par  des  chameaux  attelés  à des  chars;  Galba,  étant  empereur, 
fit  montrer  des  éléphants  funambules;  sous  Néron  (an  58  de  Jésus-Christ),  on  en  vit  un, 
monté  par  un  chevalier  romain , descendre  sur  la  corde  du  sommet  do  la  scène  jusqu'à  l’aulro 
extrémité  du  théâtre.  C'étaient  de  jeunes  éléphants,  nés  à Rome,  que  l’on  dressait  ainsi;  car 
alors  on  savait  faire  produire  ces  animaux  en  domesticité.  Claude  eut  à la  fois  jusqu’à  quatre 
tigres  royaux  dont  on  a trouvé  lo  monument  il  y a quelques  années.  Le  sage  Titus,  lui-même, 
à la  dédicace  do  ses  Thermes , livra  à la  mort  neuf  mille  animaux  tant  sauvages  que  domesti- 
ques , et  on  y vit  combattre  des  femmes,  l u livre  tout  entier  des  épigronunes  de  Martial  est 
destiné  à célébrer  les  animaux  que  Domiticn  fit  paraître,  l'an  90  de  Jésus-Clirist , et  auxquels 
on  lit  la  chasse  aux  flambeaux;  une  femme  y combattit  contre  un  lion;  un  tigre  royal  y mil 
un  autre  lion  en  pièces.  Des  aurochs  y forent  attelés  à des  chars.  Ce  fui  là  que  l'on  vit  pour 
la  première  fois  le  rhinocéros  à deux  cornes , qui  est  même  représenté  sur  les  médailles  de 
cet  empereur.  Aux  jeux  que  Trajau  donna  après  avoir  vaincu  Decébalc,  roi  des  Parlhes, 
l'an  105  de  Jésus-Christ,  on  fil  mourir,  selon  Dion,  qui  élail  contemporain,  jasqu'à  onze  mille 
animaux  domestiques  ou  sauvages.  Autonin  montra  des  éléphants , des  crocodiles,  des  hippo- 
potames , des  tigres , et , pour  la  première  fois , des  croculcs  ou  hyènes , et  des  strepsicéros. 
Marc-Aurèlo,  plus  sensible,  eut  horreur  de  ces  spedacles;  mais  ils  reprirent  avec  une  nouvelle 
force  sous  Domitien , qui , à la  mort  de  sou  père , donna  des  jeux  pendant  quatorze  jours , et 
y tua  un  ligre , un  hippopotame , un  éléphant , et  y trancha  lo  cou  à dos  autruches.  Hérodion 
remarque  même  que  ces  autruches  faisaient  encore  quelques  pas,  ce  qui  ne  m’étonne  point, 
car  j’en  ai  vu  faire  aulaul  à des  canards.  Une  des  plus  curieuses  de  ces  exhibitions  fut  celle 
de  Philippe,  l'un  1000  de  Home  (218  de  Jésus-Christ).  Les  animaux  rassemblés  pour  cette 


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MÉNAGERIE.  127 

fête,  par  Gordien  III,  qui  u-jn-rait  la  célébrer,  consistaient  cil  trente-deux  éléphants,  dix  élans, 
dix  tigres,  soixante  lions  apprivoisés,  trente  léopards,  dix  hyènes,  un  hippopotame,  un  rhino- 
céros , dix  girafes , vingt  onagres , quarante  chevaux  sauvages , dix  argoléons , nom  dont  la 
signification  est  présentement  inconnue,  et  beaucoup  d’autres  qui  furent  tous  tués. 

u Probus , & son  triomphe , planta  dans  le  cirque  une  forêt  où  se  promenèrent  mille  autru- 
ches, mille  cerfs,  mille  sangliers,  mille  daims,  eont  lions  et  autant  de  lionnes,  cent  léopards 
de  Lybie  et  autant  de  Syrie,  trois  cents  ours,  des  chamois,  des  mouflons,  etc. 

«Il  semble  que  les  sangliers  cornus,  qui  parurent  aux  jeux  de  Carus  et  de  Numérius, 
chantés  par  le  poète  Calpurnius,  aient  été  des  babiroussa.  Constantin  prohiba  les  jeux  san- 
glants et  les  combats  du  cirque,  et  cependant  Symmaque,  sous  Théodose,  parle  encore  de 
panthères , de  léopards , d’ours , d’addax , de  pygargues  ; il  rapporte  que  les  crocodiles  qu'il 
destinait  au  cirque  périssaient  par  une  diète  de  quarante  jours.  Claudien  dit  qu'Honorius  avait 
des  tigres  attelés  à des  chars,  et  Marcellin  attribue  à Justinien  d'avoir  fait  paraître  vingt  lions 
et  trente  panthères.  La  difficulté  de  se  procurer  des  animaux  que  de  pareilles  destructions 
avaient  dû  éloigner  des  provinces  romaines,  et  la  diminution  des  ressources  de  l’empire, 
contribuèrent  sans  doute,  autant  que  l'humanité,  à faire  cesser  ces  usages  barbares  qui 
avaient  peut-être  été  introduits  dans  l'origine  pour  maintenir  dans  l'habitude  du  sang  un 
peuple  que  l’on  destinait  à faire  sans  cesse  la  guerre.  » 

Nos  Ménageries  se  recrutent  sur  une  plus  vaste  élendue  que  celle  des  Romains  qui  no  con- 
naissaient qu’une  petite  portion  de  in  terre  ; elles  ont  d’ailleurs  un  but  plus  élevé.  Destinées 
à fournir  à l’agriculture  dns  animaux  utiles,  elles  sont  aussi  un  de  nos  meilleurs  éléments 
d’instruction  ; en  même  temps  qu’elles  offrent  au  savant  les  moyens  do  reculer  les  bornes  de 
la  scionco,  elles  fixent  l’attention  des  gens  du  moude,  et  contribuent  à détruire  les  préjugés, 
quelquefois  ridicules,  transmis  d’âge  en  âge,  et  dont  beaucoup  d’auteurs  n’ont  pas  été 
exempts.  Naturaliste  ou  homme  du  monde,  chacun  suit  avec  intérêt  les  scênos  toujours 
curieuses  que  des  sujets,  députés  de  tous  les  points  du  globe,  et  choisis  parmi  les  plus 
remarquables  d’entre  les  espèces  animales,  représentent  au  bénéfice  de  la  science  sur  ce 
théâtre  où  la  nature  est  reproduite  en  abrégé. 

On  s’est  quelquefois  demandé  s’il  y avait  utilité  à entretenir  des  Ménageries.  C’est  presque 
douter  que  l’étude  des  sciences  ait  elle-même  des  avantages. 

Dans  do  semblables  établissements,  les  vrais  observateurs  peuvent  étudier  les  instincts  si 
variés  des  Mammifères,  des  Oiseaux  et  des  Reptiles;  c’est  là  qu'ils  développent,  et  fort  sou- 
vent rectifient  les  rapports  des  voyageurs  sur  les  espèces  exotiques.  Ils  comparent  entre  eux 
les  animaux  les  plus  divers  et  ceux  qui , bien  que  semblables  en  organisation , proviennent 
néanmoins  do  régions  fort  éloignées. 

C’était  uniquement  dans  les  Ménageries , comme  on  les  entend  aujourd’hui , qu’il  devenait 
possible  d’acquérir  une  idée  exacte  de  la  nature  morale  des  animaux,  et  de  comprendre  leurs 
actes  en  les  jugeant  d’après  le  principe  qui  les  détermine  : l'intelligence  ou  l'instinct. 

Descartes  et  Ruffon  n'admettaient  de  véritable  intelligence  que  chez  l’homme,  et  l'on  pour- 
rait supposer,  à la  lecture  de  plusieurs  de  leurs  écrits,  que  les  animaux  sont  do  simples 
machines  animées , des  automates  agissant  toujours  de  même , sans  qu’il  y ail  en  eux  d’uulre 
impulsion  quo  celle  qui  fait  croître  ou  fleurir  les  plantes.  Et  cependant  ce  n’est  point  sous 
celle  impression  quo  Buffon  lui-même  écrivait  l'histoire  du  Chien,  du  Cheval  ou  du  Lion.  Ce 
n’est  pas  non  plus  ce  que  pensaient  Réaumur,  Cnndillac,  Dupont  de  Nemours,  (icorgcs  Leroy. 
Mais  entre  la  générosité  avec  laquelle  ces  derniers  prodiguaient  l’inlclligence  aux  animaux  de 
toutes  les  classes , et  l’erreur  de  Descartes , il  fallait  trouver  la  vérité  ; et  la  vérité  ici , comme 
partout , devait  être  simple , et  en  dehors  de  toulc  définition  exclusive  et  systématique.  Nous 
verrons,  en  parlant  de  certains  animaux,  que  plusieurs  sont  doués  d’une  véritable  intelli- 
gence, et  que  chet  eux  colle  intelligence  diffère  seulement  de  celle  de  l’homme  par  une 


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I2H 


OKI  \IK\IK  IMRTIK. 


moindre  portée  (I).  L’Iiomme,  en  effet,  est,  sous  ee  rapport,  incomparablement  au-dessus  du 
tous  les  animaux,  et,  à ce  don  précieux,  il  joint  une  qualité  plus  élevée  encore,  la  raiton, 
que  nulle  espece  animale  ne  possède, 

La  Ménagerie  du  Muséum  est  assurément  le  centre  le  plus  favorable  aux  éludes  qui  ont 
pour  objet  la  nature  même  des  animaux  et  surtout  leurs  instincts  ; et , par  une  heureuse 
coïncidence,  elle  est  peut-être,  de  toutes  les  institutions  scientifiques  de  la  capitule,  la  plus 
populaire  et  la  mieux  appréciée  du  public  : elle  offre  un  attrait  égal  à tous  les  âges  et  à toutes 
les  conditions,  et  personne  ne  vient  visiter  la  capitale  sans  lui  consacrer  de  nombreuses 
visites.  Ce  qui  suftiiait  pour  montrer  combien  est  à la  fois  profond  et  universel  l'intérêt 
qu'elle  inspire,  c’est  que  les  étrangers  les  plus  savants  y accourent  avec  le  même  empresse- 
ment que  les  plus  obscurs.  Quoi  île  plus  digne  en  effet  de  l'attention  générale  que  le  spectacle 
do  ces  sauvages  habitants  des  contrées  les  plus  lointaines,  célèbres  de  tous  temps  par  les 
descriptions  des  naturalistes  et  des  voyageurs,  reproduction  de  la  peinture  et  du  dessin,  et 
réunis  dans  un  riche  jardin , où  ils  prennent  leurs  ébats , au  sein  des  fleurs  et  de  la  verdure  ! 
\o  sont-ce  point  là,  dans  le  fond,  les  mêmes  fêtes  que  les  Romains  donnaient  dans  leurs 
cirques  où  l'on  rassemblait,  pour  les  y mettre  à mort  sous  les  veux  du  peuple,  les  animaux 
lus  plus  rares,  mais  transformées  et  mises  en  harmonie  avec  l'humanité  et  le  sage  désir  de 
connaître  qui  caractérise  nos  temps  modernes?  Le  sentiment  qui  amène  chaque  dimanche, 
dans  les  allées  de  la  Ménagerie,  les  flots  paisibles  de  la  population  est,  dans  son  essence, 
tout  à fait  analogue  à celui  qui  poussait  les  Romains  sur  les  gradins  du  cirque.  C’est  toujours 
la  même  curiosité  à l’égard  des  animaux  qui  habitent  la  terre  avec  nous.  Les  Romains, 
placés  à l'origine  des  conquêtes  de  la  civilisation  sur  la  nature,  prenaient  plaisir  à voir 
détruire  ces  êtres  farouches,  symbole  de  la  vie  sauvage;  mais  nous  qui  sommes  placés,  pour 
ainsi  dire,  au  tenue  de  ces  conquêtes,  au  lieu  do  nous  complaire  à ce  qui  nous  rappelle 
l'anéantissement  de  la  nature  primitive , nous  recherchons , au  contraire , ce  qui  nous  en  offre 
et  nous  en  conservo  do  vivantes  images. 

La  première  idée  de  l'établissement  d’une  Ménagerie  d'animaux  v ivants  remonte  à Louis  XIV. 
Ce  fut  l’Académie  des  sciences  qui  eut  cotte  heureuse  inspiration.  Mais  le  grand  monarque, 
nu  lieu  de  doter  le  Jardin  des  Plantes  de  cet  utile  et  indispensable  établissement,  préféra  en 
enrichir  le  parc  de  Versailles.  Il  fit  donc  rechercher  avec  soin  tout  ce  que  lo  règne  animal 
pouvait  offrir  de  plus  beau  et  de  plus  intéressant  ; les  souverains  étrangers  s'empressèrent  de 
lui  envoyer  les  animaux  curieux  des  contrées  les  plus  diverses  et  les  plus  éloignées,  et  bientôt 
les  espèces  remarquables  du  règne  animal  furent  établies  dans  les  bâtiments  situés  au  midi 
du  grand  canal,  et  qui  ont  encore  aujourd'hui  conservé  le  nom  de  Ménagerie  malgré  l’absence 
do  leurs  hôtes.  Saint-Simon  parle  de  cette  Ménagerie  en  cos  termes  : 

« La  Ménagerie  de  l’autre  côté  de  la  croisée  du  canal  de  Versailles,  toute  de  riens  exquis, 
et  garnie  do  toutes  sortes  de  bêtes,  à deux  et  quatre  pieds,  les  plus  rares.  » 

Celte  Ménagerie  était  tenue , du  reste , avec  une  extrême  négligence  : un  contemporain 
en  donne  pour  témoignage  une  visite  que  Louis  XV  y fit  peu  de  temps  avant  sa  mort.  Il 
remarqua  que  cet  asile  royal  était  peuplé  d'une  multitude  do  dindons.  Le  directeur,  en  effet, 
avait  qugé  convenable  d'en  acheter  un  troupeau.  Le  Roi  trouva  ces  bêtes  désagréables  ; il  le 
témoigna.  Le  gouverneur  de  la  Ménagerie,  chevalier  de  Saint-Louis,  aussi  original  qu'entêté, 
n'en  tint  aucun  compte.  Lo  Roi , en  repassant,  les  revit  encore  : u Monsieur,  dit-il  au  gou- 
verneur, que  cette  troupe  disparaisse,  ou,  je  vous  en  donne  ma  parole  royale,  je  vous  ferai 
casser  à la  tête  de  votre  régiment,  n 

Dans  un  Mémoire  fort  remarquable  publié  par  Bernardin  de  Saiut-Pierre , au  moment  oii  il 
était  intendant  du  Jardin  des  Piaules , l'illustre  autour  des  Études  de  In  nature  a fait  ressortir, 

(I)  Oit  ce  que  Frédéric  Cuvier  a démontré  avec  une  lucidité  parfaite,  siu-t  i|uc  nous  I , lions  oxpîi  pic  dans  la 
notice  qui  lui  cM  couvât  réc  dans  U première  partie  île  ce  volume. 


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M KN  ACKRI E.  129 

de  la  manière  la  plus  victorieuse,  la  nécessité  de  joindre  une  Ménagerie  au  Jardin  des  Plantes 
qui  n'en  possédait  pas  encore , et  il  a tracé  eu  même  temps  un  historique  exact  et  pittoresque 
des  faits  qui  contribuèrent  à amener,  plus  tard , les  débris  de  la  Ménagerie  de  Versailles  au 
Muséum  : 

« L’étude  de  la  Nature,  dit-il,  est  la  base  de  toutes  les  connaissances  humaines.  Le  Cabinet 
d’histoire  naturelle  et  son  Jardin  des  Plantes  soûl  destinés,  à Paris,  à en  renfermer  les  prin- 
cipaux objets  pour  l'instruction  publique.  Peu  d’hommes  connaisses  tout  le  prix  de  cet 
établissement,  parco  qu’ils  n’y  font  pas  plus  d’attention  qu’à  lu  nature  même  au  milieu  de 
laquelle  ils  vivent.  Ils  peuvent  s’en  faire  une  idée  en  considérant  combien  d’états  viennent  y 
puiser  des  lumières  : les  minéralogistes,  les  botanistes,  les  zoologistes;  ensuite  ceux  qui 
professent  les  arts  qui  émanent  des  trois  premiers  régnes  de  la  Nature  : les  lapidaires,  les 
chimistes,  les  apothicaires , les  distillateurs,  les  chirurgiens,  les  anatomistes.  Ins  médecins; 
enfin  ceux  même  qui  exercent  les  arts  de  goût,  les  dessinateurs,  les  peintres,  les  sculpteurs, 
viennent  y chercher  chaque  jour  de  uouvelles  connaissances;  c’est  là  que  se  sont  formés  les 
Tournefort,  les  Rouelle,  les  Macquer,  les  Jussieu,  les  Vaillant,  les  Ruffon,  ainsi  que  les 
savants  qui  l’illustrent  aujourd'hui,  dont  les  ouvrages  se  sont  répandus  dans  toute  l’Kurope, 
avec  une  multitude  de  végétaux  utiles  ou  agréables  qui  ont  pris  naissance  dans  ses  jardins. 
Qui  croirait  qu’avec  tant  d’avantages  cet  établissement  est  encore  très-imparfait,  puisqu’il  lui 
manque  la  principale  partie  do  l'Histoire  naturelle. 

« A Dieu  ne  plaise  que  nous  soyons  assez  insensés  pour  vouloir  y rassembler  tous  les 
ouvrages  de  la  Nature,  plus  profonde  et  plus  vaste  que  l’Océan.  L’homme  le  plus  actif,  dans 
le  cours  «le  la  vie  la  plus  longue , n’en  peut  entrevoir  que  les  principaux  rivages  ; mais  ses 
éludes  élémentaires  doivent  au  moins  eu  embrasser  l’ensemble.  Ainsi  une  mappemonde  offre 
au  voyageur  l'image  du  globe  qu’il  doit  parcourir  ; celui  de  la  Nature  ne  présente  dans  le 
Jardin  qu’un  de  ses  hémisphères. 

« Le  Cabinet  renferme  les  trois  règnes  de  la  Nature  morte  : des  fossiles,  des  herbiers,  «les 
animaux  disséqués,  empaillés,  injectés.  Le  Jardin  ne  contient  que  les  deux  premiers  régnes 
de  la  Nature,  un  sol  en  activité  et  des  plantes  «pii  végètent;  il  n'y  a point  d'animaux  qui 
sentent,  qui  aiment,  qui  connaissent.  Le  Cabinet  montre  les  dépouilles  do  la  mort;  le  Jardin, 
au  contraire , les  premiers  éléments  de  la  vie.  Le  Cabinet  est  le  tombeau  des  régnes  de  la 
Nature;  le  Jardin  en  doit  «lonc  être  le  berceau.  Les  Égyptiens  représentaient  cette  mère 
commune  de  tant  d’enfants  avec  trois  rangs  apparents  de  mamelles,  sans  doute  comme  le 
symbole  de  ces  trois  régnes.  Le  Jardin  mamjue  «lu  plus  important,  puisqu’il  n’a  pas  le  règne 
animal , pour  lequel  a été  créé  le  végétal  et  avant  tout  le  minéral. 

««  Les  relations  du  régne  minéral  avec  le  végétal  ne  sont  pas  moins  utiles  h connaître  quo 
celles  du  végétal  avec  l’animal;  ce  sont  les  trois  étages  du  palais  de  la  Nature;  nous  ne 
pourrons  l’apprécier  qu’en  étudiant  son  ensemble. 

« L’Anatomie  comparée  «les  animaux  suffit,  «lit-on,  pour  les  connaître.  Quelques  lumières 
qu’elle  ait  répandues  sur  celle  de  l'homme  même,  l’étude*  de  leurs  goûts,  de  leurs  iusüncts, 
do  leurs  passions,  en  jette  «le  bien  plus  importantes  pour  nos  besoins  et  pour  notre  propre 
existence;  elle  est  le  complément  «le  l'Histoire  naturelle.  C’est  colle  élude  qui  a rendu  Ruffon 
si  intéressant,  non-seulement  aux  savants,  mais  à tous  les  hommes.  Mais  cet  écrivain  illustre, 
ayant  manqué  de  beaucoup  d’objets  d’observation,  n’a  travaillé  souvent  que  sur  des  mémoires 
incertains  : ses  remarques  les  plus  utiles  lui  ont  été  inspirées  par  les  animaux  qu’il  avait  lui- 
même  étudiés,  et  les  tableaux  les  mieux  coloriés  sont  ceux  qui  les  ont  eus  pour  modèles  ; car 
les  pensées  «le  la  Nature  portent  avec  elle  leur  expression.  Quelles  riches  études  il  nous  eût 
laissées,  s’il  avait  pu  les  étendre  à une  Ménagerie.  Celle  de  Versailles  fut  toujours  l’objet  de 
ses  désirs;  il  aurait  voulu  la  joindre  au  Jardin  des  Plantes;  mais  quelque  grand  que  fût  son 
cr«klit,  il  n’osa  la  disputer  à l’homme  de  cour  qui  en  avait  le  gouvernement.  Aussi  la  Ménagerie 
resta  à Versailles  et  ne  fut  pour  la  nation  qu’un  ohjel  inutile  de  luxe  et  do  dépenses  ; mais  il 

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13»  DEUXIÈME  PARTIE. 

n'y  a pas  de  doute  qu’elle  ne  fût  devenue  lu  |inrtiou  la  plus  importante  de  ITIistoirc  nulundle, 
sous  scs  veux  et  sous  ceux  des  naturalistes. 

« Pour  moi,  continua-t-il , qui  au  sein  de  ma  solitude  ai  été  appelé  à remplir  la  place  do 
Buffon  au  Jardin  des  Plantes,  sans  posséder  à fond  aucune  des  sciences  qui  illustrent  en 
particulier  nos  collègues , je  crois  de  mon  devoir  principal  île  chercher  à établir  un  ensemble 
dans  toutes  les  parties  de  cet  utile  établissement , un  y attachant  une  Menacera1.  Les  circon- 
stances ne  pourraient  être  plus  favorables  ; on  nous  offre  les  animaux  de  celle  do  Versailles, 
et  il  y a pour  les  recevoir,  à Paris , un  grand  terrain  non  occupé , avec  scs  bâtiments , qui  est 
enclavé  dans  le  Jardin  des  Plantes  et  qui  appartient  à la  nation.  Il  me  suffit  donc  d'exposer 
en  peu  de  mots  l'état  où  se  trouve  la  Ménagerie  de  Versailles,  son  utilité  au  Jardin  des 
Plantes  et  les  moyens  économiques  qui  peuvent  l’y  établir,  pour  déterminer  la  nation  à 
accorder  les  fonds  nécessaires  à son  entretien.  I,e  zèle  des  ministres,  l'intérêt  de  la  muni- 
cipalité de  Paris,  la  bonne  volonté  de  son  département,  les  lumières  et  lu  patriotisme  de  la 
Convention  nationale  suppléeront  à mon  défaut  de  crédit. 

« M.  Couturier,  régisseur  général  des  domaines  de  Versailles',  m'écrivit,  il  y a quelques  jours, 
que  le  ministre  des  finances  l'avait  chargé  d'offrir  un  Cabinet  d'histoire  naturelle  les  animaux 
dn  la  Ménagerie  en  m’engageant  & les  venir  voir,  l.es  infirmités  de  M.  Daulienlon  ne  lui 
permettant  pas  de  m’accompagner,  j’y  invitai  VI.  Thouin,  jardinier  en  chef,  et  VI.  Desfon- 
taines,  professeur  de  botanique  du  Jardiu  national  des  Plantes.  VI.  Thouin  était  chargé  de  plus, 
de  la  purt  du  ministre  de  l’intérieur,  de  prendre  dans  les  jardins  de  Trianon,  Bellevue,  etc. , etc. , 
les  plantes  qui  pourraient  convenir  au  Jardin  national.  Vins  nous  rendîmes  avec  VI.  Cou- 
turier à la  Vlénagerie,  ob  nous  filmes  introduits  par  VI.  Laimant,  qui  on  est  l'inspecteur  et  le 
concierge. 

« Nous  n’y  trouvâmes  que  cinq  animaux  étrangers , à la  vérité  fort  rares  et  fort  curieux  : 

« 1°  Le  Couac c a : c’est  une  espèce  de  Cheval  zébré  à la  tète  et  aux  épaules;  il  est  venu  du 
cap  do  Bonne-Espérance  en  1784.  Il  est  doux.  Il  se  présenta  Jui-mème  à sa  grille  pour  se 
laisser  caresser,  excepté  aux  oreilles  ; particularité  qui,  dit-on,  lui  est  commune  avec  l’Ane. 

« 2°  Le  Bubale  ; c’est  une  espèce  de  petit  Bieuf  qui  tient  du  Cerf  et  de  la  Gazelle;  il  a été 
envoyé  en  1783  par  lo  dey  d’Alger.  Il  est  susceptible  do  domesticité,  comme  le  Couagga  ; 
comme  lui , il  venait  chercher  des  caresses  à travers  sa  grille. 

«3°  Le  Pigeon- Huppé  de  Die  de  Banda.  Bisson  le  nomme  le  Faisan  couronné  des  Indes  ; 
mais  il  boit  en  pompant  l'eau  comme  le  Pigeon.  Cet  oiseau  est  magnifique;  son  plumage  est 
bleu , et  il  est  de  la  taille  du  Poulet  d'Inde.  Il  est  couronné  d'une  magnifique  aigrette  d'un 
bleu  de  ciel  qui  lui  couvro  la  tète  en  forme  d'auréole.  Il  est  fort  sauvage  ; en  nous  voyant,  il 
se  tint  dans  le  fond  de  sa  cage,  oh  il  allait  et  venait  dans  une  agitation  perpétuelle.  Il  est 
cependant  dans  la  Vlénagerie  depuis  1787. 

« 4°  Le  Rhinocéros,  envoyé  de  l'Inde  en  1771  ; il  avait  alors  un  an.  Cet  animal  est  fort 
rare  en  Europe.  Sa  lourde  masse,  en  contraste  avec  sa  tète  qui  ressemble  à celle  d'un  aigle, 
sa  peau  épaisse  à plusieurs  plis  qui  le  couvre  comme  une  robe , les  gros  boutons  dont  elle  est 
parsemée , sa  corne  unique  sur  le  nez , ses  pieds  â trois  ergots , nous  offrirent  une  nouvelle 
Combinaisons  de  formes  dans  l’ordre  des  quadrupèdes.  Vloins  intelligent  que  l’Éléphant,  il 
aime  â so  bauger  comme  le  Sanglier.  Il  n’en  parait  pas  moius  sensible  aux  caresses  : il  passa, 
pour  les  recevoir,  son  large  museau  à travers  sa  palissade.  Je  remarquai  que  sa  corne , qu'il 
a entièrement  usée  contre  les  barreaux , n’avait  point  d'os  au  centre , comme  celle  des  Bœufs , 
et  quo  la  racine  était  toute  parsemée  de  petits  points  blancs.  VI.  Daubcnton  m’a  dit  que  ce 
n’était  qu’un  paquet  de  crins  agglutinés. 

« 5°  lin  beau  Lion,  arrivé  du  Sénégal,  en  septembre  1788;  il  avait  alors  sept  ou  huit  mois, 
ainsi  qu’un  Chien  braque,  son  compagnon,  avec  lequel  il  a été  élevé.  Leur  amitié  est  uu  des 
plus  touchants  spectacles  que  la'naluro  puisse  offrir  aux  spéculations  d'un  philosophe.  J’avais  lu, 
dans  les  voyages  de  Jean  Moque! , fondateur  et  garde  du  Cabinet  des  singularités  du  roi,  sous 


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131 


MÉNAGERIE, 

Henri  IV,  l'histoire  d’uu  Chien  qu’il  avait  vu  à Maroc  dans  la  fosse  aux  Lions,  où  on  l’avait 
jeté  pour  être  dévoré  ; il  y vivait  paisiblement  sous  la  protection  du  plus  fort  d’entre  eux , 
qu’il  s’était  attirée  en  le  flattant  et  eu  lui  léchant  une  gale  qu’il  avait  sous  le  menton.  Mais 
l’ami  du  Lion  do  Versailles  est  plus  intéressant  que  le  protégé  du  Lion  de  Maroc.  Dès  qu'il 
nous  aperçut , il  vint  avec  le  Lion  à la  grille , uous  faisant  fête  de  la  tète  et  de  la  queue.  Pour 
le  Lion , il  se  promenait  gravemeul  le  long  de  ses  barreaux , contre  lesquels  il  frottait  sa  této 
énorme.  L’air  sérieux  do  ce  terrible  despote  et  l’air  caressant  do  son  ami  m’inspirèrent  pour 
tous  deux  le  plus  tendre  intérêt.  Jamais  je  n'avais  vu  tant  de  générosité  dans  un  Lion  et  tant 
d’amabilité  dans  un  Chien.  Celui-ci  sembla  deviner  que  sa  familiarité  avec  le  roi  des  animaux 
était  le  principal  objet  do  nolro  curiosité;  cherchant  à nous  complaire  dans  sa  captivité,  dès 
que  nous  lui  eûmes  adressé  quelques  paroles  d’affection,  il  se  jeta  d'un  air  gui  sur  la  crinière 
du  Lion , ut  lui  mordit  eu  jouant  les  oreilles.  Le  Lion , se  prêtant  à ses  jeux , baissa  la  tête  et 
fit  entendre  de  sourds  rugissements.  Cependant  ce  Chien , si  complaisant  et  si  hardi , portait 
à son  côté  une  cicatrice  toute  rouge,  qu’il  léchait  de  temps  en  temps,  et  qu'il  semblait  nous 
montrer  comme  lus  effets  d'une  amitié  trop  iuégale.  J'admirais  la  gaîté  franche  du  Chien  sans 
rancune  et  sans  méfiance  auprès  de  son  redoutable  ami,  après  une  aussi  cruelle  injure.  Toute- 
fois, les  caprices,  l'humeur,  les  premiers  mouvements  sont  plus  rares  et  ont  des  suites  moins 
dangereuses  dans  leurs  sociétés  que  dans  la  plupart  do  celles  des  hommes.  Le  Lion  se  livre 
Ires- rarement  à la  colère  envers  ses  compagnons.  On  nous  assura  qu'il  l’invitait  souvent  à sa 
jouer,  en  se  mettant  sur  le  dos  les  pattes  en  l’air  et  le  serrant  entre  scs  bras. 

« Tel  est  l’état  où  nous  avons  trouvé  la  Ménagerie.  Cependant,  qui  lo  croirait?  ce  petit 
nombre  d’animaux  venus  do  loin,  si  curieux  et  si  intéressants,  ne  nous  ont  été  offerts  que 
pour  en  faire  des  squelettes.  M.  Laimant,  concierge  de  la  Ménagerie,  nous  a dit  quo  depuis 
la  révolution  elle  avait  été  pillée  ; qu’on  eu  avait  enlevé  un  Dromadaire , cinq  espèces  de 
Bingos  et  une  foulo  d’oiseaux  dont  la  plupart  avaient  été  donnés  à l’écorcbeur,  faute  de 
moyens  de  les  nourrir.  Il  nous  lit  ce  récit  les  larmes  aux  yeux  ; car,  indé|>ondammcut  du  zèle 
qu’il  a pour  cet  établissement  qu’il  dirige  depuis  vingt  uns , il  est  père  de  six  petits  enfants 
charmants,  auxquels  il  ne  pourra  donner  de  pain  lui- même  par  la  destruction  do  sa  place. 

« Lo  raisonnement  le  plus  spécieui  employé  pour  l'anéantissement  total  do  la  Ménagerie, 
c’est  que  ces  animaux  ne  servent  Â rien;  qu’ils  sont  dangereux  dans  une  ville,  surtout  les 
carnassiers , et  qu’ils  sont  coûteux  à nourrir.  Si  nous  portons  Ja  parcimonie  sur  de  si  petits 
objets,  que  dirons-nous  aux  puissances  d’Afrique  et  d’Asie  qui,  de  temps  immémorial,  ont 
coutume  do  nous  faire  des  présents  d’animaux  ? Les  tuerons-nous  pour  en  faire  des  squelettes  ? 
Ce  serait  leur  faire  injure.  Les  refuserons-nous , eu  leur  disant  que  nous  n’avons  plus  de  quoi 
les  loger  ni  los  nourrir  ? Nos  relations  politiques  nécessitent  donc  l’existence  d’une  Ménagerie. 
Si  elle  a été  jusqu’à  présent  un  établissement  de  faste,  elle  cessera  do  l’être  quand  elle  sera 
placée  dans  un  lieu  destiné  à l’étude  de  la  nature.  Nous  proposerons  des  moyens  d'économio 
en  parlant  de  son  établissement  : auparavant  occupons-nous  de  son  utilité. 

« Une  Ménagerie  est  donc  nécessaire  aux  bienséances  et  à la  dignité  de  la  nation.  Elle  l’est 
essentiellement  à l’étude  générale  do  la  Nature,  comme  nous  l’avons  déjà  dit.  Elle  ne  l’est 
pas  moins  à celle  des  arts  libéraux.  Des  dessinateurs  et  des  peintres  viennent  chaque  jour  au 
Jardin  national  pour  y dessiner  des  plantes  étrangères,  lorsqu’ils  ont  à représenter  des  sites 
d’Asie , d’Afriquo  et  d’Amérique.  Les  animaux  des  mêmes  climats  leur  seront  aussi  utiles  ; ils 
éludieront  les  formes,  les  attitudes,  les  passions.  Ils  ont  déjà,  dit-on,  des  modèles  en  plâtre. 
Mais  d’après  quel  plâtre  Pugel  a-t-il  sculpté  lo  Lion  dévorant  qui  déchire  les  muscles  d# 
Milon  deCrolone?  Artistes,  poêles,  écrivains,  si  vous  copiez  toujours,  on  no  vous  copiera 
jamais.  Voulez-vous  être  originaux  et  Axer  l’admiration  de  la  postérité  sur  vos  ouvrages? 
n’en  cherchez  les  modèles  que  dans  la  nature. 

« line  Ménagerie  sera  utile  à Paris,  en  y attirant  des  curieux.  Ceux  qui  veulent  achalander 
une  foire  y apportent  des  animaux  étrangers,  et  la  partie  où  on  les  montre  est  la  plus  fré- 


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132 


DEL  \ I fc M B PARTIE. 

qucntéo.  C’esl  une  curiosité  naturelle  à tous  les  hommes.  Si  les  monuments  morts  des  arts 
illustrent  une  capitale  et  y appellent  les  voyageurs,  les  monumenls  vivants  de  la  nature  sont 
bien  plus  dignes  de  leurs  regards.  Une  statue  égyptienne  nous  donne  quelque  perception  do 
l'Afrique,  de  ses  arts  imparfaits  et  de  ses  peuples  passagers;  mais  le  noir  basalte  ou  le 
porphyre  sanglant  dont  elle  est  formée,  nous  présente  une  idée  de  ses  tristes  rochers;  la 
raquette  hérissée  d’épines  cl  l'aloés  férox  maculé  de  sang,  qui  les  couronnent,  nous  offrent 
une  image  encore  plus  vive  de  ses  sites  barbares  ; et  le  Uon  fauve  qui  naquit  dans  leurs 
cavernes,  aux  pattes  armées  de  griffes,  à la  voix  rugissante,  nous  imprime  des  sensations 
bien  plus  profondes  de  ses  solitudes  redoutables  que  ses  sombres  fossiles  et  ses  végétaux 
épineux.  Le  philosophe  cherche  par  quelle  loi  un  animal  renforce  son  caractère  indomptable 
dans  l'esclavage , taudis  que  le  nègre , son  compatriote . et  bien  souvent  le  blanc , ont  dégradé 
celui  de  l'homme  au  sein  même  de  la  liberté. 

« Les  animaux  féroces,  dit-on,  sont  dangereux  dans  une  ville,  parce  qu’ils  peuvent  venir  à 
s'échapper.  C'est  une  bien  faible  objection  contre  l’établissement  d'nnc  Ménagerie.  On  ne  l’a 
jamais  employée  contre  les  animaux  qu'on  amène  journellement  aux  foires  el  sur  les  boule- 
vards de  Paris.  On  ue  voit  point  qu'il  s'eu  échappe  aucun , quoiqu'ils  ne  soient  renfermés  que 
dans  de  mauvaises  cages  de  Lois  mobiles  : comment  donc  pourraient-ils  le  faire  dans  les 
loges  solides  et  bien  grillées  d'une  Ménagerie,  oh  ils  ont  de  plus  des  cours  particulières î 
D'ailleurs,  quand  cet  accident  est  arrivé,  il  n'en  est  résulté  aucun  malheur.  Une  bêle  féroce 
dans  les  nies  d'une  ville  est  aussi  étonnée  à la  vue  du  peuple  que  le  peuple  l’esl  à la  vue 
d’une  bête  féroce  : ses  gardiens  lu  reprennent  aisément.  C’est  ce  qui  arriva , il  y a quelques 
années , en  Angleterre , lorsqu'une  hyène  sortit  de  sa  cage  en  la  débarquant  d’un  vaisseau. 

n II  esl  1res- remarquable  que  la  solitude  renforce  le  caractère  de  Ions  les  êtres,  et  que  la 
captivité  l'aigrit.  Cette  observation  a fait  conclure  à l'Anglais  Howard,  ce  bienfaiteur  des 
prisonniers , que , pour  réformer  des  hommes  enfermés  pour  leurs  mauvaises  habitudes , il  ne 
fallait  pas  les  laisser  seuls.  Il  en  doit  être  de  même  des  animaux  renfermés,  surtout  de  ceux 
qui , comme  les  féroces , ne  reçoivent  souvent  des  visites  que  pour  éprouver  des  outrages.  La 
société  et  les  bienfaits  influent  sur  les  lions  mêmes,  au  point  de  les  rendre  familiers.  On  voit 
à Alger  et  à Tunis  des  Lions  uller  et  venir  dans  les  maisons  dus  grands,  sans  faire  de  mal;  ils 
jouent  avec  leurs  serviteurs,  dont  ils  sont  caressés.  Ce  fui  sans  doute  par  l'influence  toute 
puissante  des  bienfaits  qu'un  citoyen  de  Carthage  se  faisail  suivre  d'un  Lion  apprivoisé;  ce 
qui  obligea  le  sénat  à le  bannir,  dans  la  crainte  qu'il  ne  se  servit  de  ses  talents  pour  subjuguer 
la  république.  Carthage  ne  méritait  pas  de  subsister  longtemps,  puisqu'elle  punissait  l'homme 
le  plus  capable  de  la  gouverner.  C'esl  un  apprentissage  sans  doute  ulile  pour  régir  les 
hommes  que  l'art  d’apprivoiser  des  Lions.  C’élail  entouré  de  Lions  el  de  bêtes  féroces  sen- 
sibles aux  charmes  do  l’harmonie  que  les  Grecs  représentaient  Orphée,  le  premier  de  leurs 
législateurs. 

» Le  Lion  de  la  Ménagerie  esl  une  preuve  de  ce  que  |*cut  l’influence  de  la  société  sur  le 
caractère  le  plus  sauvage  ; il  est  beaucoup  plus  gai  qu’un  Lion  solitaire.  J'ai  été  lo  voir  une 
seconde  fois  dans  la  compagnie  d'une  dame  qui  s’amusa  h faire  mouvoir  son  éventail  devant 
loi  ; il  la  regarda  avec  la  plus  grande  attention  et  prit  toutes  les  attitudes  d'un  chat  qui  veut 
jouer. 

« J'attribue  cette  disposition  du  lion  pour  In  sociabilité  à l'amitié  de  sou  chien  ; comme 
l'homme  s’est  servi  des  espèces  si  variées  des  chiens  pour  subjuguer  toutes  les  espèces  d’ani- 
maux par  la  force,  peut-être réussirait-il  à s’en  servir  encore  pour  les  attirer  à lui  par  la  bien- 
veillance : l'nmilié  naturelle  des  chions  pour  l'homme  lui  servirait  peut-être  d’intermédiaire 
pour  acquérir  celle  des  animaux.  J’ai  vu  des  chiens  liés  de  la  plus  intime  affection  avec  des 
chevaux , des  chats  el  meme  des  oiseaux , el  réciproquement.  J'ai  vu , à l’Ile  de  Bourbon  , 
cher,  le  commissaire  de  la  marine,  un  kakatoès  de  la  grande  espèce  qui  s’étail  pris  d'une  si 
grande  affection  pour  uu  chion  épagneul , qu’il  volait  au-devant  de  lui  dès  qu'il  l’apercevait  ; 


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133 


MÉNAGERIE. 

il  le  suivait  on  jetant  des  cris  de  joie;  et  lorsque  son  ami  était  entré  dans  l'appartement  et 
s'était  couché,  il  mettait  sa  tête  entre  ses  pattes,  sans  remuer,  pendant  des  heures  entières. 
Mais,  après  tout,  l'amitié  la  plus  forte  n'est  qu’une  nuance  de  l’amour.  Je  pense  que  si  on 
eût  élevé  une  chienne  do  la  plus  grande  espèce  avec  le  lion  de  la  ménagerie,  leur  affection 
mutuelle  eût  redoublé,  et  qu’il  en  fût  résulté  peut-être  un  accouplement.  Pline  dit,  d’après 
Aristote,  que  les  Indiens  faisaient  couvrir  leurs  chiennes  par  des  tigres , et  qu'il  on  naissait 
des  chiens-tigres , et  qu’ils  ne  se  servaient  que  de  la  troisième  littéo,  ceux  des  deux  premières 
étant  trop  dangereux.  On  s’est  procuré  ainsi  en  France  des  chiens-loups;  pourquoi  ne  par- 
viendrait-on pus  à avoir  des  chiens-lions?  On  peut  au  moins,  au  défaut  d’une  compagne, 
donner  des  amis  aux  animaux  féroces , comme  on  le  voit  par  l’exemple  du  lion.  Lo  rhinocéros 
dont  l’instinct,  semblable  à celui  du  sanglier,  parait  stupide,  est  sensible  à l’amitié.  Je  l’ai  vu, 
en  1770,  à son  passage  à Plie  de  France;  il  baissait  les  cochons,  et  écrasait  avec  sa  corne, 
contre  le  bord  du  vaisseau,  tous  ceux  qui  venaient  è sa  portée;  mais  il  avait  pris  une  chèvre 
en  affection;  il  la  laissait  manger  son  foin  entre  ses  jambes.  Ainsi,  au  défaut  de  l’amour,  on 
peut  offrir  à ces  tristes  célibataires  les  consolations  de  l’amitié,  et,  par  celle  des  animaux  ap- 
privoisés, les  amener  à celle  de  l’homme.  Les  faits  que  j’ai  cités  motivent  ces  aperçus  sur  la 
civilisation  des  bêtes  féroces,  et  la  possibilité  de  produire,  par  leur  moyen,  des  races  de  chiens 
plus  fortes  et  plus  courageuses.  On  réussirait  peut-être  à adoucir  leur  naturel  carnassier  en 
les  nourrissant  de  Végétaux.  C’est  peut-être  à cette  nourriture  qu’on  doit  attribuer  la  douceur 
des  tigres  en  Egypte,  cette  terre  si  abondante  en  fruits  spontanés.  L’étude  suivie  de  leurs 
mœurs  dans  une  ménagerie  peut  donc  procurer  de  grandes  lumières* à la  philosophie,  et  des 
avantages  même  à l’économie  rurale. 

« Je  ne  parlerai  point  de  l'utilité  réciproque  d’une  ménagerie  et  d’un  jardin  pour  nos  animaux 
domestiques.  C’est  là  qu’on  peut  essayer  divers  fourrages  nouveaux,  croiser  les  races  des 
chevaux  , dos  taureaux,  des  béliers,  etc.,  étudier  leurs  maladies  auxquelles  la  médecine  vété- 
rinaire n’offre  souvent,  comme  la  nôtre  à nous-mêmes,  que  des  remèdes  incertains.  Le  jardin 
renferme  dans  ses  nombreux  Végétaux  mille  vertus  à découvrir;  elles  n’y  dépendront  point 
des  conjectures  trompeuses  des  savants  ; le  docteur  y recevra  des  leçons  de  la  bête.  La  science 
de  l’homme  n’est  infaillible  que  quand  elle  s’appuie  do  l’instinct  des  animaux. 

« Il  me  reste  à répondre  à quelques  objections  qui  m’ont  été  faites  par  des  botanistes  même, 
sur  l'établissement  d’une  ménagerie  d'animaux  au  Jardin  des  Plantes.  Ils  veulent  qu’on  dis- 
sèque ceux  de  Versailles  et  qu’on  les  place  au  cabinet.  « Il  suffit,  disent-ils,  d’étudier  lesani- 
« maux  morts , pour  connaître  suffisamment  leurs  genres  et  leurs  espèces.  » Ceux  qui  n’ont 
étudié  la  nature  que  dans  les  livres,  ne  voient  plus  que  leurs  livres  dans  la  nature  : ils  n’y 
cherchent  plus  que  les  noms  et  les  caractères  de  leurs  systèmes.  S’ils  sont  botanistes , satis- 
faits d’avoir  reconnu  la  plante  dont  leur  auteur  leur  a parlé,  et  de  l’avoir  rapportée  à la  classe 
et  au  genre  qu’il  leur  a désignés,  ils  la  cueillent,  et,  l’étendant  entre  deux  papiers  gris,  les 
voilà  très-contents  de  leur  savoir  et  de  leurs  recherches.  Ils  ue  se  forment  pas  un  herbier 
pour  étudier  la  Nature,  mois  ils  n’étudient  la  Nature  que  pour  se  former  un  herbier.  Ils  no 
font  de  même  des  collections  d’animaux  que  pour  remplir  leur  cabinet  et  connaître  leurs 
noms , leurs  genres  et  leurs  espèces. 

« Mais  quel  est  l'amateur  de  la  Nature  qui  étudie  ainsi  ses  ravissants  ouvrages?  Quelle  dif- 
férence d’un  Végétal  mort,  sec,  flétri,  décoloré,  dont  les  tiges,  les  feuilles  et  les  fleurs  s’en 
vont  en  poudre,  à un  Végétal  vivant,  plein  do  suc,  qui  bourgeonne  et  fleurit , parfume,  fruc- 
tifie, se  ressème,  entretient  mille  harmonies  avec  les  éléments,  les  insectes,  les  oiseaux,  les 
quadrupèdes,  et,  se  combinant  avec  mille  autres  Végétaux , courouno  nos  collines  ou  tapisse 
nos  rivages!... 

«•  Peut-on  reconnaître  la  verdure  et  les  fleurs  d'une  prairie  sur  des  bottes  de  foin,  et  la  ma- 
jesté des  arbres  d’une  forêt  dans  des  fagots?  L'animal  perd  par  la  mort  encore  plus  que  lo 
Végétal , parce  qu'il  avait  reçu  une  plus  forto  portion  de  vie.  Ses  principaux  caractères  s’év(i- 


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131 


DEUXIEME  PARTIE, 
uouissent  : ses  yeux  son!  fermés,  ses  prunelles  ternies,  ses  membres  roides  ; il  est  sans  cha- 
leur, sans  mouvement,  saus  senti  meut,  sans  voix,  sans  instinct.  Quelle  différence  avec  celui 
qui  jouit  de  la  lumière,  distingue  les  objets,  se  meut  vers  eux,  aime,  appelle  sa  femelle, 
s'accouple,  fait  son  nid , élève  ses  petits,  les  défend  de  ses  ennemis,  étend  ses  relations  avec 
ses  semblables  cl  enchaule  nos  bocages  ou  anime  nos  prairies  ! Reconnaîtriez-vous  l' Alouette 
matinale  et  gaie  comme  l'aurore,  qui  s'élève  en  chantant  jusque  dans  les  nues,  lorsqu'ello 
ost  attachée  par  le  bec  à un  cordon  ; ou  la  Brebis  bêlante  et  le  Bœuf  laboureur,  dans  les  quar- 
tiers sanglants  d'une  boucherie?  L'animal  mort,  le  mieux  préparé,  no  représente  qu’une  peau 
rembourré!*,  un  squelette,  une  anatomie.  La  partie  principale  y manque  : la  vie  qui  le  classait 
dans  le  Bégno  animal.  Il  a encore  les  dents  d'un  Loup,  niais  il  n’en  a plus  l'instinct  qui  déter- 
minait son  caractère  féroce  et  le  différenciait  seul  de  celui  du  Chien  si  sociable.  La  plante 
morte  n'&st  plus  végétale,  parce  qu'elle  ne  végète  plus  ; le  cadavre  n’est  plus  auimal,  parce 
qu'il  n'est  plus  animé;  l'une  n'est  qu’une  paille  et  l'autre  n'est  qu'une  peau.  Il  ne  faul  donc 
éludier  les  plantes  dans  les  herbiers  et  les  animaux  flans  les  cabinets,  que  pour  les  recon- 
naître vivants , observer  leurs  qualités  et  peupler  de  ceux  qui  sont  utiles  nos  jardins 
et  nos  métairies. 

« Les  animaux  étrangers,  ajoute-t-on,  perdent  leur  caractère  dans  la  captivité,  et  il  n'y  a 
« que  des  voyageurs  qui,  allant  dans  leurs  pays,  puissent  les  connaître  daus  leur  état  na- 
ît lurel.  » Eu  conséquence,  on  propose  d'employer  les  fonds  que  je  sollicite  pour  une  ména- 
gerie nationale  à faire  voyager  des  zoologistes. 

i>  Si  les  animaux  perdent  leur  caractère  par  la  captivité,  ils  le  perdent  bien  davantage  par 
la  mort.  A quoi  donc  serviraient  les  voyages  des  zoologistes  qui  n’iraient  nous  chercher  que 
leurs  peaux  ou  leurs  squelettes? 

« Si  une  ménagerie  affaiblit  le  caractère  des  animaux  eu  les  captivuul , autant  en  fait  une 
serre  chaude  de  celui  des  plantes;  car  un  palmier  y est  aussi  captif  dans  son  caisson  qu’un 
rhinocéros  dans  sa  loge.  Il  y a (dus,  c'est  que  l'animal  dégénère  beaucoup  moins  en  captivité 
que  le  végétal.  Certainement  le  bambou , le  café,  les  palmiers  du  nos  serres  sont  plus  petits , 
plus  rachitiques  que  les  Autruches,  les  Lions  et  les  autres  animaux  des  même  climats  qu'on 
umeno  en  Europe , parce  que  ceux-ci  ont  pour  l’ordinaire  toute  leur  crue  lorsqu’on  les  envoie 
el  qu'il  esl  plus  facile  du  leur  procurer  les  aliments  qui  leur  conviennent  qu’aux  végétaux  le 
sol  et  les  températures  dont  ils  ont  besoin.  Cependant  conclurait-on  de  la  dégénéralion  des 
plantes  étrangères  dans  nos  serres  chaudes  qu’il  faut  les  supprimer  et  envoyer  des  botanistes 
en  Asie,  en  Afrique  et  en  Amérique,  pour  nous  les  faire  connaître  en  Europe?  Mais  on  a-t-on 
jamais  fait  voyager  uniquement  pour  chercher  des  herbiers?  Yattond-on  pas  d’eux,  au  con- 
traire , qu'ils  ne  nous  apportent  des  plantes  mortes  que  quand  ils  ne  pourront  nous  les  donuer 
vivantes?  No  leur  recommande-t-on  pas  d'en  recueillir  les  graines,  atin  do  les  semer  chez 
nous?  Ne  sont-ce  pas  eux  qui  ont  peuplé  le  Jardin  national  d’une  foule  de  végétaux  agréables 
nu  utiles,  qui  delà  se  sont  répandus  dans  nos  jardins  et  dans  nos  campagnes?  Quels  avan- 
tages retirerons-nous  donc  dos  voyages  des  zoologistes , s'ils  ne  nous  apportent  jamais  que 
des  animaux  morts?  Que  feraient-ils  d'ailleurs  des  vivants,  puisquo  la  nation  n’aura  pas  de 
ménagerie  pour  les  recevoir?  Ils  étudieront  leurs  mœurs , dit-on,  et  nous  en  apporteront  des 
descriptions  exactes;  ils  nous  en  feront  des  dessins.  Ils  en  jouiront  donc  seuls  en  réalité, 
tandis  que  la  nation  qui  les  paie  n'eu  aura  que  les  images.  Mais  à quoi  nous  servira  de  les 
connaître  morts,  si  jamais  nous  ne  devons  les  voir  vivants?  Après  tout,  je  voudrais  bieu  sa- 
voir comment  des  zoologistes  peuvent  connaître  à fond  les  animaux  sauvages  d’un  pays  dont, 
au  bout  du  compte,  ils  no  veulent  avoir  que  les  peaux.  Comment  étudieront-ils  leurs  mœurs, 
s’ils  ne  les  observent  qu'en  les  couchant  en  joue?  Ils  ne  les  verront  jamais  que  fugitifs  et 
tremblants.  Iront-ils  avec  toute  leur  bravoure,  au  sein  des  déserts,  examiner  le  Lion  dans  sa 
caverne  el  le  Bhinncéros  daus  son  marais?  Au  moins  l'animal  au  pouvoir  de  l’homme  montre 
encore  son  instinct  ; s'il  s’altère  par  les  mauvais  traitements , il  semble  se  -perfectionner  par 


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135 


MÉN  w;krik. 

les  Iiienfuits.  Le  Lion  s'associe  un  ami  dans  les  fers;  cl  le  Rhinocéros,  sériant  du  sa  bauge, 
vient  à travers  ses  barreaux  mendier  des  caresses  à la  main  qui  le  nourrit. 

« Une  Ménagerie  bien  dirigée  peut  nous  donner  encore  une  image  de  ces  antiques  correspon- 
dances des  animaux  avec  l’homme.  Le  cabinet  ne  nous  présente  guère  que  ceux  auxquels  il  a 
arraché  la  vie  par  violence  : la  ménagerie  peut  nous  montrer  ceux  à qui  il  la  conserve  par  ses 
bienfaits.  Cette  école  nécessaire  à l'étude  des  lois  de  la  nature  peut  devenir  intéressante  pour 
celle  de  la  société,  et  influer  sur  les  mœurs  d’un  peuple,  dont  la  férocité  à l’égard  des  hommes 
commence  souvent  son  apprentissage  par  celle  qu’il  voit  exercer  sur  les  animaux. 

« Cette  Ménagerie  coûtera,  dit-on,  beaucoup  plus  que  le  Jardin,  parce  que  les  animaux  con- 
somment beaucoup  plus  que  les  plantes.  Mais  les  plantes  qui  sont  dans  les  serres  chaudes 
coûtent  beaucoup  de  bois  et  d’entretien  : il  leur  faut  des  engrais , des  terres  de  fougères , des 
caissons,  des  paillassons,  des  vitres.  Je  conviens  cependant  que  les  animaux  consomment 
davantage,  mais  il  ne  sera  pas  nécessaire  de  se  procurer  toutes  les  familles  de  ceux  qui  sont 
connus;  on  ne  s'attachera  qu’à  avoir  les  plus  utiles.  Quant  à ceux  qu’on  nous  offre  aujour- 
d'hui, comme  on  nous  les  donne,  l’achat  n’en  coûtera  rien.  Leur  nourriture  n'est  pas  dispen- 
dieuse : le  bubale,  le  couagga,  le  rhinocéros  vivent  de  foin,  d’un  peu  d’avoine  et  de  son;  le 
lion  mange  par  jour  6 livres  de  viande  de  basse  boucherie;  et  le  chien  son  ami  6 livres  de 
pain  par  semaine.  On  peut  nourrir  le  lion  à meilleur  marché  avec  des  équarrissages  de  che- 
vaux. Leur  logement  sera  de  peu  de  dépense  : M.  Luimann,  concierge  de  la  Ménagerie,  nous 
a promis  les  grilles,  les  palissades  et  les  charpentes  de  leurs  loges.  M.  Couturier,  régisseur 
général  des  domaines  de  Versailles,  et  rempli  d’ardeur  pour  le  bien  public,  s’est  chargé  de  les 
faire  transporter  sans  frais,  ainsi  que  les  animaux,  ayant  à sa  disposition  un  grand  nombre  do 
chevaux  de  trait.  Enfin , pour  comble  de  facilités , il  y a sur  la  rue  de  Seine  un  terrain , ci- 
devant  aux  nouveaux  convertis , qui  appartient  à la  nation  et  qui  est  enclavé  dans  le  Jardin 
des  Plantes  : il  contient  des  bâtiments  considérables , qui  n’ont  besoin  que  de  quelques  cloi- 
sons; et  il  y a,  do  l’autre  côté  de  la  rue,  la  fontaine  Saint-Victor,  d’où  il  est  facile  d’envoyer 
de  l’eau  vive  pour  les  besoins  de  ces  animuux. 

« Il  ne  s’agit  donc  plus  que  de  fixer  une  somme  annuelle  pour  leur  établissement  et  leur 
nourriture,  et  pour  les  gages  du  portier,  du  gardien,  du  concierge,  du  professeur,  etc. 
Quoique  celte  évaluation  ne  soit  fias  de  mon  ressort,  je  l’estime  à vingt  mille  livres.  La  dé- 
pense du  Cabinet,  du  Jardin,  de  ses  professeurs,  jardiniers,  portiers,  garde-bosquets,  a été 
portée  cette  année  à cent  mille  livres;  l’année  précédente,  elle  l’avait  été  à cent  seize  mille, 
sans  rien  ajouter  à l’instruction  publique:  moyennant  cent  vingt  mille  livres,  cet  établissement 
aura  un  cours  complet  d’Histoire  naturelle  et  donnera  des  naturalistes,  des  plantes  et  des  ani- 
maux utiles  aux  quatre-vingt -trois  départements  de  la  France  et  même  aux  pays  étrangers. 

« Tout  nécessite  donc  l’établissement  d’une  Ménagerie  au  Jardin  des  Plantes,  et  tout  y est 
favorable  : le  besoin  de  placer,  dans  un  lieu  destiné  à l’étude  de  l’Histoire  naturelle,  le  Règno 
le  plus  intéressant  de  la  nature  ; les  avantages  qui  en  résulteront  pour  le  progrès  des  arts, 
des  sciences,  de  l’économie  rurale  et  de  la  philosophie  même;  nos  relations  politiques  avec  les 
puissances  étrangères  ; l’intérêt  do  la  capitale,  la  nécessité  urgente  de  recueillir  les  débris  de 
la  ménagerie  de  Versailles  ; la  facilité  de  les  transporter  à Paris  et  d’acquérir  sans  bourse 
délier  un  terrain  et  des  bâtiments  enclavés  dans  le  Jardin  des  Plantes  et  voisins  d’une  fontaine. 

« Ministres,  honorés  de  la  confiance  de  la  nation;  sections  de  Paris,  si  zélées  pour  la  gloire 
de  votre  ville;  citoyens  éclairés,  qui  étendez  vos  lumières  économiques  à tout  son  départe- 
ment, prenez  en  considération  un  établissement  qui  doit  illustrer  la  capitale  et  éclairer  toutes 
les  parties  du  corps  politique  : attachez-les  au  centre  commun  de  la  patrie  par  les  liens  de  lu 
reconnaissance.  »> 

On  voit,  d’après  les  extraits  de  cet  excellent  Mémoiro,  qui  est  aujourd'hui  comme  oublié 
dans  les  œuvres  complètes  de  Remardin-dc-Saint -Pierre , combien  l’illustre  successeur  do 
Buffon  attachait  d’importanco  à la  fondation  d’une  ménagerie  d’animaux  vivants  au  Jardin 


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136  DEUXIÈME  PARTIE. 

des  Plantes , avec  quelle  sollicitude  il  invoque  toutes  les  raisons  qui  peuvent  militer  en  faveur 
de  sa  cause  pour  laquelle  Buffon  lui-même  n'eût  pas  trouvé  de  plus  généreux  arguments. 

Quelque  sensation  qu'ait  produite  ce  Mémoire,  la  translation  des  animaux  de  la  Ména- 
gerie de  Versailles  au  Jardin  des  Plantes  ne  fut  ni  décrétée  ni  même  discutée  par 
P Assemblée  ; c’était  au  milieu  de  circonstances  solennelles  que  la  voix  de  l’intendant  du 
Jardin  s’était  élevée;  elle  fut  étouffée  par  l'orage  qui  grondait  et  dont  les  premières 
commotions  se  traduisaient  par  la  mise  eu  jugement  de  Louis  XVI.  Mais  il  était  impossible 
qu’un  projet , dont  l'utilité  et  la  grandeur  avaient  été  si  souverainement  démontrées , ne  fût 
pas  reproduit  lors  de  la  première  organisation  du  Muséum , eu  juin  1793.  Le  règlement  qui 
fut  alors  rédigé  par  les  professeurs  et  volé  par  le  Comité  d'instruction  publique  de  la  Conven- 
tion, est  complété  par  un  chapitre  intitulé:  Des  moyens  d'accélérer  les  progrès  de  l’Histoire 
naturelle.  L’une  des  promesses  de  ce  chapitre  est  la  création  d’une  Ménagerie  destinée  à la 
fois  à l’élude  scientifique  de  l’organisation  et  des  mœurs  des  diverses  classes  d’animaux  et 
à l'acclimatation  des  espèces  utiles. 

Cette  indication  n'était  encore  qu’une  espérance  dont  la  réalisation  fut  renvoyée  à un  avenir 
indéfini.  Mais  il  existe  dans  la  vie  humaine  des  circonstances  imprévues,  des  concours  heureux 
de  volontés  persévérantes,  qui  font  éclore  les  résultats  avant  les  temps  fixés  pur  les  prévisions 
de  la  temporisation. 

Geoffroy  Saint-Hilaire,  chargé  au  Jardin  de  la  zoologie  et  de  l’administration  des  maté- 
riaux zoologiqucs,  venait  de  commencer  avec  un  éclatant  succès  l’enseignement  de  la  zoolo- 
gie, qui.  pour  la  première  fois,  se  faisait  entendre  au  Muséum,  lorsqu'une  occasion  aussi  heu- 
reuse que  fortuite  se  présenta  pour  créer  une  Ménagerie. 

Ce  fut  un  coup  de  main  du  procureur  général  de  la  Commune  de  Paris  qui  dota  la  France 
de  rétablissement  que  nous  admirons  aujourd’hui.  Ce  magistrat,  considérant  que  les  exhibi- 
tions publiques  d'animaux  vivants  ne  devaient  point  être  abandonnées  à l'industrie  particu- 
lière, attendu  que  ces  ménageries  foraines  causaient  non-seulement  encombrement  sur  les 
places  publiques,  mais  pouvaient  même,  par  suite  de  la  négligence  des  gardiens  à l’égard  des 
bêtes  féroces,  devenir  une  cause  de  danger  pour  les  citoyens,  prit  de  lui-même,  et  sans  s’être 
entendu  à ce  sujet  avec  personne,  un  arrêté  portant  que  les  animaux  stationnés  sur  les  places 
de  Paris  seraient  saisis  sans  délai  par  le  ministère  des  officiers  de  police  et  conduits  au  Jardin 
des  Plantes,  oü,  après  estimation  de  leur  valeur  et  indemnité  donnée  aux  propriétaires,  on  les 
établirait  a demeure.  Cependant  les  professeurs  du  Jardin  des  Plantes  n'avaient  reçu  aucun 
avis.  L’arrêté  avait  été  exécuté  aussitôt  que  signé,  et  la  première  nouvelle  en  fut  portée  au 
Jardin  par  les  animaux  eux-mêmes  qui,  avec  leurs  gardiens,  y affluaient  de  toutes  parts  sous 
In  conduite  des  commissaires  de  police  et  de  la  force  armée.  Geoffroy  Saint-Hilaire  était  tran- 
quillement occupé  dans  son  cabinet,  quand  on  vint  le  prévenir  de  l’arrivée  des  étranges  visi- 
teurs qui  assiégeaient  sa  porte.  La  circonstance  n’était  pas  seulement  singulière,  elle  était 
réellement  difficile.  Il  était  évident  que  le  procureur  général  de  la  Commune  avait  dépassé  ses 
pouvoirs  en  ordonnant  que  ces  animaux  seraient  conduits  et  nourris  au  Jardin  des  Plantes.  Co 
n'était  pas  le  tout  que  de  recevoir  cos  nouveaux  bûtes,  il  fallait  les  paver  et  les  nourrir,  cl  sur 
quels  fonds  celle  dépeusc  se  ferait-elle?  Les  animaux  auraient  fort  bien  pu  demeurer  long- 
temps dans  la  rue,  s'il  avait  fallu  attendre,  pour  leur  ouvrir  les  portes  du  Jardin , que  celte 
question  eût  été  convenablement  discutée  et  finalement  résolue  par  les  pouvoirs  compétents. 
Le  Muséum  avait  le  droit  de  refuser  un  envoi  fait  dans  des  circonstances  si  inopportunes; 
établissement  national  et  non  municipal,  il  relevait  do  l'Étal  seul  et  rien  ne  l’obligeait  à dé- 
férer à un  ordre  de  l’administration  de  la  police. 

Loin  de  songer  à profiter  de  cette  ressource  légale  , Geoffroy,  en  homme  dont  le  jugement 
droit  était  secondé  par  une  imagination  active,  eut  bientôt  pris  son  parti;  fort  de  l’appui  de 
son  vénérable  maître  Daubcnton  , alors  directeur  du  Muséum , il  assuma  sur  lui  toute  la  res- 
ponsabilité des  circonstances  auxquelles  il  allait  donner  une  éclatante  sanction. 


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M K \ U;  K II  I K . 


137 


Sans  locaux  préparés , sans  fond»  alloues  pour  la  nourriture  et  la  garde  des  animaux , sans 
que  rien  n'eût  été  ni  disposé  ni  prévu  pour  la  création  immédiate  de  la  Ménagerie,  il  donna 
ordre  d'ouvrir  les  portes  à l'attroupement,  d'installer  les  voitures  avec  les  cages  qu'elles  ren- 
fermaient dans  la  cour  intérieure;  il  se  chargea , jusqu'à  décision  légale,  de  fournir  à ses  frais 
à l'entretien  des  animaux  et  île  leurs  gardiens.  Il  avait  compris  tout  l'intérêt  que  devait  avoir 
[tour  la  science  et  pour  le  pays  un  pareil  établissement , et  combien , le  premier  pas  une  fois 
fait , il  serait  difficile  au  (iouvemement  de  revenir  en  arriére. 


(l'est  ainsi  que  fut  institué  révolutionnaircmcnl,  en  date  du  l.r>  brumaire  an  n , le  premier 
noyau  de  la  Ménagerie.  Parmi  les  animaux  ainsi  recrutés , se  trouvèrent  deux  ours  blancs , 
un  léopard  , un  chat  tigre,  une  civette,  un  raton , un  vautour,  deux  aigles,  plusieurs  singes, 
îles  agoutis.  Ils  furent  évalués  eu  somme  à 33,000  francs. 

Comme  Oeoffroy  l'avait  prévu,  il  n’eut  pas  l'assentiment  de  tous  ses  collègues.  Ceux  dont 
la  prévision  s'étendait  au  delà  des  difficultés  du  moment  approuvèrent  hautement  sa  con- 
duite ; le  prudence  de  quelques  autres  s’en  effraya.  L'hésitation  ne  fut  pas  de  longue  durée  : 
un  mois  ne  s'était  pas  écoulé  que  l’assemblée  des  professeurs  subvenait  par  un  vote  aux 
besoins  les  plus  urgents  des  animaux  et  de  leurs  gardiens,  et  que  des  démarches  étaient  faites 
pour  obtenir  les  ressources  nécessaires  à l'établissement  définitif  de  la  ménagerie. 

Lakanal , protecteur  infatigable  de  l'établissement  dont  il  venait  d'être  le  second  fondateur, 
en  plaida  la  cause  celle  fois  encore  auprès  de  scs  collègues  ; elle  fut  gagnée,  mais  non  sans 
peine. 

Ce  fut  seulement  en  mai  1791  que  le  Comité  de  salut  public  ordonna  Y arrangement  provi- 
»o ire  de  quelques  loges;  en  août , les  travaux  furent  commencés , et,  trois  mois  plus  lard , la 
Ménagerie,  par  un  décret  rendu  le  11  décembre  1791  par  la  Convention,  reçut  enfiu  une  exé- 
cution définitive  et  îles  ressources  assurées. 


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18 


13# 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Geoffroy  Saint-Hiloire  et  ses  collègues  n’avaient  point  attendu  que  la  Ménagerie  fût  officiel- 
lement reconnue  pour  l’enrichir  et  la  rendre  digne  d’un  grand  établissement  et  d’une  grande 
nation.  Dès  le  premier  jour,  l’Ordre  des  Carnassiers  et  celui  des  Primates  y avaient  eu  de 
nombreux  représentants,  et  le  bâtiment  situé  à l'extrémité  de  l’allée  des  marronniers,  près 
du  quai,  consacré  jusque-là  aux  petits  Mammifères,  se  trouva  rempli  aussitôt  qu’occupé.  Il 
existait  alors,  vers  le  milieu  du  Jardin,  un  vaste  bassin  enclos  d’une  grille;  des  Oiseaux  de 
rivage  et  des  Palmipèdes  se  trouvèrent  bientôt  rassemblés  sur  les  bords;  le  Rhinocéros  de  Ver- 
sailles, tant  désiré  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  était  mort;  mais  le  Coungga  et  le  Bubale 
avaient  survécu  : on  les  obtint  facilement  ainsi  que  deux  Dromadaires  qui  avaient  appartenu 
au  prince  de  Ligne;  mois,  pour  compléter  l’idée  d’une  Ménagerie,  il  restait  à leur  adjoindre 
des  représentants  des  classes  pacifiques.  Ce  fut  encore  par  arrêté  révolutionnaire  qu’il  y fut 
pourvu.  Après  la  mort  du  duc  d’Orléans,  le  Rainci  avait  été  confisqué  comme  propriété  natio- 
nale, et  la  chasse  du  parc  avait  été  adjugée  aux  enchères  à Merlin  de  Thionville  et  au  mar- 
quis de  Livrv.  Crassous , qui  exerçait  les  fonctions  pmconsulaires  dans  le  département  de 
Soine-et-Oise , cassant  le  marché,  décida  que  le  district  do  Conesse  ferait  saisir  dans  le  parc 
les  bêles  fauves  qui  s’y  trouvaient  pour  les  mettre  à la  disposition  des  administrateurs  du 
Jardin  îles  Plantes.  En  même  temps,  donnant  avis  à ceux-ci  de  son  arrêté,  il  les  invita  à dé- 
léguer quelqu’un  au  Rainci  pour  recevoir  ce  tribut.  Ce  fut  encore  Geoffroy  Saint-Hilaire  qui , 
à raison  de  ses  fonctions , fut  chargé  de  ce  soin.  Il  se  plaisait  dans  sa  vieillesse  à raconter  la 
visite  qu’il  fit  à cette  occasion  au  Rainci  avec  Lamarck,  celte  autre  gloire,  alors  naissante 
aussi,  do  la  zoologie  française.  Merlin  de  Thionville,  qui  n’avait  point  encore  connaissance  de 
l'arrêté  proconsulaire , était  en  pleine  chasse  quand  on  vint  l’avertir  que  deux  jeunes  gens 
arrivés  an  château  demandaient  qu’on  leur  remît  les  précieux  habitants  de  la  forêt.  On  peut 
s’imaginer  la  surprise  et  la  colère  du  terrible  conventionnel  ainsi  menacé  dans  ses  plaisirs. 
Geoffroy  n’était  pas  maître  d’une  certaine  émotion , et  ce  fut  presque  timidement  que , pour 
toute  réponse,  il  présenta  au  furieux  chasseur  l’arrêté  dont  il  était  porteur,  et  qui  faisait 
connaître,  avec  sa  qualité,  le  nom  du  pouvoir  qui  l’en  avait  revêtu.  Le  prestige  de  ce  nom, 
de  celle  dérision  prise  dans  l’intérêt  du  peuple,  produisit  un  effet  magique.  Les  chasseurs 
s'arrêtèrent  ; l'emportement  contre  les  importuns  visiteurs  fit  place  au  désir  empressé  de  les 
servir;  on  se  remit  en  chasse  non  [dus  pour  le  divertissement  de  tuer  des  animaux,  mais  pour 
une  poursuite  toute  philosophique  destinée  à les  mettre  dans  les  filets,  et  par  suite  à la  dispo- 
sition des  deux  délégués  de  la  Ménagerie  nationale.  Merlin  de  Thionville  conduisit  lui-même 
le  convoi  ; et  aux  animaux  confisqués  au  Rainci  il  ajouta  même  [dus  tard , en  échange  d’ani- 
maux empaillés,  divers  animaux  précieux  dont  il  était  possesseur.  Ainsi  prirent  place,  à côté 
des  Tigres  et  des  Ours,  nu  Jardin  des  Plantes,  des  Cerfs  et  des  Biches,  des  Daims  fauves  et 
blancs,  des  Chevreuils,  un  Chameau;  et  la  seconde  section  de  la  ménagerie,  entretenue  de 
fourrage  comme  la  première  do  débris  de  boucherie,  fut  installée,  en  attendant  décision, 
sous  les  grands  arbres  qui  existaient  alors  prés  de  la  rue  de  Buffon. 

L’établissement  ne  reposait  encore  que  sur  l'incertain.  Le  Comité  d’instruction  publique 
avait  vu  avec  déplaisir  les  empiétements  de  la  Commune,  et  ne  se  pressait  pas  do  les  ratifier. 
Cependant , stimulé  par  Geoffroy , dont  ces  nouvelles  acquisitions  n’avaient  fait  qu’augmenter 
le  zèle,  il  consentit  à décréter  en  principe  l’établissement  d’une  Ménagerie  au  Jardin  des 
Plantes , et  autorisa  Geoffroy  à continuer  ses  avances.  Les  premières  difficultés  s’aplanirent 
peu  à peu.  L’affluence  du  peuple,  qui  avait  immédiatement  saisi  toute  l'importance  de  celle 
institution  nouvelle,  en  fil  sentir  la  valeur.  Des  mesures  furent  prises  pour  faire  traquer  et 
saisir  dans  les  forêts  de  l’Etat  des  représentants  de  tous  les  animaux  qui  les  habitent.  Geof- 
froy ayant  appris  qu’il  y avait , à In  foire  de  Rouen , un  Éléphant , s’v  rendit  sans  éclat , et  en 
fit,  à assez  bon  prix,  l’acquisition.  Un  superbe  Lion  fut  acquis  de  la  même  manière.  Bref,  la 
Ménagerie  prit  figure,  et  un  an  ne  s’était  pas  écoulé  depuis  le  premier  acte  d’hospitalité  ac- 
cordé, dans  l’enceinte  du  Jardin  des  Plantes,  aux  Ménageries  foraines,  que  la  Convention 


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MÉNAGERIE.  139 

nationale , sur  lo  rapport  du  député  Thibaudeau  , sanctionnait  par  un  décret  l'établissement 
d’une  Ménagerie  nationale.  Les  idées  do  Bernardin  do  Saint-Lierre  se  trouvent  en  partie  re- 
produites dans  ce  rapport,  et  il  n’est  pas  sans  intérêt  do  les  rappeler  ici. 

« La  Botanique,  disait  le  rapporteur,  est  sans  doute  une  des  branches  les  plus  étendues  de 
niisloiro  naturelle;  mais  il  y en  a plusieurs  autres  dont  l’élude  est  très-utile.  On  peut  en 
prendre  les  premières  notions  dans  les  cabinets,  mais  on  n’y  acquerra  jamais  des  connais- 
sances complètes,  parce  que  l’on  n’y  voit  pas  la  nature  vivante  et  agissante.  Quelque  apprêt 
que  l'on  donne  aux  cadavres  des  animaux  ou  à leurs  dépouilles,  ils  ne  sont  plus  qu’une  faible 
représentation  des  animaux  vivants.  La  peinture  n'en  retrace  même  qu'i m parfaitement 
l’image.  Quand  on  compare  les  lions  qui  sont  dans  lu  plupart  des  tableaux  au  magnifique  in- 
dividu qui  existe  au  Muséum,  on  voit  que  la  plus  grande  partie  des  artistes,  se  copiant  lus 
uns  sur  les  autres,  n’ont  pas  rendu  la  nature,  cl  que  leurs  imitatious  sont  beaucoup  au- 
dessous  du  modèle. 

« Le  Muséum  a recueilli  des  animaux  envoyés  par  la  municipalité  de  Paris,  ceux  de  Ver- 
sailles, du  Rainci;  ils  sont  très-mal  logés  : le  Comité  de  salut  public  avait  en  conséquence 
ordonné  à la  commission  des  travaux  publics  d'examiner  avec  les  professeurs  l’emplacement 
le  plus  commode  pour  y construire  provisoirement  une  ménagerie  propre  à les  recevoir.  Elle 
est  presque  terminée.  Vous  sentirez  la  nécessité  de  cet  établissement  au  Muséum , qui  doit 
renfermer  tout  ce  qui  tient  à l'Histoire  naturelle.  Jusqu’à  présent,  les  plus  belles  ménageries 
n’étaient  que  des  prisons  où  les  animaux  resserrés  avaient  la  physionomie  de  la  tristesse,  per- 
daient une  partio  de  leur  robe , et  restaient  presque  toujours  dans  une  attitude  qui  attestait 
leur  langueur.  Pour  les  rendre  utiles  à l’instruction  publique , les  ménageries  doivent  être 
construites  de  manière  que  les  animaux , de  quelque  espèce  qu’ils  soieut,  jouissent  de  toute  la 
liberté  qui  s’accorde  avec  la  sûreté  des  spectateurs , afin  qu’on  puisse  étudier  leurs  mœurs , 
leurs  habitudes , leur  intelligence , et  jouir  de  leur  fierté  naturelle  dans  tout  son  développe- 
ment. Les  animaux  qui  servaient  pour  les  grands  spectacles  des  anciens  conservaient  toute 
la  beauté  des  formes.  On  atteindra  ce  but  en  pratiquant  des  parcs  un  peu  étendus,  environnés 
de  terrasses.  Les  spectateurs  suivront  sans  danger  tous  les  mouvements  des  animaux  ; le 
peintre  et  le  sculpteur  feront  alors  facilement  passer  dans  leurs  ouvrages  le  caractère  qui  los 
distingue. 

« En  rapprochant  de  nous  toutes  les  productions  do  la  nature,  ne  la  rendons  pas  prison- 
nière. Un  auteur  a dit  que  nos  cabinets  en  étaient  le  tombeau.  Eb  bien!  que  tout  y prenne 
une  nouvelle  vie  par  vos  soins , et  que  les  animaux  destinés  aux  jouissances  et  à l'instruction 
du  peuple  ne  portent  pas  sur  leur  front , comme  dans  les  ménageries  construites  par  le  faste 
des  rois,  la  flétrissure  de  l’esclavage;  que  l’on  puisse  admirer  la  force  majestueuse  du  Lion, 
l’agilité  de  la  Panthère,  et  les  élans  do  colère  ou  de  plaisir  dans  tous  les  animaux.  Quant  à 
ceux  d’un  caractère  plus  doux , ils  pourront  être  placés  dans  des  parcs  un  peu  étendus , en 
partie  ombragés  par  des  arbres , et  tapissés  de  verdure  propre  à les  nourrir.  » 

N’est-il  pas  remarquable  de  voir  le  programme  de  cette  Ménagerie,  que  tant  de  personnes 
admirent  aujourd’hui  sans  en  connaître  l’origine,  prendre  naissance  au  milieu  des  débats  de 
cette  Convention  que  d’ordinaire  on  se  représente  comme  toujours  terrible  ? Dans  cette  mémo 
séance,  21  frimaire  an  ur,  malgré  la  pénurie  du  Trésor,  la  Convention  vota,  en  faveur  du 
Muséum  d’Hisloire  naturelle,  une  somme  de  237,233  francs.  C’était  alors  une  somme  consi- 
dérable , et  qui  témoignait  assez  de  l’intérêt  que  portait  la  République  à l’étude  des  sciences 
naturelles.  Geoffroy  fut  officiellement  nommé,  par  règlement  approuvé  par  la  Convention,  di- 
recteur de  la  Ménagerie  : cette  direction  se  trouvait  être  le  complément  normal  de  la  chaire 
de  zoologie  dont  il  était  chargé. 

L’impulsion  ainsi  donnée , la  Ménagerie  s’accrut  successivement  et  à mesure  que  les  cir- 
constances le  permirent.  Ainsi  la  conquête  de  la  Hollande,  eu  1798,  amena  deux  Éléphants 
mâle  et  femelle,  provenant  de  la  ménagerie  du  stathouder. 


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140 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Plus  tard,  après  divers  évènements  qui  diminuèrent  le  nombre  des  animaux,  attendu  qu'on 
fut  obligé , e.n  1790,  par  exemple , d'en  tuer  une  partie  pour  nourrir  les  plus  précieux  , la 
Ménagerie  reçut  en  1800,  moyennant  une  somme  de  17,500  francs,  uri  envoi  que  lui  fit  l'An- 
gleterre de  deux  Tigres  mâle  et  femelle,  deux  Lynx  aussi  mâle  et  femelle,  un  Mandril,  un 
Léopard,  une  Panthère,  une  Hyène , et  quelques  Oiseaux.  En  1801 , le  plan  de  la  .Ménagerie 
fut  définitivement  arrêté , l’on  acquit  quelques  chantiers  situés  sur  la  Seine  et  l’on  fit  quelques 
nouveaux  parcs  et  de  nouvelles  cabanes  pour  les  Daims,  les  Axis,  les  Cerfs,  les  Bouquetins, 
les  Mérinos,  le  (inou,  les  Kariguroos.  En  1810,  la  inénagerio  du  roi  de  Hollande  vint  donner 
au  Jardin  un  complément  de  vingt-quatre  animaux,  qui  constituèrent  enfin  la  .Ménagerie. 

Successivement  do  nouvelles  acquisitions  lui  donnèrent  toute  l’étendue  et  l’importance 
qu’elle  possède  actuellement. 

Au  Muséum,  les  animaux  vivants  sont  groupés  pur  catégories,  et  pour  ainsi  dire  par  familles 
naturelles.  A lu  Singerie,  on  met  les  Singes  et  les  Makis  ; au  bâtiment  plus  rapproché  do  la 
Seine,  les  Animaux  féroces , c’est-à-dire  les  Mammifères  carnassiers.  Quelques  Ours,  insensi- 
bles à nos  variations  de  température , habitent  dans  de  grandes  fosses.  Des  Lions , des  Pan- 
thères , etc. , ne  pourraient  pas  y vivre  en  toute  saison  ; et  d'ailleurs , il  serait  impossible  de 
les  y retenir,  car  leur  grande  agilité  leur  permettrait  bientôt  de  s'échapper.  La  Itutondc,  qu’on 
pourrait  appeler  le  point  central  de  la  Vallée  suisse,  en  est  aussi  la  coustruction  la  plus  con- 
sidérable et  la  mieux  conçue;  elle  donne  asile  aux  plus  grands  animaux  ; l'Eléphant,  las 
Pachydermes  et  les  Ruminants.  Diverses  espèces  lu  quittent  pendant  la  belle  saison  et  vont 
occuper  les  parcs  ; celte  faveur  est  plus  particulièrement  réservée  à celles  de  l’Inde , de 
l’Afrique  ou  de  l’Amérique  méridionale,  auxquelles  les  chaleurs  de  l’été  rappellent  leur  patrie; 
pendant  l’hiver  ces  animaux  reviennent  à la  Rotonde.  Mais  les  parcs  ont,  comme  les  fosses, 
des  habitants  qui  ne  les  quittent  pas  plus  en  hiver  qu’en  été.  Tels  sont  les  Cerfs  de  Virginie, 
les  Axis  do  l’Inde,  dont  les  espèces  peuvent  être  regardées  comme  acclimatées  chez  nous,  et 
divers  autres  qui  nous  viennent  des  pays  froids,  comme  le  Renne,  l’Elan,  etc. 

Des  parties  non  moins  essentielles  do  la  Ménagerie  sont  : la  Volière  du  nord,  où  l’on  met 
principalement  les  Oiseaux  de  proie  et  les  Perroquets;  la  Faisanderie , où  sont  les  Faisans, 
qui  lui  ont  donné  leur  nom,  les  Poules  de  diverses  races,  les  Pintades  et  les  autres  Gallinacés. 
Les  Autruches,  les  Casoars  et  quelques  oiseaux  de  grande  taille  occupent  une  fabrique  spé- 
ciale, subdivisée  en  plusieurs  compartiments  ; deux  endroits,  pourvus  d’une  pièce  d’eau , sont 
lo  séjour  des  espèces  aquatiques  ou  de  rivage  : c’est  là  que  l’on  voit  les  Cygnes,  les  Oies,  les 
Canards  de  diverses  sortes,  les  Grues,  les  Cigognes,  etc. 

Les  Reptiles  habitent  le  local  autrefois  réservé  aux  Singes,  Quoique  placé  en  dehors  do  la 
Vallée  suisse,  il  en  est  très-peu  éloigné. 

La  Ménagerie  n’a  pas  do  chef  spécial  comme  la  bibliothèque  ou  les  galeries  d’histoire  natu- 
relle; elle  est  placée  sous  la  direction  immédiate  des  professeurs  de  zoologie  chargés  de  l’en- 
seignement relatif  aux  animaux  qu’on  y conserve  : Al.  IsmonF.  Gzorraov-S  xiNT-Hii.Aiai:, 
pour  les  Mammifères  et  les  Oiseaux  , et  AI.  Dcméaii.,  (aiur  les  Reptiles,  lais  aides  natura- 
listes do  chacun  de  ces  professeurs,  MAI.  Florent  Prévost  et  Aug,  Dumeri! , sont  chargés  de 
les  seconder. 

On  pourrait  écrire  et  même  on  a écrit,  au  grand  profit  de  l’histoire  naturelle,  plusieurs 
volumes  sur  la  Alénagerio  du  Aiuséum.  Alais  comment  la  dépeindre  eu  un  seul  chapitre?  com- 
ment raconter  en  quelques  pages  ce  que  la  science  moderne  lui  doit  de  connaissances  positives 
et  d’applications  utiles?  La  description  pure  et  simple  de  scs  habitants  est  déjà  un  travail 
d’une  assez  grande  étendue  ; et , comme  on  a soin  île  faire  figurer  dans  la  belle  collection  des 
vélins  conservés  à la  bibliothèque  du  Aiuséum  toutes  les  espèces  remarquables  qui  s’y  succè- 
dent, et,  le  plus  souvent,  d’en  publier  la  description,  l’histoire  détaillée  de  la  Ménagcrio 
entraînerait  celle  d’une  branche  importante  de  la  zoologie , depuis  le  commencement  du 
dix -neuvième  siècle.  Frédéric  Cuvier  a déjà  donné  la  plus  grande  partie  de  ces  matériaux 


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MÉNAGERIE.  141 

dans  VHisloire  naturelle  des  Mammifères , publiée  par  lui  et  Étieuue  Geolfroy-Saint-Hilairc , 
qui,  depuis  la  fondation  du  Muséum  jusqu'en  1841,  a occupé  la  chaire  de  mummalogic  et 
d'ornithologie  de  ce  magnifique  établissement.  Avant  l'ouvrage  dont  il  vient  d'étre  question, 
Lacépèdo,  G.  Cuvier  et  K.  Geoffroy,  avaient  commencé,  sous  ce  titre  : La  Ménagerie  du 
Muséum  national  d'histoire  naturelle,  ou  les  Animaux  vivants,  un  livre  avec  figures  peintes 
d’après  nature  par  Maréchal , et  gravées  par  Miger.  Le  nom  de  Maréchal  est  devenu  célèbre 
par  les  beaux  dessins  d'animaux  qu’il  a faits,  d'après  des  individus  vivants  à la  Ménagerie. 
Iluet  a continué  arec  talent  ce  travail , aujourd’hui  confié  à plusieurs  artistes  d'up  grand 
mérite.  Parmi  ces  derniers,  M.  Wemer  est  celui  qui  a fait,  soit  pour  M.  F.  Cuvier,  soit  pour  la 
collection  des  vélins,  le  plus  grand  nombre  de  peintures  nouvelles. 

L'administration  du  Muséum  achète  les  animaux  intéressants  qui  lui  sont  proposés,  ou 
dont  elle  a eu  connaissance;  la  Ménagerie  s'enrichit  aussi  fréquemment  de  dons,  et,  dans  ce 
cas,  on  a soin  de  conserver  le  nom  des  donataires;  tant  que  l'animal  offert  au  Muséum  fait 
partie  de  l’établissement , ou , après  sa  mort , lorsqu’il  a été  préparé  par  les  galeries  d'histoiro 
naturelle,  une  étiquette  spéciale  rappelle  cet  acte  de  générosité.  Parmi  les  amis  ou  protecteurs 
des  sciences  auxquels  la  Ménagerie  doit  des  espèces  rares , nous  citerons  quelques  voyageurs 
naturalistes  : Péron  et  M.  Losucur,  Leschenault , Milbcrt.  M.  Dussumier,  M.  Gaimard.  Des 
princes  français  de  plusieurs  familles  ont  également  fait  à lu  Ménagerie  des  offres  précieuses  ; 
et,  à diverses  époques,  des  princes  africains,  le  pacha  d'Égypte,  l’empereur  de  Maroc, 
Abd-el-Kadcr,  ont  adressé  au  gouvernement  dos  animaux  remarquables,  et  dont  la  Ménagerie 
a été  aussitôt  gratifiée.  C'est  au  pacha  d'Égypte  que  sont  dus  l’Éléphant  d’Afrique  et  la  Girafe. 

Tout  ce  que  nous  allons  dire  sur  la  Ménagerie  ne  saurait  se  rapporter  exclusivement  à son 
état  présent.  Si  nous  nous  bornions  aux  individus  que  la  Ménagerie  possède  au  moment  où 
nous  écrivons  ces  lignes , peut-être  que  dès  demain  plusieurs  auraient  fait  défaut.  Ce  n’est  pas 
qu’elle  n’ait  un  fond  de  représentants  sur  lequel  on  ne  puisse  toujours  compter  : Macaque, 
Sapajou , Lion , Panthère , Ours , Hyène , Chacal , Agouti , Dromadaire , Autruche,  etc. , etc.  ; 
ces  espècos  s’y  voient  en  tout  temps,  et  toujours  eu  bonne  santé,  car  il  est  si  facile  de  se  los 
procurer,  que  la  substitution  d’un  individu  à un  autre  est  à peine  sensible.  On  u déjà  beau- 
coup parlé  de  ces  différents  animaux , qui  forment  le  vulgaire  des  Ménageries  européennes, 
et  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à les  décrire  une  fois  de  plus  ; nous  préférons  mettre  sous  les 
yeux  du  public  l'état  des  Mammifères  qui  ont  vécu  à la  Ménagerie , d’après  un  important 
document  que  nous  devons  à l'obligeance  de  M.  le  Professeur  Isidore  Geoffroy-Saint-Hilaire  ; 
cet  exposé  fera  mieux  comprendre  que  tous  les  éloges  possibles  combien  l’administration  a 
mis  de  soin  à réunir  les  animaux  rares  et  précieux  auxquels  elle  a eu  seule  en  Europe  le 
privilège  de  donner  une  hospitalité,  qui  n’a  pas  été  sans  résultat  pour  les  améliorations  de 
race  et  les  études  physiologiques  et  anatomiques. 

La  Ménagerie  des  Mammifères,  Oiseaux  et  Reptiles,  contient  en  ce  mornenl  onze  cents  indi- 
vidus vivants.  On  trouvera  dans  les  parties  spéciales  de  cet  ouvrage  les  monographies  de 
chaque  espèce  intéressante;  il  nous  suffira  donc  de  les  désigner  ici  en  renvoyant  nos  lecteurs 
aux  autres  volumes  des  Trois  Hègnes  de  la  Nature. 


ANIMAUX  DE  LA  SINGERIE. 

A 

Tout  le  monde  connaît  aujourd’hui  la  définition  caractéristique  des  mammifères  : 
« Animaux  pourvut  de  mamelles  au  moyen  desquelles  ils  allaitent  leurs  petits.  » Oji  sait  aussi 
que  la  dénomination  de  Quadrupèdes  vivipares , donnée  par  Lacépèdo  à ces  animaux,  a dû 
être  rejetée , parce  qu’il  y a dans  celte  classe  certaines  failli  Iles  (pii  sont  mammifères  et  vivi- 
pares sans  être  quadrupèdes.  De  ce  nombre  sont  les  Lamantins  et  les  Cétacés. 


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142  DEUXIÈME  PARTIE. 

Les  si  no  es  appartiennent  au  premier  ordre  des  Mammifères.  Ce  sont  les  animaux  qui  se 
rapprochent  le  plus  de  l’homme  par  la  nature  de  leurs  actes  et  par  leur  conformation. 

Les  Singes  et  les  autres  especes  qui  constituent  avec  eux  ce  premier  ordre  de  la  classe  des 
Mammifères,  ont  reçu  de  beaucoup  de  naturalistes  le  nom  de  Quadrumane»,  c'esl-à-diro 
animaux  à quatre  mains.  Eu  effet,  le  Chimpanzé,  le  Gorille,  l’Orang-Outau , les  Guenons, 
los  Macaques , etc. , ont , comme  l'homme , le  pouce  des  mains  susceptible  de  mouvements 
ussez  variés,  et  opposable  aux  autres  doigts,  ce  qui  est  le  caractère  d’une  main,  et,  de  plus, 
le  pouce  de  leurs  pattes  de  derrière  a la  même  disposition  ; ainsi  leurs  quatre  extrémités  sont 
égalcmc*ril  terminées  par  des  mains.  Mais  le  pouco  des  mains  du  devant  est  si  petit,  que 
beaucoup  de  Singes  se  servent  moins  adroitement  de  leurs  maius  antérieures  que  de  leurs 
pieds  ou  mains  postérieures , et  mémo , chez  les  Primates  d’Amérique , le  pouco  des  mombres 
antérieurs  prend  la  direction  des  autres  doigts,  presque  au  même  degré  que  dans  la  patte  d'un 
Ours.  La  dénomination  de  Quadrumanes  devient  dés  lors  fautive. 

Les  Mammifères  du  cet  ordre  sont  incontestablement  les  premiers  d'entro  les  animaux  après 
l'homme;  aussi  le  mot  Primalèi  ou  Primais,  qu'employait  le  célèbre  Linné  avant  qu'on  eût 
adopté  celui  de  Quadrumanes , leur  convient-il  beaucoup  mieux  que  ce  dernier.  On  peut  dire 
que,  sous  le  rapport  de  l'intelligence  ut  de  l'organisation,  les  Singes  et  autres  animaux  quali- 
fiés comme  eux  de  Quadrumanes , forment  l’élite  du  règne  animal. 

L'élégante  construction  élevée  à la  Mé- 
nagerie pour  y placer  les  Primates , et  que 
l'on  désigne,  à cause  de  sa  destination 
même,  par  le  nom  de  Singerie,  mérite 
donc  la  première  mention  (o°  27  du  plan) . 

Les  espèces  do  l’ordre  des  Primates  sont 
toutes  étrangères  à l'Europe.  Le  Magot 
seul  se  trouve  en  petit  nombre  sur  le  ro- 
cher de  Gibraltar.  Les  anciens  les  ont  peu 
connues , bien  que  du  temps  des  Grecs  et 
des  Romains  on  eût  déjà  conduit  à Athènes 
et  à Rome  une  partie  des  espèces  qui 
vivent  dans  le  nord  de  l'Afrique  et  peut- 
être  dans  l'ouest  de  l'Asie.  Doués  d’une 
intelligence  très-mobile , les  Singes  sont  susceptibles  de  quelque  éducation  ; mais  c’est  dans  le 
jeune  âge  seulement  que  l'on  peut  lus  dresser.  Les  femelles  , dont  le  caractère  est  plus  doux 
que  celui  des  mâles,  restent  plus  longtemps  soumises.-  Les  Singes  que  les  bateleurs  ont  avec 
eux,  sont  le  plus  fréquemment  le  Macaque,  originaire  de  l’Inde , et  le  Sapajou,  qui  vient 
d'Amérique. 

Les  Primates  vivent  aussi  bien  dans  l’aucien  monde,  Asie  et  Afrique,  que  dans  le  nouveau; 
mais  aucune  des  espèces  américaines  n'existe  naturellement  dans  l'ancien  continent,  et  celles 
do  cette  partie  du  globo  ne  se  rencontrent  point  en  Amérique.  Il  y a même,  au  sujet  de  la 
répartition  géographique  do  ces  animaux,  un  fait  plus  curieux  encore,  remarqué  par  Buffon 
et  Dauhcnton.  Les  Singes  d’Asie  et  d'Afrique,  quoique  se  rapportant  à plusieurs  genres, 
appartiennent  tous  à la  même  famille  naturelle  ; tous  ceux  de  l'Amérique  sont  également  d’une 
famille  à part,  et  se  distinguent  de  ceux  do  la  famille  précédente  par  des  caractères  parfaite- 
ment tranchés.  On  donne  aux  premiers  le  nom  de  PlTnfcQUES  (en  latin,  Pilhecui)  ou  Singes 
de  l'ancien  monde,  et  aux  seconds  celui  do  sapajous  ( Cebus ).  Une  troisième  famille  de  Pri- 
mates est  celle  des  makis,  confinés  dans  l’Ilc  do  Madagascar,  qui  no  possède  aucune  espèce 
de  vrais  Singes.  On  trouve  aussi  quelques  espèces,  voisines  des  Makis,  dans  les  parties  les 
plus  chaudes  de  l’Afrique  et  de  l’Inde. 


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MÉN  XGERIE.  — XI A M XI I F fe  H ES . 


113 


PRIMATES  or  QUADRUMANES 


1"  Famille  — LES  SINGES  — SIMIIDÆ 


SINGES  DE  LA  PREMIÈRE  TRIBU 

Les  PiTiitoiiES,  ou  les  Singes  de  l’ancien  continent,  ont  le  même  nombre  de  dents  que 
l’homme,  et  ces  dents  affectent  la  même  répartition  : deux  incisives,  une  canine  et  cinq 
molaires  do  chaque  côté  de  chaque  mâchoire.  Quelques-uns  manquent  île  queue,  et  cher  ceux 
qui  en  présentent,  cet  organe  n’est  jamais  susceptible  de  s'enrouler  autour  des  corps  pour 
aider  l'animal  à les  saisir.  La  séparation  des  narines  par  une  cloison  très-mince  est  encore  un 
des  signes  caractéristiques  de  cette  famille.  Les  Pithèques  sont  les  plus  intelligents , mais 
aussi  les  plus  redoutables  d’entre  les  Singes,  tant  ils  sont  parfois  robustes,  défiants  et  malin- 
tentionnés. 

La  Ménagerie  a déjà  possédé  une  grande  partie  des  espèces  connues  de  cette  famille,  et, 
sauf  les  Gorille »,  originaires  du  (iabon,  ot  les  Colobes,  naturels  de  l’Afrique  inter-tropicale, 
elle  a eu  des  représentants  de  tous  les  genres  dont  se  compose  la  série  des  Pithèques. 

Genre  TROGLODYTE  ( Troglodyte a).  — Tboglodïtf.  Chimpanzé  ( Troglodytes 
niger) , — Geoffroy -Saint- Hilaire,  — de  l'Afrique  occidentale. 

C’est  de  tous  les  Singps  celui  qui  ressemble  le  plus  à l’homme  par  son  extérieur.  Il  est 
presque  taillé  sur  le  même  modèle,  mais  ses  oreilles  sont  beaucoup  plus  grandes  et  en  partie 
débordées;  son  nez,  au  contraire,  est  presque  nul  ; ses  cheveux,  ou  plutèt  les  poils  semblables 
à ceux  du  corps  qui  couvrent  sa  tète,  sont  dirigés  du  front  vers  l'occiput  et  sa  station  bipède 
parut!  des  plus  embarrassées  si  ou  la  compare  à la  nètre. 

Trois  individus  de  cette  Espèce,  qui  habitent  la  région  occidentale  et  l'intérieur  de  l'Afrique, 
ont  vécu  à la  Ménagerie,  l'un  en  1837-38,  un  autre  en  1819  (donné  par  M.  le  colonel  Bortin- 
Duchàlcau),  le  troisième  en  1852-53,  encore  vivant. 

Un  autre  individu  avait  antérieurement  été  observé  au  Muséum  par  Buffon , sous  la  fausse 
dénomination  d’Orang-Outan.  Il  est  constant  que  c’est  bien  du  Chimpanzé  qu’il  a voulu 
parler.  La  peau  et  le  squelette  qui  font  encore  partie  des  collections , ne  laissent  aucun  doute 
à ce  sujet.  « I.’Orang-Outan  que  nous  avons  vu , dit-il , marchait  debout  sur  ses  deux  pieds, 
même  en  portant  des  choses  lourdes  ; son  air  était  assez  triste , sa  démarche  grave , ses  mou- 
vements mesurés,  son  naturel  doux  et  Irès-difTérent  de  celui  des  autres  Singes.  Ig!  signe  et  la 
parole  suffisaient  pour  le  faire  agir.  Nous  avons  vu  cet  animal  présenter  la  main  pour  recon- 
duire les  gens  qui  venaient  le  visiter,  se  promener  avec  eux  et  comme  de  compagnie  ; nous 
l’avons  vu  s’asseoir  à table , déplorer  sa  serviette , s’en  essuyer  les  lèvres , se  servir  de  la 
cuiller  et  de  la  fourchette  pour  porter  à sa  bouche,  verser  lui-même  sa  boisson  dans  un  verre, 
le  choquer  lorsqu’il  y était  invité,  aller  prendre  une  tasse  et  une  soucoupe,  l’apporter  sur  la 
table,  y motlrc  du  sucre,  y vorser  du  thé,  le  laisser  refroidir  pour  le  boire,  et  tout  cola  sans 
autre  instigation  que  les  signes  ou  les  paroles  de  son  maître,  et  souvent  de  lui-même.  Il  no 
faisait  de  mal  à personne , s’approchait  même  avec  circonspection , et  se  présentait  comme 
pour  demander  des  caresses.  Il  aimait  prodigieusement  les  bonbons  : tout  le  monde  lui  en 
donnait,  et  comme  il  avait  une  toux  fréquente  et  la  poitrine  attaquée,  cette  grande  quantité 
de  choses  sucrées  contribua  sans  doute  à abréger  sa  vie.  Il  ne  vécut  à Paris  qu’un  été  et 
mourut  l'hiver  suivant  à Londres.  Il  mangeait  presque  de  tout;  seulement  il  préférait  les  fruits 


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141  DBIXIKME  PARTIR. 

mûrs  et  secs  à tous  les  autres  aliments.  Il  buvait  du  vin,  mais  en  petite  quantité;  il  le  laissait 
volontiers  pour  du  lait , du  thé  ou  d’autres  liqueurs  douces.  » 

Le  Chimpanzé  de  1837  était  un  animal  fort  doux,  assez  docile  et  très-intelligent;  mais  il 
n'avait  pas  été  aussi  bien  élevé  que  celui  de  l'intendant  du  Jardin  des  Plantes  ; et  quoiqu'il 
reçut  des  visites  des  personnages  les  plus  éminents , il  vivait  modestement  dans  une  des  tra- 
vées de  la  Rotonde,  n’ayant  fort  souvent  pour  toute  société  qu’un  chien  ou  un  chat. 

Au  rapport  de  M.  Broderip,  naturaliste  anglais,  un  jeune  Chimpanzé,  qui  a vécu  quelque 
temps  à Londres,  était  aussi  un  animal  fort  remarquable  par  son  intelligence. 

« Dès  qu’il  fut  devenu  un  pou  familier  avec  moi,  dit  ce  savant,  je  lui  montrai  un  jour,  en 
jouant , un  miroir,  et  je  le  mis  tout  à coup  devant  ses  yeux.  Aussitôt  il  fixa  son  attention  sur 
ce  nouvel  objet,  et  passa  subitement  de  la  plus  grande  activité  à une  immobilité  complète  : 
il  examinait  le  miroir  avec  curiosité,  et  paraissait  frappé  d’étonnement;  ensuite  il  me  regarda, 
puis  porta  de  nouveau  les  yeux  sur  la  glace,  passa  derrière,  revint  par  devant;  et  tout  en  con- 
sidérant son  image,  il  cherchait,  à l’aide  de  ses  mains,  à s’assurer  s’il  n’y  avait  rien  derrière 
le  miroir;  enfin  il  y appliqua  ses  lèvres.  Ln  sauvage,  d’après  les  récits  des  voyageurs,  ne  fait 
pas  autrement  dans  la  même  circonstance.  » 

Le  Chimpanzé  actuellement  vivant  à la  Ménagerie  est  jeune  et  de  petite  taille  ; il  est  timide 
et  extrêmement  doux;  la  cage  dans  laquelle  il  est  enfermé  est  de  dimension  assez  grande  et 
permet  d'observer  sa  démarche;  il  se  tient  rarement  debout  sur  les  deux  pattes  de  derrière,  et 
lorsqu’il  veut  aller  prendre  un  objet  qu’on  lui  présente  à l’autre  extrémité  de  sa  cage,  il  préfère 
saisir  une  corde  et  traverser  In  distance  par  un  saut  rapide  plutôt  que  de  courir  comme  le 
ferait  un  véritable  bipède. 

Genre  O RANG  ( Simia ).  — Oraxc.  bicolor  (Simia  bico'or) , — Isidore  Geoffroy-Sainl- 
Hilaire,  — de  Sumatra. 

Espèce  voisine,  mais  distraite  do  l'Orang-Oulan ; établie  d’après  un  individu  qui  a vécu  en 

1836-37. 

L’Orang-Oulan  n'a  été  vu  vivant  en  France  que  pendant  le  dix-neuvième  siècle.  Quatre 
individus  ont  été  amenés  à Paris  : 1°  une  jeune  femelle  de  Bornéo,  offerte,  en  1808,  à l'im- 
pératrice Joséphine  par  M.  Decaen,  et  qui  a fait  partie  de  la  ménagerie  de  la  Malmaison,  où 
elle  est  morte  cinq  mois  après  son  arrivée;  2°  un  autre  qu’on  montrait  dans  la  rue  Saint- 
André-des- Ares , en  1800  ; 3°  le  jeune  mâle  de  Sumatra , qu'on  a vu  au  Muséum  depuis  le 
mois  de  mai  1830  jusqu’au  commencement  de  janvier  1837,  époque  de  sa  mort;  4°  un  sujet 
également  jeune,  et  postérieur  au  précédent,  qui  appartenait  à la  direction  du  Cirque-Olym- 
pique. On  avait  d’abord  eu  l’intention  de  le  faire  jouer  avec  les  autres  singes  qu'on  a vus  sur 
ce  théâtre , mais  il  n’a  môme  pas  débuté. 

Tous  ces  Orangs  étaient  jeunes , ainsi  que  ceux  qu’on  a vus  en  Angleterre,  et  les  quatre  ou 
cinq  Chimpanzés  amenés  vivants  en  Europe.  L’intelligence  de  ces  animaux  est  des  plus  sou- 
ples, et,  dans  le  jeune  âge,  leur  caractère  se  distingue  par  une  douceur  et  une  gaieté  qu’on 
pourrait  appeler  enfantine.  Mais  il  n’en  est  pas  de  môme  des  adultes,  dont  la  brutalité  se 
développe  à l’égal  de  leurs  forces  physiques , et  les  rend  véritablement  indomptables.  Aussi 
n’en  a-t-on  jusqu’ici  conservé  aucun  vivant. 

Jack,  l’orang-outan  du  Jardin  des  Plantes,  était  remarquable  par  sa  douceur,  par  son  ama- 
bilité, et  par  un  mélange  de  manière#  à la  fois  gauches  ou  intelligentes,  selon  que  les  actes 
qu'on  voulait  lui  faire  accomplir  étaient  plus  ou  moins  en  rapport  avec  la  nature  de  son  orga- 
nisation. Il  aimait  beaucoup  à jouer,  surtout  avec  les  enfants , et  il  vivait  en  quelque  sorte 
familièrement  avec  son  gardien,  se  conformant  au  régime  du  petit  ménage  qui  l'avait  accueilli, 
et  subissant  tour  à tour  les  Téprimandes  ou  les  caresses  de  son  tuteur,  selon  qu’il  s’était 
bien  ou  mal  conduit.  Jouait-il  avec  brusquerie?  avait-il  été  gourmand?  ou  bien  essayait-il  de 
briser  les  vitres  de  son  logement,  ou  de  mordiller,  comme  un  jeune  chien,  les  personnes  qui 
le  visitaient?  Une  correction  sévère  lui  élait  administrée,  et  il  la  recevait,  sinon  de  bonne 


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MÉN  AOF.IUE.  — MAMMIFÈRES.  If, 

grâce,  du  moins  avec  résignation;  cachant  sa  figure  dans  ses  mains,  dès  qu’on  le  menaçait, 
et  versant  des  larmes  quand  on  employait  les  coups.  Il  grimpait  avec  facilité  à une  cordu 
placée  dans  son  logement.  Lorsqu'il  s'asseyait,  il  croisait  les  jambes  comme  le  font  les  Turcs 
et  les  tailleurs;  et,  dans  cette  attitude,  sa  physionomie  ressemblait  assez  bien  à celle  des  petites 
figurines  indiennes  appelées  magots  de  la  Chine. 

Il  mangeait  assez  proprement;  et,  suivant  la  nature  des  aliments,  il  se  servait  de  la  cuiller 
ou  de  la  fourchette.  Ici , comme  dans  presque  tous  ses  actes , on  reconnaissait  des  preuves  de 
son  intelligence.  Nous  n’en  citerons  qu’une  : un  jour,  on  lui  avait  apporté  pour  déjeuner  de  la 
salade,  que  sans  doute  il  trouvait  trop  vinaigrée;  l’idée  lui  vint  d’éter  un  peu  de  vinaigre  en 
frottant  la  salade  sur  les  poils  de  son  bras  ; mais  ce  moyen  ayant  été  infructueux , il  prit  les 
feuilles  et  les  pressa  l’une  après  l’autre  entre  les  plis  d’une  couverture  qui  lui  servait  de  tapis. 

Cet  animal  était  curieux  et  gourmand  ; les  nombreuses  corrections  de  son  gardien  n’avaient 
pas  tardé  à lui  montrer  qu’il  devait  être  un  peu  plus  réservé;  aussi  exécutait-il  ses  petits  coups 
lorsqu’on  ne  faisait  pas  attention  à lui.  Il  ne  pouvait  rester  seul  : le  voisinage  d’un  chien 
rendait  d’abord  son  isolement  moins  triste;  mais  il  s’en  fatiguait  promptement.  Il  lui  fallait 
la  société  des  hommes,  et  quoiqu’il  affectionnât  de  préférence  un  petit  nombre  de  personnes 
qu’il  voyait  fréquemment , il  se  liait  néanmoins  fort  aisément  avec  tout  le  monde. 

Les  Orangs  adultes  sont  essentiellement  tristes  et  paresseux , et  leur  démarche  a quelque 
chose  de  grave.  On  suppose  que  la  durée  de  leur  existence  ne  dépasse  pas  quarante  ou  cin- 
quante ans. 

Le  travail  de  la  dentition,  toujours  pénible  chez  les  animaux  captifs,  n’a  pas  permis  aux 
Orangs -Outan  que  l’on  a pu  se  procurer,  d’arriver  à l’âge  adulte.  11  en  est  ainsi  de  presque 
tous  les  Singes  de  nos  Ménageries  que  l’on  a pris  jeunes , et  même  de  beaucoup  d’autres  ani- 
maux. La  dentition  des  Orangs  et  des  autres  Singes  de  l’ancien  monde  suit  les  mêmes  phases 
que  celle  de  l’espèce  humaine. 

Genre  GIBBON  ( Hylobates ).  — Gibbon  cendré  {Hylobates  leuciscuê) , — Kühl, — 
de  Java  et  de  Sumatra. 

GinBON  en  deuil  ( Hyl . funcreus) , — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — (Espèce  établie  d’après 
cet  individu). 

Indépendamment  do  cos  deux  individus  qui  ont  existé  dans  la  Ménagerie,  on  en  a vu  un 
autre,  il  y a une  dizaine  d’années,  dans  un  des  cafés  du  boulevard  du  Temple,  à Paris, 
et  la  liberté  dont  on  le  laissait  jouir  permettait  au  public  de  constater  l’agilité  de  ses  mou- 
vements. Les  Gibbons  sont  construits  sur  le  même  modèle  que  les  Orangs.  Ils  sont  destinés, 
comme  ceux-ci,  à vivre  sur  les  arbres;  leurs  membres  antérieurs  sont  fort  longs,  et  les 
postérieurs  proportionnellement  assez  courts.  Ils  n’ont  pas  autant  d’intelligence  que  les  Orangs; 
mais,  en  grandissant,  ils  conservent  des  mœurs  plus  douces,  et  jamais  ils  ne  présentent  le 
caractère  brutal  do  ces  derniers.  Ce  sont,  en  somma,  des  animaux  fort  tristes,  et  dont  la 
démarche  à terre  est  assez  embarrassée  ; ils  ne  montrent  do  l’agilité  qu’en  grimpant  sur  les 
arbres  ou  en  s’élançant  d’un  point  à un  autre;  il  paraît  même  que  sous  ce  rapport  ils  sont 
bien  supérieurs  aux  Orangs.  Un  des  traits  dominants  de  leur  caractère  est  l’affection  qu’ils 
portent  à leurs  petits. 

On  n’a  encore  trouvé  d’Orangs  qu’à  Sumatra  et  à Roméo.  Les  Gibbons  existent  aussi  dans 
ces  deux  tics,  et  de  plus  à Java , à Célèbes,  etc.,  ainsi  que  sur  une  partie  du  continent  indien. 

Buffon  a observé  vivante  une  des  espèces  du  genre  Gibbon. 

Los  Singes  qui  précèdent  n’ont  pas  d’apparence  de  queue,  et  leurs  vertèbres  caudales 
constituent,  comme  chez  l’homme,  un  petit  coccyx  caché  sous  les  téguments.  Ce  caractère,  et 
quelques  autres  encore,  tels  quo  l’élargissement  de  leur  sternum,  la  forme  tuberculeuse  de  leurs 
dents  molaires,  etc.,  les  ont  fait  considérer  comme  les  plus  semblables  à notre  espèce  et 
nommer  anthropomorphes.  Linné  les  plaçait  même  dans  le  genre  Homme.  Après  eux,  nous 
devons  parler  des  autres  Singes  qu’on  voit  à la  Ménagerie,  et  d’abord  des  Semnopithéques. 

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MB  DEUXIÈME  PARTIE. 

SINGES  1)E  LA  DEUXIÈME  TRIBU 

Genre  SEMNOIMTHÈQIE. 

Ceux-ci  constituent  un  genre  assez  nombreux  en  espèces  propres  à l’Inde  et  à ses  Iles.  Il  y 
en  a aussi  en  Afrique,  sous  l'équateur;  mais  la  particularité  d’avoir  le  pouce  des  mains  de 
devant  très-court  ou  même  rudimentaire  et  caché  sous  la  peau,  les  avait  fait  distinguer  eu 
un  genre  particulier  sous  le  nom  de  Colobea.  Le  Doue,  le  Monique,  V Entelle,  etc.,  sout  des 
Semnopithèques.  Le  Guereza  d'Abyssinie,  et  quelques  autres  assez  peu  connus,  sont  des 
Colobes. 

La  Ménagerie  a possédé  deux  individus  appartenant  à ce  genre, 

Semnopithèqu f.  Entelle  ( Senmopit/iecus  Entelfua ),  — Frédéric  Cuvier,  — -de  l'Inde. 

Semn.  N fcr.RF.  (Semn.  Mourus) , — Frédéric  Cuvier,  — de  Java. 

L'En  tel  le  qui  vit  au  Bengale  est  un  de  ceux  que  les  Indous  révèrent,  et  dont  la  capture  est 
interdite.  On  a pu  cependant  en  observer  à l’état  de  captivité  des  sujets  jeunes  et  adultes. 
Fr.  Cuvier,  en  rappelant  les  modifications  que  l'âge  amène  dans  le  moral  de  ce  Singe  et  de 
la  plupart  des  autres  espèces  qu’il  a été  pos*ible  d’étudier,  s’exprime  ainsi  : 

« Pendant  sa  première  jeunesse , fEulelle  a le  museau  très-peu  saillant;  son  front  est  assez 
large  et  presque  sur  la  meme  ligne  que  les  autres  parties  de  lu  face,  le  crâne  est  élevé,  arrondi, 
et  renferme  un  cerveau  qui  le  remplit  entièrement.  A ces  traits  organiques  se  joignent  des 
qualités  intellectuelles  très-étendues;  une  étonnante  pénétration  pour  concevoir  ce  qui  peut 
lui  être  agréable  ou  nuisible,  d’oli  naît  une  grande  facilité  à l’apprivoiser  par  les  bons  trai- 
tements , et  un  penchant  invincible  à employer  la  ruse  pour  s’approprier  ce  qu’il  ne  pourrait 
obtenir  par  la  force,  ou  pour  échapper  à des  dangers  qu’il  ne  parviendrait  pas  â surmonter 
autrement.  Au  contraire,  l’Entelle  très-adulte  n’a  plus  de  front;  son  museau  a acquis  une 
proéminence  considérable,  et  la  convexité  de  son  crâne  ne  nous  présente  plus  que  l’arc  d’un 
grand  cercle,  tant  la  capacité  cérébrale  a diminué.  Aussi,  ne  trouve-t-on  plus  en  lui  les 
qualités  si  remarquables  qu'il  nous  offrait  auparavant  : l’apathie  a remplacé  la  pénétration  ; le 
besoin  de  la  solitude  a succédé  à la  confiance,  et  la  force  supplée  en  grande  partie  à l’adresse. 
Ces  différences  sont  si  grandes,  que,  dans  l'habitude  vicieuse  où  nous  sommes  de  juger  des 
actions  des  animaux  par  les  nôtres,  nous  prendrions  le  jeune  Entelle  pour  un  individu  de 
l’âge  oii  les  développements  les  plus  tardifs  sont  atteints,  où  toutes  les  perfections  morales  de 
l’espèce  sont  acquises,  et  où  les  forces  physiques  commencent  à s’affaiblir;  et  l’Entelle  adulte, 
pour  un  individu  qui  n'aurait  encore  que  sa  force  physique,  et  qui  n’obtiendrait  que  plus  tard 
celle  qui  est  destinée  à lu  diriger.  Mais  la  nature  n’agit  pas  ainsi  avec  ces  animaux , qui  ne 
doivent  point  sortir  de  la  sphère  étroite  où  ils  sont  destinés  à exercer  leur  influence.  Pour 
cela  il  suffit,  en  quelque  sorte,  qu’ils  puissent  veiller  à leur  conservation.  Or,  dans  ce  but, 
l’intelligence  était  nécessaire  quand  la  force  n’existait  point  encore;  dès  que  celle-ci  est  ac- 
quise , toule  autre  puissance  perd  son  utilité  ; et  en  effet , c’est  ce  que  nous  montrent  encore 
tous  les  Singes  : tant  qu’ils  sont  jeunes,  ils  rivalisent  presque  avec  l’homme  de  pénétration 
et  d’adresse;  et  dès  que  leurs  forces  musculaires  se  développent,  ils  deviennent  sérieux  et 
féroces.  En  esclavage  même,  plutôt  que  de  solliciter  du  geste  et  de  la  voix;  ils  exigent  en 
menaçant;  et  ou  lieu  de  la  liberté  turbulente,  mais  sans  danger,  dont  on  pouvait  les  laisser 
jouir,  il  faut  les  charger  «le  chaînes  pour  éviter  qu’ils  ne  se  livrent  à toute  leur  méchanceté. 
Et  ces  faits  n’ont  pour  cause  ni  la  gêne,  ni  rien  de  ce  qui  se  trouve  de  violent  dans  la  situation 
de  ces  animaux  renfermés  dans  nos  Ménageries.  Les  mêmes  observations  ont  eu  lieu  de  la 
part  de  tous  ceux  qui  ont  pu  étudier  les  Singes,  lâ  où  ils  jouissent  le  plus  de  leur  liberté.  » 

GENRE  MIOPITHÈQl’E  ( Miopithecm ).  — Miopithkque  Talapoin, — Le  Talapoin 
de  Buffon. 


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MÉNAGERIE.  — MAMMIFÈRES.  |1T 

I.a  Ménagerie  a possédé  trois  individus . deux  femelles  adultes  et  un  jeune  mâle , reçus  par 
la  voie  du  commerce,  et  qui  ont  permis  à M.  Isidore  Geoffroy-Saint-Hilaire  de  déterminer  ce 
genre  intéressant , sur  lequel  il  existait  des  doutes. 

GENRE  CERCOIMTIIÈQU  E (Cercopilhecus). — Cercopithéqi.  e M o n e (Cercopilhecus 
Mono),  — Erxleben,  — de  l'Afrique  occidentale. 

Orne.  Mono! or.  (Ccrc.  Honoides) , — Isidore  Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  la  câle  occi- 
dentale d’Afrique. 

Cet  individu,  donné  par  M"1'  la  princesse  do  Beauvau,  était  très-adulte  lorsqu’il  est  arrivé  à 
la  Ménagerie;  il  y a vécu  très- longtemps. 

C t ne.  Diane  (Cerc.  Diana),  — Erxleben,  — de  Guinée. 

Ccrc.  a diadème  [Cerc.  Leucampyx) , — J. -B.  Fish,  — de  Guinée. 

Cerc.  Hockeiir  (Cerc.  Niclilan»),  — Erxleben,  — de  Guinée. 

Cerc,  Moostac  (Cerc.  Cephus),  — Erxleben,  — de  l’Afrique  occidentale. 

Cerc.  Callitriciik  (Cerc.  CaUilrichus) , — Isid.  Geoffroy,  — de  l'Afrique  occidentale 
(ordinairement  rapporté  au  Simia  sabœi  de  Linné) . 

Cerc.  Werner  (Cerc.  Wemeri),  — Isid.  Geoffroy, — d'Afrique,  établi  d'après  les  indi- 
vidus de  la  Ménagerie. 

Cerc.  Grivkt  (Cerc.  Sabœus), — Isid.  Geoffroy,  — des  bords  du  Nil  Blanc  (véritable 
Simia  sabœa  do  Linné). 

Cerc.  roux-vert  (Cerc.  rufo-viridis) , — Isid.  Geoffroy, — d'Afrique,  établi  d’après  un 
individu  qui  a vécu  à la  Ménagerie. 

CEnc.  Vervet  (Cerc.  Pygerytlirus) , — Fr.  Cuvier,  — de  l'Afrique,  è tabli  d’après  un  in- 
dividu de  la  Ménagérie. 

Cerc.  Malbrouck  (Cerc.  Cynosurm),  — Erxleben,  — de  l'Afrique  occidentale. 

Cerc.  Patas  (Cerc.  Itubcr),  — Erxleben,  — du  Sénégal. 

Cerc.  a dos  rouge  ou  N isnas.  (Cerc.  Pyrrhonolus) , — Ehrenberg,  — de  Nubie. 

Deux  individus  de  cetto  rare  espèce  font  partie  du  magnifiquo  envoi  récemment  fait  d’Égypte 
par  M.  Delaporte. 

On  voit  par  la  liste  des  individus  qu'a  possédés  la  Ménagerie  combien  ce  genre  lui  fournit 
d'hètes  intéressants.  La  plupart  s'acclimatent  facilement,  grâce  aux  soins  dont  ils  sont  en- 
tourés; quelques-uns  se  sont  reproduits,  le  Grivct  notamment;  trois  individus  sont  nés  à la 
Ménagerie  : l’un,  en  1837,  et  pour  la  première  fois  en  Europe,  a vécu  deux  mois;  le  second, 
en  1838,  et  a vécu  trois  mois;  le  troisième,  en  1840,  et  a vécu  dix  mois.  Nous  vous  ferons 
remarquer  que  c’est  grâce  à la  possession  do  ces  individus  vivants  que  Fr.  Cuvier  et  M.  Isid. 
Geoffroy  - Saint  - Hilaire  ont  pu  établir  des  genres  et  éclaircir  des  doutes  que  regrettait  la 
science. 

Genre  CERCOCÈBE  (Cercocebus).  — Cercocêbk  a collier  (Cercocebut  coltaris), 
— Gray,  — d'Afrique. 

Cebc.  enfumé  ou  Margaret  (Cerc.  fuliginosus),  — Isid.  Geoffroy-Saint-Hilaire, — 
d'Afrique. 

Celte  espèce  s’est  reproduite  à la  Ménagerie  en  1827,  mais  la  mère  a,  aussitôt  la  naissaucc, 
dévoré  la  tête  de  son  petit. 

Cerc.  d'Éthiopie  (Cerc.  Æthiops), — Linné,  — d’Afrique. 

Espèce  confondue  avec  les  précédentes. 

La  Ménagerie,  qui  en  avait  eu  ur  individu  assez  anciennement,  en  possède  deux  magni- 
fiques en  ce  moment. 

Genre  MACAQUE  (Macacus).  — Macaque  ordinaire  ( Nacacus  cynomolgus),  — 
Dcsmar,  — de  l’Asie  orientale. 

S'est  reproduit  à la  Ménagerie;  et  par  croisement  aussi  avec  le  Macaque  couronné. 

Mac.  roux  doré  (4 far.  aureus),  — Isid.  Geoffroy. 


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148 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Mac.  des  Philippines  (Albinos). 

.Mac.  Bonnet  chinois  (Mac.  sinicut), — lsid.  Geoffroy,  — Simia  tinica  de  launé. 

Mac.  couronné  (Mac.  pibatus),  — lsid.  Gooffroy,  — Simia  pibala  de  Shau. 

Mac.  Rhésus  ( Mac.  Erylhrœus),  — lsid.  Geoffroy,  — Simia  Erythrœa,  — du  continent 
de  l'Inde. 

S’est  reproduit  à la  Ménagerie. 

Mac.  Maimon  ou  Singe  a queue  de  Cochon  (Mac.  Semestrinus) , Desmar.,  — 

de  Sumatra. 

S'est  reproduit  à la  Ménagerie. 

Mac.  Ouanderou  (Mac.  Silenus),  — Desmar.,  — cite  de  Malabar. 

Les  Macaques  se  reconnaissent  & leurs  formes  lourdes;  leur  oreille  n'est  pas  bordée,  et  elle 
commence  à devenir  angulaire  dans  la  partie  supérieure.  Leur  queue  est  plus  ou  moins 
longue , quelquefois  à peine  visible  ; niais  dans  le  premier  cas  toujours  traînante , et  ne  su 
relevant  pas  au-dessus  du  dos,  comme  chez  les  Cercopithèques  elles  Semnopilhéques. 

Les  Macaques  sont  communs  en  Europe , et  il  n'est  pas  rare  d'en  voir  entre  les  mains  des 
lietits  Savoyards,  qui  font  métier  de  l’intelligence  et  do  la  singularité  de  différents  animaux. 

L’Ouandcrou  a un  aspect  tout  particulier,  et  le  nom  de  Silenus,  qui  lui  a été  donné  par 
Linné,  exprime  parfaitement  sa  longue  chevelure,  en  partie  composée  de  poils  gris  ot  com- 
parable à colle  d’un  vieillard  de  joyeuse  compagnie. 

Le  Rhésus  n’est  pas  non  plus  extrêmement  rare;  c'est  un  des  Macaques  lus  plus  forts  et  les 
plus  laids. 

Genüe  MAGOT  P1THËQUE  (Intau pithecus). — Magot (lumis Syl  vanta) , — Geoffroy- 
Saint-Hilalre. 

Ce  Singe  est  celui  qu'a  disséqué  Galien , et  d'après  lequel  les  anciens  ont  connu  par  ana- 
logie la  structure  physiquo  de  l'homme.  C'est  à tort,  ainsi  que  l'a  remarqué  M.  de  Blainvillc, 
que  Camper,  célèbre  naturaliste  hollandais,  avait  rapporté  à l'Orang  la  description  anato- 
mique faite  dès  le  deuxième  siècle  par  le  professeur  d'Alexandrie,  et  qui,  jusqu'au  temps  de 
Vésalo,  a été  la  seule  que  les  médecins  apprissent.  Lo  Magot  vil  sur  les  rochers  les  plus 
escarpés  de  la  Barbarie.  Il  y en  a aussi  quelques-uns  sur  la  montagne  de  Gibraltar;  mais 
rien  ne  démontre  que  ce  no  soient  pas  des  individus  échappés  à la  captivité.  Les  Singes  de 
cette  espèce  manquent  de  queue , comme  ceux  des  trois  premiers  genres  ; ils  sont  fort  intel- 
ligents cl  susceptibles,  surtout  dans  le  jeune  Age,  d'une  éducation  assez  étendue. 

Genre  CYNOPITHÈQUE  (Cynopilhecus  niger).  — Cynopitiièque  nègre  (Cyno- 
pithecus  niger),  — lsid.  Gooffroy. 

la)  Cynopithéque  nègre,  qu’on  n'a  vu  qu’une  seule  fois  à Paris,  a pour  caractère  d'être 
entièrement  noir  et  de  manquer  de  queue.  Ce  curieux  animal  a quelque  chose  des  Gibbons  et 
du  Chimpanzé.  Il  semble  aussi  plus  intelligent  que  la  plupart  de  ses  congénères,  et  sa  phy- 
sionomie, ses  oreilles  même,  qui  soûl  presque  complètement  bordées  comme  celle  do  l’Orang, 
expriment  extérieurement  la  supériorité  de  sa  nature  morale. 

GENRE  CYNOCÉPHALE  (Cynoccphalus).  — Cynocéphale  Hamadryas  (Cynocc- 
phalus  Hamadryas) , — Desmar.,  — d’Abyssinie,  Égypte  et  Arabie. 

Cynoc.  Babouin  ( Cynoc . Bnbuin ) , — Desmar.,  — du  nord-est  de  l’Afrique. 

Cynoc.  Anubis  (Cynoc.  Anubis),  — Fréd.  Cuvier. 

Cynoc.  Papion  (Cynoc.  Sphinx),  — du  Sénégal. 

S'est  reproduit  plusieurs  fois  à la  Ménagorie,  et  par  croisement  avec  le  Chacma. 

Cynoc.  Chacua  (Cynoc.  Porcarius),  — Desmar,,  — de  l’Afrique  australe. 

Cynoc.  Drill  (Cynoc.  Leucophma) , — Fréd.  Cuvier,  — d'Afrique. 

Cette  espèce  a été  distinguée  du  Mandrill  par  Fréd.  Cuvier,  et  d’après  les  observations  qu'il 
a pu  faire  sur  les  individus  vivants  & la  Ménagerie. 

Cynoc.  Mandrill  (Cynoc.  Mormon)',  — de  Guinée. 


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H9 


MÉNAGERIE.  - MAMMIFÈRES. 

Les  Cynocéphales  ont  la  queue  pendante , mais  légèrement  relevée  à sa  base  ; leurs  narines 
sont  tout  à fait  terminales,  et  donnent  à leur  tête  l’apparence  d'une  tête  de  Cochon  ou  mémo 
de  Chien , ce  qu’on  a voulu  exprimer  par  le  mot  cynocéphale.  Si  l’on  considère  seulement  la 
manière  de  vivre  de  ces  Singes,  la  première  de  ces  dénominations  leur  convient  beaucoup 
mieux  que  la  seconde,  car  ils  sont  sales  et  grossiers  au  dernier  point.  Ils  nous  viennent 
d’Afrique.  Le  plus  commun  est  le  P a pi  on  de  la  haute  Égypte.  Il  est  verdâtre  et  tiqueté  de 
jaune;  ses  formes  sont  trapues,  sa  queue  est  assez  longue,  mais  ne  touche  pas  le  sol  quand 
l'animal  est  en  marche.  On  le  distingue  du  Babouin,  qui  est  plus  jaunâtre,  et  du  Chacma, 
espèce  des  environs  du  cap  de  Bonne-Espérance,  et  dont  l'aspect  a quelque  chose  d’effrayant. 
L’IIamadryas  parait,  au  contraire,  plus  doux;  il  est  en  effet  plus  facile  à apprivoiser.  Dans 
les  mâles  adultes,  les  poils  sont  fort  agréablement  mouchetés  de  cendré,  et  ceux  de  la  tète  et 
du  thorax  forment  une  sorte  de  crinière  qui  coiffe  l’animal  comme  d’une  ample  perruque. 
L’Arabie  est  la  patrie  de  ce  Singe,  et  les  bateleurs  égyptiens  le  mènent  fréquemment  avec 
eux.  Quatre  Hamadryas,  d’âge  et  de  sexe  différents,  ont  vécu  à la  Ménagerie. 

Les  Singes  ont  été  fort  souvent  représentés  sur  les  monuments  égyptiens.  Leur  cri  ordi- 
naire, ainsi  que  celui  des  autres  Cynocéphales,  est  un  grognement  assez  facile  à imiter.  Quand 
ils  sont  en  colère,  leur  voix  devient  forte  et  retentissante.  Quelques-uns  reconnaissent,  après 
les  avoir  depuis  longtemps  perdues  de  vue , les  personnes  qui  leur  ont  anciennement  donné 
des  soins. 

La  Singerie  nourrit  aussi,  et  presque  constamment,  des  Singes  de  l’espèce  des  Man- 
drills, habitant  la  cèle  de  Guinée.  Ils  reproduisent  parmi  les  Cynocéphales  la  particularité 
remarquable  d’une  queue  très-courte , particularité  également  offerte  par  quelques  espèces  du 
genre  Macaque. 

Les  Mandrills  sont  surtout  singuliers  par  la  vivacité  des  couleurs  de  leur  face  et  de  quelques 
autres  parties  de  leur  corps.  On  n’en  possède  guère  que  des  jeunes  ; les  adultes  sont  d’une 
brutalité  incorrigible. 

Le  Drill  en  est  très-voisin  sous  tous  les  rapports,  mais  il  est  plus  rare;  le  premier  de 
ceux  qu'ont  observés  les  naturalistes  français  appartenait  à un  montreur  d’animaux  ; il  a été 
décrit  avec  soin  par  Fréd.  Cuvier.  La  seule  espèce  connue  de  Cynocéphale  qu’on  n’ait  pas 
encore  possédée  vivante  est  celle  que  M.  Ruppel , de  Francfort , a trouvée  sur  les  montagnes 
boisées  de  l’Abyssinie,  et  qu’il  appelle  Cynocephalus  Gelada. 

La  Singerie  a nourri  un  joli  Papion  d’Afrique,  remarquable  par  ses  formes  élancées  et  par 
la  teinte  jaunâtre  de  son  pelage.  C’est  une  espèce  bien  différente  de  celles  qu’on  connaît  et 
qui  ressemble  nu  Babouin.  Elle  a été  figurée  dans  les  vélins  de  la  collection  du  Muséum. 

Le  genre  des  Cynocéphales  est  le  dernier  de  la  première  famille  des  Singes  Pithèques , qui 
comprend  tous  les  Singes  de  l’Afrique  et  do  l'Asie.  Le  Maroc  et  le  Japon  sont,  do  l'ouest  à 
l’est,  les  points  extrêmes  où  l’on  en  connaisse;  et  dans  la  Malaisie,  il  n'y  en  a plus  au  sud,  à 
partir  de  la  Nouvelle-Guinée.  La  Nouvelle-Hollande,  la  Tasmanie  et  la  Nouvelle-Zélande  en 
manquent  également. 


SINGES  DE  LA  TROISIÈME  TRIBU 


En  Amérique,  il  existe  des  Singes  depuis  le  Mexique  jusqu'au  Paraguay.  Mais  leurs  ca- 
ractères ont  dû  les  faire  considérer  comme  appartenant  à une  autre  famille  que  les  Singes 
d'Afrique  et  d’Asie,  et  on  leur  donne  communément  le  nom  de  Sapajous,  en  latin  Ceints, 
par  opposition  à celui  de  Pithèques  ( Pithecus ),  que  reçoivent  les  précédents.  Les  Sapajous  se 
partagent  en  plusieurs  genres.  Captifs  dans  nos  Ménageries , ils  témoignent  une  intelligence 
moins  variée  que  les  Pithèques  ; en  revanehe,  ils  sont  plus  doux  et  plus  confiauts,  et  leur  Age 


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tiO  DEUXIÈME  PARTIE. 

adulte  n'est  pas  caractérisé , comme  cira  ceux-ci,  par  une  humeur  rétive.  Ils  s'attachent 
facilement  et  savent  reconnaître , par  leur  amabilité , la  protection  qu'on  leur  accorde  ; mais 
ils  sont  généralement  assez  malpropres.  Ils  ont  plus  de  goût  pour  les  insectes  que  n'en  ont 
les  Singes  de  l’ancien  monde  ; ils  aiment  aussi  les  fruits , les  légumes  et  le  laitage. 

GENRE  ATÈLE  [Aleles).  — Atèlk  Coaita  (Aleles  Paniscus) , — Geoffroy  - Saint  - 
Hilaire , — de  la  Guyane , du  Brésil  el  du  Pérou. 

At.  Pentaoactyle  (A.  Penladaclylus) , — Geoffroy-Saint-llilairc, — de  la  Guyane  el 
du  Pérou.  • 

At.  a rnosT  blanc  (A.  Marginalus) , — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — au  Brésil. 

At.  Cavou  (A.  Afcr) , — Frédéric  Cuvier,  — de  la  Guyane. 

At.  Belzebuth  (A.  Beliebuth ), — Gcoffroy-Saint-llilaire, — de  la  Guyane  et  du  Pérou. 

At.  aux  Mains  noibes  (A.  Melanochlr) , — Dosmar. 

At.  .Métis  (A.  Hybrides),  — Isidore  Geoffroy,  — de  Colombie. 

Les  Atéles  sont  des  especes  de  Sapajous,  remarquables  par  la  disproportion  apparente 
do  leur  corps , comparé  A leurs  membres  et  A leur  queue.  Ils  s'accrochent  mieux  que  les  pré- 
cédents au  moyen  de  cette  queue,  qui  est  terminée  par  une  sorte  de  doigt  préhensihle.  Leur 
naturel  est  doux , et  ils  no  manquent  pas  do  pénétration;  mais  ils  sont  tristes  et  comme  souf- 
frants dans  la  loge  où  on  les  tient.  Dans  les  bois , nu  contraire,  ces  animaux  déploient  la  plus 
grande  agilité,  el  ils  ont,  A un  plus  haut  degré  que  les  Gibbons,  la  faculté  do  s'élancer  d’arbre 
en  arbre  avec  une  extrême  rapidité. 

Gbnrk  Sajou  ou  Sapajou  (Cebus). — Sajou  brun  (Cebus  apella) , — Erxleben, 
de  la  Guyane. 

S.  VARIÉ  ( C.  Variegatus) , — Gcoffroy-Saint-llilaire , — du  Brésil. 

S.  A pieds  dorés  ou  Ciirysope  ( Cebus  Chrysopus) , — Cuvier. 

S.  a toupet  (C.  Cirrifer) , — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — du  Brésil  el  de  la  Guyane. 

S.  A toubrube  (C.  Vellerosus),  — Isidore  Geoffroy,  — du  Brésil. 

S.  coirrÉ  (C.  Fronlatus) , — Dosmar.,  — de  l'Amérique  méridionale. 

S.  élégant  (C.  E/egans) , — Isidore  Geoffroy,  — du  Brésil  et  du  Pérou. 

S.  barbu  (C.  Barbatus),  — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  la  Guyane. 

S.  c apucin  (C.  Capucimis) , — Erxleben , — de  la  Guyane  et  du  Brésil. 

S.  A gorge  blanche  (C.  Ilypoleuns) , — Geoffroy-Saint-Hilaire , — de  la  Guyane. 

Ces  singes , caractérisés  par  leur  queue  prenante,  mais  non  pas  dénudée  A son  extrémité , 
présentent  de  nombreuses  variétés  de  coloration. 

Les  Sajous  apprennent  assez  facilement  différentes  sortes  d’exercices,  et  ce  sont  parmi  les 
singes  savants  que  l’on  voit  avec  les  montreurs  d’animaux  ceux  qui  amusent  davantage  le 
public. 

Genre  SAIMIItl  (Saimiris).  — Saimiri  Sciurin  ( Saimiris  Sciureus),  — Isidore 
Geoffroy,  — du  Nord  de  l'Amérique  méridionale. 

La  présence  A la  Ménagerie  de  ce  joli  petit  singe  a été  d’autant  plus  remarquable  qu'il  est 
très-difficile  de  l’amener  vivant  en  Europe  ; sa  gentillesse  et  sa  douceur  sont  célébrées  avec 
raison  par  les  naturalistes;  son  crâne  est  remarquable  par  sa  grandn  capacité;  c'est  surtout 
dans  le  diamètre  antéro-postérieur  et  non  en  élévation  que  ce  développement  est  sensible. 

Genre  NYCTIPITIIÈQUE  (Nyctipithecus).  — Nyctipitiièque  peliv  ( Nyelipi - 
lliecus  felinus) , — Spix , — de  Bolivie. 

GENRE  CALLIT RICHE  ( Callilhrix ). — Callitriche  moloch  ( Callithrix  mo- 
loch) , — Hoffman , — du  Brésil. 

GENRE  SAK1  (Pithecia).  — Saki  satanique  (Pithecia  Satanas) , — Hoffmann, — 
du  Brésil. 

Genre  TAMARIN  ( Midas ).  — Tamarin  nègre  ! Midas  urstihis),  -Geoffroy-Saint- 
Hilaire,  — du  Brésil. 


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MÉNAGERIE.  — MAMMIFÈRES. 

Tamaris  aux  mains  housses  (Midas  Rufimanus), 

T.  Ma  ni  k ISA  (Midas  llosalia) , — Geoffroy -Saint-Hilaire,  — du  Brésil. 

T.  Pinchf.  (M.  Ot'dipus) , — Geoffroy-Saint-llilaire,  — de  la  Guyane  el  de  la  Colombie. 

G E N il  K OUISTITI  (Hapalo). — Ouistiti  oiidinaihe  (Jacchus  vulgaris) , — Geof- 
froy-Saint-Hilaire , — du  Brésil. 

Ouistiti  a pinceaux  soirs  (Hapale  peniciUnta) , — U.  Ayner,  — du  Brésil. 

Les  Ouistitis  sont  un  groupe  de  Primates  également  américains,  et  dont  les  espèces,  les 
plus  petites  parmi  los  Siuges,  rappellent,  par  leurs  mœurs  et  leur  agilité,  le  genre  de  vie  des 
Écureuils. 

On  remar<|uera  surtout,  à l'occasion  des  Ouistitis,  combien  est  peu  général  le  caractère  qui 
avait  fuit  apjieler  Quadrumanes  l'ordre  des  mammifères  dans  lequel  se  placent  ces  animaux. 
Leurs  ongles  ne  sont  pas  aplatis  comme  ceux  des  autres  Singes , et  ressemblent  plutôt  à de 
petites  griffes;  aussi  s'en  servent-ils  pour  grimper  aux  arbres. 

Les  Ouistitis  ont  moins  d'intelligence  que  les  uulres  Primates,  et,  sous  ce  rapport,  ils  se 
rapprochent  jusqu’à  uu  certain  point  des  Écureuils. 

L’Ouistiti  à pinceaux  a plusieurs  fois  reproduit  à Paris,  et  c'est  un  des  Singes  que  l’on  con- 
serve lo  plus  aisément  en  cage.  Dans  un  des  couples  qui  ont  offert  celle  particularité,  et  qu’on 
a pu  observer  à loisir,  le  mâle  et  la  femelle  prenaient  également  soin  de  leurs  petits.  Les  Ouis- 
titis sont  fort  attentifs  à tout  ce  qui  se  passe  autour  d’eux;  mais  chez  eux,  c'est  plutôt  mé- 
fiance que  curiosité.  Leurs  granits  yeux,  la  vivacité  do  leurs  regards  semblent  bien  indiquer 
un  certain  jugement , et  cependant  leur  intelligence  est  très-limitée,  On  assure  même  qu'ils  ne 
reconnaissent  pas  les  personnes  qui  les  nourrissent,  et  ils  les  menacent  de  leurs  morsures  aussi 
bien  que  celles  qu’ils  voient  pour  la  première  fois.  Ces  petits  animaux  sont  très-irascibles; 
quand  on  les  taquine,  ils  poussent  des  cris  aigus. 

Les  Ouistitis  el  les  Sapajous  des  différents  genres  ont  pour  caractères  communs  l'écartement 
de  leurs  narines,  la  longueur  de  leur  queue  et  l’absence  des  callosités  ischiatiqucs  que  présen- 
tent tous  les  Singes  de  l’ancien  monde , à l’exception  des  Orangs  et  des  Chimpanzés , et  sur 
lesquelles  ces  animaux  s’asseoient. 

Aucuno  espèce  de  Sapajou  ne  s’est  encore  multipliée  à la  Ménagerie , et  l'on  a cru  qu'il 
fallait  en  accuser  la  faiblesse  de  leur  tempérament  et  la  difficulté  avec  laquelle  ils  supportent 
les  nombreuses  variations  de  notre  température.  Cependant  un  couple  de  ces  animaux  a re- 
produit , sous  le  mémo  climat , dans  une  des  propriétés  de  M.  le  duc  de  Luxembourg.  Ces 
Sajous  n’avaient  qu'un  seul  petit.  Lo  fait  de  la  multiplication  est  moins  rare  chez  les  .Singes 
d’Asie  ou  d’Afriquo,  et  on  a obtenu  des  petits  dans  plusieurs  des  genres  de  ces  animaux.  Les 
Papions,  qui  sont  des  Cynocéphales,  le  Maimon  et  le  Rhésus  , du  genre  Macaque,  ainsi  que 
le  Macaque  commun,  et  même  In  Guenon  grive! , ont  produit,  bien  que  captifs  et  éloignés  de 
leurs  pays.  Une  même  femelle  de  cette  dernière  espèce  a ou  trois  portées  successives.  Les 
jeunes  singes  sont  fort  débiles  au  moment  de  leur  naissance , et  la  mère , qui  a |iour  eux  une 
grande  affection,  les  tient  fort  longtemps  suspendus  à son  mamelon,  et  cramponnés  à son 
corps.  Chaque  portée , chez  les  Singes  de  l’ancien  monde , n’est  que  d’un  seul  petit.  Il  est  dif- 
ficile d’élever  ceux  qu’on  obtient  ainsi , et  pourtant  une  femelle  de  Macaque,  née  à la  Méua- 
gerie  en  1823,  y a vécu  jusqu’on  1831.  lin  Rhésus,  né  dans  le  même  établissement,  a atteint 
l'âge  de  4 ans. 


A la  Singerie,  les  habitations  particulières  constituent  autant  de  petits  compartiments, 
ayant  vue  sur  le  couloir  intérieur  et  sur  la  grande  cage  exposée  à l’air  libre  et  dans  laquelle, 
si  la  saison  le  permet , les  Singes  sont  à peu  près  mis  en  liberté.  Le  Sajou  d’Amériquo  et  le 
Mandrill  de  Guinée , le  Macaque  ou  le  Semnopithèque  de  l'Inde , et  le  Maki  de  Madagascar, 
vivent  «lors  tous  en  commun.  Il  y a bien,  de  temps  à autre,  quelque  dispute,  quelque  bataille 


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152  l)Kl  XlfeMK  PAHTIK. 

même,  mais  peu  d'effusion  de  sang;  car  on  a soin  de  tenir  en  chartre  privée  les  individus  qui 
aiment  trop  à faire  sentir  la  supériorité  do  leur  force.  Ces  espèces  de  récréations  générales 
sont  un  spectacle  a la  fois  gravo  et  burlesque  qu’on  observe  toujours  avec  la  même  curiosité, 
mais  dont  nous  ne  saurions  donner  par  la  parole  qu'une  idée  trop  insuffisante.  Quand  un 
nouvel  hôte  arrive  à la  Singerie,  il  serait  imprudent  de  le  lécher  de  prime  abord  au  milieu  de 
la  troupe  entière  ; il  est  nécessaire  qu’il  s’accoutume  à quelques-uns  de  ses  nouveaux  com- 
pagnons, et  qu’il  prenne  ainsi  les  allures  de  l’endroit.  On  a vu  des  Singes  que  les  tracasseries 
d’une  première  réception  avaient  effrayés  au  point  de  les  faire  fuir  au  sommet  d’une  de  leurs 
cellules  où  ils  ne  tardaient  pas  à mourir  de  peur  ou  d’abstinence. 

Quelques-uns  de  ces  animaux  vivent  assez  longtemps  en  cage , et  il  en  est  qui  ont  supporté 
jusqu’à  douze  ou  quinze  années  de  captivité,  même  avant  la  construction  du  nouveau  bâti- 
ment. Mais,  pour  la  plupart,  ils  sont  moins  heureusement  constitués,  et,  après  un  temps  qui 
est  ordinairement  beaucoup  moins  long,  ils  succombent  à des  maladies  de  poitrine  ou  d’intes- 
tins, Le  froid  leur  est  surtout  nuisible,  et  en  hiver  ils  sont  pris  quelquefois  de  coliques  violentes, 
qui  les  emportent  en  peu  de  jours.  L'autopsie,  dans  ce  cas,  démontre  assez  souvent  la  lésion 
connue  sous  le  nom  d'invagination  des  intestins.  Le  soin  que  l'administration  du  Muséum 
met  à tenir  les  cages  de  la  Singerie  constamment  habitées , en  remplaçant  par  de  nouveaux 
vonus  toutes  les  malheureuses  victimes  de  notre  climat , tient  les  pertes  à peu  près  indiffé- 
rentes; et  les  collections  de  zoologie  et  d'anatomie  s'en  partagent  avantageusement  les 
dépouilles. 

lii  vieux  Sajou  qui  a vu  l’ancien  et  le  nouveau  local  a laissé  des  souvenirs  intéressants.  Il 
avait  hérité  du  nom  de  Jack  que  portait  l’Ornng-Outan.  C’était  le  plus  intelligent  de  tous  les 
Sapajous  : passuil-on  sans  s’arrêter  devant  si  cage , lorsqu’on  avait  quelquos  gâteaux  â la 
main , il  appelait  en  frappant , jusqu’à  ce  qu’on  eût  satisfait  à son  désir.  Si  on  lui  donnait  des 
noisettes , et  qu’il  no  pût  les  casser  avec  ses  dents,  à cause  de  l’épaisseur  du  bois , il  prenait 
une  boule,  et  bientôt  la  coque  était  brisée.  Ce  Singe  n’était  pas  moins  curieux  à voir  lorsqu’on 
lui  avait  donné  une  de  ces  allumettes,  aujourd’hui  si  usitées  sous  le  nom  de  chimiques  alle- 
mandes. Il  la  frottait , l’allumait  et  la  tenait  entre  ses  doigts  sans  s’effrayer  du  bruit  ou  de  la 
lumière. 

Nous  nous  contenterons  d’emprunter  aux  Mémoires  de  la  baronne  d’Oberkich  un  exemple 
de  la  facilité  avec  laquelle  les  Singes , en  général , reproduisent  les  aclions  qu’ils  ont  vu 
exécuter  : 

« Vers  la  fin  du  siècle  dernier,  Mm*  la  princesse  de  Chimay  avait  un  jeune  Singe  du  genre 
des  Sajous , et  elle  l’aimait  beaucoup.  Ce  petit  animal  parvint  à casser  sa  chaîne  et  à s’enfuir 
sans  que  personne  y prît  garde.  Il  couchait  dans  un  cabinet,  derrière  la  chambre  de  la  prin- 
cesse, en  compagnie  d’une  chienne  bichonne  aussi  petite  que  lui.  Ils  vivaient  en  parfaite 
intelligence , ne  se  battaient  jamais , à moins  qu’il  n’y  eût  quelque  amande  ou  quelque 
pistache  à partager.  Le  Singe , tout  heureux  de  sa  liberté , en  usa  d’abord  sobrement , à ce 
qu’il  paraît,  car  il  se  contenta  de  verser  de  l’eau  dans  l’écuelle  de  sa  compagne  et  d’en 
inonder  le  tapis.  Enhardi  bientôt,  il  s'aventura  dans  la  chambre  voisine,  et  pénétra  enfin 
dans  le  cabinet  de  toilette  qu’il  connaissait  parfaitement;  on  l'y  amenait  tous  les  jours,  et  la 
belle  toilette  de  vermeil  de  la  princesse  faisait  depuis  longtemps  l’objet  de  sa  convoitise.  On 
peut  juger  de  sa  joie  : ce  fut  un  bouleversement  complet  do  boîtes,  do  houppes  à poudre,  de 
peignes  et  d’épingles  à friser.  Il  ouvrit  tout , répandit  toutes  les  essences , après  avoir  eu  le 
soin  de  s’en  parfumer.  Il  se  roula  ensuite  dans  la  poudre,  minauda  devant  le  miroir,  et  ravi 
de  sa  transformation,  il  la  compléta  en  s’appliquant  dû  rouge  et  des  mouches,  ainsi  qu’il 
l’avait  vu  faire  à sa  maîtresse  ; il  est  inutile  de  diro  que  lo  rouge  fut  mis  sur  le  nez  et  les 
mouches  à tort  et  à travers.  Pour  compléter  sa  parure,  il  se  fit  un  pouf  avec  une  manchette, 
et  cet  ajustement  complété,  il  se  précipita  dans  la  salle  à manger  au  milieu  du  souper,  au 
moment  où  on  s'v  attendait  le  moins,  sauta  sur  la  table  et  courut  vers  sa  maîtresse. 


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MÉN  AC, ERIK.  — M AM  Ml  PÈRES.  |5ï 

« Les  dames  poussèrent  dos  cris  affreux  et  s’enfuirent,  pensant  que  le  diablo  en  personne 
était  venu  les  visiter,  i.a  princesse  elle-même  eut  de  la  peine  à reconnaître  son  favori  ; mais 
lorsqu'elle  se  fut  assurée  que  c'était  bien  Almantor,  lorsqu’elle  le  montra  assis  è côté  d'elle, 
enchanté  île  sa  parure  et  faisant  le  beau , les  rires  chassèrent  la  frayeur,  et  ce  fut  bientôt  à 
qui  lui  donnerait  des  gimblettcs  et  des  avelines.  » 


IIe  Famille  — LES  LEMURIDÉS  - LEMURIDÆ 


Nous  ne  quitterons  pas  la  Singerie  sans  parler  des  Makis  ou  Lémuriens  (genre  Lctnur  de 
Linné) , qui  sont  les  derniers  des  Primates.  Ces  animaux  sont  à peu  près  nocturnes  : assez 
indolents  pendant  le  jour,  ils  montrent,  au  contraire,  pendant  la  nuit , et  surtout  au  crépus- 
cule, une  grande  activité.  Ils  viennent  de  Madagascar.  La  Ménagerie  en  a déjà  reçu  différentes 
espèces. 

Genre  MAKI.  — Maki  a front  blanc  (Lcnwr albifrom) , — Geoffroy-Saint-Hilaire, 
— de  Madagascar. 

M.  Mo  coco  (L.  Catta ),  — Linné,  — de  Madagascar. 

M.  rouge  {L.  ruber) , — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  Madagascar. 

M.  a fraise  (I.  col/aris ),  — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  Madagascar. 

M.  a front  noir  {L.  nigrifrons) , — Geoffroy-Saint-Hilaire , — de  Madagascar. 

M.  Mon  go  us  (L.  Mongol),  — Linné,  — de  Madagascar. 

M.  Va  ri  ( L . Varius ),  — Isid.  Geoffroy,  — de  Madagascar. 

GENRE  CHEIIIOGALE  (Cbeirogaleus), — Geoffroy-Saint-Hilaire.  — Chf.irogale  de 
Milius  ( Cbeirogaleus  Milii),  — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  Madagascar. 

Genre  N Y C T I C K B K (A yclkebus), — Geoffroy-Saint-Hilaire.  — Nycticèbe  de  Java 
(A ’gcticebus  Javanicus),  Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  Java. 

Genre  LOUIS.  — Loris  crêle  ( Loris  gracifis) , — Geoffroy-Saint-Hilaire,  — de  l'Inde 
et  de  Ceylan. 

G E N R K M I C II O C K H E ( Microcebus  ) . — M icrocëbf.  roux  ( Microcebus  ru  fus  ) , — 
Schinz , — de  Madagascar. 


CARNASSIERS 

Tous  les  Mammifères  carnassiers  ne  se  nourrissent  pas  exclusivement  de  chair,  et  parmi 
les  animaux  qui  oui  ce  régime,  il  en  est  qui  n'appartiennent  pas  à l'ordre  des  Carnassiers. 
Ainsi  les  Didelphcs  ou  Marsupiaux , quoique  leur  mode  d'alimentation  soit  souvent  le  même, 
no  font  pas  partie  de  cet  ordre. 

Linné  donnait  aux  animaux  carnassiers  le  nom  commun  de  Fera?  ou  bêtes  féroces.  Celle 
appellation  était  assurément  la  plus  exacte  pour  dos  espèces  telles  que  le  Lion,  le  Tigre, 
l’Hyène,  qui  vivent  de  carnage  et  de  sang;  elle  répond  d'ailleurs  parfaitement  à l’expression 
vulgaire  d’animaux  féroces. 

Nous  verrons  cependant  qu’individuellement  les  Carnassiers  sont  susceptibles  d’être  appri- 
voisés. Ils  ont  assez  de  véritable  intelligence  pour  apprécier  les  soins  qu’on  leur  donne,  et 
assez  de  docilité  pour  subir  le  joug  d'un  maître.  Il  n'est  aucun  de  ces  animaux,  si  farouches 
et  si  redoutables,  que  la  main  de  l’homme  no  soit  parvenu  à dompter.  Quelques-uns,  tels  que 
le  Chat  et  le  Chien,  sont  devenus  nos  serviteurs  fidèles  et  presque  nos  amis.  Los  Luulres  et 

20 


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l.-.i 


OKI  \ I ÈM K l’VRTIK. 

1rs  Phoques  pourraient  être  dre-sés  à la  pèche;  les  promü-rt-s  dans  les  eau*  douces,  les  outres 
sur  les  bords  de  la  mer. 

I,c  Uniment  consacré  à riiabiluliou  des 
animaux  carnassiers  est  situé  dans  l'en- 
ceinte consacré*  à la  Ménagerie,  et  prosquo 
continu  au  quai  Saint- Bernant  (n°  28  du 
plan).  C’est  en  1817  que  l’on  a construit 
cet  édifice,  qui  consiste  en  une  longue 
galerie  composée  de  vingt -et -nue  loges 
exposées  au  midi,  double  en  profondeur  et 
tisse/  large  pour  que  l’on  puis-,e  sans  dan- 
ger se  promener  à l’intérieur,  et  voir  les 
animaux  lorsque  les  volets  extérieurs  sont 
fermés.  \ chaque  extrémité  s’élève  un  pa- 
villon servant  d'entrée  et  suivi  d’une  belle 
et  large  pièce  entourée  de  cages  île  fer  où  l’on  renferme  les  Carnassiers  de  petite  taille. 

Derrière  ce  bâtiment  régna  une  vaste  cour  et  des  hangars  : on  enebalne  dans  lu  cour  les 
animaux  qui  supportent  facilement  les  intempéries  des  saisons , tels  que  les  Chiens  et  leurs 
variétés,  les  Coups,  les  Chacals,  les  Renards. 

Les  hangars  servent  aux  premières  opérations  qui  suivent  la  mort  des  hèles  de  la  galerie  : 
ce  sont  des  laboratoires  d’anatomie  et  d’expériences  physiologiques.  Les  animaux  féroces  nu 
sont  établis  dans  ce  bâtiment  que  depuis  1821.  Ils  logeaient  précédemment , et  depuis  1794, 
dnns  un  vieux  bâtiment  situé  à l’extrémité  île  l’nllée  des  Marronniers. 

Nous  continuons  l'énumération  des  animaux  qui  ont  vécu  à la  Ménagerie. 

Le  Kinkajou  Pottû  (Cerculcplrs  Cnudirolrulns), — Oeoffroy-Saint-Hilaire.  — 1,’Onits 
Unix  (l'rsns  ardus),  — l.inné.  — L'Oins  Tuininie  (1rs.  /tour),  — des  États-tnis.  — 
L’Ouns  nés  AsTi  nif'S  (Vis.  Pi/ivnnicus),  — Fréd.  Cuvier.  — L'Oi  ns  a coilier  df. 
Sibérie  (1rs.  collaris),  — Fréd.  Cuvier.  — L'Oins  pécheur  ou  Kamtsciiatka  (1rs. 
piscalnr) , — Pucberan. 

Ces  trois  dernières  espèces  ont  été  déterminées  et  établies  d’après  les  individus  qui  ont  vécu 
â la  Ménagerie. 

L’Ouns  soin  d'Amérique  ( l'rsus  Anwricamis).  — Fréd.  Cuvier.  — L'Oms  orné 
Des  Cordilliéres  ( t'rs.  ur notas),  — Fréil.  Cuvier.  — L’Oins  Eurysnle  (1rs.  t'nnj- 
spilus).  — L’Oms  jiiNoLEUB  (Vrs.  labiatus) . — L’Oins  ni axc.  ( 1rs . mnrilimus). 

Los  Ours  habitent  â la  fois  le  bâtiment  de  In  Ménagerie  et  les  fosses  qui  leur  sont  exclusi- 
vement consacrées,  et  qui  longent  une  partie  de  l’allée  des  Marronniers  («*>  30  du  plan).  Il 
il 'est  pas  rare  de  voir  les  Ours  sc  reproduire  pendant  plusieurs  générations. 

L’Ours  blanc  a vécu  à la  Ménagerie  de  1837  à 1811.  Il  avait  une  habitude  caractéristique 
qui  consistait  dans  un  balancement  continuel  de  sa  tète,  mouvement  que  les  autres  Ours 
exécutent  quelquefois  à la  vue  des  chasseurs  ou  des  Chiens  prêts  â les  attaquer.  Les  chaleurs 
de  l’été  faisaient  beaucoup  souffrir  cet  habitant  du  pèle,  et  ou  était  obligé  dp  lui  jeter,  tous  les 
jours,  plusieurs  seaux  d’eau  fraîche  sur  le  corps.  En  hiver,  au  contraire,  il  supportait  les 
plus  grands  froids  avec  une  grande  facilité. 

Le  Raton  laveih  (Procyun  lotor),  — Le  Raton  crabier  (Proryon  cancricorw). 

Cos  animaux  ont  pour  habitude  de  ne  rien  manger  qu'après  avoir  trempé  dans  l'eau  leur 
nourriture. 

Le  Coati  noix  (ïïasna  mlgaris).  — Le  Coati  brin  ( \asnn  nasica).  — Le  Coati 
brin,  variété  fauve,  et  un  grand  nombre  d’autres  variétés. 

Le  Coali  a un  long  nez  qui  lui  sert  â fouir,  et  de-  ongles  crochus  avec  lesquels  il  porte  la 
nourriture  à sa  bouche. 


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155 


MÉNAGE  NIE.  — MAMMIFÈRES. 

Le  Blaireau  ordinaire  ( Mêles  rulgaris).  — Le  Glouton  giusox  (Guh  rittatus) , 

— Dcsmar.  — Le  Ratel  du  Cap  ( Mellieora  Capensis).  — Martes,  — Putois,  — 
Loutres  : — plusieurs  espèces.  — Paradoxure  tïpe  ( Paradoxunu  lypus),  — de  Pon- 
dichéry. — Par.  d’Hamilton  {Par.  Hamiltonii).  — Par.  de  Nubie  {Par.  Ifubfa).  — 
Mangouste,  — plusieurs  espèces.  — Crossarque  mangue  (Crossarcus  obscurus),  — 
Fréd.  Cuvier.  — Genre  et  espèce  établis  d'après  l'individu  qui  a vécu  & la  Ménagerie.  — 
Suricate  ( Ryzocna  Telradaclyla).  — Civette  d'Afrique  (Virerra  Cirella),  — Linné. 

— Civette  Zibetii  (lïu.  A ibelha) , — Linné.  — G enette  ordinaire  (Genetta  rulgaris). 

— Genette  panthérine  (Genetta  par dina),  — Isid.  Geoffroy.  — Cello  dernière  Genetle 
déterminée  d'après  l'individu  de  la  Ménagerie.  — Genette  du  C ap  ( Genetta  Capensis).  — 
G e n.  de  Barbarie  {Genclla  Afra). 

CANIENS.  — Renard,  — plusieurs  espèces.  — Chien  Isatis  (Canis  Lagopus),  — 
Linné.  — Il  est  brun  bleuâtre  en  été,  ce  qui  lui  a valu  le  nom  de  Pénard  bleu  ; en  hiver, 
il  est  blanc.  Beaucoup  d’animaux  du  Nord,  .Mammifères  ou  Oiseaux,  présentent  le  mémo 
phénomène.  — Le  Fennec  (ou  Animal  anonyme  de  Buffon)  {Canis  Zerdo) , — Gmelin.  — 
Cel  animal  est  remarquable  par  ses  énormes  oreilles.  — Le  Corsac  {Canis  Corsac),  — 
Linné.  — Le  Ciiac.au  de  L’Inde  {C.  A U relis) , — Linné.  — Le  Chacal  du  Sénégal 
(C.  Anthus),  — Fréd.  Cuvier.  — I.e  Chacal  d'Algérie.  — Mulets  de  Chacals  de  l’Inde 
et  du  Sénégal.  — Loup  ordinaire  (Canis  Lupus),  — Linné.  — Loup  noir  (C.  Lycaon), 

— Linné. 

Ciiien  domestique.  — Un  très-grand  nombre  de  races,  parmi  lesquelles:  — Chien  de 
TriinE  Neuve.  — Ch.  des  Esquimaux.  — Ch.  de  la  Nouvelle-Hollande. — Cil. 
de  Chine  (race  de  boucherie),  — etc.,  etc.,  etc.  — Métis  de  Cuien  et  de  Loup.  — 
Métis  de  Ciiien  et  de  Chacal.  — Et  Métis  nés  de  ces  Métis. 

HÏÉN1F.NS.  — Hyène  rayée  (llyena  rulgaris),  — d'Algérie,  du  Sénégal  el  de  l'Inde. 

— Hyène  tachetée  (Hycna  crocula). 

FELIENS.  — Lion  (Felis  Léo).  — Variétés  de  Barbarie,  — du  Sénégal,  — do  Nubie, 

— du  Cap.  — Tigre  royal  (Felis  Tigris),  — Linné.  — Panthère  (F.  Pardus ),  — 
Linné.  — Panthère  xoinE  (F.  Pardus),  — Yar.  — (Mêlas  des  auteurs).  — Léopard 
( F.  Leopardus ) . — Serval  (F.  Serrai) . — Car acal  (P.  Caracal) , — Linné.  — Jaguar 
ou  Tigre  d’Amérique  (F.  Onça),  — Linné.  — CoucuAn  ou  Lion  d'Amérique  (F. 
Cuncolor),  — Linné.  — Ocelot  (F.  Pardalis),  — Linné.  — Chati  (F.  Milis),  — Fréd. 
Cuvier.  — Margay  (F.  Tigrina).  — Chat  cervier  du  Canada  (F.  lia  fa),  — Linné. 

— Guépahd  (F.  Jubala). 

Phoque  commun  (Phoca  eilulina). 


RONGEURS 

Les  animaux  appartenant  à l'ordre  des  Rongeurs , el  qui  viennent  habiter  lu  Ménagerie , 
sont  repartis  dans  diverses  parties  de  l’établissement.  Quelques-uns  sont  placés  avec  les 
Carnassiers , d’autres  avec  les  Pachydermes  et  les  Ruminants.  Nous  l’avons  déjà  dit , malgré 
le  désir  que  l'on  a naturellement  de  réunir  les  animaux  selon  leur  rang  dans  lu  classification 
de  la  science,  il  faut  se  plier  souvent  à des  nécessités  résultant  des  habitudes,  des  niomrs 
de  chaque  espèce. 

La  Ménagerie  a possédé  un  grand  nombre  d’individus.  Voici  les  espèces  auxquelles  ils  se 
rapportent  : 

Marmotte  (Arctoinys  alpinus).  — Monan  unis  (Arctoinys  empêtra).  — Souslic 


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156  DEUXIÈME  PAIIT1E. 

( Spcrmopkilu»  citillus).  — Ée.tnEiiL  (un  prnnil  nombre  i|Vs|>èi!cs  et  de  variétés).  — 
PolatoUcii E (Siiimis  votons).  — Loir  ( Myoxns  glis).  — Lérot  du  Stùirgnl  (Myoxus 
coupvi),  — Fr.  Cuvier.  — M use  Audi  N (Myosus  nndlanarius).  — Léiuit  (I lyaxut  milida). 
— (In  ariiii  nE  du  Cad  (Grnphmrus  Citpensis).  — Rat,  plusieurs  espères.  —Campagnol, 
plusieurs  espères.  — Lièvre  commun  (Aepiii  limidus).  — Lapin  [Lepns  cunicuhii).  — 
Variétés  diverses. 

Chinchilla  {Chinchilla  îanigera).  — Agouti  ( Dasyprocla  acuti).  — A cour  m (Oasg- 
procta  acuchï).  — Cobaie»  diverses  variétés.  — Cabiai  ( Caria  capybara).  — Paca  bri  n 
( Cœlogeny$  fuseau  ) . 


édentés 

I vau  ( flradypm  didnvlylus) . — Linné.  — Tatou  E.vcoubert  (ttosypus  se.rcinclus) , 
— Linné.  — Tatou  Caciiicame  ( D . octoiinctus) , — Linné. 


ANIMAUX  DE  LA  ROTONDE  ET  DES  PARCS. 


PACHYDERMES 

C’est  aux  Mammifères»  dont  il  nous  reste  à parler,  qu'appartiennent  les  espèces  terrestres 
de  plus  grande  taille.  Ces  animaux  se  partagent  en  différents  ordres  : on  télé  sont  los  Élé- 
phants, <jue  plusieurs  nuleurs  oui  réunis  à tort  aux  Pachydermes  ; puis  les  Pachydermes  pro- 
prement dits,  ainsi  nommés  à cause  de  l’épaisseur  de  leur  peau,  et  enfin  les  Ruminants, 

Le  bâtiment  consacré  à ces  animaux,  et 
qui  s’appelle  la  Hotondcy  a élé  commencé 
en  1804  sur  le  plan  de  M.  MoHûos.et  des- 
tiné à être  le  logement  des  animaux  fé- 
roces; il  fut  interrompu  deux  ans  plus 
tard,  puis  repris  en  1810  et  terminé  en 
1812. 

L’ordre  des  Pachydermes  comprend  les 
Hippopotames , les  Rhinocéros , les  Ta- 
pirs, les  Chevaux  et  les  Sangliers  ou  les 
Cochons.  De  même  que  les  Ours,  les  Ci- 
vettes, les  Feliset  les  Chiens,  ces  animaux 
constituent  autant  do  familles  à pari , au- 
tant de  grands  genres,  dont  les  espèces 
ont  été  quelquefois  partagées  en  subdivi- 
sions secondaires,  appelées  elles-mêmes 
genres  par  certains  naturalistes,  et  sections  ou  sous-genres,  par  d’autres,  mais  sans  qu’on  no 
les  distingue  guère  que  d’une  manière  artificielle , et  en  se  servant  des  caractères  qui  différen- 
cient entre  elles  les  espèces  dans  chacun  des  véritables  genres. 

I n autre  ordre  d’aniuiaux,  dont  plusieurs  espèces  habitent  la  Rotonde*  et  les  Part  s île  la 


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MÉNAGERIE.  - MAMMIFÈRES.  157 

Vallée  suisse,  est  celui  des  Ruminants.  Il  comprend  le  Chameau,  le  Lama,  la  (Àiralc,  le  Cerf, 
le  Chevrotain,  l'Antilope , la  Chèvre , le  Mouton  et  le  Bteuf. 

Eléphant  d'Asie  (Elephas  indien*).  — Eléphant  d'Afrique  (Elephas  africanus), 
— R in  nocéros  des  Indes  ( Bhinuccrvs  iudicus) . 

La  Ménagerie  de  Versailles  en  a nourri  un,  et  la  Ménagerie  de  Paris  en  possède  un  dont  les 
formes  gigantesques  se  développent  rapidement. 

Daman  de  Syrie  (Hyrax  syriacus).  — Tapir  d’Amérique  (Tapir  ameriçanus). 

Hippopotame  amphibie  (Uippopolamus  amphibius). 

L’n  individu  donné  par  S.  A.  le  Pacha  d'Egypte  est  arrivé  tout  récemment  à la  Ména- 
gerie (août  1833).  11  est  le  premier  qui  soit  venu  sur  le  continent  européen  (il  y en  n un 
en  Angleterre  J depuis  lus  Romains. 

Sanglier  (Sus  Scropha).  — Sanglier  du  Caron.  — Cochon  domestique,  variétés 
du  Cap.  — Variétés  diverses  de  Chine.  — Babiroussa  (Sus  Babirussa },  s’est  reproduit  à 
la  Ménagerie.  — Pécari  a collier  (Ükotyles  larguai  us),  — Pécari  T.wacu  (Dicolyks 
Inbiatus). 

Cheval  (Equus),  diverses  variétés.  — Onagre  (Asinns  feras),  le  seul  qui  paraisse  être 
encore  venu  en  Europe.  — Ane  domestique,  diverses  variétés.  — Zèbre  (Equus  Zébra), 
mulet  de  Zèbre  et  d’Anesse.  — Dai  w (Equus  Burche/lii),  s’est  reproduit  plusieurs  fois  à la 
Ménagerie.  — Hémione  ou  Dziggetai  (Equus  Uemionus ),  s’est  reproduit  plusieurs  fois  à 
la  Ménagerie,  où  l’on  a mémo  ob- 
tenu des  individus  nés  de  parents 
français. — Mulets  d’Anesse  et 
d'Hémioxe.  Ces  animaux  sont 
parqués  dans  la  vallée  Suisse  (n°  02 
du  pian). 

L’IIéinione  a été  offert  au  Mu- 
séum par  M.  Dussumier. 

On  dresse  aussi  les  espèces  afri- 
caines de  la  famille  des  Solipèdes, 

Au  Cap,  on  a des  Cou  agca,  et  l’on 
cherche  à en  multiplier  le  nombre; 
car  ces  animaux  sont  doués  d'un 
grand  courage,  et  loin  de  fuir  devant 
les  bêtes  féroces,  ils  les  attaquent 
eux-mêmes,  et  parviennent  habituel- 
lement à les  mettre  en  fuite.  Aussi 

élève-t-on  de  ces  Coifôgga  avec  les  troupeaux  qui,  sous  leur  protection  , parcourent  les  pâtu- 
rages avec  plus  de  sécurité  qu’ils  no  pourraient  le  faire  sans  eux.  Le  Couagga  est  moins 
rayé  que  le  Zèdiie  (Equus  Zébra)  et  que  le  Dauw  [Equus  Burche/ii).  Les  Dauws  que  réta- 
blissement acheta  en  1821  ont  eu  cinq  petits;  un  seul  de  ces  derniers  n'a  pas  survécu,  encore 
est-ce  par  accident  qu'on  l’a  | tordu.  Ces  animaux  sont  très-rétifs , et  a certaines  époques  do 
l'année,  ils  sont  même  dangereux  pour  les  personnes  qu’ils  ont  journellement  l’habitude  de 
voir. 


RUMINANTS 

Nous  passons  maintenant  aux  Buminanis , dont  les  trois  familles  principales  sont  celles  des 
Chameaux,  des  Cerfs  et  des  Bêtes  à cornes,  comprenant  lis  Antilopes,  les  Chèvres,  les  Mou- 
tons et  les  Bœufs.  Les  Chevrota  kl  s et  la  Girafe  sont  aussi  des  auimaux  de  cette  catégorie.  Les 


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158 


OKI. MÊME  PARTIE, 
premiers  tiennent  à in  fois  des  Muntjnes,  >|ui  sont  îles  Cerfs  de  [«dite  taille,  et  des  Antilopes 
du  sous-genre  des  lirimins.  La  (iirafe,  sous  d'autres  rapports  cepondaut,  se  lie  également  par 
ses  caractères  essentiels  aux  Cerfs  et  aux  Antilopes.  Les  Ruminants  à cornes,  c'est-à-dire 
ceux  dont  les  espèces  ont  le  front  armé  de  prolongements  osseux  revêtus  d’un  étui  de  matière 
cornée,  sont  les  plus  nombreux  en  espèces.  Ou  distingue  aussi  un  assez  grand  nombre  de 
Cerfs.  L'Inde  et  surtout  l'Afrique  sont  essentiellement  le  pays  des  Antilopes.  C’est  dans  l'Inde 
et  en  Amérique  que  les  Cerfs  sont  le  plus  abondants. 

Dromadaire,  variété  brune,  (Canulus  dromaderius) . — Dromadaire,  variété  blanche, 
( Camelus  dromaderius).  — Dromadaire  sikh  An  i ou  de  Course.  — Chameau  de  la 
Bactriane,  — (Camelm  baclrianus) . — Lama  ( Anclienia  laana).  — Alpaca  (Aitcltntia 
pneu).  — Vigogne  ( Anchenia  vicunnia). 

Chevrotais  de  Java  ou  Kantchil  (MoscIius  javanicus). 

Girafe  (Camdopardatis  giraffa).  — Individus  du  Knrdofan,  de  Nubie  et  du  Sénégal. 

En  ce  moment,  la  Ménagerie  possède  trois  individus  donnés  par  M.  Dolaporto,  consul  do 
Frauce  au  Caire. 

fi lan  ( Cerna  aires).  — Renne  ( Cenus  tarandus).  — Daim  {Ccrrus  dama).  — Daim, 
variété  blanche.  — Daim,  variété  noire.  — Cerf  commun  (Cerrus  elaplius). — Ccnr  du 
Canada  { Ce  ms  canadensis) , — Brisson.  — Cerf  de  Virginie  ( Cereus  virginianus) , — 
(imelin.  — Cerf  ctmnote  ( Cenus  gymuotis),  — YViegli.  — Cerf  d’Aristote  ( Cereus 
Arislolelis).  — Cerf  de  Dlvaucel  ( Duvaucelii ),  — Cuvier.  — Cerf  axis  (Cerrus  axis), 

— Erxleben.  — Cerf  pseudaxis  ( Cereus  pseudaxis),  — Evdoux  et  Soûl.  — Ces  deux 
espèces  ont  été  croisées  et  leurs  métis  sont  féconds.  — Cerf  de  Pérou  (Cereus  Pgronii), 

— Cuvier.  — Cerf  des  Philippines.  — Cerf  cochon  (Cereus  poreims),  — Zimmer- 
mann.— C n e y r K u i l (Cereus  caprcolus) . — Cerf  noix  (Cereus  rufus),  — Cerf  mintjak 
( Cenus  munljak) . 

Presque  tous  ces  Cerfs,  principalement  les  espèces  de  l'Inde,  se  son  reproduits  et  même 
se  reproduisent  habituellement  à la  Ménagerie. 

Le  Cerf  cochon  a déjà  été  mis  dans  de  grands  parcs  ou  dans  des  bois  clos,  avec  l’espoir  do 
le  naturaliser  tout  à fait. 

Antilope  Corinne  ( Antilope  do  iras) , — Linné.  — Kevel  cris.  — N anguer  (Antilope 
dama).  — Algazelle  (Antilope  gazetla).  — Crimm  (Antilope  grimmia).  — Guevki 
(Antilope  pggmiea).  — Guib  (Antilope  scripla).  — Antilope  a quatre  cornes  ou 
Chicaha  (Antilope  ehicara).  — Antilope  nilgau  (Antilope  picta).  — Antilope  des 
Indes  (Antilope  ccrvicapra).  — Antilope  addax  (Antilope  addax).  — Antilope 
uxchiaque  (Antilope  unçtuosa),  — Linné.  — Bubale  (Antilope  bubalis).  — Chamois 
(Antilope  rupicapra).  — Gnou  (Antilope  gnu). 

Bouquetin  <f.gagre  (Capra  tegagrus).  — Bouquetin  des  Pyrénées  (Capra  ibex). 

— Bouc  sauvage  de  la  Haute-Égypte  ou  Bouquetin  d’Éthiopif.  (Capra  Kubiana). 

— Bouc  de  Cachemire  (Capra  hircus),  — variété  Lanigera.  — Bouc  de  la  Haute- 
Egypte  (Capra  hircus),  — variété  Thebaica,  — Chèvre  de  la  Haute-Égypte  avec 
son  petit.  — Chèvre  du  Népaul  (Capra  hircus),  — variété  Arictina.  — Bouc  et 
Chèv  res  nains  (Capra  hircus),  — variété  Oepressa.  — Bouc  a quatre  cornes  (Capra 
hircus).  — Bouc  sans  cornes  (Capra  hircus),  — variété  Accra. 

Moufflon  a manchettes  (Orisomala).  — Moufplon  de  Corse  (Ocis  musimon) . 

— Mouton  (Oeis  aries),  — variété  d grosse  gneue.  — Mouton,  — variété  Laticauda.  — 
Mouton  d'Astraca.n,  — variété  Laticauda.  — Mouton  a cou  noir  (Oeis  aries),  — 
variété  Recureicauda.  — Mouton,  — variété  à longues  jambes.  — Mouton  (Oeis  aries), 

— variété  Longipes. 

Bélier  a quatre  cornes  ( Oeis  aries).  — Zébu  eemeuue  (Restauras),  — variété 
Indien,  — Bison  [Bos  bison).  — Bufei.u  d’Italie  (lias  bubales) . — IH  rriE  de  Vai.  a- 


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tr>9 


MÉNAGERIE.  — MAMMIFÈRES. 

cnn:.  — Vache  a longs  poils  des  montagnes  de  l’Écosse,  — cl  plusieurs  autres 
variétés.  — Vache  b r a c h y c.  i;  h k (Bos  brachyceros ),  — Gray.  — Type  de  cetle  remarquable 
espèce. 


MARSUPIAUX 

ldi  série  des  Mammifères  Dùlelplies  est  la  seule  dont  nous  ayons  A parler  maintenant. 

Voici  quelles  espères  la  Alénageriu  a reçues  : 

Didf.lpiie  a oseilles  ntcoLoiiES  (D'utetphis  virginiana),  — Péron.  — Didelphe 
g h a d i e II  (Didelpliis  canerieora) , — Linné.  — Dasvise  Malgé  {Dnsgmus  Maugei), — 
Geoffroy-Saint- Hilaire,  — Dasïlre  ourson  ( Dasyurus  ursimis),  — Gooffroy-Saint-Hilaire. 

— Phalanges  de  Cook  ( Phntangistn  Cookii),  — Cuvier.  — P H ALAN  CRR  renard 
( Pluilnngisla  rulpina),  — Teniminck.  — Voltigeur  tagi  inoide  (Pelnuros  taguanoides) , 

— Desinaresl.  — Kangl  roo  a moustaches  {Kmngiiru  tabialus),  — Geoffroy-Saint-Ililairo. 
Kanclroo  enfumé  (Knng.  fuliginosus), — Péron.  — Kanglroo  de  Bennelt  ( Knng . 
Benneltii).  — Kanguroo  Thetvs  ( Kong . Thetys).  — Potorou  ou  Kanguroo  rat 
( llypiliprynmm  murinus),  — Phascolome  Wombat  ( Phasrotomis  Wombal),  — Péron  et 
Lesueur. 

Plusieurs  ordres  de  Mammifères  : les  Clieiroplèm  ou  Ciiauves-Souris;  les  Lamentins 
ou  Cétacés  herbivores;  les  Cétacés  véritables,  c’est-à-dire  les  Dauphins,  les  Ba- 
leines, etc.;  et  les  Monotrèmes,  c'est-à-dire  les  Ornithoriiv nques  et  les  Éciiidnés, 
n’ont  fourni  aucune  de  leurs  espèces. 

La  plupart  des  Chéiroptères  sont  trop  petits  pour  être  tenus  en  ménagerie , et  leur  conser- 
vation demanderait  tropde  soins.  Il  serait  curieux  cependant  d'on  posséder  de  différents  genres, 
afin  de  pouvoir  comparer  leurs  instincts.  Les  Philloslômes , dont  l'ancien  monde  n'a  pas  une 
seule  espèce,  et  les  liai  mettes  qui  ne  vivent  ni  en  Europe,  ni  en  Amérique,  fourniraient  cer- 
tainement des  faits  curieux. 

Les  Lamenlins,  avec  lesquels  il  faut  citer  les  Dugongs,  seraient  encore  plus  embarrassants 
à conserver  que  les  Phoques  ou  les  Hippopotames;  mais  leur  caractère  est  si  doux,  et  leur 
r 'Virile  si  simple,  qu’on  ne  doit  pas  désespérer  d'en  tenir  en  captivité.  On  no  peut  en  dire 
autant  des  Cétacés , car,  même  lorsque  leur  taille  le  permettrait , il  est  bien  probable  que  ni 
leurs  appétits,  ni  leurs  allures  ne  sauraient  s'y  prêter. 

Les  Didelphes  semblent  être,  par  rapport  aux  Mammifères  ordinaires,  ce  que  les  Monotrèmes 
soûl  par  rapport  aux  Édentés  : des  animaux  qui , à un  certain  nombre  de  traits  communs, 
joignent,  chacun  selon  le  degré  de  la  série  toologiquo  dont  il  fait  partie,  des  différences  qui 
doivent  les  faire  séparer  nettement  entre  eux.  Les  Monotrèmes  sont  les  derniers  des  Mammi- 
fères , et  ceux  qui  dans  leurs  actes,  aussi  bien  que  dans  leur  structure,  se  rapprochent 
davantage  des  animaux  ovipares,  et  en  particulier  des  Reptiles.  On  n'en  connaît  qu’à  la 
Nouvelle-Hollande,  et  il  n’v  en  a que  de  deux  genres  : VÉchidni  et  YOmithorhynque.  Le 
premier  fréquente  les  terrains  meubles  et  s’y  creuse  des  retraites;  le  second  est  aquatique.  Ni 
l’un  ni  l’autre  n’ont  encore  été  ramenés  vivants  jusqu’en  France. 


L’énumération  des  animaux  qui  ont  paru  à la  Ménagerie  du  Muséum  a été  fort  longue,  et 
on  a pu , au  moyen  de  ce  qui  précède , se  faire  une  idée  des  services  nombreux  que  les  éta- 
blissements do  celle  nature  rendent  chaque  jour  à la  science,  et  de  tout  ce  qu’on  doit  encore 
en  attendre.  Les  galeries  île  Zoologie  reçoivent  les  animaux  de  la  Vallée  suisse,  à mesure 


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1611 


DEUXIÈME  PARTIE. 

qu'elle  les  perd  ; el  comme  ou  » pu  noter  leurs  allures  et  apprécier  leur  physionomie,  les  poses 
qu'on  leur  donne,  on  les  préparant  pour  ces  galeries , sont  en  même  temps  plus  gracieuses  el 
plus  naturelles.  C’est  à la  Ménagerie  de  Paris  qu’ont  été  modelées  dans  ces  dernières  années 
les  nombreuses  sculptures  d'animaux,  et  toutes  ces  jolies  statuettes  qui  laissent  si  loin  derrière 
elles  pour  l'exactitude,  comme  pour  le  fini,  co  qu'on  avait  fait  jusqu'alors  en  ce  genre. 
M.  Barrvo  est  pour  cette  partie  intéressante  notre  meilleur  artiste. 

On  voit,  dans  les  salles  d’Anatomio  comparée,  quelques  figures  en  plâtre,  el  diverses  parties 
caractéristiques , moulées  sur  nature  morte , d’après  des  animaux  provenant  de  la  même 
source.  Les  galeries  d'Anatomio  comparée  reçoivent  aussi  de  la  Ménagerie  la  plupart  de  leurs 
richesses;  beaucoup  de  squelettes,  de  crânes  et  de  préparations  de  toutes  sortes  qu’on  y con- 
serve, ont  appartenu  à des  animaux  qui,  après  nous  avoir  fait  connaître  leur  manière  do  vivre 
et  leur  naturel , nous  donnent  ici  l'explication  de  leur  structure,  et  presque  la  raison  des  actes 
que  nous  leur  avons  vu  exécuter.  Perrault,  Duverney,  Daulienton,  Mertrud,  Vicq-d’Azyr  si 
têt  enlevé  aux  scionces  ; G.  Cuvier  et  de  Blainvillc , ont  tour  à tour  fait  profiler  la  scionco 
anatomique  de  leurs  recherches  sur  les  animaux  morts  dans  la  Ménagerie  de  Versailles,  dans 
celle  du  Muséum,  ou  chez  plusieurs  grands  personnages  qui,  par  suite  d'une  curiosité  éclairée, 
ne  dédaignaient  pas  d’entretenir  â leurs  frais  des  animaux  remarquables,  comme  le  font  au- 
jourd’hui plusieurs  riches  lords  d’  Angleterre. 


I.a  Vallée  suisse,  oh  se  trouvent  réunis  les  Mammifères  que  nous  venons  de  signaler,  est 
élégamment  disposée  pour  recevoir  îles  bêtes  si  variés  dans  leurs  habitudes  et  dans  leurs 
mœurs;  les  allées,  par  leurs  sinuosités , forment  des  parcs  oh  s’élèvent  de  gracieuses  maison- 
nettes couvertes  en  chaume  , de  formes 
pittoresques  et  do  couleur  différente  : 
tantêt  c’est  le  climat  de  la  Russie  que 
rappellent  ces  murs  faits  de  troncs  d'ar- 
bres superposés  ; plus  loin , la  Suisse  se 
retrouve  dans  ces  châlets  ; un  édifice  à 
demi  ruiné  donne  son  hospitalité  aux 
Chèvres  accoutumées  à braver  les  périls 
de  l'escalade. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de 
mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  quel- 
ques-unes do  ces  habitations  qui  ne  dépa- 
reraient pas  les  parcs  les  plus  élégants. 

En  entrant  par  la  porte  de  la  Vallée 
suisse  qui  s’ouvre  sur  l’allée  des  Mar- 
ronniers, on  face  de  celle  des  Virgilias, 
vous  suivez  une  jolie  route  bordée  de 
chaque  côté  de  beaux  arbres  et  de  cons- 
tructions légères,  c’est  l’asile  des  Vaches 
d’Écosse  (n°  66  du  plan). 

Cette  allée  est  délicieusement  ombra- 
gée par  la  plus  fraîche  verdure  ; aussi  est-elle  le  rendez-vous  habituel  des  promeneurs,  qui 
retrouvent  au  Jardin  des  Plantes  les  souvenirs  de  la  jeunesse  et  des  études  pour  l’âge  mûr. 
Ce  parc  était  autrefois  consacré  aux  Rennes;  mois  à la  Ménagerie,  encore  moins  qu'ailleurs, 
rien  n'est  perpétuel  ; les  habitants  changent  souvent , et  c’est  encore  un  charme  pour  les  pro- 
meneurs, qui  trouvent  dans  cette  mobilité  un  attrait  toujours  nouveau. 


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Mil 


MÉ.N  AfiERIE.  — MA M MIFÈRES. 


la  présence  de  ces  espèces , qui , au 
premier  aspect,  semblent  des  doubles 
emplois,  niais  qui  différent  par  des 
caractères  quo  lo  savant  sait  appré- 
cier, ou  par  des  qualités  économi- 
ques qu'il  appartient  plus  particuliè- 
rement à l'industrie  manufacturière 
de  reconnaître. 

A côté,  le  Mouton  k quatre  cornes 
habitait  uno  petite  maisonnette  con- 
tigué  k la  fosse  aux  Ours,  cl  qui,  au- 
jourd’hui, est  occupée  par  les  San- 
gliers (n°  30  du  plan)  : leur  aspect 
farouche  contraste  pittoresquement 
avec  la  tranquillité  de  leurs  voisins. 


Eu  face  do  ce  parc , se  trou- 
vent des  fossés  habités  par  les 
Itrebis  anglaises.  Ou  leur  a con- 
sacré une  chaumière  peu  élevée 
qui  no  manque  pas  d'un  certain 
caractère  ( n°  37  du  plan  ) . 

Ces  Brebis,  qui  sont  à peu  près 
semblables  aux  nôtres,  parais- 
sent presque  un  hors-d’œuvre 
daus  un  établissement  où  l’on 
ne  s'attend  à trouver  que  des 
animaux  rares  ou  singuliers. 
Mais  la  Ménagerie  a une  plus 
haute  mission,  c’est  celle  d’ac- 
climator  les  races  étrangères,  et 
d’améliorer  nos  races  indigènes 
par  des  croisements  sagement 
combinés;  c’est  ce  qui  explique 


En  suivant  cette  même  allée,  vous 
arrivez  à un  groupe  de  maisonnettes 
dominées  par  un  toit  rond  qui  s'é- 
lève à leur  centre , c’est  la  demeure 
«le  l'Antilope- Bubale,  du  Moufllon 
à manchettes  du  Maroc,  et  du  Cerf- 
Cochon  (»«  31  , 32,  33  et  34  du 
plan). 

Cette  heureuse  disposition  a per- 
mis de  réunir  dans  des  parcs  voisins 
dos  espèces  variées , en  facilitant  le 
service  et  en  simplifiant  les  soins 
qu’il  exige.  Ces  rapprochements  fa- 
cilitent, du  reste,  la  comparaison 
des  espèces  entre  elles,  et  rendent 
agréables  les  fonctions  de  l'obser- 
vateur. 


21 


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I«2  DEL  XI fell K PAItTIK. 

I.ji  mémo  allée,  ou  con- 
duisant le  promeneur  vers 
le  grand  amphithéâtre  , lui 
offri' , à gauche  , plusieurs 
parcs  oii  l'on  retient  les  Chè- 
vres de  la  Haute  - Égypte  et 
la  gracieuse  Antilope  Corinne 
(«*•  83.  81  du  plan). 

Cette  jolie  petite  maison- 
nette en  hnis,  d'un  as|>ccl 
tout  particulier,  est  emprun- 
tée aux  constructions  rus- 
ses, ol  elle  a été  souvent 
répétée , cl  toujours  avec 
succès,  dans  les  parcs  qui 
avoisinent  la  capitale.  Le 
Muséum  a devancé , dans 
cetto  voie  d’élégance  et  de 
variété , les  constructions  les  plus  recherchées.  Il  faut  en  féliciter  les  habiles  architectes  qui 
ont  exécuté  ces  petites  merveilles. 

En  revenant  devant  la  Dolomie, 
on  trouve  la  cabane  des  Chèvres 
du  Scnnaar  (n°  77  du  plan)  ; c'est 
une  espèce  de  ruine  d'un  effet  très- 
pittoresque. 

C’qst  encore  la  même  pensée  do 
perfectionnement  des  races  qui  a 
réuni  dans  les  parcs  cos  Chèvres 
do  diverses  espèces,  empruntées  à 
l'Égypte,  au  Scnnaar,  au  Thibot. 
Grâce  aux  courageuses  explora- 
tions de  nos  voyageurs,  ces  espè- 
ces précieuses , amenées  à grands 
frais,  ont  pu  faire  rivaliser  nos  fa- 
briques françaises  avec  les  produc- 
tions de  l'Inde.  Nous  avions  pour 
nous  la  perfection  du  travail  ma- 
nuel, l’exquise  supériorité  et  l'in- 
comparable éléganco  des  dessins, 
la  vivacité  éblouissante  des  cou- 
leurs ; la  finesse  des  matières  pre- 
mières nous  a été  acquise  par  l’in- 
troduction dos  espèces  qui  habitent 
les  parcs  du  Muséum. 

Des  industries  particulières,  en  multipliant  les  individus,  ont  formé  des  troupeaux  qui  sont 
arrivés  à des  nombres  importants , cl  qui  ont  mémo  déterminé , par  les  soins  constants  dont 
ils  ont  été  l'objet,  des  perfectionnements  qui  ont  honoré  notre  agriculture.  Le  Muséum  a 
cherché  à conserver  soigneusement  les  types,  afin  que  l'on  pût  toujours  recourir  à la  race 
première,  lorsque,  par  des  croisements  malheureux  ou  trop  répétés,  les  qualités  primitives  do 
l'espèce  seraient  altérées. 


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MÉ\  WiEllIE.  — MAMMIFÈRES. 


103 


A droito  de  la  porto  d'entrée , les 
Chèvres  du  Thibet  sont  établies  dans 
une  chaumière  construite  avec  do 
vieux  troncs  d'arbre  ( n°  39  du  plan). 

Les  Chèvres  du  Thibet  sont  dues 
à l'importation  de  M.  Jaubert,  qui  a 
su  braver  les  plus  grands  périls  et 
surmonter  des  difficultés  sans  nom- 
bre pour  enrichir  nos  manufactures 
do  ces  précieuses  toisons. 

Il  est  facile  do  comprendre,  en 
voyant  l'importation  de  ces  races  uti- 
les , combien  le  rôle  des  voyageurs, 
accrédités  par  le  Muséum  (mur  ex- 
plorer les  contrées  peu  connues,  est 
important , et  combien  il  serait  A 
désirer  que  ces  voyages  hissent  ré- 
pétés fréquemment  ol  dans  des  di- 
rections variées,  il  n’est,  en  effet, 
aucun  voyage  d’exploration  qui  n’ait 
mis  A la  disposition  de  l'industrie, 
de  l'agriculture  et  du  commerce,  des 
espèces  nouvelles,  et  d'un  usage  pra- 
tique et  journalior  ; ot  l'on  est  surpris , en  parcourant  la  listo  des  échantillons  rapportés  par 
les  expéditions  dn  circumnavigation,  do  voir  apparaître,  chaque  fois  qu'elles  ont  lieu,  des 
types  jusque-là  inconnus,  et  des  variétés  d’espèces  importantes  qui  trouvent  presque  immé- 
diatement une  application  utile. 

Enfin,  les  Axis  cl  les  Biches 
occupent  un  parc , où  s'élève  une 
très-jolie  rotonde  A doux  toits. 

Nous  en  donnons  une  vue  (n°  03 
du  plan). 

La  mobilité  de  la  population 
des  parcs  explique  pourquoi  nous 
voyons  des  Moutons  dans  cet  asile 
occupé  maintenant  par  les  Axis  ol 
les  Biches.  Il  est  impossible,  en 
effet,  de  consacrer  les  parcs  ex- 
clusivement A une  espèce  spéciale, 
les  convenances  de  situation,  de 
salubrité,  déterminent  l'occupation 
tanlèl  par  une  espèce,  tantôt  par 
une  autre;  les  soins  attentifs  de 
M.  le  directeur  en  chef  do  la  Mé- 
nagerie et  de  ses  aides  intelligents 
fixent  les  conditions  d'habitation  et 
désignent  les  hôtes  qui  doivent  oc- 
cuper les  parcs.  Il  est  difficile  de 
savoir  mieux  allier  les  convenances 
aux  plaisirs  des  promeneurs. 


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104 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Eps  Cerfs  et  Daims  de  France  ont  une  jolie  hutte  auprès  de  lu  ménagerie  des  animaux 
féroces  (#*•  41  du  plan),  et  les  Lamas  occupent  le  parc  («°  62  du  plan)  habité  autrefois  par 
les  Cerfs  du  Malalwr. 


Le  promeneur  aimera  è retrouver  ces  indications  sur  les  lieux  moines,  entourés  de  verdure 
cl  animés  par  les  mouvements  gracieux  de  leurs  baliitauls.  Il  était  difficile  de  tirer  un  meil- 
leur parti  d'un  terrain  peu  accidenté , mais  où  l'on  a su  rappeler  les  divers  sites  qui  |>cuvenl 
charmer  les  regards  du  voyageur. 


OISEAUX 

La  classe  des  Oiseaux  occupe  une  place  importante  dans  te  Régne  animal,  et  leur  histoire  a 
été  savamment  décrite  par  la  plume  élégante  de  M.  le  docteur  Le  Maout,  dans  le  volume 
qui  est  spécialement  consacré  à celte  classe;  il  a su  allier  tout  ce  que  la  science  réclame,  aux 
descriptions  les  plus  pittoresques  et  les  plus  attachantes  des  mœurs,  des  instincts  et  «le  l’utilité 
de  chacune  des  espèces  «pii  paient  à l'homme  un  tribut  de  jouissances  et  de  services  par  la 
beauté  du  plumage,  la  vivacité  du  chant,  la  sapidité  de  leur  chair.  Nous  n’avons  donc  rien  à 
ajouter  à ces  éludes  complètes  sous  tous  les  rapports;  nous  nous  contenterons  «l’indiquer  les 
espèces  qui  ont  vécu  ou  qui  vivent  dans  la  Fauconnerie,  la  Faisanderie  et  les  Parcs,  en  sui- 
vant l’ordre  do  classification  adopté  par  M.  le  professeur  Isid.  Geoffroy-Saiut-llilaire,  dans 
ses  cours  si  remarquables  du  Muséum. 

FAUCONNERIE 

La  Fauconnerie  est  située  auprès  do  la 
perle  qui  donne  sur  le  quai  Saint- Bernard, 
au  coin  de  la  rue  Cuvier  ( »“  25  du  plan  ) . 

C’est  un  bâtiment  long  pt  divisé  en  com- 
partiments qui  forment  autant  de  volières 
pour  les  Oiseaux  de  grande  taille. 

Ce  bétiinent  est  exclusivement  consacré 
aux  It  a p A c F.  s et  aux  Passereaux  zvgo- 
i>actyi.es  ( Perroquets  ).  Cette  partie  in- 
téressante de  la  Ménagerie  attire,  avec 
raison,  les  regards;  elle  contient  les  plus 
grandes  espèces  ornitliqlogiques. 


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MÉNAGERIE.  — OISEAl'X. 


165 


RAPACES 

FAMILLE  DES  FALCONIDÉS 

FALCONIENS 

F auco ü Éléonore  ( Falco  Eleonorte), — Temminck,  — du  miili  de  l'Europe  et  du  nord 
de  l'Afrique.  — Harpie  d'Amérique  (F.  destructor ),  — Brésil.  — Aigle  rotai.  (F. 
Chrgsaetos) , — Linné.  — Aigle  a queue  barbée  {Aquila  fascial»), — Vieillot,  — Europe 
méridionale.  — Aigle  botté  (F.  fH-nnatus),  — Brisson,  — Europe  méridionale.  — Aigle 
de  la  Tiiébaïde  (Falco  Ncevius) , — Afrique.  — Pygargue  a tête  blanche  ( llaliwthus 
leucocephalus),  — Lesson,  — Europe  teplenlrionale  et  Amérique.  — Ptgargue  Aguia 
(liai.  Aguia),  — Lesson,  — Chili.  — Ptgargue  vocifère  (liai,  votif  tr),  — Lesson,  — 
Afrique.  — Hélotarse  bateleur  (Falco  ecamlalus),  — Afrique. 

GYPOIIIÉRACIENS 

Gypohiérax  Cath.artiioîde  (Gypohiérax  Angoleosis) , — Gray,  — Afrique  occidentale. 
POLYBOBIENS 

Caracara  ordinaire  ( Potyhorus  cul ga ris) , — Vieillot,  — Brésil. 

VULTURIEN8 

Gïpaete  barbu  (Gypaètes  barbatus) , — Linné,  — d'Europe. 

Vautour  rAUVE  (Vullur futvus),  — Europe. 

Vautour  cendré  Arrian  ( Vullur  cinereus ) , — Gmelin,  — le  sud  cl  le  sud-csl  de 
l'Europe. 

Donné  par  l’ambassadeur  de  France  à Constantinople,  en  1814.  Cet  oiseau  a pondu  trois 
années  de  suite , et  existe  encore  à la  Ménagerie. 

Néopiiron  percnoptère  (Neophron  percnoplerus) , — do  Savigny,  — d'Égypte. 

Rapporté  par  l'expédition  de  Luxor,  en  1833:  existe  encore. 

Néopiiron  moine  (Neophron  monacus) , — de  Gray, — Afrique. 

SarcoramphE  papa  ( Vullur  papa),  — Linné,  — Amérique  méridionale. 

Condor  type  ( Gryphus  typus),  — Isid.  Geoffroy,  — Chili. 

Donné  par  M.  Billard , lieutenant  de  vaisseau,  en  1826;  existe  encore  à la  Ménagerie. 

Catharte  aura  (Cathartes  aura) , — llliger,  — Brésil. 

Cor  ag y ps  urubu  (Coragyps  urubu),  — Isid.  Geoffroy,  — Brésil. 

FAMILLE  DES  STRIGIDËS 

Duc  de  Virginie  (Slrix  Virginiana),  — Gmelin,  — États-Lois. 


PASSEREAUX 

FAMILLE  DES  PSITTACIDÊS 

Cacatoès  rosalbin  (Cacalua  rosea) , — Vieillot,  — Nouvelle-Hollande.  — Cac.  a l a 
huppe  rouge  (Cac.  rosacca) , — Vieillot.  — Cac.  des  Philippines  (Cac.  Philippinarum) , 
— Gmelin.  — Lori  cramoisi  (Psitlacus puniceus) , — Gmelin,  — Moluques.  — Perroquet 
vaza  (Psitt,  vasa),  — Shaw.,  — Madagascar.  Perruche  ondulée,  — de  la  Noucelle- 
llollandc.  — A produit  plusieurs  fois  à la  Ménagerie, 


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ICC  DEUXIÈME  PARTIE. 

FAMILLE  DES  BUCÉRIDÉS 

BucORVe  CARONCl’LÉ  (Bucerot  Abyssinicus),  — Gmeliu,  — Abyssinie. 

FAISANDERIE 


FAMILLE  DES  SIÏTIDÉS 


Eli  suivant  l’allée  qui  fuit  face  à l'extré- 
mité do  la  Fauconnerie  du  côté  opposé  au 
quai,  on  rencontre  bientôt,  à droite,  la  Fai- 
sanderie, élégante  construction  demi-cir- 
culaire , dont  la  partie  extérieure,  divisée  en 
compartiments  treillagés,  qui  donne  asile  à 
une  foule  de  jolis  Oiseaux  dont  le  plumage 
éclatant  appelle  l'attention  («°  24  du  plan). 

.Nous  engageons  les  visiteurs  à ne  pas  se 
contenter  de  la  vue  extérieure  de  la  Faisan- 
derie, mais  à réclamer  de  l’obligeance  de 
M.  Revnié  l’ouverture  du  (ictit  parc  qui  se 
trouve  derrière  le  bâtiment  : indépendam- 
ment des  Oiseaux  d’eau  et  de  quelques 
Echassiers  curieux,  c’est  là  que  sont  élevées 
les  variétés  si  remarquables  de  tous  nos 
Oiseaux  domestiques. 

Les  promeneurs  remarqueront  avec  plaisir 
l’Ibis  sacré,  le  Pélican,  et,  si  le  temps  l’a 
permis,  le  Phoque,  qui  habite  le  mémo  bas- 
sin que  les  oiseaux  dont  nous  venons  de 
parler  : la  vivacité  de  cet  intéressant  animal 
est  remarquable  quand  la  voix  de  son  gar- 
dien se  fuit  entendre;  il  répond  par  un  léger 
grognement  à la  voix  qui  l’appelle,  et  la  vue 
d’un  poisson  qu’on  lui  destine  le  fait  courir 
rapidement  sur  le  sable  par  des  soubresauts 
réitérés , qui  se  terminent  presque  toujours 
par  un  plongeon  dans  son  bassin  favori. 


Mainate  de  Sumatra  [Hraculn  religiosa), — (imeliu, — 'Inde. — Hollikr  commit 
( Coraeias  garrula  ) , — Linué , — France. 

FAMILLE  DES  COLOMB1DÉS 

Colombe  loxgup  ( Columba ),  — Temuiiuck,  — Nouvelle-Hollande.  — Col.  a nooue 
perlée  (C.  t farina),  — Latham,  — Asie.  — Espèce  acclimatée  et  produisant  en  domesticité. 

— Col.  maillée  (C.  Senegalensis),  — Gmclin,  — Sénégal.  — Acclimatée  et  produisant. 

— Col.  a nuque  écaillée,  — Brésil.  — Col.  Lixnachelle  (C.  Chaleoptcra),  — 
Temminck,  — Nouvelle-Hollande.  — Produisant  en  domesticité.  — Nicombar  a camail 
(C.  Nicobarica),  — Temminck,  — Molugues.  — Colombi-gallixe  poignardée  ( C . 
nuenlala),  — Temminck,  — Manille.  — Col.  a cravate  noire  (C.  Martinica),  — 
Gmclin,  — Antilles.  — Lopiivre  couronné  (C.  coronala),  — Gmclin.  — Nouvelle-Guinée. 

— Se  reproduit  en  domesticité. 


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167 


MÉNAGERIE.  — OISEAUX. 

FAMILLE  DES  TIXAMIDÊS 

Tinamou  du  Brésil  (Tbiamus  BrasUicnsit),  — Latham.  — Rhïnciiote  Isabelle 
( Bhynehotus  fascialus ),  — S|ijx , — Brésil. 

FAMILLE  DES  PHASIANIDÉS 

Pf.rdbix  Francolin  a collier  roux  ( Perdix  Prancolina ),  — Latham.  — Colin 
Colenicui  (Ila-oui)  ( Ortyx  Virginiana),  — kayserling , — Amérique.  — Acclimaté  en 
France  et  Angleterre,  comme  gibier,  produit  beaucoup.  — Ganca  Cata  Unibande  (Plero- 
cles  Alcliala ),  — Ch.  Bonaparte,  — Scnéghl.  — Faisan  a collier  (Phasianus  torqualus) , 

— Linné,  — Chine.  — Acclimaté,  se  reproduit  en  domesticité.  — Pénélope  Gu  an  (Pcne- 
lope  Crietnla),  — Latham,  — Brésil.  — Se  reproduit  en  domesticité.  — Hocco  Alector 
(Crax  Alector), — Linné,  — Guyane.  — IL  Tacholi  (C.  Glol/icera),  — Gmclin, — Guyane. 

— H.  Hoccan  (C.  Galeala),  — Latham,  — Guyane.  — Ourax  Pauxi  (C.  Pauxi),  — 
Gmclin,  — Guyane.  — Paon  spic.ieére  (Pavo  spici férus),  — Vieillot,  — Japon.  — Un 
individu  de  cette  rare  espèce  a été  donné  à la  Ménagerie  pur  M.  le  comte  d’Ourr.ho,  en  1851. 

— Dindon  (Gallo  paru  rulgarit),  — Linné,  — États-Unis.  Se  produit  facilement.  Plusieurs 
miles  ont  été  introduits  en  Franco  dans  les  basses-cours  pour  remettre  du  sang  sauvage  dans 
notre  variété  domestique.  Pintade  a joues  bleues  (Humida), — Égypte. 


ÉCHASSIERS,  PALMIPÈDES  ET  COUREURS 


La  remarque  que  nous  avons  faite  au 
sujet  du  domicile  respectif  des  Mam- 
mifères do  nature  différente  s’applique 
aussi  aux  cages  des  Oiseaux.  Les  chan- 
gements n'y  sont  pas  moins  fréquents , 
et  telle  espèce  qui  se  voit  aujourd’hui 
dans  un  parc  pourra  passer  dans  un 
autre  quelques  jours  après,  suivant  les 
convenances  du  service.  La  Rotonde, 
couverte  de  chaume  et  pourvue  d'un 
bassin  ( n°  71  du  plan)  renferme  des 
Échassiers  et  plusieurs  Palmi|>èdes.  On 
voit  aussi  des  Échassiers  dans  le  parc 
voisin  do  celui  des  Axis , et  ils  y vivent 
avec  des  Paons,  des  Cygnes  et  d’autres 
Oiseaux  nageurs  que  l’eau  abondante 
de  cette  partie  de  la  Vallée  suisse  rend 
à leurs  habitudes  favorites.  Les  Oies 
d’Égypte,  les  Hérons,  les  Cormorans  habitent  pêle-mêle  dans  un  paru  situé  prés  de  la  logo 
des  Reptiles  (n°*  69,  72,  75,  76  du  plan). 

Les  Autruches  et  les  Casoars  nous  ont  accoutumés  à la  physiouomio  des  Échassiers  ; mais 
s’ils  en  ont  l’aspect  extérieur,  il  n’ont  ni  leur  genre  de  vie  ni  leur  organisation  : très-bien 
disposés  pour  le  vol,  les  Échassiers  so  livrent  & do  longs  et  fréquents  voyages  aériens,  et  lors- 
qu'ils sont  à terre,  c’est  aux  bords  des  eaux,  sur  les  fleuves,  ou  dans  les  marécages,  qu’ils  se 
tiennent  de  préférence.  Les  poissons,  les  grenouilles,  les  vers,  etc.,  sont  leur  nourriture  la 
plus  habituelle  (n°*  73  et  74  du  plan). 


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168 


. DEUXIÈME  PARTIE. 


Los  Palmipèdes  occupent  prcs- 
qu’exclusivement  les  parcs  ( n°  69 
du  plan ) dont  nous  donnons  ici  la 
vue.  Leur  gîte,  construit  au  pied 
de  l’arbre  magnifiquo  qui  leur  sert 
d'abri,  a un  aspect  tout  particu- 
lier. Ces  intéressantes  espèces  ont 
déjà  rendu  par  leurs  croisements 
les  plus  grands  services  & l'éco- 
nomie domestique  et  rurale.  C'est 
à cette  étude  assidue  et  à la  muni- 
ficence du  Muséum  que  sont  dues 
ces  magnifiques  espèces  do  Ca- 
nards, qui  se  sont  ré[>andues  en  si 
graude  quantité  dans  les  basses- 
cours  des  grandes  exploitations  ru- 
rales, et  «les  établissements  dans 
lesquels  lo  gouvernement  met  à la 
disposition  do  l’agriculture  les  ty- 
pes qui  doivent  améliorer  nos  races 
indigènes. 


ÉCHASSIERS 

FAMILLE  DES  OTIDÊS 

II  ot  a a n a o s n c l é ( Otis  Houbara  ) , — A Igérie. 

FAMILLE  DES  MICRODACTYLÉS 

Cari  A » A de  Margrave  ( lUicrodactylus  Margrarii),  — Geoffroy -Saint -Hilaire,  — 
Brésil. 

FAMILLE  DES  PSOPHIDÉS 

Ag  ami  trompette  (Psophia  crépitons),  — Brésil. 

FAMILLE  DES  ARDEIDÉS 

Anthropoïde  demoiselle  (Anthropoides  rirgo),  — Vieillot,  — A 'nmidie. 

L'oiseau  roval  ou  Crue  couronnée  (Ardca  pnronina),  — Linné,  — Afrique. 
IlÊnoN  Verdâtre  (Ardca  virescens),  — Linné,  — Amérique. 

Marabou  du  Sénégal  (Leptopilos  argala), — Gray. 

FAMILLE  DES  SCOLOPAC1DÉS 

Ibis  sacré  (llis  rcligiosa),  — Cuvier,  — Afrique. 

Paribis  rouce  (Scolopax  rubra), — Linné,  — Brésil. 

FAMILLE  DES  RALLIDÉS 

Taléve  Hyacinthe  (Poule  sultane)  (Porplnjrio Uyacinthinus) , — Temminclt,  — Afrique. 


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168 


. DEUXIÈME  PARTIE. 


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MÉNAGERIE.  — OISEAUX. 


IU9 


PAL MIPÈDES 

FAMILLE  DES  LARIDÉS 

I.abbe  cataracte  {Lestria  cataractes) , — Tcmminck,  — Europe. 

Goéland  boi'RCUEMESTBF.  (Larus  glaucus),  — Europe  septentrionale. 

FAMILLE  DES  PÉLÉCAMDÉS 

Pélican  blanc  (Pelecanus  onocrotnlus),  — hinrié,  — Europe  méridionale. 

FAMILLE  DES  ANATIDÊS 

Cygne  noir  (Anas  atrata). — Cygne  de  Bewick  (Cygnus  Betvickii), — Temminck, 

— Europe.  — Cygne  canadien  (Oie  à cravate)  (Anas  canadensis),  — Linné,  — États- 
Unis.  — Oie  a double  éperon  (Anas  gamOensis), — Linné,  — Sénégal.  — Bernaciie 
armée  (A nas  Ægytiaca ),  — Linné,  — Égypte.  — Se  reproduit  tous  les  ans  à la  Ménagerie. 

— Cereopsis  de  l’Australie  (Cereopsis  cinereut) , — Latham,  — Nouvelle-Hollande. 

— Canard  huppé  (A nas  sponsa) , — Linné,  — États-Unis.  — Canard  de  la  Caroline. 

— Se  reproduit  à la  Ménagerie.  — C anard  Kasaroka  (Anas  rutila ),  — Temminck,  — 
Europe  méridionale  et  Afrique  septentrionale. 


COUREURS 

FAMILLE  DES  STHUTHIONlDfiS 

Autri  che  d’Afrique  ( Struthio  Camelus ),  — Linné.  — A pondu  très-souvent  dans  la 
Ménagerie.  — Nandou  d’Amérique  (Bhea  Americana), — Linné. 

FAMILLE  DES  CASOARIDÉS 

Casoar  émeu  ( Struthio  Casuarius),  — Linné,  — Archipel  des  Indes.  — Dromée  noir 
( Dromaius  aler ),  — Vieillot,  — Nouvelle-Hollande . 

Se  reproduit  facilement  eu  domesticité.  La  Ménagerie  a obtenu  plusieurs  éclosions  en  1851 
et  1852. 

On  voit  par  cette  nomenclature,  qui  ne  contient  que  les  Oiseaux  rares  et  précieux,  combien 
la  Ménagerie  a réuni  d’espèces  importantes;  nous  ne  parlons  pas  des  variétés  domestiques 
obtenues  par  des  croisements,  et  qui  ont  servi  à peupler  les  basses-cours  de  Poules,  île 
Canards,  de  Pigeons,  aussi  remarquables  par  leurs  formes  et  leur  plumage  que  par  leurs 
qualités  économiques.  A ce  point  de  vue,  la  Faisanderie  a rendu  de  très-grands  services,  et 
est  appelée  à en  rendre  encore  de  plus  essentiels  dans  Ikivenir. 


22 


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La  fondation  de  la  Ménagerie  des  Reptiles,  au  Muséum  d'hisloiro  naturelle  de  Paris,  date 
d’une  époque  enrnrc  assez  récente.  Quatorze  années,  en  effet,  se  sont  à peine  écoulées  depuis 
l’acquisition , faite  en  octobre  1839 , des  deux  Python « molures  et  des  trois  Caïmans  il  museau 
de  brochet,  qui  en  ont  été  les  premiers  InMes.  Dans  cette  courte  période,  un  très-grand  nombre 
de  Reptiles  appartenant  aux  différents  ordres  dont  cette  classe  d’animaux  se  compose  y a 
successivement  pris  place. 

Un  livre  d’entrées  tenu  avec  beaucoup  d’cxnctiludo  dès  l’origine  indique  sans  lacunes, 
depuis  le  premier  Jour  jusqu'à  l’époque  actuelle,  toutes  les  espèces  reçues  à la  Ménagerie,  et 
le  nombre  d’individus  par  lesquels  cbacuno  d’elles  y a élu  représentée. 

En  résumant  les  indications  fournies  par  ce  catalogue , on  trouve  trenle-liuit  espèces  de 
CiiéLOMESS,  de  Sauriens,  d’Opiiidieks,  et  enfin  de  Ratraciens. 

Une  des  principales  conditions  à remplir  pour  conserver  vivants  pendant  un  temps  un  peu 
long  des  Reptiles  recueillis  dans  les  différentes  parties  du  monde  , et  plus  spécialement  dans 


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MÉNAGERIE.  — REPTILES.  171 

les  contrées  les  plus  chauiles,  (Hait  <lc  les  placer  au  milieu  d’une  température  assez  élevée.  11 
fallait  surtout  arriver  à les  préserver  des  transitions  brusques  du  chaud  au  froid. 

te  chauffage  des  salles  était  insuffisant  A lui  seul  pour  parer  A ce  grave  inconvénient.  Il 
était  donc  nécessaire  de  lui  venir  en  aide  par  un  moyen  plus  direct  de  chauffer  les  cages;  c’est 
ce  qui  a été  obtenu  au  moyen  d’un  ingénieux  appareil,  imaginé  par  M.  Sorel,  qui  y entretient 
une  température  à peu  près  constante,  et  principalement  à leur  partio  inférieure  par  une  cir- 
culation continuelle  d'eau  eliaude  à travers  des  tuyaux  placés  daus  un  double  fond  au-dessous 
des  cages  et  dans  lesquels  l'eau  est  versée  par  une  chaudière  servant  de  réservoir,  puisque 
cette  eau  y rentre  par  des  tuyaux  do  retour  parallèles  à ceux  qui  la  reçoivent  à son  départ.  Un 
flotteur,  par  scs  mouvements  d’ascension  nu  d'abaissement  dus  à In  dilatation  plus  ou  moins 
considérable  de  l'air  qu’il  contient , laquelle  varie  suivant  la  chaleur  de  l’eau  qui  le  baigne,  et 
dont  il  est  ainsi  l'indicateur,  ferme  ou  agrandit  l’ouverture  par  où  passe  l’air  destiné  à l'ali- 
mentation du  foyer.  La  combustion  se  Irouvu  donc  ainsi  constamment  réglée  par  les  effets 
mêmes  qu'elle  produit. 

Des  quatre  grandes  familles  dont  l'ordre  des  CHÉLONIEN8  se  compose,  les  deux  pre- 
mières, celles  des  CilBRSITES  ou  Tortues  terrestres,  et  des  Élodites  ou  Tortues 
de  marais,  sont  les  plus  riches  en  espèces.  Le  nombre  do  ces  Cliélonicns  A la  Ménagerie, 
comparativement  aux  POTASllTKS  ou  Tortues  fluviales,  et  aux  Thalassitks  ou 
Tortues  m arines,  a été  bien  plus  considérable. 

Parmi  les  trente  espèces  connues  de  Cuersites,  treize  ont  été  reçues  vivantes.  Il  faut  citer 
d’abord  les  Tortues  bordée  [T.  marginata),  Moresque  (T.  mauritanien)  etGnccQUE 
(T.  gritca),  les  seules  qui  habitent  l'Europe  méridioualo  et  le  nord  do  l'Afrique,  puis  la 
T.  géométrique  (7".  geometrica) , du  cap  do  Bonne-Espérance,  et  uno  autre  espèce  assez 
voisine,  mais  originaire  dos  Indes-Orientales,  la  T.  actisode  (T.  Actinodes).  Le  Sénégal,  et 
très-probablement  aussi  l’Amérique  du  sud,  comme  le  voyage  de  M.  A.  d'Orbigny  l'a  appris, 
nourrissent  uno  Chersite  remarquable  par  l'aspect  de  sa  carapace,  d’où  lui  est  venu  son  nom  : 
c’est  1a  T.  Sillonnée  (T.  sulcala).  Elle  a vécu  A la  Ménagerie,  qui  en  a possédé,  on  parti- 
culier, un  très-beau  spécimen.  On  doit  en  rapprocher  la  T.  radiée  (T.  radiata) , A disquo 
globuleux  jaune  et  brun  et  de  taille  A peu  près  semblable,  qui  ne  purall  avoir  d'autre  patrie 
que  Madagascar,  ("est  de  cetto  tlo  ou  du  cap  de  Bonne-Espérance  que  le  Muséum  a reçu  la 
T.  anguleuse  {T.  Angulata) , d'un  aspect  bizarre , di  aux  grandes  dimensions  du  plastron 
qui  se  prolonge  en  pninto  sous  le  col. 

On  y a vu,  A différentes  reprises,  des  Ciiersites  américaines.  les  unes  du  Comment  méri- 
dional, les  T.  marquetée  et  CHARRONNiÈRE  (T.  labulata  et  carbonaria ),  les  autres  des 
provinces  septentrionales , les  T.  polvphéme  et  noire  (T.  polyphemus  et  nigra) . 

Deux  magnifiques  individus  de  i'espéce  qui  atteint  les  plus  grandes  dimensions  en  longueur 
et  en  hauteur,  la  T.  éléphantine  (T.  elephantina),  ont  été  envoyés  do  l’Ho  Maurice.  Leur 
longueur  était  d’un  mètre  et  demi  environ  et  leur  hauteur  d’un  mètre.  Ces  deux  Cuéloniens 
pesaient  ensemble  deux  cent  vingt-cinq  kilogrammes,  poids  énorme,  surtout  si  on  le  compare 
à celui  de  la  plupart  dos  Tortues , car  même  celles  qui  vivent  dans  la  mer  et  dont  la  carapace 
a quelquefois  une  très-grande  largeur,  ne  sont  jamais  à beaucoup  près  aussi  bombées. 

La  Pvxède  ou  T.  a hoite,  seule  espèce  terrestre  dont  le  battant  antérieur  du  plastron  soit 
mobile , a été  vue  trois  fois  vivante  A la  Ménagerie. 

Les  T.  de  marais  ou  Paludines,  nommées  aussi  Elodites,  étant  beaucoup  mieux 
conformées  que  les  précédentes  pour  la  natation , fixent  leur  séjour  dans  dos  localités  voisines 
d’étangs  ou  de  petites  rivières.  Ou  lésa  divisées  en  deux  sous-familles,  colle  des  Crïpto- 
dères,  A tôle  rétractile  directement  en  arrière  entre  les  pattes  et  à peau  du  cou  libre  et 
engainante,  puis  celle  des  P leu  roui,  res,  dont  la  tète  n'est  pas  rétractile,  mais  peut,  en 
raison  de  la  flexibilité  du  cou , venir  se  placer  latéralement  entre  le  plastron  et  la  carapace. 
Parmi  les  Cryptodères  que  la  Ménagerie  a possédées,  on  doit  mentionner  la  Cistude  de  ua 


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172 


DEL  MÊME  PARTIE. 

Caroline,  élégante  petite  Tortue  à botte,  caractérisée  par  la  mobilité  en  avant  et  en  arriére 
des  deux  pièces  du  sternum  sur  une  même  charnière  transversale,  ctlaCisTUDE  européenne, 
ornée  de  nombreux  points  jaunes.  Celte  Elodite,  qui  vit  dans  le  midi  de  l’Europe  et  même 
en  France,  aux  environs  de  Ch&tcauroux , peut,  comme  lu  précédente,  rentrer  complètement 
la  tête  et  les  pattes. 

Après  les  Cistudes , viennent  les  Elndites  à plastron  immobile , comprenant  plusieurs 
genres.  Le  plus  considérable,  celui  des  EM  Y DES,  ne  renferme  pas  moins  de  quarante-quatre 
espèces,  dont  onze  ont  été  vues  vivantes  à Paris.  — Telles  sont  l'E.  sigriz  { Emya  aigrie), 
la  plus  commune  de  toutes,  qui  habite  l'Espagne,  ainsi  que  la  côte  méditerranéenne  de 
l’Afrique,  et  l'Algérie  en  particulier;  puis,  au  nombre  des  espèces  de  l’Amérique  du  Nord  où 
ce  genre  a de  nombreux  représentants,  l’E.  a lignes  concentriques  (F.  concenlrica) , bien 
distincte  par  sa  tète  volumineuse  et  les  stries  de  sa  carapace;  l’E.  ponctuée  [F.  guttala), 
qui  est  de  petite  taille,  avec  une  carapace  noire,  élégamment  tachetée  de  gros  points  jaunes  ; 
l’E.  du  Cumberland  (F.  Cumkerlandcnaia) , dont  les  tempes  portent  une  large  tache  rouge, 
d'autant  plus  éclatante  que  l'aiiininl  est  plus  jeune;  l’E.  peinte  (E.  picta),  agréablement 
nuancée  sur  sa  teinte  brune  de  bandes  jaunes  à double  liséré  noir;  l’E.  a bords  en  scie 
(F.  aerrnta ),  qui  doit  son  nom  aux  fortes  et  profondes  dentures  du  limbe  à la  régiou  posté- 
rieure; l'E.  RUGUEUSE  (E.  rugosa),  nommée  ainsi  & cause  des  stries  longitudinales  de  la 
carapace;  l’E.  géographique  (E.  geograplrica ) ; puis  l’E.  de  Mobile  ( E . Mobileneia) . 

A ces  espèces,  il  faut  en  joindre  une  autre  de  l'Amérique  du  Sud  : l'E.  ponctulaire 
(E.  punctularia) , et  l'E.  croisée  (E.  decunata) , originaire  des  Antilles.  — Enfin,  une 
espèce  indienne,  l'E.  ocellée  {E.  occllat'a),  a vécu  en  captivité , comme  les  précédentes, 
dans  les  Imssins  do  ia  Ménagerie. 

De  toutes  les  Tortues,  celle  qu’on  a conservés!  le  plus  longtemps  est  I’Emysaube  serpen- 
tine {E.  terpenlinus) , dont  le  bec  solide  et  tranchant,  et  la  queue  longue  et  robuste,  sont 
des  armes  dangereuses  surtout  chez  les  grands  individus. 

A ces  différents  genres,  il  convient  de  joindre  celui  des  Cinosternes,  dont  le  caractère 
essentiel  est  la  mobilité  des  portions  antérieure  et  postérieure  du  plastron,  non  pas  sur  une 
même  charnière  ligamenteuse  transversale,  comme  chez  les  Cistudes,  mais  sur  une  pièce 
intermédiaire  immobile.  Trois  espèces  américaines,  les  C.  de  Pensilvame,  ensanglanté 
et  à bouche  blanche  (C.  penaylranicuin,  cruentalum  et  leucoslomum) , ont  été  conservées  en 
captivité. 

Les  E 1.0  DITES  IM.  F.  TR  ODE  H ES  que  la  Ménagerie  a reçues  sont  le  Sternotiiére  noi- 
râtre (St.-fiigricam)  h plastron  mobile  en  avant,  cl  les  Ciiélodines  de  la  Nouvelle- 
Hollande  et  de  Maximilien  (Ch.  iïoice  Hollantliæ  et  Majnmilimi)  ; cette  dernière,  originaire 
de  l’Amérique  du  Sud , remarquables  toutes  les  deux  par  l’extrême  longueur  du  cou. 

On  n’y  a vu  que  deux  espèces  de  Tortues  tluviatiles  ou  Potamites,  recueillies 
l’une  et  l’autre  dans  les  fleuves  de  l'Amérique  du  Nord  : ce  sont  les  (’.ymnopodes  spini- 
pére  et  mutique  (Gymnopua  apiniferm  et  muticut).  Ces  deux  Chéloniens,  comme  tous 
leurs  congénères,  sont  très-facilement  reconnaissables  à l'aplatissement  considérable  de  la 
carapace  que  forme  en  grande  partie  un  cuir  épais , fortement  incrusté  sur  les  vermiculations 
du  disque  et  par  la  large  palmure  des  doigts , dont  trois  seulement  à chaque  patte  sont  munis 
d'ongles,  ce  qui  a motivé  la  dénomination  souvent  employée  de  Triomyx. 

Quant  aux  Tortues  marines  ou  Thalassites,  auxquelles  l'eau  de  mer  et  surtout 
l'agitation  continuelle  des  dots  sont  indispensables,  elles  n’ont  jamais  été  longtemps  conser- 
vées en  captivité. 

SALRIENS.  La  première  famille  est  celle  des  CnocODILlEN'S  ou  ASPIDIOTF.S.  Deux 
espèces  de  Crocodiles  , proprement  dits,  figurent  sur  les  registres  de  la  Ménagerie  ; lo 
Vulgaire  ol  celui  a museau  aigu  (C.  vulgaria  et  aculua ) ; ce  dernier,  apporté  très-jeune, 
grandit  et  se  dévelop[>c  très-bien. 


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173 


MÉNAGERIE.  — R K HT  II,  ES. 

Les  Caïmans  ou  Crocodiles  à dents  inférieures  complètement  cachées  pondant  l'oc- 
clusinn  de  la  boucho  ont  été  beaucoup  plus  nombreux  : tous  font  partie  de  l'espèce  dite 
Caïman  a museau  de  brochet  (Alligator  hicim). 

La  deuxième  famille  comprend  ces  animaux  bizarres  connus  sous  le  nom  de  C.  AMÈLÉONS, 
et  dont  une  seule  espère,  le  C.  vulgaire  ( Chanue/eo  vulgaris),  a été  vue  vivante.  En  raison 
du  grand  nombre  d'individus  adressés,  chaque  année,  de  l’Algérie  , beaucoup  d'observations 
ont  pu  être  faites  sur  le  genre  de  vie  de  ce  singulier  Reptile. 

De  la  famille  dos  GECkOTIKNS,  nous  n'avons  à citer  que  le  Pl  ate  dactyle  des 
murailles,  commun  en  Algérie  et  dans  le  midi  do  l'Europe,  il  est  remarquable  en  ce  qu’il 
a les  doigts  élargis  par  des  membranes  latérales , et  garnis  en  dessous  de  lames  transversales 
entoilées,  A l'aide  desquelles  il  peut  grimjier  le  long  des  plans  les  plus  lisses,  et  même  s'y 
maintenir  contre  son  propre  poids,  comme  le  font  les  mouches. 

La  quatrième  famille,  celle  des  Y A H AMIENS,  caractérisée  par  l’aspect  des  téguments  qui 
sont  en  quelque  sorte  chagrinés,  et  dont  les  écailles  consistent  en  petits  tubercules  arrondis 
et  granuleux , n’a  été  jusqu'ici  représentée  & la  Ménagerie  que  par  deux  especes  : l'une  aqua- 
tique, le  Varan  du  Nil  ( \ aramis  niloticus)  à queue  comprimée,  et  l'autre  terrestre,  à 
queue  arrondie,  le  V.  du  Désert  (F.  arenariut) , originaire  de  l'Afrique  et,  en  particulier, 
du  sud  «le  nos  possessions  algériennes. 

Parmi  les  IG l A MENS,  dont  les  caractères  essentiels  sont  l'absence  sur  le  ventre  de  larges 
plaques  carrées , et  sur  la  tète  de  grandes  squames  polygones , puis  de  fourreau  dans  lequel 
la  langue  puisse  rentrer,  et  enlin  la  présence,  chez  un  grand  nombre  d’espèces,  d’une  crête 
sur  le  dos,  il  faut  citer  d’abord  deux  grandes  et  belles  espèces  : ce  sont  Pieu  ane  tubercu- 
leux, très-commun  aux  Antilles  où  il  se  mange,  et  le  Cvclure  de  Karlan  (Iguaua 
tuberculala , rel  delicatissima  et  Cyclurus  Harlani).  On  doit  en  rapprocher  I’Anolis, 
analogue  aux  Geckos  par  l’élargissement  des  premières  phalanges  munies  en  dessous  de 
lamelles  imbriquées;  puis,  trois  espèces  bizarres,  le  Phrynosomf.  de  Karlan  ( Phr . 
Harlani) , Saurien  du  Mexique,  à tronc  court  et  très-déprimé,  hérissé,  ainsi  que  la  tète,  de 
longues  et  nombreuses  épines,  et  les  Fouette-Queues  Spinipéde  et  Acantiiinure 
(Uromattyx  Spinipc»  et  Acanthinurut) , originaires  de  l'Egypte  et  du  liord  de  l'Afrique,  et 
dont  la  queue  est  armée  d’aiguillons  épineux,  longs  et  acérés,  disposés  en  verticilles  réguliers. 

Dans  la  sixième  famille,  dite  des  L acertiems,  MM.  Duméril  et  Bibron  ont  rangé  tous  les 
Lézards  proprement  dits,  toujours  faciles  à distinguer  par  l’écaillure  de  la  tète  composée  de 
grandes  squames  polygones,  par  celle  du  ventre  formée  de  larges  plaques  différentes  du 
revêtement  des  régions  supérieures,  et  enfin  par  la  disposition  des  écailles  de  la  queue. 
L’espèce  la  plus  grande  de  cette  famille  que  le  Muséum  ait  reçue  est  le  Sauve-G  arde  de 
Cayenne,  dédié  & la  célèbre  mademoiselle  de  Mérian  qui , la  première,  l’a  fait  connaître 
( Satcator  Mariante). 

Quant  au  genre  Lézard  proprement  dit,  il  est,  de  toute  la  classe  des  Reptiles,  celui  dont 
on  retrouve  le  plus  fréquemment  le  nom  sur  les  registres  ; car  cinq  des  espèces  qu’il  comprend 
vivent  en  France  et'  dans  le  midi  de  l’Europe,  et  deux  ou  trois  de  celles-ci  se  trouvent 
également  en  Algérie.  Les  plus  communes  sont  les  Lézards  des  murailles  et  des 
souches  (Laccrta  muralis  cl  stirpium) , dont  un  grand  nombre  servent  à la  nourriture  de 
Reptiles  plus  volumineux  ; puis  le  Lézard  vert  (L.  i iridié) , de  plus  grande  taille,  et  dont 
les  régions  supérieures  sont  le  plus  ordinairement  d’une  belle  teinte  verte,  et  les  inférieures 
d’un  jaune  verdâtre.  Lo  Lézard  ocellé  (L.  ocellala)  , remarquable  par  ses  grandes 
dimensions,  a été  reçu  du  midi  de  la  France,  de  l’Espagne,  de  l’Italie  et  de  l'Algérie.  On  a 
été  témoin,  h la  Ménagerie,  de  l'ovoviviparité  de  l’espèce  européenne,  nommée,  en  raison  de 
ce  singulier  mode  de  parturilion , Lézard  vivipare  (L  viiipara). 

Les  deux  dernières  familles  de  Sauriens  sont  collas  des  SCINCOIDIKNS  et  des  AMIMI1S- 
HÉNI ëns.  Ceux-ci  sont  tout  à fait  remarquables  par  l'absence  complèlo  des  membres,  co 


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174 


DEUXIÈME  PARTIE. 

qui  a longtemps  fait  supposer  aux  naturalistes  que  ers  Reptiles  appartenaient  à l'ordre  des 
Ophidiens , et  par  le  défaut  d'écailles  sur  leurs  téguments , qui  sont  comme  tuberculeux  ou 
on  quelque  sorte  damasquinés.  L’ A mphisbéne  cendrée  (A.  cinercn) , qu’on  trouve  en 
Espagne,  dans  les  terrains  mobiles  où  elle  s’enfouit,  a été  conservée  vivante,  ainsi  que  deux 
autres  espèces  Brésiliennes  placées  dans  le  genro  Lépidosleme,  à cause  des  grandes  plaques 
écailleuses  do  la  région  sternale.  Lép.  microcéphale  et  scutigére  ( Lepidostemon 
microcephalum  el  teuligerum).  C’est  à ce  même  groupe  des  Amphisbénicns  qu’appartient  le 
joli  Trogonofiiide  de  Wiegua  sn  plusieurs  fois  adressé  de  l'Algérie  ( Trogonophis  11  icg- 
mannii).  Enlln,  parmi  les  Seincoîdiens , distincts  de  tous  les  autres  Sauriens  par  la  forme  et 
par  la  disposition  des  écailles , qui  sont  arrondies  à leur  bord  postérieur  et  entuiléej  comme 
celles  des  poissons,  d'où  leur  nom  de  Cyprinolépides,  on  a souvent  reçu  du  nord  do 
l'Afrique  le  Gongyle  ocellé  (G.  oeellalus ) , remarquable  par  son  ovoviviparité,  et  moins 
souvent,  le  Plestiodoste  d’Aldhovande  (/’/.  Aldrocandi) , dont  le  système  de  colora- 
tion est  élégamment  relevé  par  do  belles  teintes  d’un  rouge-orange.  C’est  à cette  même 
famille  qu’d  faut  rapporter  le  Lézard  serpentiforme  de  notre  pays,  I’Orvet  si  lisse 
et  si  fragile  qu'on  le  nomme  souvent  Serpent  de  verre  ( Anguit  fragilis).  Le  Seps 
chaIcide  [Sept  cluilcidrs)  , presque  aussi  èonunun  en  Espagne  (d’où  Al.  le  professeur 
Duméril  l'a  rapporté  en  1800),  et  en  Algérie  que  I'Orvet  on  France,  se  distingue  do  ce 
dernier  par  deux  paires  de  petites  pattes  courtes  et  grêles. 

OPHIDIENS.  — Des  quatre  ordres  dont  la  classe  des  Reptiles  so  compose,  aucun  n’a 
fourni  à la  Ménagerie  un  contingent  plus  considérable  que  l’ordre  des  Ophidiens  ou  Serpents  : 
il  est,  à la  vérité,  le  plus  riche  en  cs|>èces. 

Al.  le  professeur  Duméril  et  son  habile  collaborateur,  Bibron,  prématurément  enlevé  en 
1848  à la  science,  qu’il  cultivait  avec  tant  du  succès,  ont,  dans  leur  grande  Erpétologie, 
divisé  ces  Reptiles  en  cinq  grandes  sections,  dont  les  deux  premières  comprennent  les  espèces 
non  venimeuses.  De  la  première,  ou  celle  des  TYPHLOPS,  il  n'y  a rien  à dire  ici,  aucun 
n'ayant  été  reçu  vivant. 

La  deuxième  section,  celle  des  ACLYPÜODONTES,  est  très-considérable  : elle  comprend 
tous  les  autres  Serpents  non  venimeux.  Les  plus  grandes  espèces  do  ce  groupe  ont  été  & diffé- 
rentes reprises , et  souvent  pendant  plusieurs  années , conservées  en  captivité. 

Tols  sont  le  Python  de  Séba  ( Python  Scbœ),  originaire  du  Sénégal,  l’un  des  Ophidiens 
les  plus  considérables  par  leur  longueur  et  par  leur  volume  (ou  eu  a possédé  un  de  4 m.  70); 
lo  Python  royal  (P.  regiua),  africain  comme  le  précédent,  de  moins  grande  taille  et  orné 
do  couleurs  plus  brillantes;  lo  Python  m o l i: r e ou  a deux  bandes  (P.  biiillalus) , d’ori- 
gine indienne,  et  qui  s’est  reproduit  il  y a près  do  dix  ans  au  Aluséum,  où  ont  vécu  el  so  sont 
parfaitement  développes  ces  jeunes  Ophidiens , dont  deux  d'entre  eux  vivent  encore.  Ul)  autre 
Python,  qui  peut  atteindre  comme  les  précédents  une  grande  longueur,  puisque  les  collections 
en  renferment  un  de  7 mètres,  est  le  Réticulé  (P.  reticulalus).  L’exemplaire  de  la  Ména- 
gerie , au  reste , est  beaucoup  plus  petit , il  ne  dépasse  guère  2 métros.  Il  est  remarquable  par 
scs  belles  teintes  brune,  blanche  et  jaune. 

Les  Boas  sont  les  grands  Serpents  qui  ont  le  plus  de  ressemblance  avec  ceux  dont  nous 
venons  de  parler.  Ceux  dont  il  doit  être  question  ici  sont  : 1°  lo  Boa  divinilooue  ( lion 
diviniloquus) , dont  Plie  Sainte-Lucie  des  Antilles  parait  être  jusqu’à  présent  la  patrie  presque 
exclusive.  Les  magnifiques  reflets  métalliques  de  ses  téguments,  qui  se  parent  des  plus  belles 
nuances  bleues  ou  verdâtres,  selon  le  jeu  de  la  lumière,  expliquent  son  nom  vulgaire  de  Boa 
bleu;  2”  le  Boa  constricteur  (B.  constrictor) , habitant  de  l'Amérique  du  Sud  et  particu- 
liérement de  Cayenne  et  du  Brésil , orné  sur  lo  dos  de  grandes  lâches  brunes , veloutées , à 
reflets  métalliques , cl  sur  la  queue  des  cercles  uoirs  circonscrivant  des  espaces  d'un  rouge 
brique;  il  atteint  jusqu’à  2 m.  50  nu  3 m.  de  longueur;  3°rEpiGRATECENCHRis  ( Epiantes 
ceiicliris),  do  plus  jietite  dimension  que  les  précédents,  el  adressé  do  Cayenne  : l'individu 


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MÉNAGERIE.  - REPTILES. 


175 

actuellement  vivant  a I tn.  50  environ;  4°  et  5°  les  Tropidophides  tacheté  et  a queue 
noire  ( Tropidvphii  macutalus  el  melarmru») , <ie  Porto-Rico,  et  dont  lo  second  a donné  dans 
In  Ménagerie  la  preuve  de  son  ovoviviparité. 

Pour  terminer  l'énumération  des  Serpents  Pylhoniens  conservés  on  captivité  à Paris,  il 
faudrait  encore  citer  une  espèce  assez  différente  par  son  aspect  extérieur  de  celles  dont  il 
vient  d’être  question.  Elle  est  destinée  & vivre  sur  le  sable  où  elle  peut  se  creuser  des 
retraites  à l'aide  d'une  sorte  de  boutoir  qui  termine  le  museau  : c’est  l’ E n E x de  John,  dont 
trois  échantillons  ont  été  acquis  comme  provenant  des  Indes-Orientales,  patrie  ordinaire  de 
ce  Serpent. 

L'un  des  plus  grands  Ophidiens  que  l’on  connaisse,  I’Eunecte  murin  ( Eunecles  murinus), 
pourrait  presque  prendre  place  dans  celte  Notice  sur  la  Méuagerio  des  Reptiles,  car  c’est 
quelques  heures  A peine  après  sa  mort  qu'un  de  ces  énormes  animaux  a été  reçu  au  Muséum 
où  il  avait  été  adressé  vivant  de  Cayenne.  Il  avait  prés  de  5 mètres  de  longueur. 

Les  volumineux  Serpents  non  venimeux  ainsi  mis  à part  dans  ce  groupe  qui  vient  d’être 
indiqué,  il  reste  encore  un  très-grand  nombre  d’espèces  à morsure  non  venimeuse,  et  qui  sont 
généralement  désignés  sous  la  dénomination  assez  vague  de  Couleuvres. 

Les  travaux  récents  de  M.  le  professeur  Duméril , qui  fait  imprimer  en  ce  moment  la  fin  de 
l’ouvrage  qu’il  avait  commencé  avec  la  savante  collaboration  de  Bibron,  montrent  quelles 
coupes  peuvent  être  faites  pour  la  facilité  de  l’étudo  dans  l’ancien  genre  Coluber,  de 
Linnmu. 

Ce  n’est  pas  ici  le  lieu  de  faire  connaître  ces  divisions,  qui  doivont  seulement  servir  de 
guide  pour  l’inscription  méthodique  des  espèces  que  la  Ménagerie  a possédées  ou  possède 
encore.  A ces  dernières,  il  faut  rapporter  un  bel  Ophidien,  d'un  noir  d’ébène,  à taches  jaunes 
brillantes  ; lo  Spilote  variable  (Spilolet  variabitu),  de  Cayenne;  la  Couleuvre  d’Es- 
culape  ( Elaphia  Ætculapii),  assez  commune  en  France,  d’un  brun  verdâtre  uniforme,  avec 
deux  taches  jaunes  derrière  la  tête;  une  autre  espèce  de  ce  même  genre  et  beaucoup  plus 
remarquable  à cause  de  la  grande  taille  qu'elle  peut  atteùidre , envoyée  des  États-Unis  il  y a 
onze  ans  et  qui  vit  encore  : c’est  I'Elapiie  a quatre  bandes  (£’.  quailrivillalus ) , ainsi 
nommé  A cause  de  quatre  longs  rubans  brun  foncé  prolongés  sur  le  tronc  cl  sur  la  queue  ; 
puis  enfin  I’Elapiie  tacheté  (£’.  gultatu») , également  originaire  des  États  de  l’Union  et 
très-nettement  caractérise  par  une  série  sur  toute  la  longueur  du  dos  de  grandes  taches  ova- 
laires d’un  rouge  de  brique  pilée , bordées  de  noir. 

Les  mêmes  contrées  do  l’Amérique  du  Nord,  si  riche  en  Reptiles  de  tous  les  ordres,  nour- 
rissent une  Couleuvre  à port  lourd , à têto  confondue  avec  lo  tronc  ot  à queue  courte  et  peu 
effilée,  noire  en  dessus  et  d'un  rouge  vif  sous  le  ventre  où  se  voient,  disposées  avec  régularité, 
et  comme  les  cases  d’un  damier,  des  taches  noires , quadrilatères  ; elle  est  lo  type  du  genre 
Callopisme,  et  le  nom  spécifique  rappelle  la  marqueterie  des  régions  inférieures  ( Callo- 
pisma  abacurn) . 

Un  Serpent  à nez  pointu , A raies  noires  longitudinales , réunies  de  distance  en  distance  par 
des  raies  également  noires,  mais  transversales,  et  nommé  A cause  de  ces  diverses  particula- 
rités Rhinechis  a échelons  (Rhinechii  scalnris) , a été  plusieurs  fois  adressé  de  Montpel- 
lier. On  le  trouve  dans  les  terrains  meubles  où  il  se  crouso  des  retraites  à l’aide  do  l’espèce  de 
boutoir  que  forme  la  proéminence  de  l’os  intermaxillaire. 

Beaucoup  de  Couleuvres,  ayant  A l’extrémité  postérieure  de  la  mâchoire  supérieure  des 
dents  plus  longues  que  celles  qui  les  précédent , M.  le  professeur  Duméril  réunit  dans  une 
famille  particulière,  et  sous  le  nom  de  Syncrantériens , celles  chez  lesquelles  toutes  les  dents 
dos  os  sus-maxillaires  sont  disposées  sans  interruption  en  série  continuo  ; puis  il  a groupé 
dans  une  autre  famille  les  espèces  où  la  série  est  interrompue  en  arrière  par  un  espace  vide 
que  laissent  au-devant  d’elles  les  dernières  dents  souvent  beaucoup  plus  longues  que  les 
autres  : ce  sont  les  Diacranlériens. 


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DEUXIÈME  PARTIE.- 

\ lu  première  de  ces  deux  familles  armées  de  grandes  dents  postérieures , il  faut  rapporter 
<|uatre  Serpents  de  France.  L'un  est  la  Couleuvre  a collier  (Trojiidonolus  torqunlus  rel 
natrix).  Ses  formes  assez  lourdes,  le  volume  du  tronc,  la  largeur  de  l'abdomen  et  la  brièveté 
de  la  queue,  sont  des  caractères  qui  dénotent,  comme  le  prouve  d'ailleurs  son  séjour  habituel 
auprès  des  eaux,  des  habitudes  aquatiques.  Elle  est  verte,  tachetée  de  noir,  et  sur  le  cou  elle 
a une  double  empreinte  jaune  simulant  une  sorte  de  collier. 

Le  deuxième , dont  le  genre  de  vie  est  analogue , offre  une  ressemblance  curieuse  avec  la 
Vipère,  si  l’on  ne  lient  compte  que  des  caractères  extérieurs  : c’est  de  là  qu’est  venu  son  nom 
de  Couleuvre  vipérine  [Trop,  riperions).  Sans  parler  de  l’absence  des  crochets  à venin, 
le  revêtement  écailleux  de  la  tête  formé  de  grandes  plaques  polygones , régulières  el  propres 
aux  Couleuvres,  s'oppose  à toute  confusion. 

Les  deux  autres  Sv  ncrantériens  de  notre  pays  sont  la  Couleuvre  lisse  et  la  Couleuvre 
roh del aise  ( Coronclla  lœvil  el  ginmdica ) . 

Toutes  les  deux  sont  d'un  brun  fauve  assez  foncé;  mais  outre  des  différences  spécifiques 
bien  tranchées , la  seconde  ne  porte  qu'une  série  unique  de  taches  noires  sur  le  dns , tandis 
que  chez  la  Couleuvre  lisse  les  taches,  qui  sont  plus  petites,  sont  disposées  sur  deux  rangs 
parallèles  el  principalement  à la  région  antérieure. 

La  famille  des  Diacrantériens  compreud  plusieurs  genres  el  un  grand  nombre  d'espèces. 
Quelques-unes  doivent  être  mentionnées  dans  ce  relevé  des  liâtes  de  la  Ménagerie.  Telle  est 
d'abord  une  élégante  Couleuvre  de  l'Europe  centrale  et  méridionale,  ainsi  que  de  l'Afrique, 
souvent  adressée  du  département  de  la  Nièvre,  et  dont  la  livrée  se  compose  d’une  multitude 
de  petites  raies  d’un  jaune  vif  semées  sur  un  fond  vert  : c'est  la  C.  verte  et  jaune  (Zame- 
nis  viridi-flavus) . On  en  possède  uno  curiouse  variété  toute  noire,  recueillie  d’abord  en  Sicile, 
puis  en  Égypte.  On  doit  rapporter  à ce  même  genre  une  autre  espèce,  également  égyptienne; 
son  système  de  coloration  consistant  en  de  petits  dessins  noirs  sur  un  fond  brun  verdâtre,  lui 
a mérité  le  nom  de  Couleuvre  a bouquets  [Z.  florvleiilus). 

On  en  distingue  deux  espèces  qui,  offrant  un  cercle  orbitaire  complet  formé  par  des  écailles 
particulières,  ont  été  réunies  dans  un  même  genre  nommé  Périops,  à cause  de  cette  par- 
ticularité. L'une  de  ces  espèces,  égyptienne  comme  la  Couleuvre  à bouquets,  porte  un  grand 
nombre  do  petites  lignes  longitudinales,  parallèles  entre  elles  et  groupées  do  manière  à former 
des  maculaturos  irrégulières  de  teinte  sombre  se  détachant  sur  un  fond  brun  fauve  : elle  est 
dite  Couleuvre  a raies  parallèles  (Periopt parallelus).  Le  nom  de  Couleuvre  per 
a cheval  (P.  hippocropis ) désigne  une  note  particulière  relative  à l'arrangement  des  taches 
delà  région  supérieure  du  crâne  propre  à un  Ophidien  do  France  et  d’Algérie , bien  distinct 
île  tous  les  autres  par  des  caractères  spécifiques  très-nets. 

Une  Couleuvre  de  Porto-Rieo  peut  être  considérée  comme  l’un  des  types  du  genre  nom- 
breux des  Dromiques,  placés  au  troisième  rang  dans  la  famille  des  Diacrantériens.  Elle  est 
dite  Diiomique  des  Antilles  [Oromicus  Anlillensis). 

La  longue  série  des  Serpents  sans  crochets  à venin , observes  à la  Ménagerie , se  termine 
par  une  espèce  qu’ou  pourrait  croire  venimeuse , d’après  l'expression  particulière  de  ce  que 
SI.  Schlegel  do  Leyde  appelle  si  ingénieusement  la  physionomie,  comme  d’ailleurs  l'ancienne 
dénomination  de  Couleuvre  sév  ère  ( Xeoodon  sereins),  employée  par  Limueus,  cherche 
à l'exprimer.  En  raison  de  la  longueur  des  dernières  dents  sus-maxillaires,  elle  entre  dans 
un  genre  spécial , à dents  étranges  on  quelque  sorte. 

Entre  les  Ophidiens,  dont  il  vient  d'êtro  question , et  ceux  qui  peuvent  faire  des  blessures  si 
graves  qu'elles  sont  rapidement  mortelles , il  y a une  nombreuse  série  intermédiaire  d’espèces 
colubriformes,  comme  les  précédents,  et  cependant  années  do  dents  à venin.  XL  le  professeur 
Duméril,  en  créant  le  mot  Opistiioglyphe,  qu'il  applique  à celle  famille,  a voulu  rappeler 
l’insertion  en  arrière  de  ces  dents  et  la  rainure  de  leur  face  antérieure , car  ce  qui  fait  le  carac- 
tère essentiel  de  cet  appareil  venimeux , c'est  sa  situation  à la  partie  la  plus  reculée  de  la 


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bouche , à ['extrémité  postérieure  des  os  sus-maxillaires , à la  suite  des  dents  pleines  et  sans 
sillon  implantées  sur  ces  os. 

A la  base  de  ces  crochets  propres  A inoculer  le  poison,  non  pas  au  moment  de  la  première 
morsure,  mais  quand  la  proie  a déjà  pénétré  dans  la  bouche,  il  y a une  glande  d'une  structure 
particulière  destinée  à sécréter  le  liquide  meurtrier. 

Quoique  ces  Serpents  soient  fort  nombreux,  on  ne  peut  citer  dans  celte  Note  que  deux 
espèces.  — L’une,  originaire  d’Égypte  et  d’Algérie,  est  nommée  Ltcocnatiie  a capuchon 
( LycognaUaa  cucutlatus ),  à cause  de  ses  grandes  dents  antérieures  et  à cause  du  dessin  que 
forment  sur  la  partie  postérieure  de  la  tète  et  sur  lu  nuque  deux  bandes  et  quatre  taches 
noires.  L'autre,  qui  est  dite  Couleuvre  île  Montpellier,  parce  qu'on  la  rencontre  aux  environs 
de  celle  ville,  se  trouve  aussi  eu  Afrique.  Elle  se  distingue  facilement  par  la  conformation  de 
la  tète  : la  région  sus-cranienne , au  lieu  d'ètre  plate , comme  chez  les  autres  Ophidiens , est 
creusée  dans  le  sens  longitudinal  d’uno  sorte  de  gouttière  évasée  et  peu  profonde.  Elle  est 
d'une  teinte  sombre  d’un  brun  verdâtre  à peino  relevé  par  de  petites  taches  noires. 

Il  reste  enfin  à parler  des  Serpents  les  plus  venimeux , dont  les  crochets  longs  et  robustes 
occupent  l’extrémité  antérieure  de  In  mâchoire  supérieure. 

La  première  famille  de  ces  Ophidiens  si  redoutables  comprend , sons  la  dénomination  de 
Prolé roglyphes,  les  espèces  à crochets  situés  en  avant  et  parcourus  dans  toute  leur  longueur 
par  un  sillon. 

C'est  à cette  première  division  qu'il  faut  rapporter  les  singuliers  animaux  connus  sous  les 
noms  vulgaires  de  ScnPEXT  a coiffe  ou  Cobra  ni  capello,  et  qui  sont  désignés  par  les 
naturalistes  sous  celui  de  Naja.  Les  voyageurs,  depuis  le  célèbre  Kœmpfer,  qui,  le  premier, 
u donné  de  très-intéressants  détails  sur  ce  sujet,  ont  souvent  parlé  des  exercices  bizarres 
auxquels  les  bateleurs  indiens  ou  égyptiens  les  soumetteut  à l’aide  des  sons  monotones  d’un 
[lotit  flageolet.  Le  Naja  a lunettes  ou  baladin  (Naja  Iripnilinns) , le  plus  célèbre  à cause 
de  l'espèce  de  dessin  qu'il  porte  sur  le  cou  et  que  rap[ielle  sa  dénomination,  n’a  jamais  été  vu 
vivant  à Paris , quoiqu'il  soit  très-commun  aux  Grandes-Indes  et  qu’il  ait  été  souvent  vu  au 
Jardin  de  la  Société  zoologique  de  Londres. 

Le  Naja  iiaje,  au  contraire,  a été  plusieurs  fois  adressé  d’Égypte,  et  dans  ce  moment 
encore  lu  Ménagerie  possède  un  très-beau  spécimen  de  cetto  espèce.  Dès  qu'on  irrite  ce  Ser- 
pent , il  relève  brusquement  la  tête  et  toute  la  partie  antérieure  du  tronc  à une  hauteur  do 
0 m.  30  à 0 m.  35  environ.  En  même  temps,  les  côtes  antérieures,  qui  sont  les  plus  longues, 
sont  fortement  ramenées  en  avant.  La  peau  les  suit  dans  ce  mouvement  do  progression,  et, 
comme  elle  est  lâche  et  extensible , elle  s’élargit  de  la  même  manière  en  quelquo  sorte  que 
l’étoffe  d'un  éventail  se  déplie , quand  les  touches  dont  il  est  formé  sont  rapidement  écartées 
les  unes  des  autres.  La  tête  domine  le  capuchon , elle  devient  horizontale  et  l’animal  la  dirige 
constamment  à droite  ou  à gauche  pour  épier  le  danger. 

Le  nom  do  Solinoglyphes,  donné  par  M.  le  professeur  Duméril  aux  espèces  de  la  seconde 
famille  de  Serpents  à crochets  venimeux  antérieurs , indique  leur  caractère  anatomique 
essentiel , qui  est  d’avoir  ces  crochets  [icrforés  dans  toute  leur  longueur  par  un  canal  terminé 
par  un  sillon  à son  extrémité  libre. 

Le  plus  connu  de  ces  Ophidiens  est  la  Vipère , représentée  en  France , et  jusque  dans  les 
environs  de  Paris , par  deux  Serpents  très-semblables  entre  eux  par  leur  apparence  extérieure 
et  par  leur  système  do  coloration , mais  offrant  cependant  une  différence  très-remarquable. 
L’un,  qui  reste  le  type  du  genre  Vipère  proprement  dit,  a la  tète  couverto  non  pas  de  grandes 
plaques  symétriques , comme  celles  des  Couleuvres , mais  de  petites  squames  analogues  aux 
écailles  du  tronc  : c'est  la  ViptnE  aspic  (Vipera  aspis  vel  priester).  L’autre,  le  P t lias 
8 e a u s ( Polios  berus),  se  distingue  d’une  façon  très-nette  par  la  présence,  sur  la  région  anté- 
rieure de  la  têto , de  petits  écussons , dont  un  central , plus  considérable.  De  lâ  vient  l’erreur 
qu’il  est  important  de  prévenir  et  qui , au  premier  moment , peut  faire  prendre  cette  espèeo 

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DEUXIÈME  PARTIE, 
pour  la  Couleuvre  vipérine.  Cher  cette  dernière , cependant , les  plaques  sus-céplialiques  sont 
plus  grandes  et  plus  nombreuses.  La  tète  des  Vipères  et  des  Pélius,  en  outre,  a une  (orme 
spéciale , légèrement  triangulaire. 

Le  Sénégal  nourrit  une  très-grosse  Vipère,  proportionnellement  courte,  à tète  plate  et  large, 
de  couleur  sombre  et  d’un  aspect  sinistre,  que  Cuvier  nommuit  V.  a courte-queue  : c’est 
I’Échidnée  Heurtants  ( EchUtna  arielaiu).  Il  y en  a de  beaux  exemplaires  dans  ce 
moment  à la  Ménagerie.  On  y voit  aussi  la  Vipère  cornue  ou  Céraste  égyptien,  qu’on  a 
quelques  raisons  de  regarder  comme  étant  le  célèbre  Aspic  de  Cléopâtre  (Cerailet 
Ægyptiacus  ) . 

On  a reçu  du  même  pays  deux  autres  espèces  de  pelilo  taille,  comme  la  précédente,  mais 
bien  différentes  en  ce  que  les  régions  surcillaires  ne  portent  pas  les  appendices  saillants  si 
caractéristiques  du  Céraste.  Vin  raison  de  différences  qui  permettent  île  les  distinguer  l'une  de 
l’autre,  elles  ont  reçu  les  noms  d'Ecms  a pheix  et  d’Ecms  carénée  (Echis  frenata  et 
carinata). 

A la  suite  de  ces  Ophidiens,  il  faut  placer  le  Crotale  ou  Serpent  a sonnettes,  si 
remarquable  par  l’appareil  corné  qu'il  porte  à l'extrémité  de  la  queue,  et  dont  les  pièces, 
I, Vilement  emboîtées  entre  elles,  produisent,  lorsque  la  série  tout  entière  est  mise  en  vibration 
par  les  mouvements  fort  rapides  do  la  queue , un  bruit  très-particulier.  Les  sons  aigus  et 
stridents  que  le  serpent  fuit  alors  eutcudre  sont  si  étranges,  qu’on  s’explique  sans  peine  la 
frayeur  qu’il  inspire  aux  hommes  et  aux  animaux  qui  fuient  épouvantés  à l’approche  de  ce 
dangereux  Reptile  que  la  Ménagerie  a presque  toujours  possédé  et  dont,  en  co  moment  encore, 
elle  a de  beaux  spécimens. 

On  y garde  aussi  en  captivité  l’espèce  si  rodoutée  aux  Antilles,  sous  le  nom  de  Fer  de 
Lance,  à cause  de  la  forme  de  la  tfto  : c'est  le  Bothrops  lanceolatus  qui  peut  avoir 
2 mètres  de  long.  Les  mêmes  cages , soigneusement  entouréos  d'un  double  grillage , renfer- 
ment en  outre  un  serpent  venimeux , à tète  triangulaire , et  que  la  diversité  de  ses  couleurs 
sombres , il  csl  vrai , a fait  nommer  Arlequin  ( Trigonocephatu»  histrionicus ) . 

BATRACIENS.  Le  quatrième  ordre  de  la  classe  des  Reptiles,  comprenant  les  Grenouil- 
les, les  Rainettes,  les  Crapauds, los  Salamandres  et  quelques  autres  espèces, occupe, 
dans  l'histoire  de  la  Ménagerie,  une  place  moins  importante  qnc  los  trois  premiers  ordres.  Le 
nombre  de  cos  Batraciens  qui  y ont  été  vus  reste  en  effet  inférieur  à celui  dos  Chéloniens , des 
Sauriens  et  des  Ophidiens.  Dans  ce  nombre , cependant , il  y a quelques  animaux  très- 
intéréssants.  Eu  fêle  de  la  liste  qui  doit  en  être  donnée  ici,  il  faut  placer  laCéciuE  a 
museau  étroit  et  lo  Sipiionops  asnelé  ( Cœcilin  rostrala  cl  Siphonopt  annulalus). 
Longtemps  considérés  comme  des  Serpents,  à cause  de  la  forme  allongée  el  cylindrique  du 
corps  el  de  l’absence  complète  des  membres , ces  Reptiles  offrent  néanmoins  cette  curieuse 
particularité  d’être,  par  toute  leur  organisation  , de  véritables  Batraciens,  malgré  l'analogie 
remarquable  de  leur  conformation  extérieure  avec  les  Ophidiens  de  petite  taille , qui , à cause 
de  leur  cécité  presque  absolue,  ont  été  nommés  Typiilops.  Ce  sont  des  animaux  pour  la 
plupart  avcuglos,  à museau  plus  ou  moins  prolongé  en  une  sorte  de  boutoir,  et  qui  vivent 
dans  les  terrains  mobiles  de  l’Amérique  méridionale  et,  en  particulier,  du  Brésil,  d’oh  le 
Muséum  les  a déjà  plusieurs  fois  reçus. 

Tous  les  autres  Batraciens  ont  des  membres,  mais  les  uns  ont  une  queue  :«e  sont  les 
Upodéles,  ainsi  nommés  en  raison  de  ce  caractère.  La  queue,  au  contraire,  manque  chez 
les  autres  qui,  en  raison  do  celte  particularité  notable,  ont  reçu  lo  nom  d'AxouRES. 

Ceux-ci,  Irès-nombreux  en  espèces,  présentent  entre  eux  des  différences  très-remarquables, 
faciles  à constater  quand  on  compare  entre  eux  le  Crapaud,  la  Grenouille  et  la  Rai- 
nette, types  de  trois  grandes  familles  qui  sont  représentées  dans  notre  pays  par  quelques 
espèces  qui  sont  toujours  assez  abondantes  dans  les  cases. 

Parmi  les  Grenouilles,  que  la  longueur  do  leurs  membres  et  la  palmure  de  leurs  doigts 


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MÉNAGERIE.  — REPTILES. 

font  reconnaître  si  aisément,  on  doit  nommer  la  Verte  , dont  la  couleur  parait  varier  suivant 
qu'elle  habite  l'Europe,  l'Asie  ou  l'Afrique.  Le  uom  de  Rana  esculenta,  donné  par 
Linmeus,  rappelle  l'usage  qu’on  fait  souvent  dans  l’art  culinaire  do  ce  Reptile,  dont  les  membres 
postérieurs  sont  comparés,  pour  l’aspect  et  pour  la  saveur,  à la  chair  du  poulet.  Cette 
Grenouille  se  distingue  surtout  de  l’autre  espèce , commune  dans  notre  pays , par  l’absence , 
sur  les  côtés  île  la  tête,  de  la  tache  noire  qui,  par  sa  constance,  a motivé,  pour  cette  deuxième 
espèce,  la  dénomination  de  Temporaire.  Elle  est  dite  aussi  quelquefois,  à cause  de  sa 
teinto  jaune-brunâtre,  Gn.  rousse  (Itana  lemporaria  v cl  fusai). 

L’abondance  de  ces  deux  Batraciens  anoures  aux  environs  de  Paris  permet  de  les  employer 
dans  la  Ménagerie  cnmmo  pâture  pour  les  Serpents  qui,  vivant  à l’état  de  liberté,  dans  les 
lieux  humides  et  au  bord  des  ruisseaux,  telles  que  les  Couleuvres  a collier  et  Vipérine 
et  quelques  autres , recherchent  cette  proie  avec  avidité. 

Des  Étals-tnis,  on  a reçu  deux  Grenouilles  très-analogues  entro  elles  : la  Gr.  h alécine 
ot  celle  des  marais  (/I.  halecia  et  palustris) , qui  paraissent  être,  dans  l'Amérique  du  Nord, 
les  représentants  de  nos  deux  es|ièces  communes. 

Semblables  A ces  dernières  pour  la  taille,  elles  sont  très-petites  comparativement  à une 
grosso  espèce , originaire  du  même  pays , et  dont  certains  individus  qui  ont  été  conservés  en 
captivité  étaient  longs  de  0™  35  à 0"'  AO.  On  a pu  reconnaître,  au  bruit  produit  par  ces  énormes 
Batraciens,  surtout  au  moment  où  ils  s'élançaient  pour  sauter  à de  très-grandes  distances, 
qu'ils  méritent  bien  le  nom  de  Grenouille-Taureau  ou  mugissante  (/I.  mugiens). 

Des  possessions  algériennes , on  a adressé  plusieurs  fois  au  Muséum  une  espèce  à régions 
supérieures  marbrées  de  gris,  de  brun  ou  de  roussâtro,  et  souvent  ornées,  sur  le  milieu  du 
dos,  d'une  bande  blanche  ou  jaune  Elle  est  devenue  le  type  d’un  genre  distinct,  fondé  d'après 
des  caractères  particuliers , et  surtout  d'après  l'invisibilité  do  la  membrane  du  tympau , qui  est 
cachée  sous  les  téguments , contrairement  â ce  qui  a lieu  chez  la  plupart  des  Batraciens , où 
cette  membrane,  située  & fleur  de  tète,  est  très-apparente.  Ce  Disc.ogi.osse  peint  ( Visco - 
glossus piclus) , qui  a les  formes  élancées  des  Grenouilles,  no  vit  pas  on  Franco,  mais  il  a été 
trouvé  en  Grèce , en  Sicile  et  en  Sardaigne. 

Pour  terminer  la  série  des  Raniformes  à membres  postérieurs , longs  et  bien  disposés  pour  s 
le  saut , il  faut  citer  une  espèco  spéciale  à la  France , et  dont  les  habitudes  aquatiques  so 
trouvent  rappelées  par  le  nom  de  P é l o d y t e qui  lui  est  donné  et  qui  signifie  qu’elle  fréquente 
les  localités  marécageuses.  Kilo  est  tachée  de  noir  en  dessus.  C’est  le  P.  ponctué  ( PelodgUs 
punclatm ) , qui  se  distinguo  de  toutes  les  autres  Grenouilles  par  certains  caractères  anatomi- 
ques et  par  lo  pouvoir  dont  il  est  doué  de  grimper  presque  aussi  facilement  que  les  Rainettes 
le  long  d’un  plan  vertical  et  très-uni,  comme  les  parois  d’un  vase  do  verre,  ainsi  que  l’obser- 
vation en  a été  bien  souvent  faite  à la  Ménagerie.  C'est  particulièrement  dans  l'ancien  parc 
de  Sceaux  que  ce  Batracien  so  rencontre  dans  les  environs  de  Paris. 

La  division  des  Anoures,  adoptée  dans  Y Erpétologie  générale  de  MM.  Duméril  et  Bihron, 
étant  fondée  sur  la  conformation  des  doigts  qui  permet  de  séparer  tout  d’abord  les  Rai- 
nettes, dont  il  sera  question  plus  loin,  la  distinction  fondamentale  entre  les  Grenouilles 
et  les  Crapauds  se  tire  du  système  dentaire. 

Les  véritables  Crapauds  n’ayant  aucune  dent  ni  à l’une  ni  à l’autre  des  mâchoires,  ni  au 
palais,  tandis  qu'il  y en  a dans  la  région  maxillaire  supérieure  et  à la  voûte  palatine  chez  les 
Grenouilles,  il  a fallu  nécessairement  ranger  parmi  celles-ci  quelques  Batraciens  â membres 
postérieurs  courts  et  â corps  ramassé,  malgré  la  dénomination  vulgaire  qui  sert  à les  désigner 
et  dont  on  no  saurait  méconnaîtra  lu  justesse , si  l’on  s’en  lient  aux  formes  extérieures.  Tels 
sont,  entre  autres,  le  Crapaud  accoucheur  (Aigles  obslel  ricane  ) , le  Crapaud  a 
ventre  couleur  de  FEU  ou  Sonneur  ( Bombinator  igneus ) et  le  Pélobate  brun 
{ Pelobates  fusais)  qui  vivent  en  France , même  aux  abords  de  Paris,  et  que,  par  cela  même, 
on  a fréquemment  conservés  en  captivité  au  Muséum. 


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180  DEUXIÈME  PARTIE. 

La  première  espèce  est  très-intéressante  à étudier  à cause  des  particularités  de  moeurs 
qu'elle  offre  à l'observateur. 

N'est-il  pas  en  effet  bien  remarquable  qu'au  moment  où  les  œufs  viennent  d’èlro  pondus,  le 
mâle,  comme  guidé  par  une  prévoyance  ingénieuse  pour  la  protection  de  sa  race,  s'en  empare 
et  enlace  autour  de  ses  membres  postérieurs  le  chapelet  que  ces  œufs  forment  par  leur  union 
avec  une  matière  visqueuse  et  tenace  qui  les  unit  les  uns  aux  autres.  Ce  n’est  pourtant  que  la 
manifestation  pleine  d'intérêt,  il  est  vrai,  pour  le  naturaliste,  d’un  instinet  qui  pousse  cet 
animal  à se  charger  de  ce  fardeau  précieux  qu'il  conserve  ainsi  pendant  vingt-cinq  à trente 
jours.  Tant  que  dure  cette  sorte  de  gestation  extérieure,  il  reste  immobile  dans  une  retraite 
sombre  et  humide,  où  il  se  cache  pour  se  mettre  à l’abri  des  attaques.  Il  y a quelque  chose  de 
plus  merveilleux  encore  dans  celte  série  d’actes  instinctifs  que  ce  Batracien  accomplit  â cclto 
époque  si  importante  de  sa  vie,  puisqu’il  s'agit  de  la  perpétuation  de  sa  raco.  Il  quitte,  au 
bout  de  ce  temps,  le  lieu  de  son  refuge,  cl  se  dirige,  tant  bien  que  mal,  embarrassé  qu'il  est 
dans  sa  marche,  vers  les  eaux  du  voisinage.  Ne  faut-il  pas,  en  effet,  que  les  jeunes  animaux 
qui  vont  sortir  des  œufs  arrivés  à leur  dernière  période  de  développement  naissent  nu  milieu 
de  l'eau?  Ce  sont  des  T ütarels,  c’est-à-dire  des  animaux  à respiration  branchiale,  et  mémo 
de  véritables  poissons  pendant  tous  les  premiers  temps  de  leur  vie.  Ils  périraient  promptement, 
si  l'éclosion  avait  lieu  sur  le  sol,  par  suite  de  l'impossibilité  absolue  pour  eux  de  respirer  dans 
l’air.  Le  râle  du  Crapaud  accoucheur  rempli,  il  reprend  ses  habitudes  et  le  goure  de  vie  qui  lui 
est  propre , se  tenant  de  préférence  dans  les  herbages  humides. 

Quant  au  Sonneur,  il  ne  mérite  pas  plus  ce  nom  que  d'autres  Batraciens;  le  coassement 
qu  il  fait  entendre  n’a  rien  île  spécial , et  n’étant  mémo  pas  aussi  caractéristique  que  celui  do 
l'espèce  dont  il  vient  d'être  question,  laquelle  produit,  à l’époque  des  amours,  des  sons  ana- 
logues à ceux  qui  résulteraient  do  la  percussion  d'une  clochette  de  verre.  Il  est  remarquable 
par  la  teinte  d'un  jaune-orange  vif  des  régions  inférieures  rendue  plus  éclatante  encore  par  les 
marbrures  d’un  brun  foncé.  Il  ost  de  petite  taille,  se  trouvo  dans  toute  l’Europe  lenqiérée,  et 
vit  presque  toujours  dans  l'eau. 

Le  Pélobate  brun  enfin  se  reconnaît  facilement  à la  saillie  très-prononcée  do  l'un  dos  os  du 
pied , d'où  résulte  l’apparence  nu  talon  d'une  sorte  d’éperon  tranchaut  de  couleur  jaune.  Sa 
tète  est  rugueuse  et  couverte  d'aspérités  auxquelles  la  peau  est  très-fortement  adhérente. 

Entre  ces  trois  derniers  Batraciens  et  les  véritables  Crapauds , il  y a cetto  différence  anato- 
mique importante  que  ceux-ci  sont  complètement  privés  de  dents.  Leur  langue , d’ailleurs , 
contrairement  à ce  qui  s’observe  chez  les  Crenouilles  cl  chez  les  Rainettes,  ti'est  presquo 
jamais  échancrée  à son  bord  postérieur,  et  à l'exception  dos  grosses  glandes  qu'un  certain 
nombre  d'entre  eux  portent  derrière  la  tête,  sur  les  côtés  du  cou,  et  d'où  s'échappe  une 
humeur  âcre  et  irritante,  vénéneuse  même  pour  les  petits  animaux,  leur  peau  est  plus  lisse 
que  celle  ries  autres  Anoures. 

Le  corps  est  généralement  trapu,  les  membres  courts  et  ramassés.  Ces  différents  caractères 
sont  très-évidents  sur  les  deux  espèces  communes  do  notre  pays,  et  dont  il  y a presque  toujours 
des  échantillons  à la  Ménagerie.  Les  différences  qui  les  distinguent  l'une  de  l’autre  sont  assez 
faciles  à saisir  pour  le  zoologiste,  mais  vulgairement  on  les  confond  , quoique  lo  Crapaud 
vert  {Dufo  viridis)  ne  devienne  pas  aussi  volumineux  que  le  Crapaud  vu  lgaire  ( llufu 
vulyaris) , qui  ne  porte  jamais  la  ligne  méthane  jaune  dont  le  dos  du  premier  est  souvent  orné 
dans  toute  sa  longueur,  fréquemment  aussi  leurs  régions  supérieures,  d'une  teinte  verte,  mais 
le  plus  souvent  sombre  ou  d’uu  brun  plus  ou  moins  obscur , sont  parsemées  de  tubercules , 
ce  qui  leur  fait  donner,  dans  quelques  contrées,  le  nom  du  Crapaud  «aleu'X. 

Il  est  venu  des  États-Unis  une  es|>èce  à grandes  taches  et  à ligne  médiane  le  long  du  dos  qui 
a reçu  des  zoologistes  do  ce  pays  le  nom  do  Crapaud  américain  (Ihtfo  americnnut) , et 
do  l’Algérie  le  Crapaud  pastuéris  (Bufu  païUheriiuu) , très-analogue  au  Crapaud  vert 
de  notre  pays , dont  il  diflcre  cependant  par  des  caractères  assez  nets. 


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MÉNAGERIE.  — REPTILES.  181 

Ces  différentes  espèces,  ainsi  qu’on  le  suit  de  la  plupart  de  celles  en  très-grand  nombre  que 
renferme  la  famille  des  Bufoniformes , ont  des  habitudes  nocturnes. 

Ces  Batraciens  anoures  no  sont  pas  les  seuls  dont  il  y ait  à parler  ici  ; le  troisième  groupe 
celui  des  Rainettes  doit  être  aussi  mentionné,  car  la  Ménagerie  possède  toujours  pendant  la 
belle  saison  cette  charmante  petite  Grenouille  d’arbre,  connue  sous  le  nom  de  Rainette 
verte  ( H y la  ciridis  tel  arburen).  Sa  jolie  couleur  est  constamment  en  harmonie  avec  la 
nuance  des  feuilles  à lu  surface  desquelles  elle  se  tient  suspendue  au  moyen  des  disques  élargis 
qui  terminent  les  doigts  en  matière  de  pelotles,  dont  lu  surface  molle  adhère  solidement  aux 
corps  les  plus  lisses.  On  l’a  recueillie  dans  les  différentes  parties  île  l’Europe,  excepté  dans  la 
Grande-Bretagne  'où  elle  n’a  jamais  été  vue.  Elle  vit  aussi  en  Algérie.  Une  espèce  beaucoup 
plus  volumineuse,  rapportée  de  la  Nouvellc-llollaudc,  vit  depuis  six  ans  dans  une  des  cages 
où  l’on  ne  peut  la  voir  sortir  de  sa  retraite  qu’à  la  nuit  tombanto  : c’est  alors  qu’elle  poursuit 
les  insectes  dont  elle  fait  sa  nourriture.  Quoique  verte,  elle  est  désignée  dans  les  catalogues 
scientifiques  sous  les  noms  de  Rainette  oleee  (llyla  cijanca) , parce  que  le  séjour  dans 
l’alcool  altère  promptement  son  système  de  coloration  en  lui  donnant  une  nuance  bleuâtre. 

Après  tous  les  Batraciens,  dont  il  a été  question  jusqu’à  présent,  et  qui  ont  dans  leur  con- 
formation générale  une  remarquable  analogie,  il  en  vient  d’autres  qui,  au  premier  abord,  en 
diffèrent  de  la  façon  la  plus  notable.  Au  lieu  d’avoir  un  tronc  large , court , déprimé , privé  de 
queue  et  supporté  (air  «les  membres  de  longueur  inégale  et  dont  les  postérieurs  quelquefois 
l’emportent  beaucoup  par  la  longueur,  ils  ont  le  corps  allongé,  terminé  par  une  queue  consi- 
dérable plus  nu  moins  bien  disposée  pour  faciliter  la  natation , et  des  membres  courts  égaux 
entre  eux.  En  se  bornant  à ces  caractères  extérieurs,  on  les  croirait  plus  voisins  des  Lézards 
que  de  tous  les  autres  Reptiles , mais  l’étude  de  leur  organisation  et  do  leurs  métamorphoses 
no  laisse  aucun  doule  sur  le  rang  qu'ils  doivent  occuper.  Gomme  les  Grenouilles,  les  Cra- 
pauds et  les  Rainettes,  ce  sont  des  Batraciens,  mais  dont  la  queue  constitue  l’uno  dos  parti- 
cularités les  plus  notables.  — Aussi,  leur  nom  d’UnouÈLES,  qui  rappelle  cette  différence, 
met-il  en  saillie  l'opposition  frappante  qui  existe  entro  eux  et  les  Anoures. 

Le  plus  connu  et  le  plus  célèbre,  à cause  des  préjugés  qui  se  rattachent  à son  histoire,  est 
lu  Salamandre  terrestre  (Salamandra  lerreilrit) , à leinto  brune,  élégamment  relevée 
par  de  larges  taches  jaunes.  — Le  fait  le  plus  merveilleux  des  récits  qui  ont  cours  dans  les 
traditions  populaires  relatives  à ce  Reptile,  est  In  propriété  dont  il  jouirait,  dit-on,  de  résister 
à l’action  îles  flammes.  Or,  si  l’on  cherche  ce  qui  a pu  donner  lieu  à cette  fable,  on  trouve 
que,  sous  l’influence  d’une  vive  irritation,  les  glandes  volumineuses  que  la  Salamandre  porte 
sur  la  nuquo  sécrètent  en  grande  abondance  le  liquide  qu’elles  produisent.  Des  charbons 
ardents  peuvent  donc , au  premier  moment  où  cette  humeur  àcro  et  visqueuse  les  couvre, 
paraître  éteints,  mais  bientôt,  la  sécrétion  s’arrêtant,  lo  feu  continue  son  œuvre  de  destruction 
un  instant  interrompue  et  la  mort  ne  se  fait  pas  longtemps  attendre. 

Celle  Salamandre , qui  est  généralement  redoutée  dans  los  campagnes , quoi  quelle  n’ait 
pas  d'autres  armes  que  ees  appareils  glandulaires,  n’est  pas  également  commune  dans  toutes 
les  pallies  de  la  France.  C'est  s[>écinlcuicnt  en  Bretagne  que  les  individus  conservés  à diffé- 
rentes reprises  en  captivité  avaient  été  recueillis. 

L'ne  autre  espèce,  assez  analogue  à celle-ci  dans  sa  conformation  générale,  mais  qui  a dû 
devenir  le  type  d'uu  genre  paiticulier,  offre,  dans  sa  structure,  une  anomalie  bizarre.  Elle  a, 
sur  les  côtés  du  corps,  une  série  longitudinale  de  saillies  formées  par  les  extrémités  libres  des 
côtes , qui  soulèvent  les  téguments  et  quelquefois  même  les  traversent.  Le  nom  île  Pleurodèle 
sert  à rappeler  ce  fait  unique  dans  la  série  des  animaux  vertébrés.  On  n’a  encore  trouvé  qu’en 
Espagne  ce  genre,  où  il  est  connu  par  une  espèce  unique,  le  PleurodI: i. r.  de  Waltl  (Pieu- 
i ur/efes  U'altlii),  qui,  deux  fois,  a été  envoyé  vivant  des  environs  de  Madrid. 

L'étude  de  la  Salamandre  terrestre  est  d’un  grand  intérêt  pour  le  physiologiste , car  elle 
offre  un  remarquable  exemple  d'ovoviviparité.  Les  jeunes  animaux  naissent  tout  développés, 
et  sont  abandonnés  dans  l’eau  par  la  mère.  Elle  s’v  tient  en  effet  au  moment  de  la  parturilinn, 


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182 


DEUXIÈME  l'AUTIE. 
afia  que  les  Têtards,  dont  In  respiration,  comme  celle  îles  Têtards  d’Anoures,  no  peut  s’ac- 
complir que  sur  des  lames  branchiales,  n’aient  pas  à chercher  l'élément  qui  leur  est  indispen- 
sable. A mesure  que  leur  transformation  s’opère . que  les  poumons  se  développent  et  que  les 
organes  de  respiration  aquatique  s’atrophient,  les  Salamandres  quittent  de  plus  en  plus  lo  lieu 
de  leur  premier  séjour,  pour  so  tenir  de  préférence  dans  des  localités  ombragées  et  un  peu 
humides,  et  elles  no  retournent  plus  à l’eau  qu’à  l’époque  où  elles  doivent  perpétuer  leur  race. 

Tous  les  Irodèles,  cependant,  ne  deviennent  pas  exclusivement  terrestres,  comme  ceux 
dont  il  vient  d’être  question.  D’autres,  dont  la  conformation  indique  un  genre  do  vie  différent, 
no  quittent  presque  jamais  les  ruisseaux  et  les  mares,  bien  que.  inunis  d’appareils  pulmonaires 
comme  tous  les  autres  Batraciens  adultes.  Ce  sont  les  T ni  ton  s,  qui,  à l'aide  do  leurs  pattes 
largement  palmées,  de  leur  queue  comprimée  et  surmontée  «l’une  membrane,  et  de  plus  avec 
une  crête  dorsale,  dont  le  développement  varie  suivant  les  saisons  et  parait  être,  ainsi  qu’on 
l’a  dit,  une  parure  de  noce,  peuvent  nager  avec  une  gramio  facilité. 

Trois  espèces,  souvent  difficiles  à distinguer  à cause  de  la  variabilité  remarquable  «lu 
système  de  coloration,  les  Tritons  a crête,  marbré  et  Alpestre  ( Triton  crislatus , 
marmoratus  et  Alpes  tris) , vivent  en  France,  et  sont  constamment  représentées  à la  Ménagerie 
par  des  échantillons  recueillis  dans  des  localités  variées. 

lue  des  modifications  les  plus  curieuses  des  organes  des  Têtards,  à mesure  qu'ils  appro- 
chent de  l’état  adulte,  consiste  dans  la  disparition  des  houppes  branchiales  qui,  d’abord 
extérieures,  cessent  peu  à peu  de  faire  saillie  au  dehors  et  qui  s’atrophient  à mesure  que  les 
poumons  restés  à l’état  rudimentaire  pendant  les  premiers  temps  de  lu  vio,  passent  par  les 
développements  nécessaires  pour  qu’ils  deviennent  «le  véritables  organes  «le  respiration.  Or, 
cet  état,  transitoire  chez  le  plus  grand  nombre  des  Batraciens  urodèles,  est  permanent  chez 
quelques-uns  d’entre  eux , que  pour  cctto  raison  l’on  nomme  Pérennibranches.  Ces  der- 
niers sont  caractérisés  par  la  persistance , pendant  toute  la  durée  de  leur  vie , des  houppes 
branchiales  extérieures,  lesquelles,  nu  reste,  pas  plus  que  chez  les  Têtards  «l«»s  Salamandres 
et  des  Tritons,  ne  constituent  l’organo  essentiel  de  la  revivification  du  sang.  Elles  ne  sont,  en 
effet , que  des  appendices  accessoires  des  branchies  intérieures.  Ces  Pérenuibranches  offrent 
encore  une  autre  particularité  d’organisation  très- digne  d'intérêt.  Klin  est  relative  à l’ordre 
d’apparition  «les  membres  «pii,  manquant  au  jeune  anima)  au  moment  où  il  sort  de  l’œuf,  se 
développent  successivement,  la  paire  antérieure  la  première,  et  la  postérieure  la  seconde.  Un 
de  ces  Irodèles  anomaux,  dont  il  s’agit  ici,  n’a  jamais  «juc  les  membres  de  devant,  tandis 
qu'un  autre,  représentant  en  quelque  sorte  un  état  de’ développement  plus  avancé,  a de  plus 
les  membres  pelviens.  Ce  ne  sont  pas,  d’ailleurs,  comme  on  aurait  été  tenté  do  le  croire,  des 
Irodèles  à l’état  de  larve  : lo  Sirène  lacf.rtine  ( Siren  lacerlina),  qui  n’a  que  les  pattes 
thoraciques,  et  le  P roté  F.  a ng  un.  la  ru  (Protons  anguitte  tut),  qui  a les  unes  et  les  autres, 
ont  été  représentés  à la  Ménagerie  par  plusieurs  individus  dont  l’un  a vécu  sept  ans  et  l’autre 
onze  ans,  c'est-à-dire  pendant  un  laps  «le  temps  bien  plus  considérable  qu’il  n’aurait  été 
nécessaire  pour  que  la  transformation  s’accomplit  si  elle  avait  dû  se  faire.  Ce  sont  des  ani- 
maux à l’état  parfait,  mais  arrêtés  à une  période  de  développement  inférieur,  malgré  leur 
grande  taille , qui  l’emporte  «le  beaucoup  sur  celle  des  Irodèles  ordinaires.  Ils  habitent  les 
eaux  souterraines,  la  Sirène  lacertine  dans  l’Amérique  du  Nord,  et  le  Protée  dans  la  Carniole. 
Celui-ci  surtout,  qui  n’est  jamais  frappé  par  la  lumière  solaire,  a les  téguments  blanchâtres  et 
étiolés,  comme  tous  les  animaux  appelés  à vivre  dans  les  lieux  obscurs. 

Ici  se  termine  l’énumération  des  Reptiles  qui  ont  été  observés  à la  Ménagerie,  ou  qu’on  y 
voit  encore  aujourd’hui.  Il  est  facile  de  comprendre,  d’après  les  détails  qui  précèdent,  tout 
l’intérêt  «pii  s’attache  à celte  section  encore  assez  nouvelle  «le  la  collection  si  riche  d’animaux 
vivants,  «pie  In  munificence  du  gouvernement  réunit  à grands  frais  dans  les  jardins  du  Muséum 
d’histoire  naturelle.  On  peut  prévoir,  par  ce  qui  a déjà  été  fait,  toute  l’importance  du  rôle 
que  cette  Ménageriô  spéciale  est  appelée  à remplir  dons  ce  vaste  et  magnili«|u«*  ensemble. 

\.  I). 


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I.'exatnen  des  formes  extérieures  dns  nombreux  habitante  de  la  Ménagerie  ne  suffit  pas  à 
votre  curiosité  toujours  croissante,  et  vous  épreuve*  le  désir  de  reconnaître  les  rouages 
cochés  qui  font  mouvoir  tous  ces  corps  animés,  ou,  en  d’autres  termes,  leur  organisation 
intérieure , leur  squelette. 

Préoccupé  du  cette  idée , dirigez  vos  pas  vers  le  Cabinet  d'anatomie  comparée.  Ce  nom  do 
cabinet,  par  trop  modeste,  ne  devrait  plus  être  donné  à cette  galerie  étroite  ot  peu  longue  qui 
renferme  une  collection  anatomique  déjà  nombreuse,  qui  s'accroît  et  s'enrichit  chaque  année; 
mais,  à vrai  dire,  si  c'est  bien  plus  qu'un  cabinet,  ce  n’est  encore  qu’une  galerie  à proportions 
mesquines,  et  qui  devra  un  jour  disparaître,  car  lo  moment  viendra  où  la  science  des  Dau- 
bonlnn,  des  Cuvier,  des  de  Mainville,  exigera,  pour  être  développée  dans  l'ordre  de  l'organi- 
sation animale , qu’un  véritable  Musée  zootomique  puisse  renfermer  sans  confusion  toutes  les 
parties  des  animaux , depuis  les  pins  petits  jusqu'à  ceux  dont  In  taille  est  la  plus  gigantesque. 


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184  DEUXIÈME  PARTIE. 

Avant  «le  pénétrer  «Inns  cette  galerie,  où  sont  déposés  et  entassés  les  restes  précieux  de  tous 
les  animaux  morts  depuis  plus  d'un  siècle  à la  Ménagerie  de  \ersailles  et  à celle  «le  Paris,  et 
ceux  venus  de  toutes  les  parties  du  globe, 
il  est  indispensable  de  vous  dire  qu'en  anato- 
mie comparée  il  faut  d'abord  placer  l'Homme 
moral  en  dehors  et  au-dessus  du  Régne 
animal , cl  procéiler  «le  l'Homme  physi«|ue  à 
l’Éponge,  parce  que  l'anatomie  de  l’Homme, 
ayant  été  étudiée  la  première  et  le  plus  long- 
temps, c’est  elle  nécessairement  «jui  «‘St  la 
mieux  connue  «lans  s«-s  «létails  et  dans  ses 
profondeurs  ; elle  doit  donc  fournir  le  point 
de  départ,  et  le  principe  de  l'ordre  «|u'il  a 
fallu  suivre  dans  l'arrangement  «les  pièces 
anainmiigics  naturelles  ou  artificielles  qui 
doivent  figurer  dans  un  cabinet  tout  prêt  à 
se  transformer  en  Musée. 

Parcourons  maintenant  les  galeries  «lans 
l’ordre  que  les  surveillants  de  la  collection 
ont  «lit  demander  à l'architecte.  Cet  ordre  ne 
coïncide  pas  avec  la  pensée  de  G.  Cuvier, 
mais  il  est  facile  «l'y  remédier,  et  nos  indications  vous  mettront  sur  la  voie  qui  vous  facilitera 
l'intelligence  de  la  portion  la  plus  riche  de  la  collection  ; vous  reconnaissez  d'abord  qu’il 
s'agit  des  squolettes  de  l'Homme  et  de  ceux  des  animaux  «jui  s’en  rapprochent  le  plus,  c'est- 
ù-ilire  «les  Mammifères  principalement,  puis  des  Oiseaux,  «les  Reptiles  et  «les  Poissons. 


VOUTE  ET  PORTE-COCnÈHE  DU  CABINET  D'ANATOMIE  COMPARÉE. 

Sous  celte  voûte  sont  deux  portes  : celle  de  droite  sert  à l'entrée , et  celle  de  gauche  à In 
sortie.  Sur  chaque  côté  de  ces  deux  portes , vous  voyez  «le  gramls  os  qui  ressemblent  à des 
côtes  et  qui  sont  des  mâchoires  inférieures  de  Baleines. 

Au  rez-de-chaussée 

Sont  deux  salles  auxquelles  conduisent  les  «leux  portes  latérales  de  cette  voûte.  Ces  deux 
salles  renferment  les  squelettes  des  plus  gramls  animaux , «ju'il  a été  impossible  de  disposer 
«lans  l'onlre  anatomique.  Il  faut  donc  suivre  les  avis  que  nous  vous  donnerons  pour  rétablir 
l'ordre  suivi  dans  la  collection  par  G.  Cuvier  et  de  Blain ville. 

PREMIÈRE  SALLE  DP  REZ-DE-CHAUSSEE. 

En  entrant  par  la  porte  de  droite  : 

Parcourez  rapidement  cette  salle,  qui  renferme  des  squelettes  de  Mammifères  de  toutes  les 
dimensions.  Ces  squelettes  appartiennent  à des  Cétacés  et  au  groupe  des  Carnassiers.  Nous  y 
reviendrons  quand  Cuvier  nous  le  prescrira. 

Au  fond  de  cette  première  sallo  du  rez-de-chaussée  est  une  grande  porte  qu'il  vous  faudra 
ouvrir , si  vous  voulez  voir  en  raccourci  tout  le  Règne  animal.  Allez  vous  placer  sur  les  gra- 
dins du  milieu  de  cet  amphithéâtre , et  vous  aurez  en  face  de  vous  la  chaire  du  professeur,  et 
au-dessus  de  celle  chaire  vous  verrez , sur  une  grande  étagère , la  série  de  tous  les  animaux 
vertébrés  ou  à os,  depuis  les  Singes  jus«|u'aux  Poissons;  puis,  sur  une  étagère  inférieure,  à 
gauche,  la  série  des  animaux  articulés  extérieurement,  depuis  le  Hanneton  jusqu'au  Ver  le 
plus  simple  ; puis , enfin , sur  uno  étagère  à droite , la  série  de  tous  les  animaux  inférieurs , 
depuis  les  Poulpes  et  l’Escargot  jusqu’à  l’Éponge. 


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ANATOMIE  COMPARÉE.  I8i 

Ce  sont  les  squelettes  des  Vertébrés  qui  occupent  le  plus  de  place  dans  cette  collection,  et 
il  a fallu  employer,  pour  les  contenir,  neuf  salles  sur  treize.  Sur  ces  neuf  salles  , six  contien- 
nent les  squelettes  des  Mammifères,  en  y comprenant  l'Homme.  Voici,  avant  de  commencer 
notre  examen , l'ordre  d’exposition  dos  squelettes  des  Vertébrés  : 

I.  Salle  des  squelettes  et  des  têtes  osseuses  de  l'Homme,  contiguë  à la  grande  salle  des 
squelettes  des  Baleines.  Rez-de-chaussée. 

Escalier  qui  conduit  au  premier  étage  : 

II.  Collection  des  têtes  osseuses  de  l’Ilomme  et  des  Mammifères , à la  première  salle  du 
premier  étage. 

III.  Salle  des  têtes  osseuses  des  Oiseaux,  Iteptiles , Poissons , renfermant  un  grand  nombre 
d’autres  partios  osseuses  pour  les  études  de  détails  ; plus , quelques  monstruosités. 

IV.  Salle  de  choix  de  squelettes  de  Mammifères , depuis  le  Chimpanzé  jusqu’à  t’Omitha- 
rhynque.  Il  faut  maintenant  considérer  commo  des  succursales  de  cette  salle  : 

V.  La  promière  salle  de  droite  au  rez-de-chaussée,  oü  sont  des  squelettes  de  Baleines, 
d'autres  Cétacés , et  du  Carnassiers. 

Et  VI , la  salle  de  gauche , au  rez-de-chaussée , qui  renferme  les  squelettes  des  grands 
Pachydermes  et  des  Ruminants. 

Après  l’examen  de  ces  six  salles  destinées  aux  squelettes  des  Mammifères , on  doit  voir  la 
quatrième  du  premier  étage,  qui  fait  suite  à celle  des  petits  Mummifèrcs.  Cette  quatrième  salle 
du  premier  étage  est  destiuée  aux  squelettes  des  Oiseaux. 

La  cinquième  salle  du  premier  étage  renferme  les  squelettes  des  reptiles  et  une  portion  des 
squelettes  des  Poissons. 

Toute  la  sixième  salle  est  affectée  au  restant  des  squelettes  des  Poissons. 

Nous  allons  maintenant  vous  donner  succinctement  une  idée  générale  de  chacune  de  ces 
collections  particulières , tout  en  vous  indiquant  les  soins  pris  par  les  professeurs  pour  favo- 
riser les  études  de  détails. 

DEUXIÈME  SALLE  Dli  REZ-DE-CHAUSSÉE. 

C'est  celle  des  squelettes  de  l’Homme.  La  plupart  de  ces  squelettes  sont  d'individus  de  la 
race  caucasique,  à laquelle  appartiennent  la  majorité  des  nations  européennes  et  de  celles  de 
l’Asie  et  du  nord  do  l’Afrique. 

A votre  gauche,  en  entrant,  sont  des  squelettes  de  Français,  d'Italiens,  de  Hollandais, 
d'Anglais , etc.  Sur  votre  droite  sont  des  squelettes  d'individus  do  la  race  éthiopique , ou 
nègres , et  do  races  croisées , mulâtres. 

R n’v  en  a point  encore  de  la  race  mongolique. 

Les  particularités , ou  les  squelettes  les  plus  curieux  qu’il  vous  faudra  remarquer,  sont  : 

1°  Trois  squelettes  de  momies  égyptiennes,  dont  deux  sont  de  femmes,  et  le  troisième, 
placé  entre  ces  deux  premiers,  qui  offre  des  traces  d’un  grand  nombre  do  fractures  qui  avaient 
toutes  été  guéries  ; 

2°  Lo  squelelto  du  jeune  Syrien  Solyman  cl  Hhaleby,  assassin  do  Kléber,  général  en  chef 
de  l'armée  française  en  Égypte  ; — il  fut  condamné  & être  empalé  après  avoir  eu  la  main 
brûlée  ; la  brûlure  de  la  main  en  a seulement  noirci  les  os  ; le  pal  avait  déchiré  les  organes  du 
bas-ventre,  fracturé  le  sacrum,  deux  vertèbres  des  lombes,  et  s'était  enfoncé  dans  le  canal  do 
la  moelle  épinière  ; nonobstant  des  blessures  aussi  graves,  Solyman  cl  Hhaleby  survécut  six 
heures  à son  supplice , et  en  supporta  les  souffrances  sans  se  plaindre  ; ce  squelette  a été 
donné  au  Muséum  par  M.  le  baron  Larrey,  chirurgien  en  chef  des  armées  françaises  sous 
l’empire  j 

3°  Le  squelette  de  Bébé , nain  du  roi  de  Pologne  Stanislas  ; 

4°  Le  squelette  de  la  Vénus  hottentote;  sous  ce  nom  était  désignée  uno  femme  boschimano 
que  l’on  montrait  comme  objet  de  curiosité , et  qui  est  morte  à Paris  : son  corps  a été  moulé 

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180 


DEUXIÈME  PARTIE. 

en  plâtre  cl  se  trouve  actuellement  dans  le  Cabinet  d’anatomie  humaine  dirigé  par  M.  Serres  ; 

5°  Le  moulu  en  plâtre  d'un  squelette  donné  au  Muséum  par  M.  Iteuvcns,  directeur  du 
Musée  des  antiquités  do  l'Université  de  Leyde  ; à ce  moule  est  jointe  l’inscription  suivante  : 

Sipielette  présumé  être  celui  d'une  jeune  Humaine , trouvé  en  1828  dans  les  fouilles 
faites  à Avensburg , commune  de  Wooburg,  prés  La  Haye,  sur  l'emplacement  du 
forum  Adriani. 

6°  Le  squelette  de  la  femme  Supiot , dont  Morand  a donné  l'histoire  dans  les  Mémoires  de 
l’Académie  îles  sciences  en  1753.  Celle  femme  était  atteinte  d’un  ramollissement  des  os.  Mais 
ce  squelette,  de  même  que  plusieurs  tètes  osseuses  d'hommes  difformes,  nous  semblent 
devoir  plutôt  figurer  dons  un  Musée  d’anatomie  pathologique  que  dans  la  galerie  de  squelello- 
logie  humaine  d'un  Musée  d'anatomie  comparée. 

La  collection  des  squelettes  de  l'Homme  est,  sans  nul  doute,  bien  incomplète;  mais  elle 
suflit  pour  le  moment  aux  besoins  de  la  science. 

Il  fallait  connaîtra  les  modifleatinns  que  l'Age  apporte  : t°  dans  les  mâchoires  pendant  la 
pousse  et  après  la  chute  des  dents  ; 2°  dans  lo  crâne  des  sujets  jeunes  et  vieux , et  c'est 
pourquoi  il  a fallu  réunir  cette  série  de  tètes  osseuses  de  l’Homme  que  vous  voyez  placées 
au-dessus  des  squelettes. 

Le  Cabinet  d'anatomie  a eu  l’insigne  honneur  d'abriter,  pendant  les  dernières  années  du 
siècle  dernier,  les  restes  de  Turenne,  arrachés  au  monument  que  lui  avait  élevé  la  reconnais- 
sance nationale  et  de  les  préserver  de  nouvelles  profanations.  Ces  précieux  ossements  qui  ne 
durent  leur  conservation  qu’à  l’égide  protectrice  d’une  étiquette  banale,  furent  replacés  avec 
le  plus  grand  respect,  par  les  soins  d'Alexandre  Lenoir,  qui  les  avait  confiés  à la  garde  du 
Muséum,  dans  le  mausolée  qui  avait  été  élové  jadis,  et  que  l’on  admira  encore  aujourd’hui 
dans  l'église  du  Dème  des  Invalides,  à côté  du  tombeau  de  l’empereur  Napoléon  I«. 

Au  milieu  de  cette  salle  des  squelettes  humains,  sont  disposées  sur  une  table  des  tètes 
osseuses  d'Éléphants.  Mais,  dans  l'ordre  scientifique  du  Cabinet,  co  n'est  point  là  leur  place. 
Nous  vous  engageons  ici  à prendre  noto  do  l’une  de  ces  tètes  d'Éléphant,  celle  qui  est  sciée 
longitudinalement  dans  son  milieu,  où  vous  remarquerez  combien  la  cavité  du  crâne  est  petite, 
quoique  la  tèto  soit  très-volumineuse. 

Nous  devons  faire  remarquer  ici  que  la  collection  des  tètes  osseuses  des  Vertébrés,  depuis 
et  y compris  l’Homme,  commence  déjà  dans  la  salle  des  squelettes  humains. 

Il  semblait  aussi  qu’on  aurait  dû  y commencer  la  collection  des  colonnes  vertébrales,  des 
côtes , des  sternums , mais  il  n'y  avait  pas  fiossibilité , ou  d'autres  raisons. 

C'est  dans  celte  même  salle  des  squelettes  humains  que  vous  voyez  en  haut  do  deux  murs  : 
1°  les  os  dos  hanches  qui,  avec  le  sacrum,  forment  la  ceinture  coxale;  2°  les  os  des  épaules 
qui  forment  la  ceinture  scapulaire. 

L’osléologie  comparée  des  membres  des  Vertébrés  commence  donc  dans  la  salle  des  sque- 
lettes humains  ; mais  on  ne  trouve  dans  cette  salle  que  les  os  des  épaules  et  des  hanches  des 
Mammifères,  et  ceux  des  bassins  des  Oiseaux.  Nous  verrons  que  les  os  dos  épaules  des 
Oiseaux  étant  unis  très-solidement  à leur  sternum,  celle  particularité,  exigée  pour  l'action  du 
vol , nécessite  un  autre  genre  de  préparations  qui  forment  une  étude  en  quelque  sorte  à part. 

Nous  pourrions  vous  présenter  ici  un  aperçu  rapide  des  modifications  et  des  grandeurs 
proportionnelles  des  os  des  hanches  et  des  épaules , mais  comme  ces  particularités  se  lient  à 
la  forme  générale  des  squelettes  des  animaux  vortébrés , qui  sont  ou  terrestres , ou  aérieus , 
ou  aquatiques , une  vue  générale  de  l’ensembln  de  ces  modifications  sera  plus  convenable 
lorsque  nous  serons  dans  les  salles  des  squelettes  entiers  des  diverses  classes  de  Vertébrés. 

Il  faut  maintenant  vous  faire  remarquer  les  objets  placés  dans  la  pièce  oh  se  trouve 
l’escalier  qui  conduit  de  la  salle  du  rez-de-chaussée  (pièce  des  squelettes  humains)  au  pre- 
mier étage. 


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ANATOMIE  COMPARÉE.  187 

On  voit  dans  renfoncement  » sous  cet  escalier,  la  collection  des  os  du  liras,  de  la  cuisse,  et 
de  ceux  do  l’avant-hras  et  de  la  jambe  des  Mammifères. 

On  a aussi  placé  sur  les  iiuatrc  murs  do  l'enceinte  de  cet  escalier  des  tètes  osseuses  d’flip- 
pnpntames  et  de  Taureaux, 

On  a donc  profilé  de  l'emplacement  de  cet  escalier  pour  continuer  la  collection  dus  tètes 
osseuses  et  celle  des  membres. 

SALLE  DES  TÊTES  OSSEUSES  DES  MAMMIFÈRES. 

Arrivé  au  haut  de  l’escalier,  vous  vous  trouver,  en  face  d’une  porte,  toujours  fermée  ; c’est 
celle  du  cabinet  du  conservateur  de  la  collection.  A votre  droite  est  la  porte  de  la  première 
salle  du  premier  étage. 

Entre  cette  porte  et  la  croisée  qui  est  en  face  est  une  grande  armoire  vitrée  dans  tous  les 
sens,  dans  laquelle  sont  disposées  des  tètes  humaines  de  diverses  races  et  peuplades,  qui  sont 
dues  aux  soins  des  voyageurs  expédiés  par  l'administration  du  Muséum , et  des  médecins 
naturalistes  attachés  aux  expéditions  scientifiques. 

La  forme  de  la  tète  do  l’Homme  , comprenant  le  crâne  cl  la  face,  est  si  généralement 
connue,  quo  nous  devons  nous  borner  ici  à en  signaler  lo  caractère  principal  et  le  plus 
saillant  : 

Ce  caractère  est  la  grande  étendue  du  crâne  qui  renferme  le  cerveau  le  plus  volumineux , et 
la  proportion  moindre  de  la  face  ou  des  deux  mâchoires. 

Les  autres  tètes  sont  ici  disposées  dans  les  armoires  adossées  aux  murs  de  la  salle,  en 
procédant  des  Singes  aux  derniers  Mammifères  qui , suivant  la  méthode  de  G.  Cuvier , sont 
les  Cétacés. 

La  première  armoire  à gaucho,  en  entrant  dans  cette  salle,  est  celle  des  tètes  osseuses  do 
Chéiroptères,  ou  Chauves-Souris,  et  d’insectivores;  puis  celles  des  Carnassiers  terrestres  et 
aquatiques  ; puis  enfin  celle  des  Rongeurs,  des  Pachydermes,  des  Ruminants,  des  Edentés  et 
des  Cétacés. 

Toutes  les  différences  de  formes  et  de  proportions  entre  lo  crâne  et  la  face,  ou  les  mâchoires, 
que  vous  pouvez  remarquer  dans  cette  série  do  tètes , en  général  pourvues  do  dents , ont  été 
étudiées  en  prenant  la  tèlo  osseuso  de  l’Homme  pour  type.  Or,  toutes  ces  différences  peuvont 
se  réduire  à la  considération  pratique  des  usages  quo  la  lèto  osseuse  remplit.  El  ces  principaux 
usages  sont  faciles  à constater.  On  sait , en  effet , que  la  tète  sert  d’abord  à contenir  l’organe 
des  manifestations  de  l’intelligence  (cerveau) , et  quatre  sens  ; savoir  : celui  île  l’odorat , du 
goût , de  la  vue  et  de  l’ouîo  ; qnc,  par  sa  forme,  elle  se  prête  aux  divers  genres  de  locomotion 
terrestre,  aérienne,  aqnatique;  et  qu’enfin  elle  se  modifie  aussi  suivant  les  divers  genres  do 
mastication  et  de  respiration  dans  l'air  cl  dans  l’eau. 

Avant  de  sortir  de  la  salle  dos  tètes  osseuses  des  Mammifères,  jetez  un  coup  d'œil  sur  les 
deux  tables  entre  lesquelles  est  placée  l’armoire  vitrée  des  tètes  osseuses  do  races  humaines. 

On  y a disposé  un  choix  do  pieds  de  devant  ou  mains  et  un  choix  de  pieds  de  derrière  dans 
la  série  des  Vertébrés  ; ces  extrémités  osseuses  des  deux  membres  sont  placées  sur  le  plan 
supérieur  de  ces  deux  tables.  Lo  plan  moyen  et  lo  plan  inférieur  de  ces  tables  portent  des 
bottes  vitrées  renfermant  des  colonnes  vertébrales,  des  côtes,  des  membres  ou  nageoires  paires 
et  des  nageoires  impaires  des  Poissons. 

DEUXIÈME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE,  OU  SALLE  DES  TÊTES  OSSEUSES  DES 
OISEAUX,  DES  REPTILES  ET  DES  POISSONS. 

Dans  la  série  des  tètes  osseuses  de  ces  trois  classes  d'animaux,  que  l’on  réunit  sous  le  nom 
commun  de  Vertébrés  ovipares,  il  suffisait  de  faire  un  choix  dos  espèces  les  plus  remarquables, 
et  c’est  ce  qui  a été  fait  dans  cette  partie  de  la  collection  ostéologiquo. 


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188  DEUXIÈME  PARTIE. 

Vous  voyez  reparaître  ici  des  tètes  osseuses  de  Mammifères,  mais  ces  UMes  sont  celles  do 
jeunes  individus;  et  les  os  <]ui  entrent  dans  leur  composition  sont  disposés  par  ordre  dnns  des 
boites  vitrées  pour  en  faciliter  l’étude  et  la  comparaison  avec  les  mêmes  os  des  tètes  des  autres 
Vertébrés. 

Les  têtes  osseuses  des  Oiscaui  présentent  cette  particularité  que  toutes  les  pièces  qui  les 
composent  se  soudent  de  bonno  lieure  entre  elles,  ce  qui  n'a  pas  lieu  dans  la  plupart  des 
Mammifères , ni  dans  les  Reptiles  et  les  Poissons.  Chez  ces  deux  dernières  classes  de  Verté- 
brés, même  très-avancés  en  âge,  les  os  do  la  tête  sont  le  plus  souvent  séparés  entre  eux.  Il 
n’y  a point  lieu  de  distinguer  des  pièces  séparées  dans  les  crânes  et  les  os  des  mâchoires  des 
Poissons  cartilagineux  et  fibreux.  Ces  trois  parties  de  la  tête,  c'est-à-dire  le  crâne,  la  mâchoire 
supérieure  et  l’inférieure , y sont  chacune  d'une  seule  pièce. 

Les  bottes  renfermant  des  têtes  désarticulées  de  jeunes  Mammifères  et  dos  têtes  d'Oiseaux 
sont  sur  les  étagères  à gauche  en  entrant. 

Des  têtes  do  Reptiles,  Tortues,  Crocodiles,  Lézards,  Serpents,  Grenouilles , Salamandres, 
sont  dans  la  première  armoire  à droite. 

Un  cortain  nombre  de  squelettes  monstrueux  et  des  os  préparés  pour  l’élude  do  leur  inté- 
rieur sont  déposés  dans  la  deuxième  armoire  à droite.  Dans  une  troisième  armoire , toujours 
à droito  de  la  porto  d’entrée , sont  placés  le  squelette  d’un  jeune  Hippopotame  et  celui  d’un 
jeune  Ours,  et  un  grand  nombre  de  squelcttos  de  jeunes  Oiseaux  Gallinacés,  Palmipèdes,  etc. , 
qui  ont  servi  à Georges  Cuvier  pour  ses  études  sur  le  développement  du  sternum  des  Oiseaux. 
On  voit  encore , dans  cette  troisième  armoire , une  série  do  squelettes  d'embryons  et  de  fœtus 
humains. 

l'no  quatrième  armoire,  située  en  face  de  l’armoire  dos  têtes  de  Reptiles,  etc.,  contient  une 
série  nombreuse  de  préparations  de  sternums  et  d’épaules  d’Oiseaux  adultes.  Ces  préparations 
sont  très-utiles  aux  élèves  pour  comprendre  les  vues  théoriques  publiées  sur  ce  sujet  par 
M.  de  Blainville  et  M.  L’Herminicr,  son  élève. 

Dnns  une  cinquième  armoire,  plus  pctitoel  contiguë  à la  précédente,  on  voit  la  préparation 
squelettologiquc,  au  moyen  de  laquelle  M.  de  Blainville  démontrait  dans  scs  cours  ses  principes 
sur  la  disposition  générale  des  pièces  du  squelette  des  Vertébrés. 

Enfin , sur  les  étagères  qui  sont  à droite  de  la  porte  qui  conduit  à la  troisième  salle  du  pre- 
mier étage , on  voit  encore  un  très-grand  nombre  de  boites  vitrées  qui  renferment  des  prépa- 
rations d'os  do  la  tête  d'un  certain  nombre  de  Poissons. 

Au  milieu  de  la  deuxième  salle  du  premier  étage,  on  a pratiqué  une  grande  ouverture 
circulaire , garnie  d’une  balustrade  en  fer,  pour  éclairer  la  première  salle  du  rez-de-chaussée, 
oh  sont  les  squelettes  de  Baleines. 

La  deuxième  salle  du  premier  étage  reçoit  le  jour  par  deux  lucarnes,  et,  quand  on  le  veut, 
par  une  croisée  pratiquée  dans  le  mur  du  cêté  do  l'est.  Cette  croisée  est  en  face  de  la  porte  do 
communication  entre  la  deuxième  et  la  troisième  salle.  Dans  l'embrasure  de  cette  croisée  sont 
deux  grandes  défenses  d'Éléphant. 

TROISIÈME  SAI.I.E  Dl!  PREMIER  ÉTAGE. 

On  a disposé  dans  cotte  salle  un  choix  de  squelettes  do  Mammifères  qui  ont  pu  être  placés 
dans  les  armoires.  On  y voit,  en  effet,  un  nombre  considérable  de  squelettes  de  Quadrumanes 
ou  Primatès  dont  on  vous  a donné  une  description  succincte,  en  les  divisant  en  Singes  pro- 
prement dits  ou  Pithèques , en  Sapajous  ou  Cébus , et  eu  Lémuriens  ou  Makis , en  traitant  de 
la  singerie. 

L'élude  des  squelettes  de  ces  Quadrumanes  est  du  plus  grand  intérêt  lorsqu'on  veut  entrer 
dans  l'explication  des  particularités  des  mœurs  des  animaux  de  cet  ordre.  Mais  nous  n’aurions 
ni  le  temps , ni  la  volonté  de  vous  en  entretenir  ici , et  nous  devons  vous  engager  à jeter  un 
coup  d’œil  sur  le  squelette  du  Chimpanzé  qui  a vécu  plusieurs  années  chez  Buffon , et  celui 


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ANATOMIE  COMPARÉE.  189 

d'un  Oraug-Oulan  adulte  dont  la  tête  et  surtout  le  crâne  vous  présentent  la  physionomie  d'uno 
bête  féroce. 

Les  squelettes  de  Lémuriens  ou  du  sous-ordre  des  Makis  sont  aussi  très-dignes  do  votro 
attention , surtout  ceux  de  l'Aye-Ayo , des  Indris , des  Loris  et  du  (ialago , et  enfin  celui  du 
Galéopithéque  qui  ressemble  beaucoup  à ceux  des  Cbeiropleres.  Dans  ceux-ci,  tout  le  squelette 
est  modifié  pour  le  vol  et  le  régime  insectivore. 

Viennent  ensuite  les  squelettes  des  Quadrupèdes  insectivores  plus  ou  moins  fouisseurs  ou 
nageurs  que  vous  connaisse!  sous  les  noms  de  Taupes,  do  Musaraignes,  de  Desmans,  de 
Hérissons , de  Tenrees.  Parmi  ces  squelettes  d'insectivores , remarquez  surtout  celui  du 
Macroscélido  qui  uous  vient  de  l'Algérie  et  qui  avait  besoin  de  sauter  pour  atteindre  les  saute- 
relles dont  il  fait  sa  nourriture. 

Vous  ne  pouvez  trouver  dans  cette  salle  que  des  squelettes  de  Carnassiers  do  moyenne  et 
de  petite  taille.  Vous  n’avez  donc  sous  les  yeux  que  celui  des  principaux  genres  de  la  classe 
des  Mammifères. 

Vous  reconnaissez  ainsi  l'indispensable  nécessité  de  considérer,  comme  une  succursale  de  la 
troisième  salle  du  premier  étage,  colle  du  rez-de-chaussée  oii  vous  avez  pu  remarquer  les 
squelettes  de  Loups , de  Chiens , de  Renards , de  Tigres , de  Lions  et  d'Ours. 

Dans  l'ordre  suivi  pour  l'exposition  des  squelettes  de  la  troisième  salle  du  premier  étage, 
après  les  armoires  contenant  les  squelettes  des  petits  et  des  moyens  Carnussiers,  viennent  les 
squelettes  des  Marsupiaux,  puis  ceux  d'un  grand  nombre  de  Rongeurs,  ceux  des  Édentés  ut 
des  petits  Ruminants,  et  enfin  les  squelettes  de  l’Échidné  et  de  l'Ornithorynque,  par  lesquols 
se  termine  la  série  des  squelettes  des  petits  Mammifères  de  cette  salle. 

Il  a bien  fallu  transporter  ailleurs  les  squelettes  des  Pachydermes  ( Éléphants , Rhinocéros, 
Tapirs,  Chevaux,  Cochons),  et  ceux  des  Ruminants  (Chameaux,  Girafe,  Cerf,  Daims,  Rennes, 
Élans,  Antilopes,  Chèvre,  Bélier,  Bœuf)  ; c’est  pour  cette  raison  qu’il  vous  faut  oncoro  consi- 
dérer la  salle  du  rez-de-chaussée  où  sont  tous  ces  squelettes  comme  une  deuxième  succursalu 
de  la  salle  des  squelettes  des  Mammifères  au  premier  étage. 

Mais  celte  grande  classe  de  Mammifères,  qui  tous  nourrissent  leurs  petits  avec  du  lait,  ren- 
ferme eucoro  les  Cétacés , distingués  par  Cuvier  en  Herbivores  ( Lamantins , Dugongs) , et  en 
Souffleurs  (Dauphin,  Marsuuin,  Narval , Cachalot  et  Baleine).  Or,  les  squelettes  de  la  plupart 
do  ces  animaux,  même  dans  leur  très-jeune  âge,  n'auraient  pu  être  renfermés  dans  les  armoires 
des  salles  du  premier  étage,  ot  on  a été  forcé  de  placer  tous  les  squelettes  de  Cétacés  qu'on 
possède  dans  la  grande  salle  du  rez-de-chaussée,  où  vous  avez  dû  remarquer  le  squelette  do  lu 
Baleme , dont  la  partie  supérieure  do  la  bouche  est  toute  garnie  de  fanons.  Les  squelettes  des 
Cétacés  occupent , en  effet,  le  plus  do  place  dans  cette  salle  où  sont  disposés  à gauche , le 
long  du  mur  du  nord,  les  squelettes  des  Carnivores  (Tigres,  Lions,  Ours).  Cette  salle  du  rez- 
de-chaussée,  où  l’on  a réuni  les  squelettes  des  Cétacés  ot  des  grands  Carnassiers , est  donc, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit , une  véritable  succursale  de  la  troisième  salle  du  premier  étage, 
où  sont  les  squelettes  des  petits  et  des  moyens  Mammifères. 

Mais  ces  deux  succursales  n’ont  pas  suffi,  et  il  y a eu  nécessité  impérieuse  de  placer  le 
squelette  du  Cachalot  dans  la  cour  située  au  nord  du  Cubinet  d'anatomie  comparée. 

Pour  compléter  cet  exposé  sur  la  collection  des  squelettes  des  autres  Vertébrés,  nous 
avons  encore  à visiter  la  salle  des  squelettes  des  Oiseaux , celle  des  squelettes  des  Reptiles, 
d’une  partie  des  Poissons , et  enfin  colle  où  l'on  a réuni  le  restant  des  squelettes  des  Poissons. 

QUATRIÈME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE. 

Le  même  nombre  d’armoires  que  dans  lu  salle  précédente  a suffi  pour  contenir  un  nombre 
convenable  de  squelettes  d'Oiseaux  des  divers  ordres,  en  procédant  dos  Rapaces  ou  Oiseaux 
de  proie , aux  Palmipèdes  les  plus  nageurs  et  ne  volant  plus. 

Il  a été  inutile  d'avoir  pour  cette  salle  d’autres  succursales , puisqu'on  s'est  attaché  à faire 


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190  DEUXIÈME  PARTIE. 

entrer  les  Oiseaux  les  plus  grands  (Autruche»  Casoar)  dans  les  armoires  disposées  pour  les 
contenir. 

L’ordre  de  l’exposition  des  squelettes  des  Oiseaux  est  le  suivant  : 


Squelettes  île... 


CINQUIÈME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE. 

Les  armoires  à droite  et  h gauche»  en  entrant  dans  cette  salle»  contiennent  les  squelettes 
des  Reptiles. 

L'ordre  d'exposition  est  » suivant  G.  Cuvier  : 

/ Squelettes  «le  Chélnniens  (Tortues). 

Squelette*  de  \ Id.  «le  Sauriens  (Crocodiles,  Lézards). 

Reptiles,  à Id.  d'Ophidien*  (Serpents). 

\ Id.  de  Batraciens  (Grenouille*,  Crapaud*,  Salamandres , etc.). 

Le  nombre  considérable  de  squelettes  de  Poissons  qui  composent  celte  partie  do  la  collec- 
tion anatomique  a exigé  une  partie  des  armoires  de  la  cinquième  salle  et  toutes  celles  de  la 
sixième  du  premier  étage. 

CINQUIÈME  ET  SIXIÈME  SALLES  DU  PREMIER  ÉTAGE. 

Malgré  les  difficultés  que  présente  le  classement  des  familles  très-nombreuses  des  Poissons, 
nous  vous  ferons  remarquer  que  les  grandes  divisions  ou  les  sous-classes  do  ces  Vertébrés 
ovipares  tous  aquatiques  ont  pu  être  établit*»  d’après  la  nature  de  leur  squelette. 

Vous  savez  quo  les  Poissons  sont  : les  uns  osseux , les  autres  subosseux , c’est-à-dire  non 
entièrement  osseux , et  les  troisièmes  cartilagineux. 

Nous  devons  vous  faire  remarquer  ici  que  les  squelettes  des  Poissons  sont  également  con- 
formés pour  le  vol,  comme  chez  l’Exocet;  pour  la  nage  en  général,  et  quelques-uns  pour 
ramper  sur  le  sol,  hors  de  l’eau,  comme  l’Anguille. 

Parmi  les  Poissons  cartilagineux,  dont  les  uns  (Esturgeons,  Squales)  nagent  à la  manière 
des  Poissons  osseux  normaux  (Carpes,  etc.),  dont  les  autres  se  meuvent  dans  l’eau  en  ser- 
pentant comme  les  Anguilles  (Lamproies,  Myxines),  nous  devons  vous  faire  remarquer  le 
squelette  des  Raies,  dont  les  nageoires  paires  antérieures  sont  transformées  en  ailes  aquatiques 
pour  voler  dans  l’eau  à la  manière  des  Oiseaux  dans  l’air. 

De  l’exposé  succinct  des  principales  formes  des  squelettes  des  Vertébrés  dont  nous  vous 
avons  présenté  quelques  figures,  il  résulte  que  le  tronc  et  les  membres  se  modifient  pour  les 
trois  sortes  de  locomotion,  qui  sont  elles-mêmes  très-variées  (marche,  grimper,  fouir,  ramper, 
saut),  (voltiger,  vol),  (nage  au  moyen  du  tronc,  ou  de  la  queue,  ou  des  membres).  C’est  aux 
exigences  physiologiques  pour  l’exécution  «le  ces  mouvements  de  translation  des  Vertébrés  en 
général,  que  sont  dues  les  principales  différences  des  formes,  du  tronc  et  des  membres. 

Voici  en  quoi  consistent  ces  principales  différences  : 

1°  Le  squelette  du  tronc  est,  en  général,  raccourci  dans  ses  parties  moyenne  et  postérieure, 
pendant  que  les  membres  de  devant  sont,  en  général,  très-développés  chez  les  Vertébrés  de 
chaque  classe  (Mammifères,  Oiseaux,  Reptiles,  Poissons)  qui  volent. 

2°  A l’égard  de  ceux  qui  marchent  de  diverses  manières , depuis  le  saut  jusqu’au  fouir  et 
au  ramper,  le  squelette  est  encore  modifié  dans  les  parties  moyenne  et  caudale  du  tronc  et 


Rapace*, 

Grimpeurs, 

Passereaux, 

Gallinacés, 

Echassier* , 

Palmipède*, 


Méthode  de  G.  Cuvier. 


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101 


ANATOMIE  COMPARÉE, 
surtout  dans  les  membres  de  derrière , qui  sont  très-développés  pour  le  saut , dans  ceux  de 
devant,  qui  deviennent  très-forts  pour  le  fouir.  Enfin,  lorsqu'un  Vertébré  doit  se  mouvoir  en 
rampant,  les  membres  se  raccourcissent  de  plus  en  plus,  disparaissent  d'abord  à l’intérieur; 
on  en  trouve  encore  les  rudiments  ou  vestiges  sous  la  peau,  et  bientôt  les  vestiges  des  mem- 
bres ne  se  retrouvent  plus. 

3°  Lorsqu'un  Vertébré  devient  de  plus  en  plus  nageur,  soit  à la  surface,  soit  dans  l’intérieur 
de  l’eau,  les  extrémités  des  membres  prennent  les  formes  de  nageoires,  et  le  corps,  devenant 
de  plus  en  plus  pisciforme,  est  alors  caractérisé  par  la  grande  proportion  de  la  queue,  qui  est 
elle-même  garnie  d’une  nageoire  horizontale  dans  les  Cétacés , et  verticale  dans  les  Reptiles 
et  les  Poissons. 


SEPTIEME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE. 

En  entrant  dans  celte  salle,  vous  vovoz  à votre  gaucho  une  statue  d’homme  en  plâtre  peint, 
qu’on  nomme  V Écorché  de  Bouchardon.  Vous  pouvez  y distinguer  les  muscles  de  la  tête,  du 
tronc  et  des  membres , du  moins  tous  ceux  qui  en  forment  les  couches  superficielles. 

On  eût  pu  recourir  aux  préparations  artificielles  de  myologie  humaine  du  docteur  Auzoux, 
qui  permettent  d’entrer  dans  la  plupart  des  détails  descriptifs  de  cette  hrauche  de  l’anatomie 
de  l’Homme;  mais  le  cadavre  ou  l’écorché  artificiel  du  docteur  Auzoux  est  plus  propre  à 
l’étude  des  détails  qu’à  une  vue  exacte  d’ensemble  des  muscles  de  squelette,  et  l'assemblage 
de  pièces  qu’on  peut  replacer  après  les  avoir  démontées  ne  peut  être  assez  exactement  fait 
pour  qu’on  puisse  obtenir  un  résultat  vraiment  artistique. 

Si  vous  avez  trouvé  quelques  squelettes  de  Races  ou  variétés  de  l’espèce  humaine,  ne  vous 
attendez  pas  à avoir  de  même  une  série  d’écorchés  do  chacune  de  ces  races  ou  variétés. 
L’Écorché  que  vous  avez  sous  les  veux  est  un  exemplaire  tiré  d'un  moule  d’un  individu  de  la 
race  Gaucasique. 

Une  collection  pour  l’étude  do  la  Myologie  comparée  serait  beaucoup  trop  étendue , s’il  fal- 
lait exposer  à vos  regards  toutes  les  différences  que  les  muscles  de  la  tête , du  tronc , des 
membres  de  l’Homme,  des  Mammifères,  des  Oiseaux,  des  Reptiles  et  des  Poissons  présentent 
lorsqu’on  les  observe  comparativement. 

Il  a donc  fallu  se  borner  à un  certain  nombre  de  préparations,  soit  artificielles  en  cire  ou  en 
plâtre  peint,  soit  naturelles  et  conservées  dans  l’alcool. 

Il  vous  suffira  de  jeter  maintenant  un  coup  d’œil  sur  les  étiquettes  des  cases  oü  sont  ren- 
fermées les  préparations  do  Myologie  comparée  pour  vous  assurer  qu’on  a eu  soin  de  faire  un 
choix  de  ce  genre  de  préparations  anatomiques  dans  les  classes  de  Mammifères,  d'Oiseaux, 
de  Reptiles  et  de  Poissons. 

Eu  outre  des  Myologies  de  l’Homme  en  cire , vous  remarquerez  les  plâtres  peints  qui  vous 
donnent  une  idée  des  muscles  du  Kanguroo,  de  ceux  du  Bélier,  et  des  muscles  du  Cheval  et 
du  Lion. 

HUITIÈME  SALLE.  NÉVROLÛGIE  COMPARÉE;  SALLE  DES  PRÉPARATIONS  DES 
ORGANES  DE  LA  SENSIBILITÉ. 

Dans  cette  huitième  salle  du  premier  étage,  on  a disposé  les  préparations  soit  en  cire,  soit 
en  plâtre,  soit  naturelles  des  cerveaux,  des  moelles  épinières  et  des  sens  de  tous  les  Vertébrés. 
Le  nombre  de  ces  préparations  est  sinon  complet,  du  moins  plus  que  suffisant  pour  l’étude  et 
pour  donner  une  idée  de  la  variété  et  des  degrés  de  composition  des  centres  nerveux  et  de 
chacun  des  sens,  au  moyen  desquels  l’animal  peut  apercevoir,  entendre,  flairer  sa  proie  ou 
son  ennemi,  et  goûter  ou  distinguer  les  aliments  qui  lui  conviennent.  La  huitièmo  salle  du 
premier  étage,  où  sont  déposées  toutes  ces  préparations,  peut  donc  être  considérée  comme  la 
collection  de  la  Névrologie  comparée,  en  y rattachant  les  organes  des  sens  d’après  la  doctrine 
de  G.  Cuvier. 


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192 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Les  figures  qui  suivent  représentent  : 

1°  Le  cerveau  et  la  moello  épinière  d’un  Vertébré  Mammifère,  qui  sont  renfermés  dans  le 
crâne  et  ta  colonne  vertébrale;  au-dessous  do  la  moelle  est  le  cordon  ganglionnaire  des  nerfs 
des  viscères. 

2°  Le  cerveau  et  la  sério  des  ganglions,  ou  moelle  noueuse  d'un  Animal  articulé,  placée  du 
côté  du  ventre  ; au-dessus  de  cette  moelle  noueuse  est  le  cordon  des  nerfs  des  viscères. 

3°  Le  collier  nerveux  autour  île  l'œsophage,  et  les  nerfs  qui  en  partent,  chez  les  Mollusques  ; 
le  cordon  des  nerfs  des  viscères  se  voit  encore  du  côté  du  dos. 

A"  Le  pentagone  ganglionnaire  et  nerveux  de  quelques  Auimaux  rayonnés. 


Les  préparations  des  organes  des  sens  (toucher,  vue,  ouïe,  odorat , goût)  sont  très-nom- 
breuses; les  unes  sont  sèches,  les  autres  en  piètre , cl  plusieurs  dans  la  liqueur.  Il  serait  à 
désirer  qu’on  exécutât  des  imitations  en  cire  très-grossies  des  principaux  appareils  et  organes 
de  seusation  les  plus  remarquables  dans  la  série  animale.  Il  nous  serait  impossible  de  figurer 
ici  tous  les  organes  des  sens  ; nous  nous  bornons  à donner  les  figures  du  globe  de  l'œil  do 
quelques  Vertébrés  et  Invertébrés, 

Les  figures  indiquées  par  les  N"  I,  II,  III,  IV,  V,  VI,  VII  représentent  les  yeux  du  Lynx  (I), 
de  la  Baleine  (II),  d'un  Oiseau  (III),  d'uno  Tortue  (IV),  d'un  Poisson  (V),  d'un  Insecte  (VI), 
d’un  Mollusque  Céphalopode  (VII) . 


NEUVIÈME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE,  OU  SALLE  DES  PRÉPARATIONS  DES 
VISCÈRES  DES  ANIMAUX  VERTÉBRÉS. 

C'est  ici  que  sont  exposés  dans  un  espace  encore  trop  resserré  tous  les  organes  connus 
sous  le  nom  de  Viscères  ou  d’entrailles.  Ceux  de  la  digestion , de  la  circulation , de  la  respira- 
tion et  des  sécrétions  y sont  encore  disposés  en  procédant  toujours  depuis  l'Homme  jusqu'au 
dernier  Poisson. 

DIXIÉME  SALLE  DU  PREMIER  ÉTAGE,  OU  SALLE  DES  PRÉPARATIONS  DES 
ANIMAUX  INVERTÉBRÉS. 

Les  premières  armoires  de  cotte  salle,  celles  à gauche  en  entrant,  contiennent  des  monstres 
humains  et  de  Vertébrés  et  un  grand  nombre  de  fœtus  de  ces  animaux.  La  place  occupée  par 
toutes  ces  pièces  devra  être  bientôt  envahie  par  celles  relatives  à l’anatomie  comparée  des 
Invertébrés.  Toute  la  partie  de  la  collection  des  organes  do  ces  animaux  nous  semble , ainsi 
que  nous  l’avons  déjà  fait  pressentir,  avoir  été  laissée  par  C.  Cuvier  dans  un  état  provisoire 
ou  d'attente , nécessité  par  l'état  de  la  science  et  par  le  défaut  de  place  ou  à cause  du  nombre 
insuffisant  des  aides. 

En  outre  de  cette  collection  d'anatomio  des  Animaux  invertébrés  qui  se  trouve  dans  les 
armoires,  on  voit  sur  deux  grandes  tables  des  bottes  vitrées  qui  contiennent  des  anatomies  en 
cire  de  Mollusques.  Ces  pièces  artificielles  qui  ont,  dit-on,  servi  au  grand  ouvrage  de  Poli, 
célèbre  naturaliste  napolitain , ont  été  acquises  par  le  Muséum , au  moyen  d'un  échange  fait 
avec  le  professeur  Hermann , de  Strasbourg.  Chacune  de  ces  bottes  porte  le  nom  de  l'animal 
dont  on  a imité  en  cire  l'anatomie. 


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1(13 


ANATOMIE  COMPARÉE. 

Il  y a donc  dans  celte  salle  une  collection  d'anatomie  d' Animant  invertébrés  cl  point  encore 
d'anatomie  comparée;  nous  considérons  cependant  comme  un  commencement  d'exécution 
les  préparations  du  système  solide  des  Insectes,  des  Crustacés  et  des  Myriapodes  qui  sont 
renfermés  dans  onze  bottes  vitrées , placées  sous  une  grande  table  & droite  en  entrant. 

Avant  de  vous  introduire  dans  la  1 1”  salle,  où  se  trouve  la  collection  du  docteur  Gall,  nous 
vous  engageons  à ne  pas  oublier  de  donner  quelque  attention  i des  pièces  en  cire  qui  imitent 
l’anatomie  de  la  Poule  et  le  développement  du  Poulet,  et  à celles  qui  représentent  les  mêmes 
objets  observés  chez  le  Lapin , la  Couleuvre  à collier  et  la  Grenouille.  Ln  grand  nombre  de 
préparations  naturelles  relatives  aux  rétifs  et  nu  développement  des  Vertébrés  et  îles  Inverté- 
brés sont  placées  avec  les  viscères  dont  ils  font  partie. 

ONZIÈME  ET  DERNIÈRE  SALLE  Dll  PREMIER  ETAGE , Oli  SALLE  DE  LA 
COLLECTION  PII  RKNOLOGIQLK  DP.  GAU. 

Les  masques,  les  piètres  de  tètes  entières,  nu  les  têtes  osseuses  d’un  grand  nombre  d’indi- 
vidus de  l'espèce  humaine,  sont  rangés  sous  trois  principaux  chefs,  savoir  : I»  ceux  qui  ont 
acquis  une  célébrité  plus  ou  moins  grande  dans  les  sciences , les  arts , etc.  ; 2°  ceux  qui  ont 
commis  des  crimes  plus  ou  moins  grands,  et  enlin  ceux  qui,  par  l’exagération  de  leurs  facultés, 
ont  élé  atteints  d'aliénation. 

Nous  vous  engageons  à remarquer  dans  cette  collection  les  tètes  nu  les  masques  de  plu- 
sieurs hommes  célèbres  dans  l'histoire,  celles  des  criminels  et  des  aliénés.  Vous  verrez  aussi 
dans  le  bas  de  l'armoire  à gauche , entre  la  croisée  et  l'escalier,  des  têtes  recouvertes  de  leur 
peau,  tatouées  et  préparées  par  les  naturels  de  la  Nouvelle-Zélande,  qui  sont  encore  anthro- 
pophages, et  qui  les  conservent  comme  des  trophées  de  leur  victoire. 


Ici  se  termine  la  collection  d'Anatomic  comparée.  Il  faut  maintenant  descendre  l'escalier 
pour  arriver  dans  la  salle  du  rez-de-chaussée  où  se  trouve  la  porte  de  sortie.  Mais  avant  de 
descendre  cet  escalier,  nous  vous  engageons  à porter  vos  regards  sur  les  dessins  do  la  tête  de 
l'Eléphant,  et  de  celle  du  Rhinocéros  de  Sibérie,  qui  ont  été  donnés  au  Muséum  par  l’Aca- 
démie impériale  des  sciences  de  Suinl-Pétorsbourg.  Ces  dessins  sous  verre  sont  en  face  du 
haut  de  l'escalier. 

Il  vous  faut  aussi  remarquer  dans  les  diverses  salles  les  plâtres  des  tètes  du  Mososaure  et 
du  Dinothérium  (première  salle  du  rez-de-chaussée) , et  ceux  des  squelettes  du  Plésiosaure  et 
de  l'Icthyosaurc,  l’un  au  bas  de  l’escalier  qui  conduit  à la  dernière  salle  (rez-de-chaussée)  ; 
les  autres  sur  le  mur,  à droite  de  cette  salle. 

Vous  n’avez  plus  maintenant  qu’à  parcourir  rapidement  la  salle  du  rez-de-chaussée  où  se 
trouvent  les  squelettes  des  Ruminants,  c’osl-à-dirc  des  Baufs,  des  Boucs,  des  Moutons,  des 
Chameaux , des  Girafes , des  Cerfs , et  ceux  îles  Pachydermes , c'est-à-dire  des  Eléphants , des 
Rhinocéros , des  Tapirs , des  Cochons  ou  Sangliers , et  des  Chevaux  ; ces  derniers  sont  placés 
en  partie  sur  les  côtés  de  la  porte  de  sortie.  En  face  de  cette  porte,  et  au  fond  de  cette  salle, 
se  trouve  le  squelette  incomplet  d’un  animal  fossile,  le  Mégathérium,  dont  l’espèce  est  perdue; 
vous  verrez  qu'on  n’en  possède  que  quelques  parties  de  la  tête , du  tronc  et  des  membres. 

Si  des  squelettes  entiers  de  cet  animal  n’existaient  point  à Madrid , il  serait  possible  de 
restituer  plus  ou  moins  exactement  toutes  les  parties  qui  manquent.  Ces  procédés  ingénieux 
de  restitution  des  animaux  perdus,  quoique  réellement  empiriques,  ont  fourni  à G.  Cuvier  des 
vues  hardies  et  très-contestables  d’anatomie  transcendante , qui , jointes  à ses  nombreux  tra- 
vaux, lui  ont  valu  l’illustration  dont  il  a joui  pendant  sa  vie,  et  lui  ont  mérité  la  reconnaissance 
de  scs  élèves  et  de  scs  contemporains. 

A.  L. 


23 


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Il  n'y  n point  d'étude  pins  digne  de  notre  attention  et  de  notre  intérêt  que  celle  de  notre 
propre  espèce,  et,  de  même  que  l'Homme  occupe  le  premier  rang  parmi  les  créatures,  les 
sciences  qui  le  concernent  doivent  être  nu  premier  rang  parmi  les  sciences  naturelles.  Cette 
vérité  est  aujourd'hui  généralement  admise;  une  foule  de  savants  consacrent  leurs  veilles  à 
des  travaux  relatifs  à l'Homme,  et  le  précepte  do  Socrate  : Connais-toi  toi-méme,  reçoit  tous 
les  jours  une  application  plus  étendue.  Cependant  le  Muséum  semble  f'tre  demeuré  étranger  à 
ce  mouvement.  Ce  bel  établissement,  si  riche  en  collections  de  tout  genre,  ne  possède  pas 
encore  une  galerie  d’anthropologie.  Le  premier  et  le  plus  intéressant  de  tous  les  animaux  ne 
figure  pas  dans  ce  palais  où  tous  les  animaux  doivent  être  représentés.  On  y peut  voir  des 
exemplaires  de  tous  les  Singes  et  de  tous  les  Ours;  mais  on  y chercherait  vainement  des 
images  de  toutes  les  races  d'Hommcs.  C'est  là  une  lacune  qu'il  est  urgent  de  combler.  Je 
veux  voir  par  mes  yeux  si  en  effet  il  y a plusieurs  espèces  d'Hommes  bien  distinctes;  si  le 


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A N Tll  BOP 0 1. 0(1 1 K.  105 

Nègre  est  une  variété  du  Singe  ou  de  l'Homme;  si  c’est  Voltaire  qui  a raison  ou  l’auteur  de  la 
Genèse. 

A quelles  causes,  nous  demanderez- vous,  faut-il  attribuer  la  lacune  que  vous  venez  de 
signaler?  Est-ce  indifférence,  est-ce  antipathie,  est-ce  oubli  de  la  part  des  administrateurs? 
Nullement;  les  administrateurs  aiment  avec  une  égale  ardeur  toutes  les  sciences  dont  la 
direction  leur  est  confiée;  ils  hâtent  leurs  progrès  avec  la  même  sollicitude,  et  n'ont  pour 
aucune  d’elles  ni  répulsion  aveugle,  ni  partialité  exclusive.  Ils  ont  pourvu  à l'anthropologie 
comme  aux  autres  branches,  et  si  lu  galerie  n’existe  pas  encore',  ce  n'est  pas  faute  de  maté- 
riaux. On  en  a réuni  un  grand  nombre  que  l’on  doit  aux  soins  de  voyageurs  distingués  et  sur- 
tout à M.  Dumouticr,  qui  a rapporté  d’Asie  une  série  de  masques  moulés  sur  (les  indigènes  de 
Bornéo,  do  l'Inde  et  île  plusieurs  autres  contrées  où  il  s’est  arrêté.  Toutes  ces  richesses,  fruit 
de  tant  de  fatigues,  perdues  jusqu'à  co  jour  pour  le  public,  vont  enfin  être  livrées  à l'admi- 
ration des  amis  de  la  science  : un  local  spacieux  et  disposé  avec  la  méthode  convenable 
|iermcttra  de  saisir  la  liaison  qui  existo  entre  les  variétés  des  différents  types  de  l'espèce 
humaine. 

Voici  bientôt  six  mille  ans  que  l'Homme  observe  ses  semblables  et  qu’il  pose  les  fondements 
de  la  science  dont  nous  allons  parler,  et  pourtant  cette  science,  la  plus  ancienne  de  tuutes,  est 
peut-être  lu  moins  avancée  et  la  moins  solidement  assise,  line  multitudo  de  savants  sont 
venus,  chacun  armé  d'un  système,  s'en  disputer  la  possession.  La  lutte  dure  encore,  et  il  est 
impossible  de  prévoir  à qui  restera  la  victoire. 

La  première  question  à résoudre,  quand  ou  s'occupe  de  l’homme,  c'est  de  savoir  daus  quel 
ordre  île  la  série  animale  on  doit  le  classer.  Aristote  le  regardait  comme  un  être  tellement 
supérieur  aux  animaux,  qu'il  aurait  cru  commettre  un  sacrilège  s'il  l'avait  confondu  avec 
eux.  Linné , au  contraire , moins  pénétré  de  notre  mérite  et  de  notre  perfection , nous  range 
sans  façon  parmi  les  Primates,  à côté  des  Singes  et  des  Chauves-Souris.  « On  n'a  encore  pu 
u découvrir,  dit  ce  grand  naturaliste,  aucun  caractère  bien  positif  qui  aulnriso  à séparer 
« l'Homme  du  Singe.  » 

Quoi  ! l’être  qui  a mesuré  la  terre  et  les  cioux,  qui  a décomposé!  la  lumière , qui  a inventé 
les  langues,  qui  a construit  tous  ces  beaux  édifices,  animé  toutes  ces  statues;  l'être  qui  a 
dompté  la  vapeur  et  l’a  rendue  exécutrice  fidèle  de  scs  volontés;  l'être  qui  pense  et  qui  prévoit, 
l’être  doué  de  raison,  no  différerait  dn  Singe  que  par  un  plus  haut  degré  d’intelligence!  Lo 
jour  oh  vous  avez  écrit  cos  lignes,  honnête  Linné,  vous  aviez  sans  doute  à vous  plaindre  de 
quelqu'un  de  vos  semblables  , et  c’est  ainsi  que  vous  vous  êtes  vengé. 

Deux  professeurs  du  Jardin  des  Plantes,  Daubcnton  et  Vicq-d'Azyr,  entreprirent,  dans  lo 
siècle  passé,  de  réfuter  Linné  et  de  réhabiliter  l’espèce  humaine.  Il  ne  leur  fut  pas  difficile  dn 
démontrer  que  si  l’Hnmme  se  rapprochait  du  Singe  par  son  organisation , il  s’en  éloignait 
réellement  par  ses  facultés  morales,  et  que , quelle  que  fût  leur  analogie  apparente,  il  y avait 
toujours  un  abîme  entre  eux. 

Ite  nos  jours,  un  autre  savant  français,  l'illustre  Cuvier,  a soutenu  la  même  thèse  et  a 
conclu  à l'adoption  d'une  nouvelle  classification,  il  a divisé  les  Primates  de  Linné  en  trois 
ordres  : celui  des  Bimanes  ou  des  animaux  à deux  mains,  qui  comprend  toutes  les  races 
d’Ilommes;  celui  des  Quadrumanes  ou  des  animaux  à quatre  mains,  qui  renferme  tous  les 
Singes  ; et  enfin  l'ordre  îles  Chéiroptères  ou  des  Chauves-Souris. 

Nous  savons  très-bien  quo  l'Homme,  si  supérieur  aux  animaux  par  son  intelligence,  se 
ravale  souvent  au-dessous  d'eux  par  ses  vices;  nous  n'ignorons  pas  qu'on  l'a  vu  et  qu’on  le 
voit  encore  tous  les  jours  plus  féroce  que  les  Tigres  et  les  Hyènes  auxquels  il  donne  la  chasse  ; 
mais  ses  excès  même  ne  sont-ils  pas  une  nouvelle  preuve  de  sa  supériorité,  et  no  dénotent-ils 
fias  une  liberté  d’action,  une  force  de  volonté  et  do  réflexion  dont  la  brute  est  incapable?  L’abus 
de  ces  facultés  peut  être  la  source  des  crimes  les  plus  horribles,  comme,  en  revanche,  leur 
emploi  bien  dirigé  peut  faire  naître  les  vertus  les  plus  sublimes. 


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196  DEUXIÈME  PAIITIE. 

Voyons  maintenant  quels  son! , d’après  Cuvier,  les  caractères  essentiels  de  notre  es|>éce  : 


Station  droite  et  perpendiculaire  ; corps  soutenu  par  les  membres  inférieurs , lesquels  sont 
développés  en  raison  du  poids  qu’ils  ont  à porter;  pieds  plantigrades , pentadaclyles , non 
préhensiles  ; 

Extrémités  supérieures  libres,  à clavicules,  terminées  par  des  mains  véritables,  c'est-à-dire 
par  des  organes  propres  au  toucher  ci  à la  préhension , et  ayant  un  pouce  opposable  à tous  les 
autres  doigts  ; 

Tête  placée  sur  l'épine  dorsale  ; crâne  développé  dans  les  proportions  du  visage  ; mâchoire 
inférieure  courte  et  symphyse  ayant  forme  de  menton  ; 

Dents  nu  nombre  de  32,  d'égale  longueur  et  sans  intervalle  entre  elles; 

Hémisphères  cérébraux  très -prépondérants  ; cerveau  d'un  volume  proportionné  à la  multi- 
tude de  nerfs  qui  y aboutissent  ; 

Croissance  lente,  enfance  longue , maturité  tardive ; 

Peau  lisse  ; point  d'armes  naturelles,  ni  offensives  ni  défensives  ; 

Deux  mamelles  pectorales  ; 

Coccyx  court  et  recourbé. 

L'Homme  est,  de  tous  les  animaux,  le  seul  qui  ait  une  station  droite,  aisée  et  naturelle  : la 
capacité  et  la  position  du  crâne,  la  structure  du  l'épine  dorsale,  le  développement  osseux  et 
musculaire  du  bassin  et  des  extrémités  inférieures  11e  lui  [KTincttraiont  pas  de  se  tenir  autre- 
ment. Les  membres  inférieurs  seuls  étant  exclusivement  destinés  à la  marche . il  en  résulte 
que  les  membres  supérieurs  sont  entièrement  libres.  Dans  les  Chimpanzés  et  les  Orangs.  lus 
quatre  extrémités  sont  tout  à la  fois  des  organes  de  locomotion  et  do  préhension.  Le  Chim- 
panzé peut,  il  est  vrai,  changer  de  place  ou  se  tenant  debout  sur  ses  jambes,  mais  il  se  trahie 
plutôt  qu’il  ne  marche,  et  il  est  obligé  à tout  moment  de  s’appuyer  sur  ses  membres  antérieurs. 
Les  mains  des  Singes  sont  propres  à saisir  les  objets;  mais  elles  n’ont  pas  le  caractère  des 
véritables  mains;  le  pouce  n’est  pas  opposable  aux  autres  doigts,  lue  autre  différence  non 
moins  importante,  c’est  que  les  membres  postérieurs  des  Singes  sont  préhensiles  comme 
ceux  de  devant,  tandis  que  nos  pieds  sont  exclusivement  conformés  pour  la  marche.  L’Homme 
a le  cou  moins  gros,  à proportion,  que  les  Quadrupèdes,  mais  la  poitrine  plus  large;  il  11’y  a 
que  le  Singe  et  lui  qui  aient  des  clavicules. 

Ici  une  autre  question  se  présente  ; question  immense , question  difficile , ou  pour  mieux 
dire  impossible  à résoudre,  et  contre  laquelle  sont  venus  sc'briser  tous  les  efforts  des  savants  : 
c’est  la  question  des  espèces  et  des  races.  Les  hommes  dérivent-ils  tous  d’un  seul  homme 
comme  le  veut  la  Genèse,  ou  bien  de  deux  ou  plusieurs  hommes  de  différentes  couleurs? 
Quand  nous  égorgeons  nos  voisins  pour  l'amusement  de  nos  princes  ou  pour  la  satisfaction 
de  notre  ambition,  égorgeons-nous  nos  propres  frères  ou  les  descendants  d’une  autre  souche 
que  la  nôtre?  Les  philosophes,  les  naturalistes  de  tous  les  temps  ont  longuement  étudié  ces 
questions,  et  de  leurs  profondes  méditations,  qu’est- il  sorti?  Comme  toujours,  des  systèmes. 
Si  du  moins  ces  systèmes  étaient  d’accord  entre*  eux,  cotte  harmonie  leur  mériterait  jusqu'à  nu 
certain  point  notre  confiance;  mois  ils  se  contredisent  tous  et  se  détruisent  les  uns  les  autres. 
Nous  nous  garderons  bien  de  les  examiner  et  encore  plus  do  les  reproduire;  uous  n’en  rappor- 
terons qu’un  seul,  celui  de  Martin , qui  est  le  plus  récent,  et,  à notre  avis,  le  [dus  complet. 

Il  partage  le  genre  humain  en  cinq  races,  chacune  desquelles  se  subdivise  en  plusieurs 
familles  et  tribus.  Le  tableau  qu’il  en  donne,  accompagné  des  caractères  particuliers  à chaque 
race,  nous  a paru  curieux  et  instructif.  Le  voici  : 


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WTHROPOUMÎIE. 


197 


TABLEAU  DES  RACES,  FAMILLES  ET  TRIBUS 


COMPOSANT  LE  GENRE  HUMAIN. 


Famille 

relique. 


Européens. 


I.  Race  JAMtTtQil.  Télé  ovale;  front  ouvert;  ncxl 
proéminent;  os  des  joues  peu  ou  point  saillants;  1 
oreilles  petites  et  fermées  dents  verticales  ; mâ- 
choires moyennes , avec  un  menton  bien  expr.meA 
cheveux  longs  nouants  , quelquefois  crépus , mais  J 
jamais  laineux;  barbe  épaisse;  teint  variable. 


Asiatiques. 


Africains. 


- Pélagique. 
I Teuton' 'que. 

Slave. 

f Tartare. 

| Caucas’que 

| Sémitique. 

Sanscrite. 

[ Miztairoi- 

[ que. 


/ Les  anciens  habitants  de  la 
1 Gaule,  d’une  partie  de  l'Alle- 
magne , de  rilalic , de  l’Kspa- 
j gne,  des  lies  Br. tarin  ques  et 
peut-être  de  la  Grèce. 

| Les  Grec*  et  leurs  colonies. 
/ Les  Goths,  les  Vandales,  les 
: Allemands , les  Francs , les 
' Germains,  les  Angles. 

( Les  Russes^  les  Polonais,  les 
/ Bohèmes,  les  lllyriens,  etc. 

( Les  anciens  Scythes,  les 
| Parthes , les  Tar tare# , les 
\ Usbecs,  etc. 

j Les  Géorgiens,  les  Circas- 
\ siens,  les  Mingrelicns. 

/ Les  Arabes,  les  Hébreux, 
* les  Chaldéens , les  Phéni* 
’ ciens,  etc. 

| Les  div.  nat  on*  de  l’Inde. 
ï Les  anciens  Égyptiens,  les 
] Éth.opiens,  les  Abyssiniens, 

■ les  Guanchcs,  etc. 


II  Race  keptcmenxb.  Tête  arrondie,  quelquefois  , 
comprimée  sur  les  edtés;  tête  sub-ovale  avec  les  1 
os  des  joues  proéminents;  yeux  plus  élogné»  les  i 
uns  des  autres  que  dans  la  race  japét  que,  et  plus  f 
élevés  aux  angles  temporaux;  iris  noirs;  bouche 
moyenne;  lèvres  relevées;  cheveux  longs,  droits,  1 
noirs;  barbe  rare  et  tant  soit  peu  roide;  mem-  1 
bres  bien  formés  ; piaules  des  pieds  étroites;  teint 
basané , ou  brun  jaunâtre.  / 

III.  Race  noncole.  Tête  grosse  et  haute;  visage  , 
aplati;  pommettes  relevées,  proéminentes;  yeux  1 ^ ^ 

étroits,  obliques;  paupières  saillantes,  sourcils'  c 

arqués;  nez  écrasé;  narines  très  ouverte*;  men-  l 
ton  dépoonru  de  barbe;  oreilles  larges-,  bouche  ’ Hyperboréens. 
trèâ-fendue  ; dents  droites;  teint  jaune  très-basané. 


IV.  Race  procnathioue.  Mâchoires  grandes,  proé- 
minentes; dents  incisives  obliques;  front  étroit 
tête  comprimée  de*  deux  cotés  ; os  des  joues  sail 
tant»;  lèvres  épaisses;  nez  épâté;  narines  très- 
ouvertes;  cheveux  laineux  et  embrouillés,  quel- 
quefois crépus,  quelquefois  rodes  et  longs  ; barbe 
riair-seméo  et  roide  ; couleur  noire  foncée  ou 
basanée  jaunâtre. 


f Les  indigènes  de  la  presqu'île  de  Ma- 
Malais.  lace*. 

\ Les  Storas  de  Madagu>car. 

/ Les  indigènes  de  la  Nouvelle-Zé'ande , 
\ des  Iles  Sandwich , des  Iles  de  la  So- 
Polyné»ien$.  ciété,  etc. 

j Peut-être  les  émigrants  qui  fondèrent 
l’empire  du  Pérou  et  celui  du  Mexique. 


/ Les  Mongols,  Tartares,  Mantchous,  Cal* 
. moixks,  Chinois,  Coréens.  Japonais,  Thi- 
' betains,  Avanais,  Pégnans,  Siamois,  etc. 

I Ostiages , Tongouscs,  Samoièdes,  La- 

I pons,  Esquimaux , etc. 

I Tous  les  nègres  d’Afrique,  les  Cafres- 
[ N'ainaquois,  Coras,  Gonaquois,  Saabcs. 

| Noirs  aux  cheveux  laineux  de  la  Nouvclle- 


Afro- nègres. 
Hottentots. 

Papous. 


Guinée,  de  la  terre  de  Van  Diemcn,  les 


Alfoutous. 


V.  Race  occidentale.  Front  aplati;  le  sommet  de\ 
la  tête  peu  élevé;  pommettes  très-proéminentes;  ! Colombiens, 
ouverture  des  yeux  linéaire,  ordinairement  obli- f 
que;  nez  peu  sa  liant,  quelquefois  écrasé;  bouche  • 
très-fendue  ; dents  légèrement  obliques  ; cheveux  l ’ [jjf  Sud' 
longs,  roide* , noirs;  barbe  très-clair-scmée;  cou-  ’ 
leur  variable , brune,  jaunâtre  ou  cuivrée.  Patagons. 


\ Papous  de  Madagascar 

(Noirs  aux  cheveux  droit*  ou  crépu»  de  la 
Nouvelle-Guinée,  de  quelques  lies  de  l’ar- 
1 1 rhiprl  indien,  de  la  Nouvelle-Hollande,  le* 
. Virzembirs  de  Madagascar. 

/■  Indigène*  de  l'Amérique  du  Nord,  du 
’ Mexique,  de  la  Floride,  du  Yucatan,  de  la 
\ Colombie. 

| Indigènes  des  bonis  de  l’Amazone  et  des 
sources  sujiérieures  de  l’Orinoco,  du  Brésil, 
\ du  Paraguay,  de  l’inlérieur  du  Chili , etc. 
I 1>e*  indigène*  de  la  Patagonie. 


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198 


DEUXIÈME  PARTIE. 


RACE  JAPÉTIQUE. 


KAUll.l.K  CKI.T1QIE, 


I.t  Totii*#'Ar»  mcj»r  — Burto* 


R *'  M » n . 


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WTHROPOLOC.IK. 


190 


FAMILLE  SLAVE. 


KAMI  I .l  .i  : T A R T \ R P. 


i:"  (imnmi.  Foi«\u«. 


(Nki  *■; 


FAMILLE  TARTARK. 


F \ MILLE  CVÜCASIQL’E. 


l'»ftr»on  IviüoviTii.-Kttaoici. 


ClICtMtM. 


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IIRI  \ I K M K PARTIE. 


2(H) 


F UN  1.1. K SÉM1TIQI  K. 


F VMM. I. E SWSCRITE. 


mor. 


FAMILLE  M I S l\ A 1 M I Q V F. 


Cuu*E»iO»'.«Ai  Tiiism, 


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ANTHROPOLOGIE 


201 


KACE  NEPTUNIENNE. 


F A MILLE  MALAISE. 


F (MILLE  POLYNÉSIENNE. 


Maiai*  da  Scmrit. 


ImikIaf  or  l'Us  d'OüBaI 


F VMILLK  POLYNÉSIENNE. 


Indicé*!  ns  Tahiti» 


20 


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DEUXIÈME  PARTIE. 


RACE  MONGOLE. 


FAMII.LIi  MONCOLE. 


FAMILLE  IIYPEUBOnÉBXNË. 


Cnnoii 


IIIT 


RACE  PROGNATIQUE. 

FUin.I.F.  A F RO  - X KG  R F.. 


Cim 


Sien  l'Araigct. 


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ANTHROPOLOGIE. 


FA  Ml  U. R A F KO- N Eli  R F. 


203 

FAMILLE  1IOTTENTOÏE. 


Mm  «Md io rr 


K V M I l.l.li  DES  PAPOt  S. 


hnHi\t  »(  Y an  Piiiiv 

FAMILLE  DES  AI. KOI  ROIS. 


P*  roc. 


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201 


BEI  MÊME  PARTIE. 


RACE  OCCIDENTALE. 

FAMILLE  COLOMBIENNE.  FAMILLE  DES  PATAGONS. 


TlitlK  DtMUt,  CM»»  ifn  Nou«it. 


P 


A T 4 G U 1 


La  question  des  espèces  est  loin  d’èlrc  vidée,  nous  le  savons;  on  écrira  encore  bien  des 
volumes  avant  d’arriver  à un  résultat  et  de  proclamer  un  principe  qui  prenne  place  dans  la 
catégorie  des  vérités  universellement  connues  et  universellement  admises. 

Peut-être  en  sera-t-il  de  l’unité  d’origine  des  racos  humaines  comme  do  la  réalité  du  déluge; 
on  a commencé  par  le  nier  hardiment  ; puis , enfin , les  preuves  de  son  existence  se  sont 
présentées  en  si  grande  quantité,  qu’on  a été  obligé  d’y  croire  et  de  le  ranger  parmi  les 
axiomes  do  la  scicnco  géologique. 

Quoi  qu’il  en  soit,  nous  sommes  heureux  de  voir  que  ce  principe,  sur  lequel  repose  la 
grando  ponsée  do  la  fraternité  des  peuples , trouve  partout  des  adhérents  cl  des  défen- 
seurs. Nous  nous  félicitons  do  voir  que  la  science  daigne  enfin  consulter  quelquefois  cet 
instinct  révélateur,  cette  voix  secréte  et  inspirée  qui  parle  en  nous , et  qui  nous  apprend  sou- 
vent dos  vérités  plus  hautes  et  plus  certaines  que  toutes  cellos  que  découvre,  en  fouillant  des 
tombes,  le  scalpel  curieux  et  patient  de  l'anatomie.  Nous  ne  croyons  pas  que  le  rûle  de  la 
science  doive  se  borner  simplement  à l'examen  cl  à la  discussion  des  faits  matériels;  sa  mis- 
sion est  aussi  do  mettre  ces  faits  et  leurs  résultats  en  rapport  avec  los  besoins  des  temps,  avec 
les  lois  du  cœur  cl  les  vœux  de  la  civilisation.  Elle  doit  être  un  messager  de  paix  et  de  conci- 
liation ; elle  doit  s’attacher  A propager  parmi  nous  les  lumicros  de  l’esprit , et  non  pas  à nous 
insuffler  le  feu  de  la  guerre.  Son  flambeau  no  doit  jamais  devenir  un  brandon.  Assez  de  germes 
de  discorde  et  do  haine  existent  entre  les  hommes  ; loin  de  chercher  à les  fomenter,  employons 
tous  nos  soins  à les  détruire. 

Citons,  on  finissant,  ces  remarquables  parolos  do  M.  lo  docteur  Hollard,  par  lesquelles  il 
termine  lui-même  son  excellent  livre  : De  l'Homme  et  des  races  humaines. 

« La  Bible  a proclamé  avant  nous,  ou  mieux,  antérieurement  à toutes  les  études  anthropo- 
logiques, cette  vérité  de  l’unité  do  l’espèce  humaine  qui  sc  dégage  aujourd’hui  comme  vérité 
scientifique  d'un  débat  où  la  contradiction  ne  lui  a pas  été  épargnée.  De  même  qu’aux  cosrno- 


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A.vrnnopoLooiE. 


205 


gonies  de  l'antiquité  païenne,  lu  Bible  oppose  sa  cosmogonie  monothéiste,  si  simple,  si  sobre 
de  détails,  en  si  parfait  accord,  par  la  notion  d’harmonie  et  de  progrès  qui  la  résume,  avec  les 
résultats  généraux  les  plus  incontestables  des  sciences  naturelles;  de  même  qu'aux  dogmes 
erronés  des  religions , et  trop  souvent  aussi  des  philosophies  do  l’antiquité  sur  la  nature  de 
l'homme,  sur  son  origine  et  sur  sa  destinée,  nos  livres  saiuts  opposent  cette  doctrine  simple 
et  sublime,  que  l’homme,  dernier  venu  de  la  création,  domine  celle-ci,  non  comme  le  premier 
des  animaux,  mais  à litre  de  chef  privilégié,  comme  fils  de  Dieu,  comme  personne  morale 
placée  sur  la  limite  de  deux  mondes  ; de  même  aussi  à des  sociétés  divisées  en  castes  et  qui 
pratiquaient  l’esclavage  eu  grand , ces  livres  antiques , quand  les  philosophes  se  taisaient, 
jetaient  cette  parole  de  vérité  : « Dieu  a fait  naître  d’un  seul  sang  tout  lo  genre  humain  » (I), 
et  cette  autre , qui  la  complète  : « Tous  meurent  en  Adam , tous  revivront  en  Jésus-Christ.  » 
Oui,  tous  les  peuples  de  la  terre  sont  unis  de  cette  triple  unité  du  sang,  de  la  chute  et  de  la 
rédemption , et  cette  triple  unité  est  une  triple  fraternité  qui  ne  nous  laisse  aucun  autre  droit 
sur  nos  semblables,  que  le  privilège  de  leur  dispenser  les  bienfaits  de  Dieu.  » 


A.  L. 


(I)  Saint  faut  à l'arêopagie  d’Athêm-s  ( Ida,  ch.  xvlt,  SC). 


M U» O*  ni  Cl  VICK 


illumine  t«  6R*x»  Amuiiî nliTRi. 


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Si  nous  avions  voulu  suivre  un  ordre  rigoureux  cl  logique  dans  les  pérégrinations  que  vou- 
voule/.  bien  faire  avec  nous , nous  aurions  dé  commencer  pur  vous  conduire  dans  les  galeries 
de  Minéralogie  et  île  (iéologie  : là,  en  effet,  se  trouve  le  point  de  départ  des  sciences  naturelles, 
et  le  régne  minéral  dans  l’ordre  de  la  création  , aussi  bien  que  dans  la  série  instituée  par  la 
science,  réclamo  la  priorité  sur  les  deux  autres;  mais  il  ne  s’agit  pas  ici  d’une  exposition  dos 
principes  de  la  science  et  encore  moins  de  leur  application , c'est  uue  promenade  à travers  les 
merveilles  du  Muséum , et  nous  n’avons  d’autre  bul  que  do  vous  éviter  lu  fatigue  en  recher- 
chant ce  qui  peut  vous  plaire  et  vous  intéresser.  Sous  savous  que  le  Muséum  est  un  temple 
d'où  l’on  no  sort  pas  à son  gré,  si  nous  vous  en  rendons  l'accès  facile,  voire  curiosité  se  chars 
géra  & notre  grande  joio  de  faire  le  reste. 

Prenez  pour  quelques  moments  droit  do  cité  dans  cotte  magmliquc  enceinte  consacrée  à 
deux  des  branches  les  plus  intéressantes  de  cos  sciences  naturelles  : la  Minéralogie  et  la 
Géologie. 


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207 


MINÉRALOGIE. 

Entrez,  regardez  tout  avec  attention,  scrutez  la  nature  jusque  dans  ses  replis  les  plus  secrets, 
et  que  votre  esprit,  plongeant  plus  avant  dans  les  abîmes  de  la  terre,  élève  votre  âme  plus 
haut  vers  celui  qui  en  est  le  créateur  et  le  roi. 

La  Minéralogie  déploiera  à vos  yeux  sa  robe  brodée  de  métaux  précieux  et  de  pierres 
éblouissantes  reflétant  toutes  les  couleurs  du  prisme  et  surpassant  l’éclat  des  plus  belles 
fleurs;  mais  la  Géologie  étalera  devant  vous  des  merveilles  encore  plus  surprenantes,  et  vous 
fera  goûter  des  plaisirs  encore  plus  variés. 

De  nombreuses  populations  d’animaux  perdus;  le  globe  entier  bouleversé  à plusieurs 
reprises,  avec  des  preuves  irrécusables  de  ces  catastrophes  terribles,  se  présenteront  à vous 
dans  toute  leur  imposante  vérité. 

Nous  dépouillerons  peu  à peu  la  terre  de  ses  enveloppes  successives , et  comparant  les  rap- 
ports do  ses  couches  avec  les  débris  qu’elles  recèlent,  nous  arriverons  à une  conséquence 
remarquable  : nous  verrons  que  la  vie,  et  par  conséquent  la  mort,  ont  commencé  longtemps 
avant  l'homme;  et  que  cet  être  si  lier,  qui  se  pose  en  seigneur  et  maître  do  l’univers,  est  à 
peine  né  d’hier,  eu  égard  à l’antiquité  incontestable  de  ses  devanciers , lui  qui  cependant 
compte  déjà  son  existence  par  vingtaine  de  siècles. 

Nous  vous  montrerons , nous  vous  prouverons  tout  cela  par  les  moyens  qui  sont  à la  dispo- 
sition des  deux  sciences,  dont  nous  sommes  le  très-humble  interprète.  Mais,  avant  tout,  jetons 
un  coup  d’œil  sur  cette  belle  galerie  qui  en  est  le  digne  sanctuaire. 

A peine  avez-vous  traversé  le  premier  vestibule,  que  vos  regards  sont  frappés  par  une 
quantité  d’échantillons  de  nos  richesses  minérales.  Ces  précieuses  dépouilles  , arrachées  à la 
terre,  ont  été  classées  et  étiquetées  par  Haüy;  c’est  la  collection  déterminée  par  ce  grand 
homme  et  la  cristallographie  établie  par  lui;  cette  collection  unique  a coûté  quarante  ans  do 
travaux  à son  auteur;  elle  sert  merveilleusement  d’introduction  aux  galeries. 

M.  Biard  s’est  chargé  de  représenter  sur  les  parois  supérieurs  des  murs  quelques-unes  des 
grandes  scènes  de?  régions  polaires  : la  chasse  aux  Morses , In  chasse  aux  Rennes.  Il  est  à 
désirer  que  ces  exhibitions  des  divers  aspects  de  la  nature  se  multiplient  et  complètent  par  In 
vue  ce  que  l'imaginai  ion  du  promeneur  essayerait  en  vain  d'inventer. 

Lu  porte  qui  fait  face  à la  porte  d’entrée 
est  celle  du  Petil-Amphithéutre,  où  se  pro- 
fessent la  Minéralogie , la  Géologie  . la 
Culture  et  la  Physiologie  comparée. 

Entrons  maintenant  dans  la  galerie,  vous 
voyez  ces  trente-six  gracieuses  colonnes, 
placées  en  deux  rangs,  par  dix- huit  de 
chaque  coté,  soutenant  la  voûte  vitrée  qui 
éclaire  cette  salle.  Eh  bien,  c’est  ici  que  lu 
Minéruiogio  et  la  Géologie  ont  établi  leur  domaine. 

Naguère  encore  resserrées  dans  deux  ou  trois  chambres  de  l'ancienne  galerie,  elles  y repré- 
sentaient modestement  l'état  peu  avancé  dans  lecjuel  % comme  sciences  exactes,  elles  avaient 
langui  toutes  deux  jusqu’alors.  A présent  leurs  richesses  sont  tellement  grandes , que  cette 
vaste  enceinte  les  contient  à peine. 

Mais  aussi  quel  rare  exemple  d’union  n’ont-elles  pas  donné,  ces  deux  so*urs  jumelles  : 
marchant,  dés  l’origine,  toujours  ensemble;  s’appuyant  Tune  sur  l’autre,  grandissant  l’une 
par  l’autre,  elles  sont  parvenues  au  point  oh  nous  les  voyons  aujourd’hui. 

Et,  bien  qu’elles  fussent  désormais  en  état  de  marcher  séparément,  chacune  avec  gloire  et 
sûreté , elles  ne  se  quittent  pas  cependant,  et  ne  cessent  de  se  soutenir  comme  par  le  passé. 

Vous  voyez  la  longue  file  d’armoires  vitrées  à gauche  et  a droite  do  la  galerie;  c’est  là 
dedans  et  sous  les  cages  de  verre  qui  sont  au  pied  de  ces  armoires  que  se  trouvent  les  Miné- 
raux d’après  leurs  genres,  leur  variétés,  leurs  groupements,  leurs  associations  habituelles,  en 
un  mot,  tout  ce  qui  a rapport  à l'histoire  naturelle  de  chaque  espèce. 


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208 


l)Kt  XlfcME  PARTIE. 

Les  armoires  dos  piédestaux  des  colonnes  indiquent  les  nombreux  usages  de  luxe  ou 
d’utilité  auxquels  ces  diverses  substances  |ieuvent  servir  : c’est  la  Minéralogie  technologique 
et  historique. 

La  collection  Géologique  a une  plus  large  part , comme  celle  des  deux  sciences  dont  le 
domaine  est  naturellement  plus  étendu.  Ce  sont  d'abord  les  cages  et  les  tiroirs  de  l'épine  nu 
du  milieu  qui,  avec  les  armoires  des  piédestaux  des  deux  côtés  de  la  galerie,  lui  appartiennent 
en  entier;  les  échantillons  des  terrains  qui  composent  l'écorce  du  globe  y sont  rangés  suivant 
l’ordre  de  superposition  et  d'après  la  méthode  de  M.  Cordier. 

En  outre,  on  lui  u consacré  les  deux  galeries  élevées  derrière  les  colonnes , dont  celle  do 
gauche  présente  une  classification  méthodique  des  roches,  et  celle  de  droite  une  collection 
dos  débris  organiques  fossiles. 

Maintenant  que  nous  connaissons  la  disposition  générale  de  la  localité,  à quel  objet  donner 
la  préférence  pour  entrer  eu  matière? 

Le  premier  objet  qui  frappe  notre  vue , en  entrant  dans  la  galerie , c'est  un  beau  Quartz 
hyalin  (Cristal  île  roche),  d'une  grosseur  pet^  ordinaire  et  d'une  limpidité  parfaite. 

A cette  occasion,  nous  trouvons  moyen  de  rendre  hommage,  en  passant,  à l'homme  le  plus 
éminent  de  son  siècle , à celui  qui  a compris  presque  tous  les  genres  de  gloire  et  s'y  est 
associé.  Nous  lisons  écrit  au  bas  de  cette  pièce  : u Qu’elle  a fait  partie  des  objets  d'art  et  de 
u scienco  rapportés  d'Italie,  en  1707,  par  le  général  Bonaparte;  elle  provient  de  la  vallée  de 
n Yiégc,  on  \alais,  et  pèse  4(10  kilogrammes,  u 

Ce  qui  vous  frappe  à la  première  vue  dans  cette  belle  pierre,  c'est  sa  forme  régulière, 
accusée  nettement  par  des  facettes  planes , unies , et  aussi  brillantes  que  si  on  les  eût  fait 
tailler  par  un  lapidaire. 

Telle  est  exactement  la  manière  d'être  de  quelques  substances  pierreuses  et  métalliques, 
qu’on  désigne,  en  Minéralogie,  sous  le  nom  do  Cristaux.  Mais  gardez-vous  de  les  confondre 
avec  les  Cristaux  artificiels  : ceux-ci  ont,  communément,  pour  attribut  principal,  la  transpa- 
rence dont  on  a fuit,  pour  ainsi  dire,  leur  synonyme  ; tandis  que  les  seules  formes  polyédriques 
suffisent  pour  caractériser  les  Cristaux  naturels. 

Pour  vous  mieux  familiariser  avec  cette  espèce,  très-abondante  dans  la  nature,  voici  les 
formes  sous  lesquelles  elle  se  présente  habituellement  quand  elle  est  cristallisée. 


Vous  remarquerez  facilement,  après  le  plus  léger  examen,  que,  abstraction  faite  de  quelques 
imperfections,  ou  d'une  sorte  d'empiétement  d’une  face  sur  l'autre,  toutes  ces  formes  présen- 
tent, plus  ou  moins  nettement,  un  prisme  hexagone,  couronné  d'un  pointemcnl  ou  d'une 
pyramide  à six  faces , ce  qui  est  le  caractère  de  l’espèce. 

La  forme  polyédrique  et  régulière  qui  distingue  les  Cristaux  ne  se  présente  quelquefois  qu’à 
l'extérieur,  comme  c'est  le  cas  pour  le  Quartz,  lequel,  brisé  en  morceaux,  ne  la  reproduit  plus. 
Mais  très-souvent  celte  forme  parait  bien  plus  intimement  liée  à son  espèce. 

Vous  voyez  ici  do  la  Galène,  qui  est  du  plomb  combiné  naturellement  avec  du  soufre;  là, 
du  Calcaire , celui  qu’on  appelle  le  Spath  d’ Islande  ; chacune  do  ces  deux  substances  a une 
forme  différente. 

La  Galène  se  présente  sous  la  forme  d'un  cube , c'est-à-dire 
d'un  solide  à six  faces  carrées  égales,  et  qui  vous  rappelle  par- 
faitement la  forme  d'un  dé  à jouer.  Le  Calcaire  vous  présente 
une  forme  à peu  près  semblable , mais  un  peu  obliquement 


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209 


MINÉRALOGIE. 

tendue,  solide  qu'on  appelle  le  Rhomboèdre,  parce  que  ses  faces  sont  eu  losange;  cette  forme 
est  tellement  rigoureuse  dans  la  nature,  que  si  je  prends  un  marteau  pour  en  donner  un  léger 
coup  à la  Galène,  le  morceau  qui  s'en  détache  est  encore  un  cube;  je  fais  de  même  avec  le 
Spath  d’Islande,  et  la  particule  détachée  est  encore  un  rhomboèdre.  Que  je  répète  cette  opé- 
ration autant  de  fois  qu’il  me  plaira , chaque  morceau  nouvellement  détaché  présentera  tou- 
jours la  forme  de  son  espèce;  de  même  que  vous  verrez  toujours  reparaître  telle  fleur  sur  telle 
plante. 

Vous  comprendrez  facilement , en  présence  de  ces  faits , comment  cette  propriété , stable  et 
invariable  partout  oh  on  la  rencontre,  a pu  être  érigée  en  un  des  caractères  principaux  pour 
distinguer  et  classer  les  Minéraux,  Car  connaître  n'est,  en  dernière  analyse,  que  bien  distin- 
guer, comme  le  dernier  mot  de  la  science  naturelle  est  bien  classer,  bien  grouper. 

Pour  vous  faire  ensuite  une  idée  de  ce  qu’on  appelle  les  diverses  modifications  des  formes, 
et  comment  celles-ci  passent  de  l’une  à l’autre , vous  n'avez  i[u'à  jeter  uu  coup  d’adl  sur  les 
ligures  suivantes. 


t s • s s 7 


Vous  reconnaissez  la  première  pour  être  le  cube;  vous  n'avez  qu’à  faire  naître  des  faces  sur 
ces  huit  angles  solides,  ou  à les  couper  sur  un  plan , et  vous  aurez  la  figure  2,  qui  est  uu 
cubo-octaèdre , c'est-à-dire  un  cube  passant  à l’octaèdre.  Donnez  plus  d’extension  à ces  nou- 
velles facos,  et  vous  arriverez  au  véritable  octaèdre,  figure  3.  Que  si,  au  lieu  de  modifier 
le  cube  sur  ses  angles,  vous  faites  naître  des  faces  sur  ses  arêtes,  vous  obtiendrez  la  figure  4, 
qui  est  un  cubo-décaèdre  ; puis  un  dodécaèdre , figure  5 , et  ainsi  de  suite. 

Chaque  formo  modifiée  pouvant  à son  tour  servir  de  point  de  départ  à une  modification 
nouvelle,  il  est  clair  qu'il  doit  en  résulter  des  formes  très-nombreuses,  et  de  plus  en  plus  com- 
pliquées. C'est  par  cette  raison  qu'on  les  compte  aujourd'hui  par  milliers.  Leur  étude  ne  paraît 
pas  devoir  être  très-facile;  mais  il  existe  à cet  égard  des  faits  généraux  qui  permettent  de  la 
simplifier  considérablement. 

Ces  faits  établissent  d’une  manière  claire  et  positive , d’une  part , que  toutes  ces  formes  se 
rapportent  à six  groupes  bien  caractérisés;  de  l'autre,  que,  dans  chaque  groupo,  tous  les 
polyèdres  qu’on  y trouve  peuvent  se  déduire  rigoureusement  d'une  forme  unique. 

Il  en  résulte  qu'en  réalité , l’étude  de  la  cristallographie  consiste  à bien  connaître  six  genres 
particuliers  do  formes , dont  chacun  peut  avoir  diverses  espèces. 

Nous  nous  contenterons  donc  d’indiquer  ici  les  six  groupes,  ou  systèmes  cristallins,  dont 
nous  venons  de  parler  ; ce  sont  : 

1“  Le  système  cubique; 

2 ’ Le  système  rhomhoédrique  ; 

3“  U1  système  prismatique  carré; 

4"  Le  système  prismatique  rectangulaire , ou  rhomboïdal , droit  ', 

5"  Le  système  prismatique  rectangulaire , ou  rhomboïdal , oblique  ; 

6"  Enlin  le  système  prismatique  oblique,  à base  de  parallélogramme  obliquangle, 

— Je  conçois,  me  direz-vous,  qu’on  puisse  ainsi,  sans  beaucoup  de  difficulté,  se  rendre 
compte  de  tous  les  Cristaux  connus,  sous  quelques  formes  qu’ils  se  présentent.  Mais  sait-on 
aussi  comment  la  nature  procède  pour  les  former?  quelles  sont  les  conditions  et  les  circons- 
tances qui  déterminent  telle  ou  telle  forme,  qui  influent  sur  telle  ou  telle  variation? 

— La  nature  a des  mystères  qu’elle  ne  livre  pas  aux  investigations  do  l’homme;  mais  en 

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210 


DEUXIÈME  PARTIE. 

s'appuyant  sur  las  faits  qu'on  a observés  iluus  les  ateliers  chimiques , on  peut  arriver  à des 
suppositions  qui  ne  manquent  pas  de  vraisemblance. 

Ainsi , il  y a des  sels  qu'on  peut  dissoudre  et  faire  cristalliser  4 volonté.  De  ce  nombre  est 
l’alun , que  tout  le  monde  connaît.  Qu'on  en  fasse  dissoudre  dans  l'eau  bouillante , autant  que 
lo  liquide  en  peut  prendre;  qu'on  lire  la  solution  à clair  dans  un  vase  oii  l'on  a suspendu 
quelques  fils,  et  cette  substance,  en  s’y  attachant,  ne  tardera  pas  à former  des  Cristaux,  d'au- 
tant plus  gros,  que  la  masse  liquide  est  plus  volumineuse. 

Mais  il  y a des  matières  qui  fondent  plus  facilemeul  par  la  chaleur  qu’elles  no  se  laissent 
dissoudre  dans  un  liquide  quelconque  : alors , quand  elles  sont  fondues , laissez-les  refroidir 
lentement,  et  elles  se  cristalliseront  dans  l'intérieur  de  la  masse;  ce  qu'on  verra  en  brisant  la 
croûte  consolidée  à la  surface,  et  en  renversant  ce  qui  y reste  encore  de  matière  liquide.  Le 
soufre,  par  exemple,  qui  est  d’une  facile  fusion,  peut  servir  à cotte  expérience;  on  en  obtiendra 
des  Cristaux  d’autant  plus  nets  que  le  volume  de  la  masse  fondue  sera  plus  considérable. 

Il  y a encore  un  troisième  mode  pour  produire  des  Cristaux  : c'est  celui  de  la  sublimation. 
Plusieurs  matières  volatiles , commo  l’arsenic , chauffées  en  vase  clos , se  volatilisent , et  se 
déposent  en  Cristaux  à la  partie  supérieure  de  l'appareil. 

Vous  voyez  par  14  que  l’une  de  ces  trois  conditions  que  nous  venons  d’exposer  est  indispen- 
sable pour  la  formation  des  Cristaux.  La  matière  cristallisable  parait,  avant  tout,  avoir  besoin 
d’une  complète  liberté  pour  que  scs  molécules  puissent  ensuite,  au  moment  de  se  consolider, 
céder  au  jeu  des  attractions  naturelles  qui  les  conduisent  4 telle  ou  telle  forme. 

Voilà  pour  le  mode  de  formation  des  Cristaux  en  général.  Quant  uux  diverses  variations 
que  les  formes  peuvent  subir , on  a aussi  établi , par  de  nombreuses  expériences , qu’elles 
dé[>endent  de  la  nature  du  liquide  qui  sert  de  dissolvant,  des  matières  que  ce  liquide  peut  ren- 
fermer en  même  temps  que  celles  qui  cristallisent,  et  de  la  température  4 laquelle  la  cristalli- 
sation se  fait. 

En  présence  de  ces  faits,  on  ne  saurait  se  défendre  d'on  tirer  cette  induction,  que  les  choses 
sc  passent  do  la  même  mauièro  dans  la  cristallisation  naturelle.  En  effet,  les  formes  d'un 
même  minéral  sont  différentes  suivant  la  nature  des  substances  qui  l’accompagnent , et  par 
conséquent  avec  lesquelles,  ou  au  milieu  desquelles,  il  a cristallisé.  Le  fait  est  tellement  cons- 
tant, que  depuis  longtemps  les  minéralogistes  reconnaissent  les  localités  d'ob  certains  miné- 
raux proviennent , par  les  formes  seules  qu’ils  présentent. 

Pour  revenir  au  Quartz,  vous  saurez  que,  naturellement  incolore,  il  prend  souvent  des  cou- 
leurs plus  ou  moins  vives,  par  des  mélanges  de  matières  étrangères. 

Ainsi  Y Améthyste  est  un  Quartz  transparent  violet;  celui  qui  porte  le  nom  impropre  de 
Topuzc  d’Inde  est  le  Quartz  transparent  de  diverses  teintes  jaunes  ; Y Hyacinthe  de  Compostelle 
est  le  même  Quartz  ayant  la  couleur  rouge  opaque;  et  le  Quartz  enfumé  est  le  brun  foncé, 
quelquefois  complètement  noir. 

I.a  Calcédoine,  Y Agate,  Y Opale,  le  Silex  ou  pierre  à fusil,  les  Jaspes,  sont  tontes  des 
matières  de  même  nature  que  le  Quartz,  et  n’en  diffèrent  principalement  que  par  l’absence  de 
cristallisation. 

Lus  variétés  translucides  de  la  Calcédoine  portent  fréquemment  le  nom  d 'Agate  ; colles  qui 
sont  en  même  temps  colorées  portent  le  nom  de  Sardoine , lorsqu’elles  sont  jaunâtres  ou  bru- 
nâtres, et  de  Cornaline,  lorsqu’elles  sont  rouges.  Quand  diverses  couleurs  sc  trouvent  réunies 
par  zones  ou  par  bandes,  la  pierre  prend  le  nom  d'Onyx.  Quelquefois  la  matière  colorante  so 
trouve  en  dendrites,  et  alors  il  en  résulte  ces  belles  Agates  herborisées , qui,  par  leurs  dessins 
variés , offrent  des  imitations  de  brins  de  mousse , de  rameaux  d’arbres  et  de  buissons  dans  la 
pierre. 

Les  Jaspes  sont  des  Calcédoines  opaques  mélangées  de  diverses  matières  étrangères  qui  les 
colorent. 

Les  variétés  limpides  de  Quartz  ont  été  autrefois  travaillées  comme  objets  de  luxe;  taillées 


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MINERALOGIE. 


211 


à facettes,  elles  servaient  surtout  è garnir  les  lustres  de  grand  pris.  Mais  tous  ces  objets  sont 
passés  de  mode  depuis  l'invention  de  l’espèce  de  verre  nommé  Cristal , qui  est  à la  fois  plus 
limpide,  plus  éclatant  et  plus  facile  à travailler. 

Les  variétés  de  Calcédoine , comme  la  Sardoine , la  Cornaline , ont  été  souvent  fort  recher- 
chées, mais  n’ont  aujourd’hui  que  peu  de  valeur.  Inc  autre  variété,  connue  sous  le  nom  de 
Chrysoprase , qui , avec  là  demi-transparence , offre  une  jolie  teinte  verte,  est  la  seulo  qui  soit 
encore  demandée , et  d'un  prix  élevé  ; elle  fait  do  charmantes  parures. 

Les  Onyx  sont  aussi  recherchés  pour  en  faire  des  camées,  et  l'on  exécute  alors  le  petit  bas- 
relief  sur  l’une  des  couches , en  laissant  l’autre  pour  le  fond. 

Cependant  la  pierre  qui  l’em|>orto  sur  toutes  les  autres  de  cette  espèce  est  l 'Opale.  Quand 
elle  est  demi-transparente , et  qu’elle  offre  dans  son  intérieur  ces  reflets  si  agréablement 
colorés,  et  d’un  éclat  qui  ne  peut  être  comparé  qu’à  celui  des  Colibris,  Oiseaux-Mouches  et 
des  Papillons  les  plus  brillants,  elle  est  d'un  prix  assez  élevé.  Il  est  à remarquer  que  c’est  son 
imperfection  qui  fait  sa  beauté;  car  ces  reflets  proviennent  d’une  multitude  de  fissures  qui 
interrompent  la  continuité  de  sa  matière  et  déterminent  la  réflexion  de  différentes  espèces  do 
rayons  colorés  : aussi  cos  beaux  reflets  s’évanouissent-ils  quand  on  vient  à briser  l’Opale. 

Ou  Quartz  nous  passons  au  Calcaire.  Le  type  de  1'cspèca  susceptible  de  cristallisation  est 
le  Calcaire  limpide,  appelé  vulgairement  le  Spath  d'Islande.  Il  est  remarquable  par  la  propriété 
qu’il  possède  de  doubler  les  images  des  objets  placés  au-dessous  de  sa  surface.  Les  différentes 
espèces  présentent  des  formes  très-variées , dont  les  plus  habituelles  sont  les  suivantes  : 


Cette  substance  est , au  reste , répandue  partout  et  avec  la  plus  grande  profusion , surtout 
celle  qui  n'est  pas  susceptible  de  cristallisation. 

Depuis  la  bello  Roc  lie,  connue  souslo  nom  de  Marbre  statuaire,  jusqu'au  Calcaire  grossier, 
ou  pierre  à bâtir,  quelle  longue  série  de  la  même  matière  se  présentant  sous  les  aspects  les 
plus  divers!  Elle  se  produisait  dans  l’origino  des  choses;  elle  se  produit  encore  aujourd’hui 
en  masse  dans  ces  fontaines  incrustantes  que  les  voyageurs  admirent  tant  dans  diverses  loca- 
lités. Les  uombreux  usages  auxquels  elle  sert  formeraient  une  véritable  épopée  technologique. 

En  effet , supprimez  le  Calcaire  dans  les  environs  de  Paris , et  cette  superbe  ville  n’aura  pu 
exister  : retranchez-le  à l’Italie,  cl  ce  pays,  malgré  son  beau  ciel  bleu,  restera  monotone, 
dépouillé  qu’il  sera  de  ses  villas , de  ses  palais  blancs  comme  la  neige , et  de  ses  admirables 
statues. 

Et  que  dire  de  ces  magnifiques  pierres  de  décorations , appelées  Marbres  dans  la  véritable 
acception  du  mol?  Il  est  devenu  indispensable  d'en  connaître  au  moins  les  plus  remarqua- 
bles , depuis  que  vous  en  rencontrez  partout , dans  les  maisons  particulières  aussi  bien  que 
dans  les  monuments  et  les  édifices  publics. 

Vous  voyez  celui-ci  qui  a l’air  do  vouloir  imiter  l'éclair  fendant  lo  ciel  sombre  ; c'est  lo 
Portor,  d’un  fond  noir  intense , veiné  de  jaune  vif  ou  d'orangé. 

Celui  à fond  rouge  de  feu , rubané  do  blanc , est  nommé  le  Languedoc. 

La  Griotte  d’ Italie  est  d'un  rouge  foncé,  varié  de  taches  ovales,  d’uno  teinte  plus  vive,  et 
de  cercles  noirs  dus  à des  coquilles. 

Le  Bleu  Turquin  ou  Bardigle  est  à fond  bleuâtre  et  à veines  plus  foncées  ; le  Bardigle  fleuri, 
à pâte  blanche,  entremêlée  d’une  quantité  de  veines  ardoisées  par  ondes  et  taches  diverses. 

Parmi  les  Marbres  de  Flandre,  et  qui  sont  ceux  qu'on  emploie  lo  plus  fréquemment  à Paris, 
on  remarque  le  Sainte-Anne , ordinairement  à fond  gris  et  veines  blanches;  mais  il  en  existe 


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212 


DEIXIÈME  PARTIE. 

de  plus  agréables  à la  vue,  dont  le  foud  est  brun,  rouge  ou  bleuâtre.  Parmi  les  belles  variétés 
qui  proviennent  de  différents  lieu»,  on  distingue  le  Grand  Antique,  à fond  noir  et  veines  blan- 
ches nettement  tranchées. 

Parmi  les  Marbres  Bréchet,  appelés  ainsi  parce  qu'ils  semblent  composés  de  fragments  réu- 
nis, méritent  d'étre  nommés  : le  Grand  Deuil  et  le  Pelil  Deuil,  qui  offrent  des  éclats  blancs 
sur  un  fond  noir;  la  Brèche  d' Ail,  ou  Brèche  de  Tvlvnel,  à grands  fragments  jaunes  et  vio- 
lets, réunis  par  des  seines  noires;  et  la  Brèche  violette,  à fond  violet,  avec  grands  éclats 
blancs,  un  des  marbres  les  plus  riches,  mais  dont  les  carrières  paraissent  depuis  longtemps 
épuisées. 

Pour  passer  des  Marbres  simples  aux  composés,  nous  nommerons  d'abord  les  Campant, 
dans  les  Pyrénées,  à fond  rouge,  rose,  on  vert  clair,  varié  de  veines  entrelacées  et  de  feuillets 
ondulés,  d'une  teinte  plus  foncée;  le  Jaune  de  Sienne,  qu’on  nomme  aussi  Jaune  antique,  est 
d'un  janne  vif,  veiné  de  pourpre  et  de  rouge  violacé;  le  Sicile  ou  Jaspe  de  Sicile,  qui  se  dis- 
tingue par  de  grandes  bandes  veinées  et  rubanées  rouges,  brunes  et  olivâtres  ; enfin  les  di- 
verses variétés  de  Vert  antique,  dont  le  fond  est  d’un  vert  tendre  et  foncé,  parsemé  de  taches 
noires,  blanches  et  quelquefois  même  pourpres. 

Les  Marbres  lumachellcs  sont  ceux  qui  renferment  des  coquilles.  On  distingue  surtout  des 
variétés  â fond  noir,  sur  lequel  se  dessinent  des  taches  do  calcaire  blanc,  dont  chacune  est 
une  coquillo:  celui  ap|»elé  le  Petit  Granité,  qui  couvre  la  plupart  do  nos  meubles,  en  est  un 
exemple  commun. 

Il  faut  vous  dire,  au  reste,  à propos  des  noms  du  Marbre,  qu'ils  sont  extrêmement  nom- 
breux, car  il  suffit  souvent  aux  marbriers  du  moindre  accident  pour  donner  des  noms  diffé- 
rents aux  diverses  plaques  tirées  du  même  bloc. 

Il  y a des  pierres  de  décoration  que  l’on  confond  ordinairement  avec  les  véritables  Marbres, 
quoiqu’elles  soient  d'une  nature  tout  à fait  différente  ; ce  sont  pour  la  plupart  des  Granités  et 
des  Porphyres.  Ces  derniers  surtout  sont  susceptibles  d’un  beau  poli,  et  présentent  de  belles 
nuances  de  couleurs.  Le  Porphyre  rouge,  ou  de  couleur  purpurine,  mêlé  de  grains  de  pierre 
blancs,  était  tellement  estimé  des  anciens,  qu'fis  le  faisaient  tailler  en  bijoux  et  en  amulettes. 

la?  Porphyre  vert,  et  ipi'on  appelle  aussi  Vert  antique,  passait  [mur  dissiper  la  mélancolie. 
Nous  ne  saurions  dire  jusqu'à  quel  point  il  justifie  la  singulière  propriété  qu'on  lui  attribuait 
autrefois,  mais  ce  qu’il  y a de  très-sûr,  c'est  qu'il  produit  un  effet  fort  agréable  à la  vue  par 
ses  taches,  ou  carrés  longs,  d’un  blanc  mat,  qui  se  trouvent  souvent  disposés  en  manière  de 
croix  de  Saint-André,  sur  un  fond  vert  foncé. 

Des  pierres  d'ornement  aux  pierres  de  luxe,  le  passage  est  naturel.  A ce  sujet  j'ai  à vous 
entretenir,  d'abord,  d'une  substance  dont  le  seul  nom  agira  sur  vous  d’une  manière  magique  ; 
et  je  n’aurai,  je  pense,  qu’à  lo  prononcer  pour  que  vos  yeux  s’allument  d’un  éclat  presque 
aussi  vif  que  celui  qui  distingue  la  substance  en  question.  Vous  avez  probablement  déjà  deviué 
qu'il  s’agit  du  Diamant. 

Mais  ne  donnez  pas  un  essor  illimité  à votre  admiration,  car  j’ai  à vous  dire,  concernant 
son  origine,  un  mot  qui  pourrait  vous  désenchanter  cruellcmeut,  surtout  si  vous  êtes  du 
nombre  de  ceux  pour  lesquels  les  plus  belles  qualités  ne  rachètent  pas  une  naissance  peu 
illustre. 

Ce  que  je  viens  de  dire  vous  parait  étrange  ; eh  bien,  trancbons-lc  donc  ce  mot,  et  appre- 
nez que  le  Diamant  n’est  que  du  charbon. 

— Comment  du  charbon?  m’objecterez-vous;  cette  limpidité  sans  pareille,  cet  éclat  si  vif, 
si  brillant,  viendraient  d’un  morceau  de  charbon?  cela  me  parait  impossible. 

— Vous  avez  bien  raison  de  vous  en  étonner,  mais  vos  objections  no  changent  rien  à la 
nature  du  Diamant,  et  il  reste  charbon  ; des  expériences  réitérées  des  chimistes  l'ont  prouvé 
irrévocablement  ; maigri?  les  assertions  très-positives  des  anciens,  qui  prétendaient  qu’il  triom- 
phait du  feu,  et  qu’il  ne  s’y  échauffait  même  pas,  ils  l’ont  brûlé,  et  le  résidu  do  ce  combusti- 


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MINÉRALOGIE.  213 

ble  a été  toujours  celui  qu'offre  uu  simple  charbon,  à savoir  : une  matière  volatile  qui  est  de 
l'acide  carbonique. 

— Alors  ses  qualités  sont  doue  imaginaires,  factices,  et  on  a tort  d’y  attacher  tant  de  prix  ? 

— Nullement.  Les  qualités  du  Diamant  sont  bien  réelles,  et  il  reste  toujours,  malgré  sou 
origine,  la  pierre  précieuse  la  plus  dure,  la  [dus  pesante  et  la  plus  diaphane  ; étant  polie,  c'est 
la  plus  brillante  de  toutes  les  pierres;  ajoutez  que  la  nature  en  est  très-avare,  et  que,  jusqu’à 
présent,  ou  n'est  pas  parvenu  à la  fabriquer,  et  vous  vous  expliquerez  la  haute  valeur  qu’on  y 
attache.  , 

Voulez-vous  maintenant  savoir  comment  on  trouve  les  Diamants  dans  la  nature,  et  com- 
ment on  les  exploite?  le  voici  : 

Dans  les  Indes  et  au  Brésil,  d'où  proviennent  la  plupart  des  Diamants,  on  les  trouve  d'or- 
dinaire dans  des  matières  do  transport,  dans  ces  terres  sablonneuses  et  argileuses,  entremêlées 
de  beaucoup  de  substances  étrangères,  et  remaniées  par  les  eaux,  qu’on  nomme  terrains  d'al- 
luviou.  Quand  on  est  convenu  de  l’endroit  que  l'on  veut  fouiller,  on  en  aplanit  un  autre  aux 
environs,  on  l'entoure  de  murs  de  deux  pieds  de  haut,  et  d’espace  en  espace  on  laisse  des  ou- 
vertures pour  faire  écouler  les  eaux  ; ensuite  on  fouille  le  premier  endroit. 

Il  y a souvent  jusqu’à  soixante  mille  ouvriers,  hommes,  femmes  et  enfants,  employés  à cet 
ouvrage.  Les  hommes  ouvrent  la  terre,  les  enfants  et  les  femmes  la  transportent  dans  l'endroit 
entouré  de  murs.  On  continue  la  fouille,  jusqu'à  ce  que  l'on  trouve  l’eau  : on  s’en  sert  pour 
laver  la  terre  qui  a été  transportée,  et  après  qu’elle  a été  lavée  deux  ou  trois  fois,  on  la  laisse 
sécher  ; ensuite  ou  la  vanne  dans  des  paniers  faits  exprès  ; celle  opération  ünie,  on  bat  la  terre 
grossière  qui  reste,  pour  la  vanner  de  nouveau  deux  ou  trois  fois  ; alors  les  ouvriers  cherchent 
les  Diamants  à la  main. 

Les  pauvres  nègres  employés  à cette  exploitation  s'en  acquittent  avec  autant  d’indifférence 
que  s'il  s'agissait  du  produit  le  plus  vulgaire.  Et  ils  ont  raison , les  malheureux  ! car  ce  qui 
doit  servir  plus  tard  à l'étalage  du  luxe  le  plus  effréné  leur  procure  à peine  de  quoi  vivre  mi- 
sérablement. Ce  n'est  que  dans  un  seul  cas  qu'il  leur  arrive  de  bénir  ce  travail  : la  liberté  est 
acquise  à celui  à qui  le  hasard  fait  trouver  un  Diamant  d’une  grosseur  plus  considérable  : 17 
carats,  à peu  près  3 grammes,  en  sont  le  taux  Usé. 

Il  y a aussi  des  rivières  qui  contiennent  des  Diamants.  Quand  los  grandes  pluies  sont  tom- 
bées et  que  les  eaux  de  la  rivière  sont  éclaircies,  ce  qui  arrive  ordinairement  vers  lu  fin  de 
janvier  et  le  commencement  do  février,  les  ouvriers  ou  habitants  voisins  remontent  la  rivière 
jusqu'aux  montagnes  d’où  elle  sort;  on  détourne  le  cours  do  l’eau,  on  tire  le  sable  jusqu'à 
deux  pieds  de  profondeur,  on  le  porte  sur  le  bord,  dans  un  lieu  entouré  de  murs,  et  on  pro- 
cède enfin  au  lavage  dos  sables  cl  à la  recherche  des  Diamants,  que  l’on  reconnaît,  au  soleil,  à 
leur  éclat. 

Ces  pierres  se  trouvent,  à l'ordinaire,  disséminées  en  petite  quantité  dans  ces  dépôts  aréna- 
cés,  et  présentent  des  formes  que  nous  avons  déjà  indiquées  (page  209) . L’octaèdre  et  le  do- 
décaèdre en  sont  les  plus  fréquentes,  lesquelles,  acquérant  plus  de  facettes,  finissent  par  s'ap- 
procher de  la  forme  presque  sphérique. 

En  général,  ces  cristaux  sont  toujours  loin  d’avoir  le  brillant  qui  est  une  de  leurs  propriétés 
essentielles;  on  l’obtient  par  un  procédé  particulier,  qu’ou  appelle  lu  taille  et  le  poli  du  Dia- 
mant. Il  est  bien  connu  que  c’est  par  le  moyen  de  sa  propre  poussière  qu’on  y arrive;  mais 
ce  qui  l’est  moûts  peut-être,  c'est  que  cette  découverte,  avant  laquelle  on  portait  le  Diamant 
brut,  ne  date  quo  de  1456.  Ce  fut  un  nommé  Louis  de  Berguer,  natif  de  Bruges,  qui,  s'étant 
avisé  de  frotter  deux  Diamants  l'un  contre  l’autre,  s’aperçut  qu'il  en  tombait  une  poudre,  dont 
il  se  servit  pour  enduire  la  meule  d'un  moulin  de  lapidaire,  et  au  moyen  de  laquelle  il  mit  au 
jour  les  brillants  reflets  du  Diamant,  jusqu'alors  inconnus.  Charles,  duc  de  Bourgogne,  sur- 
nommé le  Téméraire,  posséda  lu  premier  Diamant  poli  ; il  le  perdit,  avec  tous  ses  autres 
dans  la  bataille  de  Moral,  que  les  Suisses  gagnèrent  sur  lui. 


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211 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Dans  l'Inde,  on  taille  le  Diamant  de  manière  a lui  conserver  tout  son  volume;  en  Europe, 
on  sacrifie  tieaucoup  du  volume  do  la  pierre  pour  en  enlever  les  défauts,  et  se  procurer  uno 
belle  forme.  Les  formes  admises  sont  la  Rose  (figure  2) , pour  les  pierres  de  peu  d’épaisseur 
qu'on  ne  veut  pas  trop  diminuer  : c'est  le  Diamant  taillé  à facettes  par-dessus,  et  à plat  par- 
dessous,  et  le  Brillant  (figure  3 et  4) , taillé  à facettes  par-dessus  comme  par-dessous,  et  qu’on 
monte  à jour. 


On  attache  ordinairement  au  Diamant  l’idée  d’une  parfaite  limpidité  ; cependant  il  est  sali 
presque  toujours  par  dos  teintes  jaunâtres  ou  brunâtres.  On  n’en  trouve  pas  tieaucoup  qui 
aient  des  couleurs  bien  décidées  et  bien  vives;  quand  ces  couleurs  existent,  elles  donnent  à la 
pierre  un  prix  immense.  Le  Diamant  vert  et  le  Diamant  rose,  lorsque  leur  couleur  est  d’une 
bonne  teinte,  sont  les  plus  rares,  et  par  conséquent  les  plus  chers.  Il  y a des  Diamants  noirs 
ol  complètement  opaques,  qui  ont  néanmoins  un  brillant  extraordinaire  quand  ils  sont  polis. 

La  quantité  de  Diamants  foumio  annuellement  au  commerce,  par  le  Rrésil,  qui,  depuis 
qu'on  les  y a découverts,  en  a eu  â peu  prés  seul  le  privilège,  ne  s’élève  pas  à plus  de  six  à 
sept  kilogrammes,  qui  ont  coûté  plus  d’un  million  do  frais  d'exploitation  ; aussi  cette  matière, 
mémo  â l'état  brut,  est-elle  toujours  fort  chère.  Les  Diamants  défectueux,  reconnus  futur  no 
pouvoir  pas  être  taillés,  se  vendent  déjà,  moyennement,  à raison  de  1 56  francs  le  gramme 
(quarante-cinq  fois  la  valeur  do  l'or),  soit  pour  faire  la  poussière  de  Diamant,  ou  égrisée,  soit 
pour  garnir  les  outils  avec  lesquels  on  grave  les  pierres  fines,  nu  enfin  pour  couper  le  verre. 
Les  très-petits  Diamants,  susceptibles  d’élrc  taillés,  valent  en  lots  jusqu'à  230  francs  lo 
gramme;  mais  à peine  pèsent-ils  chacun  cinquante  milligrammes,  que  le  prix  augmente  con- 
sidérablement, et,  pour  les  poids  au-dessus,  la  progression  est  très-rapide.  A un  demi-gramme, 
un  Diamant  brut  vaut  260  à 280  francs  ; à un  gramme,  il  vaut  plus  de  1 ,000  francs.  Un  Dia- 
mant taillé,  d’un  gramme,  qui,  à la  vérité,  est  déjà  une  fort  belle  pierre,  à peu  près  la  gros- 
seur figure  I , vaut  au  moins  3,500  francs. 

Plus  les  Diamants  sont  volumineux,  plus  ils  sont  rares,  et  aussi  plus  leurs  prix  sont  élevés. 
Ou  n’en  connaît  que  quelques-uns  dont  lo  poids  s’élève  au-dessus  de  vingt  grammes.  Les  plus 
gros  Diamants  connus  sont  : 

Celui  du  radjah  do  Mattam,  à Bornéo,  pesant  environ  63  grammes. 


Celui  de  l’empereur  du  Mogol 50 

Celui  de  l’empereur  de  Russie 41 

Celui  de  l’empereur  d’Autriche 20,53 

Celui  du  roi  de  France  (qu’on  nomme  le  Régent).  . 28,80 


Les  quatre  premiers  ont  une  mauvaise  forme. 

Le  dernier  est  parfait  sous  tous  les  rapports;  il 
pesait,  avant  la  taille,  quatre-vingt-sept  gram- 
mes, et  a coûté  quatre  années  de  travail  ; il  a été 
acheté  dans  lo  principe  pour  2,250,000  Crânes , 
et  il  est  estimé  plus  du  double. 

Nous  donnons  ici  la  ligure  de  grosseur  natu- 
relle des  deux  plus  beaux  Diamants  de  la  cou- 
ronne de  Franco,  le  Régent  et  le  Sancy.  1 1 »***»■ 

A la  suito  du  Diamant  nous  vous  présenterons  quatre  autres  substances  connues  et  esli- 


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215 


MINÉRALOGIE. 

méos  de  tout  le  monde  : le  Rubis,  le  Saphir,  In  Topaze,  et  \' Émeraude.  Elles  sont  toutes  de  la 
même  nature  (alumine  pure),  et  portent  en  Minéralogie  le  nom  générique  de  Corindon;  c’est 
la  seule  couleur  qui  les  distingue. 

Le  Corindon  rouge  est  la  pierre  précieuse  qui,  sous  le  nom  de  Rubis,  lient  le  premier  rang 
après  le  Diamant  ; quand  elle  est  d'une  belle  teinte  île  feu  et  bien  pure,  sa  valeur  dépasse 
même  celle  du  Diamant  sous  le  même  volume.  Le  Saphir  est  le  Corindon  bleu  d’azur  ; la  To- 
paze, le  Corindon  jaune,  et  V Émeraude  celui  qui  présente  une  couleur  verte.  On  y ajoute  ce- 
pendant habituellement  l’épithète  d 'Orientale,  pour  les  distinguer  des  autres  pierres  portant  le 
même  nom,  mais  n'ayant  pas  complètement  la  même  composition.  Ainsi  il  y a des  Rubis 
spinelles,  un  peu  inférieurs  aux  Rubis  orientaux,  qui  ne  présentent  jamais  le  même  éclat,  niais 
qui,  étant  polis,  ont  pourtant  un  feu  très-agréable  et  Irès-ami  de  l’œil. 

Quelque  couleur,  au  reste,  que  présentent  les  Corindons,  leurs  formes  dans  la  nature  sont 
les  suivantes  : 


On  voit  cependant  beaucoup  do  Rubis  bruts,  de  forme  arrondie  ou  ovale,  et  ce  sont  sur- 
tout ceux  qui  ont  été  ramassés  dans  le  lit  des  rivières,  et  qui,  entraînés  par  les  oaux,  ont 
perdu  lour  forme  angulaire  par  le  frottement  qu’ils  ont  éprouvé  les  uns  contre  les  autres. 


On  fait  on  général  aussi  grand  cas  des  belles  Topazes,  qu'on  place  au  troisième  rang  après 
le  Diamant,  à cause  de  leur  éclat  vif,  que  du  Saphir,  qui,  à part  sa  telle  couleur  bleue,  pré- 
sente encore  ce  phénomène  particulier,  qu'il  montre,  par  réflexion  devant  une  vive  lumière, 
une  étoile  brillante  à six  rayons.  Mais  on  n’a  accordé,  à coup  sûr,  à aucune  pierre  autant 
d’honneur  qu'à  Y Émeraude  proprement  dite.  Les  Romains  l’estimaient  au  point  qu'il  était  ex- 
pressément défendu  de  rien  graver  dessus  : on  la  réservait  pour  soulager  la  vue  et  délasser 
l’œil.  Néron  avait  l’habitude  de  considérer  le  spectacle  sanglant  do  l'arèno  à travers  une  Éme- 
raude; Domitien  s’en  servait  pour  le  même  usage,  ce  qui  a fait  qu’on  l’a  appelée  pierre  de 
Domitien  et  de  Héron. 

Quelques  peuples  île  la  vallée  de  Manta,  au  Pérou,  ont  encore  fait  mieux,  à en  croire  plu- 
sieurs historiens  espagnols  ; car  ils  adoraient  une  déesse  Émeraude,  qui  était  tout  bonnement 
une  Émeraude  grosse  comme  un  œuf  d’aulruche,  et  à laquelle  on  faisait  des  offrandes  d'Éme- 
raudes. 

De  nos  jours,  cette  pierre  est  encore  au  premier  rang  des  Gemmes,  et  si  elle  le  cède  en  du- 
reté et  même  on  éclat  aux  Corindons,  et  surtout  aux  Diamants,  sa  couleur  pure  et  veloutée 
l’en  dédommage;  et  quand  son  intérieur  est  exempt  de  défauts,  do  glaces  ou  de  tout  autre  ac- 
cident, elle  rivalise,  à volume  égal,  avec  les  plus  belles  variétés  de  Saphir,  el  surtout  avec 
l'Émeraude  orientale,  dont  la  nuance  est  loin  d’avoir  l’éclat  et  la  richesse  de  celle  qui  carac- 
térise l'Émeraude  du  Pérou. 

Pour  en  Unir  avec  les  substances  pierreuses  dont  on  se  sert  on  joaillerie,  nous  ne  ferons  que 
vous  nommer  encore  les  C renais  et  les  Turquoises.  Vous  saurez  que  les  beaux  exemplaires  des 
premiers,  ceux  qui  réunissent  à un  certain  volume  une  couleur  agréable  et  une  transparence 
convenable,  sont  assez  estimés  dans  le  commerce.  Les  anciens  ont  beaucoup  gravé  sur  cettu 


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21#  DElXlfeME  PARTIE. 

pierre,  qu'ils  nommaient  quelquefois  Escarboude,  et  à laquelle  ils  se  plaisaient  à attribuer  îles 
propriétés  fabuleuses;  de  nos  jours,  les  teintes  les  plus  estimées  sont  celles  qui  appartiennent 
aux  Grenats  pyropes  et  syriens  des  joailliers. 

I,a  forme  primitive  des  Grenats  est  la  même  que  relie  des  alvéoles  des  gàteanx  d'abeilles; 
la  ligure  de  ces  alvéoles,  vous  le  savez  sans  doute,  est  celle  qui  renferme  le  plus  grand  espace 
avec  le  moins  de  matière. 

Parmi  les  Turquoises,  vous  aurez  à distinguer  deux  sortes  : les  Turquoises  pierreuses,  qu'on 
appelle  aussi  orientales,  de  vieille  roche,  ou  Calniles.  Elles  passent  par  différentes  nuances  du 
bleu  céleste  clair  au  bleu  foncé  tirant  un  |ieu  sur  le  vert;  elles  sont  assez  dures  pour  rayer  le 
verre,  et  peuvent  être  appelées  les  véritables  Turquoises. 

Les  autres,  qu’on  nomme  Odontolilhes,  sont  des  dents  fossiles  colorées  en  bleu  par  du  phos- 
phate de  fer;  elles  proviennent  des  molaires  d'un  animal  voisin  des  Paresseux,  du  Cerf,  d’ani- 
maux carnassiers,  et  sont  beaucoup  moins  dures  que  les  Calaïtes.  Elles  sont  solubles  dans  les 
acides,  et  perdent  leur  couleur,  même  dans  le  vinaigre  distillé,  ce  qui  fait  qu'elles  sont  beau- 
coup moins  estimées  que  les  Turquoises  précieuses,  qui  résistont  à ces  épreuves.  Chez  les  an- 
ciens, elles  servaient,  les  unes  et  les  autres,  à faire  des  amulettes. 

Au  nombre  des  substances  qui  jouent  dans  la  nature  un  grand  rôle  par  leur  abondance,  il 
faut  citer  le  groupe  des  Feldspaths,  dont  les  cristaux  se  présentent  sous  les  formes  suivantes  : 


C'est  à cette  substance  qu'appartient  la  matière  première  employée  à la  fabrication  de  por- 
celaine, sous  le  nom  de  Kaolin,  qui  n'est  qu’un  Feldspath  décomposé. 

Les  Micas  sont  aussi  très- répandus;  ce  sont  les  substances  qui  se  divisent  facilement  en 
feuilles  très-minces,  élastiques,  et  tellement  transparentes,  qu’elles  ont  pu  servir  dans  quel- 
ques pays , nommément  en  Russie , à remplacer  les  vitres , ce  qui  leur  fait  donner  le  nom  do 
Verre  de  Moscovie.  Le  tlranit,  roche  que  tout  le  monde  connaît,  est  essentiellement  composé 
de  ces  trois  minéraux  : le  Feldspath,  le  Quartz  et  le  Mica,  réunis  ensemble  par  petites  parties 
assez  régulièrement  entremêlées,  et  formant  des  masses  granulaires.  C’est  le  Mica  qui  donne 
à cette  roche  son  aspect  brillant  au  soleil. 

Nous  pouvons  citer  encore,  comme  très-abondants  dans  la  nature,  V Amphibole,  le  Pyro.rène, 
les  Serpentines , etc.,  sans  cependant  en  dire  davantage,  car  nous  avons  hâte  d'arriver  aux 
Métaux. 

A ce  mot  s'offrent  naturellement  à votre  esprit  les  deux  substances  qui  en  sont  pour  ainsi 
dire  les  représentants,  l'Or  et  Y Argent.  Tout  le  monde  a vu  l’Or,  ne  fût-ce  que  sur  les  cadres 
dorés,  et  connaît  la  belle  couleur  jaune  qui  distingue  ce  métal  de  tons  les  autres.  Son  inalté- 
rabilité est  telle,  qu’il  résiste  à presque  tous  les  agents  naturels  et  chimiques,  et  cette  qualité, 
jointe  il  sa  ductilité  et  k sa  malléabilité,  c’est-à-dire  à la  faculté  de  s'étendre  sous  le  marteau 
et  sous  le  laminoir,  en  fait  lo  métal  le  plus  précieux.  L’Argent  vient  immédiatement  après  l’Or 
pour  ces  qualités  : aussi  ces  deux  substances  ont-elles  été  regardées  de  tout  temps  comme  des 
métaux  parfaits,  nobles  par  excellence  ; tandis  que  tous  les  autres  étaient  appelés  imparfaits, 
ignobles,  et  qu’il  fallait  par  conséquent,  disait-on,  les  transformer. 

La  transmutation  des  métaux  et  la  recherche  d’un  remède  universel,  telle  fut,  durant  plu- 
sieurs siècles,  l'occupation  unique  de  ces  hommes  extraordinaires,  bizarres,  qu'on  nommait 
Alchimistes.  Toute  la  science  d’alors  était  là,  et  il  est  inimaginable  combien  ils  se  donnaient 
de  tourments,  combien  ils  subissaient  de  peines,  de  fatigues,  pour  arriver  à la  possession  do 
ces  trois  choses,  auxquelles  tendaient  tous  leurs  efforts  : la  richesse,  la  longévité,  la  santé. 


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MINÉRALOGIE.  217 

On  conçoit  facilement  qu'ils  aient  pu  être  dévorés  du  désir  d'arriver  à ce  but;  car  ees  trois 
choses-là  sont,  en  délinilivc,  les  seuls  éléments  de  bonheur  pour  la  plupart  des  hommes.  Mais 
la  voie  qu'ils  avaient  choisie  pour  y parvenir  était  au  moins  aussi  étrange  qu’illusoire.  Il  en 
est  donc  résulté  que  l'absolu  et  la  pierre  philosophale  sont  encore  à trouver. 

L'Or,  que  de  notre  temps  on  envisage  sous  un  point  de  vue  moins  chimérique,  appartient 
au  petit  nombre  de  métaux  que  l’on  rencontre  dans  la  nature  à l'état  de  pureté  presque  com- 
plété : en  filaments,  en  lames  minces,  en  grains  plus  ou  moins  volumineux,  présentant  de  pe- 
tits cristaux  cubiques  ou  octaèdres  ; quelquefois  aussi  en  petites  masses  que  l’on  nomme  pépite*. 
Dans  cet  étal,  appelé  natif  ou  vierge,  l'Or  peut  facilement  s'étendre  sous  le  marteau,  ou  être 
coupé  avec  une  lame  tranchante,  ce  qui  suflit  pour  le  faire  distinguer  de  cette  foule  de  miné- 
raux dorés  que  l'on  a confondus  si  souvent  avec  lui,  et  qui  ont  donné  lieu  à tant  île  méprises. 

L'Or  natif  se  trouve  dans  quelques  roches  en  forme  de  petites  veines;  on  le  rencontre 
aussi , disséminé  en  paillettes , dans  ces  sables  et  terrains  d’aliuvion  que  nous  avons  vus 
renfermer  des  diamants.  En  outre,  quelques  rivières  charrient  des  sables  aurifères,  et,  pour 
no  citer  que  la  France,  nous  dirons  que  le  Rhône , In  partie  supérieure  du  Ithin,  l’Ariége,  la 
Lèse  et  plusieurs  autres,  transportent  ce  métal  en  assez  grande  quantité  pour  qu’il  uit  pu 
devenir  l’objet  de  travaux  et  de  lavages , et  que  les  orpailleurs  ou  pailloleurs , hommes  qui  en 
font  métier,  gagnent  à ce  travail  moyennement  vingt  ou  trente  sous  par  jour. 

Les  découvertes  faites  en  Californie  et  en  Australie  tendent  à rendre  l'Or  plus  commun,  en 
apportant  des  modifications  profondes  dans  sa  valeur  relative , son  emploi  et  son  exploitation. 

La  méthode  employée  pour  l'extraction  et  la  purilication  île  ce  métal  interposé  dans  les 
pierres , consiste  dans  le  pilage , l’amalgame  et  l’ignition.  S’il  y a mélange  de  métaux , l’on  a 
recours  aux  dissolvants  ou  à la  fusion. 

L'Or  monnayé  n’est  par  pur  ; celui  des  bijoux  ne  l’est  pas  non  plus,  et  cela  tient  à la  quan- 
-lité  de  Cuivre  ou  d’ Argent  qu'il  faut  allier  avec  lui  pour  parer  à son  peu  de  dureté,  et  lui  per- 
mettre de  circuler  sans  perdre  son  empreinte.  I)e  là,  ce  qu’on  appelle  le  litre,  c'est-à-dire  la 
valeur  réelle  do  l’Or  pur  contenu  dans  un  objet  quelconque.  L’essai  du  litre  se  fait  le  plus 
ordinairement  à l'aide  du  la  pierre  de  touche  et  île  l'eau-forte,  qui  enlève  l’alliage  et  laisse  l'Or 
iulact;  on  juge  de  son  litre  par  l'intensité  de  la  trace  qui  résiste  à l’acide. 

Nous  avons  fait  mention  de  la  ductilité  et  de  la  malléabilité  de  l'Or.  Vous  en  jugerez  mieux 
quand  vous  aurez  appris  qu'un  grain  peut  s'étendre  sous  le  marteau  du  batteur  en  une  feuille 
de  50  pouces  carrés;  qu’une  statue  équestre,  de  grandeur  naturelle,  peut  se  dorer  en  plein 
avec  une  pièce  de  20  francs;  enlin  que  1 once  d'or  |ieut  recouvrir  et  dorer  très-exactement  un 
fll  d’argent  long  de  444  lieues. 

Vous  pouvez  voir  dans  la  dernière  armoire  à gauche,  à côté  do  celle  réservée  aux  Gemmes, 
de  beaux  échantillons  d’or  cristallisé,  dont  Gcoffroy-Saint-llilaire  a enrichi  le  Muséum,  et  une 
énorme  pépite  d’or  posant  5 hectogrammes , donnée  au  Muséum  par  le  comte  de  Lacépèdo. 
L’or  californien  brille  à côté  de  ces  beaux  échantillons. 

I.' Argent  se  trouve  aussi  à l’état  natif,  comme  l’Or,  mais  le  plus  souvent  on  le  rencontre 
dans  de  véritables  mines,  dans  ces  souterrains  profonds  auxquels  on  n’arrive  qu’avec  des  frais 
immenses,  accompagnés  de  beaucoup  de  peine  et  de  grands  dangers. 

Du  temps  de  liuffon , on  ne  comptait  que  seize  métaux  sur  quarante-deux  que  l’on  connaît 
aujourd'hui  cnniine  essentiellement  différents.  Ce  petit  nombre  de  métaux  , appelés  aussi 
éléments,  c’est-à-dire  corps,  qu’on  n’est  pas  encore  parvenu  à décomposer  par  les  moyens  que 
la  science  actuello  possède,  joints  à une  douzaine  de  corps  semblables  non  métalliques,  ren- 
draient, certes,  la  minéralogie  très-facile,  s'ils  n’étaient  pas  susceptibles  de  se  combiner 
entre  eux  dans  des  proportions  tellement  variées,  qu’il  en  résulte  un  nombre  prodigieux  de 
minéraux  se  ressemblant  très-souvent  à tel  point,  qu'on  serait  tenté  de  les  prendre  les  uns 
pour  les  autres.  Vous  devez  déjà , depuis  que  nous  avançons  dans  notre  promenade  minéralo- 
gique , vous  être  aperçu  de  cette  circonstance  embarrassante , et  une  question  toute  naturelle 

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218  OKL’XlfeME  PARTIE. 

si»  sera  aussi  présentée  à votre  esprit,  à savoir  : Quel  est  le  moyen  de  débrouiller  ce  chaos 
minéral  ? 

Quand  les  formes  ou  les  caractères  cristallographiques  manquent  ou  qu'ils  se  présentent  de 
manière  à offrir  quelque  doute,  on  est  obligé  d'avoir  recours  h l'analyse  chimiquo,  qui  indique 
la  nature  des  corps  ou  leur  composition.  Par  ce  moyen , on  arrive  toujours  au  caractère  de 
première  valeur;  et  il  est  d'autant  plus  important  de  s’y  attacher,  qu’une  fois  la  composition 
modiüée,  les  autres  propriétés  inhérentes  aux  minéraux,  telles  que  la  densité,  la  dureté,  le 
poids  spécifique  et  même  la  forme,  changent  également. 

Mous  ne  pouvons  passer  en  revue  tous  les  métaux  d’une  manière  détaillée  : la  besogne 
serait  trop  longue  et  nous  obligerait  même  à de  fréquentes  répétitions  : nous  nous  contenterons 
donc  seulement  d'en  citer  encore  quelques-uns. 

A la  tète  des  métaux  les  plus  usuels,  il  faut  placer  le  Fer,  substance  très-répandue , et  se 
présentant  sous  les  aspects  les  plus  variés.  Ce  sont  quelquefois  de  beaux  Cristaux , remarqua- 
bles par  des  couleurs  brillantes,  qu'offre  surtout  le  Fer  oligitle  do  Plie  d’Elbe.  Les  formes  de 
ce  métal  sont  les  suivantes  : 


Tant  Al  c'est  le  Fer  aimant,  attiralde  au  barreau  aimanté  et  magnétique;  tantôt  le  Fer 
météorique , pierres  qui  tombent  de  l’atmosphère , fait  qu'on  a voulu  en  vain  reléguer  parmi 
les  contes  populaires.  Enfin , In  plus  fréquemment , il  se  présente  combiné  avec  le  Soufre  ; ce 
minerai  de  Fer,  ayant  la  couleur  cl  le  brillant  du  Laiton,  est  appelé  Pyrite  ; sos  formes  cristal- 
lines sont  : 


Le  Platine  mérite  d'ètre  cité  comme  étant  le  plus  lourd  de  tous  les  corps  connus  et  le  moins 
dilatable.  Pour  l'inaltérabilité , il  dispute  le  rang  à l’Or  ; mais  lu  difficulté  de  le  travailler  fait 
qu’il  n’est  pas  aussi  précieux.  Le  Mercure,  appelé  vulgairement  Vif-Argent , est  remarquable 
par  sa  propriété  d'ètre  le  seul  métal  liquide  à la  température  ordinaire.  C'est,  selon  les  alchi- 
mistes, l'eau  qui  ne  mouille  pas  les  mains.  Le  minerai  de  Cuivre,  surtout  celui  d’un  vert 
d'émeraude,  ou  bleu  d’indigo,  est  recherché  pour  les  collections;  les  variétés  vertes  et  com- 
pactes, bien  nuancées,  sont  employées , sous  le  nom  de  Malachite,  à la  confection  des  bijoux 
et  des  meubles  précieux. 

V Etain  fournit  aussi  pour  des  collections  do  beaux  groupes  de  Cristaux , dont  les  formes 
sont  ; 


On  connaît,  en  général,  les  usages  très-variés  auxquels  les  métaux  peuvent  servir;  mais 
ce  ilont  peut-être  beaucoup  de  personnes  ne  se  doutent  pas,  c'est  qu’ils  fournissent  aussi  los 


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UINKI1  \LOGIK. 


219 

couleurs  les  |>lus  belles  ut  les  plus  stables  iltms  les  divers  genres  du  peinture  et  de  coloration. 
Pour  n’en  citer  que  i|uelques  exemples,  nous  dirons  que  le  Plomb  chromât?  fournit  une  teinte 
chaude,  d’un  ton  qui  ne  peut  être  imité  par  aucune  autre  substance.  A l'étal  de  Minium , le 
Plomb  entre  dans  la  composition  du  Cristal,  dont  on  admire  l’éclat  et  la  limpidité,  Le  Manga • 
nése  colore  certains  vases  de  verre  en  violet  vineux.  V Antimoine  est  employé  paur  la  peintura 
en  émail , et  pour  diaprer  la  Porcelaine.  Le  Cristal  bleu  est  coloré  par  le  Snfre  ou  oxyde  de 
Cobalt.  L'oxyde  de  Titane  donne  à la  Porcelaine  une  certaine  teinte  Isabelle  qui  no  |>eut 
s'obtenir  qu'à  l'aide  de  cette  substance.  Le  Cuitre  enfin , le  Mercure,  le  Fer,  le  Chrome  et 
autres,  fournissent  en  outre  plusieurs  principos  colorants  fort  employés,  inaltérables,  et  qui , 
par  opposition  aux  couleurs  végétales  qui  sont  fugitives , s’appellent  couleurs  minilrales. 

Nous  no  pouvons  quitter  cetto  galerie  sans  avoir  admiré  les  trois  magnifiques  Tables  on 
Mosaïques  de  Florence  placées  au  milieu , et  qui  seraient  dignes  d'orner  le  salon  d'un  roi.  Ce 
sont  tout  simplement  des  pierres  naturelles  des  plus  belles  couleurs  que  l’art  n’a  eu  que  la 
peino  île  polir  et  de  rapporter  pour  on  faire  les  beaux  dessins  et  les  arabesques  que  vous  voyez.. 

Les  différents  groupes  de  concrétions  natu- 
relles, les  riches  plaques  en  Marine  incrustant, 
les  vases  en  Porphyre,  en  Fluorine,  etc.,  en  un 
mot , tous  les  objets  les  plus  rares  et  les  plus 
curieux  qui  ornent  si  bien  cette  galerie,  no  sem- 
bleraient-ils pas  être  les  dépouilles  de  quelque 
château  princier,  si  la  gratitude  des  adminis- 
trateurs du  Musée  no  s'était  empressée  d’y  faire 
inscrire  les  noms  des  donateurs?  Ici , c’est  le 
roi  d'Espagne  qui,  en  1 774 , a envoyé  une  table, 
faito  en  échantillon , de  divers  Marbres  de.  son 
royaume.  A côté  est  placée  une  autre  table, 
offerte  par  le  docteur  Clot-Bcy,  on  Calcaire 
concrélionné , agréablement  ondulé,  et  prove- 
nant de  la  Haute-Égypte. 

La  statue  do  Georges  Cuvier,  placée  au 
centre  de  la  galerie , du  côté  méridional , est 
un  hommage  rendu  à la  mémoire  de  cet  illustre 
naturaliste.  L’artiste,  M.  David  d’Angers,  l'a 
représenté  dans  son  costume  de  professeur, 
sondant  d’une  main  les  profondeurs  du  globe 
terrestre  et  relevant  l'autre  vers  le  ciel , comme 
pour  indiquer  que  les  découvertes  les  plus 
importantes  et  les  plus  imprévues  de  la  science 
no  servent  qu’à  confirmer  les  textes  de  la  Goneso  et  à ramener  l’homme  vers  son  Créateur. 

En  face  de  cette  statue,  une  autre  non  moins  importante  viendra  prochainement  prendre 
place;  c’est  celle  d'Haiiy , l'une  de  nos  gloires  scientifiques  et  le  créateur  do  la  classification 
minéralogique. 

Enfin  , vous  apercevrez  au  bout  de  la  galerie  cette  masse  métallique , que  l’inscription  nous 
assure  être  tombée  du  ciel. 

Nous  voudrions  vous  conduire  dans  les  galeries  supérieures  de  ce  magnifique  Muséum  géo- 
logique , vous  y trouveriez  les  débris  do  toutes  ces  espèces  aujourd’hui  perdues , que  Cuvier  a 
rendues  à l’admiration  du  monde  savant  ; mais  nous  préférons  , en  vous  signalant  ces 
richesses,  réserver  leur  description  pour  le  moment  où  la  MiNénALoeir.  et  la  GéOLOGIE 
occuperont  dans  notre  collection  la  place  à laquelle  elles  ont  droit. 

c:  i). 


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En  entrant  dans  le  Jardin  des  Plantes  par  la  grille  d'AusterliU,  vous  voyez  devant  vous  un 
grand  bâtiment  situé  au  bout  de  (leur  longues  allées  d'arbres,  comme  un  do  ces  manoirs 
féodaux  qui  s’élèvent  à l'extrémité  du  parc  seigneurial.  Ce  bâtiment  a 60  toises  de  long,  et  se 
compose  d'un  rez-de-chaussée  et  de  deux  étages.  La  façade , d'un  ordre  architectural  extrême- 
ment simple,  est  divisée  en  trois  parties  par  deux  petits  pavillons  latéraux.  Tel  est  l'as|iect 
extérieur  de  cet  édifice  ou  sont  déposées  les  archives  de  la  création. 

A l’époque  de  sa  formation,  il  sc  composait  d'une  pièce  renfermant  des  squelettes,  et  de 
deux  petites  salles  ou  tenaient  aisément  toutes  nos  richesses  zoologiques  et  minéralogiques.  A 
côté  do  ces  salles  était  l'appartement  de  l'intendant.  Les  deux  pavillons  n’existaient  pas  encore  ; 
le  bâtiment  du  milieu  suffisait  pour  loger  toutes  nos  collections. 

Sous  l’administration  de  Buffon,  les  collections  prirent  un  toi  développement,  quo  ce 
savant  crut  devoir  leur  abandonner  une  partie  de  son  appartement,  et  que  bientôt  après  il  le 
leur  sacrifia  tout  entier,  et  se  relira  dans  une  petite  maison  de  lu  rue  des  Fossés-Saint-Victor. 

Chaque  semaine  voyait  arriver  de  toutes  les  contrées  du  gloire  ries  trou|K>s  tlo  Bipèdes  et  de 


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G ALERIES  DE  ZOULOU I K. 


221 


Quadrupèdes.  Il  fut  décidé  que  l'on  construirait , au  second  étage . une  grande  galerie  qui 
recevrait  le  jour  d'en  haut.  Les  travaux,  commencés  en  1704,  furent  terminés  en  1801. 
Pendant  cet  intervalle,  nos  richesses  s’accrurent  tellement,  que  lorsque  la  nouvelle  galerie  fut 
achevée,  elle  se  trouva  insuffisante,  l u plan  plus  vaste  fut  tracé,  et  l’on  se  remit  à l’œuvre  ; 
c’était  on  1808.  On  supprima  l'escalier  de  l’enlréo  principale  située  au-devant  de  l'allée  de 
Tilleuls,  et  l’on  ajouta,  au  premier  étage,  trois  nouvelles  salles  où  l’on  disposa  les  collections 
géologiques  et  paléontologiques,  les  roches,  les  produits  volcaniques  et  les  fossiles,  La  galerie 
du  second  étage  fut  prolongée  jusqu'à  la  terrasse  qui  faisait  face  au  grand  labyrinthe,  et  on  lu 
remplit  de  Mammifères.  On  transporta  la  bibliothèque  dans  la  maison  de  l’intendance,  et  la 
salle  qui  avait  été  occupée  par  les  livres  fut  consacrée  aux  habitants  de  l'humide  empire. 

Ou  avait  gagné  de  l'espace,  mais  pas  encore  assez  pour  la  multitude  toujours  croissante 
des  objets. 

La  translation  eut  lieu  en  18.11.  Le  Cabinet  tout  entier  devint  la  propriété  des  animaux.  On 
donna  plus  d'extension  aux  diverses  branches  de  la  zoologie  ; on  fit  succéder  à des  espèces 
inorganiques  une  foule  d'êtres  intéressants,  qui  avaient  été  relégués  dans  des  magasins  où  ils 
n'étaient  visibles  que  pour  les  personnes  attachées  à l'établissement 

Mais  cet  agrandissement,  quoique  considérable,  est  loin  de  suffire  à l'état  actuel  de  nos 
collections.  La  mauvaise  expositiou  de  certaines  branches,  causée  par  la  trop  grande  quantité 
des  espèces , fait  sentir  de  nouveau  le  besoin  d'espace. 

Cet  encombrement  nuit  extrêmement  à la  distribution  et  au  classement  des  auiuiaux.  On  a 
été  obligé  de  mettre  au  rez-de-chaussée  plusieurs  grands  Mammifères , dont  les  cougéuères  se 
trouvent  dans  les  salles  supérieures.  Lo  couloir  qui  suit , et  qui  conduit  à l’escalier,  est  garni 
d’armoires  dans  lesquelles  on  a rangé  une  partie  des  Zoophitcs.  Dans  les  premières  salles  du 
premier  étage , on  voit  à gauche  les  Poissous  ; plus  loin , on  a à droite  les  Reptiles.  La  qua- 
trième salle  renferme  une  partie  des  animaux  sans  vertèbres  et  les  Crustacés  ; la  cinquième 
offre  le  groupe  des  Singes  ; la  sixième , les  collections  des  Mollusques  et  des  Zoophytes  ; et 
enfin , la  dernière  contient  les  Cétacés.  En  montant  l'escalier  de  la  porte  principale , opposée 
à celle  par  où  nous  sommes  entrés , on  arrive  au  second  étage  ; on  trouve  d’abord  dos  Mam- 
mifères, puis  des  Oiseaux,  puis  encore  des  Mammifères  entremêlés  de  Poissons. 

Au  milieu  de  la  plupart  de  ces  salles  sont  des  meubles  qui  présentent , d'un  cêlé , la  collec- 
tion des  Coquilles , et,  de  l’autre,  celle  îles  Insectes. 

Ainsi,  l'ordre  naturel  est  constamment  interrompu , non-seulement  pour  linéiques  es|èccs 
qui  tonnent  exception  par  leur  taille,  mais  pour  toules  les  espèces  en  général.  Nous  ne 
pourrons  doue  pas,  dans  cet  exposé,  observer  le  système  île  classification  adopté;  par  la 
scieucc. 

Cette  classification,  la  voici;  et  comme  toutes  tes  branches  que  nous  allons  nommer  ont 
des  chaires  spéciales  à l'amphithéâtre  du  Jardin  des  Plantes,  nous  indiquerons  en  même  temps 
les  noms  des  professeurs  qui  les  enseignent  : 

1°  MAMMALOGIE  et  ORNITHOLOGIE.  — AI.  IslDOBF,  G EOrr  KO  V -S  AI.NT- Il  I I.A  IRC. 
Milv-natuïalixli' , JL  Flor.  Prévost. 

2“  ERPÉTOLOGIE,  ICIITHYOLOGIE.  — JL  1) c M É a I c.  Aide  ■natur/llitlc , M.  Aug. 
Duméril. 

3°  ENTOMOLOGIE.  — M.  JIii.ne  E dw  a il  ds.  Aide-naturaliste , Jl.  Blanchard. 

4°  CONCHYLIOLOGIE,  zooflt Y'TOLOGiE.  — Jl.  Valenciennes.  Aide-naturaliste. 
JL  L.  Rousseau. 

Il  y a eu  outre  pour  le  Cabiuel  de  zoologie  un  conservateur  qui  est  SL  Lotus  KlEKen. 


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222 


DEUXIÈME  PARTIE. 


REZ-DE-CHAUSSÉE. 
l'IlliMlfem:  SALLE. 

Celle  salle,  d'un  aspect  sombre  et  presque  lugubre,  contient  les  dépouilles  de  grands  Mam- 
mifères, dont  l'histoire  vous  sera  présentée  en  détail  dans  les  volumes  consacrés  à cette  partie 
du  Règne  animal.  Nous  n'avons  ici  qu’à  vous  indiquer  leurs  noms. 

Le  Dauphin  (Delphinia  gangeiieus). — Le  Narval.  — Les  Éléphants  des  Indes  et 
d'Asie.  — Le  Rhinocéros;  cctanimala  vécu  à la  Ménagerie  de  Versailles.  — L'Hippopo- 
tame, — le  Rhinocéros, — le  Tapir, — le  P iia  cocu  ère,  — le  Pécari  a lèvres 
blanches. 


SECONDE  SALLE. 

Les  Zoophytes  ou  Animaux-Plantes  servent  de  transition  et  de  lion  entre  le  Régne 
animal  et  le  Règne  végétal.  Pas  de  système  nerveux,  pas  d’organes  spéciaux  pour  les  sens, 
pas  de  co-ur,  pas  de  circulation  proprement  dite  : tels  sont  les  principaux  caractères  spéci- 
fiques. Ils  respirent  et  s'alimentent  comme  les  Animaux,  et  ils  se  reproduisent  comme  les 
Plantes.  Coupez  un  Polype  en  trois  ou  quatro  parties  : vous  verrez  aussitôt  éclore  et  so  mou- 
voir autant  de  Polypes  que  vous  aurez  fait  de  morceaux. 

L'embranchement  des  Zoophytes  se  partage  en  cinq  classes , savoir  : les  Animalcules 
microscopiques,  les  Polypes,  les  Acalèphcs  ou  Ortios  de  mer,  les  Écliinoriermes  ou  Animaux 
à peau  de  Hérisson,  et  les  Vers  intestinaux.  Bien  que  la  seconde  do  ces  classes  soit  la  seulo 
qui  doive  nous  occuper  aujourd'hui , nous  l'accompagnerons  d'une  description  sommaire  des 
autres. 

Les  Animaux  microscopiques  ont  aussi  été  désignés  sous  le  nom  d’infusoires , de  co  que 
c’est  principalement  dans  les  infusions  animales  ou  végétales  qu'on  les  a observés;  cependant 
beaucoup  d’espèces  vivent  dans  les  eaux  pures,  et  rien  ne  démontre  qu'ils  doivent  nécessaire- 
ment prendre  leur  origine  dans  les  matières  organiques  eu  décomposition.  Cetto  classe  est 
fondée  non-seulement  sur  la  politesse  des  individus  qu'elle  renferme , mais  aussi  sur  une  cer- 
taine simplicité  de  structure  qui  les  rapproche  entre  eux  et  qui  les  place  au  dernier  rang  de  la 
série  dos  êtres  organisés. 

Tous  ces  Animalcules  ont  uno  bouche,  un  estomac  et  un  canal  intestinal  ; beaucoup  ont 
des  yeux  dont  le  nombre  varie  depuis  deux  jusqu'à  douze , et  ils  se  propagent  par  des  neufs 
fécondés.  La  Monade  elle-même,  qui  passe  pour  le  plus  simple  de  ces  petits  êtres,  a uno 
bouche  garnie  de  cils , et  deux , trois  et  quelquefois  six  estomacs. 

La  seconde  classe  des  Zoophytes  comprend  les  Polypes,  que  les  naturalistes  divisent  on 
vingt-six  genres,  présentant  on  total  de  plus  de  depx  mille  espèces. 

Vous  n’avez  sans  doute  jamais  vu  de  Polypes,  et  vous  êtes  curieux  de  savoir  comment  ils 
sont  organisés.  Représentez-vous  nn  petit  corps  cylindrique  de  matière  gélatineuse  et  transpa- 
rente, n’offrant  d’ouverture  qu’à  une  do  scs  extrémités,  et  ayant  autour  do  cette  ouverture 
une  couronne  de  tentacules , au  moyen  desquels  il  attire  l'eau  et  les  molécules  végétales  dont 
il  fait  sa  nourriture;  représentez-vous  l’autre  extrémité  do  ce  petit  corps  attaché  à uno  piorre, 
à une  feuille,  ou  comme  enracinée  dans  une  de  ces  productions  marines,  connues  sous  le  nom 
de  Madrépores,  de  Coraux,  etc. , et  vous  aurez  l’idée  d’un  Polype. 

Ces  animaux  se  reproduisent  de  trois  manières  différentes  : ou  par  scission , ou  par  bour- 
geons , comme  les  végétaux , ou  par  des  œufs.  Les  uns  habitent  la  mer,  les  autres  les  eaux 
douces  et  stagnantes.  Quelques  espèces  sont  revêtues  d'une  robe  dont  lo  bord  inférieur  est 
d'une  substance  analogue  à celle  des  coquilles  ; ce  bord  forme  une  sorte  de  cellule  ou  de  gaine 
dure  et  solide , et  se  nomme  Polypier. 


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CM.  KM  es  l>F.  ZOOI.OCIE. 


m 


. L<*  Polvpi 


Los  espèces  qui  en  sont  pour- 
vues vivent  en  société  comme 
les  Abeilles  ; et  leurs  cellules 
réunies  forment  de  grandes  ru- 
ches qu'on  appelle  Polypiers 
agrégés.  Quoique  chacune  dos 
parties  constituantes  soit  d'une 
petitesse  extrême,  les  Polypiers 
acquièrent  avec  le  temps  des  di- 
mensions gigantesques. 

Chaque  génération  de  Polypes 
construit*  des  amas  de  cellules 
qui , après  avoir  été  leur  maison 
ot  leur  tombeau,  servent  de  base 
aux  constructions  de  la  généra- 
tion suivante.  Ce  travail  de  su- 
perposition continue  pondant  des  siècles;  aussi  audacieux  qu’infatigables,  cos  vermisseaux 
architectes  élèvent  au  fond  de  l’Océan  de  nouvelles  tours  de  Babel  qui  ont  le  sort  de  la  pre- 
mière; quand  leurs  murs  atteignent  le  niveau  de  la  inpr,  les  Polypes,  qui  ne  peuvent  vivre 
hors  de  l’eau,  sont  obligés  de  les  abandonner  et  de  les  laisser  inachevés.  Alors  le  sommet 
de  ces  merveilleuses  demeures,  exposé  à l’action  de  l’atmosphère,  devient  le  théâtre  d’un 
autre  ordre  do  phénomènes.  Du  limon  , du  sable  et  des  débris  de  tout  genre  s’y  agglomèrent; 
les  flots  ou  les  vents  y déposent  des  graines;  ces  graines  produisent  de  l’herbe,  des  plantes, 
des  arbres  ; la  plus  riche  végétation  s’y  développe , et  le  mausolée  colossal  des  Polypes  se 
change  en  jardins  suspendus  comme  ceux  de  Sémiramis.  lin  jour,  en  allant  à la  pèche,  une 
tribu  sauvage  les  aperçoit,  y aborde  et  s’y  établit.  La  cité  des  Zoophytes  devient  une  Ile  habitée 
oü  riionune  déploie  les  ressources  de  son 
génio  et  de  son  activité , où  il  étale  ses  mi- 
sères et  ses  vices.  La  plupart  des  îles,  sur- 
tout celles  de  l’Océan  Pacifique , n’out  pas  eu 
d’autre  origine.  Ces  dernières  sont,  pour  ainsi 
dire,  écloses  sous  nos  yeux  : nos  navigateurs 
les  ont  vues  surgir  du  sein  de  la  mer,  se  cou- 
vrir d'abonl  de  terre,  puis  de  végétaux,  puis 
enfin  d’habitants.  Il  est  reconnu  que  le  Japon, entre 
autres,  n’est  qu’un  grand  assemblage  de  Polypiers. 

La  troisième  classe  des  Zoophytes  se  compose 
des  Acalèphes  ou  Orties  de  mer,  ainsi  nommées 
parce  qu’elles  produisent,  lorsqu’on  les  touche,  une 
cuisson  semblable  à cello  quo  fait  éprouver  le  con- 
tact des  Orties  ; mais  celte  propriété  n’est  pas  carac- 
téristique de  cette  classe,  car  elle  s’observe  aussi 
dans  les  Polypes.  Les  Acalèphes  ont  sur  ces  der- 
niers l’avantage  d’ètre  revêtus  d’uue  espèce  de  tissa 
cellulaire  ou  de  peau.  Les  Méduses,  ces  animaux 
cartilagineux  qui  répandent  une  clarté  phosphoriqoe 
si  brillante  et  qu'on  a surnommés  Chandelles  de 
mer,  appartiennent  à cette  classe. 

La  quatrième  classe,  ou  des  Échinodermes,  com- 
prend les  Oursins,  les  Astéries  ou  Étoiles  de  mer 


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221  l)F.l\IK\IK  PARTIE. 

et  plusieurs  nutrcs  espèces  généralement 
connues.  Les  Échinodermes  offrent  une 
organisation  plus  avancée  que  celle 
îles  classes  précédentes.  La  peau  est 
plus  épaisse  et  mieux  formée;  un  dépôt 
de  matières  terreuses  qui  s’y  amasse 
devient  le  support  ou  le  squcletlo  de 
l'animal;  la  bouche  s'arme  de  dents, 
les  voies  digestives  sont  do  véritables 
intestins  maintenus  par  une  membrane 
particulière  appelée  mésentère.  Ln  sys- 
tème nerveux  commence  à paraître. 

La  marche  progressive  que  nous 
avons  remarquée  jusqu'ici  dans  la  struc- 
ture des  Zoophvtes  cosse  à la  cinquième 
classe,  composée  îles  Vers  intestinaux  ; les  uns  sont  formés  d’un  simple  tissu  homogène 
sans  aucune  trace  d'organes , les  autres  ont  à peine  une  cavité  digestive  à laquelle  s’adjoi- 
gnent quelques  traces  de  vaisseaux.  Ainsi  l'embranchement  des  Zoophvtes  , après  s'ètre 
élevé,  dans  les  Acalèphcs  et  les  fichinodermes , vers  des  tonnes  plus  perfectionnées,  retombe 
dans  les  Vers  intestinaux  au  plus  bas  échelon  de  la  série  animale.  Mois  laissons  pour  le 
moment  les  autres  classes  des  Animaux-Plantes,  pour  ne  nous  occuper  que  des  Polypes,  dont 
les  étonnants  produits  sont  rangés  et  étiquetés  dans  les  armoires  du  la  seconde  salle. 

Certains  Polypes  constituent  un  onlre  auquel  on  a donné  le  nom  de  Zoanthaires  ou  Animaux- 

Fleurs,  et  ce  nom  est  fort  bien  choisi 
pour  des  animaux  dont  le  corps  présente 
la  forme  d’une  corolle,  et  dont  les  bras, 
ou  tentacules,  ressemblent  si  bien  à de 
petits  pétales.  Cette  analogie  est  surtout 
frappante  dans  les  Actinies  ou  Anémones 
île  mer. 

Quand  le  ciel  est  pur  et  que  le  soleil 
brille,  ou  les  voit  se  répandre  par  mil- 
liers sur  le  sable  et  sur  les  rochers  qu'elles 
éinaillent  des  plus  riches  couleurs.  Mais 
aussitôt  que  le  vent  se  lève,  et  que  l'onde 
commence  à se  troubler , tout  disparaît  ; 
les  Anémones  ferment  leurs  calices,  et 
rentrent  précipitamment  dans  leurs  ré- 
duits d'azur. 

Ces  jolis  animaux  servent  de  baromètre  aux  marins  : leur  degré  d'épanouissement  ou  de 
contraction  est  un  indice  presque  certain  pour  connaître  si  le  temps  sera  serein  ou  orageux , 
si  la  mer  sera  calme  ou  agitée.  Nos  côtes  possèdent  l'Actinie  pourpre. 

Les  Fonyies,  les  Ttirbinolies , espèces  voisines  do  l’Anémone,  habitent  de  petits  gobelets 
hérissés  & l’intérieur  et  à l'extérieur  de  lames  extrêmement  minces , qui  convergent  du  centre 
vers  la  circonférence.  Il  y a des  Kongies  qui  atteignent  jusqu’à  deux  pieds,  et  dont  les  uns 
sont  ronds  et  les  autres  cylindriques.  Vous  en  pouvez  voir  plusieurs  dans  lu  troisième  armoire, 
salle  à gauche. 

Dans  les  Caryophyllis , los  loges  sont  plus  allongées;  elles  se  groupent  les  unes  à côté  des 
autres , sans  se  confondre , et  forment  des  sortes  do  bouquets. 

Approchons  de  cos  cages  vitrées  : ces  jolis  tubes,  rangés  verticalement  comme  des  tuyaux 


A CT  MK. 


O l'  H * I V 


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GALKRIES  [>K  ZOOLOGIE.  2r> 

d'orgues  sont  l'ouvrage  îles  Tubipores,  originaires  île  la  mer  îles  Indes  et  de  la  mer  Rouge 
Les  individus  de  cette  espèce,  comme  ceux  des  précédentes , vivent  séparés  de  corps  et  de 
biens;  mais  ceux  qui  suivent  vivent  en  commun,  et  leurs  habitations  forment  de  grandes 
expansions  foliacées.  La  Tridacpophyllin  dispose  ses  cellules  de  manière  à leur  faire  prendre 
I aspect  d'une  laitue;  c'est  ce  qui  a valu  à cette  espèce  le  surnom  de  Lactuca. 

Si  l'on  examine  l'intérieur  de  ces  expansions  au  moyen  de  sections  verticales,  on  voit 
quelles  sont  composées  de  couches  parallèles,  chacune  desquelles  a été  l'asile  d’une  géné- 
ration. • 

Los  constructions  de  ces  Polypes  atteignent  quelquefois  des  dimensions  colossales , et  sont 
d une  pesanteur  proportionnée. 

Voici  des  Méandrines  : ici 
los  loges  n’affectent  pas  une 
forme  arrondie;  elles  serpen- 
tent en  sillons  sinueux  et  di- 
versement contournés  , à peu 
près  comme  le  cours  du  fleuve 
Méandre,  d’où  dérive  leur  nom. 

La  Méandrinc  cervbri forints 
ressemble  à un  cerveau  ; lu 
Ménndrine  Inhyrinlhica  pré- 
sente autant  de  tours  et  de  dé- 
tours qu’un  labyrinthe. 

Les  cellules  des  Portion  sont 
presque  aussi  microscopiques 
que  les  pores  de  la  peau.  Quel- 
ques  Polypes  de  ccttc  espèce  donnent  à leurs  constructions  la  forme  d'une  corne  do  cerf  ou 
d un  buisson,  dont  les  branches  sc  bifurquent  et  se  subdivisent  à l’infini.  Dans  les  Pocillo- 
porcs,  les  branches  sont  garnies  do  petites  eoupos  qui  semblent  les  fruits  de  ces  buissons 
sous-marins. 

Mais  c est  surtout  dans  le  groupe  des  Madrépores  que  cette  disposition  arborescente  acquiert 
son  maximum  de  développement.  Les  Polypes  auxquels  on  donne  ce  nom  sont  les  animaux 
les  plus  anciens  de  la  création  ; c’est  à eux  qu’on  attribue  la  formation  do 
la  plupart  des  montagnes  calcaires  ; ce  sont  eux  qui  élèvent  dans  les  mers 
équatoriales  ces  écueils  et  ces  îles  dont  l'apparition  inattendue  étonne  les 
navigateurs.  Leur  polypier  est  ramifié  comme  un  arbuste  ; les  cellules 
sont  éparses,  tubuleuses,  saillantes. 

Le  Madrépore  abrolanoide  sc  divise  eu  branches  épaisses,  la  plupart 
droites , rameuses  et  qui  sc  terminent,  ainsi  que  leurs  divisions,  en  pyra- 
mides. Ces  branches  et  leurs  divisions  sont  presque  partout  chargées  de 
ramuscules  latéraux  extrêmement  courts,  épars,  hérissés  de  papilles  tubu- 
leux. Cette  espèce  habite  l'Océan  Indien.  Voici  le  Madrépore  plantané  qui 
semble  une  forêt  épaisse;  voici  le  Madrépore  en  corymbe,  dont  les  bran- 
ches, élevées  sur  un  tronc  commun,  se  courbent  en  entonnoir  comme 
les  arbres  fruitiers  de  nos  jardins. 

Le  Madrépore  palmé,  dont  nous  11e  possédons  qu’un  petit  exemplaire, 
a été  appelé  aussi  Char  do  Neptune , à cause  de  sa  forme  bombée  et  lé- 
gère. Cet  exemplaire  est  placé  sous  une  cage  de  verre , dans  la  première 
salle  à guuche. 

Au-dessus  de  cette  cage,  vous  voyez  un  autre  Polypier  dont  la  struc- 
ture et  la  disposition  arborescente  sont  d'uno  délicatesse  et  d’une  ténuité 


Mutafrmi  ataouNoTut. 


Li  Nfar,  r.t4H«i, 


29 


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226  DEUXIÈME  PARTIE. 

égale  à celle  de  la  dentelle.  C'est  YOaiUcn  /Inbelliformis  , espèce  voisine  de  la  précédente. 

Telles  sont  les  formes  et  les  dispositions  principales  des  travaux  des  Polypes  À Polypier. 
I,os  échantillons  que  nous  possédons  sont  d'une  belle  conservation,  mais  de  dimensions  très- 
médiocres  comparativement  à celles  qu'ils  atteignent  dans  leur  élément  natal.  Tous  les  Poly- 
piers, dans  l'élut  île  vie,  sont  ornés  do  couleurs  brillantes,  qui  disparaissent  presque  complè- 
tement après  la  mort  de  leurs  habitants. 


PREMIER  ÉTAGE. 

Sur  le  palier,  on  a exposé  une  certaine  quantité  de  Poissons  de  grande  dimension. 

PREMIÈRE  ET  SECONDE  SALLE. 

La  première  salle  est  consacrée  aux  Tortues  terrestres  et  marines,  qui  sont  appenduos  au 
plafond;  les  armoires  contiennent  les  Poissons. 

La  deuxième  salle  est  réservée  aux  Poissons 
cartilagineux. 

On  a placé  dans  celte  seconde  salle , entre 
les  deux  portes , une  statue  de  Buffon , par  Pa- 
jou.  Il  est  à regretter  que  l'artiste  ail  cru  devoir 
sacrifier  au  mauvais  goût  qui , en  cherchant 
à dramatiser  la  nature , se  jette  dans  des  exa- 
gérations souvent  ridicules.  Buffon  est  repré- 
senté deini-nu , enveloppé  dans  une  espèce  de 
manteau  informe  ; sa  chevelure  est  nouée  per 
derrière , concession  malheureuse  faite  à la 
coiffure  du  temps , et  toutes  ces  prétentions 
avortées  sont  d’autant  plus  fâcheuses  que  cer- 
taines parties  ne  manquent  pas  de  noblesse , et 
que  la  louche  générale  est  fine  et  élégante. 

La  troisième  salle  est  entièrement  consacrée 
aux  Poissons.  On  y remarque  le  Poisson  vo- 
lant , l’Espadon , etc. 

La  quatrième  salle  renferme  les  Citèi.o- 
niens,  Sauriens,  Ophidiens  et  Batra- 
ciens. 

Des  quatre  grandes  divisions  de  la  série  des 
Vertébrés,  celle  des  Poissons  est  la  plus  nom- 
breuse en  espèces  ; on  en  compte  aujourd’hui  prés  de  huit  mille. 

Le  Muséum  en  possède  la  plus  belle  collection  connue;  et  bien  qu'elle  date  d'une  époque 
encore  récente,  elle  est  l'une  dos  plus  complètes  de  cet  établissement.  Elle  a été  mise  cil  ordre 
et  étiquetée  par  MM.  Cuvier  et  Valenciennes,  qui  avaient  entrepris  on  commun  une  llistoiro 
naturelle  des  Poissons.  Cet  immense  ouvrage,  retardé  quelque  temps  par  la  mort  du  principal 
collaborateur  (G.  Cuvier),  est  continué  avec  succès  par  M.  Valenciennes,  dont  le  moudo 
savant  apprécie  et  admire  les  profondes  connaissances  ichlyologiqucs. 

Notre  collection  se  composo  de  Poissons  préparés  et  de  Poissons  dans  l'esprit-de-vin.  Il  est 
fort  à regretter  que  les  Poissons  perdent  à l’air  les  brillantes  couleurs  dont  la  nature  les  a 
dotés,  et  que  la  science  ne  soit  pas  encore  parvenue  à leur  conserver  leur  plus  M ornement. 
Chaque  espèce  a autant  que  possible  un  ou  plusieurs  représentants  dans  chacun  de  scs  états, 
et  rangés  dans  les  armoires  selon  l'ordre  adopté  par  les  savants  que  nous  venons  de  nommer. 


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GALERIES  DE  ZOOLOGIE. 


227 


On  divise  les  Poissons  en  deux  (fraudes  séries  : les  Acanthoplérygiens , et  les  Chondropté- 
rygiens.  La  première  comprend  les  Poissons  dont  les  nageoires  sont  composées  eu  partie  de 
rayons  osseux  ; la  seconde  série  renferme  les  Poissons  dont  les  nageoires  sont  cartilagineuses. 

La  première  salle  et  la  quatrième  tout  entière  sout  consacrées  à la  collection  des  Reptiles. 
Nous  ne  reviendrons  pas  sur  la  classe  des  Reptiles , sur  laquelle  il  vous  a été  donné  de  longs 
détails  dans  la  description  de  la  Ménagerie,  et  nous  passerons  tout  droit  à la  cinquième  salle, 
contenant  les  Crustacés. 


CINQUIÈME  SALLE. 

Les  Crustacés  sout  les  Insectes  de  la  mar.  Leur  corps  se  compose , comme  celui  des 
Insectes,  d’une  série  d’anneaux  quelquefois  distincts  et  mobiles,  d’autres  fois  soudés  en  semble. 
M.  Milne-Edwards  a observé  que  la  structure  d’un  Talilrc  (vulgairement  Chevette)  est 
exactement  pareille  à cello  d'un  Cloporte  ; chacun  d’eux  a une  tète  garnie  d’antennes  suivies 
d'un  thorax  consistant  en  sept  anneaux  semblables  entre  eux  et  portant  chacun  une  paire  de 
pattes. 

Nous  avons  vu  les  Polypes  sécréter  une  substance  pierreuse  qui  leur  sert  de  soutien  et  de 
demeure  ; cette  substance  est  analoguo  à celle  qui  constitue  la  ehar|iente  osseuse  dans  les 
animaux  d’un  ordre  plus  élevé  ; et  les  vastes  amas  de  Polypiers  qui  forment  les  continents  ne 
sont  quo  les  squelettes  agrégés  do  plusieurs  générations  de  Zoophytes.  Nous  avons  vu  la 
Tortue  porter  sur  son  dos  scs  côtes  aplaties  et  arrondies  en  bouclier  ; chez  les  Crustacés , le 
squelette  tout  entier  est  extérieur  ; il  enserre  l'animal  comme  une  gaine  solide  ou  comme  une 
armure.  Celte  gaine  se  renouvelle  plusieurs  fois  comme  l'épiderme  des  Serpents.  Les  Crus- 
tacés quittent  leur  enveloppe  sans  y occasionner  la  moindre  altération;  ils  eu  sortent  déjà 
revêtus  d'un  nouveau  tégument  qui  est  encore  mou  et  ne  commence  à se  durcir  qu’au  bout  de 
quelques  jours. 

Cotte  classe  présente  deux  types  principaux  et  très-distincts,  celui  du  Crabe  et  celui  de 
l'Éc revisse.  Le  Crabe  ressemble  à une  Araignée;  toutes  les  parties  du  corps  sont  ramas- 
sées autour  d’un  point  central,  d’où  s’échappent  en  divergeant  des  pattes  diversement  confor- 
mées, et  semblables  à des  rayons  vivants  par  lesquels  l'animal  communique  avec  les  objets 
environnants. 

L’Écrevisse  est  construite  on  longueur  et  disposée  autour  d’un  axe  commo  le  Scorpion. 
La  queue  est  quelquefois  très-étendue , et  sert  tout  à la  fois  d’arme  défensive  et  d'organe  de 
locomotion.  Chaque  patte  antérieure  est  terminée  par  deux  pinces  solides  et  tranchantes 
comme  une  paire  de  ciseaux. 

Les  Crustacés  sont  tous  ovipares  ; la  femelle  se  distingue  du  mâle  pur  un  abdomen  plus 
élargi  dans  lequel  elle  tient  ses  oeufs  suspendus  jusqu'à  co  que  les  petits  soient  éclos. 

On  voit  ici  des  Crabes,  des  Écrevisses  et  des  Langoustes.  Le  reste  de  la  collection  est  placé 
dans  les  armoires  qui  occupent  le  milieu  de  la  grande  galerie  du  second  étage. 

Le  meuble  qui  est  placé  au  milieu  de  la  sallo  contient  une  partie  de  la  collection  des 
Lépidoptères. 


SIXIÈME  SALLE. 

Il  a été  question  de  l'ordre  des  Quadrumanes  dans  la  partie  de  cet  ouvrage  consacrée  à la 
description  de  In  Ménagerie.  Nous  nous  bornerons  donc  à indiquer  l’ordre  établi  dans  celte 
magnifique  collection  dont  l'hisloire  des  Mammifères,  par  M.  Paul  G Elt vais,  vous  rendra 
encore  l'aspect  plus  intéressant. 

Les  Singes  sont  exposés  dans  les  armoires  do  la  sixième  salle  du  premier  étage.  Cette 
riche  et  intéressante  collection , rangée  d'après  la  classification  de  M.  Isidore  Gcoffroy-Sainl- 
Hilairc,  offre  quelques  représentants  île  chacun  des  genres  du  grand  ordre  des  Quadrumanes. 


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228 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Elle  commence  par  le  Chimpanzé  placé  tlans  la  première  armoire  a gauche  en  entrant,  et  finit 
aux  Tarsien  placés  dans  l'armoire  qui  fait  face  à celle-là  à «Imite. 

Au  milieu  de  la  salle,  dans  une  armoire  vitrée  à roulette,  on  a placé  le  Gorille,  nouvelle 
et  curieuse  espèce  récemment  importée  du  Gabon.  Pour  bien  comprendre  avec  quel  mérite 
M.  Portmann  est  parvenu  à monter  cette  colossale  figure,  il  faut  consulter  une  épreuve 
daguerréotype  exposée  dans  l'armoire  contiguë  à la  porte  d'entrée,  donnant  une  représentation 
exacte  de  l'animal  accroupi  dans  un  énorme  cuvier  rempli  d'alcool,  et  rappelaul  à peine  une 
forme  d'être  organisé. 

Nous  ne  quitterons  pas  ces  armoires  ou  sont  contenus  les  Chimpanzés  et  les  Oraugs , sans 
vous  faire  remarquer  les  épreuves  daguerricnnes  qui  sont  exposées  auprès  de  lu  porte  d'entrée. 
Ce  nouveau  mode  «le  reproduction  «le  la  nature  vivante  ou  morte  peut  être  appelé  à rendre  lus 
plus  grands  services , et  il  est  à désirer  que  son  emploi  joint  à celui  de  la  photographie  soit 
plus  largement  étendu  aux  représentations  «les  objets  d’Histoire  naturelle. 

SEPTIEME  S AELE.  — ZOOP1IATK8  ET  MOLLE  SQL  ES. 

Cette  salle  renferme  la  suite  de  la  collection  des  Zoophytos  et  le  commencement  do  celle 
d«*s  Mollusques.  Los  armoires  sont  remplies  d’ Éponges,  «le  Polypiers,  parmi  lesquels  on 
remarque  des  Coraux  «le  plusieurs  espèces;  d’Oursins,  d' Astéries,  d*  tria  les,  d'IIolothuries 
et,  enfin,  do  Mollusques  avec  ou  sans  coquille,  conservés  dans  des  bocaux  d'esprit-de-vin. 
Sur  l'armoire  qui  est  située  au  milieu  de  la  salle,  on  remarque  les  Argonautes , les  Nautiles, 
les  Sèches,  les  Ammonites. 

* Il  est  des  Coquilles  auxquelles  ou  attache  autant  «le  prix  qu’à  «les  Gemmes.  Los  Puacia- 
n elles  ont  été  payées  jusqu'à  1,500  francs;  le  Cône  gloire  de  mer  est  estimé  les  deux 
tiers  «le cette  somme;  une  coquille  de  la  Porcelaine  aurore,  l’espèce  la  plus  brillante  <io 
ce  genre , vaut  jusqu'à  500  francs. 

Le  Glaucus  porte  ses  branchies  sur  les  deux  côtés  du  «los  : chacun  de  ces  organes  est 
composé  du  plusieurs  longues  lanières  ouvertes  en  éventail. 

L’  Argon  aute  est  une  espèce  de 
Poulpe  pourvu  de  coquille;  son  corps 
est  un  sac  ou  une  bourse  ovale , un 
pou  resserrée  «lu  côté  «le  son  ouver- 
ture , puis  s'élargissant  en  un  enton- 
noir membraneux  découpé  en  huit 
longs  tentacules  fixés  autour  «le  la 
bouche.  Ces  appendices  sont  à la  fois 
des  organes  de  locomotion  et  de  pré- 
hension ; leur  surface  interne  »*st  gar- 
nie dans  toute  son  étendue  de  suçoirs 
nu  «le  ventouses , à l'aide  desquels 
l’animal  s’attache  avec  tant  de  force 
aux  ohjrts  qu’il  enlace,  «pie  les  ani- 
maux beaucoup  plus  gran«ls  et  plus 
forts  «jue  lui  deviennent  souvent  sa 
proie, 

L'Argonaute  se  sert  «le  sa  coquill<! 
comme  d’un  bateau  pour  voguer  sur 
la  surface  «le  l'onde  quan«i  la  n»«*r  est 
calme  ; alors  six  do  ces  tentacules 
sont  reployés  en  bas  et  agissent  comme  «les  rames  ; tes  deux  autres , qui  sc  dilatent  à leur 
extrémité  en  une  large  membrane , se  relèvent  et  s'étendent  connue  des  voiles. 


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GALERIES  DE  ZOOLOGIE.  229 

La  Sèche  ressemble  par  sa  forme  au  Poulpe  el  à T Ar- 
gonaute ; mais  elle  s’en  distingue  par  un  os  intérieur  et 
par  un  organe  sécréteur  qui  produit  eu  abondance  une 
liqueur  noirâtre  à laquelle  on  a donné  le  nom  d’encre  ; 
lorsque  l'animal  est  en  danger,  il  la  lance  au  dehors  en 
quantité  assez  grande  pour  teindre  l’eau  qui  l’entoure  et 
se  cacher  ainsi  à la  vue  de  ses  ennemis. 

L’os  de  la  Sèche  est  une  espèce  de  coquille  que  l’on 
emploie  pour  polir  le  bois,  et  qui  sert,  sous  le  nom  de 
corail  blanc,  à la  composition  des  poudres  avec  lesquelles 
on  blanchit  les  dents.  Cet  os  est  parfaitement  libre  dans 
l'épaisseur  du  manteau;  il  no  tient  à aucun  muscle,  à au- 
cun vaisseau  ; cependant  ses  fonctions  sont  à peu  prés 
celles  de  l'épine  dorsale  chez  les  animaux  vertébrés;  il  sert 

d’axe  à l'ensemble  de  l’organisation.  S,CH*'  u»  ic  sum 

La  Sèche  est  très-commune  dans  In  Méditerranée  ; elle  forrno  un  des  principaux  aliments 
des  habitants  des  côtes.  Quand  on  la  retire  de  l'eau,  elle  meurt  presque  à l’instant , en  faisant 
entendre  un  cri  qui  imite  le  grognement  du  Cochon,  Quand  l’encre  est  fraîche,  elle  tache  le 
linge  d’une  manière  ineffaçable. 

Les  Sim  ku  le  s sont  faites  à peu  près  comme  les  Sèches;  seulement,  à l'arrière  du  corps 
elles  portent  une  coquille  tournée  en  spirale  et  connue  vulgairement  sous  le  nom  de  Cornet 
de  Postillon. 

« !«*»  manteau  des  Spirales,  dit  M.  Antelmc,  dans  son  savant  ouvrage 
sur  les  Mollusques , se  prolonge  et  enveloppe  presque  ou  totalité  celte  Co- 
quille, qui  est  petite  et  transparente.  Elle  est  aussi  divisée  à l’intérieur  par 
des  cloisons  transversales  qui  forment 
autant  de  loges  successives  et  de  plus 
eu  plus  grandes,  dont  l’animal  occupe 
toujours  la  dernière.  Au  fur  et  à me- 
sure que  son  corps  en  grossissant 
nécessite  la  formation  d’une  loge  nou- 
velle , il  s’avance  en  se  tenant  fixé  au 
fond  de  la  loge  qu’il  quitte  au  moyen 
d’an  appendice  fort  mince  qui  termine  la  partie  posté- 
rieure de  son  corps  ; puis  il  transsude  une  matière  cré- 
tacée qui  forme  la  cloison  postérieure  de  sa  nouvollo 
loge  el  un  tube  autour  «le  l'appendice  de  son  corps  qui 
traverse  toute  la  série  des  loges,  et  que  les  natura- 
listes ont  désigné  du  nom  de  Syphon.  On  conçoit  que 
ce  Syphon  doit  être  roulé  en  spirale  comme  l’ensemble 
de  la  coquille  dont  il  occupa  toute  la  longueur.  » 

HUITIÈME  SALLE. 

Cette  salle  contient  les  Mammifères  domestiques  ; au 
milieu  s’élève  une  slatue  en  marbre  blanc , due  au  ci- 
seau do  Dupatv,  et  représentant  la  .Nature  caractérisée 
fuir  ces  mots  du  poète  Lucrèce  : Alma  panais  rerum 
( Souveraine  créatrice  de  toutes  choses  ) . 


Srm  m paotuim 


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230 


DEUXIÈME  PARTIE. 


SECOND  ÉTAGE. 

En  montant  à cct  étage  supérieur  par  l’escalier  situé  au  sud-ouest  du  grand  bâtiment,  dont 
nous  nous  occupons  en  ce  moment , nous  trouverons  une  suite  de  six  magnit|i)ucs  salles 
éclairées  par  leur  partie  supérieure.  Nous  r.’oiitrerons  dans  aucune  description  détaillée  des 
richesses  contenues  dans  ces  salles,  nous  indiquerons  sommairement  ce  qu’elles  renferment. 

Chaque  objet  avant  une  étiquette  très-détaillée,  il  est  très-facile  d'en  trouver  l'histoire  dans 
les  parties  spéciales  de  notre  ouvrage. 

Ces  salles  sont  ainsi  divisées  : 

Sur  le  palier  qui  précède  la  première  salle,  vous  remarquerez  une  Baleine  en  cire,  des 
fanons  de  Baleine,  et  une  canne  faite  avec  la  dent  du  Narval. 

. PREMIÈRE  SALLE. 

Cette  salle  contient  les  Marsupium  animaux  à poche,  tels  que  Sarigle,  Kaxguroos,  et 
aussi  I'Ornithorinque  et  l’Éctnnsé. 

DEUXIÈME  SALLE. 

Les  armoires  renferment , 1°  les  ÉDENTÉS:  Tatou,  Pangolin,  armés  de  carapaces 
semblables  à des  cuirasses.  Nous  vous  prierons  de  donner  quelques  secondes  d'attention  au 
Fourmilier  Tamanoir,  si  remarquable  par  son  museau  allongé  et  par  sa  queue  immense; 
le  Fourmilier  didactïle  et  I'Orvctérope,  du  Cap,  méritent  aussi  nos  regards;  tous 
ces  animaux  dépourvus  de  donls,  comme  leur  nom  l’indique,  se  nourrissent  d’insectes  et  sur- 
tout de  Fourmis , qu'ils  saisissent  au  moyen  de  leur  langue  enduite  d’une  matière  gluante. 

2°  Les  RONGEURS:  le  Chinchilla,  le  Castor,  les  Écureuils,  les  Gerroises, 
les  Alactagas,  si  jolies,  si  légères,  qui  semblent  faire  les  entrechats  les  plus  gracieux  du 
monde  avec  leurs  longues  pattes  do  derrière. 

Les  INSECTIVORES:  les  Taupes,  armées  de  leurs  deux  palettes  tranchantes  avec 
lesquelles  elles  fendent  le  sol  presque  aussi  rapidement  que  les  Oiseaux  fendent  les  airs  avec  leurs 
ailes;  les  Musaraignes,  joli  petit  animal  qui  répand  une  odeur  de  musc;  les  Macrosce- 
lides,  le  Gvmxcre  do  Rafles,  le  Tupaia  au  corps  effilé , au  museau  pointu,  à la  queue 
touffue;  le  Taxrec  de  Madagascar,  couvert  de  piquants  aigus  comme  nos  Hérissons;  le 
Desmax,  qui  vit  dans  l'eau  et  dont  les  doigLs  sont  réunis  par  une  membrane,  la  queue 
aplatie  en  gouvernail  et  la  tète  prolongée  en  petite  trompe. 

Les  CARNASSIERS  : le  Lion,  le  Tigre,  I'Hïène,  le  Chacal,  la  Loutre,  la 
Marte,  I'IIermine,  le  Zibktii,  et  tout  ce  magnifique  cortège  d’animaux  qui  fournit  les 
riches  fourrures  dont  se  parent  les  grands  de  la  terre. 

Le  meuble  qui  règne  sur  toute  l'étendue  du  milieu  de  cette  pièce  contient  les  collections 
d’insectes  et  de  Coquilles.  A chacune  de  ses  extrémités  et  sur  l'épine  qui  le  domine , vous 
aurez  à remarquer  les  travaux  destructeurs  des  Insectes;  vous  serez  étonné  de  la  perfection 
avec  laquelle  ils  exécutent  leurs  perforations , dont  l'exactitude  ne  peut  tire  comparée  qu’à  la 
rapidité  avec  laquelle  ces  opérations  perfides  sont  accomplies. 

Reportons  vos  regards  sur  d'autres  travaux  dus  aussi  aux  Insectes,  mais  qui  celte  fois 
n'exciteront  que  votre  reconnaissance.  C’est  une  riche  collection  d'échantillons  de  soie  de  toute 
espèce , don  précieux  fait  au  Muséum  par  un  patient  collectionneur. 

Sur  l'épine  du  meuble,  votre  attention  sera  captivée  par  de  magnifiques  spécimen  empruntés 
aux  collections  des  Coquilles  Inivalves  terrestres  et  Bivalves  marines. 


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GALERIES  DF.  ZOOLOGIE. 


231 


TROISIÈME  SALLE. 

Celte  salle  est  consacrée  aux  Oiseaux  : l'aspect  en  est  éblouissant  ; la  richesse  des  plumages, 
l'éclat  du  coloris,  l’élégance  des  Formes  et  leur  excessive  variété  captivent  et  charment  à la 
fois.  Si  vous  voulez  faire  une  promenade  instructive  et  extrêmement  intéressante , vous 
pouvez  prendre  V Histoire  naturelle  des  Oiseaux,  par  M.  le  docteur  Emm.  Le  Maout,  et  vous 
aurez  pour  guide  un  savant  éclairé  et  d'une  élocution  vive  et  attachante , qui  vous  dira  les 
mœurs  de  ces  charmants  habitants  de  l'air,  leur  utilité  pour  les  besoins  do  l'homtno  et  les 
services  auxquels  l'agriculture  a su  plier  quelques-uns  d’entre  eux. 

Ces  magnifiques  collections  sont  ducs  à la  plupart  des  savants  et  des  voyageurs  qui  se  sont 
plu  à accroître  les  richesses  du  Muséum  ; il  existe  encore  des  échantillons  qui  remontent 
jusqu’à  Aldrovand.  Buffon  a augmenté  considérablement  celle  collection,  mais  le  principal 
lustre  appartient  aux  découvertes  faites  dans  la  Nouvelle-Hollande  et  les  montagnes  do 
l’ilymalaya. 

Le  meuble  qui  s'étend  dans  toute  la  longueur  de  cette  salle  contient  les  collections  de 
Coquilles. 

QUATRIÈME  SALLE,  DITE  DE  L’IIORLOGE. 

La  collection  des  Oiseaux  occupe  encore  toutes  les  armoires  de  cette  belle  salle;  au  centre, 
en  face  de  l'horloge,  on  a réuni  les  plus  beaux  échantillons  des  Oiseaux-Mouches;  celte 
vitrine  resplendit  de  tous  cités  dos  feux  du  tropique  qui  ont  coloré  ces  délicats  plumages  ; 
vous  aurez  peine  à no  pas  consacrer  beaucoup  do  temps  à l’examen  de  ces  jolis  chaulcurs  si 
richoment  vêtus , si  légers  qu'ils  semblent  une  pincée  de  plumes  que  le  zéphir  va  emporter  à 
son  gré  : les  uns  sont  armés  de  longs  becs  avec  lesquels  ils  pénétrent  au  fond  des  grandes 
(leurs  on  cornet  pour  y puiser  leur  succulente  nourriture;  les  autres  sont  ornés  do  collerettes 
de  topazes  et  d’émeraudes,  d'autres  enfin  jettent  au  loin  de  petits  bouquets  de  plumes  étince- 
lantes retenues  par  un  mince  filet  noir. 

Le  meuble  du  centre  contient  les  collections  do  Coquilles  et  d'insectes  ; les  plus  riches 
échantillons  sont  exposés  aux  regards  dans  des  cadres  spéciaux  : vous  remarquerez  aussi  des 
Astéries  et  dos  Polypiers  qui  vous  étonneront  par  leurs  fines  arabesques. 

Ne  quittons  pas  cette  salle  sans  appeler  vos  hommages  sur  l'effigie  du  célèbre  créateur  du 
Jardin  des  Herbes  médicinales,  Guy  de  la  Brosse,  dont  le  buste  à l’air  majestueux  semble 
dominer  toutes  ces  collections.  Cet  homme  illustre  embarrasserait  singulièrement  ceux  qui 
aujourd'hui  sont  pour  lui  la  postérité,  si,  recouvrant  pour  quelques  moments  sa  voix,  vibrante 
d'indignation , il  divulguait  l’oubli  qui  a relégué  ses  précieux  ossements  dans  le  plus  gro- 
tesque réduit , et  adressait  à qui  do  droit  cotte  exclamation  ; Rendez  donc  mes  restes  à la  paix 
du  tombeau! 

Heureusement  que  les  grands  hommes  revivent  par  leurs  actes , et  que  l’anéantissement  de 
leurs  bienfaits  n’est  pas  la  conséquence  nécessaire  de  l’ingratitude  de  la  postérité. 

Plusieurs  autres  bustes  décorent  la  partie  supérieure  des  armoires.  Nous  n'en  dirons  rien 
ici,  parce  que  nous  avons  rendu,  dans  la  partie  historique,  aux  hommes  célèbres  qu'ils  repré- 
sentent les  honneurs  qui  leur  sont  dus  ; il  y aurait , du  reste , un  inconvénient  assez  grave  : 
la  plupart  île  ces  bustes  étant  veufs  de  leurs  étiquettes,  il  pourrait  en  résulter  de  singulières 
méprises  : nous  avons  d’ailleurs  donné  tous  ces  portraits  entourés  des  attributs  qui  les  carac- 
térisent. 


CINQUIÈME  SALLE. 

Cette  salle  contient  la  suite  de  la  collection  des  Oiseaux  et  spécialement  les  oiseaux  de'proie, 
les  Palmipèdes,  les  Breviponnes.  Vous  remarquerez  l’Apterix,  échantillon  très-précieux  d'une 


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232 


DEUXIÈME  PARTIE, 
espèce  excessivement  rare.  Il  serait  aussi  long  qu'inutile  tle  vous  indiquer  les  échantillons  les 
plus  curieux;  l'Histoire  naturelle  îles  Oiseaux  qui  fait  partie  de  notre  publication  est  le  meil- 
leur et  le  plus  sûr  guide  que  vous  puissiez  choisir. 

A l'extrémité  de  cette  salle , votre  attention  sera  frappée  par  deux  armoires  qui  contiennent 
les  nids  les  plus  intéressants  dont  nous  vous  avons  donné  la  figure  dans  l’/listuire  naturelle 
des  Oiseaux;  chaque  nid  ayant  son  étiquette,  et  l’obligeance  bien  connue  de  MM.  L.  Kiener, 
Florent  Prévost  et  Pucheran  venant  à votre  aide,  vous  aurez  un  plaisir  extrême  à retrouver 
en  nature  ces  nids  du  Fournier,  du  Soui-Manga , du  Tisserin , dont  la  conformation  est  si 
adroite  et  si  bien  appropriée  aux  premiers  besoins  des  jeunes  oiseaux  au  moment  de  l'éclosion 
des  oeufs. 

lai  meuble  qui  règne  dans  toute  l'étendue  de  cette  salle  contient  la  suite  de  la  collection  des 
Coquilles. 

A son  extrémité,  on  a disposé  des  tablettes  pour  l’exhibition  de  quelques  Oiufs  précieux, 
tels  que  ceux  de  V Autruche,  du  Casoar,  du  Goéland,  du  Pingouin,  de  VHpiomis,  qui  sert  dans 
certains  pays  à porter  l'eau  tant  sa  capacité  est  énorme. 

Nous  ne  pouvons,  an  sujet  de  ces  œufs , nous  dispenser  île  vous  appeler  à partager  nos 
regrets.  Ne  vous  setnble-l-il  pas  qu'auprés  de  chaque  Oiseau  l'on  devrait  placer  son  nid  garni 
de  ses  n-ufs?  N'est-re  pas  un  complément  indispensable  qui,  par  la  simple  inspection,  indi- 
querait l'habitude  de  chaque  espèce? 

SIXIÈME  SALLE. 

• Cette  salle,  extrêmement  intéressante,  contient  les  RUMINANTS,  parmi  lesquels  nous  si- 
gnalerons à votre  admiration  les  gigantesques  Girates  qui  ont  vécu  au  Muséum;  le  Renne, 
I'Élan,  le  Bison,  l’Ainociis,  le  ZÈBRE,  le  Gnou;  le  Dromadaire,  auquel  se  rattache  un 
précieux  souvenir  : cet  individu  est  celui  sur  lequel  le  général  Bonaparte  montait  habituelle- 
ment pendant  ses  campagnes  d’Égypte.  Les  personnes  attachées  à rétablissement  vous  diront 
que  lorsque  les  envoyés  égyptiens  visitèrent  le  Muséum,  ils  tinrent  & honneur  de  toucher 
respectueusement  la  dépouille  du  serviteur  privilégié,  et  portèrent  à leurs  lèvres  la  main  qui 
avait  été  en  contact  avec  ce  souvenir  palpable  du  grand  Bousaberdi. 


Ici  se  termine  notre  pérégrination  dans  cetto  nécropole  du  rogne  animal.  Nous  aurions  eu 
promptement  lassé  votre  patience,  si,  prenant  chaque  échantillon,  nous  vous  avions  fait  de 
longs  discours  sur  la  forme,  la  couleur,  les  mœurs  de  chaque  sujet,  et  sur  le  rang  que  la 
science  lui  a donné. 

Cette  Üche  a été  plus  dignement  accomplie  par  Al.  PaulGcnv  aïs,  pour  les  Mammifères, 
dans  son  Histoire  générale  des  Mammifères,  dernier  mot  de  la  science  actuelle  sur  celte  im- 
portante matière;  et  par  Al.  le  docteur  Le  AIaoi  t,  en  ce  qui  touche  les  Oiseaux,  dans  son 
Histoire  naturelle  des  Oiseaux,  ouvrage  le  plus  complet  et  le  plus  clair  sur  cette  intéressante 
partie  du  règne  Animal,  et  oh  chaque  genre  est  représenté  par  les  figures  les  plus  fidèles  que 
l'on  ait  faites  jusqu’à  ce  jour. 


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Le  Muséum  ne  compte  une  Bibliothèque  nu  nombre  de  ses  richesses,  que  depuis  le  décret 
«le  juin  1793,  qui  la  réorganisa.  La  Bibliothèque  est  exclusivement  consacrée  aux  ouvrages 
relatifs  aux  sciences  physiques  et  naturelles,  et  se  trouve  ainsi  destinée  à compléter,  avec 
les  cours  et  les  collections,  les  moyens  d’études  offerts  au  public  pour  cette  branche  des 
connaissances  humaines. 

Elle  est  placée  dans  le  bâtiment  neuf  qui  donne  sur  la  rue  do  Buffon,  et  occupe  tout  le 
pavillon  de  droite  divisé  en  doux  étages.  Sa  disposition  est  aussi  simple  que  bien  entendue 
pour  faciliter  l’élude. 

Quarante-quatre  mille  volumes  environ,  en  y comprenant  les  dissertations  isolées, 
sont  réunis  et  offrent  des  matériaux  aussi  précieux  que  variés  sur  toutes  les  parties  de  l’histoire 
naturelle , et  sont  ainsi  divisés  : 

Histoire  naturelle  générale.  — Physique.  — Chimie.  — Minéralogie.  — 
Géologie.  — Paléontologie.  — Botanique.  — Horticulture.  — Agriculture. 

— Zoologie. — Anatomie  et  Physiologie  humaine  et  comparée. 

Géographie.  — Voyages.  — Histoire  naturelle  topographique. 

Actes  des  Académies  et  Sociétés  savantes. 

Journaux  et  Recueils  périodiques. 

Collections  de  Monographies  et  Dissertations  particulières.  — Notices 

BIOGRAPHIQUES  ET  AUTOBIOGRAPHIQUES. 

Chacune  de  ces  grandes  sections  est  elle- même  subdivisée  méthodiquement  en  classes 
nombreuses.  La  Zoologie,  par  exemple,  est  ainsi  partagée  : Zoologie  générale;  — Icono- 
graphie zoologique  ; — Classification  des  animaux  ; — Géographie  zoologique  ; — Instincts 
des  animaux  ; — Races  humaines;  — Mammifères  ; — Oiseaux ; — Reptiles;  — Poissons; 

— Mollusques;  — Insectes ; — Crustacés;  — A ra  né  ides  ; — AuméUdes ; — Zoophytes;  — 
Mélanges  zoofogiques. 

30 


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234 


nRUMÈMR  PARTIR. 

Il  on  est  de  même  des  outres  divisions  bibliographiques  ; elles  sont  toutes  conformes  à 
la  méthode  propre  à chacune  des  différentes  bronches  d’études  scientifiques  professées  nu 
Muséum. 

Il  est  inutile  de  dire  que,  parmi  ces  ouvrages,  il  s’en  trouve  d'éminemment  remarquables  à 
divers  titres. 

Nous  citerons  seulement  le  magnifique  ouvrage  d’Audubon,  sur  les  Oiseaux  <f  Amérique  ; 
les  Grandes  Flores  do  Grèce,  par  Sibtorpf;  de  Portugal,  par  kitaibel;  d’Asie,  par  Wollich, 
Blutnc,  Roy  le;  d’Amérique,  par  lluinboldl,  Roiipland,  Runl,  de  Murtius,  etc. 

Les  belles  Monographies  de  Gould  île  Gray,  et  la  Fauna  Italica,  du  prince  Ch.  Bonaparte. 

Les  beaux  et  nombreux  ouvrages  publiés  depuis  quelques  années,  dans  l’Amérique  du  nord, 
sur  l’histoire  naturelle  de  différents  États;  l’ouvruge  sur  l’Égypte,  publié  par  lu  commission 
scientifique  qui  a accompagné  le  général  Bonaparte  ; presque  tous  les  grands  voyages  d«* 
circumnavigation. 

La  collection  dos  journaux  scientifiques,  et  celle  des  mémoires  publiés  par  les  Académies  et 
Sociétés  savantes,  sont  des  plus  complètes  cl  des  plus  importantes. 

L’extrême  complaisance  des  Bibliothécaires  et  leurs  connaissances  spéciales  et  variées 
nous  dispensent  d’une  plus  longue  énumération. 

Nous  devons  signaler  seulement  à l’attention  du  monde  savant,  une  Collection  unique  et 
fort  considérable  des  travaux  publiés  isolément,  soit  sous  forme  de  Thèses  ou  de  Dissertations, 
soit  dans  les  revues  et  journaux  scientifiques,  et  que  la  patiente  élaboration  des  Bibliothé- 
caires a classée  méthodiquement;  en  sorte  que  ces  travaux,  d’une  valeur  inestimuble,  sont 
rendus  faciles  à l’étude  par  l’ordre  qui  a présidé  à leur  arrangement. 

La  Bibliothèque  possède  d’intéressants  Manuscrits , panni  lesquels  il  importe  de  citer  ceux 
do  Tournofort,  qui  ne  forment  pas  moins  de  dix  volumes  in-folio  et  de  six  volumes  in-B°  des 
dessins  originaux  de  ses  différents  ouvrages  ; 

Ceux  du  père  Plumier,  relatifs  à son  voyage  aux  Antilles,  et  qui  se  composent  de  trente 
volumes  in-folio,  comprenant  cinq  a six  mille  dessins  originaux  de  botanique  pour  la 
plupart  ; 

Ceux  de  Commerson,  présentant  les  observations  et  les  dessins  qu’il  avait  recueillis  comme 
naturaliste  attaché  à l’expédition  de  Bougainville.  Ces  dessins  originaux , souvent  cités , 
quoique  inédits  pour  le  pins  grand  nombre,  s’élèvent  à plus  de  mille. 

La  Bibliothèque  possède  aussi  la  plus  grande  partie  des  Manuscrits  des  deux  Forster  père  et 
fils,  Reinold  et  (ieorges,  compagnons  du  capitaine  Cook,  dans  son  second  voyage  aux  mers 
du  Sud;  la  Description  des  Plantes  et  de  quelques  Animaux  de  Java  et  des  Philippines , par 
Noronha;  YOulogie  de  l’abbé  Manesse;  des  Fragments  de  Pevssonel,  de  Vaillant,  de  Buffon, 
de  Daubenton,  de  Vicq-d’Azyr  ; la  plus  grande  partie  des  Manuscrits  laissés  par  Guettard, 
Lamarck  et  Hauy.  De  G.  Cuvier,  la  Bibliothèque  ne  possède  que  des  Notes  de  botanique 
ajoutées  par  lui,  dans  sa  jeunesse,  à un  exemplaire  du  Généra  plantarum  de  Linné. 

Le  Muséum  doit  à la  générosité  de  M.  de  Humboldt  un  Journal,  manuscrit  original  fort 
précieux,  composé  de  plusieurs  volumes  in-folio  et  in-4°,  contenant  des  descriptions  rédigées, 
sur  les  lieux  par  M.  Bonpland,  des  plantes  recueillies  pendant  leur  voyage  en  Amérique. 

Il  serait  à souhaiter  que  la  section  des  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Muséum  s'enrichît 
des  autres  ouvrages  manuscrits  concernant  les  sciences  naturelles,  qui  sont  disséminés  et 
oubliés  dans  les  autres  Bibliothèques  de  Paris,  et  de  ceux  qui  se  trouvent  en  assez  grand 
nombre  dans  lu  Bibliothèque  de  M.  A.  de  Jussieu,  récemment  enlevé  aux  sciences. 

Mais  ce  qui  est  surtout  remarquable,  c’est  la  magnifique  Collection  de  peintures  sur  vélin 
qui  a été  commencée  vers  1610,  par  les  ordres  do  Gaston  d’Orléans,  pour  la  description  des 
Plantes  rares  et  les  plus  remarquables  de  son  jardin  de  Blois;  acquises  à sa  mort  par  Louis  XI\  , 
ces  précieuses  peintures  furent  d'ubord  placées  à la  Bibliothèque  royale,  puis  transportées,  en 
1794 , à la  Bibliothèque  du  Muséum,  dont  elles  sont  l’un  des  principaux  ornements. 


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235 


BIBLIOTHÈQUE 

Les  premiers  dessins  furent  (ails  par  Mcolaa  Hubert  ; puis  Juuberl , Aubriet , .Made- 
moiselle Baasepurle,  vinrent  ajouter  leurs  travaux  à ceux  déjà  acquis;  enfin,  et  successive- 
ment, P.  et  //.  Maréchal , Oudiiwt , Bedouté,  Yau-Spaëndonk , de  II  ailbj,  Huet,  Beaaa , 
Werner,  Meunier,  Oudart , Climat,  Prêtre,  Mademoiselle  Biclié,  vinrent  compléter  cette 
iconographie  sans  rivale,  qui  compte  aujourd'hui  de  cinq  à six  mille  dessins,  répartis  dans 
quatre-vingt-quatorze  portefeuilles,  comme  il  suit  ; 


Anatomie  compamèe 3 vol. 

Zoologie.  — Mammifèrea 5 

Oiaeaux 8 

Bcpliles 2 

Poiaaijtia 5 

Inaeclca 2 


Zoologie.  — Cruatacéa  ) 


Arnclinidea  j 

Mul  Iliaques 2 

Zoopbytea I 

Botanique 65 

94  vol. 


Le  nombre  do  ces  dessins  s'accroît  chaque  année,  et  les  cours  professés  au  Muséum 
encouragent  les  jeunes  talents  à se  livrer  à la  reproduction  des  individus  rares  qui  habitent  la 
Ménagerie,  ou  des  végétaux  qui  fleurissent  dans  les  serres. 

Outre  cette  précieuse  collection,  la  Bibliothèque  possède  encore  plusieurs  autres  fonds 
do  dessins  originaux,  exécutés  aussi  sur  vélin  pour  la  plupart,  mais  que  leur  spécialité 
a empêche  de  réunir  à la  collection  générale;  tels  sont  les  dessins  des  Ptantea  grasses, 
par  Redouté,  au  nombre  de  plus  île  150;  — ceux  de  Van-Spaëndonk  et  de  Redouté, 
représentant  les  arbrea  et  arbuatea  d'Amérique,  publiés  dans  l’ouvrage  de  Michaux;  — les  ' 
dessins  dos  Courges , par  Duchène,  dessins  d’une  grande  vérité  et  d'une  parfaite  exécution; 
— plusieurs  Recueils  de  dessins  des  piaules,  exécutés  eu  Hollande  pendant  le  XVII*  et  le 
xviii'  siècle  ; — la  plus  grande  partie  des  dessins  originaux,  exécutés  depuis  peu  d’années  aux 
frais  de  l'État  ; — la  Dea.riptiuu  de  l’Algérie,  due,  pour  la  plupart  à Vaillant,  jeune  peintre 
de  talent  que  les  arts  ont  aussi  peruu  depuis  quelques  mois. 


I a ordre  parfait  règne  dans  la  Bibliothèque;  les  études  y sont  faciles;  des  tables  et  des 
pupitres  sont  disposés  pour  la  lecture  ou  les  copies  des  vélins  qui  sont  communiqués  sous 
verre  aux  personnes  qui  désirent  les  reproduire. 

La  Bibliothèque  est  ouverte  tous  les  jours,  sauf  le  dimanche,  de  onze  heures  du  matin  à 
trois  heures  de  relevée.  Ses  vacances  commencent  le  I"  septembre  et  Unissent  le  f,r  octobre. 


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Nous  nous  arrêtons  ici;  nous  no  pouvons  et  nous  ne  voulons  pas  tout  décrire.  Notre  but 
était  de  vous  raconter  quelques-unes  des  merveilles  que  la  Nature  a semées  si  abondamment 
dans  le  sein  de  la  création , et  ce  but  est  atteint.  I.c  peu  que  nous  vous  avons  montré  vous  a 
inspiré  le  désir  d'en  voir  davantage  : ce  désir  est  sacré  ; ne  néglige/,  rien  pour  le  satisfaire. 
C’est  toujours  une  noble  et  louable  curiosité  que  celle  qui  nous  entraîne  vers  les  sentiers  do 
la  science  ; mais  gardez-vous  aussi  de  chercher  à pénétrer  trop  avant  dans  ses  mystères  : 
vous  rencontreriez  des  barrières  insurmontables,  vous  vous  égareriez  dans  un  labyrinthe  sans 
issue. 

I/arbre  de  la  science  est  couvert  do  branches  innombrables  et  immenses  ; où  est  l'homme 
gigantesque  qui  pourra  jamais  se  flatter  de  les  embrasser  toutes  ? a Je  ne  suis  qu'un  enfant 
qui  ramasse  quelques  coquilles  sur  les  bords  du  vaste  Océan , u disait  le  grand  Newton  à 
Papogée  de  sa  gloire , au  moment  même  où , nouveau  Colomb , il  venait  de  nous  révéler  des 
mondes.  Si  Newton  n’était  qu’un  enfant  côtoyant  timidement  le  profond  abîme,  que  sotnmes- 
nous,  nous  qui  n’avons  qu’une  étincelle  de  ce  feu  sacré  dont  il  portait  le  flambeau? 

Consolons-nous,  qui  que  nous  soyons;  l’hommage  que  nous  rendons  au  Créateur  en  con- 
templant scs  œuvres  lui  est  aussi  agréable  que  celui  du  premier  des  philosophes  ou  des  poêles. 
Ne  cherchons  dans  cette  étude  que  les  plaisirs  innocents,  sereins  et  tranquilles,  qu’elle  peut 
nous  procurer,  plaisirs  d’autant  plus  vrais  et  plus  doux,  qu’ils  seront  plus  indépendants  de 
toute  pensée  ambitieuse,  de  toute  préoccupation  savante. 

Croyez-nous , il  viendra  un  jour  où  les  instants  que  vous  aurez  passés  parmi  nous  daus  cos 
belles  galeries , dans  ces  riches  jardins , vous  paraîtront  les  plus  heureux  de  votre  vie. 


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TABLE  DES  MATIERES 


PREMIÈRE  PARTIE. 


HISTOIRE  DU  MUSEUM. 

Prp.mif.be  PÉRIODE  (1633-1739) < 

Deuxième  période  {I73i)-I77l) 23 

Troisième  période  (1771-1794! 43 

Quatrième  période  H794-I8lj) 98 

Cinquième  période  (1815-1853) i:h 

.Notices  historiques 148 

Index 


DEUXIÈME  PARTIE. 

DESCRIPTION. 

Administration.  Enseignement.  Budget a 

Topoohapiue,  Aspect  cénéru.  du  jardin 9 

L’École  de  botanique,  les  Carrés,  i.es  Serres,  les  Galeries.. . 21 

École  île  botanique*. 22 

École  îles  Arbres  fruitiers Il 

Pal  terre  des  Plantes  médicinales,  Carré  policier  et  des  Piaules  usuelles, 

Carré  creux.  Carré  fleuriste.  Parterre  Chantai 75 

Jardin  des  semis,  Jardin  de  naturalisation 79 

Allées  et  Collines 811 

Serras  ; 

1°  Serres  tempérées 89 

2°  S/Tres  chaudes SD 

2°  Serres  ciiinlies HR 

Galeries  de  botanique 90 

Histoire  bolanique  du  Jardin KMi 

Vallée  suisse.  Ménagerie,  Singerie.  Fosses  aux  Ours.  Parcs.  12-j 
Mém»»erie 123 

Mammifères Ii3 

l' Limâtes. 

Singes  de  la  première  Iribu 143 

—  de  la  deuxième  Irihu US 

— «le  la  troisième  liilm 110 

Lcmuridés 153 

Là! 

Hunqeurs Iô5 

Édentés 15R 


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238  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Animaux  de  la  rotonde  et  des  Parcs 156 

Pachydermes ........  156 

Ituiuinaiils 157 

Marsupiaux 159 

OiSKAIX 164 

lailfonnrrir 164 

R APACES. 

Falconidés 165 

Slrigidés ht. 

Passereaux W. 

Psillacidés Id. 

Buccridcs I£6 

Faisanderie Id. 

Sittidés Id. 

Colombidés Id. 

Tinamidés ; 167 

Phasianidcs Id. 

Échassiers,  Palmipèdes  et  Coireuvs  Id 

Échassiers. 

Otidés 168 

Macrodacljdes Id. 

Psophidés Id. 

Ardéidés Id. 

Scolopaeidés Id. 

Hall  ides Id. 

Palmipèdes. 

Landes 169 

Péleeanidés !d. 

Anatidés . Id. 

Col’  R EU  RS ' Id. 

Struthionidés ; Id. 

Casoaridvs Id. 

Reptiles .........  170 

Anatomie  comparée 183 

Anthropologie 194 

Minéralogie 206 

(i  ALERIES  DE  ZOOLOGIE 220 

BlDLIOTIIÈQl  E 233 


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CLASSEMENT  DES  GRAVURES 

DU 


MUSÉUM  D’ HISTOIRE  NATURELLE. 


PHITIIIKl:  PARTIE. 


Coloriée. 

Pelargoniums  en  regard  du  titre, 

Noire. 

Rernard  de  Jussieu page 

34 

Noire. 

Frontispice  en  regard  de  la  page 

i 

— 

A.  Thouin 

36 

— 

Guv  de  La  Brosse 

4 

— 

Linné 

54 

— 

Plan  du  Jardin  des  plantes  mé- 

— 

A.  I..  de  Jussieu. 

56 

(lic'iuales  en  1630 

6 

70 

— 

Kagon 

10 

— 

Plan  du  Jardin  du  Roi  en  1788 . 

90 

12 

- 

Vaillant 

14  ' 

— 

Geoffrov -Saint-Hilaire 

104 

- 

Plan  du  Jardin  du  Roi  en  1640. 

16 

— 

Cuvier 

115 

— 

Ruffon 

23 

— 

Jacquemont 

135 

— 

Daubcnlon 

25 

1 - 

De  Blainville 

143 

UElIXlÈn  E PARTIE. 

Nuire.  Plan  topographique  du  Jardin 
des  Plantes  en  1853... paire 

— Fontaine  de  la  rue  Cuvier. . . . 

— Vue  des  grandes  Serres 

— F.nlrée  des  deux  Labyrinthes . . 

— L’Amphithéùtro 

Coloriée.  Pose,  comtesse  de  Rambuteau. 

— Cinéraires 

— Convolvulacées 

— Culcéoluircs 

— Verveines 

e.fis  impr.  de  Paul  hupont,  rue  de  Crroell.-S:uil  Honoré,  *5. 


Coloriée.  Amaryllis page  62 

8 — Cypripediuni  barbatuul 04 

•6  — Fuchsias... 75 

12  — (iloxinies 70 

H Noire.  Plan  des  deux  Labyrinthes. .. . 81 

10  Coloriée.  Rhododendron 88 

27  — Camellia  Japonica 90 

45  — Poinsettia 98 

47  — Tersine  bleue 160 

49  — Oiseau-Mouche,  Hirondelle. . . 168 

50 


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